CANADA |
COUR SUPÉRIEURE |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE LONGUEUIL |
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N°: 505-36-000250-979
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MONTRÉAL, LE 7 NOVEMBRE 1997 |
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EN PRÉSENCE DE: L’HONORABLE DIANE MARCELIN, J.C.S.
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RÉGINALD GAGNONDéfendeur-APPELANT c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBECPoursuivant-INTIMÉ
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Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Cour du Québec (chambre pénale) rendu par l’honorable Raynald Bernier le 13 mars 1997 déclarant l’appelant coupable d’avoir conduit un véhicule à une vitesse supérieure à celle indiquée par la signalisation (art. 329 C.S.R.).
LES FAITS
Le 19 janvier 1995, l’appelant est intercepté sur la route 132 à St-Lambert, et reçoit un billet pour avoir circulé à une vitesse supérieure à celle inscrite sur les panneaux de signalisation. Le constat d’infraction indique une vitesse de 130 km dans une zone de 100km.
Lors de l’audition devant l’honorable Raynald Bernier [«l’honorable Bernier»], l’appelant n’a pas produit de défense. Il a, par contre, soulevé l’article 11 b) de la Charte en invoquant qu’il s était écoulé plus de 25 mois depuis l’infraction reprochée et la date de l’audition de sa cause.
Devant le l’honorable Bernier, l’appelant a soulevé qu’il ne se souvenait plus du tout de ce billet de circulation et qu’en plus, la personne qui était dans son auto, ce soir là, ne se souvenait pas, non plus, de l’incident en question.
Selon l’appelant, puisque le délai écoulé est déraisonnable, il en subit un préjudice puisqu’il ne peut faire une défense pleine et entière car il ne se souvient pas des faits et que son seul témoin aussi ne se souvient de rien.
Pour soutenir son point, l’appelant invoque l’arrêt de la Cour suprême R c Askov([1]). Dans cet affaire, où la Cour suprême avait ordonné l’arrêt des procédures, il s’était écoulé près de 2 ans entre l’enquête préliminaire et le procès.
L’honorable juge Corey s’exprime de la façon suivante([2]):
"Il y a aussi des avantages pratiques à disposer rapidement des accusations. Il n’y a pas de doute que le souvenir des événements s’estompe avec le temps. Les témoins sont probablement plus fiables quand ils parlent d’événements récents plutôt que d’événements survenus plusieurs mois, voire plusieurs années, avant le procès. Le temps peut éroder non seulement la mémoire des témoins, mais aussi les témoins eux-mêmes."
Plus loin, toujours au même article, il énonce les facteurs dont il faut tenir compte pour décider s’il y a eu violation de l’article
11 b)([3]): 1) la longueur du délai, 2) l’explication du délai, soit par la conduite du ministère public ou par les délais systémiques ou institutionnels, 3) la conduite de l’accusé et 4) le préjudice subi par l’accusé.
Il faut souligner que l’arrêt R. c. Morin([4]), sous la plume de l’honorable juge Sopinka, reprend essentiellement les mêmes propos quant aux critères à étudier pour décider si les délais, dans un cas particulier, sont raisonnables:
"1. la longueur du délai;
2. la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul;
3. les raisons du délai, notamment
a) les délais inhérents à la nature de l’affaire,
b) les actes de l’accusé
c) les actes du ministère public,
d) les limites des ressources institutionnelles."
Dans le cas sous étude, les parties sont d’accord que les délais ne sont pas imputables à l’accusé ou au ministère public mais plutôt causés par le système. Toujours selon l’appelant, la Couronne n’a pas expliqué les raisons de ce délai. C’est plutôt l’honorable juge Bernier qui, sans aucune preuve, a parlé du nombre important de causes de ce genre qui doivent être traitées durant une année.
D’ailleurs, l’honorable juge Bernier([5]) s’exprime de la façon suivante à ce sujet à la page 13:
"Compte tenu du volume de ces matières pénales-là, de ces infractions pénales-là, on annuellement en matière pénale, donc on parle de près d’un million de poursuites gestion centralisée à Québec, compte tenu que le délai est de deux (2) ans et quelques, vingt-cinq (25) mois, à la limite du raisonnable, compte tenu de la nature de l’infraction, du volume à traiter annuellement, je ne vois pas de préjudice dans ce dossier, de préjudice au défendeur, compte tenu de la nature de l’affaire, il s’agit d’un billet d'infraction pour une vitesse, il y a pas de témoins en cause, le défendeur allègue qu’il n’est pas capable d’offrir aucune défense à cette infraction, je ne vois ni préjudice réel dans le témoignage du défendeur, ni de préjudice qui serait inhérent au délai, compte tenu de la nature de l’affaire qu’on reproche au défendeur."
Soulignons aussi qu’il s’agit d’une simple infraction au Code de la route et que, par voie de conséquence, il n’y a pas de délai imputable à la nature de l’affaire.
Toujours à l’arrêt Morin, l’honorable juge Sopinka déclare que l’objet principal de l’article 11 b) de la charte est la protection des droits individuels de l’accusé. Il ajoute cependant que la Cour a retenu un intérêt secondaire soit l’intérêt de l’ensemble de la société.
Les droits individuels sont le droit à la sécurité de la personne, le droit à la liberté et le droit à un procès équitable.
Dans le cas sous étude, le droit à la sécurité de la personne et à sa liberté n’ont jamais été compromis puisque la nature de l’infraction ne mettait pas en cause ces droits.
À l’arrêt R. c. CIP inc([6]), où une corporation avait justement soulevé cette question de délai déraisonnable, l’honorable juge Stevenson, dans un premier temps, s’exprime ainsi:
"Or, si je comprends bien cet argument, l’intimée prétend que, puisque l’appelante a été accusée d’une infraction réglementaire, le délai imparti pour la tenue du procès devrait être plus long qu’il ne le serait dans d’autres circonstances. Cet argument ne me paraît guère convaincant. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable joue du moment qu’une personne est «inculpé[e]» La Charte ne distingue pas entre différents types d’infractions et il me semble que faire une telle distinction aux fins de l’appréciation du caractère raisonnable du délai serait pousser vraiment trop loin les principes de l’analyse contextuelle. Indépendamment de la nature de l’infraction qui lui est reprochée, subsiste l’intérêt pour l’accusé qu’il y ait une preuve disponible et fiable."
Dans le cas sous étude, le procureur de l’intimée se fonde sur l’arrêt ci-haut pour soutenir qu’une fois l’inquiétude, relativement à la sécurité de la personne, est mise de côté, c’est à la personne qui soulève les délais de démontrer qu’elle a, effectivement, subi un préjudice.
Il faut voir qu’à l’arrêt CIP inc., l’honorable Stevenson reprend la présomption de l’arrêt Askov selon lequel le seul écoulement du temps cause un préjudice à l’accusé. Notons qu’à cette affaire, la Couronne, soutenait que cette présomption ne pouvait s’appliquer dans le cas d’une corporation puisque cette dernière n’avait pas le droit, en vertu de la Charte, à la liberté et à la sécurité. L’honorable Stevenson([7]) achète cet argument et vient à la conclusion qu’une personne morale ne peut invoquer la présomption de l’arrêt et qu’elle "doit être en mesure d’établir qu’elle a subi un préjudice irréparable à son droit à un procès équitable"
Dans le cas sous étude, l’intimée reprend cet argument et soutient que puisque la sécurité et la liberté de l’appelant ne sont pas en danger, il doit prouver un préjudice s’il veut invoquer que les délais sont déraisonnables.
L’appelant nous a soumis aussi un jugement de l’honorable Pierre Béliveau de cette Cour, l’affaire Dries c. Ville-St-laurent([8]). Dans cette affaire, il s’agissait également d’une infraction au Code de la sécurité routière. Les faits, toutefois. sont différents puisque l’appelant invoquait à la fois l’article 11 a) et l’article 11 b) de la Charte. De plus, l’honorable juge Béliveau déclare:
"La cour conclut donc que les parties étaient certainement prêtes à procéder à la mi-décembre 1993. On est donc en présence d’un délai d’un an qui est à la fois systémique et causé par un laxisme inexpliqué et difficilement explicable de la part du poursuivant." (soulignement ajouté).
De plus, à la page 15, l’honorable Béliveau prend en considération le fait que l’appelant avait aussi subi une violation de son droit prévu à l’alinéa lia). De plus, l’infraction était de faible gravité. C’est en considérant l’ensemble des facteurs qu’il conclut à une violation de l’article 11 b) et décrète un arrêt des procédures.
Dans le cas sous étude, l’appelant ne peut imputer aucune faute au poursuivant et les délais sont strictement systémiques. Certes, la couronne n’a pas fait la preuve des motifs des délais mais, à mon avis, les remarques générales de l’honorable Bernier, relativement au système en place et au nombre de poursuites annuelles, sont certainement du domaine de la connaissance du juge. IL faut aussi voir que l’appelant n’avait pas avisé le poursuivant de son intention de soulever un argument en vertu de l’article 11 b) de la Charte.
Il y a donc lieu de distinguer le jugement de l’honorable Béliveau des présentes.
Enfin, l’honorable juge de première instance vient à la conclusion que l’appelant n’a subi aucun préjudice suite aux délais.
Cette conclusion est-elle raisonnable vis-à-vis la preuve devant lui? La soussignée croit que oui. C’est à bon droit que le juge de première instance a aussi regardé la nature de l’infraction et exigé une preuve de préjudice.
En effet, il a raison de ne pas se fonder uniquement sur les délais. De l’avis du Tribunal, la protection prévue à l’article 11 b) s’applique aux infractions statutaires et réglementaires comme l’a dit l’honorable juge Stevenson ci-haut. Toutefois, dans un cas comme celui-ci, tout comme dans l’affaire Stevenson, l’appelant n’est pas menacé dans sa sécurité ou sa liberté. Il en découle que la présomption simple de l’arrêt Askov([9]), à l’effet que le simple écoulement du temps cause un préjudice à l’accusé ou, dans le cas de délais très longs devient une présomption irréfragable, ne s’applique pas au cas sous étude. De l’avis du tribunal, l’appelant doit convaincre la Cour d’un affaiblissement de sa capacité de présenter une défense pleine et entière.
L’appelant soutient justement qu’il est empêché de présenter I une défense pleine et entière puisque, dit-il, il ne souvient pas des faits. Le l’honorable juge Bernier ne retient pas cette explication et déclare que l’accusé n’a pas subi de préjudice.
Compte tenu de la preuve qu’il avait par-devers lui, cette constatation n’est pas déraisonnable.
POUR CES MOTIFS, LA COUR:
REJETTE l’appel.
DIANE MARCELIN, J.C.S.
Me Réginald Gagnon
Brassard Roy Gagnon
560, Chemin de Chambly, #100
Longueuil (Québec) J4H 3L8
Tél.: (514) 679-8880
Télec.: (514) 679-8326
Me Henri-Pierre Labrie
Bureau des Substituts du
Procureur général
Palais de Justice
1111 boul. Jacques-Cartier est
Longueuil (Québec)
tél.: (514) 646-4012
([5]) Procureur général du Québec c. Réginald Gagnon, 13 mars 1997, Honorable Raynald Bernier, J.C.Q., 505-61-017007-964, p. 13.
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