COUR DU QUÉBEC

 

Canada

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D'ABITIBI

«Chambre criminelle et pénale»

 

 No:

625-61-004143-018

 

 

DATE:  8 août 2001

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

L'HONORABLE

GUY GAGNON, J.C.q.

___________________________________________________________________

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

(Société de la faune et des parcs du Québec)

 

Poursuivant

c.

 

MICHEL RICHARD

 

Défendeur

___________________________________________________________________

 

JUGEMENT

___________________________________________________________________

[1]           L'accusé subit son procès sur l'infraction suivante :

«Le ou le 25 septembre 1999, a eu en sa possession du gros gibier, soit de l'ours noir chassé en contravention à l'article 68 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (L.R.Q.C.C.-61.1);  contrairement à l'article 71 de cette loi commettant ainsi l'infraction prévue à l'article 167 de ladite loi et se rendant passible d'une amende d'au moins 1 825,00 $ et d'au plus 5 475,00 $.

 

[2]           Le prévenu, par le ministère de son avocat, propose une requête en vertu de la charte canadienne des droits et libertés s'appuyant plus particulièrement sur les articles 7, 11b), 11h) et 24 de ladite charte.

 

[3]           Parallèlement à cette requête, l'avocat soulève une demande préliminaire en vertu des articles 174(8) et 184 du Code de procédure pénale.

 

[4]           En résumé, il est invoqué un délai déraisonnable ainsi qu'un abus de procédure.  À cela s'ajouterais la notion de double péril auquel aurait été soumis le défendeur dans la présente affaire.

 

[5]           Le présent dossier est particulier en ce que l'origine des préjudices d'ordre juridique invoqués par le défendeur se trouve dans un autre dossier, impliquant le même accusé, qui s'est terminé par un «retrait de plainte (625-61-003963-002)».

 

[6]           Voici donc les dates déterminantes que le Tribunal entend considérer pour disposer des arguments respectifs de chacune des parties.

 

[7]           Le 25 septembre 1999, il y aurait eu commission des gestes pour lesquels le défendeur subit maintenant son procès.  Le 7 mars 2000, un constat d'infraction fut dressé et le 13 avril de la même année un avis d'audition fut rédigé et transmis au défendeur prévoyant que la cause procéderait le 30 mai 2000.

 

[8]           Le constat d'infraction du 7 mars 2000 portait le numéro de dossier 625-61-003963-002 et faisait état de l'infraction suivante :

«Le ou vers le 25 septembre 1999, a eu en sa possession du gros gibier, soit de l'ours noir chassé en contravention à l'article 56 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (L.R.Q.C.C.-61.1) : contrairement à l'article 71 de cette loi commettant ainsi l'infraction prévue à l'article 167 de ladite loi et se rendant passible d'une amende d'au moins 1 825,00 $ et d'au plus 5 475,00 $.»

 

[9]           Ainsi donc, en date du 30 mai 2000, le défendeur et son avocat  sont présents à la Cour.  Le procès-verbal fait état d'une demande d'ajournement proposée par la défense au motif que la durée d'audition de cette affaire sera d'au moins deux heures et, compte tenu qu'il s'agit d'une journée à volume où seulement les causes de courte durée peuvent être entendues, les parties conviennent de remettre l'affaire au 30 novembre.

 

[10]        En date du 30 novembre, le défendeur et son avocat sont présents à la Cour.  La Couronne renonce à procéder parce qu'elle désire amender la plainte afin d'y substituer l'infraction prévue à l'article 56 par celle prévue à l'article 68 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune.  Le procès-verbal indique que Me Ladouceur s'est objecté à l'amendement, de telle sorte que l'avocat de la Couronne a informé la défense que le 22 février 2001, date de remise accordée de consentement (selon le procès-verbal), la Couronne entendait saisir le Tribunal d'une demande d'amendement.

 

[11]        Le 15 février 2001, une nouvelle plainte est portée contre le défendeur dans le dossier qui nous occupe présentement (625-61-004143-018).  Quatre jours plus tard, le défendeur plaide par écrit «non coupable» à l'infraction telle que portée et le 21 février la Couronne reçoit ledit plaidoyer de non-culpabilité.

 

[12]        Le 22 février, le Tribunal est saisi d'une demande de retrait de plainte dans le dossier no 625-61-003963-002.  Au soutien de sa demande de retrait, la Couronne  invoque qu'il y a «erreur dans la dénonciation» (voir procès-verbal au dossier de la cour et transcription des notes de l'audition du 22 février 2001). 

 

[13]        Selon toute vraisemblance, la Couronne a réalisé qu'il était probablement impossible de convaincre un Tribunal du bien fondé d'une demande d'amendement qui aurait pour résultat de substituer l'infraction prévue à l'article 56 de la loi (L.R.Q. C.C.-61.1) par celle de l'article 68 de la même loi.

 

[14]        Toutefois, lors des représentations du 22 février 2001, la Couronne et la défense tiennent des propos qu'il m'apparaît opportun de signaler dans la mesure où à cette date le défendeur avait déjà enregistré un plaidoyer de non-culpabilité.

 

[15]        En fait, la Couronne a proposé d'activer les choses en procédant immédiatement sur la nouvelle plainte.  Voici comment l'avocat de la Couronne s'exprime :

«Monsieur Michel Richard, je lui ai proposé monsieur le Juge de procéder aujourd'hui puisque le procès a été fixé à aujourd'hui, en fait j'ai proposé à Me Ladouceur de procéder sur un nouveau constat d'infraction, monsieur voulait avoir un procès rapide là, c'était l'objectif de monsieur et Me Ladouceur m'a dit qu'il ne désirait pas qu'on porte le procès sur la nouvelle dénonciation qui est conforme à la preuve […]» (page 3)

«Oui il va y avoir avis d'audition d'envoyé.  Par contre, pour limiter les délais en fait, pour permettre à monsieur Richard d'avoir son procès le plus rapidement possible, j'ai offert à Me Ladouceur parce que en fait c'est les mêmes témoins qui sont dans l'affaire de monsieur Brière, c'est tout relié puis c'était des témoins qui assignés aujourd'hui dans l'affaire de monsieur Richard.  Alors j'ai proposé à mon confrère de procéder immédiatement.  La Couronne était prête à procéder sur le nouveau constat qui, d'ailleurs mon confrère avait la preuve parce que la preuve qui a été envoyée à Me Ladouceur est la même preuve, c'est tout à fait le même dossier, […]» (page 4)

 

[16]        Ce que le Tribunal retient de ces propos, c'est que les deux constats réfèrent essentiellement aux mêmes faits, qu'il s'agit des mêmes témoins et que la communication de la preuve faite dans le premier dossier est identique à celle pour laquelle le défendeur subit maintenant son procès.  Je note également que la Couronne était prête à procéder le 22 février 2001 sur le nouveau constat.

 

[17]        En ce qui a trait à la défense, le jour du 22 février 2001, elle propose des arguments au Tribunal, invitant ce dernier à ne pas permettre le retrait de la plainte :  invitation qui ne fut pas suivie.  Par ailleurs, Me Ladouceur dispose de l'offre qui lui est faite de procéder sur le nouveau constat (625-61-004143-018) en ces termes :

«Maintenant la Couronne, lorsqu'on s'est présentés en Cour ici la dernière fois, Maître Duchesneau a annoncé qu'il voulait amender la plainte ce à quoi je m'étais objecté parce que quant à moi on faisait une modification qui était admissible [1] et on avait ajourné le procès pour aujourd'hui.» (page 6)

«[…] j'étais pas prêt à procéder aujourd'hui parce qu'il faut que je vérifie les moyens de défense que je peux offrir à cette nouvelle accusation-là.» (page 6)

 

[18]        À cette étape-ci de la décision, il semble opportun de référer au texte même de la loi afin de bien voir la différence entre l'article 56 auquel référait la plainte 625-61-003963-002 et l'article 68 auquel réfère maintenant le constat d'infraction 625-61-004143-018 :

 

«Article 56

La chasse et le piégeage d'un animal sont interdits.

Article 68

Dans le cas prévu par l'article 67 ou dans le cas d'un animal trouvé ou d'un animal tué ou capturé accidentellement, une personne doit, sans délai, lorsqu'il s'agit d'un animal déterminé par règlement :

1o  s'il est indemne et vivant, le remettre en liberté;

2o  s'il est blessé ou mort, le déclarer à un agent de conservation de la faune et, si ce dernier l'exige, le lui remettre pour confiscation.»

 

[19]        Il y a lieu de disposer de chacun des trois moyens soulevés par la défense selon leur ordre d'importance.

 

ABUS DE PROCÉDURE

 

[20]        Sur cette question, quoique l'argument ait été développé dans le cadre d'une requête écrite,  l'avocat de la défense n'insiste pas outre mesure.  Dans les faits, la défense ne propose aucune preuve par balance de probabilité suggérant effectivement que la conduite du ministère public a constitué dans le présent cas une procédure oppressive, vexatoire et d'acharnement à l'égard du requérant [2].

 

[21]        De plus, l'article 12 du Code de procédure pénale prévoit spécifiquement que :

«Le poursuivant peut, avant l'instruction d'une poursuite, retirer tout chef d'accusation qu'il a porté.  Lors de l'instruction, le retrait ne peut être effectué qu'avec la permission du juge.

Le poursuivant doit faire parvenir un avis de retrait au défendeur et au greffier lorsque ces derniers ne sont pas présents lors du retrait.»

 

[22]        En l'espèce, le poursuivant avait donc le pouvoir de retirer la plainte dans le dossier 625-61-003963-002, d'autant que cela ait été fait en présence de l'accusé et de son avocat.  Au surplus, je ne suis absolument pas convaincu, même si cette question n'est pas pertinente sur l'issue des moyens proposés par la défense, que la Couronne avait besoin de la permission du juge pour retirer la première plainte puisque «l'instruction» de la cause n'était pas débutée.

 

[23]        Finalement, aujourd'hui, le défendeur n'est pas poursuivi pour la même infraction que celle retirée.

 

[24]        Somme toute, il y a absence de preuve d'un comportement manifeste du ministère public qui aurait les caractéristiques de celles retrouvées dans l'affaire Gagné c. La Reine [3].

 

DOUBLE PÉRIL

 

[25]        La défense soutient que par le jeu du retrait de la première dénonciation dans le dossier 625-61-003963-002 et de la nouvelle plainte portée dans le dossier 625-61-004143-018, compte tenu que vraisemblablement la Couronne n'aurait pas été en mesure de faire la preuve dans la première affaire et qu'un acquittement semblait la seule conclusion logique, le défendeur est alors mis dans une situation de «double péril».

 

[26]        L'article 184 du Code de procédure pénale prévoit ce qui suit :

«À la demande du défendeur, le juge ordonne le rejet d'un chef d'accusation s'il est convaincu que :

1o  le défendeur a déjà été acquitté ou déclaré coupable de l'infraction décrite au constat d'infraction ou a été en péril d'être déclaré coupable pour cette infraction;»

 

[27]        Ce moyen est, à mon avis, mal fondé.

 

[28]        De toute évidence, il y a présence de deux infractions distinctes découlant des mêmes faits.  Cela n'a rien en soi d'unique.  En effet, et à titre d'illustration seulement, on peut facilement concevoir que lors d'une même manœuvre au volant d'un véhicule automobile, le conducteur commette plus d'une infraction.  On imagine facilement qu'un dépassement sur une ligne double à plus de 90 km/heure suggérera au policier le moindrement vigilant de dresser plusieurs constats d'infraction, soit un visant la conduite d'un véhicule à une vitesse supérieure à la limite permise par la loi, un second concernant le dépassement sur une ligne double et, un troisième, dépendamment des circonstances, portant sur la conduite dangereuse au sens où l'entend l'article 327 du Code de sécurité routière.

 

[29]        Le libellé des articles 56 et 68 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune me semble tout à fait différent.  D'ailleurs, l'avocat de la défense semble partager ce point de vue, puisqu'il s'est objecté, à raison d'ailleurs, au projet d'amendement de la Couronne :  il considérait que substituer l'infraction prévue à l'article 56 par celle prévue à l'article 68 faisait en sorte qu'on substituait une infraction par une autre.  Au surplus, le nouveau dossier constitue une infraction à ce point nouvelle que l'avocat de la défense a refusé de procéder le 22 février au motif, et on ne saurait l'en blâmer, qu'il désirait avoir plus de temps afin d'étudier les moyens de défense inhérents à cette nouvelle plainte.

 

[30]        Ainsi donc, je suis d'opinion que le défendeur n'a jamais été mis en péril d'être déclaré coupable de l'infraction prévue à l'article 68 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune.  Il y a certes identité de transaction[4], mais il n'y a pas identité d'infraction[5].

 

[31]        Il y a lieu de rappeler qu'aucune audition n'a eu lieu dans l'affaire 625-61-003963-002 et qu'aucun juge n'a été saisi de ce dossier.

 

[32]        Somme toute, malgré le plaidoyer de non-culpabilité enregistré dans la première affaire (625-61-003963-002), le retrait de la plainte auquel la Couronne a procédé avant instruction de la cause, auquel s'ajoute l'argument voulant que la nouvelle plainte (625-61-004143-018) réfère à une infraction différente, fait en sorte que je suis convaincu que le défendeur n'a jamais été en péril d'être déclaré coupable de cette dernière infraction autre que les conséquences juridiques inhérentes à la continuation du dossier dont est maintenant saisi ce Tribunal.

 

[33]        Cet argument est donc rejeté.

 

DÉLAI DÉRAISONNABLE

 

[34]        J'en viens à l'argument principal du défendeur, soit celui du délai déraisonnable.

 

[35]        Tout d'abord, le législateur a prévu que des infractions de la nature pour laquelle le défendeur est poursuivi se prescrivent par deux ans (art. 171.6 Loi sur la conservation et mise en valeur de la faune).  Or, de toute évidence, la présente affaire n'est pas prescrite.  Est-ce que le délai est pour autant déraisonnable ?

 

[36]        Le Tribunal est invité à calculer le délai à partir du premier constat d'infraction pour lequel il y a eu retrait de la plainte.   Sans pour autant disposer de cette question, je suis prêt, pour les fins de la présente décision, à considérer le délai à partir du premier dossier (625-61-003963-002) car, et ceci dit en tout respect pour l'opinion contraire, cela n'aura pas d'incidence sur les conclusions auxquelles j'en viens eu égard à ce troisième moyen.

 

[37]        Strictement pour les fins de la discussion, il y aurait un délai d'un peu moins de 15 mois entre la date du premier constat et la date prévue pour l'audition sur le second constat, soit le 29 mai 2001.

 

[38]        Nonobstant la façon dont le délai encouru avant le 15 février 2001 (date de la rédaction du constat d'infraction en l'espèce) doit être qualifié et prenant pour acquis, toujours pour fins de la discussion, que le délai à être considéré dans la présente affaire a commencé à courir à partir du premier constat d'infraction et présumant qu'effectivement le délai est déraisonnable (ce que je ne suis pas prêt à concéder compte tenu de la nature des explications de la poursuite et du cheminement particulier du présent dossier), il faut tout de même adresser la question déterminante quant à l'issue de la cause :  Est-ce que le défendeur, qui invoque les articles 7 et 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés, a démontré un préjudice réel portant sur l'équité du procès, outre le préjudice inhérent au simple écoulement du temps [6]?

 

[39]        Analysant donc la question sous l'angle de l'article 11b) de la Charte, en supposant être en présence d'un délai post-inculpatoire, il y a lieu d'appliquer les prémisses suivantes afin d'adjuger sur les droits revendiqués par le défendeur.

 

[40]        Il s'agit en l'occurrence d'une infraction de nature statutaire.  La protection des droits individuels du défendeur n'est pas en cause.  Ainsi, le droit à la sécurité de la personne et le droit à la liberté ne sont pas des facteurs à être considérés dans la mesure où l'on sait que le défendeur ne risque aucune peine d'emprisonnement et jamais n'a-t-il été exposé à une restriction de liberté quelconque.  Tout au plus, la question du droit à un procès équitable est d'actualité pour autant qu'il est important de s'assurer que les procédures aient lieu pendant que la preuve est encore disponible et récente.

 

[41]        Certes l'arrêt Askov [7] précise qu'il existe une présomption simple selon laquelle le seul écoulement du temps cause un préjudice et que dans les cas très longs la présomption devient pratiquement irréfragable.  C'est ainsi que dans l'arrêt Morin [8] la Cour suprême écrit :

«Dans les circonstances où on ne déduit pas qu'il y a eu préjudice et où celui-ci n'est pas autrement prouvé, le fondement nécessaire à l'application d'un droit individuel est grandement ébranlé.»

 

[42]        Dans l'arrêt C.I.P. [9], la Cour suprême explique que la présomption du préjudice trouve application seulement lorsque l'intérêt de l'accusé à sa «sécurité» est en cause.  Sur cette question, elle s'exprime comme suit :

«L'argument le plus persuasif avancé en faveur d'une présomption de préjudice concerne l'incidence du délai sur la sécurité de la personne. Une fois que l'inquiétude relative à ce facteur est écartée comme elle l'est dans le cas d'une personne morale, la présomption de préjudice s'avère en majeure partie sans fondement.»

 

[43]        Par ailleurs, il n'existe aucune preuve suggérant que le défendeur a subi un stress ou a été sous le coup de pression inacceptable compte tenu de toutes les circonstances, vu qu'il a été en attente d'un procès pour une infraction statutaire de la nature de celle pour laquelle il demande aujourd'hui l'arrêt des procédures.

 

[44]        Comme il a été dit préalablement, seule la question du procès équitable pourrait constituer une source de préjudice.  Or, dans le présent cas, faut-il rappeler qu'il y a une démonstration prépondérante selon laquelle dès la mise en œuvre du premier constat d'infraction (625-61-003963-002) étaient impliqués les mêmes témoins, le même événement et la même communication de la preuve.  Donc, dans les faits, le défendeur n'a jamais été mis dans une situation où des éléments de preuve auraient pu être perdus ou encore oubliés.  Au surplus, la Couronne a proposé à la défense de procéder dès le 22 février 2001.  La défense a refusé au motif qu'elle devait étudier les moyens de défense applicables à cette nouvelle infraction.  De toute évidence,  compte tenu que les deux constats réfèrent au même événement, l'avocat de la défense ne pouvait alors avoir à l'esprit des moyens de défense basés sur d'autres faits que ceux découlant de l'activité du 25 septembre 1999.

 

[45]        Certes, l'avocat pouvait avoir besoin d'un délai additionnel afin d'envisager la possibilité de soumettre une défense de nature juridique différente de celle nécessitée par la première affaire, mais outre cette possibilité les circonstances des deux dossiers sont identiques.

 

[46]        Une chose est sûre, si les moyens de défense à l'accusation en l'espèce peuvent être d'un ordre juridique différent de ceux prétendument opposables à la Couronne dans le dossier 625-61-003963-002, il n'en demeure pas moins que pour les deux dossiers, selon toute vraisemblance, la même base factuelle doit être appliquée.  En ce sens, il n'a aucunement été représenté qu'il y avait des témoins manquants, que les agents de la conservation impliqués n'étaient plus disponibles ou que des documents ou preuve de toute nature quelle quel soit, qui auraient été normalement utilisés pour le dossier 625-61-003963-002 n'étaient plus à la disposition de la défense dans le cadre du procès à intervenir dans le dossier 625-61-004143-018 et ce, dû au simple écoulement du temps.

 

[47]        À mon avis, l'équité du procès dans la présente affaire n'est aucunement en cause.

 

[48]        De plus, prétendre que le simple écoulement du délai dans le présent dossier est suffisamment important pour considérer que le préjudice est présumé me semble aller bien au-delà de la façon dont les tribunaux ont interprété l'arrêt C.I.P. [10].

 

[49]        Ainsi, le juge Jean-Pierre Lortie j.c.q., dans l'affaire Jean-Christophe Perron c. La Reine [11], écrivait sur cette question :

«Lorsqu'un accusé invoque l'article 7 de la Charte à l'étape pré-inculpatoire, il doit démontrer qu'il a subi un préjudice réel quant à l'équité de son procès, le seul écoulement du temps n'étant pas suffisant.

Quant à l'interprétation de l'alinéa 11b) qui porte sur les délais de la période d'inculpation, c'est l'affaire R. c. CIP Inc. de la Cour suprême qui stipule que le préjudice est un élément essentiel à l'existence d'une violation de l'alinéa 11b) de la Charte;  le préjudice peut être présumé dans le cas d'une atteinte à la liberté ou la sécurité de l'accusé, mais ne peut l'être dans le cas où il découle de l'iniquité du procès et dans cette dernière situation, le préjudice doit être irréparable.  En sus, le préjudice de l'accusé doit être apprécié en tenant compte du préjudice social qui découle d'un arrêt des procédures : une des composantes de ce préjudice social est la nature et la gravité objective de l'infraction reprochée.

Finalement, il doit s'agir d'un préjudice lié à l'accusation;  le fait que le retard dans la tenue du procès ait pu porter atteinte au droit à une défense pleine et entière de l'accusé dans une autre affaire doit faire l'objet d'un examen lors de l'audition de cette autre affaire.

 

[50]            Dans le présent cas, de toute évidence, il n'y aucun préjudice découlant de l'iniquité du procès, puisque aucun des facteurs inhérents à l'évaluation du caractère inéquitable d'un tel procès ne soutient la thèse du préjudice.

 

[51]        Au surplus, et nonobstant ce qui précède, je suis d'opinion qu'en l'espèce 80% du délai à être considéré doit être classifié au niveau du délai pré-inculpatoire et, en tenant compte de la nature de ce délai, celui-ci doit être évalué en fonction de l'article 7 de la Charte afin de vérifier si les circonstances particulières de l'affaire indiquent que le délai a une incidence sur l'équité du procès.  Compte tenu que nous ne sommes pas en matière d'abus de procédure, que rien dans la preuve ne révèle qu'il risque de surgir des difficultés lors du procès inhérentes à un tel délai et considérant que le défendeur a en mains depuis fort longtemps la communication de la preuve, il n'y a pas lieu, vu sous l'angle de l'article 7 de la Charte, de considérer que nous sommes ici en présence d'un délai déraisonnable.

 

[52]        En ce qui concerne les délais à proprement parler, certaines précisions de nature particulière au district d'Abitibi s'imposent.   En effet, la présente affaire doit être entendue à Senneterre, district d'Abitibi, là où la Cour du Québec siège occasionnellement.  Or, dans le calendrier judiciaire de l'an 2000-2001, seulement six termes de cour étaient prévus à la chambre criminelle répartis entre les mois d'août 2000 et juin 2001, ce qui totalise 6 journées d'audience réservées aux causes statutaires.  On comprendra facilement que le délai entre chacun de ces termes de cour est à lui seul un délai systémique qui constitue l'essentiel des délais invoqués dans la présente affaire.

 

[53]        Par ailleurs, même en retenant la position de l'avocat de la défense, qui soutient que la première demande de remise dans le premier dossier ne fut pas «de consentement», contrairement à ce qui est mentionné au procès-verbal, il n'en demeure pas moins que les membres du Barreau exerçant dans le district d'Abitibi sont au courant que lors des journées à volume en matière statutaire, seulement les causes ayant une durée de 15 minutes et moins peuvent procéder.  Or, l'avocat de la défense a annoncé une durée d'audition de 2 heures, ce qui impliquait automatiquement la fixation de cette affaire sur un rôle régulier.  D'autre part, avant cette annonce, il était impossible aux officiers de justice de prévoir une autre date que celle du 30 mai 2000, date où les causes de courte durée devaient normalement procéder.

 

[54]        Or, le seul véritable délai occasionné à l'accusé le fut suite à la remise du 30 novembre 2000 dû au fait que le rôle était engorgé. 

 

[55]        Les délais analysés sous cet angle ne m'apparaissent donc pas déraisonnables.

 

[56]        Le requérant invoque également un préjudice économique.  Dans la mesure où le préjudice économique est une notion applicable en l'espèce, ce que ce Tribunal évite de décider, il y a lieu de considérer que ledit préjudice n'est pas démontré par prépondérance.  En fait, les honoraires encourus pour la préparation de la première affaire sont utiles pour la seconde, car, comme souligné préalablement, il s'agit de la même base factuelle pour les deux dossiers.

 

[57]        Au surplus, le surcroît d'honoraires professionnels engendrés par la deuxième infraction ne découle certainement pas du fait que l'accusé est maintenant soumis à une nouvelle preuve, à des faits inconnus ou à un procès tellement différent de celui qu'il aurait pu subir dans le cadre du premier constat.

 

[58]        En fait, la preuve semble plutôt indiquer que s'il devait y avoir des honoraires additionnels, cela sera dans le but de mettre en place dans le cadre du procès à intervenir une défense en droit propre à l'infraction prévue à l'article 68 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et non une nouvelle défense basée sur des assises factuelles différentes.

 

[59]        De toute façon, le requérant, dans la mesure où il invoque le préjudice économique, omet d'en faire une démonstration prépondérante, puisque aucune évaluation n'est soumise permettant d'établir l'ampleur des coûts additionnels qu'engendrera l'audition de la présente affaire.

 

[60]        Ainsi donc, il est impossible d'évaluer l'ampleur du préjudice invoqué.

 

[61]        Somme toute, vu l'absence de préjudice évident dans la présente affaire, l'intérêt de la société, le maintien de la confiance publique dans les institutions et, plus particulièrement dans le système judiciaire, commandent que le défendeur subisse son procès.

 

[62]        La juge Diane Marcellin j.c.s., dans l'affaire Réginal Gagnon c. Procureur général du Québec [12] s'est exprimée avec on ne peut plus de clarté lorsqu'un accusé invoque le délai déraisonnable alors qu'il y a absence de préjudice :

«En effet, il a raison de ne pas se fonder uniquement sur les délais.  De l'avis du Tribunal, la protection prévue à l'article 11b) s'applique aux infractions statutaires et réglementaires comme l'a dit l'honorable juge Stevenson ci-haut.  Toutefois, dans un cas comme celui-ci, tout comme dans l'affaire Stevenson, l'appelant n'est pas menacé dans sa sécurité ou sa liberté.  Il en découle que la présomption simple de l'arrêt Askov, à l'effet que le simple écoulement du temps cause un préjudice à l'accusé ou, dans le cas de délais très longs devient une présomption irréfragable, ne s'applique pas au cas sous étude.  De l'avis du tribunal, l'appelant doit convaincre la Cour d'un affaiblissement de sa capacité de présenter une défense pleine et entière.»

 

[63]        D'ailleurs, les tribunaux d'appel ont de plus en plus interprété de façon restrictive les requêtes basées sur l'article 7 de la Charte, d'autant plus que dans des cas beaucoup plus explicites que la présente affaire basés, à titre d'exemple sur des manquements importants à la divulgation complète de la preuve, que cela n'a pas eu nécessairement pour résultat de déboucher sur un arrêt des procédures.  C'est ainsi que dans l'arrêt R. c. Bradford [13], la Cour d'appel d'Ontario écrivait ce qui suit :

«The fact that an accused is deprived of relevant information does not mean that the accused's right to make full answer and defence is automatically breached.  Actual prejudice must be established.  Actual prejudice occurs when the accused is unable to put forward his or her defence due to lost evidence, not simply that the loss of evidence makes putting forward the position more difficult.  There must be a consideration of whether other evidence contains essentially the same information.

[…] (1) the emotional/psychological status of the complainant at the time of the allegations;  (2) the time when the complaint was make in relation to when the events were alleged to have occurred;  (3) whether the police who took the statements are available for questioning;  (4) whether the complainant made other statements that contain the same information as the lost evidence;  (5) the ability of the complainant to recall the content of the earlier statements and the various alleged incidents of abuse;  (6) apparent inconsistencies in the complainant's trial testimony or between her other statements and evidence at the preliminary inquiry;  (7) whether the accused was made aware of the content of the lost evidence before it was lost or destroyed;  (8) whether the Crown made representations to the accused that the case would not proceed, such that the accused did not preserve his own copy of the records;  and (9) the evidence of other witnesses.»

 

[64]         Si les principes ci-dessus exposés sont valables pour une cause d'agression sexuelle, il me semble qu'ils doivent trouver davantage application en matière statutaire.

 

[65]        En conséquence, l'argument référant au délai déraisonnable est, à mon avis, non fondé vu particulièrement l'absence de preuve de préjudice quelconque.

 

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

REJETTE comme étant mal fondés les différents moyens préliminaires proposés par la défense.

 

FIXE l'audition du procès au 27 septembre 2001, à 9:30 heures, à Senneterre.

 

 

 

 

 

________________________________

guy gagnon, j.c.q.

 

Me Richard Duchesneau

Avocat du poursuivant

 

Me Jacques Ladouceur

Avocat du défendeur

 

 Domaine du droit:

PÉNAL (DROIT)

 



[1]  La transcription du débat réfère au mot «admissible» alors que le sens du texte, de toute évidence, suggère que l'avocat signifiait par ses propos «inadmissible»

[2]   R. c. Boutilier,  C.A. Nouvelle-Écosse, 45 C.R. (4th) 345;  Aubin c. R., C.S. 200-01-007248-903, 20 juin 1995;  Bélair c. R., [1988] 4 C.C.C. (3d) 339; R. c. Conway, 4 W.C.B. (2d) 276; R. c. Miles of Music, [1989] 48 C.C.C. (3rd) 96; Xenos c. La Reine, C.A.Q. 200-10-000072-889 (1991-12-2); Bleau c. R., C.A. 200-10-000057-955, 21 décembre 1998

[3]   C.A. Greffe de Montréal, 9 novembre 1998, 500-10-000633-964

[4]   R. c. Van Rassel, [1990] 1 R.C.S. 225

[5]   Morelli c. R., [1932] 58 C.C.C. 128; P.G.C. c. Restaurant La Bouffe (243) inc., [1993] R.J.Q. 1069 (C.A.)

[6]   R. c. L. (W.K.), [1991] 1 R.C.S. 1091; R. c. MacDonnell, [1997] 1 R.C.S. 305R. c. Liakas, [1996] 198 N.R. 97 (C.A.Q.) confirmé à [1996] 2 R.C.S. 286

[7]   [1990] 2 R.C.S. 1199

[8]   [1992] 1 R.C.S. 771

[9]   [1992] 1 R.C.S. 843

[10] Supra, note 9

[11]  C.Q. 500-01-003474-993, 20 septembre 2000.  Au même effet : R. c. Allen, [1997] 3 R.C.S. 700

[12]  C.S. 505-36-000250-979, 7 novembre 1997

[13]  [2001] 39 C.R. (5th) 323 (C.A. Ontario)

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