R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601
Sa Majesté la Reine
Appelante
c.
Eugene Paul Power
Intimé
Répertorié: R. c. Power
No du greffe: 23566.
1993: 3 décembre; 1994: 14 avril.
Présents: Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory,
McLachlin et Major.
en appel de la cour d'appel de terre-neuve
Tribunaux -- Pouvoir discrétionnaire résiduel d'une cour d'appel saisie
d'un appel contre l'acquittement dans un cas où une erreur commise au procès peut
raisonnablement être considérée comme influant sur le verdict -- Maintien de
l'acquittement ou ordonnance d'un nouveau procès prévu au Code criminel --
Accusation de conduite avec facultés affaiblies causant la mort et des lésions
corporelles -- Preuve de conduite avec facultés affaiblies nécessaire pour fonder
l'accusation -- Refus du ministère public de produire d'autres éléments de preuve
après que la preuve obtenue au moyen de l'alcootest ait été jugée inadmissible parce
qu'il y aurait eu violation de la Charte -- Accusé acquitté -- En appel, preuve jugée
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avoir été écartée à tort -- Maintien par la Cour d'appel de l'acquittement et refus
d'ordonner un nouveau procès -- Dans le cas d'un procès devant un juge et un jury,
l'art. 686(4) du Code criminel (portant sur le pouvoir des cours d'appel saisies
d'appels interjetés contre des acquittements de maintenir l'acquittement ou d'ordonner
un nouveau procès) confère-t-il à la cour d'appel un pouvoir discrétionnaire résiduel
de refuser d'ordonner un nouveau procès lorsqu'une erreur pouvant raisonnablement
être considérée comme influant sur le verdict a été commise au procès? -- Code
criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 686(4).
Droit criminel -- Appel d'un acquittement -- Tribunaux -- Pouvoir
discrétionnaire résiduel d'une cour d'appel saisie d'un appel contre l'acquittement
dans un cas où une erreur commise au procès peut raisonnablement être considérée
comme influant sur le verdict -- Maintien de l'acquittement ou ordonnance d'un
nouveau procès prévu au Code criminel -- Accusation de conduite avec facultés
affaiblies causant la mort et des lésions corporelles -- Preuve de conduite avec
facultés affaiblies nécessaire pour fonder l'accusation -- Refus du ministère public de
produire d'autres éléments de preuve après que la preuve obtenue au moyen de
l'alcootest ait été jugée inadmissible parce qu'il y aurait eu violation de la Charte --
Accusé acquitté -- En appel, preuve jugée avoir été écartée à tort -- Maintien par la
Cour d'appel de l'acquittement et refus d'ordonner un nouveau procès -- Dans le cas
d'un procès devant un juge et un jury, l'art. 686(4) du Code criminel (portant sur le
pouvoir des cours d'appel saisies d'appels interjetés contre des acquittements de
maintenir l'acquittement ou d'ordonner un nouveau procès) confère-t-il à la cour
d'appel un pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser d'ordonner un nouveau procès
lorsqu' une erreur pouvant raisonnablement être considérée comme influant sur le
verdict a été commise au procès?
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L'intimé a été accusé de conduite avec facultés affaiblies à la suite d'un
accident de voiture dans lequel un de ses passagers a trouvé la mort et deux autres
ont subi des blessures. Le policier qui s'est rendu sur les lieux de l'accident a avisé
l'intimé de ses droits, aux termes de l'art. 10 de la Charte, d'être informé dans les
plus brefs délais des motifs de son arrestation et d'avoir recours à l'assistance d'un
avocat. Il a ensuite demandé officiellement un échantillon d'haleine à l'intimé, qui
sentait l'alcool et titubait. Le policier à la garde duquel l'intimé avait été remis au
poste de police lui a demandé s'il comprenait qu'il avait le droit de communiquer
avec un avocat, et l'a aidé à le faire. L'intimé et son avocat savaient tous les deux,
lors de leur première conversation téléphonique, que l'un des passagers était
décédé. À la suite de la consultation, l'intimé a initialement refusé de fournir un
échantillon d'haleine, mais s'est ravisé lorsque la police lui à fait savoir que cela
donnerait lieu à une accusation de refus de fournir un échantillon. L'intimé a de
nouveau consulté son avocat avant qu'un second échantillon ne soit prélevé.
Au procès, l'avocat de l'intimé, faisant valoir que la police avait violé
les droits de l'intimé garantis par l'art. 10 de la Charte, s'est opposé à ce que les
résultats des alcootests soient admis en preuve. Le juge du procès a conclu dans
le cadre d'un voir-dire qu'il y avait eu atteinte aux droits que la Charte garantit à
l'intimé, du fait qu'on ne lui avait pas fait connaître, avant qu'il ne consulte son
avocat, toute l'ampleur du risque auquel il s'exposait. Il a décidé que la preuve
devait être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte parce que son utilisation était
susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Le substitut du procureur
général a refusé de présenter d'autres éléments de preuve et le juge du procès a
ordonné au jury de rendre un verdict d'acquittement. La Cour d'appel a rejeté
l'appel contre l'acquittement. Il s'agit en l'espèce de savoir si, en ce qui concerne
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un verdict rendu à l'issue d'un procès devant un juge et un jury, le par. 686(4) du
Code criminel (portant sur le pouvoir des cours d'appel saisies d'appels interjetés
contre des acquittements de maintenir l'acquittement ou d'ordonner un nouveau
procès) confère à la cour d'appel un pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser
d'ordonner un nouveau procès dans un cas où a été commise au procès une erreur
pouvant raisonnablement être considérée comme influant sur le verdict.
Arrêt (les juges Sopinka, Cory et Major sont dissidents): Le pourvoi est
accueilli.
Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin: Aucun
abus de procédure n'a été commis dans la présente affaire. En outre, le par. 686(4)
du Code criminel ne confère pas à une cour d'appel un pouvoir discrétionnaire autre
que celui de rejeter ou d'accueillir un appel. Ni en droit ni en principe, une cour
d'appel n'est investie du pouvoir d'intervenir dans le pouvoir discrétionnaire de la
poursuite.
Dans les affaires criminelles, les tribunaux ont un pouvoir
discrétionnaire résiduel de remédier à un abus de la procédure de la cour, mais
uniquement dans les «cas les plus manifestes», c.-à-d. lorsqu'il y a un
comportement qui choque la conscience de la collectivité et porte préjudice à
l'administration régulière de la justice au point qu'il justifie une intervention des
tribunaux. Il doit y avoir une preuve accablante que les procédures examinées sont
injustes au point qu'elles sont contraires à l'intérêt de la justice. Puisque le
procureur général, de par sa fonction de poursuivant, exprime le sens de justice de
la collectivité, les tribunaux devraient être prudents avant de s'adonner à des
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conjectures rétrospectivement sur les motifs qui poussent le poursuivant à prendre
une décision. Si la preuve démontre clairement l'existence de motifs illégitimes,
de mauvaise foi ou d'un acte si fautif qu'il viole la conscience de la collectivité à
un point tel qu'il serait vraiment injuste et indécent de continuer, alors, et alors
seulement, les tribunaux devraient intervenir pour empêcher un abus de procédure
susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Les cas de cette nature
seront extrêmement rares.
En l'espèce, la poursuite n'a pas atteint le seuil élevé de l'abus de
procédure. Il n'y a aucune preuve que le comportement du substitut du procureur
général ait été motivé par la mauvaise foi ou des motifs illégitimes. La poursuite
n'a pas tenté non plus de déjouer l'administration de la justice, ni même de
contourner les règles de droit criminel en matière d'appels interlocutoires. La
décision du ministère public de ne présenter aucune autre preuve n'établit pas une
inconduite de nature à choquer le sens de justice de la collectivité ou à justifier
l'application de la doctrine de l'abus de procédure.
Le paragraphe 686(4) du Code criminel ne confère pas à une cour
d'appel un pouvoir discrétionnaire, quelque restreint qu'il puisse être, autre que le
pouvoir général de contrôler sa procédure en cas d'abus. Un tel élargissement du
pouvoir discrétionnaire n'est pas appuyé par la jurisprudence et aucune
considération de principe ne justifie une interprétation aussi libérale du par. 686(4).
Loin de là. Il est contraire non seulement à la primauté du droit, mais également
à la bonne et efficace administration de la justice que les cours d'appel envahissent
le domaine exclusif du ministère public et s'immiscent dans le pouvoir
discrétionnaire de la poursuite. La réticence des tribunaux à s'ingérer dans le
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pouvoir discrétionnaire de la poursuite tire son origine de la théorie du partage des
pouvoirs, suivant laquelle le droit criminel relève du pouvoir exécutif. De plus, le
contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire de la poursuite pourrait entraîner la
divulgation par le ministère public des motifs qui sous-tendent sa façon de
poursuivre une instance. Pareille divulgation pourrait engendrer des masses de
documents à revoir, compromettre la flexibilité qui résulte de la confidentialité des
décisions du poursuivant et entraîner les tribunaux à s'engager rétrospectivement
dans de longues conjectures sur la décision du ministère public pour déterminer si
les motifs avancés dans l'exercice de son jugement ne sont qu'un subterfuge. Le
ministère public ne peut fonctionner à titre de poursuivant devant le tribunal tout
en étant également assujetti à sa surveillance générale. Pour sa part, le tribunal ne
peut à la fois superviser l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite et agir
à titre d'arbitre impartial de l'affaire qui lui est soumise. Même s'il avait existé un
pouvoir discrétionnaire de contrôler les décisions de la poursuite, la Cour d'appel
aurait dû ordonner un nouveau procès.
La seule preuve que la Cour d'appel pouvait évaluer, et qu'elle a
effectivement évaluée, était celle produite lors du voir-dire et de l'enquête
préliminaire. Il est très spéculatif de faire des conjectures sur le verdict en se
fondant sur cette preuve. La preuve produite lors d'un voir-dire pour établir
l'admissibilité d'une preuve ne va pas à la détermination de l'innocence ou de la
culpabilité. Elle porte plutôt sur des faits qui n'ont rien à voir avec la perpétration
de l'infraction, comme les moyens par lesquels la preuve en question a été obtenue.
À l'enquête préliminaire, le ministère public a la faculté de ne présenter que ce qui
constitue une preuve suffisante à première vue. Spéculer sur le verdict ne peut
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servir de fondement au contrôle de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la
poursuite s'il n'y a pas abus de procédure.
La Cour d'appel aurait dû ordonner un nouveau procès pour le motif que
la preuve écartée était d'une importance capitale pour le ministère public. Une fois
jugée inadmissible la preuve obtenue au moyen de l'alcootest, toute autre preuve
qui aurait pu être présentée n'aurait pas nécessairement aidé le ministère public à
établir que la capacité de conduire de l'intimé était effectivement affaiblie. Sans
la preuve obtenue au moyen de l'alcootest, le ministère public aurait fort
probablement été incapable de prouver hors de tout doute raisonnable que la
capacité de conduire de l'intimé était affaiblie. Il s'agit là d'un élément déterminant
dans les affaires de conduite avec facultés affaiblies causant la mort ou des
blessures corporelles. Par ailleurs, cette preuve était de la plus haute importance
puisqu'il semble que l'intimé avançait d'autres causes de l'accident, comme l'état
de la chaussée, les conditions atmosphériques et l'état de l'automobile.
Les juges, Sopinka, Cory et Major (dissidents): Bien que le par. 686(4)
du Code criminel n'expose pas les moyens pouvant fonder un appel par le ministère
public contre un verdict d'acquittement, l'al. 676(1)a) prévoit qu'appel peut être
interjeté d'un acquittement pour tout motif qui comporte une question de droit
seulement. Il résulte de ces deux dispositions prises ensemble que la cour d'appel
«peut» accueillir l'appel. Un pouvoir discrétionnaire est donc conféré à la cour,
mais ce pouvoir n'est pas défini dans le texte législatif. Même s'il y a eu erreur de
droit, le ministère public est tenu de convaincre la cour d'appel que le verdict
n'aurait pas nécessairement été le même en l'absence de l'erreur.
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Il y a peut-être une différence entre le cas où le ministère public
présente la totalité de sa preuve et celui où il choisit délibérément de provoquer un
verdict imposé en ne produisant pas des éléments de preuve dont il dispose. Le
critère établi dans l'arrêt Vézeau c. La Reine pour l'exercice du pouvoir
discrétionnaire que confère le par. 686(4) ne définit pas exhaustivement ce pouvoir
de manière à empêcher la Cour d'élargir ou de restreindre, le cas échéant,
l'application de ce critère. La jurisprudence appuie l'existence d'un pouvoir
discrétionnaire limité détenu par la cour d'appel, dans l'exercice duquel celle-ci
peut refuser d'accueillir un appel dans certaines situations où le ministère public
a déraisonnablement discontinué la présentation de sa preuve, entraînant ainsi un
verdict imposé d'acquittement. Les cours d'appel sont investies non seulement du
pouvoir d'arrêter les procédures en cas d'abus de procédure, mais aussi du pouvoir
d'examiner si le ministère public a agi déraisonnablement en refusant de produire
d'autres éléments de preuve au procès par suite d'une décision défavorable sur une
question de preuve et de celui de ne pas ordonner la tenue d'un nouveau procès en
pareil cas. Il faut, comme condition préliminaire, qu'indépendamment de la preuve
écartée, le ministère public ait disposé d'une preuve suffisante pour qu'elle soit
présentée au jury. Cette condition aura été remplie lorsque cette autre preuve du
ministère public établit l'existence des éléments essentiels de l'infraction, mais qu'il
choisit de ne pas la produire. La décision tiendra finalement à l'appréciation
d'autres facteurs, dont la valeur probante relative des éléments de preuve non
produits, l'importance relative de la preuve écartée par la décision attaquée, la
gravité du préjudice qu'entraîneront pour l'accusé de nouvelles procédures et les
motifs de la décision du ministère public de ne produire aucune autre preuve.
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En règle générale, la décision du ministère public de discontinuer
l'administration de sa preuve dans le seul but d'interjeter appel d'une décision
défavorable sera jugée déraisonnable. Par ailleurs, lorsque la preuve écartée est
relativement importante et que les autres éléments de preuve, quoique peut-être
suffisants pour constituer une preuve prima facie, sont d'une valeur probante
tellement faible que le poursuivant conclut à l'inutilité de continuer le procès, la
décision de mettre fin à l'instance pourra être raisonnable. La preuve d'un
préjudice particulier en sus de celui pouvant s'inférer de la prolongation des
procédures criminelles sera un facteur important à prendre en considération par la
cour d'appel. Celle-ci doit exercer avec mesure son pouvoir discrétionnaire.
En examinant les autres éléments de preuve, que l'appelante a décidé
de ne pas produire, il faut préciser les éléments de l'infraction en question et
examiner si ces autres éléments de preuve étaient suffisants pour être présentés au
jury. Le critère à appliquer pour décider ce point est celui de savoir si les autres
éléments de preuve, «s'il[s] étai[en]t accepté[s] par un jury ayant reçu des
directives appropriées et agissant de manière raisonnable, justifierai[en]t une
déclaration de culpabilité». En l'espèce, pour prouver la perpétration des
infractions, l'appelante doit établir: (i) que l'intimé conduisait le véhicule en
question; (ii) que sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool, et (iii) que cet
affaiblissement a causé le décès et les lésions corporelles en question.
Les témoins oculaires ont fourni amplement de preuves quant au fait
que c'est l'intimé qui conduisait et auraient pu déposer concernant plusieurs
circonstances qui auraient suffi pour établir l'affaiblissement de ses facultés, sans
qu'il soit besoin de recourir à une preuve obtenue au moyen de l'alcootest. Pour
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prouver la causalité, le ministère public devait produire une preuve suffisante pour
démontrer que l'affaiblissement des facultés de l'intimé a à tout le moins contribué
à la mort et aux lésions, de façon plus que mineure. La question de la causalité
exige l'examen de théories contradictoires avancées pour expliquer l'accident qui
a causé des lésions corporelles et la mort. Il n'est pas nécessaire, pour obtenir un
verdict de culpabilité, de prouver que l'affaiblissement des facultés constituait
l'unique cause, car il se peut bien que, même s'il y a eu un concours de plusieurs
facteurs, l'affaiblissement ait tout de même été une cause plus que mineure de la
mort et des lésions en question. En l'espèce, la preuve supplémentaire de
l'affaiblissement des facultés obtenue grâce à l'alcootest n'aurait pas influé
sensiblement sur l'importance attachée à l'état de la route et au mauvais état du
véhicule. Elle n'était pas non plus indispensable pour établir l'affaiblissement des
facultés de l'intimé.
Jurisprudence
Citée par le juge L'Heureux-Dubé
Arrêt examiné: R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; arrêts mentionnés:
R. c. Leroux (1928), 50 C.C.C. 52; R. c. Bell (1929), 51 C.C.C. 388; R. c. Leclair
(1956), 115 C.C.C. 297; Connelly c. Director of Public Prosecutions, [1964] 2 All
E.R. 401; R. c. Osborn, [1971] R.C.S. 184, conf. (1968), 4 C.C.C. 185; Rourke c.
La Reine, [1978] 1 R.C.S. 1021; Director of Public Prosecutions c. Humphrys,
[1976] 2 All E.R. 497; Erven c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 926; R. c. Krannenburg,
[1980] 1 R.C.S. 1053; Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418; R. c. Lebrun (1978),
7 C.R. (3d) 93; Re Ball and The Queen (1978), 44 C.C.C. (2d) 532; Re Abarca and
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The Queen (1980), 57 C.C.C. (2d) 410; R. c. Young (1984), 40 C.R. (3d) 289; R. c.
Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657
; R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903; R. c. Conway,
[1989] 1 R.C.S. 1659
; R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979; R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S.
880; Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277; R. c. Banas and Haverkamp (1982),
65 C.C.C. (2d) 224; R. c. Voykin (1986), 29 C.C.C. (3d) 280; R. c. Bailey (1983),
4 C.C.C. (3d) 21; R. c. Whittle (1992), 78 C.C.C. (3d) 49; Fraser c. Commission des
relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; Sobeys Stores
Ltd. c. Yeomans et Labour Standards Tribunal (N.-É.), [1989] 1 R.C.S. 238;
Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c.
Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Re Balderstone and The Queen (1983), 8
C.C.C. (3d) 532, autorisation de pourvoi refusée, [1983] 2 R.C.S. v; R. c. Beare,
[1988] 2 R.C.S. 387
; États-Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469; R. c.
Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
; R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; Smythe c. La Reine,
[1971] R.C.S. 680; R. c. T. (V.), [1992] 1 R.C.S. 749; United States c.
Redondo-Lemos, 955 F.2d 1296 (1992); United States c. Giannattasio, 979 F.2d 98
(1992); Welch c. The King, [1950] R.C.S. 412; Caccamo c. La Reine, [1976] 1
R.C.S. 786; Patterson c. La Reine, [1970] R.C.S. 409.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
R. c. Smith, [1991] 1 R.C.S. 714; R. c. Banas and Haverkamp (1982), 65
C.C.C. (2d) 224; R. c. Voykin (1986), 29 C.C.C. (3d) 280; R. c. Mack, [1988] 2
R.C.S. 903; R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; R. c. Bailey (1983), 4 C.C.C. (3d) 21;
R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657
; Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277; White
c. The King, [1947] R.C.S. 268; R. c. Paquette (1974), 19 C.C.C. (2d) 154; R. c.
Morin, [1988] 2 R.C.S. 345
; R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880; R. c. Collins (1993),
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79 C.C.C. 204; R. c. Whittle (1992), 78 C.C.C. (3d) 49; R. c. Monteleone, [1987] 2
R.C.S. 154; R. c. Smith (1992), 73 C.C.C. (3d) 285; R. c. Andres, [1982] 2 W.W.R.
249; Graat c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 819; R. c. Dubois (1990), 62 C.C.C. (3d)
90; R. c. Kucher (1979), 48 C.C.C. (2d) 115; R. c. Pinske (1988), 30 B.C.L.R. (2d)
114, conf. par [1989] 2 R.C.S. 979; R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 10a), b), 24(2).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 255(2) [abr. & rempl. L.R.C. (1985),
ch. 27 (1er suppl.), art. 36], (3) [abr. & rempl. idem], 676(1)a), 686(1)b)(iii),
(4)a), b)(i), (ii) [abr. & rempl. ibid., art. 145(3)].
Loi constitutionnelle de 1867.
Doctrine citée
Frase, Richard S. "The Decision to File Federal Criminal Charges: A Quantitative
Study of Prosecutorial Discretion" (1979-1980), 47 U. Chi. L. Rev. 246.
Garant, Patrice. Droit administratif, 3e éd., vol. 2. Cowansville, Qué.: Yvon Blais,
1991.
Hébert, Jean-Claude. "Le contrôle judiciaire de certains pouvoirs de la couronne",
dans Droit pénal--Orientations nouvelles, Formation permanente, Barreau du
Québec. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1987, 129.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 3rd ed. Scarborough, Ont.:
Carswell, 1992.
Lezak, Sidney I. and Maureen Leonard. "The Prosecutor's Discretion: Out of the
Closet -- Not Out of Control" (1984), 63 Or. L. Rev. 247.
Morgan, Donna C. "Controlling Prosecutorial Powers -- Judicial Review, Abuse
of Process and Section 7 of The Charter" (1986-87), 29 Crim. L.Q. 15.
Pépin, Gilles. "La compétence des tribunaux administratifs de décider de la
constitutionnalité d'une loi, notamment de sa compatibilité avec la Charte
canadienne des droits et libertés", dans l'Association du Barreau canadien -
- 13 -
Séminaire de formation juridique permanente sur le droit administratif, Droit
administratif: ce qu'il fut, ce qu'il est et ce qu'il deviendra. Ottawa: 1989.
Ramsay, J. A. "Prosecutorial Discretion: A Reply to David Vanek" (1987-88), 30
Crim. L.Q. 378.
Reiss, Steven Alan. "Prosecutorial Intent in Constitutional Criminal Procedure"
(1987), 135 U. Pa. L. Rev. 1365.
Temby, Ian. "Prosecution Discretions and the Director of Public Prosecutions Act
1983" (1985), 59 Austl. L.J. 197.
Vanek, David. "Prosecutorial Discretion" (1987-88), 30 Crim. L.Q. 219.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de Terre-Neuve (1993),
105 Nfld. & P.E.I.R. 271, 331 A.P.R. 271, 81 C.C.C. (3d) 1, 45 M.V.R. (2d) 214,
qui a rejeté l'appel interjeté contre l'acquittement prononcé par le juge Aylward
siégeant avec jury. Pourvoi accueilli, les juges Sopinka, Cory et Major sont
dissidents.
Wayne Gorman, pour l'appelante.
David Orr, pour l'intimé.
Le jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et
McLachlin a été rendu par
LE JUGE L'HEUREUX-DUBÉ -- Le présent pourvoi porte sur
l'interprétation et l'application aux faits du par. 686(4) du Code criminel, L.R.C.
(1985), ch. C-46. Il s'agit uniquement de savoir si la Cour d'appel a commis une
erreur en consignant un verdict d'acquittement au lieu d'ordonner que l'intimé
subisse un nouveau procès après qu'elle eut conclu que le juge du procès avait
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commis une erreur de droit en écartant une preuve admissible obtenue au moyen
de l'alcootest.
La Cour d'appel à la majorité, le juge en chef Goodridge étant dissident,
a rejeté l'appel du ministère public à l'encontre de l'acquittement de l'intimé pour
le motif qu'il y avait eu abus de procédure. Au lieu de continuer le procès, le
ministère public a, déraisonnablement de l'avis des juges majoritaires, refusé de
présenter d'autre preuve, ce qui a entraîné l'acquittement de l'intimé relativement
à tous les chefs. Tout en refusant de rejeter le pourvoi sur cette base, mon collègue
le juge Sopinka est d'avis de le rejeter «pour le motif que la cour d'appel jouit d'un
pouvoir discrétionnaire limité de rejeter un appel dans de telles circonstances et
qu'il convenait en l'espèce d'exercer ce pouvoir» (p. 635). Avec égards, je ne suis
pas d'accord.
Je partage l'opinion dissidente du juge en chef Goodridge qu'aucun abus
de procédure n'a été commis dans la présente affaire. En outre, je ne peux
convenir avec mon collègue que le par. 686(4) du Code confère à une cour d'appel
un pouvoir discrétionnaire autre que celui de rejeter ou d'accueillir un appel. En
particulier, je ne suis d'accord ni en droit ni en principe qu'une cour d'appel est
investie du pouvoir d'intervenir dans le pouvoir discrétionnaire de la poursuite.
Le paragraphe 686(4) du Code criminel dispose:
686. . . .
(4) Lorsqu'un appel est interjeté d'un acquittement, la cour d'appel
peut:
a) rejeter l'appel;
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b) admettre l'appel, écarter le verdict et, selon le cas:
(i) ordonner un nouveau procès,
(ii) sauf dans le cas d'un verdict rendu par un tribunal composé
d'un juge et d'un jury, consigner un verdict de culpabilité à
l'égard de l'infraction dont, à son avis, l'accusé aurait dû être
déclaré coupable, et prononcer une peine justifiée en droit ou
renvoyer l'affaire au tribunal de première instance en lui
ordonnant d'infliger une peine justifiée en droit.
Mon collègue ayant résumé les faits et les jugements, je suis dispensée
d'en traiter longuement. Qu'il me suffise de dire que, le 20 avril 1989, l'intimé,
alors au volant d'une voiture, a été impliqué dans un accident qui a entraîné la mort
de l'un de ses passagers et causé des blessures à deux autres. L'intimé a été accusé
de conduite avec facultés affaiblies causant la mort (un chef) et de conduite avec
facultés affaiblies causant des lésions corporelles (deux chefs). Au procès, on a
conclu que la preuve obtenue au moyen de l'alcootest, soit la preuve la plus
probante qu'ait présentée le ministère public, avait été obtenue en contravention du
droit de l'intimé à l'assistance d'un avocat garanti à l'al. 10b) de la Charte
canadienne des droits et libertés. En tant que telle, la preuve a été déclarée
inadmissible, puis écartée. Le ministère public a choisi de ne présenter aucune
autre preuve, et l'intimé a, en conséquence, été acquitté. Ayant conclu qu'il n'y
avait pas eu violation de la Charte, la Cour d'appel a déterminé que la preuve était
admissible en droit. Bien que ce genre d'appel aurait normalement été accueilli,
et un nouveau procès ordonné conformément au par. 686(4) du Code criminel, la
cour a prononcé un verdict d'acquittement pour le motif qu'il y avait eu abus de
procédure de la part du ministère public.
Il importe de signaler dès le début que la Cour d'appel a unanimement
conclu que le juge du procès avait commis une erreur en écartant la preuve obtenue
- 16 -
au moyen de l'alcootest, qui aurait dû être admise. Nous ne sommes donc plus
saisis de cette question. Quant au pouvoir discrétionnaire d'une cour d'appel à
l'égard des appels interjetés par le ministère public aux termes du par. 686(4) du
Code criminel, la Cour d'appel a également conclu à l'unanimité que ce paragraphe
ne prive pas les tribunaux du pouvoir de sanctionner un abus de procédure. Au
delà de ces deux questions, je partage l'opinion du juge en chef Goodridge pour les
motifs qu'il a exposés (1993), 105 Nfld. & P.E.I.R. 271, à la p. 305, que:
[TRADUCTION] . . . la Cour d'appel doit soit rejeter l'appel, soit
l'accueillir et écarter le verdict, auquel cas elle doit ordonner un
nouveau procès ou, à moins que le verdict contesté n'ait été rendu par
un jury, consigner le verdict qui aurait dû être prononcé au procès. [Je
souligne.]
J'analyserai les questions suivantes dans l'ordre:
1. L'abus de procédure;
2. Le pouvoir discrétionnaire aux termes du par. 686(4) du Code
criminel;
3. Le pouvoir discrétionnaire de la poursuite.
1. L'abus de procédure
Si on ne conteste plus aujourd'hui que les tribunaux ont un pouvoir
discrétionnaire inhérent et résiduel d'empêcher l'abus du processus judiciaire, il
n'en fut pas toujours ainsi. Pendant longtemps la jurisprudence favorable à une
telle position était rarissime et, quand elle l'était, c'était généralement dans le cadre
d'opinions incidentes. (Voir R. c. Leroux (1928), 50 C.C.C. 52 (C.A. Ont.), aux
- 17 -
pp. 56 et 57, le juge Grant au nom de la cour, R. c. Bell (1929), 51 C.C.C. 388
(C.A.C.-B.), aux pp. 391 et 392, le juge en chef MacDonald, et R. c. Leclair (1956),
115 C.C.C. 297 (C.A. Ont.), aux pp. 302 et 303, le juge Mackay au nom de la
cour.)
Dans l'arrêt R. c. Osborn (1968), 4 C.C.C. 185, le juge Jessup, au nom
de la Cour d'appel de l'Ontario, a invoqué la décision majoritaire de la Chambre
des lords dans l'affaire Connelly c. Director of Public Prosecutions, [1964] 2 All
E.R. 401, pour conclure que tous les tribunaux, qu'ils exercent une juridiction
civile ou criminelle, ont le pouvoir discrétionnaire inhérent d'empêcher qu'un abus
soit commis au moyen de procédures oppressives ou vexatoires. Il a toutefois
ajouté, à titre de mise en garde, qu'un tel pouvoir discrétionnaire doit être exercé
avec mesure et uniquement dans des circonstances exceptionnelles (aux pp. 189
à 191). En appel devant notre Cour (R. c. Osborn, [1971] R.C.S. 184), trois juges
(le juge Pigeon, avec l'appui des juges Martland et Judson) ont conclu que ce
pouvoir discrétionnaire n'existait pas, trois autres (le juge Hall, avec l'appui des
juges Ritchie et Spence) ont conclu qu'il n'était pas nécessaire de trancher la
question, et le septième, le juge Fauteux (plus tard Juge en chef), a simplement
souscrit au résultat, ce qui a laissé l'état du droit dans l'incertitude.
La question a de nouveau été soulevée dans l'arrêt Rourke c. La Reine,
[1978] 1 R.C.S. 1021, où on a allégué l'abus de procédure du fait du long délai
écoulé avant que la police n'arrête l'accusé. Le juge Pigeon, au nom de la majorité,
a conclu à la p. 1043:
Pour les motifs que j'ai énoncés dans La Reine c. Osborn, [1971] R.C.S.
184, je ne puis admettre que les tribunaux criminels aient un pouvoir
- 18 -
discrétionnaire général de suspendre des procédures régulièrement
instituées, parce que la poursuite est considérée comme oppressive.
La minorité, dont les motifs ont été rédigés par le juge en chef Laskin, qui a
souscrit au résultat, a suivi les arrêts Connelly c. Director of Public Prosecutions,
précité, et Director of Public Prosecutions c. Humphrys, [1976] 2 All E.R. 497
(H.L.), et aurait reconnu que les cours criminelles de première instance ont le
pouvoir inhérent d'empêcher l'abus de leur procédure, en fonction de chaque cas.
Des décisions subséquentes de notre Cour ont fait allusion de façon incidente à
l'existence de la doctrine de l'abus de procédure (Erven c. La Reine, [1979] 1 R.C.S.
926, à la p. 957 (le juge Pratte), R. c. Krannenburg, [1980] 1 R.C.S. 1053, à la
p. 1061 (le juge Dickson), et Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418, aux pp. 454
et 455 (le juge Estey)). Dans le sillage de l'arrêt Rourke, précité, les cours d'appel
provinciales se sont divisées sur la question. Certaines ont appliqué l'arrêt Rourke
et conclu qu'on ne pouvait avoir recours à la doctrine de l'abus de procédure dans
le cadre d'instances criminelles (R. c. Lebrun (1978), 7 C.R. (3d) 93 (C.A.C.-B.)).
D'autres ont appliqué la doctrine, la limitant toutefois à des circonstances
exceptionnelles (Re Ball and The Queen (1978), 44 C.C.C. (2d) 532 (C.A. Ont.), Re
Abarca and The Queen (1980), 57 C.C.C. (2d) 410 (C.A. Ont.), et R. c. Young
(1984), 40 C.R. (3d) 289 (C.A. Ont.)). Dans l'arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S.
128, notre Cour a mis un terme à la controverse en confirmant unanimement la
possibilité de recourir à la doctrine de l'abus de procédure dans les instances
criminelles. La Cour, aux pp. 136 et 137, a fait siens les commentaires du juge
Dubin de la Cour d'appel dans l'arrêt R. c. Young, précité, selon lequel l'arrêt des
procédures devrait être prononcé lorsque «forcer le prévenu à subir son procès
violerait les principes de justice fondamentaux qui sous-tendent le sens du
franc-jeu et de la décence qu'a la société» ou lorsque la procédure est «oppressive
- 19 -
ou vexatoire». La Cour a également adopté, à la p. 137, «la mise en garde que fait
la cour [d'appel de l'Ontario] dans l'arrêt Young, portant que c'est là un pouvoir qui
ne peut être exercé que dans les "cas les plus manifestes"». Le juge en chef
Dickson a repris en partie, aux pp. 132 et 133, les commentaires suivants du
vicomte Dilhorne de la Chambre des lords dans l'arrêt Director of Public
Prosecutions c. Humphrys, précité, aux pp. 509 et 511:
[TRADUCTION] Lorsque l'acte d'accusation a été présenté de façon
appropriée [. . .] le juge a-t-il le pouvoir de l'annuler et de refuser que
le procès se poursuive pour la simple raison qu'il croit que l'accusé
n'aurait pas dû faire l'objet d'une poursuite relativement à l'infraction
en cause? J'estime que ce pouvoir général n'existe pas et que
reconnaître l'existence d'un tel degré d'omnipotence est, comme mon
noble et savant collègue, lord Edmund-Davies, l'a dit, inacceptable
dans un pays qui reconnaît la primauté du droit. Cela ne signifie
toutefois pas qu'il n'existe pas de pouvoir général de contrôler la
procédure d'un tribunal de façon à ce qu'aucune injustice ne soit
commise. Si, au moment où l'arrêt Connelly a été rendu, il avait été
possible de juger les accusations de meurtre et de vol qualifié
concurremment, on aurait fort bien pu estimer injuste, oppressif et
abusif sur le plan de la procédure de les juger séparément, chaque
accusation étant fondée sur une même preuve. Cela ne signifie
toutefois pas que le juge a le pouvoir de mettre un terme à une
poursuite pour parjure pour la seule raison qu'elle n'aurait pas dû être
intentée et qu'elle démontrera que le verdict prononcé au procès au
cours duquel un parjure, allègue-t-on, a été commis, aurait dû être un
verdict de culpabilité.
. . .
Si, comme le pensent mes nobles et savants collègues, on peut
arrêter in limine des poursuites sur mise en accusation, ce pouvoir,
selon moi, ne devrait être exercé que dans les circonstances les plus
exceptionnelles. [Je souligne.]
Dans l'arrêt R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657
, la Cour à l'unanimité
a réaffirmé le principe énoncé dans l'arrêt R. c. Jewitt, précité. Tout en concluant
que l'arrêt des procédures ordonné pour abus ne se limitait pas aux affaires où
l'inconduite de la poursuite est établie, le juge Wilson, pour la Cour, a pris soin de
- 20 -
souligner que la réparation ne sera accordée que dans les «cas les plus manifestes»
(p. 659). Dans l'arrêt R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903
, l'arrêt des procédures avait
été ordonné pour le motif qu'«en droit criminel la doctrine de l'abus de procédure
est fondée sur la notion que l'État est limité dans la manière dont il peut traiter ses
citoyens» (le juge Lamer, à la p. 939). Me prononçant au nom de la majorité dans
l'arrêt R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659
, j'ai exprimé l'opinion suivante à la
p. 1667:
Suivant la doctrine de l'abus de procédure, le traitement injuste ou
oppressif d'un accusé prive le ministère public du droit de continuer les
poursuites relatives à l'accusation. Les poursuites sont suspendues, non
à la suite d'une décision sur le fond (voir Jewitt, précité, à la p. 148),
mais parce qu'elles sont à ce point viciées que leur permettre de suivre
leur cours compromettrait l'intégrité du tribunal. Cette doctrine est
l'une des garanties destinées à assurer «que la répression du crime par
la condamnation du coupable se fait d'une façon qui reflète nos valeurs
fondamentales en tant que société» (Rothman c. La Reine, [1981] 1
R.C.S. 640, à la p. 689, le juge Lamer). C'est là reconnaître que les
tribunaux doivent avoir le respect et le soutien de la collectivité pour
que l'administration de la justice criminelle puisse adéquatement
remplir sa fonction. Par conséquent, lorsque l'atteinte au franc-jeu et
à la décence est disproportionnée à l'intérêt de la société d'assurer que
les infractions criminelles soient efficacement poursuivies,
l'administration de la justice est mieux servie par l'arrêt des procédures.
[Je souligne.]
J'ai toutefois ajouté à la même page que l'arrêt des procédures pour abus
ne sera accordé que dans les «cas les plus manifestes», ce qui a été réitéré dans
l'arrêt R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979
, le juge Cory. Voir également R. c. Potvin,
[1993] 2 R.C.S. 880.
Je conclus, par conséquent, que, dans les affaires criminelles, les
tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire résiduel de remédier à un abus de la
procédure de la cour, mais uniquement dans les «cas les plus manifestes», ce qui,
- 21 -
à mon avis, signifie un comportement qui choque la conscience de la collectivité
et porte préjudice à l'administration régulière de la justice au point qu'il justifie une
intervention des tribunaux.
Pour conclure que la situation est «à ce point viciée» et qu'elle constitue
l'un des «cas les plus manifestes», tel que l'abus de procédure a été qualifié par la
jurisprudence, il doit y avoir une preuve accablante que les procédures examinées
sont injustes au point qu'elles sont contraires à l'intérêt de la justice. Comme je
l'expliquerai de façon plus détaillée dans mes motifs, le procureur général est un
représentant de l'exécutif et, à ce titre, il reflète, de par sa fonction de poursuivant,
l'intérêt de la collectivité à faire en sorte que justice soit adéquatement rendue. Le
rôle du procureur général à cet égard consiste non seulement à protéger le public,
mais également à honorer et à exprimer le sens de justice de la collectivité. Aussi,
les tribunaux devraient-ils être prudents avant de s'adonner à des conjectures
rétrospectivement sur les motifs qui poussent le poursuivant à prendre une
décision. Si la preuve démontre clairement l'existence de motifs illégitimes, de
mauvaise foi ou d'un acte si fautif qu'il viole la conscience de la collectivité à un
point tel qu'il serait vraiment injuste et indécent de continuer, alors, et alors
seulement, les tribunaux devraient intervenir pour empêcher un abus de procédure
susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Les cas de cette nature
seront toutefois extrêmement rares.
Si l'on applique ce critère aux faits de l'espèce, il est évident que rien
dans le comportement de la poursuite n'était de nature à atteindre le seuil élevé de
l'abus de procédure. Il n'y a pas la moindre preuve que le comportement du
substitut du procureur général ait été motivé par la mauvaise foi ou des motifs
- 22 -
illégitimes, ce qu'a reconnu le juge Cameron de la Cour d'appel. La poursuite n'a
pas tenté non plus de déjouer l'administration de la justice, ni même de contourner
les règles de droit criminel en matière d'appels interlocutoires, contrairement à ce
que le juge Marshall de la Cour d'appel laisse entendre. Je souscris à l'opinion du
juge Cameron, à la p. 290:
[TRADUCTION] Au cours de sa plaidoirie, l'avocat de l'intimé a fait
valoir que cet appel équivaut à un appel interlocutoire. Je n'accepte pas
son argument. Il ne s'agit pas d'une demande, préalable au verdict, qu'il
soit statué sur le bien-fondé d'une décision afin de permettre à une
partie de modifier en conséquence son argumentation. Si nous avions
maintenu la décision du juge du procès, le ministère public n'aurait
alors pu continuer le procès.
Le juge en chef Goodridge écrit pour sa part, à la p. 306:
[TRADUCTION] Si le pouvoir d'ordonner un nouveau procès est
discrétionnaire, sur quel fondement un nouveau procès doit-il être
refusé au ministère public lorsque l'appel contre l'acquittement est
accueilli? Logiquement, un nouveau procès ne pourrait être refusé que
si l'ordonner constituerait un abus de procédure.
Après avoir cité le juge Wilson dans R. c. Keyowski, précité, le juge en
chef Goodridge ajoute:
[TRADUCTION] En matière d'arrêt des procédures, la question est de
savoir si «forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de
justice fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la
décence qu'a la société». Si la cour a le pouvoir de refuser un nouveau
procès dans un cas comme celui-ci, le critère devrait être le même.
Puis, à la p. 307:
- 23 -
[TRADUCTION] L'intimé est mal venu de se plaindre à moins que la
décision du substitut du procureur général ne soit si manifestement
erronée qu'elle a pour conséquence de faire de ce qui serait alors un
verdict de culpabilité retardé un abus de procédure, et, comme il a été
mentionné précédemment, c'est là un argument qui doit être avancé au
procès et non pas en appel.
Je conviens avec le juge en chef Goodridge qu'aucun abus de procédure
n'a été démontré en l'espèce.
Même s'il était prouvé que le substitut du procureur général a pu agir
de façon précipitée ou faire preuve de peu de jugement en décidant de ne présenter
aucune autre preuve, cela n'établit pas une inconduite de nature à choquer le sens
de justice de la collectivité ou à justifier l'application de la doctrine de l'abus de
procédure.
En outre, l'affirmation du juge Sopinka qu'il s'agit en l'espèce d'un cas
limite et le test du caractère raisonnable qu'il applique ne font que confirmer que
le recours au principe de l'abus de procédure n'est pas disponible. En appliquant
ce principe en l'espèce, la Cour d'appel à la majorité a, à mon avis, commis une
erreur.
Cela étant dit, outre le principe de l'abus de procédure qui imprègne
l'ensemble du processus criminel, le par. 686(4) du Code criminel confère-t-il à une
cour d'appel un pouvoir discrétionnaire autre que celui d'accueillir ou de rejeter un
appel du ministère public lorsqu'elle conclut que le juge du procès a commis une
erreur justifiant une annulation? C'est la question que j'analyserai maintenant.
- 24 -
2. Le pouvoir discrétionnaire aux termes du par. 686(4) du Code criminel
Bien que mon collègue convienne avec le ministère public que le critère
établi dans l'arrêt Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277, puisse ne pas être
approprié dans le cas d'un appel du ministère public contre un verdict imposé
d'acquittement pour motif d'absence de preuve, il ajoute que l'arrêt Vézeau, précité,
ne prétendait pas définir exhaustivement le pouvoir discrétionnaire conféré par le
par. 686(4). À son avis, à la p. 646, «notre jurisprudence appuie l'existence d'un
pouvoir discrétionnaire limité détenu par la cour d'appel, dans l'exercice duquel
celle-ci peut refuser d'accueillir un appel dans certaines situations où le ministère
public a déraisonnablement discontinué la présentation de sa preuve, entraînant
ainsi un verdict imposé d'acquittement». Avec égards, je ne suis pas d'accord.
Mon collègue invoque les arrêts R. c. Banas and Haverkamp (1982), 65
C.C.C. (2d) 224 (C.A. Ont.), R. c. Voykin (1986), 29 C.C.C. (3d) 280 (C.A. Alb.),
et R. c. Bailey (1983), 4 C.C.C. (3d) 21 (C.A. Ont.). Comme le juge en chef
Goodridge le souligne, à la p. 304, toutes ces affaires [TRADUCTION] «semblent
avoir concerné des situations où un nouveau procès a été ordonné parce que l'appel
contre un acquittement a été accueilli pour le motif qu'une preuve déterminante
avait été jugée inadmissible». Dans l'arrêt Bailey, précité, qui prétendait suivre
l'arrêt Banas, les circonstances étaient telles qu'il ne semblait rien y avoir dans le
dossier de nature à indiquer que la preuve jugée inadmissible était déterminante.
Mon collègue le juge Sopinka a également invoqué l'arrêt R. c. Whittle (1992), 78
C.C.C. (3d) 49 (C.A. Ont.). Cette affaire étant en appel devant nous, je préfère ne
pas la commenter.
- 25 -
Cependant, si le comportement du ministère public dans ces affaires
avait justifié l'arrêt des procédures, comme le juge Martin semble l'inférer de façon
incidente dans l'arrêt Banas, précité, la cour aurait très bien pu conclure que ce
comportement constituait un abus de procédure. Il se peut fort bien qu'une cour
d'appel conclue à un abus de procédure lorsque le ministère public refuse, pour le
seul motif de loger un appel interlocutoire d'une décision défavorable, de continuer
un procès même s'il existe une preuve suffisante pouvant appuyer un verdict.
L'accusé n'aurait pas droit à ce genre d'appel dans une situation parallèle et il serait
forcé inutilement de subir un second procès. Dans un tel cas, il serait peut-être
possible d'établir que la conduite du ministère public constitue un exercice
inéquitable et abusif du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en matière de
poursuite.
À mon avis, aucune des affaires sur lesquelles se fonde mon collègue
le juge Sopinka ne permet de soutenir que le par. 686(4) confère à la cour d'appel
un pouvoir discrétionnaire restreint autre que le pouvoir discrétionnaire général des
tribunaux de contrôler leur procédure et d'en empêcher l'abus.
Par ailleurs, aucune considération de principe ne justifie une
interprétation aussi libérale du par. 686(4) du Code criminel. Mon collègue n'en
mentionne aucune, ni d'ailleurs les parties. Bien au contraire, une administration
efficace de la justice veut que les tribunaux s'abstiennent d'intervenir dans un
procès à l'intérieur d'un procès, de fonder leur conclusion sur de pures suppositions
et de conjecturer rétrospectivement sur les décisions de la poursuite.
- 26 -
En concluant que, aux termes du par. 686(4) du Code, un tribunal
d'appel peut se demander si le ministère public a agi de façon déraisonnable, mon
collègue invite les cours d'appel à envahir le domaine exclusif du ministère public,
à s'immiscer dans le pouvoir discrétionnaire de la poursuite et à encourager des
décisions fondées sur de pures suppositions quant à ce qui aurait pu se produire si
la poursuite avait choisi une voie différente. Cela, à mon avis, est non seulement
inadmissible et contraire à la primauté du droit, mais également contraire à l'intérêt
d'une bonne et efficace administration de la justice.
Pour ces motifs, je suis d'avis que le par. 686(4) du Code criminel ne
confère pas à une cour d'appel un pouvoir discrétionnaire, quelque restreint qu'il
puisse être, autre que le pouvoir général de contrôler sa procédure en cas d'abus.
J'examinerai maintenant la question du pouvoir discrétionnaire de la poursuite.
3. Le pouvoir discrétionnaire de la poursuite
Mon collègue lui-même à la p. 649, faisant allusion à la nature du
pouvoir discrétionnaire que confère, selon lui, le par. 686(4) du Code criminel,
rappelle que les tribunaux «ne doi[ven]t pas perdre de vue que le pouvoir en
question doit s'exercer avec mesure puisqu'il s'agit du contrôle du pouvoir
discrétionnaire de la poursuite». Cela indique, à tout le moins, les dangers
qu'entraîne l'intervention par les tribunaux. Il existe d'autres dangers, dont celui,
et non le moindre, qui concerne la possibilité de s'immiscer dans le partage des
pouvoirs établi dans notre constitution.
- 27 -
Contrairement à la constitution américaine, aucune théorie générale du
«partage des pouvoirs» n'est énoncée dans la Loi constitutionnelle de 1867.
Toutefois, comme le professeur Peter W. Hogg le signale dans Constitutional Law
of Canada (3e éd. 1992), aux pp. 184 et 185, un tel partage des pouvoirs existe en
fait. Pour sa part, le juge en chef Dickson a écrit pour la Cour dans l'arrêt Fraser
c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S.
455, aux pp. 469 et 470:
Il existe au Canada une séparation des pouvoirs entre les trois branches
du gouvernement -- le législatif, l'exécutif et le judiciaire. En termes
généraux, le rôle du judiciaire est, il va sans dire, d'interpréter et
d'appliquer la loi; le rôle du législatif est de prendre des décisions et
d'énoncer des politiques; le rôle de l'exécutif est d'administrer et
d'appliquer ces politiques. [Je souligne.]
(Voir également: Sobeys Stores Ltd. c. Yeomans et Labour Standards Tribunal (N.-
É.), [1989] 1 R.C.S. 238, Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56,
Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, Patrice
Garant, Droit administratif, vol. 2 (3e éd. 1991), et Gilles Pépin, «La compétence
des tribunaux administratifs de décider de la constitutionnalité d'une loi,
notamment de sa compatibilité avec la Charte canadienne des droits et libertés»,
dans l'Association du Barreau canadien -- Séminaire de formation juridique
permanente sur le droit administratif, Droit administratif: ce qu'il fut, ce qu'il est et
ce qu'il deviendra (Ottawa 1989).) Il est évident qu'en principe et en règle générale,
les tribunaux ne devraient pas s'immiscer dans le pouvoir discrétionnaire de la
poursuite. Cela paraît clairement aller de pair avec le respect du partage des
pouvoirs et de la primauté du droit. Aux termes de la théorie du partage des
pouvoirs, le droit criminel relève du pouvoir exécutif. C'est ce qu'explique Jean-
- 28 -
Claude Hébert dans «Le contrôle judiciaire de certains pouvoirs de la couronne»,
dans Droit pénal--Orientation nouvelles (1987), 129, aux pp. 136 et 137:
Au Canada, c'est le pouvoir exécutif qui assume la responsabilité
première en matière d'application du droit criminel. Tel est le rappel
que fit la Cour suprême à la majorité dans l'arrêt Skogman c. La Reine.
Cela tient au fait qu'il doit exister une autorité qui décide de
l'opportunité de mettre le processus judiciaire en marche et de la forme
que prendra la poursuite. Les décisions relatives au fonctionnement de
la justice pénale mettent en cause des considérations importantes
reliées à l'intérêt public. Dans cette perspective, les actions du
procureur général sont hybrides en ce sens qu'il existe un va-et-vient
perpétuel entre ses attributs juridiques et politiques. C'est pourquoi le
Procureur général doit répondre politiquement devant le Parlement de
la façon avec laquelle la couronne exerce ses pouvoirs. [Je souligne.]
Dans «Controlling Prosecutorial Powers -- Judicial Review, Abuse of
Process and Section 7 of The Charter» (1986-87), 29 Crim. L.Q. 15, aux pp. 20 et
21, Donna C. Morgan étudie les origines des pouvoirs de la poursuite:
[TRADUCTION] La plupart [des pouvoirs de la poursuite] tirent leur
origine [. . .] de la prérogative royale, que Dicey définit comme étant
le résidu du pouvoir discrétionnaire ou arbitraire dont la Couronne est
investie à tout moment. Les pouvoirs nés de la prérogative sont
essentiellement ceux qui sont accordés en common law à la Couronne
et qui ne sont pas partagés par ses sujets. Bien que les actes de
l'exécutif accomplis sous leur égide respectent la suprématie du droit,
ces pouvoirs sont assujettis à la suprématie du Parlement, puisqu'ils
peuvent être diminués ou abolis par une loi.
. . .
Néanmoins, d'autres pouvoirs dérivant directement de la prérogative
sont maintenant prévus au Code criminel. [. . .] D'autres [. . .] ont été
restreints ou autrement modifiés par le législateur. Enfin, un autre
groupe de pouvoirs de la poursuite [. . .] sont des créations de la loi.
Aux pages 18 et 19, elle ajoute, sur l'indépendance de la poursuite:
- 29 -
[TRADUCTION] Le statut supérieur de la charge du procureur
général ne vient pas sans attentes considérables quant à l'exercice de
ses fonctions. Investi d'une grande confiance constitutionnelle, il
assume la lourde tâche de se conduire avec dignité et équité. Dans bon
nombre de cas, il est décrit comme agissant soit judiciairement soit
quasi judiciairement. Lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire
«solennel» en matière de poursuites, il doit tenir compte non seulement
de la situation de l'individu, mais également de l'intérêt de la société.
Ce faisant, il se retrouve seul, agissant indépendamment des influences
politiques ou autres influences extérieures. Il ne doit ni recevoir des
ordres ni être restreint, sauf par son obligation ultime de rendre compte
au législateur. [Je souligne.]
Dans «Prosecutorial Discretion» (1987-88), 30 Crim. L.Q. 219, à la
p. 219, David Vanek explique le sens du pouvoir discrétionnaire de la poursuite:
[TRADUCTION] Le pouvoir discrétionnaire renvoie à la discrétion
exercée par le procureur général dans les affaires qui relèvent de sa
compétence relativement à la poursuite d'infractions criminelles. Le
procureur général est premier conseiller juridique de la Couronne, et
membre du Cabinet. Il assume la direction d'un ministère qui exerce
son autorité sur l'administration de la justice et sur la création, le
maintien et l'organisation des tribunaux, pouvoirs qui sont conférés aux
provinces par la constitution. [. . .] [L]e procureur général est le
poursuivant et donc, de fait, il est partie à toutes les instances
criminelles, sauf [. . .]. En pratique, il agit dans chaque affaire par
l'entremise de ses nombreux substituts et substituts adjoints, nommés
à titre de mandataires du procureur général pour intenter en son nom
des poursuites relativement à des infractions criminelles. [Je souligne.]
Dans «Prosecutorial Discretion: A Reply to David Vanek» (1987-88),
30 Crim. L.Q. 378, aux pp. 378 à 380, J. A. Ramsay précise le raisonnement qui
sous-tend la retenue dont les tribunaux font preuve à l'égard du pouvoir
discrétionnaire de la poursuite:
[TRADUCTION] En Ontario, les substituts du procureur général
répondent en dernier lieu au procureur général qui, lui, rend compte à
la législature. [. . .] Le ministère du Procureur général exerce une
surveillance serrée sur les poursuites dont il assume la responsabilité.
Les instances sont tenues en public, et tous sont libres de porter le
- 30 -
comportement d'un substitut à l'attention du procureur général. En
pratique, les substituts doivent être prêts à rendre compte de leurs actes
chaque fois qu'ils intentent des poursuites.
. . .
Il est fondamental, dans notre système de justice, que les instances
criminelles se déroulent en public, devant un tribunal indépendant et
impartial. S'il doit contrôler l'exercice par le poursuivant de son
pouvoir discrétionnaire, le tribunal devient un poursuivant superviseur.
Il cesse alors d'être un tribunal indépendant. [Je souligne.]
Il ressort clairement de la jurisprudence que les tribunaux ont été
extrêmement réticents à intervenir dans le pouvoir discrétionnaire de la poursuite.
Ils ont agi ainsi par principe, compte tenu du partage des pouvoirs, de l'efficacité
du système de justice criminelle et du fait que le pouvoir discrétionnaire de la
poursuite se prête particulièrement mal au contrôle judiciaire.
Dans l'arrêt Re Balderstone and The Queen (1983), 8 C.C.C. (3d) 532
(C.A. Man.) (autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême du Canada le
15 décembre 1983, [1983] 2 R.C.S. v), le juge en chef Monnin a écrit, à la p. 539:
[TRADUCTION] Le judiciaire et l'exécutif ne doivent pas se mêler.
Il s'agit de deux fonctions séparées et distinctes. Les agents
d'accusation déposent des dénonciations ou, dans certains cas, des actes
d'accusation. Les tribunaux entendent les affaires qui leur sont
déférées et statuent sur celles-ci quant au fond ou aux questions
préliminaires valables. Si un juge tente d'examiner les actions ou le
comportement du procureur général, -- sauf en cas de conduite
répréhensible flagrante -- il se peut qu'il outrepasse sa compétence et
empêche le procureur général ou ses représentants d'exercer leur
fonction administrative et accusatoire, ce qu'un juge ne doit pas faire.
[Je souligne.]
Dans l'arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387
, aux pp. 410 et 411, le juge
La Forest a écrit:
- 31 -
Le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la
justice criminelle. Un système qui tenterait d'éliminer tout pouvoir
discrétionnaire serait trop complexe et rigide pour fonctionner. Les
forces policières exercent nécessairement un pouvoir discrétionnaire
quand elles décident de porter des accusations, de procéder à une
arrestation et aux fouilles et perquisitions qui en découlent, tout comme
la poursuite quand elle décide de retirer une accusation, de demander
une suspension, de consentir à un ajournement, de procéder par voie
d'acte d'accusation plutôt que par voie de déclaration sommaire de
culpabilité, de former appel, etc.
Le Code criminel ne donne aucune directive sur l'exercice du
pouvoir discrétionnaire dans aucun de ces cas. L'application de la loi
et le fonctionnement de la justice criminelle n'en dépendent pas moins,
quotidiennement, de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
Cette Cour a déjà reconnu que le pouvoir discrétionnaire de la
poursuite ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale,
voir R. c. Lyons, précité, à la p. 348, voir aussi R. c. Jones, [1986] 2
R.C.S. 284, aux pp. 303 et 304. La Cour a néanmoins ajouté que si,
dans un cas particulier, il était établi qu'un pouvoir discrétionnaire était
exercé pour des motifs irréguliers ou arbitraires, il existerait un recours
en vertu de l'art. 24 de la Charte . . . [Je souligne.]
(Voir également: États-Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, R. c.
Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
, à la p. 348, R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, à la
p. 350, et Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S. 680, à la p. 686.)
Dans l'arrêt R. c. T. (V.), [1992] 1 R.C.S. 749, à la p. 761, notre Cour a
commenté les motifs qui justifient cette retenue envers le pouvoir discrétionnaire
de la poursuite:
Il est important de comprendre la raison de cette retenue judiciaire
envers le pouvoir discrétionnaire du poursuivant. À cet égard, les
motifs du vicomte Dilhorne dans l'arrêt Director of Public Prosecutions
c. Humphrys, [1976] 2 All E.R. 497 (H.L.), à la p. 511, sont instructifs:
[TRADUCTION] Un juge ne doit pas descendre dans l'arène. Il ne
doit avoir ni sembler avoir aucune responsabilité dans l'institution
d'une poursuite. Les rôles du ministère public et des juges doivent
être nettement délimités. Si un juge a le pouvoir de refuser
d'entendre une affaire parce qu'à son avis, elle n'aurait pas dû être
- 32 -
engagée, on en viendra vite à penser que les affaires dont il
autorise la poursuite sont entamées avec son consentement ou son
approbation. (Je souligne.)
Soulignons également les commentaires du juge Powell dans l'arrêt
Wayte c. United States, 470 U.S. 598 (1985). Bien que les faits soient
ici fondamentalement différents de ceux dont le tribunal américain était
saisi (poursuite sélective des contrevenants à une loi exigeant
l'enrôlement dans le cadre d'un programme de «Selective Service»), la
mise en garde qu'adresse le juge Powell, aux pp. 607 et 608, concernant
la compétence institutionnelle des tribunaux mérite d'être reprise:
[TRADUCTION] Ce large pouvoir discrétionnaire repose en grande
partie sur la reconnaissance que la décision d'instituer des
poursuites se prête particulièrement mal au contrôle judiciaire. Des
facteurs tels la valeur de la preuve, l'effet de dissuasion de la
poursuite, les priorités du gouvernement en matière d'application
de la loi et la place que tient l'affaire dans l'ensemble des mesures
prises à cet effet, ne peuvent faire aisément l'objet du genre
d'analyse relevant de la compétence des tribunaux. De plus, la
surveillance judiciaire dans ce domaine engendre des coûts
systémiques préoccupants. Examiner le fondement d'une poursuite
en retarde le cheminement, menace de paralyser l'application de la
loi en soumettant le processus et les motifs des décisions du
poursuivant à une enquête extérieure et risque d'en saper l'efficacité
en révélant la politique du gouvernement en matière d'application
de la loi. Ce sont toutes là des questions importantes qui
expliquent la réticence des tribunaux à soumettre à l'examen la
décision d'instituer une poursuite. [Je souligne, en plus du texte
souligné dans l'original: «Des facteurs [. . .] des tribunaux.»]
Puisqu'une myriade de facteurs peuvent influer sur la décision de la
poursuite de porter des accusations, d'intenter des poursuites, de négocier un
plaidoyer, d'interjeter appel, etc., les tribunaux ne sont pas en mesure de bien
évaluer ces décisions. (Voir: Steven Alan Reiss, «Prosecutorial Intent in
Constitutional Criminal Procedure» (1987), 135 U. Pa. L. Rev. 1365, à la p. 1373.)
Le contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire de la poursuite peut
également entraîner la divulgation par le ministère public de détails précis sur le
processus par lequel il décide de porter des accusations, d'intenter des poursuites
et de prendre d'autres mesures. Une telle procédure pourrait engendrer des masses
- 33 -
de documents à revoir et risquerait en fin de compte de révéler les préoccupations
et les stratégies confidentielles du ministère public. Par exemple, la nature
confidentielle du processus d'accusation sert à d'importantes fonctions
institutionnelles, dont les objectifs de réadaptation et celui de l'accroissement de
la dissuasion générale. Ce dernier ne peut se réaliser que si le public ignore quels
crimes feront l'objet d'une application soutenue de la loi. Le professeur Richard S.
Frase («The Decision to File Federal Criminal Charges: A Quantitative Study of
Prosecutorial Discretion» (1979-1980), 47 U. Chi. L. Rev. 246) énumère d'autres
facteurs qui militent contre le contrôle du pouvoir discrétionnaire de la poursuite,
à la p. 297:
[TRADUCTION] . . . (3) la publication [dans le cadre d'un contrôle
judiciaire, des directives ou politiques du ministère public]
entraînerait inévitablement un nombre accru de demandes de
contrôle judiciaire des politiques et décisions de la poursuite et un
tel contrôle paralyserait plus lourdement un système de justice
criminelle déjà surchargé, et (4) si les poursuivants savent que
leurs politiques seront rendues publiques, ils hésiteront à les
formuler ou à les modifier après leur formulation.
De fait, la confidentialité permet aux poursuivants de recourir à des politiques
d'application flexibles et diversifiées, alors que la divulgation ouvre la porte à des
politiques inflexibles et statiques, qui ne sont pas nécessairement souhaitables.
En outre, si le contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire de la
poursuite était permis, les tribunaux seraient également priés de considérer la
validité des différentes raisons avancées pour chaque décision, ce qui exigerait
l'analyse des politiques, des pratiques et de la procédure du procureur général. Le
tribunal devrait alors évaluer après coup la décision du ministère public dans bon
nombre d'affaires pour déterminer si les motifs avancés pour justifier l'exercice de
- 34 -
son jugement sont un subterfuge. Cette méthode de contrôle judiciaire est non
seulement inappropriée et théoriquement impraticable, mais, comme l'a fait
remarquer le juge Kozinski dans l'arrêt United States c. Redondo-Lemos, 955 F.2d
1296 (9th Cir. 1992), à la p. 1299:
[TRADUCTION] Avant de prendre une décision [de porter des
accusations, d'intenter des poursuites et de négocier des plaidoyers] le
poursuivant porte normalement un jugement professionnel prudent
quant à la valeur de la preuve, l'existence des ressources, la visibilité
du crime et l'effet dissuasif probable sur le défendeur et sur les
personnes qui sont dans une situation semblable. Même s'il était en
mesure de recueillir, de comprendre et de soupeser tous ces facteurs,
le tribunal trouverait presque impossible d'énoncer des lignes
directrices que les poursuivants devraient suivre dans les affaires
subséquentes. Les poursuivants ignoreraient alors quand instituer des
poursuites et les juges n'auraient pas le temps de juger. [Je souligne.]
Une telle situation rendrait tout à fait inefficace l'administration de la justice. En
outre, le ministère public ne peut fonctionner à titre de poursuivant devant le
tribunal tout en étant également assujetti à sa surveillance générale. Pour sa part,
le tribunal ne peut à la fois superviser l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la
poursuite et agir à titre d'arbitre impartial de l'affaire qui lui est soumise. Le
contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire de la poursuite, qui permettrait aux
tribunaux de considérer si oui ou non le pouvoir discrétionnaire du ministère public
a été correctement exercé, détruirait le système de justice même qu'il est censé
protéger (United States c. Redondo-Lemos, précité, à la p. 1300).
Dans l'arrêt Director of Public Prosecutions c. Humphrys, précité, à la
p. 511, le vicomte Dilhorne avance une raison supplémentaire pour laquelle
l'examen judiciaire du pouvoir discrétionnaire de la poursuite n'est pas souhaitable:
- 35 -
[TRADUCTION] Un juge ne doit pas descendre dans l'arène. Il ne
doit avoir ni sembler avoir aucune responsabilité dans l'institution d'une
poursuite. Les rôles du ministère public et des juges doivent être
nettement délimités. Si un juge a le pouvoir de refuser d'entendre une
affaire parce qu'à son avis, elle n'aurait pas dû être engagée, on en
viendra vite à penser que les affaires dont il autorise la poursuite sont
entamées avec son consentement ou son approbation. [Je souligne.]
Notre système n'autorise pas le juge à dicter au ministère public les crimes pour
lesquels une poursuite doit être intentée et le moment de le faire. Ainsi, dans l'arrêt
United States c. Giannattasio, 979 F.2d 98 (7th Cir. 1992), le juge du procès avait
initialement ordonné au ministère public de ne poursuivre que sur cinq chefs
d'accusation puisqu'il ne disposait que d'une semaine pour entendre l'affaire. De
l'avis du juge du procès, le gouvernement retirerait le même bénéfice de cinq
déclarations de culpabilité qu'il en retirerait de quinze. Au moment du procès, le
poursuivant a refusé de procéder sur le fondement de cinq chefs et le juge du
procès a rejeté l'acte d'accusation au complet. Se prononçant au nom de la Cour
d'appel, le juge Posner a infirmé l'ordonnance de rejet et dit, à la p. 100:
[TRADUCTION] Si le Dr Giannattasio a commis quinze fraudes contre le
régime d'assurance-maladie, un juge ne peut ordonner au département
de la Justice de le poursuivre relativement à cinq chefs d'accusation
seulement ou relativement à cinq chefs aujourd'hui, et relativement
aux autres chefs plus tard, si nécessaire. Bien sûr, il existe des
contrôles judiciairement applicables du pouvoir discrétionnaire de
porter des accusations. Mais ils visent à protéger les défendeurs, et non
les juges. [Je souligne.]
Je conviens avec Sidney I. Lezak et Maureen Leonard («The
Prosecutor's Discretion: Out of the Closet -- Not Out of Control» (1984), 63 Or.
L. Rev. 247, à la p. 251), que:
- 36 -
[TRADUCTION] Cinquièmement, les considérations en matière
d'application de la loi viennent appuyer le maintien d'un pouvoir
discrétionnaire de la poursuite. La nécessité d'obtenir des informations
sur d'autres crimes ou d'autres criminels et la difficulté de faire la
preuve du crime au procès jouent fréquemment un rôle dans les
décisions d'accorder l'immunité ou de réduire les accusations.
Sixièmement, bien que la pression de l'opinion publique soit un
facteur «déroutant» difficile à évaluer, les reportages énergiques ou la
surveillance exercée sur certaines instances criminelles par des groupes
d'intérêt particuliers influent sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire.
Par conséquent, l'opinion publique assume un rôle de plus en plus
important dans la matrice décisionnelle du poursuivant. Le
changement intervenu dans les politiques en matière de poursuites
lorsqu'il est devenu de plus en plus impopulaire de déclarer coupables
des réfractaires et protestataires de la guerre du Vietnam en constitue
un exemple intéressant. [Je souligne.]
(Voir également: Ian Temby, c.r., «Prosecution Discretions and the Director of
Public Prosecutions Act 1983» (1985), 59 Austl. L.J. 197, aux pp. 197, 199, 200 et
202.)
L'invitation lancée par mon collègue à la cour d'appel d'intervenir dans
le pouvoir discrétionnaire de la poursuite, en l'absence d'un abus de procédure, va
à l'encontre de la doctrine et de la jurisprudence. Elle comporte également les
dangers que j'ai mentionnés précédemment. À mon sens, il n'est ni utile ni justifié
d'interpréter le par. 686(4) du Code criminel d'une manière qui élargisse ainsi le
pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Comme le juge en chef Goodridge l'a
souligné, le libellé du par. 686(4) du Code criminel ne justifie pas une telle
interprétation, particulièrement si l'on tient compte de la décision de notre Cour
dans l'arrêt Welch c. The King, [1950] R.C.S. 412. En outre, les principes et les
politiques appellent le contraire, et la jurisprudence ne favorise pas cette
interprétation.
- 37 -
Pour ces motifs, je conclus que les cours d'appel ne possèdent aucun
pouvoir discrétionnaire résiduel aux termes du par. 686(4).
Si j'avais convenu avec mon collègue que ce pouvoir discrétionnaire
existe, j'aurais tout de même conclu, pour les motifs qui suivent, que la Cour
d'appel aurait dû ordonner un nouveau procès plutôt que de consigner un verdict
d'acquittement.
La seule preuve que la Cour d'appel pouvait évaluer, et qu'elle a
effectivement évaluée, était celle produite lors du voir-dire et de l'enquête
préliminaire.
D'une part, il est évident que la preuve produite lors d'un voir-dire pour
établir l'admissibilité d'une preuve pertinente quant aux questions soulevées dans
l'affaire ne va pas à la détermination de l'innocence ou de la culpabilité de l'accusé.
Cette preuve porte sur des faits qui n'ont rien à voir avec la perpétration de
l'infraction; p. ex. les moyens par lesquels la preuve en question a été obtenue.
D'autre part, relativement à l'enquête préliminaire, le commentaire du
juge de Grandpré dans l'arrêt Caccamo c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 786, aux
pp. 809 et 810, que «l'enquête préliminaire vise uniquement à satisfaire le
magistrat qu'il existe suffisamment de preuve pour faire subir à l'accusé un procès
et que, par conséquent, le ministère public a la faculté de n'y présenter que ce qui
constitue une preuve suffisante à première vue», est opportun. De plus, comme le
juge Judson l'a souligné dans l'arrêt Patterson c. La Reine, [1970] R.C.S. 409, à la
p. 412:
- 38 -
Le Code criminel définit clairement le but de l'enquête préliminaire qui
est d'établir s'il y a une preuve suffisante pour renvoyer le prévenu à
son procès. L'enquête n'est pas un procès et il ne faut pas permettre
qu'elle en devienne un. Il ne s'agit pas ici de la faculté qu'a le juge du
procès d'exiger la production de pièces au cours du procès, ni de la
mesure où la poursuite, par loyauté envers le prévenu, doit la faire entre
l'enquête préliminaire et le procès.
Il serait également bon de souligner que la preuve produite lors de l'enquête
préliminaire est incomplète. De fait, bon nombre de témoins qui sont appelés à
témoigner au procès ne seront pas appelés à l'enquête préliminaire, et vice versa.
À mon avis donc, la preuve produite lors de l'enquête préliminaire ne reflète pas
fidèlement l'ensemble de la preuve qui sera présentée au procès sur le fond, ni
n'indique-t-elle suffisamment la valeur de la preuve qui y sera alors produite.
Comme tel, il est très spéculatif de faire des conjectures sur le résultat
du verdict au procès en se fondant sur la preuve présentée lors de l'enquête
préliminaire et du voir-dire. Conclure autrement forcerait le ministère public à
présenter l'ensemble de sa preuve à l'enquête préliminaire afin que, si une preuve
est écartée au procès et qu'il décide ensuite de n'en présenter aucune autre, il n'en
subisse aucun préjudice. La Cour d'appel aurait alors accès à presque toute la
preuve qui aurait été présentée au jury au procès et serait donc en mesure d'évaluer
l'ensemble de la preuve. L'application d'une telle règle entraînerait toutefois une
perte inutile de ressources et de temps puisque les affaires où le ministère public
décidera de ne présenter aucune autre preuve et d'interjeter appel en raison de
l'exclusion d'une preuve sont rares et comportent toujours le risque que l'appel soit
rejeté. Spéculer sur le verdict ne peut servir de fondement au contrôle de l'exercice
du pouvoir discrétionnaire de la poursuite s'il n'y a pas abus de procédure.
- 39 -
Enfin, je suis également d'avis que la Cour d'appel aurait dû ordonner
un nouveau procès pour le motif que la preuve écartée était d'une importance
capitale pour le ministère public. Comme l'a fait valoir le substitut du procureur
général dans son mémoire:
[TRADUCTION] En plus des résultats de l'analyse de l'haleine de l'intimé,
il y avait une preuve que l'intimé avait consommé de l'alcool.
Toutefois, cette preuve n'était pas aussi convaincante, incriminante ou
importante que la preuve écartée à tort. Elle constituait peut-être une
preuve suffisante à première vue, mais elle ne permettait pas au
ministère public d'obtenir une déclaration de culpabilité relativement
à ces accusations.
Il a ajouté:
[TRADUCTION] L'autre preuve de facultés affaiblies dans la présente
affaire consistait presque entièrement dans les observations des
policiers. Leur témoignage en l'espèce, s'il est admissible, n'a guère
plus de poids que celui d'autres témoins qui ont affirmé que la capacité
de conduire de l'intimé n'était pas affaiblie. Le témoignage de
M. Jeffrey Porter revêt une importance particulière. Monsieur Porter,
qui prenait place dans le véhicule avant et pendant l'accident, a
témoigné que l'intimé semblait être en état de conduire. [. . .] Bien que
les policiers puissent commenter sur le degré d'intoxication de l'intimé,
ils ne pouvaient pas commenter sur la question de savoir si sa capacité
de conduire était affaiblie. Or, il s'agit d'un élément déterminant dans
le genre d'accusations portées en l'espèce, ce qui démontre pourquoi le
témoignage de Mme Dittmar était si important pour que le ministère
public puisse faire la preuve des accusations contenues dans l'acte
d'accusation. [Caractères gras dans l'original.]
Comme mon collègue le juge Sopinka l'a dit, à la p. 650, dans les affaires de
conduites avec facultés affaiblies causant la mort ou des blessures corporelles:
. . . l'appelante doit établir: (i) que l'intimé conduisait le véhicule en
question; (ii) que sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool;
(iii) que cet affaiblissement a causé le décès et les lésions corporelles
en question. [Je souligne.]
- 40 -
Manifestement, la première condition serait remplie puisqu'il y avait une preuve
volumineuse que l'intimé conduisait le véhicule en question. Toutefois, pour
satisfaire aux deux conditions suivantes, l'appelante aurait dû établir que la
capacité de conduire de l'intimé était affaiblie par l'alcool. Il était donc capital que
le ministère public puisse présenter sa preuve sur cette question, particulièrement
puisque la preuve à être produite au procès sur la question paraissait contradictoire.
Trois amis de l'intimé, Porter, Aylward et McGrath, ont témoigné à
l'enquête préliminaire que l'intimé avait consommé entre six et huit bières dans une
période d'environ trois à quatre heures, jusqu'à approximativement une heure et
demie avant de conduire. Les policiers Stanley et Tilley ont tous deux témoigné
que l'intimé montrait des signes physiques de facultés affaiblies: il avait les yeux
injectés de sang et larmoyants, il dégageait une forte odeur d'alcool, il articulait
mal et titubait. Toutefois, l'avocat de la défense a laissé entendre lors du voir-dire
que c'est l'accident lui-même qui aurait provoqué l'état de choc de l'intimé. Nous
pouvons en déduire que l'avocat de la défense tentait d'expliquer les
caractéristiques physiques décrites par les policiers par une cause autre que la
consommation d'alcool. En d'autres termes, on pourrait argumenter que le choc de
l'accident et le fait de savoir que l'un de ses amis était décédé a provoqué la plupart
des symptômes de l'intimé.
Les deux policiers ont témoigné qu'ils avaient conclu que l'intimé était
sous l'influence de l'alcool. L'agent Jackman estimait que les facultés de l'intimé
étaient affaiblies alors que l'agent Tilley ne pouvait affirmer avec certitude que
l'alcool avait affecté le jugement de l'intimé. Si l'on compare l'explication qu'a
donnée la défense du comportement de l'intimé, les observations des policiers
- 41 -
indiquaient qu'il pourrait y avoir une preuve contradictoire au procès sur la
question des facultés affaiblies. Par conséquent, il était nécessaire pour le
ministère public de présenter la preuve obtenue au moyen de l'alcootest
conjointement avec le témoignage d'expert sur sa signification afin d'évaluer si les
facultés de l'intimé étaient affaiblies. Il s'agissait là manifestement de la preuve
la meilleure et la plus convaincante, sans même présumer que l'autre preuve
n'aurait pas été contredite. De toute évidence, elle aurait été contestée.
Elizabeth Dittmar, l'experte reconnue en matière d'absorption d'alcool
dans le sang et de son élimination, a exposé son opinion à l'enquête préliminaire
relativement au degré d'affaiblissement et à l'effet de cet affaiblissement. Son
opinion n'était pas fondée sur le résultat de l'alcootest. Elle l'a exprimée en
réponse à la question hypothétique fondée sur la quantité d'alcool consommée par
l'intimé, la durée, la description physique donnée par les policiers, et la taille de
l'intimé. Toutefois, il ressort clairement que, sans alcootest, le témoignage qu'elle
pouvait donner était faible. Ainsi, Dittmar ne pouvait qu'estimer que le taux
d'alcoolémie de l'intimé se situait entre 35 et 120 mg par 100 ml de sang au
moment de l'accident. Cependant, elle a affirmé pouvoir conclure avec certitude
que, lorsque le taux d'alcool atteint 100 mg par 100 ml, les facultés d'une personne
sont affaiblies. En conséquence, puisqu'il n'y avait aucun moyen de savoir si le
taux d'alcoolémie de l'intimé se situait sous de la barre des 100 mg par 100 ml ou
au-dessus, le tribunal ne pouvait rendre aucune décision concluante sur sa capacité
de conduire s'il ne tenait compte que de la preuve de la consommation d'alcool
n'ayant pas été obtenue au moyen de l'alcootest.
- 42 -
En outre, ce témoignage était loin d'être convaincant en l'espèce puisque
la preuve obtenue au moyen de l'alcootest indiquait un taux d'alcoolémie de
170 mg par 100 ml une heure et demie après l'accident. Cela implique, selon
l'experte Dittmar, qu'au moment de l'accident, le taux d'alcoolémie de l'intimé se
situait entre 185 et 210 mg par 100 ml de sang. Ainsi, il appert que cette preuve
aurait permis de rendre une décision concluante quant à l'affaiblissement des
facultés de l'intimé et l'influence de cet affaiblissement sur sa capacité de conduire
puisqu'elle démontrait clairement que son taux d'alcoolémie était supérieur à
100 mg par 100 ml.
De ce qui précède, on peut conclure que, si le ministère public avait
présenté d'autre preuve au procès, après que le juge du procès eut jugé inadmissible
la preuve obtenue au moyen de l'alcootest, la force du témoignage de l'expert aurait
été considérablement amoindrie et n'aurait pas nécessairement aidé le ministère
public à établir que la capacité de conduire de l'intimé était effectivement affaiblie.
Il est fort probable que le ministère public aurait été incapable de prouver ses
prétentions hors de tout doute raisonnable. La preuve obtenue au moyen de
l'alcootest était d'une importance capitale pour le ministère public en ce qu'elle lui
aurait permis de présenter un témoignage d'expert qui aurait démontré sans aucun
doute que la capacité de conduire de l'intimé était affaiblie. Il s'agit là d'un élément
déterminant dans les affaires de conduite avec facultés affaiblies causant la mort
ou des lésions corporelles. Dans l'affaire qui nous occupe, cette preuve ne pouvait,
de façon réaliste, être présentée d'une façon aussi convaincante par d'autres
moyens.
- 43 -
Par ailleurs, elle était de la plus haute importance puisqu'il semble que
l'intimé avançait d'autres causes de l'accident, soit la chaussée mouillée et glissante
et l'état de l'automobile. De fait, l'agent Harnum a témoigné qu'au moment de
l'accident, [TRADUCTION] «la chaussée était mouillée». Monsieur Porter, un
passager, a témoigné que la route était glissante et que, peu avant l'accident,
l'arrière de l'automobile avait commencé à déraper. Le mécanicien qui a examiné
le véhicule après l'accident a témoigné qu'un des pneus était lisse et que le frein
avant gauche était usé au point qu'il n'y restait plus de garniture. Lorsque l'avocat
de l'intimé a indiqué au mécanicien que l'accident aurait pu être causé par un pneu
crevé, il a répondu qu'il n'avait pas vérifié cet élément et qu'il ne pouvait prétendre
le contraire. Il appert donc que, sans la preuve obtenue au moyen de l'alcootest,
le ministère public n'était pas en mesure de démontrer que la capacité de conduire
de l'intimé était affaiblie par l'alcool et que cet affaiblissement a causé le décès et
les lésions corporelles en question. Par conséquent, je suis d'avis que cette preuve
était d'une importance capitale pour le ministère public.
Je conclus donc que, même si j'avais partagé l'opinion de mon collègue,
ce qui n'est pas le cas, que le par. 686(4) du Code criminel confère un pouvoir
discrétionnaire résiduel à une cour d'appel, je conclurais que rien dans les faits de
la présente affaire n'indique que le ministère public a pris une décision
déraisonnable qui justifie l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
Je fonde toutefois mes motifs sur le fait qu'une cour d'appel n'a pas le
pouvoir discrétionnaire, aux termes du par. 686(4) du Code criminel, en l'absence
d'un abus de procédure, de refuser d'accueillir un appel lorsqu'elle conclut que le
juge du procès a commis une erreur de droit justifiant une annulation.
- 44 -
En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer le
jugement de la Cour d'appel et d'ordonner un nouveau procès.
Version française des motifs des juges Sopinka, Cory et Major rendus
par
LE JUGE SOPINKA (dissident) -- Le présent pourvoi porte sur la question
de savoir si une cour d'appel peut, en dépit d'une erreur commise au procès,
s'autoriser du par. 686(4) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, pour rejeter
un appel au motif que le poursuivant, exerçant d'une manière déraisonnable son
pouvoir discrétionnaire, s'est délibérément abstenu de produire des éléments de
preuve dont il disposait, ce qui a entraîné un verdict imposé d'acquittement. Je suis
d'avis de rejeter le pourvoi pour le motif que la cour d'appel jouit d'un pouvoir
discrétionnaire limité de rejeter un appel dans de telles circonstances et qu'il
convenait en l'espèce d'exercer ce pouvoir.
Les faits
Le 20 avril 1989, l'intimé a été impliqué dans un accident de voiture.
Plusieurs passagers prenaient place dans la voiture qu'il conduisait. L'un d'eux est
mort par suite de l'accident; deux autres ont subi des blessures, graves dans un cas.
L'intimé a été accusé de conduite avec facultés affaiblies causant la mort (un chef)
et de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles (deux chefs).
Son procès a eu lieu devant le juge Aylward de la Section de première instance de
la Cour suprême de Terre-Neuve et un jury.
D'après la preuve, l'agent Stanley, qui est arrivé le premier sur les lieux
de l'accident, a donné à l'intimé une mise en garde, l'a informé de ses droits aux
termes de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés et lui a demandé un
échantillon d'haleine. Stanley avait appris d'autres personnes sur les lieux que
l'intimé était au volant du véhicule et il a constaté qu'il sentait l'alcool et qu'il
titubait. Stanley a emmené l'intimé au poste de police, où il l'a remis à la garde de
l'agent Tilley, qui lui a demandé s'il comprenait qu'il avait le droit de communiquer
avec un avocat, ce qu'il l'a aidé à faire. En fait, un annuaire téléphonique a été mis
à la disposition de l'intimé et Tilley a appelé plusieurs avocats avant de tomber sur
un qui était disponible. Tilley a alors fait savoir à l'avocat que la police avait
appris le décès de l'un des passagers. Il a ensuite passé le combiné à l'intimé pour
qu'il puisse s'entretenir en privé avec son avocat. Avant sa conversation avec
l'avocat, l'intimé a entendu les policiers dire que l'un des passagers était mort et on
l'a informé que l'état des deux autres était grave.
Après avoir consulté son avocat, l'intimé a refusé de fournir à la police
un échantillon de son haleine. Il s'est toutefois ravisé dès qu'on l'eut averti qu'une
accusation de défaut d'obtempérer à l'ordre de fournir un échantillon d'haleine
serait portée contre lui. Son avocat a téléphoné au poste de police après que le
premier échantillon eut été prélevé et il a de nouveau parlé avec l'intimé. Par la
suite, un second échantillon a été prélevé. Dans les deux cas, l'alcoolémie était de
170 mg d'alcool par 100 ml de sang.
L'intimé a dit qu'il savait qu'un de ses amis était mort et deux autres
grièvement blessés; il a dit également qu'en lui donnant l'ordre de fournir un
échantillon d'haleine, on lui avait indiqué que s'il échouait à l'alcootest il serait
- 46 -
accusé de conduite avec facultés affaiblies et que le refus de s'y soumettre pourrait
donner lieu a une accusation de refus d'obtempérer à l'ordre. Au procès, l'avocat
de l'intimé, faisant valoir que la police avait violé les al. 10a) et b) de la Charte,
s'est opposé à ce que les résultats des alcootests soient admis en preuve.
Au terme d'un voir-dire portant sur l'admissibilité des échantillons
d'haleine et des déclarations faites par l'intimé au poste de police, le juge Aylward
a conclu qu'il y avait lieu d'écarter ces éléments de preuve en vertu du par. 24(2)
de la Charte parce qu'il y avait eu atteinte aux droits que l'art. 10 de la Charte
garantit à l'intimé. Le substitut du procureur général a demandé un ajournement
et, au bout de 30 minutes, est revenu informer la cour qu'il n'entendait pas
présenter d'autre preuve. Étant donné que, antérieurement au voir-dire, le
ministère public n'avait produit qu'un seul témoin, soit un policier qui avait pris des
photographies des lieux de l'accident après le fait, le juge du procès a ordonné au
jury de rendre un verdict d'acquittement. Le 29 janvier 1991, l'intimé a donc été
acquitté.
L'appelante, faisant valoir que l'analyse des échantillons d'haleine aurait
dû être admise en preuve, a interjeté appel devant la Cour d'appel de Terre-Neuve.
Le 6 avril 1993, la Cour d'appel a rejeté cet appel contre l'acquittement. Les juges
majoritaires ont conclu que le juge du procès avait commis une erreur en écartant
des éléments de preuve incontestablement importants, mais qu'il y avait lieu de
rejeter l'appel parce qu'il n'était pas nécessaire, puisque le ministère public aurait
pu présenter d'autres preuves substantielles lors du procès, mais a choisi de ne pas
le faire. Le juge en chef Goodridge, dissident, a dit que le par. 686(4) du Code
- 47 -
criminel créait une obligation, de sorte que la cour était tenue d'ordonner un
nouveau procès si elle décidait que l'appel devait être accueilli.
Les juridictions inférieures
La Cour suprême de Terre-Neuve (le juge Aylward, statuant dans le cadre du
voir-dire)
Le juge Aylward a conclu que les droits dont jouissait l'intimé aux
termes de l'art. 10 avaient été violés du fait qu'on ne lui avait pas fait connaître,
avant qu'il ne consulte son avocat, toute l'ampleur du risque auquel il s'exposait.
Il a conclu ensuite que, suivant le par. 24(2) de la Charte, les résultats de l'analyse
des échantillons d'haleine devaient être écartés puisque la violation de la Charte
était grave et que l'utilisation de la preuve en question était susceptible de
déconsidérer l'administration de la justice. Comme le ministère public a choisi de
ne pas présenter d'autre preuve, le juge Aylward a ordonné au jury de rendre un
verdict d'acquittement et l'intimé a effectivement été acquitté.
La Cour d'appel (1993), 105 Nfld. & P.E.I.R. 271
Le juge Marshall
S'appuyant sur notre arrêt R. c. Smith, [1991] 1 R.C.S. 714, le juge
Marshall a conclu qu'aucune atteinte n'avait été portée aux droits conférés à
l'intimé par les al. 10a) et b) parce que, même si on ne lui avait pas précisé les
accusations auxquelles il aurait à répondre, il connaissait l'objet de l'alcootest et les
- 48 -
circonstances dans lesquelles il a été administré. Cela étant, selon le juge
Marshall, la preuve obtenue au moyen de l'alcootest n'aurait pas dû être écartée.
En examinant s'il y avait lieu d'accueillir l'appel, le juge Marshall a fait
remarquer que l'appelante avait choisi, à la suite de la décision rendue lors du
voir-dire, de ne produire aucune autre preuve, même s'il existait, outre les
échantillons d'haleine, d'autres éléments de preuve substantiels relatifs aux facultés
affaiblies de l'intimé. Dans ces circonstances, il a conclu que l'appelante avait en
fait formé un appel interlocutoire contre la décision défavorable concernant la
preuve. Étant donné que l'accusé ne peut interjeter pareil appel dans le cadre d'un
procès criminel, il a conclu que ce serait porter injustement préjudice à l'intimé que
d'accueillir l'appel de l'appelante et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
Invoquant le pouvoir qu'ont les cours d'appel d'arrêter les procédures
abusives et s'appuyant sur les arrêts R. c. Banas and Haverkamp (1982), 65 C.C.C.
(2d) 224 (C.A. Ont.), et R. c. Voykin (1986), 29 C.C.C. (3d) 280 (C.A. Alb.), le juge
Marshall a décidé que l'appel devait être rejeté. En décidant ainsi, il a tiré les
conclusions suivantes, aux pp. 280 et 281:
[TRADUCTION] . . . la preuve supplémentaire paraît avoir été assez
convaincante et assez substantielle, si le jury la retenait, pour fonder
une déclaration de culpabilité, sans qu'on ait besoin de la preuve
obtenue au moyen de l'alcootest. Par conséquent, on n'aurait pas pu
juger inutile pour [l'appelante] de continuer le procès après que les
résultats de l'alcootest eurent été déclarés inadmissibles. Vu ces
circonstances, on ne saurait considérer le présent appel comme étant
essentiellement et de par sa nature autre chose qu'une requête
interlocutoire par laquelle [l'appelante] cherche à obtenir l'utilisation
d'une preuve écartée. On peut soutenir que la preuve obtenue au
moyen de l'alcootest était importante, mais elle n'était pas la seule
preuve substantielle dont disposait [l'appelante].
- 49 -
Motifs concordants du juge Cameron
Le juge Cameron a conclu, elle aussi, que l'art. 10 de la Charte n'avait
pas été violé et que, par conséquent, la preuve obtenue grâce à l'alcootest n'aurait
pas dû être écartée. Bien que ne souscrivant pas à la conclusion au caractère
interlocutoire de l'appel parce qu'il ne s'agissait pas (à la p. 290) [TRADUCTION]
«d'une demande, préalable au verdict, qu'il soit statué sur le bien-fondé d'une
décision afin de permettre à une partie de modifier en conséquence son
argumentation», elle a convenu qu'il y avait lieu de rejeter l'appel.
Selon le juge Cameron, comme l'appelante s'était acquittée de
l'obligation de démontrer que le verdict n'aurait pas nécessairement été identique
si le juge du procès n'avait pas commis l'erreur, la Cour d'appel était tenue aux
termes du par. 686(4) d'ordonner un nouveau procès, à moins que ne puisse être
établi un abus de procédure. S'appuyant sur nos arrêts R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S.
903, et R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, ainsi que sur les arrêts Banas, précité, R.
c. Bailey (1983), 4 C.C.C. (3d) 21 (C.A. Ont.), et Voykin, précité, elle a conclu que,
même si aucun préjudice pour l'intimé n'avait été démontré, le préjudice pouvait
s'inférer de la longueur du délai, et que, compte tenu des autres preuves
substantielles dont disposait l'appelante, l'appel était inutile. Elle a jugé en
conséquence qu'il ne convenait pas d'ordonner la tenue d'un nouveau procès parce
que les éléments de preuve écartés n'étaient pas essentiels à l'argumentation du
ministère public, et elle a conclut, à la p. 292:
[TRADUCTION] . . . il y avait d'autres éléments de preuve concernant la
quantité d'alcool consommé par l'intimé le jour de l'accident ainsi que
les constatations, notamment de policiers, relatives au comportement
- 50 -
de l'intimé immédiatement après l'accident. Quoique je ne puisse dire
quel verdict aurait été rendu si ces éléments de preuve avaient été
soumis au jury, je suis convaincue qu'indépendamment de la preuve
écartée par le juge du procès, il y avait une preuve suffisante à
présenter au jury. Chose certaine, [l'appelante] ne saurait alléguer qu'il
était inutile de continuer. Selon moi, ce serait vraiment oppressif de
permettre que se poursuive un appel qui n'aurait peut-être pas été
nécessaire, et une telle conduite de la part de [l'appelante] suffit à elle
seule pour qu'il y ait abus de procédure. Pour ce motif, même si je
conviens que le juge du procès a eu tort d'exclure la preuve obtenue au
moyen de l'alcootest, je suis d'avis de rejeter l'appel.
Le juge en chef Goodridge, dissident
Le juge en chef Goodridge a conclu également qu'il n'y avait eu aucune
violation des droits que la Charte garantit à l'intimé et que c'est donc à tort que le
juge du procès a écarté la preuve recueillie au moyen de l'alcootest. Il a jugé en
conséquence que l'appel devait être accueilli. Étant arrivé à cette conclusion, il
s'est demandé ensuite s'il y avait lieu d'ordonner la tenue d'un nouveau procès en
vertu du par. 686(4).
Le juge en chef Goodridge a dit qu'il ne s'agissait pas d'un appel
interlocutoire, mais bien d'un appel d'un acquittement. Aux termes du par. 686(4),
a-t-il souligné à la p. 305, lorsqu'elle est saisie d'un appel d'un acquittement,
[TRADUCTION] «la cour d'appel doit soit rejeter l'appel, soit l'accueillir et écarter le
verdict, auquel cas elle doit ordonner un nouveau procès ou, à moins que le verdict
contesté n'ait été rendu par un jury, consigner le verdict qui aurait dû être consigné
au procès».
Le juge en chef Goodridge a ajouté à la p. 306 que le refus d'un
nouveau procès ne peut se justifier que [TRADUCTION] «si ce serait un abus de
- 51 -
procédure que d'en ordonner la tenue». Se référant à notre arrêt R. c. Keyowski,
[1988] 1 R.C.S. 657
, et à l'arrêt Banas, précité, il a conclu, aux pp. 306 et 307:
[TRADUCTION] Je doute qu'il soit convenable qu'une cour d'appel
[. . .] décide qu'un nouveau procès constituerait un abus de procédure.
Elle doit ordonner la tenue d'un nouveau procès si l'appel de
l'acquittement est accueilli [. . .]. C'est au premier palier que doit être
tranchée d'abord la question de l'abus de procédure. Il n'appartient pas
à la cour d'appel de statuer en première instance sur une question de
droit dans un cas où certains faits se rapportant à cette question n'ont
peut-être pas été déterminés. . . .
L'unique préjudice pour l'intimé vient de ce que, si le premier
procès avait suivi son cours et qu'un verdict de culpabilité avait été
rendu, son sort aurait été décidé à ce moment-là. Ce verdict, si
effectivement il doit être rendu, est maintenant retardé. Le retard
résulte du fait que l'intimé a soulevé un point de droit qui a finalement
été rejeté. [. . .] La décision du juge du procès a obligé l'avocat [de
l'appelante] à exercer son pouvoir discrétionnaire en décidant s'il fallait
continuer la poursuite. L'intimé est mal venu de se plaindre, à moins
que la décision de [l'avocat de l'appelante] ne soit si manifestement
erronée qu'elle a pour conséquence de faire de ce qui serait alors un
verdict de culpabilité retardé un abus de procédure, et [. . .] c'est là un
argument qui doit être avancé au procès et non pas en appel.
La question en litige
Le paragraphe 686(4) du Code criminel confère-t-il à la cour d'appel un
pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser d'ordonner la tenue d'un nouveau procès
dans un cas où a été commise au procès une erreur pouvant raisonnablement être
considérée comme influant sur le verdict?
- 52 -
Disposition législative
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, par. 686(4):
686. . . .
(4) Lorsqu'un appel est interjeté d'un acquittement, la cour d'appel
peut:
a) rejeter l'appel;
b) admettre l'appel, écarter le verdict et, selon le cas:
(i) ordonner un nouveau procès,
(ii) sauf dans le cas d'un verdict rendu par un tribunal composé
d'un juge et d'un jury, consigner un verdict de culpabilité à
l'égard de l'infraction dont, à son avis, l'accusé aurait dû être
déclaré coupable, et prononcer une peine justifiée en droit ou
renvoyer l'affaire au tribunal de première instance en lui
ordonnant d'infliger une peine justifiée en droit.
Pouvoirs de la cour d'appel
C'est à l'art. 686 du Code criminel que se trouvent énoncés les pouvoirs
de la cour d'appel en ce qui concerne les actes criminels. Lorsque l'accusé
interjette appel relativement à une erreur de droit commise au procès, la cour
d'appel a le pouvoir discrétionnaire de rejeter l'appel s'il ne s'agit pas d'une erreur
judiciaire grave. Ce pouvoir discrétionnaire est toutefois restreint par le cas précis
figurant au sous-al. 686(1)b)(iii) du Code. Le paragraphe 686(4) traite des appels
d'un acquittement interjetés par le ministère public. Bien que ce paragraphe
n'expose pas les moyens pouvant fonder un tel appel, l'al. 676(1)a) prévoit qu'appel
peut être interjeté d'un acquittement pour tout motif qui comporte une question de
droit seulement. Il résulte de ces deux dispositions prises ensemble que, dans un
- 53 -
cas où le ministère public invoque l'erreur de droit pour fonder un appel d'un
acquittement, la cour d'appel «peut» accueillir l'appel. Un pouvoir discrétionnaire
est donc conféré à la cour, mais, en l'occurrence, ce pouvoir n'est pas défini dans
le texte législatif.
Dans l'arrêt Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277, à la p. 291, le juge
Martland, en faisant l'historique législatif de ces dispositions, a indiqué que, dans
une version antérieure, elles prévoyaient que les pouvoirs d'une cour d'appel dans
le contexte d'un appel interjeté par le ministère public devaient être, mutatis
mutandis, analogues à ceux exercés lorsque l'appel était interjeté par l'accusé. Dans
ce dernier cas s'appliquait une disposition réparatrice correspondant à l'actuel
sous-al. 686(1)b)(iii). Voir l'arrêt White c. The King, [1947] R.C.S. 268. La
modification (S.C. 1953-1954, ch. 51) n'a pas supprimé le pouvoir discrétionnaire,
mais il ne le définissait pas non plus. Il semble que le Parlement se soit contenté
de laisser aux tribunaux le soin de préciser les circonstances dans lesquelles ce
pouvoir pouvait s'exercer. À la différence de l'appel interjeté par l'accusé contre
la déclaration de culpabilité, l'appel du ministère public contre l'acquittement est
assez inhabituel, et cette possibilité n'est pas prévue dans tous les pays dotés d'un
système semblable au nôtre. Il conviendrait en conséquence que le Parlement
accorde aux tribunaux une plus grande latitude en ce qui concerne les situations où
l'erreur commise au procès devrait donner lieu à un nouveau procès ou à une
déclaration de culpabilité à la suite d'un appel interjeté par le ministère public.
Dans l'arrêt Vézeau, notre Cour a conclu que le pouvoir discrétionnaire
d'accueillir un appel du ministère public fondé sur une erreur de droit comprenait
le pouvoir, qui existait avant la modification, de rejeter cet appel s'il ne s'agissait
- 54 -
pas d'une erreur judiciaire grave. À la page 291, le juge Martland a adopté la
méthode suivie par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Paquette (1974),
19 C.C.C. (2d) 154:
Le paragraphe [686(4)] ne contient aucune disposition qui soit
l'équivalent du sous-al. (iii) de l'al. b) du par. (1) de l'art. 613. La Cour
d'appel de l'Ontario a examiné les pouvoirs du tribunal en vertu de ce
paragraphe dans R. v. Paquette, à la p. 162. Après avoir cité le par. (4),
la Cour déclare:
(TRADUCTION) Il y a lieu de signaler que l'expression «aucun tort
important ou aucune erreur judiciaire grave» ne figure pas dans ce
paragraphe alors qu'elle figure dans celui visant le cas d'un appel
interjeté par un accusé. Cependant nous croyons qu'il y a lieu, en
l'espèce, d'appliquer ce critère par voie d'analogie et nous statuons
que le ministère public nous a convaincus qu'on ne peut dire qu'en
l'absence de la directive erronée, le verdict du jury aurait
nécessairement été le même. [Je souligne.]
Par conséquent, même s'il y a eu erreur de droit, le ministère public est maintenant
tenu de convaincre la cour d'appel que le verdict n'aurait pas nécessairement été
le même en l'absence de l'erreur; voir l'arrêt Vézeau, à la p. 292, et l'arrêt R. c.
Morin, [1988] 2 R.C.S. 345.
Indépendamment du pouvoir discrétionnaire défini dans l'arrêt Vézeau,
la cour d'appel est investie du pouvoir de redresser un abus de procédure. C'est
précisément ce dernier pouvoir discrétionnaire que semblent avoir exercé les juges
majoritaires de la Cour d'appel en l'espèce. Quoique ce pouvoir s'exerce le plus
fréquemment pour contrôler la décision du juge du procès lorsqu'il y a eu abus de
procédure au procès, la Cour d'appel peut exceptionnellement l'exercer en première
instance si l'abus se produit au cours de la procédure d'appel; voir l'arrêt R. c.
Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880
, aux pp. 915 et 916. Vu la conclusion à laquelle je suis
- 55 -
arrivé, je n'ai pas à examiner si la conduite du ministère public en l'espèce
constituait un abus de procédure.
Dans les débats devant notre Cour, on s'est demandé si le ministère
public pouvait, dans les circonstances, satisfaire au critère énoncé dans l'arrêt
Vézeau. Dans l'hypothèse où un acquittement aurait nécessairement été prononcé
si la preuve obtenue au moyen de l'alcootest avait été admise, le ministère public
ne se serait pas acquitté de la charge que lui imposait ce critère. La conclusion sur
ce point tiendrait dans une large mesure à la réponse donnée à la question de savoir
si le ministère public, en tentant d'établir ce qui se serait passé en l'absence de
l'erreur, peut avoir recours aux éléments de preuve qu'il aurait pu produire, mais
qu'il n'a pas produits. Suivant l'argument qui s'oppose à pareille utilisation de ces
éléments de preuve, il ne devrait pas être permis au ministère public d'invoquer,
pour obtenir un nouveau procès, une preuve qui n'a été soumise à aucun examen
et qu'il a choisi de ne pas présenter. Ce à quoi le ministère public appelant a
répondu qu'il ne convient pas d'appliquer le critère formulé dans l'arrêt Vézeau à
un appel interjeté par le ministère public contre un verdict d'acquittement imposé
en raison de l'absence de preuve. On a mentionné l'arrêt R. c. Collins (1993), 79
C.C.C. 204 (C.A. Ont.), dans lequel le juge Arbour a conclu que, dans le cas d'une
affaire entendue devant un jury, l'appel du verdict imposé d'acquittement doit
généralement être accueilli si c'est à tort que le juge du procès a dessaisi le jury
pour cause d'absence de preuve. Les motifs du juge Arbour illustrent combien il
est difficile d'appliquer dans de telles circonstances le critère énoncé dans l'arrêt
Vézeau. Non seulement la cour est obligée de conjecturer sur ce qui serait arrivé
si le jury n'avait pas été dessaisi, mais le ministère public se voit dans les faits
- 56 -
privé d'un procès devant jury au cas où la Cour d'appel conclurait que
l'acquittement était inévitable.
Sans me prononcer sur le bien-fondé de l'opinion selon laquelle, dans
une situation comme celle qui se présentait dans l'affaire Collins, la cour d'appel
devrait porter son attention sur l'erreur du juge du procès plutôt que sur son effet
éventuel sur le verdict, je crois qu'il y a une différence entre le cas où le ministère
public présente la totalité de sa preuve et un cas comme celui qui nous occupe, où
il choisit délibérément de provoquer un verdict imposé en ne produisant pas des
éléments de preuve dont il dispose. On peut soutenir que, dans le second cas, on
a tort de s'arrêter à l'erreur du juge du procès qui a entraîné la décision du ministère
public parce que le verdict imposé a résulté non pas d'une erreur du juge, mais bien
de la décision de ne pas produire des éléments de preuve. Ce sont certes là des
questions qui vont devoir être tranchées en temps et lieu, mais je n'entends pas le
faire en l'espèce. Non seulement cela n'est pas nécessaire pour trancher le présent
litige, mais la question ne semble pas avoir été soulevée en Cour d'appel et n'a été
abordée dans les motifs ni de la majorité ni de la minorité.
Notre Cour, en établissant dans l'arrêt Vézeau un critère pour l'exercice
du pouvoir discrétionnaire que confère le par. 686(4), ne prétendait pas définir
exhaustivement ce pouvoir de manière à nous empêcher d'élargir ou de restreindre,
le cas échéant, l'application de ce critère. Conclure que des nouvelles dispositions
ont limité l'exercice du pouvoir discrétionnaire au rétablissement du critère
appliqué antérieurement à la modification reviendrait à vider celle-ci de tout son
sens. À mon avis, notre jurisprudence appuie l'existence d'un pouvoir
discrétionnaire limité détenu par la cour d'appel, dans l'exercice duquel celle-ci
- 57 -
peut refuser d'accueillir un appel dans certaines situations où le ministère public
a déraisonnablement discontinué la présentation de sa preuve, entraînant ainsi un
verdict imposé d'acquittement. La justification de ce pouvoir discrétionnaire se
dégage de plusieurs arrêts de cours d'appel.
Dans l'arrêt Banas, précité, la Cour d'appel de l'Ontario, par
l'intermédiaire du juge Martin, a conclu que les enregistrements magnétiques de
communications privées, qui avaient été écartés au procès, auraient dû être admis
et il a convenu que ces enregistrements étaient essentiels à la preuve du ministère
public. En accueillant l'appel du ministère public contre le verdict imposé
d'acquittement et en ordonnant la tenue d'un nouveau procès, le juge Martin a
conclu, à la p. 230:
[TRADUCTION] Nous estimons que, dans les circonstances, rien
n'empêche le ministère public d'interjeter appel du verdict imposé, la
raison à cela étant que le substitut du procureur général a décidé de ne
pas persévérer dans un procès qu'il tenait pour inutile et qui n'aurait pas
abouti à une déclaration de culpabilité à cause de l'exclusion erronée
d'une preuve indispensable. Nous sommes convaincus que, si le juge
du procès n'avait pas écarté comme preuve les communications privées
interceptées, le verdict du jury n'aurait pas nécessairement été le même.
Nous tenons toutefois à préciser que si, dans un cas particulier, nous
estimions que le substitut du procureur général s'était
déraisonnablement abstenu de présenter une preuve substantielle dont
il disposait et qui aurait fondé une déclaration de culpabilité, dans le
seul but d'interjeter appel d'une décision défavorable sur l'admissibilité
de certains éléments de preuve, nous n'hésiterions pas à conclure que
le ministère public ne pourrait pas alors en appeler de l'acquittement.
Nous sommes cependant persuadés que ce n'est pas ce qui s'est passé
en l'espèce. [Je souligne.]
De même, dans l'arrêt Voykin, précité, en concluant que le juge du
procès avait erronément écarté des registres commerciaux, entraînant ainsi
- 58 -
l'acquittement de l'accusé, le juge Hetherington de la Cour d'appel de l'Alberta a
dit, à la p. 281:
[TRADUCTION] Nous souscrivons aux observations du juge Martin
qui, dans l'arrêt [Banas, précité] a dit en substance qu'une cour d'appel
ne devrait pas admettre un appel interjeté par le ministère public contre
une décision défavorable concernant l'admissibilité d'éléments de
preuve s'il aurait été possible d'obtenir un verdict de culpabilité en
l'absence des éléments de preuve écartés. Nous rejetons l'argument de
l'avocat de [l'accusé] [. . .] selon lequel cette question relève de la
compétence du juge du procès. C'est à la cour d'appel qu'il appartient
de décider si le ministère public a formé un appel inutile. [Je souligne.]
De plus, dans l'arrêt Bailey, précité, la Cour d'appel de l'Ontario a
conclu que c'est à tort que le juge du procès avait, en invoquant l'inaptitude du
conjoint à témoigner, refusé de permettre à un témoin à charge de déposer, ce qui
a amené le ministère public à ne pas produire d'autre preuve et qui a entraîné
finalement un verdict d'acquittement. La Cour d'appel, toutefois, par
l'intermédiaire du juge Morden, qui s'appuyait sur les propos tenus par le juge
Martin dans l'arrêt Banas, précité, a dit que la preuve écartée n'était pas essentielle
pour le ministère public et a rejeté l'appel. La cour a déclaré, à la p. 25:
[TRADUCTION] Dans ces circonstances, on ne saurait prétendre que
l'erreur du juge du procès a pu à elle seule influer sur l'issue du litige.
Il se peut aussi que la décision du substitut du procureur général de ne
pas présenter d'autre preuve ait eu une incidence sur le résultat. Tout
disposé que je sois à prêter de l'importance, pour utiliser un terme
général, à la déposition [du témoin à charge], il n'y a rien qui indique
quel rôle elle aurait joué dans l'argumentation du ministère public ni
rien qui permette de conclure qu'il aurait été inutile pour ce dernier de
continuer sans cette déposition.
En dernier lieu, dans l'affaire R. c. Whittle (1992), 78 C.C.C. (3d) 49,
après que le juge du procès eut écarté certaines déclarations inculpatoires faites par
- 59 -
l'accusé, le ministère public n'a produit aucune autre preuve, par suite de quoi le
juge a imposé un verdict d'acquittement. En appel, l'exclusion des déclarations a
été jugée erronée. Quoiqu'il y avait certains éléments de preuve que le ministère
public aurait pu présenter et qui auraient pu suffire à constituer une preuve prima
facie, la cour d'appel était convaincue qu'on avait satisfait au critère énoncé dans
l'arrêt Vézeau. Malgré cette conclusion, la cour a poursuivi en examinant les
conséquences juridiques de l'omission du ministère public de produire des
éléments de preuve en sa possession. Le juge Goodman, s'exprimant au nom de
la cour, a estimé que le principe posé par le juge Martin dans l'arrêt Banas, précité,
venait restreindre la portée de l'arrêt Vézeau. Aux pages 69 et 70, il tient les propos
suivants:
[TRADUCTION] À ce principe est venu s'ajouter cette restriction que si
la cour d'appel estime que le substitut du procureur général s'est
déraisonnablement abstenu de présenter une preuve substantielle dont
il disposait et qui aurait fondé une déclaration de culpabilité, dans le
seul but d'interjeter appel d'une décision défavorable sur l'admissibilité
de certains éléments de preuve, il lui sera interdit d'en appeler de
l'acquittement. [Italiques dans l'original.]
Il ajoute, à la p. 70, que le substitut du procureur général n'avait pas agi
déraisonnablement:
[TRADUCTION] Je n'ai toutefois aucune raison de douter que le
substitut du procureur général croyait sincèrement que, sans les
déclarations jugées inadmissibles, les éléments de preuve dont il
disposait n'avaient pas une valeur probante suffisante pour constituer
une preuve prima facie. Je suis en outre d'avis, compte tenu des
observations présentées à la cour et des faits qui se dégagent du
dossier, qu'il ne s'est pas abstenu de produire d'autres éléments de
preuve dans le seul but d'interjeter appel de la décision défavorable.
[Je souligne.]
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Il ressort de cette jurisprudence que les cours d'appel sont investies non
seulement du pouvoir d'arrêter les procédures en cas d'abus de procédure, mais
aussi du pouvoir d'examiner si le ministère public a agi déraisonnablement en
refusant de produire d'autres éléments de preuve au procès par suite d'une décision
défavorable sur une question de preuve, et de celui de ne pas ordonner la tenue
d'un nouveau procès en pareil cas. Comme pour l'abus de procédure, ce pouvoir
discrétionnaire doit être exercé avec mesure, en tenant compte de plusieurs
facteurs. Il faut, comme condition préliminaire de l'exercice de ce pouvoir,
qu'indépendamment de la preuve écartée, le ministère public ait disposé d'une
preuve suffisante pour qu'elle soit présentée au jury. Donc, lorsque cette autre
preuve du ministère public établit l'existence des éléments essentiels de l'infraction
mais que le ministère public choisit de ne pas la produire, la condition préliminaire
de l'exercice par la cour d'appel de son pouvoir discrétionnaire de refuser
d'ordonner la tenue d'un nouveau procès aura été remplie. Toutefois, la décision
tiendra finalement à l'appréciation d'autres facteurs, dont la valeur probante relative
des éléments de preuve non produits, l'importance relative de la preuve écartée par
la décision attaquée, la gravité du préjudice qu'entraîneront pour l'accusé de
nouvelles procédures et les motifs de la décision du ministère public de ne produire
aucune autre preuve.
En règle générale, la décision du ministère public de discontinuer
l'administration de sa preuve dans le seul but d'interjeter appel d'une décision
défavorable sera jugée déraisonnable. Par ailleurs, lorsque la preuve écartée est
relativement importante et que les autres éléments de preuve, quoique peut-être
suffisants pour constituer une preuve prima facie, sont d'une valeur probante
tellement faible que le poursuivant conclut à l'inutilité de continuer le procès, la
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décision de mettre fin à l'instance pourra être raisonnable. La preuve d'un
préjudice particulier en sus de celui pouvant s'inférer de la prolongation des
procédures criminelles sera un facteur important à prendre en considération par la
cour d'appel. La cour ne doit pas perdre de vue que le pouvoir en question doit
s'exercer avec mesure puisqu'il s'agit du contrôle du pouvoir discrétionnaire de la
poursuite. Il faut respecter le pouvoir discrétionnaire de la poursuite lorsqu'il
s'exerce légitimement pour assurer l'administration efficace de la justice et non pas
simplement pour obtenir un avantage sur le plan de la tactique. Il s'ensuit que
l'explication donnée par le ministère public pour sa décision, particulièrement au
procès, jouera un rôle important dans l'examen de cette décision par la cour
d'appel.
Application en l'espèce
Bien qu'il s'agisse d'un cas limite, je suis d'avis de confirmer la décision
de la Cour d'appel de Terre-Neuve d'exercer son pouvoir discrétionnaire en
n'ordonnant pas la tenue d'un nouveau procès en l'espèce. Je ne fonde toutefois pas
cette décision sur le motif invoqué par les juges Marshall et Cameron, qui ont
conclu au rejet de l'appel parce qu'il n'était pas nécessaire et constituait en
conséquence un abus de procédure. J'ai conclu plutôt qu'une cour d'appel détient
également un pouvoir discrétionnaire, quoique restreint, de refuser d'accueillir un
appel d'un acquittement dans des circonstances où le ministère public, exerçant
déraisonnablement le pouvoir discrétionnaire de la poursuite, a décidé de ne
produire aucune autre preuve consécutivement à une décision défavorable à sa
cause sur une question de preuve. J'estime qu'il y a lieu d'appliquer ce pouvoir
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discrétionnaire de la cour d'appel aux faits de l'espèce, selon les facteurs exposés
plus haut.
Les autres éléments de preuve
En examinant les autres éléments de preuve, que l'appelante a décidé
de ne pas produire, il nous faut préciser les éléments de l'infraction en question et
examiner si ces autres éléments de preuve étaient suffisants pour être présentés au
jury. Le critère à appliquer pour décider ce point est celui de savoir si les autres
éléments de preuve, «s'il[s] étai[en]t accepté[s] par un jury ayant reçu des
directives appropriées et agissant de manière raisonnable, justifierai[en]t une
déclaration de culpabilité»: R. c. Monteleone, [1987] 2 R.C.S. 154, à la p. 161. En
l'espèce, trois accusations ont été portées contre l'intimé: deux de conduite avec
facultés affaiblies causant des lésions corporelles, en contravention du par. 255(2)
du Code criminel, et une de conduite avec facultés affaiblies causant la mort, en
contravention du par. 255(3). Pour prouver la perpétration de ces infractions,
l'appelante doit établir: (i) que l'intimé conduisait le véhicule en question; (ii) que
sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool; (iii) que cet affaiblissement a
causé le décès et les lésions corporelles en question.
En ce qui concerne le premier élément des infractions, il ressort de la
preuve recueillie lors de l'enquête préliminaire que quatre témoins différents
auraient pu identifier l'intimé comme le conducteur du véhicule en cause. Jeffrey
Porter, Gordon Aylward et Glen McGrath étaient tous passagers dans ce véhicule
et ont témoigné à l'enquête préliminaire que c'était l'intimé qui le conduisait au
moment de l'accident. En outre, William Keary, témoin oculaire, a lui aussi
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identifié l'intimé comme le conducteur. Il semble donc y avoir eu amplement
d'autres preuves relativement à cet élément à établir par l'appelante.
Pour ce qui est du deuxième élément, la preuve obtenue grâce à
l'alcootest n'était pas indispensable pour prouver que la capacité de l'intimé de
conduire un véhicule automobile était affaiblie par l'alcool. De plus, il n'était pas
nécessaire de démontrer qu'on avait fait des tests visant à déterminer si les facultés
de l'intimé étaient affaiblies, pourvu que le comportement constaté chez ce dernier
ait constitué un [TRADUCTION] «écart marqué par rapport à la norme»: R. c. Smith
(1992), 73 C.C.C. (3d) 285 (C.A. Alb.), et R. c. Andres, [1982] 2 W.W.R. 249
(C.A. Sask.). Même sans la preuve obtenue au moyen de l'alcootest, le ministère
public aurait pu s'appuyer sur la déposition de trois témoins qui avaient bu avec
l'intimé tout l'après-midi et qui savaient quelle quantité de bière il avait
consommée, ainsi que sur les constatations et les opinions de deux policiers
relativement au degré d'ivresse de l'intimé: Graat c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 819.
Jeffrey Porter, Gordon Aylward et Glen McGrath ont tous témoigné à l'enquête
préliminaire que l'intimé avait consommé environ six ou sept bouteilles de bière
au cours des trois ou quatre heures qui ont précédé l'accident. Bien que Porter et
Aylward, qui ont déclaré avoir consommé une quantité semblable d'alcool pendant
la même période, se soient dits d'avis que l'intimé était [TRADUCTION] «en état» de
conduire, les agents Stanley et Tilley ont témoigné lors de l'enquête préliminaire
que, d'après eux, les yeux injectés de sang, la forte odeur d'alcool et les troubles
d'élocution qu'ils avaient constatés chez l'intimé indiquaient qu'il était ivre. De
fait, l'agent Tilley, qui lui a administré l'alcootest, a dit qu'à son avis, d'après ses
observations, l'intimé dépassait largement l'alcoolémie maximale légalement
permise en matière de conduite de véhicules automobiles. Qui plus est, le
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ministère public aurait pu faire témoigner Elizabeth Dittmar relativement aux
effets de la quantité d'alcool consommé par l'intimé sur la capacité de conduire
d'une personne de la taille de celui-ci, car elle était reconnue comme experte en la
matière: R. c. Dubois (1990), 62 C.C.C. (3d) 90, et R. c. Kucher (1979), 48 C.C.C.
(2d) 115. J'estime que les autres éléments de preuve se rapportant à cet aspect des
infractions n'étaient certainement pas insuffisants au point de justifier que le jury
soit dessaisi de l'affaire.
Quant au troisième élément de l'infraction, celui de la causalité, il
incombait au ministère public de produire une preuve suffisante pour démontrer
que l'affaiblissement des facultés de l'intimé a [TRADUCTION] «à tout le moins
contribué à la mort [et aux lésions], de façon plus que mineure»: R. c. Pinske
(1988), 30 B.C.L.R. (2d) 114 (C.A.), à la p. 123, conf. par [1989] 2 R.C.S. 979.
La question de la causalité exige nécessairement l'examen de théories
contradictoires avancées pour expliquer l'accident qui a causé des lésions
corporelles et la mort. La présente espèce n'est pas une exception puisque la
preuve présentée à l'enquête préliminaire a fait ressortir différentes hypothèses en
ce qui concerne la causalité, à savoir: la capacité affaiblie de conduire, le mauvais
état de la route et le mauvais état mécanique de l'automobile. Je tiens toutefois à
répéter que, pour établir un fondement pour un verdict de culpabilité, on n'a pas à
prouver que l'affaiblissement des facultés constituait l'unique cause, car il se peut
bien que, même s'il y a eu un concours de plusieurs facteurs, l'affaiblissement ait
tout de même été une cause plus que mineure de la mort et des lésions en question:
Pinske, précité. La preuve relative à la quantité d'alcool consommée par l'intimé
ainsi que les constatations et les opinions des policiers qui menaient l'enquête
forment un ensemble substantiel d'éléments de preuve qui se rapportent à la
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question de l'affaiblissement des facultés, lesquels auraient pu être renforcés par
le témoin expert. Mais il faut aussi faire entrer en ligne de compte, relativement
à la causalité, la preuve concernant l'effet du mauvais état de la route. Jeffrey
Porter, l'un des passagers dans le véhicule qu'aurait conduit l'intimé, a témoigné
à l'enquête préliminaire qu'avant la collision l'arrière du véhicule avait commencé
à déraper. Le témoin oculaire, William Keary, a indiqué que, juste avant la
collision, le véhicule avait effectué le virage en glissant et que le pavé était
[TRADUCTION] «humide». De plus, Randolph Chafe, le mécanicien qui a inspecté
ce véhicule après l'accident, a témoigné lors de l'enquête préliminaire que le pneu
arrière gauche était complètement usé et que le frein gauche avant n'avait plus de
garniture. Ces circonstances tendent certes à miner l'argument du ministère public,
mais c'était au jury de déterminer le poids à leur attribuer. Il existait donc
amplement d'éléments de preuve à soumettre au jury.
L'importance relative de la preuve écartée
La preuve obtenue au moyen de l'alcootest qui a été écartée par la
décision contestée aurait, si elle avait été admise, eu tendance à démontrer que
l'intimé avait consommé davantage d'alcool que ne l'indiquaient peut-être les autres
éléments de preuve à ce sujet. À l'enquête préliminaire, l'experte a pu affirmer
catégoriquement, en se fondant sur l'alcoolémie de 170 mg d'alcool par 100 ml de
sang révélée par l'alcootest, que l'alcoolémie de l'intimé se situait, au moment de
l'accident, entre 180 et 210 mg d'alcool par 100 ml de sang. Elle a indiqué en outre
que la capacité d'une personne de conduire prudemment un véhicule automobile
est certainement affaiblie du moment que l'alcoolémie atteint ou dépasse les
100 mg d'alcool par 100 ml de sang. Quand, au cours de son contre-interrogatoire
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à l'enquête préliminaire, on lui a demandé d'estimer l'alcoolémie de l'intimé en
fonction de son poids en tenant compte de la quantité d'alcool qu'il avait
consommé et de la période sur laquelle il l'avait fait d'après les témoignages les
plus favorables à l'intimé, l'experte n'a pu la mettre qu'entre 35 et 120 mg d'alcool
par 100 ml de sang. Néanmoins, le fait que l'alcootest aurait pu fournir une preuve
plus convaincante de l'affaiblissement des facultés ne rendait pas cette preuve
indispensable pour l'appelante, vu l'existence d'autres éléments de preuve
substantiels établissant la consommation d'alcool et compte tenu des constatations
faites et des opinions exprimées à cet égard.
L'appelante a fait valoir que la preuve de l'existence de causes autres
que l'affaiblissement des facultés rendait encore plus essentielle celle obtenue au
moyen de l'alcootest. Je ne puis admettre cet argument parce qu'il ne s'ensuit pas
nécessairement qu'une preuve technique d'une alcoolémie plus élevée minerait
l'importance des autres facteurs causals en l'espèce. D'autre part, l'affaiblissement
des facultés ne doit pas absolument être l'unique cause de la mort et des lésions;
il suffit qu'il contribue de façon plus que mineure à les causer: Pinske, précité.
L'appelante disposait en l'espèce d'autres preuves substantielles d'affaiblissement
des facultés, preuves analogues à celles qui auraient été utilisées dans un cas
semblable avant l'existence de l'alcootest. À mon avis, la preuve supplémentaire
de l'affaiblissement des facultés obtenue grâce à l'alcootest n'aurait pas influé
sensiblement sur l'importance attachée à l'état de la route et au mauvais état du
véhicule. Elle n'était pas non plus indispensable pour établir l'affaiblissement des
facultés de l'intimé.
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La gravité du préjudice
Comme l'a fait remarquer le juge Marshall, aucune preuve précise de
préjudice pour l'intimé n'a été produite. On peut toutefois déduire de ce que l'appel
du verdict initial d'acquittement est devant les tribunaux depuis deux ans que
l'intimé a probablement subi un certain préjudice: R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S.
771. Dans les circonstances, eu égard à l'importance des autres facteurs, le
préjudice n'est pas un facteur important en l'espèce.
L'explication par le ministère public
Le ministère public n'a offert aucune explication lors du procès.
Immédiatement après que la décision eut été rendue, le substitut du procureur
général a obtenu un bref ajournement. À son retour, il s'est produit ce qui suit:
[TRADUCTION] La Cour: Veuillez continuer.
VÉRIFICATION DU VERDICT - TOUS LES JURÉS SONT
PRÉSENTS
La Cour: Me Steeves.
Me Steeves: Compte tenu de certaines de vos observations, Votre
Seigneurie, le ministère public choisit de ne présenter aucune autre
preuve.
L'appelante n'expose pas dans son mémoire le motif de ce choix, quoique les
éléments de preuve que j'ai passés en revue soient invoqués, après le fait, pour le
justifier.
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Conclusion
Ayant apprécié tous les facteurs, j'ai conclu que les éléments de preuve
dont disposait l'appelante et qu'elle a choisi de ne pas produire suffisaient
largement pour satisfaire au critère préliminaire. L'importance relative de la
preuve écartée n'était pas assez grande pour que la continuation du procès s'avère
un exercice long et inutile et un gaspillage de ressources. En fait, tenant compte
de l'omission du ministère public de fournir une explication, je suis convaincu qu'il
s'agissait dans une large mesure d'une décision tactique visant à faire infirmer la
décision du juge du procès afin de permettre au ministère public de produire sa
preuve la plus convaincante.
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi accueilli, les juges SOPINKA, CORY et MAJOR sont dissidents.
Procureur de l'appelante: Le ministère de la Justice, St. John's.
Procureurs de l'intimé: Noonan, Oakley, Orr, St. John's.