COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000072‑889
(650‑01‑001139‑831)
Le 2 décembre 1991
CORAM: LES HONORABLES DUBÉ
CHOUINARD
BROSSARD, JJ.C.A.
JIMMY SCOPIOTIS XENOS,
APPELANT - Accusé
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - (Plaignante)
LA COUR statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour des sessions de la paix (Cour du Québec) du district de Mingan, prononcé le 15 avril 1988 par l'honorable André Desjardins, déclarant l'appelant coupable des infractions suivants, à savoir:
1-Le ou vers le 9 janvier 1982, a illégalement et volontairement mis le feu à l'Auberge Cascade de Port-Cartier, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 389(1a), 21 du Code criminel.
2-Le ou vers le mois de mars 1982, par la supercherie, le mensonge ou d'autres moyens dolosifs, a illégalement tenté de frauder la Cie d'Assurances Traders Générale, Security Ins. Compagny of Canada, Danunion of Canada Cie d'Assurances Générale, la Fédération Compagnie d'Assurances et General Accident Cie d'assurances, d'une somme de 1 500 000$, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 338 du Code criminel et 421.
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du juge Brossard, déposée avec le présent arrêt, et auxquelles souscrivent les juges Dubé et Chouinard;
ACCUEILLE l'appel;
CASSE le jugement entrepris;
ORDONNE la tenue d'un nouveau procès sur les chefs d'accusation précités.
ANDRÉ DUBÉ, J.C.A.
ROGER CHOUINARD, J.C.A.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
Me Marc David, procureur de l'appelant.
Me Pierre Lapointe, procureur de l'intimée.
DATE DE L'AUDITION: le 22 octobre 1991.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000072‑889
(650‑01‑001139‑831)
CORAM: LES HONORABLES DUBÉ
CHOUINARD
BROSSARD, JJ.C.A.
JIMMY SCOPIOTIS XENOS,
APPELANT - Accusé
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - (Plaignante)
OPINION DU JUGE BROSSARD
L'appelant se pourvoit contre un jugement qui le déclare coupable des accusations suivantes:
1-Le ou vers le 9 janvier 1982, a illégalement et volontairement mis le feu à l'Auberge Cascade de Port-Cartier, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 389(1a), 21 du Code criminel.
2-Le ou vers le mois de mars 1982, par la supercherie, le mensonge ou d'autres moyens dolosifs, a illégalement tenté de frauder la Cie d'Assurances Traders Générale, Security Ins. Compagny of Canada, Danunion of Canada Cie d'Assurances Générale, la Fédération Compagnie d'Assurances et General Accident Cie d'assurances, d'une somme de 1 500 000$, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 338 du Code criminel et 421.
Lors du procès, l'intimée a présenté une preuve à deux volets, l'un direct, l'autre circonstanciel. Au niveau de la preuve directe, elle a fait entendre un dénommé Papadakis qui se présentait comme l'intermédiaire entre l'appelant et l'auteur de l'incendie criminel survenu à l'hôtel dont le premier était propriétaire. Au niveau de la preuve circonstancielle, elle fit entendre plusieurs témoins pour établir les éléments suivants:
1-l'incendie, qui aurait eu plusieurs foyers distincts et simultanés, est incontestablement d'origine criminelle;
2-les affaires de l'appelant étaient en très mauvais état et il avait un intérêt certain à percevoir une indemnité d'assurances de plus d'un million de dollars pour la perte d'un immeuble qu'il avait acheté pour une somme de 150 000$ seulement, montant qu'il n'avait cependant pas encore payé;
3-quelques semaines avant l'incendie, l'appelant aurait demandé à un courtier de préparer une soumission pour augmenter substantiellement la couverture d'assurances, non seulement sur l'édifice, mais également sur son contenu;
4-une quinzaine de jours avant l'incendie, l'appelant aurait effectivement demandé au courtier d'émettre un nouveau contrat d'assurances pour un montant de 1 250 000$ quant à l'immeuble et de 250 000$ quant au contenu;
5-or, dans les semaines ayant précédé l'incendie, une grande partie du contenu de l'hôtel aurait été effectivement déménagé à d'autres établissements appartenant à l'appelant;
6-quelques semaines avant l'incendie, l'appelant aurait demandé à un de ses employés de l'époque s'il connaissait quelqu'un qui pourrait allumer l'incendie ou si ce dernier pourrait lui-même le faire;
7-quelques jours avant l'incendie, un rôdeur inconnu aurait effectivement tenté de s'introduire dans l'hôtel par une entrée inutilisée située à proximité de l'endroit où, quelques jours plus tard, l'incendie devait être déclenché, mais il en aurait été empêché par la présence d'un gardien ainsi que d'un chien de garde;
8-le soir de l'incendie, le chien n'était pas sur les lieux alors que le gardien, un dénommé Gomez, venait juste de quitter les lieux pour faire un transport d'effets mobiliers de l'hôtel incendié à un autre établissement de l'appelant, et ce à la demande d'un représentant de ce dernier.
L'élément à la fois le plus concluant, mais le plus préoccupant, de cette preuve réside évidemment dans le témoignage du dénommé Papadakis. Quant à la teneur de ce témoignage, voici comment le premier juge le résume:
Le principal témoin de la Couronne a été un dénommé Georges Papadakis dont le témoignage peut se résumer comme suit:
Monsieur Papadakis a connu l'accusé il y a 16 ou 17 ans. À cette époque ils demeuraient tous deux à Montréal et monsieur Papadakis, qui exploitait un atelier de plombier, a fait des travaux sur les propriétés de l'accusé.
En 1977, l'accusé, qui était à construire l'hôtel Le Château à Port-Cartier, a demandé au témoin de venir y faire la plomberie et ses travaux ont duré près d'un an. Par la suite monsieur Papadakis a vendu son commerce de plomberie et est venu s'installer à Sept-Iles où il est devenu le gérant de nuit du restaurant Clémenceau.
Il a alors revu régulièrement l'accusé qui fréquentait le restaurant et a connu deux clients réguliers, messieurs Joseph Bezeau et Guy Noël.
En 1981, l'accusé a acheté un autre hôtel, l'Auberge des Cascades, et au cours de l'automne de la même année il s'est plaint à plusieurs reprises à l'occasion de visites au Clémenceau, soit au propriétaire du restaurant, monsieur Constant Spétiaris, soit à monsieur Papadakis, que ses affaires allaient mal et que le seul moyen qu'il avait de s'en sortir serait de mettre le feu après avoir changé de compagnie d'assurances.
Au début du mois de janvier 1982, monsieur Spétiaris, qui partait en voyage, a remis 100,00$ à monsieur Papadakis pour qu'il les donne à monsieur Bezeau en vue d'acheter de la gazoline et lui a dit de suivre les instructions de l'accusé.
Les 5 ou 6 janvier, monsieur Papadakis a remis les 100,00$ à monsieur Bezeau qu'il a revu le 6 ou le 7 janvier lorsqu'il est venu lui dire qu'il voulait absolument contacter l'accusé. Il avait tenté d'aller mettre le feu à l'Auberge des Cascades ce soir-là, mais en avait été empêché par la présence d'un chien et d'un gardien.
Le soir même l'accusé a appelé monsieur Papadakis et ce dernier lui a fait part de la plainte de monsieur Bezeau. L'accusé lui a alors dit qu'il s'occuperait du chien et du gardien. Effectivement quelques jours plus tard l'accusé a appelé monsieur Papadakis pour lui demander de dire à monsieur Bezeau que tout était correct.
L'hôtel a été incendié à minuit ce même soir et par la suite messieurs Bezeau et Noël sont venus au restaurant où monsieur Bezeau s'est vanté que son "flo" (monsieur Noël) était capable de faire un feu de plus d'un million de dollars.
Deux ou trois semaines plus tard, l'accusé a demandé à monsieur Papadakis de venir le rencontrer au restaurant Le Château et il y est allé en compagnie d'un dénommé Gauthier. L'accusé lui a alors remis un sac de papier contenant 4 000,00$ en petites coupures pour qu'il les remette à monsieur Bezeau tout en disant qu'il ne pensait pas que ce dernier pouvait faire "... une aussi belle job".
Le témoin est alors revenu à Sept-Iles où il a montré l'argent à monsieur Gauthier en prétendant qu'il lui appartenait. Il l'a cependant remis à monsieur Bezeau par la suite.
Au mois d'août 1983, monsieur Papadakis a revu monsieur Bezeau qui voulait se rendre à Chibougamau rencontrer l'accusé et lui réclamer le solde qui lui était dû, soit 5 000,00$. Monsieur Papadakis a accompagné monsieur Bezeau dans l'espoir d'obtenir lui-même 3 000,00$ de l'accusé, mais ce voyage a été inutile puisque ce dernier était absent.
Mais voici que le contre-interrogatoire de ce témoin fait ressortir les faits suivants, tels que résumés dans le mémoire de l'appelant:
Il ressort de la preuve que M. Papadakis s'est tenu coi jusqu'au mois de mars 1983 lorsqu'il a pensé pouvoir faire de l'argent en vendant des informations aux compagnies d'assurances.
Dans ce but, il a rencontré des représentants des assureurs dans un restaurant de Montréal et leur a offert de leur donner certaines informations en retour d'une somme de 200 0000,00$. Ceux-ci lui ont dit qu'ils consulteraient leurs clients, lui ont remis 500,00$ pour payer ses dépenses de voyage et lui ont dit qu'ils communiqueraient de nouveau avec lui.
Le 18 mai 1983, des enquêteurs de la Sûreté du Québec lui ont téléphoné à son travail (restaurant Clémenceau) pour lui donner rendez-vous dans un hôtel aux fins de l'interroger. Au cours de cette entrevue, il a été convenu que les enquêteurs communiqueraient avec les assureurs au sujet de l'argent qu'il réclamait.
Le 20 mai suivant, M. Gaston Migneault du "Service anti-crimes des assureurs" a écrit une lettre accompagnée de deux chèques de 1 500,00$ à l'agent Richard Tancrède de la section des crimes économiques de la Sûreté du Québec. Dans cette lettre, il lui fait part que les assureurs de l'Auberge des Cascades acceptent de payer une récompense monétaire à M. Papadakis.
En gros, ces assureurs acceptaient de payer une première somme de 1 500,00$ immédiatement après vérification de certains renseignements déjà fournis et une deuxième somme de 1 500,00$ dès que M. Papadakis aurait relaté tout ce qu'il savait au sujet de l'incendie.
Au surcroît, l'entente spécifiait que Papadakis toucherait la somme de 50 000,00$ se rapportant à l'incendie de l'Auberge des Cascades. Papadakis avait bien compris, d'une part, qu'il ne recevrait le 50 000$ que si l'appelant était condamné et, d'autre part, que l'on comptait sur son témoignage pour assurer ce résultat.
De fait, par l'intermédiaire de la Sûreté du Québec et de M. Dequoy, agent de liaison des diverses compagnies d'assurances impliquées dans le présent dossier, Papadakis a reçu entre 48 000,00$ et 50 000,00$ des assureurs entre 1983 et 1987. Au cours de cette période, il a témoigné dans le cadre de six procédures judiciaires différentes en rapport avec l'incendie de l'auberge. Soulignons que plusieurs versements coïncidaient avec les dates de ses témoignages.
Certaines lettres échangées entre le "Services anti-crimes d'assureurs" et la Sûreté du Québec sont encore plus intéressantes (Pièces D-1, D-3 et D-9):
INSURANCE CRIME SERVICES ANTI-CRIME
PREVENTION BUREAUX DES ASSUREURS
C.P. box 458, Succ. Sta. "B", Montréal Québec
Canada H3B 3K3
J.C. Cloutier
General Manager
Directeur Général
PERSONNEL - CONFIDENTIEL 83 05 20
M. Richard Tancrède, Agent
SURETÉ DU QUÉBEC
Section des Crimes Economiques
5005 Boulevard Pierre-Bertrand
Charlesbourg, Québec
G2K 1M1
Objet:AUBERGE DES CASCADES ET/OU
ASSOCIATION LES IMMEUBLES XENOS LTEE
Scopiotis XENOS aka Jimmy XENOS
27, Blvd. Lemoyne
Port-Cartier, Québec
INCENDIE: Samedi 82 01 29, 22:45 hres
Monsieur,
La présente fait suite à votre conversation téléphonique de ce jour avec M. André Larocque, Agent Spécial de ce bureau concernant la perte en rubrique.
Nous avons approché les assureurs couvrant la perte ci-haut mentionnée et leur avons proposé les conditions concernant une récompense monétaire à une personne en vue d'éclaircir l'incendie survenu à l'Auberge des Cascades de Port-Cartier le 9 janvier 1982. Ces conditions, tel qu'entendu, sont que les assureurs s'engagent à verser les sommes suivantes:
a)$1,500.00 maintenant après avoir vérifié et confirmé exacts certains renseignements fournis.
b)$1,500.00 après que la personne concernée vous ait relaté tout ce qu'elle sait sur l'incendie en titre en plus de quelque trente autres feux.
c)Une somme ne dépassant pas $50,000.00 après que les assurés aient été condamnés pour crime d'incendie, tentative de fraude ou toute autre offense criminelle se rapportant à l'incendie en rubrique.
Par conséquent, vous trouverez ci-inclus deux chèques pour un montant de $1,500.00 chacun, lesquels montants devront être versés à la personne concernée selon l'entente intervenue entre vous et M. Larocque de notre bureau. Quant à la balance elle sera versée en temps et lieu selon les conditions déjà mentionnées.
Nous devons comprendre que la personne qui fournit les renseignements dans cette cause, n'est pas mêlée à cette affaire.
Assurés que tout se déroulera tel qu'entendu, nous vous prions d'agréer nos salutations distinguées.
Bien à vous,
Le Directeur de la Division du Québec,
[signé]
Gaston J. Migneault
************************
INSURANCE CRIME SERVICES ANTI-CRIME
PREVENTION BUREAUX DES ASSUREURS
C.P. box 458, Succ. Sta. "B", Montréal Québec
Canada H3B 3K3
J.C. Cloutier
General Manager
Directeur Général
M. Alain Robert, Capitaine 84 02 24
Responsable de l'Unité des
Crimes Économiques
SURETÉ DU QUÉBEC
5005, Boul. Pierre-Bertrand
Québec, Québec
G1K 7W2
Objet:AUBERGE DES CASCADES ET/OU
ASSOCIATION LES IMMEUBLES XENOS LTEE
Scopiotis XENOS aka Jimmy XENOS
27, Blvd. Lemoyne
Port-Cartier, Québec
INCENDIE: Samedi 82 01 29, 22:45 hres
Monsieur,
La présente fait suite à notre lettre du 83 12 05 et à nos rencontres du 22 et 23 courant avec vos subalternes, le Sgt Patrice Vadeboncoeur et l'Agent Robert Blanchette, concernant le sujet en rubrique.
Nous désirons vous confirmer les ententes conclues verbalement comme suit, lors des deux rencontres précitées:
a)Nous sommes disposés à verser une somme de $3,000.00 au Commandant de votre district, laquelle sera remise à l'informateur afin qu'il puisse quitter la province pour sa propre protection, à condition qu'il demeure à votre disposition pour témoigner à l'enquête préliminaire et au procès de Jimmy Xenos relativement à l'incendie en titre. Il est bien entendu qu'il témoignera dans le même sens qu'il l'a fait au cours de l'enquête du Commissaire des Incendies sur la perte en rubrique.
b)Une somme additionnelle de $2,000.00 sera versée au Commandant du district après que l'informateur aura témoigné à l'enquête préliminaire de Jimmy Xenos dans le même sens qu'il l'a fait devant le Commissaire des Incendies dans la cause ci-haut mentionnée.
c)Advenant le cas où suite à son procès au cours duquel l'informateur aurait justement témoigné et ce dans le même sens qu'il l'a fait au cours de l'enquête du Commissaire des Incendies et que l'assuré Jimmy Xenos serait acquitté, les sommes versées et mentionnées aux alineas a et b ci-haut, ne seraient pas réclamées par qui que ce soit à qui que ce soit.
d)Il est également bien compris que le total des sommes mentionnées aux alineas a et b de la présente sera déduit sur le montant de $50,000.00 convenu dans notre lettre du 83 12 05.
e)Il est bien entendu que les présents changements sont les derniers qui seront apportés à l'entente antécédente et qu'ils doivent être acceptés tels quels en totalité.
En espérant le tout conforme à nos ententes, nous attendons votre confirmation avant d'entreprendre d'autres démarches.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.
Bien à vous,
Le Directeur de la Division du Québec,
[signé]
Gaston J. Migneault
******************************
DISTRICT DE QUÉBEC
CASE POSTALE 8400
TERMINUS POSTAL
5005, BOUL. PIERRE-BERTRAND
QUÉBEC, QUÉ.
G1K 7W2
Votre dossier ..............
Notre dossier 209-821123-001
Le 7 mars 1984
Monsieur Gaston J. Migneault
Directeur de la Division du Québec
Service anti-crime des assureurs
Case postale 488, succursale "B"
Montréal (Québec)
H3B 3K8
Objet:AUBERGE DES CASCADES ET/OU
ASSOCIATION LES IMMEUBLES XENOS LTEE
Scopiotis XENOS aka Jimmy XENOS
27, Blvd. Lemoyne
Port-Cartier, Québec
INCENDIE: Samedi 82 01 29, 22:45 hres
Monsieur,
Nous accusons réception de votre lettre du 24 février dernier, concernant l'objet ci-haut mentionné.
L'informateur sera saisi des nouvelles ententes et il lui sera signifié, tel que stipulé dans votre correspondance, de leurs modalités.
En ce qui nous concerne, nous n'interviendrons plus, afin de modifier quoi que ce soit dans cette affaire, étant donné notre position d'intermédiaire entre les compagnies d'assurance et l'informateur dans ce dossier.
S'il devait y avoir d'autres demandes de changements, notre position vis-à-vis les poursuites ne nous permettraient pas d'aller plus loin dans la situation où nous avons été placés précédemment, et qui signifie que toute négociation ultérieure devrait s'effectuer sans notre intercession.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.
Le responsable de l'unité
des crimes économiques,
[signé]
Alain Robert, capitaine
************************
Enfin, le dossier démontre que, lors du procès, un montant d'au moins 22 700,00$ avait déjà été versé au témoin Papadakis, à un titre ou à l'autre.
À la lumière des ces faits mis en preuve dans le cadre du contre-interrogatoire du témoin Papadakis, faits dont, importe-t-il de souligner, le substitut du procureur général était dans l'ignorance la plus complète, le procureur de l'appelant, plaidant la théorie de "l'abus de procédure", demande un arrêt des procédures. Subsidiairement, le procureur de l'appelant réclame également cette ordonnance d'arrêt des procédures à titre de remède en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour cause de violation des droits fondamentaux de l'appelant protégés par l'article 7 de la Charte. Ces deux demandes, telles que formulées, sont refusées par le premier juge qui reconnait cependant qu'il y a eu abus et déni de justice en ce qui concerne le témoignage Papadakis et que, en conséquence, ce témoignage doit être totalement mis de côté et ignoré, tant en vertu du déni de justice causé à l'appelant qu'en vertu du fait que ce témoignage avait perdu toute crédibilité. Il s'en exprime comme suit:
À mon avis, même si je prenais pour acquis pour les fins de la discussion que la proposition du procureur de l'accusé est vraie, ce fait ne justifierait pas un arrêt des procédures. En effet dans ce cas il me serait facile de remédier à l'abus dans le cadre de la tenue du procès en écartant le témoignage de monsieur Papadakis soit en vertu du deuxième paragraphe de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés soit parce que la promesse qu'on lui aurait faite lui aurait enlevé toute crédibilité.
Je rejette donc la requête me demandant d'ordonner l'arrêt des procédures.
(Les soulignements sont ajoutés.)
Puis, s'appuyant uniquement sur la preuve circonstancielle, le premier juge devait néanmoins conclure à la culpabilité de l'appelant.
Devant nous, l'appelant réitère son argument à l'effet qu'il y avait lieu à arrêt des procédures, soit sur la base de la théorie de l'abus de procédures en vertu de la common law, soit en vertu des dispositions de l'article 24(1) de la Charte canadienne des droits, et il ajoute que, au surplus, la preuve circonstancielle était insuffisante pour justifier raisonnablement un verdict de culpabilité et qu'il aurait donc dû, une fois exclus le témoignage Papadakis, bénéficier du doute raisonnable.
Il est indiscutable que, dans mon opinion, la conduite des représentants des assureurs est totalement inacceptable. La participation indirecte de la Sûreté du Québec, à seul titre d'intermédiaire, dans les négociations intervenues entre Papadakis et les assureurs l'est tout autant. La promesse d'une rémunération à un délateur, conditionnelle à ce que son témoignage entraîne une condamnation au pénal, est absolument inacceptable dans une société libre et démocratique. La promesse d'argent en échange d'un témoignage entraînant la condamnation d'un accusé constitue une incitation directe au parjure et à la fabrication de preuve, même si tel n'est pas le but visé.
Mais quelle doit être la sanction d'un tel déni de justice? Analysant la théorie de l'abus de procédures, l'honorable Juge en chef Dickson, dans l'arrêt R. c. Jewitt,[1] s'exprimait comme suit:
It seems to be desirable and timely to end the uncertainty which surrounds the availability of a stay of proceedings to remedy abuse of process. Clearly, there is a need for this Court to clarify its position on such a fundamental and wide-reaching doctrine.
Lord Devlin has expressed the rationale supporting the existence of a judicial discretion to enter a stay of proceedings to control prosecutorial behaviour prejudicial to accused persons in Connelly v. Director of Public Prosecutions, [1964] A.C. 1254 (H.L.) at p. 1354:
Are the courts to rely on the Executive to protect their process from abuse? Have they not themselves an inescapable duty to secure fair treatment for those who come or who are brought before them? To questions of this sort there is only one possible answer. The courts cannot contemplate for a moment the transference to the Executive of the responsibility for seeing that the process of law is not abused.
I would adopt the conclusion of the Ontario Court of Appeal in R. v. Young, supra, and affirm that "there is a residual discretion in a trial court judge to stay proceedings where compelling an accused to stand trial would violate those fundamental principles of justice which underlie the community's sense of fair play and decency and to prevent the abuse of a court's process through oppressive or vexatious proceedings". I would also adopt the caveat added by the Court in Young that this is a power which can be exercised only in the "clearest of cases".
(Pages 136-137)
Le juge Dickson terminait en soulignant la distinction entre l'arrêt de procédures et l'acquittement dans les termes suivants:
Otherwise, the two concepts are not equated. The stay of proceedings for abuse of process is given as a substitute for an acquittal because, while on the merits the accused may not deserve an acquittal, the Crown by its abuse of process is disentitled to a conviction.
(Page 148)
Quelques années plus tôt, dans l'affaire Palmer c. La Reine,[2] le juge McIntyre exprimait l'opinion suivante en ce qui concerne le risque relié à l'utilisation de délateurs:
The dangers inherent in this situation are obvious. On the one hand, interference with witnesses cannot be tolerated because the integrity of the entire judicial process depends upon the ability of parties to causes in the courts to call witnesses who can give their evidence free from fears and external pressures, secure in the knowledge that neither they nor the members of their families will suffer in retaliation. On the other hand, the courts must be astute to see that no steps are taken, in affording protection to witnesses, which would influence evidence against the accused or in any way prejudice the trial or lead to a miscarriage of justice. However, in cases where the courts are, after careful examination, satisfied that only reasonable and necessary protection has been provided and that no prejudice or miscarriage of justice has resulted in consequence, they should not draw unfavourable inferences against the Crown, by reason only of this expenditure of public funds.
It must be recognized that when cases of this nature arise, charges of bribery of witnesses will, from time to time, be made. It is for this reason that the courts must be on guard to detect and to deal severely with any attempt to influence or corrupt witnesses.
(Page 779)
Enfin, dans l'affaire plus récente de Mack c. La Reine,[3] le juge Lamer, saisi d'un cas de défense fondé sur la doctrine de la provocation policière, faisait le lien suivant entre l'abus de procédure et la violation de la Charte:
This is basic principle upon which many other principles and rules depend. If the court is unable to preserve its own dignity by upholding values that our society views as essential, we will not long have a legal system which can pride itself on its commitment to justice and truth and which commands the respect of the community it serves. It is a deeply ingrained value in our democratic system that the ends do not justify the means. In particular, evidence or convictions may, at times, be obtained at too high a price. This proposition explains why as a society we insist on respect for individual rights and procedural guarantees in the criminal justice system. All of these values are reflected in specific provisions of the Charter such as the right to counsel, the right to remain silent, the presumption of innocence and in the global concept of fundamental justice. Obviously, many of the rights in ss. 7 and 14 of the Charter relate to norms for the proper conduct of criminal investigations and trials, and courts are called on to ensure that these standards are observed.
...
It is the belief that the administration of justice must be kept free from disrepute that compels recognition of the doctrine of entrapment. In the context of the Charter, this Court has stated that disrepute may arise from "judicial condonation of unacceptable conduct by the investigatory and prosecutional agencies": R. v. Collins, [1987] 1 S.C.R. 265, at p. 281. The same principle applies with respect to the common law doctrine of abuse of process. Conduct which is unacceptable is, in essence, that which violates our notions of "fair play" and "decency" and which shows blatant disregard for the qualities of humanness which all of us share.
(Pages 938 à 940)
Plaidant le caractère clair et manifeste de l'abus de procédure en l'instance, l'appelant, s'appuyant sur les arrêt précités, nous propose donc que le premier juge n'avait aucune autre alternative que de conclure à l'arrêt des procédures.
L'intimée reconnait le caractère inacceptable des démarches dont des représentants de la Couronne se sont faits les complices indirects. Elle nous propose cependant que le degré abusif des procédés utilisés doit néanmoins s'apprécier, dans son caractère clair et manifeste, en regard de ses effets, c'est-à-dire en regard de l'ensemble de la preuve. Elle conteste que l'arrêt des procédures soit, en tout état de cause, le seul remède approprié ou disponible et soumet que l'exercice par le premier juge d'une relative discrétion constitue le seul moyen d'atteindre un juste équilibre entre l'intérêt de l'accusé et les intérêts plus larges de la société. L'intimée s'appuie sur l'arrêt de la Cour d'appel du Saskatchewan dans l'affaire Regina vs Keyowski,[4] où le juge Vancise s'était exprimé comme suit:
The doctrine of abuse of process exists to enable the court to prevent the use of its process for an improper purpose by controlling action prejudicial to the accused. There is no suggestion the Crown was not entitled to proceed a third time; in fact it is conceded that it can.
...
In the absence of evidence that the legal officers of the Crown were guilty of prosecutorial misconduct or proceeded for some ulterior motive, in short that the proceedings were oppressive, the continuation of the trial on the indictment is not an abuse of process. It is not an action which constitutes a violation of the community's sense of fair play and decency. The community's sense of fair play and decency demands an answer, a resolution of the issue of guilt or innocence, as much, if not more, than it demands that there be an end to the number of times that the respondent be tried on the indictment. There are risks inherent in a jury trial, and the failure of a jury to agree is one of those risks.
(Page 568)
Je partage ce dernier point de vue et je ne saurais nécessairement conclure que, sur la base des faits en l'instance, et à la lumière des énoncés précités de la Cour suprême, l'arrêt des procédure ait constitué le seul et unique remède approprié. Je partage plutôt le point de vue précité du juge Vancise dans l'arrêt de Keyowski, d'ailleurs confirmé quant aux faits par la Cour suprême du Canada,[5] à l'effet qu'il faut mettre dans la balance les intérêts de la société.
Je n'aurais aucune réticence à conclure à un arrêt des procédures lorsque les démarches ou procédés illégaux auraient été utilisés par la Couronne, de façon consciente et délibérée, et constitueraient le seul fondement d'une accusation, sans lesquels aucun verdict de culpabilité ne saurait être considéré. Il s'agirait certes alors d'une situation claire et manifeste d'abus sans lequel l'accusé ne se serait pas retrouvé devant le tribunal. Il y aurait certes lieu alors à un arrêt des procédures même s'il y a preuve contre l'accusé, dans la mesure où la seule preuve disponible a été obtenue par des moyens illégaux.
Mais, je ne crois pas que l'on puisse conclure à un abus clair et manifeste justifiant un arrêt des procédures lorsque, outre cette preuve illégalement obtenue, il en existe une autre, tout à fait indépendante, et de nature à justifier un verdict de culpabilité. C'est la conclusion à laquelle le premier juge en était venu à l'instance et c'est la raison pour laquelle, tout en rejetant le témoignage Papadakis, il concluait, dans l'exercice de sa discrétion, qu'il n'y avait pas lieu à un arrêt des procédures.
Telle me semblerait également être l'interprétation à donner à la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dufresne c. La Reine[6] où, saisie de faits relativement similaires à ceux en l'instance, mais dont la preuve n'avait pas été permise de façon complète, le juge Lamer, au nom de la Cour, ordonnait la tenue d'un nouveau procès de façon à ce que toutes les preuves requises au soutien de la demande d'arrêt des procédures et de dommages exemplaires puissent être présentées devant le juge de première instance.
Dans le présent cas, il existait une preuve circonstancielle peut-être susceptible de justifier, sinon le verdict de culpabilité, du moins les actes d'accusations initialement portés contre l'appelant. De plus, il importe de souligner que la Couronne, en l'instance, n'était en aucune façon informée des démarches et gestes qui avaient été posés par les représentants des assureurs et le témoin Papadakis, alors que la Sûreté du Québec, toute discutable qu'ait été sa conduite, paraît néanmoins n'avoir agi que comme service de courrier postal entre les deux. En d'autres mots, les gestes illégaux ou, à tout le moins inacceptables, ne peuvent être imputés à l'intimée. Il s'agirait donc, en l'instance, d'un cas où il y a lieu, non pas de sanctionner, dans le sens négatif du terme, une conduite inacceptable du pouvoir exécutif ou de la Couronne, comme dans les affaires Jewitt, Palmer et Mack, précitées, mais bien plutôt de remédier au déni de justice dont l'appelant pouvait être la victime en vertu du témoignage Papadakis.
Dans cette mesure, je suis donc enclin à être d'accord avec les conclusions auxquelles en est venu le premier juge.
Cependant, et c'est ici qu'il me paraît nécessaire d'intervenir, une analyse du jugement entrepris me porte à conclure qu'un remède limité à l'exclusion du témoignage Papadakis était peut-être inadéquat et inefficace en soi. Le premier juge, en effet, dans son énumération des éléments de la preuve circonstancielle, écrivait ce qui suit:
Finalement la preuve a révélé que quelques jours avant le feu, un rôdeur a tenté de s'introduire dans l'Auberge en montant un escalier extérieur qui conduisait à une porte, qui fermait mal, du troisième étage, mais qu'il a apparemment été dérangé par un gardien et un chien qui appartenait à un nommé "Nick" associé de l'accusé.
Or ces éléments ne peuvent en soi faire partie de ce faisceau d'une preuve circonstancielle qui ne peut laisser place qu'à la seule conclusion de la culpabilité de l'appelant, car, dans mon opinion, il s'agit d'abord et avant tout d'éléments dont l'objet était essentiellement de corroborer le témoignage Papadakis. Sans ce témoignage, la pertinence de ces fait et leur lien avec l'incendie me paraissent très ténus.
Ceci me porte donc à m'interroger à savoir si le premier juge, tout en rejetant le témoignage Papadakis, n'en aurait pas déjà été malheureusement trop imprégné pour pouvoir l'écarter de façon totale et absolue de son esprit lors de son analyse des autres éléments de la preuve circonstancielle.
Pour cette raison, j'en viens donc à la conclusion que la seule exclusion du témoignage Papadakis ne constituait pas un remède suffisant. Je crois qu'il incombait alors au premier juge non seulement de rejeter totalement l'admissibilité de ce témoignage, comme il l'a fait, mais également de mettre immédiatement un terme au procès tel qu'engagé, de se déssaisir du dossier, de façon à ce qu'un nouveau procès puisse être tenu devant un autre juge.
La décision d'exclure le témoignage Papadakis a aujourd'hui force de chose jugée. Je suis d'opinion qu'il y avait lieu d'ajouter à cette exclusion, à titre de remède en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne des droits, une ordonnance de nouveau procès.
Je serais donc d'opinion, pour ces motifs, d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.