Brassard c. R. |
2007 QCCS 730 |
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JM 1747 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
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DATE : |
27 février 2007 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
RICHARD MONGEAU, J.C.S. |
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SUZANNE BRASSARD |
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Appelante
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c.
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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Intimée |
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JUGEMENT |
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[1] L'appelante se pourvoit à l'encontre de la décision de l’honorable Lison Asseraf, j.c.m, qui le 12 juin 2006 la trouve coupable de l'offense suivante:
« CHEF 01 : Le 23 février 2002, près de Maisonneuve ouest et Metcalfe, district de Montréal, Suzanne Brassard (1964/06/22) a conduit un véhicule à moteur, ou un bateau, à savoir : un véhicule automobile de marque Toyota Séquoia, immatriculé FF17009, alors que sa capacité de conduire ce véhicule ou ce bateau était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue aux articles 253 a) et 255(1) du Code criminel. »
[2] L’appelante a été acquittée le même jour du deuxième chef de l’accusation, soit :
« CHEF 02 : Le 23 février 2002, près de Maisonneuve ouest et Metcalfe, district de Montréal, Suzanne Brassard (1964/06/22) a conduit un véhicule à moteur, ou un bateau, alors qu’il [elle] avait consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue aux articles 253 b) et 255(1) du Code criminel. »
[3] L'appelante est condamnée à payer une amende de 800$, sans frais. Elle est également condamnée à une suramende, telle que la loi le prévoit. La juge de première instance accorde un délai de six mois à l'appelante pour acquitter sa condamnation. Elle lève l’interdiction de conduire après trois mois à la condition d’utiliser un éthylomètre.
[4] L'appelante invoque trois moyens d'appel :
1. L’honorable juge de première instance a erré en droit en ne faisant pas bénéficier l’accusée de la présomption d’innocence et en lui imposant un fardeau de persuasion;
2. L’honorable juge de première instance a erré en droit en fractionnant l’ensemble de la preuve et les explications, alors que le tout est intrinsèquement relié;
3. L’honorable juge de première instance a erré en droit en morcelant la crédibilité de l’appelante sur chacun des symptômes constatés, donc en ignorant la doctrine du doute raisonnable.
[5] L’appelante indique à son mémoire que « tous les motifs d’appel seront argumentés ensemble, car on peut constater qu’il n’y a qu’une grande question de droit qui est en cause. »[1].
[6] Par conséquent, l’appelante invoque au soutien de son appel l’arrêt R. c. W.(D.)[2].
[7] Le Tribunal se permet de citer l’appelante qui résume bien dans son mémoire sa position en appel par cette phrase :
« Si elle [la juge de première instance] acceptait les explications, c’est donc parce qu’elle croyait l’appelante, donc elle aurait dû l’acquitter en appliquant la doctrine du doute raisonnable. »
[8] Par sa part, l’intimée soumet que la juge d’instance n’a pas commis d’erreur et résume sa pensée ainsi :
« [la juge d’instance] a considéré tous les éléments de preuve importants, a rejeté la Défense de l’appelante sur le premier chef et a accepté entièrement la preuve de la Poursuite ainsi satisfaisant la règle de l’arrêt R. c. W.(D.) […] »
[9] L’intimée soulève également que l’acquittement sur le deuxième chef n’est pas incompatible avec la condamnation sur le chef d’accusation de facultés affaiblies.
[10] Le Tribunal partage ce dernier aspect soulevé par l’intimée et fait sienne l’argumentation contenue à son mémoire[3].
[11] La preuve en première instance révèle que le 23 février 2002 un véhicule Toyota conduit par l’appelante a légèrement accroché un trottoir sur la rue Dickson.
[12] Lorsqu’il circulait sur la rue Notre-Dame, le véhicule de l’appelante a été vu par un témoin effectuant des louvoiements de gauche à droite à une vitesse approximative de 100 km/h. Le témoin tente de suivre le véhicule de l’appelante.
[13] Plus loin, ce témoin contacte les autorités policières. Il tentait de venir en aide à la conductrice mais la vitesse de cette dernière était trop élevée pour la rejoindre.
[14] Les agents de police interceptent le véhicule de l’appelante au coin des rues Metcalfe et Maisonneuve à Montréal.
[15] L’appelante ne répond pas immédiatement aux indications (gyrophares et sirène) données par les agents de police.
[16] L’un des agents constate que l’appelante a les yeux rouges et dégage une forte odeur d’alcool. L’appelante trébuche en sortant de son véhicule, elle échappe des documents et son téléphone cellulaire tombe dans la rue. Elle vacille de l’avant vers l’arrière.
[17] Les policiers ont également constaté, lors de cet événement, des sautes d’humeur de la part de l’appelante.
[18] Le certificat d’analyse pour les deux tests effectués au poste de police indique un taux d’alcoolémie de 141 mg d’alcool par 100 ml de sang pour le premier et de 130 mg par 100 ml pour le second.
[19] En défense, l’appelante témoigne sur son scénario de consommation (une bière, un verre de porto), sur sa conduite automobile, sur le fait qu’elle a trébuché sur le marchepied de son véhicule et sur son humeur changeante sujet à ses inquiétudes reliées au fait qu’elle devait aller chercher son fils qui l’attendait. Elle fournit des explications sur chacun des symptômes constatés par les policiers.
[20] Après avoir analysé cette preuve, la juge du procès conclut que l'appelante est coupable de l'infraction énoncée au premier chef.
[21] Elle analyse l’ensemble de la preuve. Elle porte une attention particulière aux éléments lui paraissant être les plus significatifs, les plus importants.
[22] La juge souligne qu’il n’y a pas comme telle de version « contradictoire à outrance entre l’existence de symptômes ou l’existence de fait par rapport à la non-existence de ceci. »
[23] Elle relate minutieusement dans son jugement les explications et justifications données par l’appelante.
[24] Elle analyse cette preuve qu’elle prend, dit-elle, « globalement ».
[25] Il y a lieu de référer à des extraits significatifs de la décision de la juge d’instance.
[26] Aux pages 44 à 47 des notes sténographiques, la juge écrit après sa révision des explications et justifications témoignées par l’appelante :
« […] Bref, toute chose prise isolément a une explication logique. Quand je les mets tous ensemble, y incluant la conduite, y incluant l’état d’énervement, ce que j’arrive à conclure, c’est que oui, Madame était énervée, oui elle était inquiète et oui c’est une personne, je l’ai endendu (sic) témoigner, qui a tendance à vite, vite, vite, monter le ton, s’énerver, ou être expressive d’une façon émotive, je dirais. Mais je n’en conclus pas moins que sa consommation d’alcool a fait en sorte que ç’a ajouté à son instabilité, ajouté à sa précarité au volant, ajouté à tout ça et à son manque de jugement, même dans son premier agissement avec les constables.
[…]
Alors, ne pas croire la défenderesse, ce serait un grand mot. Ce n’est pas que je ne crois pas qu’elle pense intimement et qu’elle est convaincue de ce qu’elle avance, c’est que ça ne tient pas dans l’ensemble des événements. Objectivement, c’est trop. Et même si elle a des explications, mis tout ça ensemble, elles sont insuffisantes pour que le Tribunal entretienne un doute raisonnable quant à l’effet de l’alcool sur ses capacités de conduire, sur ses capacités au sens beaucoup plus large.
[…]
Alors, sur le premier chef, je n’ai pas de difficulté, compte tenu de l’ensemble de la preuve, telle que je l’ai entendue et comme je l’évalue à ce moment-ci, de DÉCLARER la défenderesse COUPABLE du premier chef. »
[27] Le jugement est suffisamment clair et motivé pour que l’appelante sache sur quoi elle a été trouvée coupable.
[28] Le Tribunal a pris connaissance de l’ensemble des notes sténographiques déposées dans le dossier de la cour, des mémoires des parties, de la jurisprudence qu’elles soumettent et de leurs représentations lors de l’audition sur l’appel.
[29] Il est utile de rappeler aux parties que le pouvoir d'intervention du Tribunal siégeant en appel est limité.
[30] L'intervention de la Cour supérieure se justifie uniquement:
1) si le jugement attaqué est déraisonnable eu égard à la preuve;
2) si justice n'a pas été rendue ou,
3) si une erreur de droit a été commise, à la condition que celle-ci ait eu un effet déterminant sur le jugement[4].
[31] Il s'avère important de souligner que le rôle d'une cour d'appel n'est pas de reprendre le procès au complet et de substituer sa propre opinion à celle du premier juge.
[32] L'intervention du Tribunal se conforme à des principes énoncés dans une jurisprudence bien établie par les tribunaux supérieurs que le Tribunal fait siens.
[33] En 1989 dans l'arrêt Harper c. La Reine[5], le juge Estey s'exprime ainsi quant au rôle d'un tribunal d'appel :
« Un tribunal d'appel n'a ni le devoir ni le droit d'apprécier à nouveau les preuves produites au procès afin de décider de la culpabilité ou de l'innocence. Il incombe toutefois au tribunal d'appel d'étudier le dossier du procès pour déterminer si la cour a bien tenu compte de l'ensemble de la preuve se rapportant aux questions litigieuses. S'il se dégage du dossier, ainsi que des motifs de jugement, qu'il y a eu omission d'apprécier les éléments de preuve pertinents et, plus particulièrement, qu'on a fait entièrement abstraction de ces éléments, le tribunal chargé de révision doit alors intervenir. »
[34] En 1994, la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Burns[6] précise la portée de cet extrait de l'arrêt Harper. La juge McLachlin écrit :
« Il n'y a pas lieu d'interpréter cet énoncé comme imposant au juge du procès l'obligation positive de démontrer, dans ces motifs, qu'il a apprécié entièrement chaque aspect de la preuve pertinente. Il vise non pas le cas où le juge du procès n'a pas fait allusion à des difficultés posées par la preuve, mais plutôt celui où les motifs du juge du procès démontrent qu'il n'a pas saisi un point important ou qu'il a choisi de ne pas en tenir compte, ce qui amènerait à conclure que le juge des faits n'a pas rendu un verdict raisonnable. » [p. 665]
[35] La juge McLachlin énonce également un principe important : le juge de première instance n'a pas non plus à démontrer qu'il connaît le droit ou à expliquer en détail pourquoi il arrive à une conclusion plutôt qu'à une autre :
« L'omission d'indiquer expressément que tous les facteurs pertinents ont été considérés pour en arriver à un verdict ne constitue pas une raison d'admettre un appel en application de l'al. 686(1)a). Cela est conforme à la règle générale selon laquelle le juge du procès ne commet pas une erreur du seul fait qu'il ne motive pas sa décision sur des questions problématiques: voir R. c. Smith, [1990] 1 R.C.S. 991, confirmant (1989), 95 A.R. 304, et Macdonald c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 665. Le juge n'est pas tenu de démontrer qu'il connaît le droit et qu'il a tenu compte de tous les aspects de la preuve. Il n'est pas tenu non plus d'expliquer pourquoi il n'a pas de doute raisonnable sur la culpabilité de l'accusé. L'omission d'accomplir l'une de ces choses ne permet pas en soi à une cour d'appel d'annuler le verdict.
Cette règle est logique. Obliger les juges du procès qui sont appelés à présider de nombreux procès criminels à traiter, dans leurs motifs, de tous les aspects de chaque affaire ralentirait incommensurablement le système de justice. Les juges du procès sont censés connaître le droit qu'ils appliquent tous les jours. S'ils formulent leurs conclusions avec concision et si ces conclusions s'appuient sur la preuve, il n'y a pas lieu d'infirmer le verdict simplement parce qu'ils n'ont pas analysé des aspects accessoires de l'affaire. » [p. 664]
[36] À l'arrêt Howard[7], le juge Gonthier énonce le principe suivant :
« Si le juge de première instance n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante dans son appréciation des faits, une cour d'appel ne devrait pas en infirmer les conclusions. » (nos soulignements)
[37] L'arrêt Burns[8] autorise également un juge en appel à examiner le dossier dont appel et de le réévaluer afin de déterminer si la preuve peut raisonnablement justifier la conclusion du juge de première instance.
[38] Les arrêts R. c. Howard[9] et R. c. Biniaris[10] sont notamment au même effet.
[39] Le critère régissant l'intervention d'une cour d'appel est clairement énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Biniaris :
« Le critère de l'arrêt Yebes est formulé en fonction d'un verdict prononcé par un jury, mais il s'applique tout autant au jugement d'un juge siégeant sans jury. L'examen en appel du caractère déraisonnable est toutefois différent et un peu plus facile lorsque le jugement contesté est celui d'un juge seul, du moins quand il y a des motifs de jugement assez substantiels. Le cas échéant, le tribunal d'appel qui procède à l'examen est parfois en mesure de déceler une lacune dans l'évaluation de la preuve ou dans l'analyse, qui servira à expliquer la conclusion déraisonnable qui a été tirée, et à justifier l'annulation. […] Ces exemples démontrent que, dans le cas d'un procès devant un juge seul, la cour d'appel peut souvent identifier les faiblesses de l'analyse qui ont amené le juge des faits à tirer une conclusion déraisonnable, et qu'elle devrait le faire. La cour d'appel est donc justifiée d'intervenir et d'annuler un verdict parce qu'il est déraisonnable, lorsqu'il ressort des motifs du juge du procès qu'il n'a pas tenu compte d'un principe de droit applicable ou qu'il a inscrit un verdict incompatible avec les conclusions de fait tirées. Ces faiblesses discernables s'apparentent parfois elles-mêmes à une erreur de droit distincte et permettent donc facilement de conclure que le verdict déraisonnable auxquels elles ont donné lieu soulève également une question de droit. » (nos soulignements)
[40] En l'espèce, le Tribunal a appliqué les principes référés antérieurement.
[41] Après une lecture de la preuve faite en première instance, le Tribunal n’a constaté aucune erreur d’interprétation qu’aurait commise la juge du procès.
[42] Le Tribunal applique pour son analyse à ce sujet l'arrêt Lohrer[11] dans lequel la Cour suprême s'est penchée sur le rôle d'une cour d'appel lorsque sont soulevées par un appelant des erreurs dans l'interprétation de la preuve commise par le premier juge.
[43] Le juge Binnie souscrit dans cet arrêt aux énoncés du juge Doherty dans l'arrêt Morrissey de la Cour d'appel de l'Ontario[12]:
« À mon avis, si un juge commet une erreur quant à l'essence d'un élément de preuve important et que cette erreur joue un rôle capital dans le raisonnement à l'origine de la déclaration de culpabilité, il s'ensuit que la déclaration de culpabilité de l'accusé n'est pas fondée exclusivement sur la preuve et ne constitue pas un verdit « juste ».
[…]
Si un appelant peut démontrer que la déclaration de culpabilité repose sur une interprétation erronée, force est de conclure, selon moi, que l'appelant n'a pas subi un procès équitable et qu'il a été victime d'une erreur judiciaire. Tel est le cas même si la preuve réellement produite au procès est susceptible d'étayer une déclaration de culpabilité […]. »
[44] La norme à appliquer est ainsi énoncée par le juge Binnie:
« L'interprétation erronée de la preuve doit porter sur l'essence plutôt que sur des détails. Elle doit avoir une incidence importante plutôt que secondaire sur le raisonnement du juge du procès. Une fois ces obstacles surmontés, il faut en outre […] que les erreurs ainsi relevées aient joué un rôle capital non seulement dans les motifs du jugement, mais encore "dans le raisonnement à l'origine de la déclaration de culpabilité. " »[13]
[45] Le juge Binnie conclut :
« Selon nous, les affirmations du juge Rothman dans l'arrêt C.(R.) et du juge Doherty dans l'arrêt Morrissey soulignent toutes les deux, à juste titre, le rôle central (ou capital) que l'interprétation erronée de la preuve doit jouer dans le raisonnement du juge du procès, qui est à l'origine de la déclaration de culpabilité, pour que le jugement de première instance puisse être annulé à l'issue d'un appel fondé sur ce moyen. »[14]
[46] L’appelante n’a pas démontré l'existence d'une erreur judiciaire de la nature de la norme énoncée par le juge Binnie dans l'arrêt Lohrer[15].
[47] Puisque l'appelante soulève principalement dans son appel la question du doute raisonnable, le Tribunal d'appel doit également s'assurer que la juge de première instance a bien appliqué cette notion fondamentale de notre droit en présence de versions contradictoires. C'est l'arrêt de la Cour suprême R. c. W. (D.)[16], référée d’ailleurs par l’appelante, qui l'enseigne par ce qu'écrit le juge Corey :
« Le juge du procès pourrait donner des directives aux jurés au sujet de la crédibilité selon le modèle suivant :
Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement;
Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement;
Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé. »
[48] L'arrêt R. c. S.(W.D.)[17] énonce le même principe.
[49] La Cour d'appel du Québec a adopté également cette même démarche juridique dans plusieurs affaires, dont notamment l’arrêt Mathieu c. La Reine[18].
[50] Le juge de première instance qui siège sans jury n'a pas à faire état du test « en autant qu'il ait suivi ce test dans le cadre du cheminement intellectuel qui l'a mené à la conclusion qu'il exprimait » (Roddy Davis c. La Reine[19]).
[51] Il importe toutefois que le jugement sous étude permette de constater d’une façon globale que, implicitement ou explicitement, la démarche d'analyse a été suivie.
[52] Il est établi que la règle d’analyse énoncée, à l’arrêt R. c. S.(W.D.) précité, n’a pas à être suivie d’une façon exacte dans ses termes. Il faut, par contre, que le jugement attaqué démontre que la juge ne s’est pas trompée dans son raisonnement sur le fardeau de preuve. En d’autres mots, que le fardeau de preuve ne s’est pas déplacé vers l’accusée[20].
[53] Pour ce faire, le Tribunal doit analyser le jugement dans un contexte global[21].
[54] L’analyse du jugement démontre suffisamment le cheminement effectué par la première juge.
[55] Le Tribunal réfère le lecteur aux passages cités du premier jugement, au paragraphe 26 du présent jugement.
[56] L’appelante plaide que la première juge a accepté sa version des faits sur sa preuve contraire et l’a ainsi acquittée sur le deuxième chef de l’accusation.
[57] L’appelante demande que sa crédibilité soit jugée d’une façon globale et non sectionnée.
[58] Avec égards, le Tribunal ne peut accepter la prétention de l’appelante que la juge de première instance l’a crue sur son scénario de consommation, elle doit donc la croire sur les explications apportées sur chacun des symptômes révélés par la preuve.
[59] La « logique » dont réfère la juge est une logique théorique qui ne peut tenir lorsque l’ensemble de la preuve est prise en considération.
[60] À titre d’exemple, il peut être logique de trébucher sur le marchepied de son véhicule mais en examinant cet événement avec l’ensemble des autres symptômes, la première juge arrive à une conclusion : l’accusée avait les facultés affaiblies hors de tout doute raisonnable.
[61] À la lecture du jugement, il paraît évident que la première juge a écouté attentivement les explications de l’appelante qui sont en soi logiques, mais qu’elle n’a pas accordé de crédibilité à ce témoignage lorsqu’elle l’a analysé et confronté à l’ensemble de la preuve.
[62] S’il y avait un reproche à faire à la première juge se serait de ne pas avoir plus directement exprimé sa pensée à savoir, que les explications et justifications n’étaient pas suffisamment crédibles pour avoir soulevé un doute raisonnable dans son esprit.
[63] La première juge a en quelque sorte mis des « gants blancs » pour exprimer sa pensée sur le fait que l’accusée ne disait pas la vérité sur les symptômes constatés par les témoins qu’elle a crus.
[64] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, il n’y a aucun doute raisonnable dans l’esprit du Tribunal quant à la culpabilité de l’appelante sur le premier chef.
[65] Sur cet aspect, le Tribunal rejoint la juge d’instance dans sa conclusion.
[66] Il est établi qu’un tribunal d'appel doit faire preuve d'un grand respect envers les conclusions qu’un juge du procès tire quant à la crédibilité des témoins[22].
[67] Le juge des faits jouit d'une grande latitude pour apprécier la preuve et décider les conclusions qu'il faut en tirer. Pour que le Tribunal retienne un motif d'appel qui met en doute une conclusion de la juge de première instance, fondée sur son évaluation de la preuve ou sur la crédibilité d'un témoignage, il faut s'assurer que cette détermination ou cette conclusion ne découle pas d'erreurs dans l'application de principes de droit ou encore, d'erreurs ou d'omissions déterminantes dans l'évaluation et l'analyse de la preuve.
[68] C'est ce qu'énonce le juge Proulx de la Cour d'appel du Québec dans la décision Viens c. P.G. (Qc)[23].
[69] Plusieurs autres décisions sont au même effet. Qu'il suffise de référer aux arrêts Aubé c. La Reine[24], Harper c. La Reine[25], R. c. Burke[26], ainsi qu'aux arrêts D.(R.) c. R.[27] et M. (M.) c. R.[28].
[70] Sur cette question, la Cour suprême à l’arrêt R. c. Gagnon[29] rappelait récemment le principe de déférence en ces termes :
« En ce qui a trait au critère
d’examen d’une conclusion sur la crédibilité tirée en première instance, il est
généralement admis que la cour d’appel doit faire preuve de déférence, sauf
erreur manifeste ou dominante. Elle ne peut intervenir simplement parce qu’elle
diffère d’opinion (Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, par. 32-33; H.L.
c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25, par. 74).
L’approche globale qui s’impose à cet égard a été décrite succinctement dans
l’arrêt R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, par. 4, où notre Cour a dit :
« . . . ce n’est que si elle a tenu compte de toute la preuve soumise au juge
des faits, et décidé qu’une déclaration de culpabilité ne peut pas s’appuyer
raisonnablement sur cette preuve, que la cour peut [. . .] écarter le verdict
du juge du procès ». La même règle vaut pour l’appréciation de la crédibilité
des témoins. Dans Lavoie c. R., [2003] J.Q. no 1474, par. 37, le juge Nuss, de
la Cour d’appel du Québec, a dit que les conclusions du juge du procès sur la
crédibilité des témoins [TRADUCTION] « ne pourront être modifiées que s’il est établi qu’il a commis une
erreur manifeste et dominante » (citant l’arrêt Housen c. Nikolaisen,
[2002] 2 R.C.S. 235
, 2002 CSC 33). »[30]
[71] La juge de première instance n'a pas cru l'appelante et, au surplus, son témoignage n'a pas soulevé de doute raisonnable dans son esprit. S'inspirant des principes jurisprudentiels reconnus, la juge du procès s'est bien dirigée en droit dans son analyse de la crédibilité de l'appelante. Si elle croyait ses explications et justifications, elle l'acquittait; si son témoignage soulevait un doute raisonnable dans son esprit, l'appelante aurait été acquittée également.
[72] Mais la juge d’instance ne retient pas les explications de l’appelante pour sa conduite erratique. Elle l’a dit poliment mais assez clairement pour qu’elle sache pourquoi elle a été condamnée sur le premier chef de l’accusation.
[73] Le Tribunal ne constate aucune erreur dans l'application de principes de droit ou d'erreurs ou d'omissions déterminantes dans l'évaluation et l'analyse de la preuve faite par la première juge.
[74] La preuve des facultés affaiblies, selon l’arrêt Aubé c. La Reine[31], se prouve ordinairement par une preuve circonstancielle :
« comprenant un certain nombre de manifestations physiques distinctes touchant l'apparence de l'individu, sa façon de parler et de marcher, soit des manifestations anormales qui, à défaut d'explication ou de justification, permettent l'inférence certaine d'un affaiblissement de la capacité de conduire par l'alcool ou une drogue. »
[75] À l'arrêt R. c. Laprise[32], le juge Proulx de la Cour d'appel écrit :
« Pour établir que le conducteur avait les facultés affaiblies, la poursuite dispose de moyens de preuve très variés. Tout d'abord, elle peut mettre en preuve, par le témoignage d'un policier ou de toute autre personne, les caractéristiques de la conduite de l'accusé. Cet état peut également se déduire de constatations usuelles, comme l'odeur de l'alcool, la démarche chancelante ou les yeux vitreux. Une telle démonstration peut aussi être faite au moyen du résultat d'un test d'haleine, d'urine ou de sang.
Toutefois, si un tel résultat peut corroborer les observations d'un policier quant à la cause de la diminution des capacités de conduire, il ne permet pas à lui seul de déduire la quantité d'alcool consommée ni ses effets, sauf si un expert établit une corrélation entre le résultat et un affaiblissement possible des facultés. En effet, les tribunaux n'ont pas une connaissance judiciaire de ces faits (Thomas c. R., [1992] R.L. 318, 322-323 (C.A.). »
[76] Il est clair qu’au procès, la juge d’instance n’a pas retenu les explications de l’appelante. La juge utilise les mots « perceptions faussées » par la consommation d’alcool pour rejeter certaines explications qui paraissent peu probables. Elle ne fait pas d’erreur dans son analyse.
[77] Il est possible de croire un témoin sur certains aspects de son témoignage et de rejeter d’autres aspects du même témoignage qui ne sont pas dignes de foi.
[78] Cela paraît être le cas en l’espèce sur des aspects reliés au premier chef et au deuxième chef de l’accusation.
[79] Après avoir examiné la preuve, en particulier les témoignages reproduits aux notes sténographiques du procès, le Tribunal est d'avis que la juge de première instance a tenu compte de l'ensemble de la preuve et pouvait raisonnablement tirer les conclusions auxquelles elle en est arrivée.
[80] Les constatations de la juge du procès que l’on retrouve à son jugement : que l’accusée n’était pas attentive à la conduite de son véhicule, qu’elle aurait pu suivre les instructions des policiers, qu’elle était fixée sur son appareil téléphonique, qu’elle était absorbée par son inquiétude d’aller chercher son fils, qu’elle ne suivait pas les limites de vitesse, qu’elle résistait à l’interpellation verbale des policiers et que ses perceptions pouvaient être faussées par l’alcool, sont toutes appuyées par la preuve. Le Tribunal les partage.
[81] Quant au raisonnement juridique utilisé par la juge de première instance pour conclure que l'accusée a commis l'infraction énoncée au premier chef de l'accusation, il n'y a eu aucune erreur de droit qui autoriserait le Tribunal à intervenir.
[82] De plus, l'appelante n'a pas démontré à la satisfaction du Tribunal que la juge de première instance a fait une erreur qui porte sur l'essence d'un élément de preuve, encore moins, que l'erreur alléguée a une incidence importante sur le raisonnement de la première juge.
[83] Le jugement reposait sur la crédibilité de l’accusée. La juge du procès était dans une position privilégiée pour apprécier cet aspect et déterminer si l’ensemble de la preuve laissait place au doute raisonnable. Pour elle, faut-il le répéter, il n’y avait aucun doute raisonnable sur le premier chef.
[84] En résumé, le Tribunal considère que le jugement attaqué ne contient aucune erreur de droit ayant un effet déterminant ni de raisonnement fondé sur une erreur d'interprétation importante et déterminante ou que justice n'a pas été rendue ni que le jugement de première instance est déraisonnable compte tenu de la preuve.
[85] L'intervention de la Cour supérieure en l'espèce n'est pas justifiée sur aucun des motifs d'appel soulevés par l'appelante
[86] REJETTE l'appel de Suzanne Brassard à l'encontre du jugement de l'honorable Lison Asseraf, j.c.m., rendu le 12 juin 2006.
[87] Le tout sans frais.
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__________________________________ RICHARD MONGEAU, J.C.S. |
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Me Marie-Éve Duplessis Morin, Perras, Thibeault, Gagné et Duplessis, avocats Avocate de l'appelante, Suzanne Brassard |
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Me Johanne Duplessis |
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Bureau des procureurs, Cour municipale de Montréal |
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Avocate de l'intimée, Sa Majesté La Reine |
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Date d’audience : |
20 février 2007 |
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[1] Mémoire de l’appelante, par. 17.
[3] p. 20 à 24.
[4]
Article 286 du Code de procédure pénale, L.R.Q. c. C-25.1; Québec c.
Herman Veilleux Inc., J.E. 92-1696 (C.A.); Québec c.
Scierie Mont-Laurier Inc., J.E. 97-254 (C.A.)
; Mekies c. R.,
J.E. 89-122 (C.A.).
[5] [1989] 1 R.C.S. 2, p. 14.
[7]
[1994] 2 R.C.S. 299, p. 307.
[8] Précité note 6.
[9] Précité note 7.
[11] R. c. Lohrer, [2004] 3 R.C.S. 732.
[12] R. c. Morrissey, (1995) 97 C.C.C. (3d) 193, 221(C.A.Ont). La Cour suprême réfère aussi R. c. C.(R.), (1993) 81 C.C.C. (3d) 417 (C.A.), à la dissidence du juge Rothman à la page 420 : « Je ne vois rien qui indique que le juge du procès n'a pas tenu compte des questions pertinentes ou que son appréciation de la preuve était erronée au point de pouvoir influer sur l'issue de l'affaire. » (les soulignements sont au texte de l'arrêt Lohrer).
[13] id. p.734.
[14] id. p. 735.
[15] Précité note 11.
[16] Précité note 2, p. 758.
[18]
J.E. 94-734 (C.A.). Le pourvoi en Cour suprême a été rejeté, (1995) 4 R.C.S.
46.
[19] [1995] A.Q. no. 507. Voir également R. c. Kutay, [2000] J.Q. no. 1549.
[20] M. (M.) c. R., R.E.J.B. 2003-42045 (C.A.), par. 31. Voir également R. v. C.L.Y., [2006] M.J. No. 398.
[21]
R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759. Voir également Ouchfoun
c. R., J.E. 2004-1996 (C.A.); R. c. Zink, [2003]1 R.C.S.
41, par. 39.
[22]
R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, 131; White c. The
King, [1997] R.C.S. 268, 272; R. c. M. (S.H.), [1989] 2
R.C.S. 446, pp. 465-466; Harvey c. La Reine, (1982) 1R.C.S. 2; R c. Burns, (1994) 1 R.C.S. 656
; R. c. R.(D.), (1996) 2
R.C.S. 291; Polo c. La Reine, J.E. 94(C.A.), confirmée par
la Cour suprême, (1995) 4 R.C.S. 44.
[23] JE-93-1206 (C.A.).
[25] Précité, note 5.
[26] [1996] 1 R.C.S. 474. Lire plus particulièrement les par. 5, 6 et 7 de cet arrêt de la Cour suprême.
[27] REJB-2004-52647.
[28] Précité note 20.
[30] Id. p. 625.
[31] Précité note 24.
[32] J.E.97-65.