R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680
Hung Duc Vu
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
Répertorié: R. c. La
No du greffe: 25389.
Audience et jugement: 13 mars 1997.
Motifs déposés: 26 juin 1997.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka,
Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'alberta
Droit criminel -- Preuve -- Obligation de divulgation -- Élément de preuve
perdu par inadvertance -- Le ministère public est-il dégagé de l'obligation de
divulgation?
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Principes de justice
fondamentale (art. 7) -- Défaut de divulguer -- Élément de preuve perdu par

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inadvertance -- Y a-t-il eu violation de l'art. 7 de la Charte? -- Charte canadienne des
droits et libertés, art. 7, 24(1).
Des policiers ont a trouvé la plaignante, une fugueuse de 13 ans qu'ils
recherchaient, dans un véhicule dont le conducteur était connu de la police comme étant
un proxénète. Le conducteur a par la suite été accusé d'agression sexuelle. Une des
conversations de la plaignante a été enregistrée au quartier général de la police en vue
d'une demande de traitement en milieu fermé et on n'a pris en note que ses date de
naissance, adresse et numéros de téléphone. La conversation n'a pas été enregistrée en
vue d'une enquête criminelle; en fait, l'enquête sur les activités de l'accusé n'était pas
encore commencée. L'agent a remis son rapport et les déclarations écrites, mais non la
bande sur laquelle était enregistrée la première entrevue, aux détectives de l'escouade
de la moralité pour qu'ils enquêtent sur les plaintes de prostitution et d'agression
sexuelle. Les détectives de l'escouade de la moralité se sont entretenus avec la plaignante
et cette entrevue a été enregistrée sur bande audio puis transcrite. Lorsque s'est tenue
l'enquête préliminaire, l'agent avait oublié l'enregistrement sur bande audio de sa
première conversation avec la plaignante et, à un certain moment entre l'entrevue et le
procès, il a égaré la bande.
Au procès, l'avocat de l'accusé a demandé avec succès l'arrêt des
procédures, invoquant le défaut du ministère public de divulguer l'existence du premier
enregistrement audio. La Cour d'appel a accueilli l'appel formé contre cette décision et
a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Il s'agit en l'espèce de savoir si le ministère
public est dégagé de son obligation de divulgation s'il perd un élément de preuve
pertinent qu'il a eu en sa possession.

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Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Cory, Iacobucci et Major:
L'obligation du ministère public de divulguer tous les éléments de preuve pertinents en
sa possession donne naissance à une obligation de conserver les éléments de preuve
pertinents. Dans les cas où il perd un élément de preuve qui aurait dû être divulgué, le
ministère public a l'obligation d'expliquer ce qui est arrivé à cet élément. Si les
explications convainquent le juge du procès que la preuve n'a été ni détruite ni perdue
par suite d'une négligence inacceptable, l'obligation de divulgation n'a pas été violée.
S'il ne parvient pas à convaincre le juge, le ministère public manque à ses obligations
de divulgation et il y a en conséquence violation de l'art. 7 de la Charte. Un tel défaut
pourrait également indiquer qu'il s'est produit un abus de procédure. L'accusé n'a pas
à établir qu'il y a eu abus de procédure pour démontrer que le ministère public ne s'est
pas acquitté de l'obligation de divulgation que lui impose l'art. 7.
Pour déterminer si l'explication du ministère public est satisfaisante, la cour
doit analyser les circonstances dans lesquelles la preuve a été perdue. La principale
considération est la question de savoir si le ministère public ou la police a pris des
mesures raisonnables pour conserver la preuve. La pertinence qu'on accordait alors à
l'élément de preuve en cause doit être prise en considération; on ne peut attendre de la
police qu'elle conserve tout ce qui lui passe entre les mains au cas où cela deviendrait
un jour pertinent. En outre, même la perte d'un élément de preuve pertinent ne
constituera pas une violation de l'obligation de divulgation si la conduite de la police
était raisonnable. Plus la pertinence d'un élément de preuve est grande, plus le degré de
diligence attendu des policiers pour conserver cette preuve est élevé.

- 4 -
En l'espèce, l'explication du ministère public était satisfaisante.
L'enregistrement n'a pas été fait dans le cours d'une enquête criminelle, et l'agent de
police n'a pas omis de prendre des mesures raisonnables pour conserver la bande.
Il n'y a pas eu d'abus de procédure. Parmi les conduites qui constitueraient
un abus de procédure, mentionnons la destruction, de propos délibéré, d'éléments de
preuve par la police ou par d'autres représentants du ministère public en vue de
contourner l'obligation de divulgation, ainsi que, même en l'absence de preuve de
mobile illégitime, un degré inacceptable de négligence.
Même lorsque le ministère public n'a pas enfreint son obligation de
divulgation, la perte d'un document peut être à ce point préjudiciable qu'elle porte
atteinte au droit de l'accusé à un procès équitable. L'accusé qui prétend que la perte
d'un élément de preuve a eu pour effet de violer l'art. 7 de la Charte doit démontrer que
cette perte cause un préjudice concret à son droit de présenter une défense pleine et
entière.
La réponse à la question de savoir si l'arrêt des procédures est une réparation
convenable dépend de l'effet qu'a, sur l'équité du procès, la conduite causant un abus
de procédure ou quelque autre préjudice. Souvent, il est préférable de trancher cette
question au fur et à mesure du déroulement du procès.
Il n'y a pas eu atteinte au droit de l'appelant de présenter une défense pleine
et entière. L'entrevue enregistrée sur bande audio n'était pas considérée comme une
conversation détaillée et n'était pas faite pour les fins d'une enquête criminelle. Fait plus
important encore, il existait une autre source de renseignements.

- 5 -
Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin: L'obligation
du ministère public de divulguer à la défense tous les éléments de preuve pertinents et
non privilégiés qu'il a en sa possession découle de la common law et a également des
assises constitutionnelles. Il n'en demeure pas moins que l'obligation de divulgation du
ministère public n'est pas un droit séparé et distinct visé à l'art. 7 de la Charte. Bien que
la divulgation complète et générale soit la règle, tout défaut de divulguer ne constituera
pas nécessairement une violation constitutionnelle.
Il ne faut pas confondre l'obligation de conservation du ministère public
avec son obligation de divulgation. Le ministère public s'est acquitté de son obligation
lorsqu'il a communiqué à la défense tous les éléments de preuve pertinents en sa
possession. Dans les cas où on apprend que des éléments de preuve pertinents que la
police ou le ministère public a déjà eu en sa possession ne sont plus disponibles, ce
dernier doit expliquer les circonstances ayant entraîné leur absence, en s'attachant
principalement aux raisons pour lesquelles ces éléments de preuve n'ont pas été remis
à la défense.
Lorsque le ministère public ne divulgue pas sa preuve ou que des éléments
pertinents ne sont pas conservés, l'examen constitutionnel doit reposer sur des
fondements appropriés. À cet égard, cet examen comporte deux volets: 1) L'omission
de divulguer a-t-elle eu un effet sur le droit de l'accusé de présenter une défense pleine
et entière? 2) Le ministère public a-t-il eu une conduite qui a violé les principes
fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence de la société et porté
atteinte à l'intégrité du système judiciaire? Lorsque l'un ou l'autre de ces effets est
établi par prépondérance des probabilités, la violation de l'art. 7 est démontrée. Le juge
du procès peut alors accorder une réparation fondée sur le par. 24(1). Cela devrait être
fait en conformité avec les principes énoncés dans R. c. O'Connor.

- 6 -
Jurisprudence
Citée par le juge Sopinka
Arrêts examinés: R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754, conf. (1994), 88
C.C.C. (3d) 557; R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80; arrêts mentionnés: R. c.
Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451; R. c. Chaplin,
[1995] 1 R.C.S. 727; R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. B. (D.J.) (1993), 16
C.R.R. (2d) 381; R. c. Andrew (S.) (1992), 60 O.A.C. 324; R. c. François (L.) (1993), 65
O.A.C. 306; R. c. Kenny (1991), 92 Nfld. & P.E.I.R. 318; R. c. Adams, [1995] 4 R.C.S.
707; R. c. Calder, [1996] 1 R.C.S. 660.
Citée par le juge L'Heureux-Dubé
Arrêts examinés: R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Carosella,
[1997] 1 R.C.S. 80; R. c. Durette, [1994] 1 R.C.S. 469; R. c. Khela, [1995] 4 R.C.S.
201; R. c. Biscette (1995), 169 A.R. 81, conf. par [1996] 3 R.C.S. 599; arrêts
mentionnés: R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S.
763; R. c. Cook, [1997] 1 R.C.S. 1113; R. c. Douglas, [1993] 1 R.C.S. 893, conf. (1991),
5 O.R. (3d) 29; R. c. T. (L.A.) (1993), 14 O.R. (3d) 378; R. c. Peterson (1996), 106
C.C.C. (3d) 64; R. c. B. (T.) (1994), 23 C.R.R. (2d) 355; R. c. Richer (1993), 82 C.C.C.
(3d) 385, conf. par [1994] 2 R.C.S. 486; R. c. Jack, [1994] 2 R.C.S. 310; R. c. S. (R.J.),
[1995] 1 R.C.S. 451; R. c. Curragh Inc., [1997] 1 R.C.S. 537; R. c. Stinchcombe, [1995]
1 R.C.S. 754; R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S.
206.

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Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 24(1).
Doctrine citée
Hendel, Ursula, and Peter Sankoff. «R. v. Edwards: When Two Wrongs Might Just
Make a Right» (1996), 45 C.R. (4th) 330.
Mitchell, Graeme G. «Abuse of Process and the Crown's Disclosure Obligation»
(1996), 44 C.R. (4th) 130.
Ontario. Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charge Screening,
Disclosure, and Resolution Discussions. G. Arthur Martin, Chairperson. Toronto:
The Committee, 1993.
Stuesser, Lee. «Abuse of Process: The Need to Reconsider» (1994), 29 C.R. (4th) 92.
Young, Alan N. Adversarial Justice and the Charter of Rights: Stunting the Growth of
the «Living Tree» (1997), 39 Crim. L.Q. 406.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1996), 181 A.R.
192, 116 w.a.c. 192, 105 C.C.C. (3d) 417, qui a accueilli l'appel formé contre l'arrêt des
procédures accordé par le juge Wilkins, et qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès.
Pourvoi rejeté.
Balfour Q. H. Der et Robert J. Batting, pour l'appelant.
Elizabeth A. Hughes, pour l'intimée.
//Le juge Sopinka//

- 8 -
Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka,
Cory, Iacobucci et Major rendu par
1
LE JUGE SOPINKA -- Le présent pourvoi soulève la question de savoir si le
ministère public manque à ses obligations en matière de divulgation lorsque,
innocemment, il perd par inadvertance un élément de preuve qui sans cela aurait dû être
divulgué. La Cour d'appel de l'Alberta a écarté l'arrêt des procédures inscrit par le juge
du procès et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Au terme des plaidoiries, notre Cour
a rejeté le pourvoi, avec motifs à suivre. Je conclus que, dans les cas où il perd un
élément de preuve qui aurait dû être divulgué, le ministère public a l'obligation
d'expliquer ce qui est arrivé à cet élément. En autant qu'il donne une explication
satisfaisante, le ministère public s'acquitte de son obligation de divulgation. Toutefois,
il y aura violation de la Charte canadienne des droits et libertés si l'explication ne
convainc pas le juge du procès. Qui plus est, je n'exclus pas la possibilité qu'une
réparation soit accordée dans la situation extraordinaire où, quoiqu'une explication
satisfaisante soit donnée pour expliquer la perte de l'élément de preuve et qu'il n'y ait
pas d'abus de procédure, l'élément en question est à ce point important que sa perte
compromet la tenue d'un procès équitable.
Les faits
2
Vers minuit le 27 mai 1993, les agents Hollinger et Halford étaient à la
recherche d'une fugueuse de 13 ans, la plaignante M.F. Ils ont intercepté un véhicule,
dont le conducteur était connu de la police comme étant un proxénète, et dans lequel se
trouvait M.F. Celle-ci a été conduite au quartier général de la police par d'autres agents.
Elle y a passé les cinq heures qui ont suivi. Durant cette période, elle a parlé aux agents
ainsi qu'à d'autres personnes, dont sa mère. L'agent Hollinger a fait un enregistrement

- 9 -
audio d'une durée de 45 minutes d'une de ses conversations avec elle. Étant donné qu'il
enregistrait la conversation, l'agent Hollinger n'a pris en note que la date de naissance,
l'adresse et les numéros de téléphone de M.F. Il ne voulait pas faire un interrogatoire
détaillé de M.F. Vers 5 h 00, celle-ci a été conduite au Hull Home, un centre de garde
et de traitement en milieu fermé pour adolescents.
3

Le 1er juin 1993, l'agent Hollinger a témoigné devant le tribunal de la famille
dans le cadre de l'audition d'une demande d'ordonnance de traitement en milieu fermé
visant M.F. Il a parlé au tribunal de l'entrevue enregistrée de 45 minutes, disant qu'elle
portait sur la vie en fugue de M.F. et le fait qu'elle avait été poussée à la prostitution.
Il a dit qu'elle était coopérative, mais qu'elle avait menti à quelques reprises aux
policiers au cours de l'entrevue. Il a également fait état de la description qu'elle avait
donnée de certaines des choses qui lui avaient été faites dans différents hôtels, y compris
le Ranger Motel.
4
Après une enquête plus approfondie, l'agent Hollinger a découvert, au Hull
Home, deux autres jeunes filles qui avaient elles aussi fait partie du même réseau de
prostitution. Le 3 juin 1993, l'agent Hollinger s'est rendu au Hull Home et a parlé à
M.F. et à deux autres jeunes filles de 13 ans. Il a remis à chacune des formulaires de
déclaration de témoin, leur demandant de rédiger une déclaration décrivant leur vie de
prostituées. Il a dit au personnel du Hull Home de séparer les jeunes filles pendant
qu'elles rédigeaient leur déclaration. Le lendemain, il est retourné au Hull Home, muni
d'un questionnaire qu'il a remis à chacune des jeunes filles, après avoir reçu leurs
déclarations écrites.
5
L'agent Hollinger a remis son rapport et les déclarations écrites aux
détectives de l'escouade de la moralité pour qu'ils enquêtent sur des plaintes de

- 10 -
prostitution et d'agression sexuelle. Cependant, la bande sur laquelle était enregistrée
la première entrevue avec M.F. n'a pas été remise aux détectives.
6
En août 1993, la police a déposé plusieurs accusations reliées à la
prostitution. Quatre hommes ont été accusés de voies de fait contre les jeunes filles;
l'appelant, Vu, a été accusé d'agression sexuelle contre M.F. seulement. Les détectives
de l'escouade de la moralité se sont entretenus avec M.F. le 8 juillet 1993. Cette
entrevue a été enregistrée sur bande audio puis transcrite.
7
Lorsque s'est tenue l'enquête préliminaire (du 28 février au 2 mars 1994),
l'agent Hollinger avait oublié qu'il avait enregistré sur bande audio sa conversation avec
M.F. et que celle-ci lui avait dit quelque chose au sujet de l'incident au Ranger Motel.
À un certain moment entre l'entrevue et le procès, l'agent Hollinger a égaré la bande.
Il a témoigné qu'il l'avait cherchée, mais sans succès.
8
La raison donnée par l'agent Hollinger pour expliquer le peu de notes qu'il
avait pris était que, le lendemain de l'arrestation de M.F., il avait tiré dans les pneus
d'une auto après une poursuite à grande vitesse, et qu'il faisait l'objet d'une enquête à
cet égard. Il a dit que cela avait été [TRADUCTION] «une période de grand stress».
9
Au procès, l'avocat de l'accusé a demandé l'arrêt des procédures, invoquant
le défaut du ministère public de divulguer l'existence de l'enregistrement audio fait par
l'agent Hollinger de l'entrevue avec la première plaignante. Le juge Wilkins a accordé
la demande d'arrêt des procédures. La Cour d'appel a accueilli l'appel formé contre
cette décision et a ordonné la tenue d'un nouveau procès.

- 11 -
Les décisions des juridictions inférieures
La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta
10
Le juge Wilkins a analysé les intérêts opposés de ceux qui se disent victimes
et de la société, d'une part, et des personnes accusées, d'autre part, savoir, dans le cas
des premiers, l'intérêt à ce que les personnes accusées soient traduites devant les
tribunaux, et, dans le cas des secondes, leur droit de présenter une défense pleine et
entière. Il a rejeté la suggestion du ministère public de ne pas faire témoigner M.F. parce
que cela ne concernerait pas le préjudice causé aux autres accusés.
11
Le juge Wilkins a conclu que les accusés avaient tous établi, suivant la
prépondérance des probabilités, que leur droit respectif de contre-interroger M.F. et les
autres témoins serait compromis parce qu'ils n'avaient pas accès à l'enregistrement
audio de l'entrevue initiale, ni à quelque transcription de celle-ci ou à d'autres notes
substantielles y ayant trait. Selon lui, la présente affaire se distinguait des arrêts cités du
fait qu'en l'espèce il n'y avait aucun élément de preuve ou document au moyen duquel
le ministère public pourrait démontrer qu'il avait fait une divulgation substantielle de ces
renseignements vitaux. Cet élément n'existait plus, et il ne pouvait ordonner au
ministère public de le produire. Par conséquent, l'arrêt des procédures était la seule
mesure permettant de réparer le préjudice causé par la non-divulgation par le ministère
public.
12
Le juge Wilkins a entièrement rejeté l'allégation de l'avocat d'un des
défendeurs que le ministère public avait commis un abus de procédure. Il était
convaincu qu'aucun mobile illégitime ne pouvait être imputé au ministère public ou à
la police relativement à la perte de la bande audio.

- 12 -
La Cour d'appel de l'Alberta (1996), 181 A.R. 192
13
La cour a exprimé l'avis que le juge du procès avait commis une erreur en
concluant que le ministère public avait manqué à son obligation de divulgation. Comme
le ministère public ne pouvait divulguer que ce qui était en sa possession et sous son
contrôle, il ne pouvait divulguer l'enregistrement sur bande audio, puisque cette bande
avait été perdue par inadvertance. Précisant qu'elle n'entendait pas conclure que la
police n'avait pas l'obligation de conserver les éléments de preuve et les déclarations
qu'elle recueille, la cour a néanmoins statué que la perfection n'était pas requise. La
perte par inadvertance d'une déclaration ne devrait pas davantage entraîner un arrêt des
procédures que l'omission d'un policier de prendre des notes complètes ou de consigner
chaque conversation qu'il a avec un témoin. Le ministère public avait divulgué à la
défense tout ce qu'il avait en sa possession relativement aux trois jeunes témoins, y
compris les déclarations écrites détaillées et des déclarations sur bande audio.
14
La cour a conclu que, comme le ministère public n'avait pas manqué à son
obligation de divulgation, elle n'avait pas à se demander si le juge du procès disposait
d'éléments de preuve qui lui aurait permis de conclure, suivant la prépondérance des
probabilités, que l'atteinte au droit des accusés de présenter une défense pleine et entière
était sérieuse au point de justifier l'arrêt des procédures. Le critère applicable avait été
dégagé dans l'arrêt R. c. Stinchcombe (1994), 88 C.C.C. (3d) 557 («Stinchcombe (no
2)»). La cour a fait remarquer que personne n'a demandé à l'agent Hollinger si les
déclarations écrites de la plaignante différaient de façon importante de celles que
contenait la bande audio. La cour a dit être en désaccord avec l'affirmation du juge du
procès que la police était tenue par la loi de consigner de façon complète la plainte
initiale formulée de vive voix par un plaignant. Il est habituellement impossible en

- 13 -
pratique de le faire, car souvent les témoins sont bouleversés ou ont besoin de soins
médicaux. Il suffit que la police recueille une déclaration écrite ou encore une
déclaration orale qui est ensuite consignée par écrit dans un délai raisonnable, à moins
que la preuve n'établisse, suivant la prépondérance des probabilités, que la déclaration
orale diffère de façon importante -- à quelque égard autre qu'un manque de détails -- de
celle faite plus tard par écrit.
Les questions en litige
15
1. Le ministère public est-il dégagé de son obligation de divulgation s'il perd un
élément de preuve pertinent qu'il a eu en sa possession?
2. Le juge du procès a-t-il fait erreur en inscrivant l'arrêt des procédures?
L'analyse
Le respect de l'obligation de divulgation dans les affaires de perte d'éléments de preuve
16
Depuis l'arrêt de notre Cour R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
Stinchcombe (no 1)»), il est bien établi que le ministère public a l'obligation de
divulguer tous les éléments de preuve pertinents en sa possession, qu'ils soient
inculpatoires ou exculpatoires et qu'il compte s'en servir ou non. Dans cette affaire, les
déclarations des témoins posaient un problème particulier. Nous avons conclu que les
notes prises par les policiers doivent être divulguées et que, s'il n'en existe pas, il faut
communiquer un énoncé de ce que «va dire» le témoin, établi à partir des renseignements
dont dispose le ministère public et résumant la déposition: voir la p. 344.

- 14 -
17
Dans R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451, notre Cour a reconnu que l'obligation
de divulgation du ministère public donnait naissance à une obligation de conserver les
éléments de preuve pertinents. En effet, à la p. 472, nous avons souligné que le ministère
public pouvait être tenu de garder des échantillons de sang au-delà du délai de trois mois
prévu par la loi, afin de respecter les exigences en matière de divulgation découlant de
l'arrêt Stinchcombe (no 1).
18
La question des obligations du ministère public en matière de divulgation
lorsque des éléments de preuve sont perdus s'est soulevée au cours du nouveau procès
ordonnée par notre Cour dans Stinchcombe (no 1). La police avait égaré l'enregistrement
audio de l'entrevue d'un témoin, entrevue au cours de laquelle cette personne avait
exprimé des doutes quant à l'exactitude de son témoignage antérieur. L'agent qui avait
fait l'entrevue était décédé des suites d'une tumeur au cerveau. Cependant, le ministère
public avait communiqué une transcription de l'entrevue. En écartant l'arrêt des
procédures inscrit par le juge du procès, la Cour d'appel de l'Alberta a souligné que ce
sont les renseignements que contiennent les déclarations des témoins qui doivent être
divulgués et non l'original de la déclaration: Stinchcombe (no 2), précité. Notre Cour
a été d'accord avec cette conclusion, [1995] 1 R.C.S. 754, au par. 2:
Le ministère public ne peut produire que ce qu'il a en sa possession ou
ce dont il a le contrôle. Il n'existe pas de droit absolu de faire produire les
originaux. Si le ministère public a les originaux des documents qui doivent
être produits, il doit les produire ou permettre qu'ils soient examinés.
Cependant, si les originaux ne sont pas disponibles et si le ministère public
les a déjà eu en sa possession, il doit expliquer leur absence. Si l'explication
est satisfaisante, le ministère public s'est acquitté de son obligation, sauf si
la conduite qui a entraîné l'absence ou la perte des originaux est en
elle-même telle qu'elle pourrait justifier une réparation aux termes de la
Charte canadienne des droits et libertés.

- 15 -
19
Un principe similaire a été établi dans R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727,
au par. 25:
Dans les cas où l'existence de certains renseignements a été établie, le
ministère public est tenu de justifier la non-divulgation en démontrant soit
qu'il n'en a pas le contrôle soit qu'ils sont manifestement sans pertinence
ou privilégiés.
20
Cette obligation de justification découle de l'obligation qu'ont le ministère
public et la police de conserver les fruits de l'enquête. Le droit à la divulgation serait
vide de sens si le ministère public n'était pas tenu de conserver des éléments de preuve
qu'on sait pertinents. Pourtant, malgré tous les efforts que déploie le ministère public
pour conserver la preuve, comme l'être humain n'est pas infaillible, il arrive, à
l'occasion, que des éléments soient perdus. Le principe établi dans l'arrêt Stinchcombe
(no 2), précité, reconnaît ce malheureux état de fait. Si les explications du ministère
public convainquent le juge du procès que la preuve n'a été ni détruite ni perdue par suite
d'une négligence inacceptable, l'obligation de divulgation n'a pas été violée. Toutefois,
si le ministère ne parvient pas à convaincre le juge à cet égard, il manque à ses
obligations en matière de divulgation et il y a en conséquence violation de l'art. 7 de la
Charte. Un tel défaut pourrait également indiquer qu'il s'est produit un abus de
procédure, mais il s'agit-là d'une toute autre question. L'accusé n'a pas à établir qu'il
y a eu abus de procédure pour démontrer que le ministère public ne s'est pas acquitté de
l'obligation de divulgation que lui impose l'art. 7.
21
Pour déterminer si l'explication du ministère public est satisfaisante, la Cour
doit analyser les circonstances dans lesquelles la preuve a été perdue. La principale
considération est la question de savoir si le ministère public ou la police (selon le cas)
a pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour conserver la preuve en vue

- 16 -
de sa divulgation. Un facteur qui doit être pris en considération est la pertinence qu'on
accordait alors à l'élément de preuve en cause. On ne peut attendre de la police qu'elle
conserve tout ce qui lui passe entre les mains au cas où cela deviendrait un jour pertinent.
En outre, même la perte d'un élément de preuve pertinent ne constituera pas une
violation de l'obligation de divulgation si la conduite de la police était raisonnable.
Cependant, plus la pertinence d'un élément de preuve est grande, plus le degré de
diligence attendu des policiers pour conserver cette preuve est élevé.
22
Quelle conduite découlant du défaut de divulguer constituera un abus de
procédure? Par définition, il doit s'agir d'une conduite d'une autorité gouvernementale
qui viole les principes fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la
décence de la société. La destruction de propos délibéré d'éléments de preuve par la
police ou par d'autres représentants du ministère public en vue de contourner l'obligation
de divulgation de celui-ci est un exemple du genre de conduites visées. Toutefois, l'abus
de procédure ne se limite pas aux conduites de représentants du ministère public qui
agissent pour un mobile illégitime. Voir, dans R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, aux
par. 78 à 81, les propos exprimés par le juge L'Heureux-Dubé pour la majorité sur cette
question. Par conséquent, d'autres dérogations graves à l'obligation qu'a le ministère
public de conserver les éléments qui doivent être produits peuvent également constituer
un abus de procédure, même s'il n'est pas établi que des éléments de preuve ont été
détruits de propos délibéré pour faire obstacle à leur divulgation. Dans certains cas, une
conduite démontrant un degré inacceptable de négligence pourrait être suffisante.
23
Dans l'une ou l'autre des circonstances évoquées précédemment, que le
défaut de divulguer du ministère public constitue ou non un abus de procédure ou un
autre manquement à son obligation de divulgation et, partant, une violation de l'art. 7 de
la Charte, il est possible que l'arrêt des procédures soit la réparation convenable s'il

- 17 -
s'agit d'un des rares cas où cette réparation, dont les critères d'application ont tout
récemment été exposés dans O'Connor, précité, peut être accordée. En toute déférence
pour l'opinion exprimée par ma collègue le juge L'Heureux-Dubé selon laquelle le droit
à la divulgation n'est pas un principe de justice fondamentale visé à l'art. 7, cette
question a été tranchée dans Stinchcombe (no 1), précité, et la réponse confirmée dans R.
c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80. Dans Stinchcombe (no 1), le droit de présenter une
défense pleine et entière, dont le droit à la divulgation fait partie intégrante, a été
spécifiquement reconnu comme étant un principe de justice fondamentale visé à l'art. 7
de la Charte. Ce principe a été réaffirmé dans Carosella. Au paragraphe 37 de cet arrêt,
j'ai dit ce qui suit au nom de la majorité:
Le droit à la communication de documents qui satisfont au critère
préliminaire établi dans Stinchcombe est l'un des éléments du droit de
présenter une défense pleine et entière qui est lui un principe de justice
fondamentale visé à l'art. 7 de la Charte. Le fait de manquer à cette
obligation constitue une atteinte aux droits constitutionnels de l'accusé, sans
qu'il soit nécessaire de prouver l'existence d'un préjudice additionnel. Pour
paraphraser les propos du juge en chef Lamer dans l'arrêt Tran [[1994] 2
R.C.S. 951], la violation de ce principe de justice fondamentale est
préjudiciable en soi. L'obligation de prouver un préjudice additionnel ou
concret concerne la réparation qui doit être déterminée en application du
par. 24(1) de la Charte.
24
L'obligation du ministère public en matière de divulgation de la preuve ne
couvre évidemment pas tous les aspects du droit de présenter une défense pleine et
entière garanti par l'art. 7 de la Charte. En effet, même lorsque le ministère public s'est
acquitté de son obligation en divulguant tous les renseignements pertinents en sa
possession et en expliquant les circonstances de la perte de tout élément de preuve,
l'accusé jouit toujours du droit que lui garantit l'art. 7 de présenter une défense pleine
et entière. Ainsi, il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que la perte
d'un document soit à ce point préjudiciable au droit de présenter une défense pleine et

- 18 -
entière qu'elle porte atteinte au droit de l'accusé à un procès équitable. Dans de telles
circonstances, il est possible que l'arrêt des procédures soit la réparation convenable,
pourvu que les critères dont j'ai fait état plus tôt soient respectés.
25
Il n'est pas nécessaire, pour trancher le présent cas, d'élaborer un critère
devant être utilisé dans les affaires de ce genre. Qu'il suffise de dire que, dans les cas
où le ministère public s'est acquitté de ses obligations en matière de divulgation, l'accusé
qui prétend que la perte d'un élément de preuve a eu pour effet de violer l'art. 7 doit
démontrer que cette perte cause un préjudice concret à son droit de présenter une défense
pleine et entière. Une telle exigence ressort clairement des affaires d'éléments de preuve
perdus examinées par ma collègue le juge L'Heureux-Dubé dans ses motifs dans
Carosella, précité; voir les par. 76 à 80.
26
L'appelant a cherché à établir un parallèle entre le présent cas et l'affaire
Carosella, arrêt rendu tout juste avant le début de l'audition du présent pourvoi.
Cependant, il existe une distinction très nette entre les deux affaires. Dans Carosella,
les documents détruits étaient pertinents et devaient être divulgués en vertu du critère
établi dans O'Connor, précité. La conduite du centre d'aide aux victimes d'agression
sexuelle avait fait perdre à l'accusé le droit que lui garantit la Charte d'obtenir la
production de ces documents. Cette situation constituait une atteinte grave aux droits
garantis à l'accusé par la Constitution et, dans les circonstances particulières de cette
affaire, l'arrêt des procédures était la seule réparation convenable. Par contre, dans les
cas où un élément de preuve est perdu par inadvertance, les mêmes inquiétudes ne se
soulèvent pas en ce qui concerne la création de propos délibéré d'obstacles à l'exercice
par les tribunaux de leurs pouvoirs en matière d'admission de la preuve. Comme en
témoigne cet extrait du jugement de la majorité dans cette affaire (au par. 56), nous

- 19 -
avons expressément distingué ce cas des affaires d'éléments de preuve perdus en
général:
Le système de justice fonctionne le mieux et ses décisions inspirent
confiance au public lorsque ses mécanismes permettent de rendre
disponibles tous les éléments de preuve pertinents qui ne sont pas par
ailleurs exclus en raison d'une politique d'intérêt public prépondérante. La
confiance dans le système serait minée si l'administration de la justice
excusait les comportements visant à contrecarrer les procédures des
tribunaux. L'organisme a pris la décision d'entraver le cours de la justice
en détruisant systématiquement des éléments de preuve dont la production
pourrait être requise en raison des pratiques des tribunaux. Ce n'est pas une
décision qui relève de l'organisme. Dans notre système, qui est régi par la
primauté du droit, c'est aux tribunaux qu'il appartient de décider quels sont
les éléments de preuve qui doivent être produits ou admis. C'est cet aspect
particulier du présent pourvoi qui distingue le présent cas des affaires
d'éléments de preuve perdus en général. [Je souligne.]
Le moment de la décision sur la demande d'arrêt des procédures
27
La réponse à la question de savoir si l'arrêt des procédures est une réparation
convenable dépend de l'effet qu'a, sur l'équité du procès, la conduite causant un abus
de procédure ou quelque autre préjudice. Souvent, il est préférable de trancher cette
question au fur et à mesure du déroulement du procès. En conséquence, le juge du
procès a le pouvoir discrétionnaire de statuer sur la demande d'arrêt des procédures soit
sur-le-champ, soit après avoir entendu une partie ou la totalité de la preuve. À moins
qu'il ne soit évident qu'aucune autre mesure ne pourra réparer le préjudice causé par la
conduite donnant lieu à l'abus, il est généralement préférable de surseoir à statuer sur la
demande. Ainsi, le juge sera en mesure d'évaluer l'ampleur du préjudice et de
déterminer si les mesures prises pour réduire celui-ci au minimum se sont avérées
fructueuses. Il s'agit de la procédure adoptée par la Cour d'appel de l'Ontario dans les
affaires d'éléments de preuve perdus. Dans R. c. B. (D.J.) (1993), 16 C.R.R. (2d) 381,
la cour a dit ceci, à la p. 382:

- 20 -
[TRADUCTION] Il était impossible d'évaluer l'ampleur du préjudice dans les
circonstances de l'espèce sans avoir entendu toute la preuve pertinente,
preuve dont la nature permettait de démontrer si le préjudice était réel ou
minimal.
De même, dans R. c. Andrew (S.) (1992), 60 O.A.C. 324, la cour a conclu, à la p. 325,
que, sauf si la violation de la Charte [TRADUCTION] «est flagrante et manifeste, il est
préférable que le procès ait lieu et que la question de la violation soit examinée au fur
et à mesure de la présentation de la preuve». Voir également: R. c. François (L.) (1993),
65 O.A.C. 306; R. c. Kenny (1991), 92 Nfld. & P.E.I.R. 318 (C.S.T.-N. 1re inst.).
28
J'ajouterais que, même si le juge du procès rejetait la requête dès le début
du procès, une autre requête au même effet pourrait être présentée advenant un
changement important de circonstances. Voir R. c. Adams, [1995] 4 R.C.S. 707, et R.
c. Calder, [1996] 1 R.C.S. 660. Il en serait ainsi dans le cas où, après le rejet de sa
demande, l'accusé serait en mesure d'établir un changement appréciable de l'ampleur
du préjudice.
L'application à la présente affaire
29
Il faut donc se demander si l'explication du ministère public était
satisfaisante. À mon avis, elle l'était. Même si le dossier est mince, rien n'indique que
l'agent Hollinger a fait preuve de négligence en ce qui concerne la conservation de
l'enregistrement sur bande audio de l'entrevue qu'il a eue avec M.F. La conversation
n'a pas été enregistrée pour les fins d'une enquête criminelle, mais dans le cadre de la
demande d'ordonnance de traitement en milieu fermé. Il ne considérait pas qu'il
s'agissait d'une conversation détaillée. L'agent Hollinger a fait l'enregistrement avant
le début de l'enquête sur les activités de l'accusé, et il ne l'a pas remis à l'agent qui

- 21 -
enquêtait sur les accusations en question. Il n'a pas non plus participé à cette enquête.
Il ressort du dossier que l'agent Hollinger a écouté la bande en préparant le témoignage
qu'il rendrait à l'audition de la demande d'ordonnance de traitement en milieu fermé.
Il s'ensuit qu'il a pris soin de la conserver, du moins jusqu'à la tenue de l'audience. On
ignore toujours de quelle manière la bande a disparu par la suite. L'agent Hollinger a
expliqué qu'il ne savait pas ce qui était arrivé à la bande, mais qu'il l'avait cherchée sans
succès. Il a en outre témoigné avoir vécu une situation passablement stressante et
traumatisante peu de temps après avoir fait l'enregistrement, soit le fait d'avoir fait feu
en direction d'une automobile et l'enquête qui en a découlé. Ces facteurs m'incitent à
conclure que l'agent Hollinger n'a pas omis de prendre des mesures raisonnables dans
les circonstances pour conserver la bande.
30
Il faut ensuite se demander si l'explication révèle une conduite constituant
un abus de procédure. La réponse est non. Le juge du procès a complètement rejeté
l'argument de la défense voulant que la conduite du ministère public ait constitué un
abus de procédure, et il n'a pas été convaincu qu'un mobile illégitime pouvait être
imputé au ministère public ou à la police. Bien que le juge du procès n'ait pas
expressément abordé la question de la négligence, je suis convaincu que les
circonstances dans lesquelles la bande a été perdue ne constituaient pas un abus de
procédure.
31
L'appelant a soutenu que la perte de la bande a porté atteinte à son droit de
présenter une défense pleine et entière, pour le motif qu'elle aurait été utile pour
contre-interroger M.F. Au soutien de sa prétention, l'appelant s'est référé au témoignage
de l'agent Hollinger qui a dit, devant le tribunal de la famille, que M.F. avait
[TRADUCTION] «menti à quelques reprises» au cours de l'entrevue avec les policiers. De
plus, l'appelant a prétendu subir un préjudice en raison d'incohérences entre le

- 22 -
témoignage de M.F. à l'enquête préliminaire et celui donné par d'autres témoins, et du
fait que la déclaration perdue de M.F. avait été faite avant sa déclaration écrite, laquelle
a été rédigée après qu'elle a eu l'occasion de consulter d'autres témoins.
32
Je conclus que l'appelant n'a pas établi l'existence d'une atteinte à son droit
de présenter une défense pleine et entière. Un certain nombre de facteurs m'amène à
cette conclusion. L'agent Hollinger ne considérait pas que l'entrevue enregistrée sur
bande audio était une conversation détaillée. De plus, il enquêtait sur une adolescente
en fugue et non sur un réseau de prostitution. M.F. a fait quatre autres déclarations à la
police en plus de témoigner à l'enquête préliminaire. Fait plus important encore, il existe
une autre source de renseignements: l'agent Hollinger a déjà témoigné que M.F. avait
«menti à quelques reprises». Ce fait est en soi extrêmement utile à la défense pour
attaquer la crédibilité du témoignage de M.F. L'agent Hollinger a été contre-interrogé
à l'occasion d'un voir-dire au procès. On ne lui a cependant pas demandé de précisions
sur les mensonges de M.F., ni s'il y avait des incohérences entre les propos de M.F.
enregistrés sur la bande et les déclarations obtenues par la suite. Tant que cette preuve
n'aura pas été entendue, il est à tout le moins prématuré de prétendre qu'il y a atteinte
grave au droit de l'appelant de présenter une défense pleine et entière. Par surcroît,
même en adoptant une attitude optimiste quant à ce que la bande aurait révélé, j'ai de la
difficulté à imaginer comment un contre-interrogatoire, même fructueux, pourrait miner
davantage la crédibilité de M.F. que la déclaration de l'agent Hollinger selon laquelle
elle a menti à quelques reprises.
33
Enfin, je ne puis accepter que la bande serait utile pour établir que les
plaignantes se sont consultées avant de faire leurs déclarations plus récentes, ou encore
qu'elle expliquerait ou ferait ressortir les incohérences entre leurs déclarations. Le fait
qu'il soit possible que les plaignantes se soient consultées et qu'il y ait des incohérences

- 23 -
entre les déclarations est déjà au dossier et peut être invoqué par l'appelant, même sans
la bande. Celle-ci aurait pu ou non révéler des incohérences tendant à établir que les
plaignantes se sont consultées ou à faire ressortir les incohérences déjà connues. Bien
qu'un tel degré de pertinence permette de satisfaire au critère en matière de divulgation
énoncé dans Stinchcombe (no 1), il est loin d'établir l'existence d'une atteinte grave au
droit de présenter une défense pleine et entière. Il est certes prématuré de tirer une telle
conclusion à ce stade des procédures.
34
Conformément au jugement rendu à l'audience, au terme des plaidoiries, le
présent pourvoi est rejeté.
//Le juge L'Heureux-Dubé//
Version française des motifs des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier
et McLachlin rendus par
35
LE JUGE L'HEUREUX-DUBÉ -- Le présent pourvoi a trait à la procédure à
suivre dans les affaires où l'État a perdu ou détruit des documents pertinents en sa
possession. Il soulève donc des questions fondamentales concernant la Charte. J'ai lu
les motifs du juge Sopinka et je suis d'accord avec sa conclusion relativement au
dispositif du présent pourvoi. Je suis, cependant, incapable de souscrire à la façon dont
il caractérise l'obligation de divulgation du ministère public, soit un droit distinct de
l'accusé selon l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour cette raison,
je tiens à faire les commentaires suivants.
36
En un mot, ma position est que l'obligation de divulgation est exactement
ce que ces mots expriment: une obligation qui incombe au ministère public. Elle n'est

- 24 -
pas et, à mon avis, n'a jamais été un droit séparé et distinct constituant, de façon
autonome, un principe de justice fondamentale. Au contraire, l'obligation de divulgation
est nécessaire parce que, généralement, «la non-divulgation [. . .] empêche l'accusé de
présenter une défense pleine et entière». R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
Stinchcombe (no 1)»), le juge Sopinka, à la p. 336. Ériger le processus même de
divulgation en un droit constitutionnel distinct constituerait, à mon avis, une dérogation
importante à la jurisprudence en la matière, en plus de compliquer inutilement ce
domaine de droit.
37
Même si la présente affaire porte principalement sur la perte d'éléments de
preuve que le ministère public a déjà eus en sa possession, je suis d'avis que pour bien
analyser cette question il faut examiner le lien qui existe entre l'obligation de divulgation
et l'art. 7 de la Charte.
38
Dès le départ, cependant, je souligne que la divulgation, en tant que
processus, est un aspect nécessaire et important du droit canadien. La décision de notre
Cour dans Stinchcombe (no 1) a constitué une évolution souhaitable du droit et a favorisé,
dans l'ensemble, un système plus équitable envers les accusés. Elle a également insufflé
dans le droit un esprit d'ouverture qui, selon moi, continue de contribuer grandement à
la recherche de la vérité dans les procès criminels.
39
Je n'ai jamais, toutefois, considéré que Stinchcombe (no 1) avait entraîné un
changement radical de direction de la common law en la matière, et ce malgré un certain
nombre de jugements et d'articles de doctrine à l'effet contraire. Je souscris plutôt à
l'opinion du professeur Alan N. Young qui, dans Adversarial Justice and the Charter
of Rights: Stunting the Growth of the «Living Tree» (1997), 39 Crim. L.Q. 406, à la p.
419, affirme que [TRADUCTION] «Stinchcombe n'a pas créé un droit nouveau en matière

- 25 -
de divulgation, puisque la common law a toujours considéré que la divulgation complète
faisait partie intégrante du processus». Voir également R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S.
763.
40
À mon avis, ce que Stinchcombe (no 1) reconnaît véritablement est le fait que
la divulgation est essentielle pour permettre à un accusé d'exercer de façon appropriée
son droit de présenter une défense pleine et entière, droit qui est lui-même un principe
de justice fondamentale reconnu à l'art. 7. De plus, la divulgation contribue à garantir
que l'accusé aura un procès équitable, en éliminant la possibilité que le ministère public
ne le prenne par surprise: voir, par exemple, R. c. Cook, [1997] 1 R.C.S. 1113. La
divulgation de la preuve comporte d'autres avantages d'ordre pratique, particulièrement
le fait qu'elle favorise le règlement rapide des accusations criminelles: Stinchcombe (no
1), à la p. 334. Voir également le document intitulé Report of the Attorney General's
Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions
(1993), sous la présidence de G. Arthur Martin. Pourtant, sur le plan constitutionnel, il
est essentiel de rappeler que la divulgation n'est rien d'autre qu'un processus, par
ailleurs important, qui sert les droits de l'accusé énoncés plus haut.
41
Je reconnais aisément, toutefois, que ces deux concepts ont souvent été
confondus. À maintes reprises, les tribunaux ont parlé du «droit à la divulgation», au
lieu de se demander si l'omission de divulguer avait porté atteinte au «droit de présenter
une défense pleine et entière». À mon avis, bien que la divulgation soit une obligation
qui incombe au ministère public, il ne s'ensuit pas que chaque omission de divulguer
équivaudra à une violation de la Constitution. Comme je l'ai dit dans R. c. O'Connor,
[1995] 4 R.C.S. 411, au par. 74:

- 26 -
. . . je suis tout à fait d'accord avec la Cour d'appel que la Charte ne
comporte aucun «droit» autonome à la divulgation (aux pp. 148 et 149
C.C.C.):
[TRADUCTION] . . . le droit de l'accusé à ce que le ministère public lui
divulgue tous les détails de la preuve vient s'adjoindre à son droit de
présenter une défense pleine et entière. Ce n'est pas en soi un droit
protégé sur le plan constitutionnel. Cela signifie que, bien que le
ministère public ait l'obligation de divulguer sa preuve et que l'accusé
ait droit à tout ce que le ministère public est tenu de divulguer, une
simple atteinte au droit de l'accusé à une telle divulgation ne constitue
pas en soi une violation de la Charte qui donne droit à une réparation en
vertu du par. 24(1). Cela résulte du fait que la non-divulgation de
renseignements qui auraient dû être divulgués en raison de leur
pertinence, en ce sens qu'ils pouvaient raisonnablement aider l'accusé
à présenter une défense pleine et entière, n'équivaudra pas à une
violation du droit que l'art. 7 garantit à l'accusé de n'être privé de sa
liberté qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale à
moins que l'accusé n'établisse que la non-divulgation a probablement
nui à la possibilité pour lui de présenter une défense pleine et entière ou
a eu un effet défavorable sur cette possibilité.
C'est la distinction entre la «possibilité raisonnable» d'atteinte au
droit de présenter une défense pleine et entière et l'atteinte «probable»
à ce droit qui fait la différence entre une simple atteinte au droit à la
divulgation des renseignements pertinents d'une part et à la
non-divulgation de documents prévue par la Constitution d'autre
part. [Italiques dans l'original; je souligne.]
Lorsque l'accusé tente de prouver que la non-divulgation par le ministère
public viole l'art. 7 de la Charte, il doit prouver que la non-divulgation en
cause a, selon la balance des probabilités, nui à la possibilité pour l'accusé
de présenter une défense pleine et entière ou a eu un effet défavorable sur
cette possibilité. Il va sans dire qu'une telle détermination exige une
enquête suffisante sur le caractère substantiel des renseignements non
divulgués. Lorsque les renseignements sont considérés non substantiels
quant à la possibilité pour l'accusé de présenter une défense pleine et
entière, il ne saurait y avoir violation de la Charte à cet égard. Je ferai
observer, de plus, que les déductions ou conclusions relatives à l'à-propos
de la conduite ou de l'intention du ministère public ne sont pas
nécessairement pertinentes lorsqu'il s'agit de savoir s'il y a eu violation ou
non du droit de l'accusé à un procès équitable. L'accent doit être mis
principalement sur l'effet que les actions contestées auront sur l'équité du
procès de l'accusé. [Souligné dans l'original.]
42
Contrairement à ce que mon collègue suggère, cette position n'a pas été
arrêtée pour la première fois dans O'Connor. Bien que mon collègue n'ait pas abordé
cette question dans cette affaire, il affirme ici que le droit à la divulgation est en soi un

- 27 -
droit prévu à l'art. 7 de la Charte. Le juge Sopinka soutient également que le droit de
l'accusé à la divulgation de la preuve du ministère public a déjà été reconnu par notre
Cour, dans les arrêts Stinchcombe (no 1) et R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80, comme
un principe de justice fondamentale distinct. Je ne suis tout simplement pas d'accord
avec l'interprétation que fait le juge Sopinka de l'arrêt Stinchcombe (no 1). Pour ce qui
est de Carosella, dans cette affaire, j'étais d'avis que ce qui était en cause c'était la
destruction de documents par un tiers; pour cette raison, il était inutile que j'examine
même le lien entre la divulgation et le droit de présenter une défense pleine et entière.
À mon avis, il ressort d'un examen attentif de la jurisprudence que ma position dans
O'Connor est compatible avec les principes reconnus en matière de divulgation et que
c'est mon collègue qui s'écarte radicalement des normes établies par notre Cour dans
Stinchcombe (no 1).
43
Dans Stinchcombe (no 1), le juge Sopinka, s'exprimant pour la Cour à
l'unanimité, a élaboré un mécanisme de divulgation réorganisé. La méthode particulière
choisie pour analyser cette obligation du ministère public est fondée sur un certain
nombre de justifications d'ordre juridique et sur différentes considérations de politique
judiciaire. L'influence de la Charte a également été considérée importante, comme en
témoigne le passage suivant, à la p. 336:
Cet examen des arguments militant pour ou contre la communication de
la preuve par le ministère public révèle l'absence de toute raison pratique
valable de retenir le point de vue des opposants à une obligation générale de
divulguer. Outre les avantages d'ordre pratique déjà évoqués, il y a surtout
la crainte prépondérante que la non-divulgation n'empêche l'accusé de
présenter une défense pleine et entière. Ce droit reconnu par la common law
a acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion parmi les principes
de justice fondamentale visés à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits
et libertés. (Voir Dersch c. Canada (Procureur général), [1990] 2 R.C.S.
1505, à la p. 1514.) Le droit de présenter une défense pleine et entière
constitue un des piliers de la justice criminelle, sur lequel nous comptons
grandement pour assurer que les innocents ne soient pas déclarés coupables.
[Je souligne.]

- 28 -
44
Il convient de signaler l'absence de toute mention d'un «droit à la
divulgation». Ce passage insiste plutôt sur le fait que c'est le droit de présenter une
défense pleine et entière qui est l'objet principal de l'art. 7. En outre, j'estime que plus
loin dans le jugement le juge Sopinka a expressément reconnu l'existence d'une
différence majeure entre l'obligation de divulgation du ministère public et l'effet du
défaut de s'acquitter de cette obligation. De fait, il a déclaré ceci, dans Stinchcombe (no
1), à la p. 348:
Quelles sont les conséquences juridiques de l'omission de divulguer?
À mon avis, quand un tribunal d'appel est appelé à examiner une telle
omission de divulguer, il doit se demander si l'omission a porté atteinte au
droit de présenter une défense pleine et entière. Or, la réponse tient à la
nature des renseignements non divulgués et à la question de savoir s'ils
auraient pu influer sur l'issue du litige. [Je souligne.]
45
Cette position a également été adoptée par la Cour d'appel de l'Ontario dans
R. c. Douglas (1991), 5 O.R. (3d) 29, arrêt rendu pratiquement en même temps que
Stinchcombe (no 1). Je note qu'un pourvoi contre cette décision a été rejeté par notre
Cour ([1993] 1 R.C.S. 893), dans un arrêt unanime où le Juge en chef a rédigé des motifs
succincts qui, sur le plan des principes, ne contredisent pas la décision de la Cour
d'appel. Dans Douglas, les faits révélaient que, le jour même du début du procès, la
preuve n'avait toujours pas été divulguée complètement à la défense. Au lieu de faire
enquête sur le caractère substantiel de la preuve, le juge du procès a immédiatement
ordonné l'arrêt des procédures. La Cour d'appel a infirmé cette décision et a, à cette
occasion, fait les commentaires suivants, à la p. 30, à propos du lien entre la divulgation
et la Charte:
[TRADUCTION] L'accusé a, par l'effet conjugué de l'art. 7 et de l'al. 11d)
de la Charte, le droit constitutionnel d'obtenir un procès équitable et de
présenter une défense pleine et entière. Cependant, aucun droit reconnu par
la common law ni aucune disposition législative ne confèrent expressément

- 29 -
à l'accusé le droit à la divulgation de la preuve du ministère public. La
divulgation en temps opportun n'est donc pas un droit distinct sur le plan
constitutionnel. Le défaut de divulguer la preuve en temps opportun ne
constituera pas, dans tous les cas, une violation de la Charte.
Il est maintenant établi que, conformément aux principes de justice
fondamentale qui sous-tendent l'art. 7 de la Charte, l'accusé a le droit
d'obtenir la communication de tous les éléments de preuve dont il a besoin
pour présenter une défense pleine et entière. Voir R. c. Wood (1989), 51
C.C.C. (3d) 201, 33 O.A.C. 260 (C.A.).
Il ne fait aucun doute que, dans certaines circonstances, la preuve peut
établir que la non-divulgation ou l'absence de divulgation en temps
opportun donne lieu à une violation du droit de l'accusé à un procès
équitable du fait que cette situation compromet son droit de présenter une
défense pleine et entière. À notre avis, le juge du procès a commis une
erreur lorsqu'il a conclu, en s'appuyant sur la mince preuve dont il disposait,
que les droits garantis à l'intimé par l'art. 7 avaient été violés pour le motif
que, de l'aveu même du ministère public, la divulgation de la preuve avait
été faite tardivement. En l'espèce, le droit protégé par l'art. 7 est le droit de
l'intimé de présenter une défense pleine et entière. Il semble que le juge du
procès ait présumé que la divulgation tardive de la preuve du ministère
public a porté atteinte à ce droit. Or, cette présomption n'était pas justifiée
par la preuve. [Je souligne.]
Voir également: R. c. T. (L.A.) (1993), 14 O.R. (3d) 378 (C.A.), à la p. 382; R. c.
Peterson (1996), 106 C.C.C. (3d) 64 (C.A. Ont.); R. c. B. (T.) (1994), 23 C.R.R. (2d) 355
(C.A.C.-B.); R. c. Richer (1993), 82 C.C.C (3d) 385 (C.A. Alb.), conf. par [1994] 2
R.C.S. 486, sans référence à ce point.
46
Notre Cour a tenu un raisonnement analogue dans R. c. Durette, [1994] 1
R.C.S. 469. Dans cet arrêt, la question était de savoir si le défaut de communiquer des
affidavits étayant une demande d'autorisation d'écoute électronique violait les principes
établis dans Stinchcombe (no 1). Au nom des juges de la majorité (4 contre 3), le juge
Sopinka a conclu que, dans cette affaire, le droit de l'accusé de présenter une défense
pleine et entière prévu à l'art. 7 avait été violé. Néanmoins, dans son analyse, il a
clairement dit, aux pp. 495 et 498, que ce droit n'entrait pas automatiquement en jeu en
cas de divulgation incomplète:

- 30 -
Le droit de présenter une défense pleine et entière garanti par la Charte
exige, de façon générale, que la totalité des renseignements pertinents en la
possession de l'État soit divulguée à l'accusé. Pour justifier toute
non-divulgation, le ministère public doit invoquer l'application d'une
exception à cette règle générale: Stinchcombe, précité, aux pp. 340 et 341,
et R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451, aux pp. 466 et 467.
. . .
Pour déterminer si la non-divulgation de renseignements à la défense a
porté atteinte au droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière,
le tribunal doit examiner la nature des renseignements non divulgués et se
demander s'ils auraient pu influer sur l'issue du litige: Stinchcombe,
précité, à la p. 348. [Souligné dans l'original.]
Voir également à cet égard: R. c. Jack, [1994] 2 R.C.S. 310; R. c. S. (R.J.), [1995] 1
R.C.S. 451, à la p. 508, le juge Iacobucci; O'Connor, précité, aux par. 221 à 240, le juge
Major.
47
Peu après, dans R. c. Khela, [1995] 4 R.C.S. 201, notre Cour s'est penchée
une fois de plus sur l'analyse qu'il convenait d'appliquer en cas de non-divulgation.
Dans cette affaire, le ministère public ne s'était pas conformé à une ordonnance lui
enjoignant de communiquer certains éléments de preuve. Pourtant, les juges Sopinka et
Iacobucci ont, dans des motifs conjoints, refusé de conclure que l'art. 7 avait été violé.
En effet, ils ont écrit, au par. 18, que «[l']omission du ministère public de s'acquitter de
l'obligation qui lui incombe en matière de communication de la preuve peut violer
l'art. 7 de la Charte et porter atteinte au droit de l'accusé de présenter une défense pleine
et entière» (je souligne). À mon avis, cet énoncé est clair et exact. Ce n'est pas dans
tous les cas de non-divulgation qu'une violation de la Charte sera établie.
48
De fait, récemment, dans R. c. Biscette (1995), 169 A.R. 81 (C.A.), conf. par
[1996] 3 R.C.S. 599, cette approche a une fois de plus été adoptée. Dans cette affaire,
le ministère public a omis de divulguer plusieurs éléments de preuve avant la tenue d'une

- 31 -
enquête préliminaire, qui furent toutefois communiqués au procès. La défense a
prétendu que l'art. 7 de la Charte avait été violé, mais, malgré la divulgation tardive de
la preuve, situation d'ailleurs admise par le ministère public, le juge Côté a déclaré, au
nom des juges de la majorité, qu'il n'était pas convaincu qu'il y avait effectivement eu
violation de la Charte. Il a dit ceci, aux pp. 84 et 85:
[TRADUCTION] L'avocat de l'appelant se fonde sur le droit de la défense
d'obtenir la divulgation de renseignements, conformément à la règle établie
dans R. c. Stinchcombe (#1), [1991] 3 R.C.S. 326 [. . .] Il se peut que ce
droit fasse intervenir à la fois un droit reconnu en common law et un droit
prévu à l'art. 7 de la Charte. Cependant, la réparation découle d'une
violation du droit de présenter une défense pleine et entière (p. 348 R.C.S.).
Il s'agit donc d'une réparation prévue par la Charte.
. . .
Il faut une preuve pour établir une violation de la Charte. En l'espèce,
nous disposons de peu d'éléments de preuve, voire d'aucun (par opposition
à de simples affirmations). Pour autant que nous sachions, il se peut que la
communication tardive ait été insignifiante: voir R. c. Stinchcombe (#2)
1994, [. . .] 88 C.C.C. (3d) 557 (C.A.), 566 [conf. par [1995] 1 R.C.S. 754].
[Je souligne.]
49
Le pourvoi devant notre Cour a été rejeté. Au nom de notre Cour à
l'unanimité, j'ai déclaré, au par. 1, que «[q]uant à la question de la communication
tardive de la preuve du ministère public, nous ne sommes pas persuadés que l'appelant
ait subi un préjudice en ce qui concerne sa capacité d'exercer son droit à une défense
pleine et entière et il y a lieu de rejeter ce moyen essentiellement pour les raisons du juge
Côté de la Cour d'appel».
50
À mon avis, un thème commun revient dans ces différentes décisions: bien
que le droit de présenter une défense pleine et entière anime le processus de divulgation,
l'accusé qui réclame la protection de la Charte par suite d'une omission de divulguer
doit d'abord établir que son droit de présenter une défense pleine et entière a

- 32 -
effectivement été violé. Autrement dit, l'obligation de divulguer doit faire l'objet d'une
analyse distincte de la violation du droit de présenter une défense pleine et entière.
51
Cette théorie est également étayée par le fait que la divulgation ne fait pas
l'objet d'un ensemble de règles définies et uniformes partout au pays. Au contraire, le
processus de divulgation varie d'une province à l'autre et même d'une région à l'autre.
Le facteur clé est que ce processus -- quel que soit celui adopté -- respecte le droit de
l'accusé de présenter une défense pleine et entière.
52
Ce qui précède ne signifie pas que la seule façon dont l'accusé peut
démontrer une violation de la Charte en cas de non-divulgation est d'établir l'existence
d'une atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière. Au contraire,
comme je l'ai dit dans O'Connor, précité, au par. 73:
Selon les circonstances, différentes garanties en vertu de la Charte pourront
entrer en jeu. Par exemple, lorsque l'accusé prétend que la conduite du
ministère public l'a empêché d'être jugé dans un délai raisonnable, on peut
mieux attaquer ces abus en ayant recours à l'al. 11b) de la Charte, au sujet
duquel la jurisprudence de notre Cour a maintenant établi des lignes
directrices assez claires (Morin, précité). De même, les circonstances
peuvent indiquer une violation du droit de l'accusé à un procès équitable,
droit prévu à l'art. 7 et à l'al. 11d) de la Charte. Dans ces deux situations,
le souci pour les droits individuels de l'accusé peut être accompagné d'un
souci pour l'intégrité du système judiciaire. Il existe, en outre, une autre
catégorie résiduelle de conduite visée par l'art. 7 de la Charte. Cette
catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l'équité du
procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d'autres droits de nature
procédurale énumérés dans la Charte, mais envisage plutôt l'ensemble des
circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite
est menée d'une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir
aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l'intégrité du
processus judiciaire.
53
Il s'ensuit donc que lorsque la divulgation n'est pas faite convenablement,
même dans les cas où l'accusé ne peut démontrer qu'il y a eu atteinte à son droit de

- 33 -
présenter une défense pleine et entière, il peut néanmoins y avoir violation de la Charte
si la conduite du ministère public a un effet sur les questions énumérées plus haut.
L'opinion dissidente conjointe exprimée par les juges Major et McLachlin dans R. c.
Curragh Inc., [1997] 1 R.C.S. 537, est un exemple de cette approche. Bien que je n'aie
pas souscrit à leur conclusion dans cette affaire, leur approche était correcte. Pour
déterminer s'il y avait eu violation de la Charte, ils ont fait porter leur examen
principalement sur la question de savoir si la conduite du ministère public avait «viol[é]
les principes fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu'a
la collectivité, et [. . .] constitu[ait] un abus des procédures de la cour» (au par. 121).
54
En résumé, je suis d'avis que la divulgation, en tant que processus, fait
intervenir divers aspects des principes de justice fondamentale prévus à l'art. 7.
Néanmoins, je ne crois pas que chaque erreur ou omission du ministère public dans la
divulgation de la preuve entraîne inévitablement une violation de la Charte. Même si,
jusqu'à maintenant, mes commentaires ont principalement porté sur des cas de
non-divulgation ou de divulgation tardive, j'estime que la même analyse s'applique dans
les cas où le ministère public fait défaut de conserver adéquatement des éléments de
preuve pertinents. J'aborde maintenant cette question.
L'obligation de conservation
55
L'obligation qu'a le ministère public de conserver la preuve est également
un élément nécessaire du droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière et
de son droit à un procès équitable. L'obligation de divulgation aurait peu de sens si le
ministère public pouvait la contourner en détruisant des éléments de preuve substantiels
ou en les perdant de façon intentionnelle. En outre, cette obligation fait intervenir le
principe fondamental selon lequel non seulement faut-il que justice soit rendue, mais

- 34 -
encore faut-il qu'elle soit perçue comme l'ayant été. Comme le souligne mon collègue,
même si l'accusé ne subit pas de préjudice réel, il peut, néanmoins, y avoir violation de
la Charte si la conduite ayant donné lieu au défaut de conserver des éléments de preuve
«viole les principes fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence
qu'a la collectivité».
56
Il n'en demeure pas moins qu'il ne faut pas confondre l'obligation de
conservation du ministère public avec son obligation de divulgation. Le ministère public
s'est acquitté de son obligation lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il a communiqué
à la défense tous les éléments de preuve pertinents en sa possession. Notre Cour a dit,
à plus d'une occasion, que «[l]e ministère public ne peut produire que ce qu'il a en sa
possession ou ce dont il a le contrôle»: R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754
Stinchcombe (no 2)»), à la p. 755; R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, à la p. 741. En
conséquence, en cas de perte d'élément de preuve, je ne vois aucun intérêt à poursuivre
l'examen pour déterminer si l'obligation de divulguer a été respectée.
57
Cela ne règle, cependant, pas le cas. Je suis d'accord avec mon collègue
que, dans les cas où la cour apprend que des éléments de preuve pertinents que la police
ou le ministère public a déjà eu en sa possession ne sont plus disponibles, ce dernier doit
expliquer les circonstances ayant entraîné leur absence. Toutefois, ces explications
porteront principalement sur les raisons pour lesquelles ces éléments de preuve n'ont pas
été remis à la défense, et il conviendra alors de se demander si ces raisons révèlent un
abus de procédure.
58
Dans les cas où aucun abus de procédure n'est établi, cela met fin à l'examen
de la question de l'absence de divulgation. Néanmoins, je suis d'accord avec mon
collègue que l'accusé peut essayer d'établir qu'il existe une probabilité réelle qu'il

- 35 -
subisse un préjudice au procès, par suite de la perte: Carosella, précité, le juge
L'Heureux-Dubé.
59
En résumé, lorsque l'élément de preuve n'est plus en la possession du
ministère public, l'analyse est exactement la même que dans les cas où c'est ce dernier
qui l'a en sa possession, mais que, pour diverses raisons, il ne l'a pas encore
communiqué. Par souci de clarté, j'estime que les principes peuvent être résumés de la
façon suivante:
a) Le ministère public a l'obligation de divulguer. Cette obligation, qui
découle de la common law, a également des assises constitutionnelles. En
règle générale, le ministère public doit divulguer à la défense tous les
éléments de preuve pertinents et non privilégiés qu'il a en sa possession. La
divulgation complète et générale est la règle et non l'exception.
b) Lorsque le ministère public ne divulgue pas sa preuve et que l'accusé
désire obtenir une réparation de nature constitutionnelle, l'examen doit
reposer sur des fondements appropriés. À cet égard, cet examen comporte
deux volets:
1) L'omission de divulguer a-t-elle eu un effet sur le droit de
l'accusé de présenter une défense pleine et entière?
2) Le ministère public, en omettant de divulguer sa preuve, a-t-il eu
une conduite qui a violé les principes fondamentaux qui sous-tendent
le sens du franc-jeu et de la décence de la société et porté atteinte à
l'intégrité du système judiciaire? Je souligne qu'une tentative

- 36 -
délibérée du ministère public de contourner les règles de divulgation
élaborées dans Stinchcombe est un facteur à considérer dans le cadre
du présent volet.
c) Lorsque l'un ou l'autre de ces effets est établi par prépondérance des
probabilités, la violation de l'art. 7 est démontrée. Le juge du procès peut
alors accorder une réparation fondée sur le par. 24(1). Cela devrait être fait
en conformité avec les principes énoncés dans O'Connor, précité.
d) Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, l'omission de divulguer est
survenue par suite de la perte ou de la destruction de l'élément de preuve en
cause, pendant qu'il était en la possession du ministère public, l'examen est
de façon générale le même, sauf qu'il incombe au ministère public
d'expliquer l'absence de la preuve et les procédures appliquées en vue de
sa conservation. Une fois cette explication fournie, cependant, l'accusé
devra convaincre le juge du procès qu'il y a eu soit atteinte à son droit de
présenter une défense pleine et entière soit abus de procédure.
60
Comme je l'ai dit précédemment, j'estime que cette approche est compatible
avec la jurisprudence de notre Cour et les principes constitutionnels établis. En outre,
j'estime également qu'une telle approche a l'avantage d'être pratique et facile à
appliquer. Pour illustrer ce point, je vais la comparer à celle proposée par le juge
Sopinka.
61
Mon collègue suggère d'examiner trois aspects dans les cas où la divulgation
n'a pas été faite ou n'est plus possible:

- 37 -
1) La perte a-t-elle eu un effet sur le droit de l'accusé de présenter une
défense pleine et entière?
2) L'explication du ministère public révèle-t-elle un manquement à ses
obligations en matière de divulgation et, par conséquent, une violation de
l'art. 7?
3) Un abus de procédure s'est-il produit?
62
En toute déférence, je ne vois pas d'intérêt à un examen en trois volets en
cas de non-divulgation d'un élément de preuve, car il semble plutôt futile de se demander
si le ministère public s'est acquitté de son obligation de divulgation lorsque l'élément
en cause n'est plus disponible. De toute évidence, il s'agit d'une question théorique
puisque l'élément de preuve ne peut plus être divulgué. Mon collègue semble accepter
qu'à cette étape, l'examen devienne une appréciation des actes de l'État qui ont entraîné
la perte de la preuve. À mon avis, la meilleure façon de procéder à cette appréciation est
dans le cadre de ce que l'on appelle traditionnellement la doctrine de l'abus de
procédure. Je ne vois aucun besoin de les séparer sous une étiquette différente. Comme
je l'ai dit dans O'Connor, précité, au par. 71, «[n]ous ne devrions pas laisser place à cette
dichotomie du droit lorsqu'il n'est pas nécessaire de le faire».
63
Mon collègue suggère également que la norme applicable pour établir une
violation du «droit à la divulgation» est moins exigeante que celle applicable en cas
d'abus de procédure. À mon avis, il s'agit d'une évolution inacceptable du droit. Notre
système a toujours reposé sur le fondement que la question de la mauvaise conduite du
ministère public devrait être examinée en fonction d'une certaine norme.
Essentiellement, mon collègue établit deux régimes en matière d'abus de procédure, l'un

- 38 -
applicable en cas d'abus dans le processus de divulgation, l'autre visant toutes les autres
situations. À mon avis, une mauvaise conduite du ministère public n'est qu'une
mauvaise conduite du ministère public. La même norme devrait s'appliquer dans tous
les cas.
64
Je trouve également ironique le fait que mon collègue parle abondamment
de la doctrine de l'abus de procédure, car je ne vois pas comment une telle conclusion
pourrait avoir une incidence. De toute évidence, une violation du «droit à la
divulgation» et, par conséquent, de l'art. 7, serait établie bien avant un abus de
procédure.
65
À mon avis, la doctrine de l'abus de procédure, conjuguée au droit de
présenter une défense pleine et entière, convient parfaitement pour accorder une
réparation dans les cas où un élément de preuve qui était en la possession du ministère
public a été détruit. À cet égard, je tiens à souligner que je ne suis pas en désaccord avec
mon collègue relativement à plusieurs des critères qu'il propose dans ses motifs.
Manifestement, ces facteurs aideront à déterminer s'il y a effectivement eu un abus. Je
conviens également qu'«un degré inacceptable de négligence» dans la conservation de
la preuve peut constituer une violation de l'art. 7.
66
En outre, la crainte que l'abus ne pourra être établi que dans les cas les plus
manifestes ne devrait plus être admise. Clairement, la norme «des cas les plus
manifestes» ne concerne plus maintenant que l'application de l'arrêt des procédures:
voir O'Connor, précité. Il n'est pas nécessaire que chaque mesure prise par le ministère
public se rapproche de cette norme pour justifier de conclure à une violation de l'art. 7;
voir, par exemple, R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, à la p. 286, où, même si j'étais
d'accord avec la majorité que la façon dont le ministère public s'était conduit en ne

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respectant pas le plaidoyer négocié avec l'accusé n'était pas l'un de ces «cas les plus
manifestes» requérant un arrêt des procédures, j'aurais néanmoins conclu à la violation
des droits reconnus à l'accusé par l'art. 7 et substitué à la déclaration de culpabilité une
déclaration de culpabilité pour l'infraction moindre sur laquelle portait le plaidoyer
négocié. Comme Graeme G. Mitchell l'a souligné favorablement, la décision de notre
Cour dans O'Connor, précité, [TRADUCTION] «annonce un changement radical de la
conception de ce qui constitue un abus de procédure»: «Abuse of Process and the
Crown's Disclosure Obligation» (1996), 44 C.R. (4th) 130, à la p. 136; voir également
Lee Stuesser, «Abuse of Process: The Need to Reconsider» (1994), 29 C.R. (4th) 92, à
la p. 103; Ursula Hendel et Peter Sankoff, «R. v. Edwards: When Two Wrongs Might
Just Make a Right» (1996), 45 C.R. (4th) 330, à la p. 334. On ne peut donc pas prétendre
qu'il est impossible pour l'accusé, dans un cas approprié, d'établir une violation de
l'art. 7 découlant d'un abus de procédure.
67
Comme il ressort clairement de mes motifs, cependant, je suis profondément
préoccupée par l'abaissement de la norme applicable pour établir une violation de
l'art. 7, abaissement qui, à mon avis, découle de la reconnaissance d'un «droit à la
divulgation» à caractère général. À mon avis, les violations de l'art. 7 requièrent un
examen sérieux. La conclusion qu'il a été porté atteinte à la vie, à la liberté et à la
sécurité d'un accusé sans respecter les principes de justice fondamentale ne devrait pas
être tirée à la légère. J'estime que le régime que j'ai décrit plus haut protège cette
notion, tout en maintenant un outil puissant pour réfréner la mauvaise conduite de l'État
et éviter la tenue de procès inéquitables.
68
En terminant, j'ajouterais simplement que, dans la mesure où les motifs de
mon collègue suggèrent que la conduite d'un tiers peut, en elle-même, constituer un abus

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de procédure, ou laissent subsister cette possibilité, je ne puis y souscrire. À cet égard,
je renvoie aux motifs que j'ai exposés, sur ce point, dans l'arrêt Carosella, précité.
69
Je trancherais le pourvoi de la manière proposée par le juge Sopinka.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant: Batting, Der, Calgary.
Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Alberta, Edmonton.