COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-002798-047

(500-36-003114-033)

(C.M. 102-082-922)

 

DATE :

  8 octobre 2004

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L'HONORABLE

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 

 

JAMEL  EDDINE OUCHFOUN

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE – Poursuivante

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Je suis saisi d’une requête pour permission d’appeler en vertu de l’article 839 (1) C.cr. d’un jugement de la Cour supérieure rendu le 30 mars 2004 par la juge Carol Cohen, rejetant l’appel d’un jugement de la Cour municipal de Montréal rendu le 27 mai 2003 par le juge Richard Chassé qui a déclaré l’appelant coupable sous trois chefs d’accusation :  avoir entravé un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions et avoir proféré, à deux policiers, des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles.            

[2]           En date du 27 mai 2003, l’appelant a obtenu une absolution inconditionnelle sur les trois chefs.

[3]           Il est bien établi qu’un appel  en vertu de l’article 839  C.cr. porte sur le jugement de la Cour supérieure et non sur celui rendu par le juge de la cour des poursuites sommaires (R. c. Emery (1981), 61 C.C.C. (2d) 84 (C.A. C.-B.)).

[4]           Comme le rappelait notre Cour dans l’arrêt R. c. Huneault (1984), 17 C.C.C. (3d) 270, pour obtenir la permission d’appeler en vertu de l’article 839 C.cr., le requérant doit non seulement soulever une question de droit, mais aussi démontrer qu’elle est : suffisamment importante ou  qu’elle comprend des circonstances particulières qui justifient que la Cour d’appel autorise l’appel ou un motif suffisant qui nécessite l’intervention de la Cour d’appel.

[5]           Selon le requérant, la juge de la Cour supérieure aurait commis six erreurs, dont trois qu’il qualifie d’erreurs mixtes de fait et de droit.  Or, un appel à la Cour d’appel ne peut être interjeté que pour un motif qui comporte  une  pure question de droit (art. 839 (1) C.cr.).  Il y a donc lieu d’écarter ces trois erreurs. 

[6]           Les trois  erreurs de droit alléguées se résument ainsi:  rejet de ses moyens d’appels relatif à son identification pendant le procès, refus de conclure que le premier juge avait commis une erreur de droit en statuant d’abord sur la crédibilité des  témoins de la poursuite avant d’évaluer celle des témoins de la défense et, finalement, s’être limitée à statuer, comme le premier juge, sur le caractère raisonnable du témoignage de l’accusé et non sur le caractère raisonnable du verdict considérant les contradictions dans la preuve de la poursuite.

[7]           Sur la question de l’identification, il  ressort de la preuve  que les deux policiers qui ont procédé à l’arrestation du requérant ont identifié, lors du procès, une autre personne que lui, présente dans la salle d’audience. Le ministère public a alors demandé la permission, qui fût accordée, de produire une copie de la fiche signalétique préparée peu après l’arrestation du requérant, et ce, malgré l’opposition de son avocat.  Par la suite, ce dernier a présenté une motion de non-lieu,  rejetée par le premier juge.  Le procès s’est ensuite continué et le requérant a témoigné et reconnu être la personne arrêtée par les policiers.

[8]           La juge de la Cour supérieure a rejeté les moyens relatifs à  l’identification en ces termes:

[30]  Il faut noter que le juge, d’abord, ne se prononce pas sur la crédibilité des témoins à ce moment-là, parce que l’accusé n’avait pas encore témoigné.  Et il rejette la requête en non-lieu vu la production d’une certaine preuve d’identification dont on a déjà fait mention et malgré une objection à la production de ces preuves-là.

[31]  Tel que plaidé par le procureur de l’appelant, il n’avait pas l’obligation de témoigner à ce stade.  Il aurait pu plaider l’erreur d’identification commise par les deux constables et que la crédibilité de chacun était à mettre en question et donc, qu’il y avait un doute raisonnable sinon quant à l’identification de l’accusé, mais du moins aux événements tels que relatés par les constables.

[32]  Mais le défendeur a choisi de témoigner. Et, lors de son témoignage, il s’est  non seulement identifié comme étant présent cette nuit-là, mais il a donné sa version des événements.  Il n’a même pas nié la plupart des paroles qui lui sont attribuées, soit les insultes et les accusations de racisme.  Il s’est limité à nier les menaces de mort.

[33] Alors tel que très bien plaidé par la Couronne, dès le moment de son témoignage et de son identification, en soi, comme étant présent cette nuit-là, la question de l’identification devient tout à fait académique.  Son identification à compter de ce moment est non seulement faite, elle est parfaite.  Et la seule mention de cet aspect dans la décision finale du juge Chassé est la suivante, à l’effet qu’il n’avait plus à considérer la question (page 10 du jugement) :

Je n’insisterai pas d’avantage sur l’attitude du défendeur qui au procès, avec ceux qui l’accompagnaient, ont bien rigolé lorsque les policiers se sont mépris sur l’identité du défendeur.

[34] Dans les circonstances, le fait de faire témoigner le défendeur, qui s’est identifié comme étant présent lors des événements, rend tout à fait académique la question de l’identification et cet aspect de l’appel est également rejeté.

[9]           Avec égard pour le requérant, je ne vois pas d’erreur de droit dans l’analyse et la conclusion de la  juge de la Cour supérieure.

[10]        Quant à la deuxième erreur de droit alléguée, le requérant reproche à la juge de la Cour supérieure de ne pas être intervenue à l’égard de l’appréciation de la preuve qu’a fait le premier juge. En effet, selon le requérant, le premier juge n’aurait pas respecté les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W. (D.)[1], à savoir la démarche en trois étapes: Crois-je l’accusé? si oui, je dois l’acquitter; Si je ne le crois pas, son témoignage soulève-t-il un doute raisonnable? si oui je dois l’acquitter;  Même si je ne le crois et même si son témoignage ne soulève pas un doute raisonnable dans mon esprit, la preuve dans son ensemble me convainc-t-elle qu’il a commis, hors de tout doute raisonnable, l’infraction reprochée? Selon le requérant, le premier juge, a statué d’abord sur les témoignages rendus par les témoins de la poursuite et s’est ensuite demandé si le témoignage de l’accusé était raisonnable.

[11]        La   juge de la Cour supérieure a rejeté  ces prétentions : 

[36] … Il est clair que le juge Chassé n’a pas cru l’accusé, n’a pas accepté comme raisonnable la version offerte par lui, lorsqu’il a nié avoir prononcé les menaces de mort.

(…)

[40]  Alors, il est clair que c’est la version qui a été retenue par le juge (en référant à la version des policiers).

[42]  Il est clair que le juge de première instance a rejeté la version de l’accusé, qui a nié les paroles exactes.  Cela n’est pas une raison suffisante d’intervenir ici.  Il s’agit d’une appréciation de la preuve par un juge qui l’a entendue et a entendu ces témoignages.  Une cour d’appel, telle que la Cour supérieure en l’espèce, ne doit pas intervenir pour modifier une telle appréciation, dans les présentes circonstances.

[12]        Il est vrai que lu hors contexte, ces passages peuvent laisser entendre que la  juge  a accepté le fait que le premier juge a  comparé les versions, puis a retenu celles qui lui paraissaient les plus crédibles ou encore, que le premier juge a exigé que la version de l’accusé soit raisonnable. Cependant, la lecture des transcriptions du jugement rendu par le premier juge révèle que celui-ci a non seulement référé expressément à l’arrêt R. c. W.(D.), mais qu’il a aussi décrit correctement les trois étapes à suivre.  Le juge de première instance s’est donc bien dirigé en droit et il faut se garder d’interpréter hors contexte quelques éléments de son jugement (R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759).

[13]        En l’instance, après avoir indiqué qu’il trouvait les témoignages des policiers crédibles, le premier juge  n’a pas exclu celui du requérant pour ce motif. Au contraire, la transcription révèle qu’il déclare ne pas croire le requérant et qu’il s’en explique en faisant référence, notamment, à certaines contradictions dans son témoignage, à son attitude et à sa propensité à exagérer et à se faire passer pour une victime.  C’est pour ces motifs qu’il n’accorde pas de crédibilité au témoignage de l’accusé et non parce qu’il croit les policiers.  Puis, il mentionne que le témoignage du requérant ne crée pas un doute raisonnable dans son esprit quant à la profération ou non des menaces. Encore une fois, il s’en explique. Finalement, il retient des témoignages des policiers, que ceux-ci ne sont pas contradictoires, mais complémentaires, et qu’ils le convainquent, hors de tout doute raisonnable, qu’il y a eu profération de menaces.

[14]         Reste le troisième moyen, soit un verdict manifestement déraisonnable.  La juge de la Cour supérieure a conclu qu’il n’y avait aucune contradiction factuelle significative entre les versions des policiers et que, toute la preuve considérée, le verdict d’avoir proféré des menaces n’était pas déraisonnable.  On ne m’a pas indiqué d’éléments de preuve qui pourraient m’amener à considérer que cette conclusion pourrait être erronée.

[15]        En résumé, en ce qui a trait aux erreurs de droit alléguées dans la requête, les conditions exigées par l’article 839 C.cr. ne sont pas satisfaites et, par voie de conséquence, je dois rejeter la requête pour permission d’appeler.

[16]        Avant de terminer, je commenterai brièvement un point que l’avocat du requérant a qualifié dans sa requête de question mixte, mais devant moi, de question de droit, soit que  l’interception a été faite par les policiers pour un motif oblique, à savoir des soupçons concernant les motifs de la présence du requérant dans le quartier  parce qu’il est arabe; en d’autres mots, que rien ne justifiait légalement qu’on lui demande de s’identifier. Selon lui, les policiers ne se trouvaient ainsi plus dans l’exécution de leurs fonctions lors de l’interception du requérant et, par conséquent, son client ne pouvait être déclaré coupable d’entrave à leur travail.  Au soutien de cette thèse, il cite l’arrêt R. c. Guénette, [1999] J. Q. no. 760, où la Cour, à la majorité, a conclu que le contrôle de l’accusé en vertu du Code de la sécurité routière était illégal car les policiers n’avaient aucun motif de soupçonner l’accusé d’une infraction à ce code. 

[17]        En l’instance, cette décision n’est pas applicable.  Les policiers ont intercepté l’accusé pour une infraction qu’il venait de commettre au Code de la sécurité routière, «Jaywalking», et non parce qu’ils le soupçonnait de vouloir commettre un vol au sens du Code criminel.  Ils étaient donc dans l’exécution de leurs pouvoirs en vertu du Code de la sécurité routière. Par la suite, c’est l’accusé qui, par son comportement, a entraîné son arrestation et les accusations :  refus de s’identifier, invectives, résistance, etc.

[18]        Pour ces motifs, la requête pour permission d’appeler est rejetée.

 

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 

Me Denis Barette

Avocat du requérant

 

Me Gaétan Plouffe

Cour Municipale de la Ville de Montréal

Avocat de l’intimée

 

 

Date d’audience :

 8 septembre 2004

 



[1]     [1991] 1 R.C.S. 742