R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
Stephen William Osolin
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
et
Le procureur général du Canada,
le procureur général de l'Ontario
et le procureur général du Québec
Intervenants
Répertorié: R. c. Osolin
No du greffe: 22826.
1993: 17 juin; 1993: 16 décembre.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka,
Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de la colombie-britannique
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Présomption d'innocence --
Agression sexuelle -- Défense de croyance sincère mais erronée au consentement --
Critère de la "vraisemblance" imposé par l'art. 265(4) du Code criminel comme
condition préliminaire à remplir avant de soumettre au jury la question de la croyance

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erronée -- L'article 265(4) enfreint-il l'art. 11d) de la Charte canadienne des droits et
libertés? -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 265(4).
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Procès avec jury -- Agression
sexuelle -- Défense de croyance sincère mais erronée au consentement --Critère de la
"vraisemblance" imposé par l'art. 265(4) du Code criminel comme condition
préliminaire à remplir avant de soumettre au jury la question de la croyance erronée
-- L'article 265(4) enfreint-il l'art. 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés?
-- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 265(4).
Droit criminel -- Preuve -- Contre-interrogatoire -- Agression sexuelle --
Dossiers médicaux -- Dossiers médicaux de la plaignante présentés en preuve pour
la seule fin de déterminer son habilité à témoigner -- Note dans les dossiers médicaux
indiquant que la plaignante craignait que son attitude et son comportement aient pu
influencer l'accusé -- Contre-interrogatoire de la plaignante sur ses dossiers médicaux
refusé à l'accusé par le juge du procès pour déterminer «le genre de personne qu'est
la plaignante» -- Le contre-interrogatoire aurait-il dû être permis aux fins de
déterminer s'il y avait des éléments de preuve à l'appui de la défense de croyance
sincère mais erronée au consentement ou de l'allégation de fabrication?
Droit criminel -- Moyens de défense -- Défense de croyance sincère mais
erronée au consentement -- Agression sexuelle -- Interprétation de l'art. 265(4) du
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
L'accusé a été inculpé d'agression sexuelle et d'enlèvement. Le jour de
l'incident, la plaignante, une jeune fille de 17 ans qui avait subi des traitements

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psychiatriques pour dépression et anxiété, s'est rendue avec deux hommes, D et S,
à la roulotte de B, où ils ont bu de la bière. Plus tard dans l'après-midi, la
plaignante et D, qu'elle avait fréquenté à quelques reprises, ont eu des rapports
sexuels consensuels dans un boisé. Après que D soit rentré chez lui, l'accusé et son
ami M sont arrivés à la roulotte et sont repartis avec B pour aller à un bar situé à
proximité pendant que S et la plaignante sont restés à la roulotte et ont eu des
rapports sexuels. Au cours de la soirée, M et l'accusé sont revenus à la roulotte.
Pendant que l'accusé conduisait S plus loin, M a tenté d'avoir des rapports sexuels
avec la plaignante. Elle a témoigné qu'elle n'avait pas répondu à ses avances et
qu'il l'avait empêchée de se rhabiller. Elle a réussi à remettre sa culotte au moment
où l'accusé est entré dans la chambre. Il l'a soulevée et portée sur son épaule pour
l'amener à l'automobile. La plaignante a témoigné avoir résisté à son retrait de la
roulotte et avoir dit qu'elle voulait ses vêtements, mais l'accusé l'a déposée sur le
siège arrière de l'automobile et a déchiré sa culotte. M les a conduits à un chalet
situé à 40 milles de là et est reparti. L'accusé l'a tirée vers une chambre à coucher,
l'a attachée et a eu des rapports sexuels avec elle. Peu après 3 h 30, un agent de la
GRC a trouvé la plaignante sur la route. Elle criait et pleurait. Elle a été conduite
à l'hôpital où son examen médical a révélé que la plaignante avait un certain
nombre de blessures correspondant davantage à une agression sexuelle qu'à des
rapports sexuels consensuels. La police a également trouvé une culotte de femme
sur le sol, à une vingtaine de pieds de la roulotte.
Au procès, l'accusé a déclaré que la plaignante était une participante
empressée, bien que non active, à tous les actes préliminaires comme aux rapports
sexuels. Elle a seulement résisté lorsqu'il a tenté de lui raser les poils du pubis
dans le chalet. Toutefois, l'accusé a admis «ne pas avoir tenu compte» des

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protestations de la plaignante forcée à quitter la roulotte nue. L'avocat de la
défense a demandé l'autorisation de contre-interroger la plaignante au sujet de ses
dossiers médicaux, notamment au sujet d'une note indiquant qu'elle craignait que
son attitude et son comportement aient pu influencer l'accusé jusqu'à un certain
degré. Il a indiqué que le contre-interrogatoire porterait sur «le genre de personne
qu'est la plaignante». Le juge du procès a refusé à l'avocat de la contre-interroger
au sujet de cette note, en concluant que les dossiers avaient été communiqués dans
le but exprès de déterminer l'habilité de la plaignante à témoigner et que toute autre
utilisation constituerait une violation du droit à la vie privée de la plaignante. De
plus, il a refusé de soumettre au jury le moyen de défense de la croyance sincère
mais erronée au consentement. Il a conclu que le moyen de défense d'erreur de fait
n'avait, en l'espèce, aucune «vraisemblance». L'accusé a été déclaré coupable à
l'égard des deux chefs d'accusation et l'appel qu'il a interjeté à la Cour d'appel a été
rejeté. Le présent pourvoi soulève deux questions: (1) Le juge du procès a-t-il
commis une erreur en restreignant le contre-interrogatoire de la plaignante au sujet
de ses dossiers médicaux? et (2) Le critère de la «vraisemblance» établi au
par. 265(4) du Code criminel porte-t-il atteinte aux droits constitutionnels de
l'accusé garantis par les al. 11d) et 11f) de la Charte canadienne des droits et
libertés?
Arrêt (les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin sont
dissidents): Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.
(1) Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Cory, Iacobucci et
Major (les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin sont

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dissidents): Le juge du procès a commis une erreur en ne permettant pas le
contre-interrogatoire de la plaignante au sujet de ses dossiers médicaux.
(2) Le paragraphe 265(4) du Code ne viole pas les al. 11d) et 11f) de
la Charte.
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Les juges Cory et Major: Le droit de contre-interroger les témoins qui
est maintenant protégé par l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte, est un élément
fondamental du procès équitable auquel l'accusé a droit. Malgré son importance,
le droit de contre-interroger n'a jamais été illimité. Il doit respecter le principe
fondamental selon lequel tout élément de preuve doit être pertinent pour être
admissible. En outre, la valeur probante de la preuve doit être soupesée en regard
de son effet préjudiciable. La pertinence et la valeur probante doivent être
déterminées dans le contexte du but visé par la preuve produite. Dans le contexte
des agressions sexuelles, on a reconnu que cette restriction au contre-interrogatoire
évite qu'il ne serve à des fins indues. L'arrêt Seaboyer et le nouvel art. 276 du Code
criminel mentionnent les facteurs qu'il faudrait prendre en considération pour
limiter la portée du contre-interrogatoire d'un plaignant dans un procès pour
agression sexuelle. Même s'ils ne sont pas déterminants, les articles 15 et 28 de
la Charte, qui garantissent l'égalité des hommes et des femmes, devraient être pris
en considération lorsqu'il s'agit d'établir les limites raisonnables. En général, un
plaignant peut être contre-interrogé dans le but de faire ressortir des éléments de
preuve portant sur le consentement et sur la crédibilité lorsque la valeur probante
de cette preuve l'emporte sensiblement sur le risque qu'il en découle un préjudice

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inéquitable. Le contre-interrogatoire qui se fonde sur des mythes sans fondement
sur le viol et sur des stéréotypes fantaisistes afin de démontrer qu'il y a eu
consentement ou d'attaquer la crédibilité est abusif et ne devrait pas être autorisé.
Le juge du procès doit prendre en considération toute la preuve présentée au
voir-dire afin de déterminer si le contre-interrogatoire proposé vise une fin
légitime. Dans chaque affaire, il doit établir un équilibre délicat entre le droit de
l'accusé à un procès équitable et la nécessité de protéger raisonnablement le
plaignant. Si, au terme du voir-dire, le contre-interrogatoire est autorisé, le jury
doit recevoir des directives sur la façon adéquate d'utiliser la preuve tirée du
contre-interrogatoire. En l'espèce, la vie privée de la plaignante est un intérêt qui
mérite d'être protégé, au même titre que la relation de confiance entre un patient
et son psychiatre, mais le contre-interrogatoire sur les rapports médicaux de la
plaignante, fait conformément aux lignes directrices établies, aurait dû être autorisé
afin d'assurer un procès équitable et d'éviter une erreur judiciaire. Bien que le juge
du procès ait eu raison de refuser d'autoriser la tenue d'un contre-interrogatoire
pour déterminer «le genre de personne qu'est la plaignante», il lui incombait de
s'assurer que les droits de l'accusé en matière de contre-interrogatoire étaient
protégés. Le juge du procès aurait dû autoriser le contre-interrogatoire sur les
dossiers médicaux, particulièrement sur la note, pour déterminer s'ils pouvaient
jeter une lumière nouvelle soit sur un motif qu'aurait pu avoir la plaignante de
prétendre avoir été victime d'une agression sexuelle, soit sur un aspect de sa
conduite qui aurait pu porter l'accusé à croire qu'elle consentait à ses avances
sexuelles. Il existait donc un motif valable pour que soit autorisée la tenue d'un
contre-interrogatoire sur les rapports médicaux. En raison du refus de donner à
l'accusé la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire au sujet de ces

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dossiers et de l'impossibilité de déterminer quel aurait pu en être le résultat, il est
nécessaire d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
Le paragraphe 265(4) du Code établit simplement les critères
fondamentaux qui sont applicables à tous les moyens de défense, à savoir qu'il n'y
a pas lieu de soumettre un moyen de défense au jury si un jury raisonnable ayant
reçu des directives appropriées n'aurait pas été en mesure d'acquitter l'accusé à
partir de la preuve présentée à l'appui de ce moyen de défense. En d'autres termes,
il doit y avoir une preuve suffisante pour appuyer la vraisemblance du moyen de
défense avant qu'il ne soit soumis au jury. C'est le juge du procès qui détermine
si l'on a produit une preuve suffisante pour appuyer le moyen de défense. La
défense de croyance sincère mais erronée au consentement dans un procès pour
agression sexuelle doit satisfaire à la même exigence préliminaire que celle qui
s'applique à tous les moyens de défense. Pour que la question soit soumise au jury,
il doit exister des éléments de preuve qui rendent vraisemblable l'argument de
l'accusé selon lequel il croyait que la plaignante donnait son consentement. Il n'est
pas nécessaire qu'il y ait une preuve indépendante de l'accusé. Il faut que la
défense de la croyance erronée soit étayée par une preuve qui va plus loin que la
seule affirmation en ce sens. De façon réaliste, la défense de croyance sincère
mais erronée au consentement ne peut être soulevée que lorsque les faits décrits par
le plaignant correspondent essentiellement à ceux qui sont décrits par l'accusé et
lorsqu'ils soutiennent qu'ils les ont interprétés différemment. Lorsque les
témoignages sur l'existence d'un consentement sont directement contraires, la
défense n'existe tout simplement pas. Toutefois, même en l'absence de cette
défense, le jury doit prononcer un acquittement si, à la lumière de la preuve
contradictoire sur ce point, il a un doute raisonnable quant à savoir s'il y a eu

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consentement. En l'espèce, la Cour d'appel a conclu à bon droit que le juge du
procès avait commis une erreur en statuant que la défense de croyance sincère mais
erronée au consentement ne pouvait être soulevée sur le seul fondement du
témoignage de l'accusé. Elle a par contre commis une erreur en concluant que ce
moyen de défense ne pouvait avoir aucune vraisemblance parce que la plaignante
avait été enlevée par l'accusé, étant donné qu'il n'y a pas eu de déclaration
antérieure ou distincte de culpabilité sous le chef de l'enlèvement. La mens rea de
l'infraction d'enlèvement et celle de l'agression sexuelle étaient tellement liées
qu'elles étaient inséparables. L'enlèvement ne pouvait donc servir de motif pour
rejeter la défense. Comme il doit y avoir un nouveau procès pour permettre un
contre-interrogatoire à l'égard des dossiers médicaux, il ne serait pas indiqué
d'examiner si la preuve était suffisante pour que la défense soit soumise au jury
étant donné la possibilité que surgissent de nouveaux éléments de preuve.
Le paragraphe 265(4) du Code n'enfreint pas l'al. 11d) de la Charte.
Même si le critère préliminaire de la vraisemblance établi au par. 265(4) crée une
charge de présentation qui incombe à l'accusé, en ce sens que celui-ci doit soulever
une preuve suffisante pour donner au moyen de défense une vraisemblance
justifiant qu'il soit soumis au jury, il n'en demeure pas moins que la charge de
prouver tous les éléments de l'infraction hors de tout doute raisonnable repose
clairement sur la poursuite. Tous les moyens de défense contre des accusations
pénales doivent satisfaire à l'exigence préliminaire de la preuve suffisante pour que
le juge du procès les soumette au jury. Cela ne viole pas la présomption
d'innocence. Le paragraphe 265(4) n'enfreint pas non plus l'al. 11f) de la Charte.
L'obligation de prouver la vraisemblance de la défense de croyance erronée au
consentement est raisonnable et complètement valide. Elle n'est que la

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réaffirmation d'une partie intégrante du rôle du juge en matière de contrôle du
procès avec jury. La question de savoir s'il y a une preuve suffisante pour que soit
soulevée la défense est une question de droit, qui relève donc de la compétence du
juge. Il n'y a donc eu aucune violation du droit de l'accusé à un procès avec jury.
Le juge Iacobucci: Les motifs du juge Cory sont acceptés, mais aucun
commentaire n'est fait au sujet du nouvel art. 276 du Code criminel.
Le juge Sopinka: Les motifs du juge Cory sont acceptés sous réserve
des observations suivantes. Premièrement, aucun commentaire n'est fait au sujet
du nouvel art. 276 du Code criminel. Deuxièmement, pour ce qui est de la défense
de croyance sincère mais erronée, le par. 265(4) du Code établit les critères
fondamentaux applicables à tous les moyens de défense. Il n'exige rien de plus de
l'accusé qu'il satisfasse à la charge de la preuve de présenter ou de signaler des
éléments de preuve à partir desquels un jury raisonnable ayant reçu des directives
appropriées pourrait prononcer l'acquittement. L'addition du mot «vraisemblance»
ne facilite pas la compréhension des obligations du juge du procès en ce qui a trait
à ce moyen de défense et ne peut qu'embrouiller la question. Troisièmement, le
moyen de défense de croyance sincère mais erronée n'est pas exclu lorsque le
plaignant et l'accusé donnent des versions diamétralement opposées de ce qui s'est
passé. Écarter le moyen de défense dans ces circonstances s'appuierait sur
l'hypothèse douteuse que la version de l'accusé ou celle du plaignant représente la
relation complète de ce qui s'est passé. L'évaluation de la déposition d'un témoin
n'est pas une affaire de tout ou rien. Le jury peut décider de croire seulement
certains éléments de ce que le témoin dit et de ne pas croire le reste.

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Le juge en chef Lamer: Le juge du procès a commis une erreur en
refusant d'autoriser le contre-interrogatoire de la plaignante sur ses dossiers
médicaux. Le contre-interrogatoire était approprié parce qu'il poursuivait un but
régulier -- savoir, déterminer l'existence d'éléments de preuve à l'appui du moyen
de défense de croyance sincère mais erronée ou à l'appui d'une allégation de
fabrication de preuve. Le refus de permettre le contre-interrogatoire relativement
aux dossiers médicaux a privé l'accusé de son droit de subir un procès équitable.
Les motifs du juge Sopinka sont acceptés en ce qui a trait au moyen de
défense de la croyance sincère mais erronée.
Les juges La Forest, Gonthier et McLachlin (dissidents): Avant
d'autoriser le contre-interrogatoire de la plaignante au sujet de son comportement
sexuel antérieur, le juge du procès doit déterminer si la défense a établi que ce
contre-interrogatoire a une pertinence qui puisse l'emporter sur le préjudice causé
à la plaignante et sur l'atteinte à sa vie privée. Pour pouvoir conclure au respect
du critère préliminaire de la pertinence, le juge du procès doit s'assurer que la
preuve est présentée à une fin légitime et qu'elle appuie logiquement un moyen de
défense. En l'espèce, la seule fin invoquée par la défense pour contre-interroger
la plaignante sur ses dossiers médicaux est le type même de fin indue pour laquelle
des éléments de preuve ne peuvent pas être produits. L'absence de motif valide à
l'appui de la demande de contre-interrogatoire était fatale. Dans notre système
pénal, le juge du procès n'a pas l'obligation de voir à ce que toutes les avenues
légitimes de contre-interrogatoire soient explorées par les avocats. De plus, même
en supposant que, devant la possibilité qu'une avenue inexplorée de
contre-interrogatoire ait pu soulever un doute raisonnable quant à la culpabilité, le

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tribunal d'appel doive ordonner la tenue d'un nouveau procès afin d'éviter une
erreur judiciaire, l'accusé n'a pas droit en l'espèce à un nouveau procès fondé sur
le refus du contre-interrogatoire puisqu'on ne peut conclure à un tort important ou
à une erreur judiciaire grave. Quant à la thèse de la défense concernant la
fabrication par la plaignante de sa version pour éviter un affrontement avec ses
parents, le jury disposait déjà d'une preuve abondante quant aux relations difficiles
existant entre la plaignante et ses parents, qui désapprouvaient certains de ses
comportements. Pour ce qui est de la défense de croyance sincère mais erronée au
consentement, le jury disposait également d'un grand nombre d'éléments de preuve
négatifs concernant «son attitude et son comportement» à ce moment.
Il faut, pour qu'un moyen de défense puisse être soumis au jury, que ce
moyen soit étayé par la preuve. Il doit être «vraisemblable». Pour que la défense
de croyance sincère mais erronée acquière une «vraisemblance», il faut établir les
éléments suivants: (1) la preuve de l'absence de consentement aux actes sexuels
et (2) la preuve que, malgré le refus réel de la plaignante, l'accusé a cru
sincèrement mais erronément qu'elle était consentante. La simple affirmation que
l'accusé croyait au consentement ne suffit pas à donner ouverture au moyen de
défense; cette affirmation doit être appuyée dans une certaine mesure par d'autres
éléments de preuve ou circonstances. Cet appui peut provenir de l'accusé ou
d'autres sources. La défense de la croyance sincère mais erronée n'est pas interdite
en présence de deux versions diamétralement opposées, l'une alléguant l'absence
de consentement et l'autre le consentement. Dans de rares cas, il est possible que
le jury accepte des portions du témoignage du plaignant et de l'accusé et qu'il
conclue à la sincérité de la croyance de l'accusé, malgré l'absence de consentement
réel. En l'espèce, il n'existait pas de preuve, émanant de l'accusé ou d'autres

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sources, à l'appui de la croyance sincère qu'a invoquée l'accusé. Enfin, la Cour
d'appel ne s'est pas servie de l'accusation d'enlèvement comme motif pour rejeter
la défense de la croyance sincère mais erronée. Elle a simplement dit que la
preuve de la séquestration dépouillait cette défense de tout fondement.
Pour les motifs donnés par le juge Cory, le par. 265(4) du Code ne viole
pas les al. 11d) ou 11f) de la Charte.
Les juges La Forest et L'Heureux-Dubé (dissidents): Dans les affaires
criminelles, la défense n'a normalement pas accès aux dossiers médicaux des
témoins. La preuve fondée sur des dossiers médicaux est généralement tout à fait
marginale par rapport à l'enjeu central du procès. Étant donné l'importance
primordiale que notre société accorde à la confidentialité des dossiers médicaux
et le grave préjudice que cause au témoin le fait de fouiller dans ces dossiers, ils
ne devraient être divulgués que dans de rares cas, s'il existe une preuve forte
(1) qu'un doute sérieux plane sur l'habilité du témoin à témoigner ou que son
témoignage sur un point particulier est peu fiable en raison des troubles médicaux
dont il souffre, et (2) que, sans cette divulgation, le droit de l'accusé à une défense
pleine et entière subirait un grave préjudice. Le simple fait que la défense évoque
la pertinence possible de ces dossiers ou émet des hypothèses à cet égard ne saurait
suffire. Les recherches à l'aveuglette ne doivent pas être autorisées. Lorsque la
divulgation est requise, le contre-interrogatoire relatif aux dossiers médicaux du
témoin doit être restreint à la fin pour laquelle ils ont été introduits en preuve.
Même lorsque les dossiers renferment des renseignements pertinents pour les
questions à trancher, le contre-interrogatoire sur ces renseignements devrait
néanmoins, sauf cas exceptionnels, demeurer interdit. Le juge du procès possède

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le pouvoir discrétionnaire indubitable d'exclure des éléments de preuve et de
restreindre le contre-interrogatoire sur des points qui, en dépit de leur pertinence
alléguée, pourraient s'avérer préjudiciables eu égard à la question à trancher. En
particulier dans le cas des plaignants dans les procès pour agression sexuelle, il
existe un risque sérieux que de tels renseignements soient utilisés pour en inférer
des conclusions inadmissibles et encourager le juge des faits à juger de la
crédibilité des victimes d'agression sexuelle à partir de mythes, au préjudice tant
du témoin que du déroulement du procès. En l'espèce, les dossiers médicaux de
la plaignante n'auraient pas dû être communiqués à l'accusé et admis en preuve.
Rien dans la preuve n'indiquait que la plaignante était incapable de donner un
témoignage fiable en général et encore moins, quant à la question précise à
trancher -- la question du consentement -- ou que la plaignante souffrait, dans les
faits, d'un trouble susceptible d'affecter son aptitude à rendre un témoignage fiable.
Toutefois, comme les dossiers médicaux avaient été communiqués, le juge du
procès était fondé à restreindre les fins pour lesquelles ils pouvaient être utilisés
et à conclure que la vie privée de la plaignante constituait une valeur importante
dont il fallait tenir compte dans la détermination du champ d'utilisation des
dossiers médicaux.
L'accusé n'a pas été privé de la possibilité de présenter une défense
pleine et entière parce qu'il n'a pu contre-interroger la plaignante au sujet de ses
dossiers médicaux, y compris la note. Les informations que renfermaient ces
dossiers n'étaient pas pertinents quant à la question du consentement à l'agression
sexuelle. Sur cette question, le jury disposait déjà du témoignage direct de la
plaignante sur les événements eux-mêmes et son absence de consentement. Elle
a subi à ce sujet un contre-interrogatoire serré. Il n'y avait donc nul besoin de

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recourir aux dossiers médicaux. Quant à la question de la croyance sincère mais
erronée de l'accusé au consentement, les pensées qu'a pu avoir après le fait la
plaignante au sujet de l'agression sont dépourvues de toute pertinence. La défense
n'est normalement soulevée que lorsque la plaignante et l'accusé racontent
essentiellement la même version mais que leur interprétation diverge quant à savoir
si l'activité en cause équivalait à un consentement. En l'espèce, toute erreur de
perception ou d'interprétation existait uniquement dans la tête de l'accusé. Enfin,
les informations contenues dans les dossiers médicaux au sujet des relations de la
plaignante avec ses parents n'étaient pas pertinentes quant à la question de savoir
si elle a été agressée sexuellement. À tout événement, le jury était déjà au courant
des difficultés qu'avait la plaignante avec ses parents et de la thèse de la défense
voulant qu'elle ait inventé l'histoire de l'agression pour éviter leurs reproches. Il
est évident que le contre-interrogatoire proposé afin de déterminer «le genre de
personne qu'est la plaignante» aurait été fortement préjudiciable. Il visait à
contester la crédibilité générale de la plaignante en soumettant aux jurés toutes les
difficultés auxquelles elle s'était heurtée dans sa vie personnelle, dans l'espoir
qu'ils en tireraient des conclusions négatives sur sa moralité et sa crédibilité. Un
contre-interrogatoire mené à cette fin est manifestement inadmissible. Or, telles
sont précisément les inférences fondées sur des mythes qui sont préjudiciables aux
victimes d'agression sexuelle et que le législateur s'est efforcé de prévenir, en
adoptant l'art. 276 du Code. De plus, le contre-interrogatoire proposé n'aurait pu
que nuire au procès en détournant l'attention du jury de la question précise du
consentement.
Le juge du procès a eu raison de ne pas présenter au jury le moyen de
défense de croyance sincère mais erronée au consentement. Dans les circonstances

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de l'espèce, le moyen de défense n'avait aucune vraisemblance. Il était loisible au
jury de ne pas croire la plaignante et soit de croire le témoignage de l'accusé, soit
d'avoir un doute raisonnable à ce sujet, mais il était tenu de rendre un verdict à
partir des éléments de preuve dont il disposait. Si le juge du procès avait soumis
ce moyen de défense au jury, il l'aurait ainsi invité à spéculer sur une troisième
version des faits qui ne ressortait aucunement de la preuve soumise par l'une ou
l'autre des parties. Il aurait ainsi commis une erreur.
Pour les motifs donnés par le juge Cory, le par. 265(4) du Code ne viole
pas les al. 11d) ou 11f) de la Charte.
Les motifs du juge McLachlin sont acceptés pour l'essentiel.
Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts examinés: R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; Pappajohn c. La
Reine, [1980] 2 R.C.S. 120; R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918; R. c. Bulmer,
[1987] 1 R.C.S. 782; arrêts mentionnés: Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S.
570; R. c. Anderson (1938), 70 C.C.C. 275; R. c. Rewniak (1949), 93 C.C.C. 142;
Abel c. La Reine (1955), 23 C.R. 163; R. c. Lindlau (1978), 40 C.C.C. (2d) 47; Titus
c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 259; R. c. Anandmalik (1984), 6 O.A.C. 143; R. c.
Giffin (1986), 69 A.R. 158; R. c. Wallick (1990), 69 Man. R. (2d) 310; R. c. Potvin,
[1989] 1 R.C.S. 525; Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190; R. c. Jobidon, [1991]
2 R.C.S. 714; Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449; R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S.

- 16 -
265; Kelsey c. The Queen, [1953] 1 R.C.S. 220; R. c. Squire, [1977] 2 R.C.S. 13;
Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616; Brisson c. La Reine, [1982] 2 R.C.S.
227; R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482; R. c. Haughton (1992), 11 O.R. (3d) 621;
R. c. Guthrie (1985), 20 C.C.C. (3d) 73; Director of Public Prosecutions c. Morgan,
[1976] A.C. 182; Bratty c. Attorney-General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386;
Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232.
Citée par le juge Sopinka
Arrêt mentionné: Lee Chun-Chuen c. The Queen, [1963] 1 All E.R. 73.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; Boran c. Wenger, [1942] O.W.N.
185; R. c. Ignat (1965), 53 W.W.R. 248; Majcenic c. Natale, [1968] 1 O.R. 189;
Jones c. National Coal Board, [1957] 2 All E.R. 155; Brouillard c. La Reine, [1985]
1 R.C.S. 39; R. c. Turlon (1989), 49 C.C.C. (3d) 186; R. c. Valley (1986), 26 C.C.C.
(3d) 207 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi refusée, [1986] 1 R.C.S. xiii; R. c.
Sussex Justices; Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256; Yuill c. Yuill, [1945] 1 All
E.R. 183; R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782; Bratty c. Attorney-General for Northern
Ireland, [1963] A.C. 386.
Citée par le juge L'Heureux-Dubé (dissidente)
Toohey c. Metropolitan Police Commissioner, [1965] 1 All E.R. 506; R.
c. Hawke (1975), 22 C.C.C. (2d) 19; R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945; R. c.

- 17 -
Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
McInerney c. MacDonald, [1992] 2 R.C.S. 138; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S.
226; R. c. Dersch, [1993] 3 R.C.S. 768; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; Morris
c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190; R. c. Ross (1993), 121 N.S.R. (2d) 242,
autorisation de pourvoi refusée, [1993] 3 R.C.S. viii; R. c. O'Connor (1992), 18
C.R. (4th) 98; Director of Public Prosecutions c. Morgan, [1976] A.C. 182;
Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 11d), f), 15, 28.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 265(4), 276 [mod. ch. 19 (3e suppl.),
art. 12; abr. & rempl. 1992, ch. 38, art. 2], 276.1 à 276.4 [aj. 1992, ch. 38,
art. 2], 277 [abr. & rempl. ch. 19 (3e suppl.), art. 13].
Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), L.C. 1992, ch. 38, art. 2.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.
Doctrine citée
Bryant, Alan W. «The Issue of Consent in the Crime of Sexual Assault» (1989),
68 R. du B. can. 94.
Calgary Herald, July 16, 1993, p. A12, «Assault Cases: Women's groups seek
tighter rein on defence questioning».
Canada. Rapport du groupe d'étude établi conjointement par le ministère des
Communications et le ministère de la Justice. L'ordinateur et la vie privée.
Ottawa: Information Canada, 1972.
Ferguson, Gerry A., and John C. Bouck. Canadian Criminal Jury Instructions,
vol. 1, 2nd ed. Vancouver: The Continuing Legal Education, Society of
British Columbia, 1989 (loose-leaf).

- 18 -
Globe and Mail (The), July 15, 1993, p. A7, «B.C. psychiatrist refusing to hand
over file: Fears releasing confidential therapy data would hurt patient who
alleges sex abuse».
Globe and Mail (The), May 15, 1993, p. D3, «Confidentiality: Balancing justice
and medical ethics».
Groupe de travail fédéral-provincial-territorial des procureurs généraux sur
l'égalité des sexes dans le système de justice canadien. L'égalité des sexes
dans le système de justice au Canada: Document récapitulatif et propositions
de mesures à prendre. Ottawa: Ministère de la Justice Canada, 1992.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, vol. 2, 3rd ed. (Supplemented).
Scarborough: Carswell, 1992 (loose-leaf).
Holmstrom, Lynda Lytle, and Ann Wolbert Burgess. The Victim of Rape:
Institutional Reactions. New Brunswick, U.S.A.: Transaction Books, 1983.
MacKinnon, Catharine A. Toward a Feminist Theory of the State. Cambridge,
Mass.: Harvard University Press, 1989.
McCormick's Handbook of the Law of Evidence, 2nd ed. By Edward W. Cleary,
General Editor. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1972.
McWilliams, Peter K. Canadian Criminal Evidence, 3rd ed. Aurora, Ont.: Canada
Law Book, 1988 (loose-leaf).
Ontario. Commission of Inquiry into the Confidentiality of Health Information.
Report of the Commission of Inquiry into the Confidentiality of Health
Information, vol. 2. Toronto: The Commission, 1980.
Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, vol. 1A (Tillers rev.).
Boston: Little, Brown & Co., 1983.
Wigmore, John Henry. Treatise on the Anglo-American System of Evidence in Trials
at Common Law, vol. 2, 3rd ed. Boston: Little, Brown & Co., 1940.
Williams, John M. «Mistake of Fact: The Legacy of Pappajohn v. The Queen»
(1985), 63 R. du B. can. 597.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique (1991), 7 B.C.A.C. 181, 15 W.A.C. 181, 10 C.R. (4th) 159,
qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relativement à
des accusations d'agression sexuelle et d'enlèvement. Pourvoi accueilli et nouveau

- 19 -
procès ordonné, les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin sont
dissidents.
John D. McAlpine, c.r., et Paul R. Bennett, pour l'appelant.
Elizabeth Bennett, pour l'intimée.
Donna R. Valgardson et Nancy L. Irving, pour l'intervenant le procureur
général du Canada.
Susan Chapman, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Jacques Gauvin et Daniel Grégoire, pour l'intervenant le procureur
général du Québec.
//Le juge en chef Lamer//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE EN CHEF LAMER -- J'ai lu les motifs du juge Cory et je souscris
à sa conclusion.
Comme mon collègue, j'estime que le juge du procès a commis une
erreur lorsqu'il a refusé d'autoriser le contre-interrogatoire sur les dossiers
médicaux. Le contre-interrogatoire était approprié parce qu'il poursuivait un but
régulier -- déterminer l'existence d'éléments de preuve à l'appui du moyen de

- 20 -
défense de croyance sincère mais erronée ou à l'appui d'une allégation de
fabrication de preuve. Le refus de permettre le contre-interrogatoire relativement
aux dossiers médicaux a privé l'accusé de son droit de subir un procès équitable.
Pour ce qui est de la défense de croyance erronée, je suis d'accord avec
mon collègue, le juge Sopinka.
En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la
tenue d'un nouveau procès sur le fondement que le juge du procès a commis une
erreur en refusant d'autoriser le contre-interrogatoire de la plaignante sur ses
dossiers médicaux.
//Le juge L'Heureux-Dubé//
Les motifs des juges La Forest et L'Heureux-Dubé ont été rendus par
LE JUGE L'HEUREUX-DUBÉ (dissidente) -- J'ai eu l'avantage de lire
l'opinion de mes collègues et, pour les raisons qui suivent, je ne partage pas les
motifs du juge Cory non plus que sa conclusion. Je souscris pour l'essentiel aux
motifs de Madame le juge McLachlin ainsi qu'au résultat auquel elle arrive.
Cependant, je souhaite traiter de certains points additionnels et de considérations
différentes sur les points examinés par mes collègues.
Cet appel soulève les deux questions suivantes dont je discuterai dans
l'ordre suivant. Premièrement, le par. 265(4) du Code criminel, L.R.C. (1985),

- 21 -
ch. C-46, porte-t-il atteinte aux droits que garantissent à l'accusé les al. 11d) et 11f)
de la Charte canadienne des droits et libertés? Deuxièmement, le juge du procès
a-t-il commis une erreur en restreignant le contre-interrogatoire de la plaignante
sur ses dossiers médicaux? Cette seconde interrogation soulève, à son tour, des
questions concernant le droit à la confidentialité des dossiers médicaux et la
situation particulière des plaignants dans les procès pour agression sexuelle.
La constitutionnalité du par. 265(4) du Code criminel
Sur la question de la constitutionnalité du par. 265(4) du Code criminel,
je suis d'accord avec mes collègues pour dire que cette disposition ne contrevient
ni à l'al. 11d) ni à l'al. 11f) de la Charte. La règle générale est à l'effet qu'on ne
peut soumettre au jury un moyen de défense qui ne découle pas de la preuve. Or,
comme pour tout moyen de défense, cette disposition exige simplement que la
défense invoquée en matière d'assauts ait un fondement factuel ou, plus
familièrement, un «semblant de vraisemblance» pour que le juge du procès soit
tenu de la soumettre au jury. Cette disposition est donc tout à fait conforme à la
procédure normale lors d'un procès et elle reconnaît l'importance de faire en sorte
que l'attention du jury ne soit pas, sur un point donné, distraite par des
considérations extérieures.
En ce qui a trait ici à la pertinence de la défense de croyance erronée
quant au consentement, ce moyen était, à mon avis, totalement injustifié eu égard
tant à la preuve qu'à la manière dont la défense a été présentée. Comme l'a dit le
juge du procès, cette affaire se réduit à [TRADUCTION] «une simple question de
consentement ou d'absence de consentement». La plaignante et l'appelant ont tous

- 22 -
deux témoigné au sujet des événements en question. Pour ce qui est des
événements qui ont précédé l'agression, leurs témoignages sont relativement
compatibles. Plus précisément, il ne fait aucun doute que la plaignante a été
amenée par l'appelant dans un chalet situé à 40 milles dans le bois, en hiver, sans
vêtements; l'appelant ne conteste pas non plus avoir alors fait fi de ses
protestations.
Leurs versions, cependant, divergent totalement en ce qui a trait au
consentement aux relations sexuelles. L'appelant a fondé sa défense entièrement
sur le consentement volontaire et enthousiaste de la plaignante aux relations
sexuelles, et non sur la possibilité qu'il ait été induit en erreur quant à savoir si elle
consentait ou non. En revanche, la plaignante a déclaré qu'elle n'avait en aucun
moment consenti à l'activité sexuelle en cause mais qu'elle avait été l'objet d'une
série d'assauts, qui ont débuté lorsque l'appelant l'a enlevée dans une voiture. Ce
témoignage a été corroboré tant par des éléments de preuve matériels que par
d'autres témoins.
Je ne reprendrai, à titre d'illustration, qu'une partie de la preuve. La
plaignante a déclaré dans son témoignage que sa culotte avait été déchirée lorsque
l'appelant l'a transportée dans la voiture; une culotte déchirée a été retrouvée par
la police près de l'endroit où la voiture avait été stationnée. La plaignante a dit
avoir été frappée à la tête au moment où on l'amenait dans la voiture et attachée par
les poignets au moment de l'agression; la preuve médicale a confirmé qu'elle avait
des meurtrissures aux poignets et à la tête. De plus, le policier qui l'a trouvée nue
sur le bord de la route à 3 h 30 a témoigné qu'elle a ensuite été en proie à une crise
de larmes pendant deux heures et qu'elle a vomi au poste de police.

- 23 -
Dans les circonstances, le moyen de défense de la croyance erronée
quant au consentement n'avait aucune vraisemblance. Le jury a déclaré l'appelant
coupable d'agression sexuelle. Il lui était loisible de ne pas croire la plaignante et
soit de croire le témoignage de l'appelant, ou d'avoir un doute raisonnable à ce
sujet, mais il était tenu de rendre un verdict à partir des éléments de preuve dont
il disposait. Si le juge du procès avait soumis ce moyen de défense au jury, il
l'aurait ainsi invité à spéculer sur une troisième version des faits qui ne ressortait
aucunement de la preuve soumise par l'une ou l'autre des parties. Il aurait ainsi
commis une erreur, qui aurait été sujette à révision en appel.
Le contre-interrogatoire sur les dossiers médicaux
Dans la présente affaire, l'aptitude de la plaignante à rendre témoignage
n'a pas été contestée au départ; le juge du procès l'a en effet estimée [TRADUCTION]
«tout à fait apte à témoigner» et a souligné que son habilité n'avait jamais été
remise en question. Néanmoins, au courant du fait que la plaignante avait déjà été
hospitalisée pour des problèmes psychiatriques, l'appelant a fait une requête afin
d'obtenir la production de ses dossiers médicaux. Se fondant sur les arrêts Toohey
c. Metropolitan Police Commissioner, [1965] 1 All E.R. 506 (H.L.), et R. c. Hawke
(1975), 22 C.C.C. (2d) 19 (C.A. Ont.), le juge du procès a décidé qu'il fallait
permettre à la défense d'avoir accès à ces dossiers afin d'assurer à l'accusé son droit
à une défense pleine et entière. Cette décision a été prise à la seule fin de
permettre à la défense de tenter d'établir que les troubles médicaux ou
psychiatriques de la plaignante étaient tels que son témoignage était peu fiable. Or,
malgré le libre accès aux renseignements contenus dans les dossiers et le

- 24 -
témoignage de son propre expert en psychiatrie, la défense n'a pas réussi à
démontrer que la plaignante était, pour ce motif, un témoin peu fiable.
Cependant, n'ayant pas atteint cet objectif mais disposant des dossiers
médicaux admis en preuve, la défense a fait valoir qu'elle devrait avoir la
possibilité de contre-interroger la plaignante sans restriction à leur sujet afin de
contester sa crédibilité sur la question du consentement. Le juge du procès a refusé
de permettre un tel contre-interrogatoire au motif qu'il constituerait une violation
de la vie privée de la plaignante. La Cour d'appel a conclu que le juge du procès
avait commis une erreur en refusant d'autoriser le contre-interrogatoire par respect
du droit de la plaignante à la vie privée, mais elle a rejeté ce moyen d'appel parce
qu'elle ne pouvait déterminer les questions que l'avocat de l'appelant se proposait
de poser.
Le juge Cory est d'avis que le juge du procès aurait dû autoriser le
contre-interrogatoire sur la note du 9 juillet figurant dans les dossiers médicaux
dans le but de déterminer si le moyen de défense qu'invoquait l'appelant, soit la
croyance erronée quant au consentement de la plaignante, était vraisemblable.
Tout comme ma collègue Madame le juge McLachlin, je diffère
totalement d'opinion avec mon collègue le juge Cory sur la question du
contre-interrogatoire de la plaignante à l'égard de ses dossiers médicaux. De plus,
une question préliminaire se pose, soit si, dans les circonstances, les dossiers
auraient en premier lieu dû être communiqués à l'appelant et admis en preuve. En
l'espèce, le ministère public n'a pas interjeté d'appel incident de l'ordonnance de
communication des dossiers médicaux de la plaignante, bien que, avant le

- 25 -
prononcé de cette ordonnance, le substitut du procureur général ait soutenu avec
force devant le juge du procès que ces dossiers n'avaient aucune pertinence, que
leur utilisation serait gravement préjudiciable à la plaignante et détournerait
l'attention de la question en litige. Étant donné, toutefois, que nombre de
préoccupations que je soulèverai plus loin sont pertinentes tant quant à la question
de la communication des dossiers médicaux qu'à celle de la portée du
contre-interrogatoire une fois la communication ordonnée, il me semble inévitable
d'examiner aussi jusqu'à un certain point la question de la divulgation de ces
dossiers en l'espèce.
Il faut rappeler dès le départ que, comme c'est le cas pour les témoins
dans tout procès, la défense n'a pas ordinairement accès aux dossiers médicaux
d'un plaignant dans une affaire d'agression sexuelle. La raison en est évidente: ces
renseignements sont, dans l'immense majorité des cas, non pertinents quant à la
question à trancher. Comme principe général et règle de procédure, les parties de
pêche ne sont pas permises encore moins sur des sujets qui ne paraissent pas
susceptibles d'avoir une incidence sur le procès. Qui plus est, pareille intrusion
dans la vie privée d'une personne va à l'encontre du principe des communications
privilégiées entre un médecin et son patient, principe auquel certaines provinces,
le Québec en particulier, assurent une protection, sous réserve d'un intérêt
supérieur.
La question est donc de savoir si, advenant la communication des
dossiers médicaux, le droit de l'accusé à une défense pleine et entière emporte le
droit au contre-interrogatoire sur des renseignements provenant de ces dossiers qui,
n'eussent été les circonstances exceptionnelles de la contestation quant à l'habilité

- 26 -
d'un témoin ou à la fiabilité de son témoignage, auraient été totalement
inaccessibles à l'accusé, voire lui seraient demeurés inconnus. À mon avis, la
réponse doit être négative. De plus, à mon sens, le point de départ de l'analyse
n'est pas la large possibilité de l'accusé de contre-interroger le plaignant, mais
plutôt les deux considérations suivantes qui se posent beaucoup plus tôt dans le
déroulement du procès: le droit fondamental, garanti à chacun par l'art. 8 de la
Charte, au respect de la vie privée et au contrôle des renseignements personnels
obtenus aux fins de faciliter un traitement médical, ainsi que le principe de
l'exclusion de tout renseignement non pertinent quant à un point en litige.
De là, il faut examiner les deux questions suivantes qui sont étroitement
liées. En premier lieu, dans quelles circonstances la divulgation des antécédents
psychiatriques ou médicaux d'un témoin s'impose-t-elle dans l'intérêt de la justice
et compte tenu du droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière aux
accusations auxquelles il fait face? En d'autres termes, à quel moment et pour quel
motif ces dossiers sont-ils pertinents? En second lieu, lorsque ces renseignements
sont communiqués à la défense, y a-t-il lieu d'en restreindre l'utilisation?
À mon avis, ces questions doivent être examinées en regard de l'attente
générale de la société quant au respect de la vie privée en ce qui concerne les
renseignements obtenus à des fins médicales et thérapeutiques. Premièrement, il
faut analyser les règles existantes en matière de contestation quant à l'habilité des
témoins et à la fiabilité des témoignages. Deuxièmement, on doit prendre en
considération les principes régissant l'admission des éléments de preuve et le
contre-interrogatoire. Troisièmement, il faut examiner les craintes que soulève, sur
le plan des principes, l'autorisation de faire largement usage des dossiers médicaux.

- 27 -
Enfin, il convient de s'attacher aux préoccupations particulières entourant la
contestation quant à la crédibilité des témoins dans les procès pour agression
sexuelle.
Analyse
1. Le droit à la vie privée
Notre Cour a reconnu la valeur fondamentale que revêt le droit à la vie
privée eu égard aux notions de dignité et d'autonomie de la personne (R. c.
Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945, et R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417). De même,
la protection de la vie privée en matière de renseignements personnels et, en
particulier, quant à la capacité de contrôler le but et les modalités de leur
divulgation, est indispensable à la dignité et à l'intégrité de l'individu. Pour
reprendre les mots du juge La Forest dans l'arrêt Dyment, précité, aux pp. 429 et
430, s'il
peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions
divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire,
[. . .] les cas abondent où on se doit de protéger les attentes
raisonnables de l'individu que ces renseignements seront gardés
confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu'ils ne seront
utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués.
Nous reconnaissons également qu'il est souvent important de veiller au respect du
droit à la vie privée au moment même de la divulgation si l'on veut en assurer la
protection, car cela s'avère souvent impossible une fois l'intrusion survenue
(Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, et Dyment, à la p. 430).

- 28 -
L'importance fondamentale qu'accorde notre société au respect de la vie
privée est soulignée par la protection que garantit à chacun l'art. 8 de la Charte
«contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives». Cette valeur trouve
son expression dans des lois telle la Loi sur la protection des renseignements
personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, qui restreint les fins auxquelles les
renseignements peuvent être utilisés à celles auxquelles ils ont été reçus.
La question du caractère privé des renseignements médicaux a fait
l'objet d'un examen approfondi de la part du juge La Forest dans l'arrêt Dyment,
précité. Dans ses motifs, le juge La Forest a souligné que le caractère confidentiel
des rapports entre patient et médecin est depuis longtemps reconnu comme une
valeur sociale importante. Il est nécessaire de protéger les renseignements ainsi
obtenus parce que les individus sont particulièrement vulnérables en pareilles
circonstances: afin de protéger leur vie ou leur santé, ils se voient forcés de
divulguer des renseignements intimes. Se fondant sur le rapport du groupe d'étude
du ministère des Communications et du ministère de la Justice, intitulé L'ordinateur
et la vie privée (1972), le juge La Forest a également observé dans l'arrêt Dyment,
que les hôpitaux y ont été considérés comme un sujet de préoccupation spécifique
en matière de protection de la vie privée. Selon le Report of the Commission of
Inquiry into the Confidentiality of Health Information (Ontario 1980), vol. 2, à la
p. 91, on peut craindre que ceux qui ont besoin de soins médicaux soient dissuadés
de chercher à obtenir le traitement voulu si l'échange de renseignements se faisait
régulièrement et facilement. Les auteurs de ce rapport concluent que
[TRADUCTION] «les médecins, les employés d'hôpitaux et les autres travailleurs de
la santé ne doivent pas être intégrés aux mécanismes d'application de la loi de
l'État». Non seulement de telles pratiques mineraient-elles la confiance dans

- 29 -
l'administration de la justice mais elles nuiraient également à la prestation efficace
des soins médicaux.
Notre Cour a clairement établi, dans l'arrêt Dyment, la valeur qu'elle
attache au caractère privé des renseignements médicaux. Elle a, en outre, reconnu,
dans les arrêts McInerney c. MacDonald, [1992] 2 R.C.S. 138, et Norberg c. Wynrib,
[1992] 2 R.C.S. 226, la nature fiduciaire des rapports entre médecin et patient ainsi
que les obligations particulières découlant de cette relation de confiance.
Compte tenu de ces principes généraux, la Cour a jugé qu'il convenait
de protéger le droit à la vie privée eu égard à certaines activités médicales
restreintes, tel le prélèvement d'un échantillon de sang lorsque les intérêts de
l'accusé sont en jeu (voir R. c. Dersch, [1993] 3 R.C.S. 768). Il ne fait aucun doute
que toute tentative du ministère public de mener une enquête approfondie sur
l'histoire médicale complète d'un accusé soulèverait des préoccupations en ce qui
a trait au préjudice que celui-ci pourrait subir et à la pertinence de cette enquête
quant à la question en litige.
Cependant, bien que l'intérêt en jeu dans l'arrêt Dyment, ainsi que dans
l'arrêt Dersch, précité, ait été les droits de l'accusé, le droit à la confidentialité des
dossiers médicaux a été reconnu dans le premier comme une valeur générale et
indépendante, distincte des considérations touchant l'équité du procès. Ainsi, le
droit à la vie privée examiné dans l'arrêt Dyment peut être considéré comme un
droit appartenant à chacun d'entre nous, susceptible d'être en cause dans diverses
circonstances. Il serait de fait étrange que seules les personnes accusées
d'infractions criminelles puissent jouir de la protection de leurs dossiers médicaux.

- 30 -
Une telle conclusion pourrait difficilement inspirer confiance dans l'administration
de la justice. À mon avis, il s'ensuit inéluctablement que les arguments soulevés
dans l'arrêt Dyment quant au respect du droit à la vie privée s'appliquent également,
sinon plus impérieusement, dans le cas des témoins à charge dans une affaire
criminelle.
Étant donné que le juge du procès a fondé son ordonnance de
divulgation sur la jurisprudence citée ci-dessous, j'examinerai maintenant les règles
applicables en matière de contestation quant à l'habilité et à la fiabilité des témoins.
2. L'habilité à témoigner et la contestation quant à la fiabilité du témoignage
En l'espèce, le juge du procès, se fondant sur la règle énoncée dans
l'arrêt Toohey, précité, et suivie par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Hawke,
précité, a ordonné que les dossiers de la plaignante soient communiqués à
l'appelant pour lui permettre de tenter d'établir le peu de fiabilité de son
témoignage.
La règle fondamentale relative aux contestations de l'habilité d'un
témoin est la suivante. Tout témoin, sauf les enfants en deçà d'un certain âge, est
présumé habile à témoigner tant qu'il n'est pas jugé inhabile en raison de
circonstances telles qu'il serait imprudent pour le juge des faits de se fier à son
témoignage. Le fait qu'un témoin souffre de troubles mentaux ou psychiatriques
ne le rend pas nécessairement ou intrinsèquement inhabile à témoigner; il faut pour
le disqualifier que l'état particulier du témoin soit tel qu'il affecte substantiellement
la fiabilité de son témoignage sur un point précis.

- 31 -
Cette question a été examinée en détail par le juge Dubin de la Cour
d'appel de l'Ontario (maintenant juge en chef de l'Ontario) dans l'arrêt Hawke,
précité. Comme il l'a souligné en citant McCormick's Handbook of the Law of
Evidence (2e éd. 1972), § 45, à la p. 93, [TRADUCTION] «il faut établir une
distinction entre contester l'habilité d'un témoin et contester sa crédibilité».
Wigmore, quant à lui, s'exprime ainsi:
[TRADUCTION] Ce principe d'ordre général et rationnel -- savoir
que, pour pouvoir être utilisés, la déficience ou le trouble doivent être
tels qu'ils affectent substantiellement la fiabilité du témoignage sur un
point précis -- est à l'heure actuelle d'application presque universelle.
. . .
Premièrement, le simple trouble ou la simple déficience ne sont pas
en soi une cause d'exclusion du témoin; ainsi, les diverses formes
d'obsession ne sont plus associées à la démence totale;
Deuxièmement, le trouble ou la déficience sont toujours considérés
par rapport au sujet sur lequel porte le témoignage. Si, sur ce point, son
témoignage ne fait ressortir aucune aberration, il est acceptable,
quelque peu fiable qu'il puisse être sur d'autres points; [En italique dans
l'original.]
(Wigmore on Evidence (3e éd. 1940), vol. 2, § 492, aux pp. 585 et 586.)
Il appert de ces principes généraux que, pour contester l'habilité d'un
témoin, il faut établir que ce témoin est inapte à rendre un témoignage fiable sur
la question particulière en litige. De plus, par exception à la règle générale voulant
qu'un expert ne puisse témoigner quant à la crédibilité d'un témoin, il est possible
de recourir au témoignage d'un expert pour établir que le témoin souffre d'une
«déficience cachée» qui affecte la fiabilité de son témoignage. Cependant, comme
l'ont reconnu le juge du procès et la Cour d'appel en l'espèce, il faut distinguer cette
situation de celle où l'on cite un expert afin d'établir qu'un témoin, bien qu'apte à
témoigner de façon fiable, a choisi de s'abstenir.

- 32 -
Le principe général est formulé dans l'arrêt Toohey, précité. Dans cette
affaire, lord Pearce s'est exprimé ainsi au nom de tous les lords juges, à la p. 512:
[TRADUCTION] Une preuve médicale est admissible pour établir qu'un
témoin souffre d'une maladie, d'une déficience ou d'une anormalité de
l'esprit qui compromet la fiabilité de son témoignage. Cette preuve ne
consiste pas seulement en une opinion générale sur le peu de fiabilité
du témoin, mais peut fournir tous les éléments nécessaires pour établir
non seulement le fondement ou les raisons du diagnostic mais aussi la
mesure dans laquelle la crédibilité du témoin est compromise.
Dans l'arrêt Hawke, la Cour d'appel de l'Ontario, suivant l'arrêt Toohey,
a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en rejetant, dans un procès
pour meurtre, la preuve psychiatrique présentée par les médecins d'un témoin
capital. Au moment du procès, le témoin était sous leurs soins depuis plus de
quatre ans pour des troubles psychiatriques graves. Lors d'un voir-dire les
médecins, qui l'avaient examinée la veille, ont déclaré qu'elle avait eu des
hallucinations constantes pendant qu'elle était à la barre. Ils ont ajouté que ces
hallucinations étaient telles qu'elles compromettaient directement la véracité de ce
témoignage. Dans les circonstances, l'affaire donnait manifestement ouverture à
l'application de la règle de l'arrêt Toohey.
Il s'agit évidemment, toutefois, de cas exceptionnels et cette
jurisprudence ne permet pas à la défense de fouiller les antécédents psychiatriques
d'un témoin pour la simple raison qu'elle compte en tirer des éléments pertinents
ou utiles en vue d'attaquer son témoignage. Elle n'oblige pas non plus le juge du
procès à ordonner la divulgation des dossiers médicaux d'un plaignant en vue de
permettre à la défense de tenter d'établir le peu de fiabilité d'un témoin. Il est clair
que la règle établie dans l'arrêt Toohey vise à faire en sorte qu'il existe un

- 33 -
mécanisme permettant que soient mises en lumière au procès les préoccupations
sérieuses que peut soulever la perturbation mentale ou psychiatrique d'un témoin
quant à la fiabilité de son témoignage. Il est également clair que le recours à des
témoins experts n'est permis qu'à la seule fin d'établir que, par certains aspects, les
troubles dont souffre le témoin peuvent compromettre la fiabilité de son
témoignage sur la question en cause; sinon, comme l'ont estimé les deux instances
inférieures en l'espèce, cette preuve pourra être inadmissible. Elle n'est pas censée
faciliter les parties de pêche de la défense dans un cas où les antécédents
psychiatriques du témoin peuvent être secondaires ou totalement étrangers par
rapport à la question à trancher. À mon avis, la règle qu'énonce l'arrêt Toohey ne
constitue pas davantage une méthode permettant de recueillir toutes sortes de
renseignements qui, bien que d'un intérêt incontestable pour la défense dans ses
tentatives de miner la crédibilité du témoin, lui resteraient autrement inaccessibles.
De plus, ces arrêts ne rendent pas obligatoire la communication des
dossiers médicaux à la défense pour lui permettre d'établir le peu de fiabilité d'un
témoignage. Advenant le cas où la défense établirait, par exemple, qu'en raison de
la conduite ou du comportement d'un témoin, la tenue d'une enquête à cet égard est
cruciale en vue d'assurer l'équité du procès, la méthode usuelle consisterait, comme
dans l'arrêt Hawke, à appeler à la barre le propre médecin du témoin pour qu'il
témoigne sur ce qui, vu les troubles mentaux ou psychiatriques du témoin, est
susceptible de compromettre spécifiquement sa capacité à rendre un témoignage
fiable sur la question en cause.

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3. Les restrictions au contre-interrogatoire
À mon avis, lorsque la divulgation est requise, les fins limitées
auxquelles cette preuve peut d'abord et avant tout être utilisée indiquent qu'il est
également justifié de restreindre la portée du contre-interrogatoire. Toutefois, mon
collègue le juge Cory a conclu qu'une fois les dossiers médicaux admis, il fallait
alors permettre le contre-interrogatoire sur tout renseignement émanant de ces
dossiers susceptible d'être pertinent relativement à un point soulevé dans l'affaire.
Bien que mon collègue estime lui-même que la fin invoquée par l'avocat de la
défense relativement au contre-interrogatoire semblait constituer «le type même
de fin indue pour laquelle des éléments de preuve ne peuvent pas être produits» (p.
673), il n'en conclut pas moins que le juge du procès aurait dû «autoriser le
contre-interrogatoire à l'égard du rapport du 9 juillet, particulièrement pour
déterminer s'il pouvait jeter une lumière nouvelle soit sur un motif qu'aurait pu
avoir la plaignante de prétendre avoir été victime d'une agression sexuelle, soit sur
un aspect de sa conduite qui aurait pu porter l'appelant à croire qu'elle consentait
à ses avances sexuelles» (pp. 673 et 674). Je ne suis pas d'accord, pour les motifs
qui suivent.
Les dossiers médicaux ne deviennent pertinents que s'il existe un motif
sérieux de croire que l'habilité à témoigner, normalement présumée chez le témoin
adulte, est en cause. Dans la mesure où ces dossiers sont nécessaires pour établir
l'inaptitude du témoin à rendre un témoignage fiable à l'égard de la question
précise en litige, ils conservent leur pertinence. Mais si on ne peut établir le peu
de fiabilité allégué, les renseignements contenus dans les dossiers redeviennent
marginaux et le contre-interrogatoire à leur égard ne sera pas permis en raison

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simplement de leur absence de pertinence ou de leur caractère trop éloigné et de
leur faible valeur probante.
Compte tenu des limites à l'exploration des troubles mentaux ou
psychiatriques particuliers d'un témoin que j'ai examinées précédemment en regard
des arrêts Toohey et Hawke, il s'ensuit, à mon avis, qu'il convient également de
restreindre le contre-interrogatoire relatif aux dossiers médicaux qui va au-delà de
la question de la non-fiabilité du témoignage du fait de ces troubles mentaux. En
d'autres termes, le contre-interrogatoire relatif aux dossiers médicaux doit être
restreint à la fin pour laquelle ils ont été introduits en preuve. La défense ne peut
donc pas faire valoir que, vu la pertinence des dossiers médicaux quant à l'habilité
du témoin à rendre témoignage ou à sa fiabilité relativement à la question à
trancher, il lui est loisible de faire porter son contre-interrogatoire sur tous les
renseignements qui y sont consignés, à quelque fin qu'ils puissent servir dans le
cadre de sa preuve.
Il peut, certes, y avoir des cas où, comme en l'espèce, la défense allègue
que les dossiers renferment des renseignements pertinents quant aux questions à
trancher. À mon avis, tant en raison des règles fondamentales régissant la preuve
que pour des considérations de principe que j'examinerai plus loin, le
contre-interrogatoire sur ces renseignements devrait néanmoins, sauf cas
exceptionnels, demeurer interdit.
Comme le dit McCormick, op. cit., à la p. 438, [TRADUCTION] «la
pertinence ne suffit pas toujours». Le juge du procès possède le pouvoir
discrétionnaire indubitable d'exclure des éléments de preuve et de restreindre le

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contre-interrogatoire sur des points qui, en dépit de leur pertinence alléguée,
pourraient s'avérer préjudiciables eu égard à la question à trancher. Les
considérations suivantes sont au premier rang de ces préoccupations: certains faits
peuvent nourrir indûment des préjugés, de l'hostilité ou de la sympathie; ils
peuvent distraire l'attention du juge des faits de la principale question à trancher;
l'analyse de la question peut demander trop de temps. (Voir également Wigmore
on Evidence, vol. 1A (Tillers rev. 1983), à la p. 969.)
À mon avis, les dossiers médicaux sont d'une nature telle qu'un
contre-interrogatoire illimité peut souvent soulever toutes ces préoccupations à la
fois. Dans l'immense majorité des cas, cette preuve est tout à fait marginale par
rapport à l'enjeu central du procès. Elle peut fort bien encourager les préjugés du
juge des faits à l'endroit du témoin. De plus, le mécanisme de la preuve et de la
contre-preuve sur la question de la fiabilité demande un temps considérable et
risque de faire dévier le procès. Pour ces motifs, ses effets préjudiciables pour le
témoin et aussi, dans de nombreux cas, sur le déroulement du procès lui-même
l'emporteront sur sa valeur probante, même dans l'hypothèse où les dossiers
médicaux sont pertinents pour le procès. Plus précisément et, en particulier, dans
le cas des plaignants dans les procès pour agression sexuelle, il existe un risque
sérieux que de tels renseignements soient utilisés pour en inférer des conclusions
inadmissibles et encourager le juge des faits à juger de la crédibilité des victimes
d'agression sexuelle à partir de mythes, au préjudice tant du témoin que du
déroulement du procès.

- 37 -
4. Les considérations de principe entourant la divulgation des dossiers médicaux
Comme je l'ai noté précédemment, notre Cour a déjà reconnu, dans
l'arrêt Dyment, précité, que l'utilisation sans restriction de renseignements obtenus
à l'occasion des rapports entre un médecin et un patient ou d'autres formes de
rapports thérapeutiques présente de sérieux dangers. Aux fins de la présente
analyse, il importe d'explorer les préoccupations qui suivent eu égard à la
divulgation initiale des dossiers médicaux et aux restrictions apportées au
contre-interrogatoire subséquent. Ce ne sont là que les préoccupations les plus
évidentes; de plus amples recherches et de nouvelles données pourraient fort bien
révéler d'autres dangers.
En premier lieu, le bon sens nous enseigne qu'une personne, consciente
de la possibilité, voire de la probabilité, que des dossiers médicaux servent à
contester la crédibilité d'un témoin, pourrait être réticente à demander un traitement
nécessaire et valable s'il y a risque qu'elle soit appelée à témoigner à un procès, en
particulier s'il existe un lien entre les événements en cause et l'objet du traitement.
Peu de gens sourient à l'idée que de tels renseignements puissent être rendus
publics, et nombreux sont ceux qui pourraient craindre les répercussions de cette
divulgation sur d'autres aspects de leur vie.
De plus, la divulgation courante des dossiers médicaux et la possibilité
de contre-interroger sans restriction à cet égard risquent d'entraîner des résultats
très inéquitables à l'endroit des personnes ayant subi une thérapie mentale ou
psychiatrique, quelle qu'en soit la raison ou la nature, par opposition au public en
général. Ces personnes seraient victimes d'une violation de leur vie privée que

- 38 -
n'auraient pas à subir les autres témoins cités à comparaître. Elles pourraient
devoir répondre à des questions portant sur des détails de leur vie personnelle
ressortant de leurs dossiers et être obligées, dans les faits, de réfuter la
présomption, totalement injustifiée le plus souvent, selon laquelle leurs antécédents
médicaux sont pertinents quant à leur crédibilité et à leur aptitude à témoigner sur
la question en litige.
De surcroît, les dossiers médicaux relatifs à des déclarations faites dans
le cours d'une thérapie constituent du ouï-dire et suscitent en soi des problèmes en
matière de fiabilité. Les préoccupations qu'exprime le témoin dans le cadre d'une
thérapie après le fait ne sauraient équivaloir à un témoignage rendu au cours d'un
procès, même en présumant qu'elles ont été correctement comprises et fidèlement
prises en note. Le contexte dans lequel ces déclarations ont été faites, tout comme
les attentes des parties à leur propos, diffèrent totalement. Dans un procès, le
témoin fait une déposition sous serment sur les événements particuliers en cause.
Dans une thérapie, par contre, le dialogue entre le thérapeute et le patient
s'alimente à toute une gamme de facteurs tels l'histoire personnelle, les pensées, les
émotions aussi bien que des actes en particulier. Il existe donc un fort risque que
le juge des faits se serve de ces déclarations isolément, hors de leur contexte, afin
d'en inférer des conclusions totalement injustifiées.
Enfin, la crédibilité constitue souvent l'une des questions en litige dans
un procès et, en particulier, dans les affaires d'agression sexuelle. À mon avis, si
l'on jugeait la divulgation pertinente dans ces cas, rien n'empêcherait un accusé de
demander chaque fois communication des dossiers médicaux et psychiatriques de
la plaignante et de contre-interroger celle-ci sur tous les aspects qui y sont révélés.

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Compte tenu de ces préoccupations, les tribunaux doivent évaluer
soigneusement les conséquences de cette divulgation, non seulement sur la
personne faisant l'objet d'une ordonnance de communication ou d'un
contre-interrogatoire portant sur les dossiers ainsi communiqués, mais aussi sur la
poursuite des crimes eux-mêmes. Si cette pratique a pour résultat de décourager
les témoins de rapporter des faits et de fournir des éléments de preuve, on ne peut
alors, à mon sens, dire qu'elle est susceptible de faire avancer le procès ou de
contribuer à l'atteinte des objectifs généraux de l'administration de la justice.
Outre ces considérations générales applicables à tous les témoins, il
importe à mon avis d'examiner la situation particulière du plaignant dans un procès
pour agression sexuelle.
5. L'agression sexuelle
Il n'est pas sans intérêt que la contestation menée en l'espèce contre la
crédibilité du témoin l'ait été dans le cadre d'un procès pour agression sexuelle.
Depuis 1983, il est interdit, aux termes de l'actuel art. 277 du Code criminel, de
contester la crédibilité du plaignant par une preuve de réputation sexuelle. De
plus, le législateur a récemment modifié le Code criminel (Loi modifiant le Code
criminel (agression sexuelle), L.C. 1992, ch. 38, art. 2), afin de remplacer l'ancien
art. 276 du Code que notre Cour avait déclaré inconstitutionnel dans l'arrêt R. c.
Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577. Sous réserve de certaines exceptions, cet article
empêchait l'accusé de présenter une preuve concernant les activités sexuelles du
plaignant avec toute personne autre que l'accusé. Les modifications apportées
témoignent éloquemment de la volonté du législateur de formuler des lignes

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directrices afin d'éviter que les procès pour agression sexuelle ne dégénèrent en
enquêtes sur la moralité et le comportement antérieur du plaignant. Or, à mon avis,
il existe un risque réel que les avocats se servent des dossiers médicaux comme
d'un moyen d'amener indirectement devant le juge des faits une preuve relative au
plaignant qu'ils ne sont plus autorisés à lui soumettre directement. Qui plus est, en
raison des croyances qui ont traditionnellement marqué, dans les procès pour
agression sexuelle, les notions de fiabilité et de crédibilité, le seul fait que soient
invoqués, dans ce type de procès, des motifs d'ordre mental ou psychiatrique pour
contester la crédibilité soulève de graves questions quant à la persistance des
mythes entourant le viol.
Historiquement, une série de facteurs ont été jugés pertinents quant à
la crédibilité des plaignantes dans les procès pour agression sexuelle alors qu'ils
n'avaient aucune incidence sur celle des témoins dans les autres types de procès,
ce qui avait pour résultat de porter préjudice aux victimes d'agression sexuelle.
Dans l'arrêt Seaboyer, précité, j'ai examiné à fond les obstacles auxquels les
plaignantes se heurtent dans ce genre d'affaires en raison de ces présomptions sans
fondement. Parmi ces obstacles se retrouvent les mythes selon lesquels certains
types de femme ne peuvent pas être «violées» et d'autres femmes, à cause de leur
occupation ou de leur comportement sexuel antérieur, ne sont pas dignes de foi.
Si l'on en croit ces mythes, les femmes seraient responsables de l'agression
sexuelle du fait de leur comportement ou de leur apparence. Toujours selon eux,
l'usage de drogue ou le fait de dépendre de l'aide sociale seraient des facteurs
pertinents quant à la crédibilité relativement au consentement. La présence de
certaines réactions émotives et le signalement immédiat de l'agression, malgré tous
les facteurs dissuasifs à cet égard, ajouteraient à la crédibilité de la dénonciation,

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alors que des réactions opposées conduiraient à conclure que la plaignante a dû
fabriquer l'incident. De plus, ces mythes sont fondés sur l'idée que les femmes, par
rancune, inconstance ou fantasme et malgré le traumatisme évident subi par les
victimes dans de nombreux procès pour agression sexuelle, sinon dans la plupart,
sont enclines à mentir à ce propos. Tout cela a eu pour résultat que seule une
fraction des agressions sexuelles sont et continuent d'être signalées et de faire
l'objet de poursuites; de plus, parmi les cas qui parviennent devant les tribunaux,
le nombre de déclarations de culpabilité est inférieur à celui enregistré pour
d'autres infractions.
C'est dans ce contexte que doivent être examinées les contestations
quant à la crédibilité des victimes d'agression sexuelle pour des motifs d'ordre
psychiatrique. Il n'y a absolument aucune preuve que les fausses allégations soient
plus fréquentes en matière d'agression sexuelle que pour tout autre type
d'infraction; de fait, vu les données faisant état des nombreux obstacles au
signalement, le contraire semble plus vraisemblable. Les mythes selon lesquels
l'appréciation de la crédibilité des plaignantes doit être scrutée de façon
exceptionnelle n'en continuent pas moins de jouer un rôle dans la poursuite des
agressions sexuelles. Comme preuve de leur persistance, il suffit de souligner que,
hormis les cas d'agression sexuelle, il est rare que soit invoquée la pertinence des
antécédents psychiatriques d'un témoin quant à la question à trancher. De surcroît,
les juges du procès n'accordent pas normalement ce genre de requête à moins que
la défense n'ait préalablement établi de façon concluante qu'une exploration des
antécédents médicaux d'un témoin est cruciale pour décider de la question en jeu.

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À la lumière de ces pratiques, la question qu'on doit se poser est donc
la suivante: pourquoi les dossiers médicaux sont-ils considérés, ou plus
susceptibles d'être considérés, comme étant à la fois pertinents et nécessaires dans
les procès pour agression sexuelle?
On a traditionnellement défini la pertinence comme [TRADUCTION] «tout
ce qui est en accord avec le bon sens» (P. K. McWilliams, Canadian Criminal
Evidence (3e éd. 1988), à la p. 11-32) ou ce qui constitue la [TRADUCTION] «preuve
logique» de la question en litige, selon la définition que notre Cour a adoptée dans
l'arrêt Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190. Bien que la question de la
pertinence apparaisse, à première vue, relativement simple à trancher, ce n'est pas
le cas, ainsi que je l'ai expliqué dans l'arrêt Seaboyer, précité, aux pp. 679 et 680:
Quel que soit le test, qu'il soit fondé sur l'expérience, le bon sens
ou la logique, c'est là une décision particulièrement perméable aux
préjugés. Quelle que soit la définition utilisée, la décision que prendra
le juge quant à la pertinence sera fondée sur son expérience, son bon
sens ou sa logique, ou sur les trois à la fois. Dans la majorité des cas,
on s'entendra généralement sur ce qui est pertinent, et la détermination
de la pertinence ne posera pas de problème. Toutefois, il existe
certains domaines où l'expérience, le bon sens et la logique sont
alimentés par des stéréotypes et des mythes. Comme je l'ai déjà
indiqué clairement, on a été tout particulièrement enclin, dans ce
domaine du droit, à utiliser des stéréotypes aux fins de déterminer ce
qui est pertinent et cela, comme je l'ai déjà démontré, paraît aller
malheureusement de soi à l'intérieur d'une société qui, en grande partie,
partage ces préjugés. Il semble également que la reconnaissance du
rôle important que jouent les stéréotypes dans le cadre de la
détermination de la pertinence a eu fort peu d'incidence dans ce
domaine du droit. [Je souligne.]
Bien qu'on reconnaisse aujourd'hui beaucoup plus largement, tant au
sein de l'administration de la justice que parmi le public en général, que les
préjugés entourant les victimes d'agression sexuelle sont aussi préjudiciables aux

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victimes que nuisibles à la poursuite de ces crimes, leur force et leur effet n'ont pas
disparu. De par leur nature même, les préjugés jouent dans l'appréciation de la
pertinence. Cependant, comme ils opèrent souvent inconsciemment, leur effet peut
passer inaperçu et ils seront donc difficilement identifiables. Conscient de cet état
de fait, le législateur demande maintenant expressément au juge, dans les
modifications précitées qu'il a apportées au Code criminel, de prendre en
considération les facteurs suivants pour décider de l'admissibilité d'une preuve:
276. . . .
(3) Pour décider si la preuve est admissible au titre du
paragraphe (2), le juge, le juge de la cour provinciale ou le juge de paix
prend en considération:
. . .
b) l'intérêt de la société à encourager la dénonciation des
agressions sexuelles;
. . .
d) le besoin d'écarter de la procédure de recherche des faits toute
opinion ou préjugé discriminatoire;
e) le risque de susciter abusivement, chez le jury, des préjugés, de
la sympathie ou de l'hostilité;
f) le risque d'atteinte à la dignité du plaignant et à son droit à la vie
privée;
g) le droit du plaignant et de chacun à la sécurité de leur personne,
ainsi qu'à la plénitude de la protection et du bénéfice de la loi;
Cela étant, à mon avis les éléments de preuve, qui n'entrent pas
normalement en considération dans le déroulement du procès mais qu'on estime
pertinents quant à la crédibilité des plaignants dans des affaires d'agression
sexuelle, doivent être examinés avec minutie, voire avec scepticisme. À mon sens,

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la meilleure façon d'examiner la question de la pertinence est de placer l'utilisation
proposée de la preuve psychiatrique dans le contexte d'un procès ordinaire.
La crédibilité est la question centrale dans beaucoup d'affaires
criminelles. Qui plus est, le déroulement du procès est entièrement conçu de
manière à donner au juge des faits l'occasion d'apprécier la sincérité des témoins.
Toutefois, comme je l'ai dit précédemment, l'habilité des témoins se présume en
règle générale et il est rare qu'on conteste la fiabilité d'un témoignage en se fondant
sur les troubles mentaux ou psychiatriques du témoin. À moins que l'on veuille,
consciemment ou inconsciemment, ressusciter le mythe selon lequel les plaignants
dans les procès pour agression sexuelle sont, fondamentalement, moins dignes de
foi que les témoins dans tout autre procès où la crédibilité est en cause, les
contestations fondées sur les troubles mentaux ou psychiatriques doivent, dans les
procès pour agression sexuelle, être analysées selon la même norme de pertinence
que dans les procès pour toute autre infraction. Une demande de production des
dossiers médicaux du plaignant, encore plus une ordonnance à cet effet, devrait
donc demeurer exceptionnelle.
De plus, il faut aborder clairement la question des conséquences, tant
sur les témoins que sur le déroulement du procès, de l'admission des dossiers
médicaux et de l'utilisation des renseignements qu'ils contiennent à des fins de
contre-interrogatoire par la défense. À mon avis et pour les raisons qui suivent, la
conclusion inéluctable est que de telles pratiques ne feraient que frustrer encore
davantage nos tentatives toujours inadéquates d'assurer aux victimes d'agression
sexuelle la protection qu'elles sont en droit d'attendre du système judiciaire.

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L'un des freins les plus puissants à la dénonciation des agressions
sexuelles est la crainte des femmes que le système pénal ne vienne accroître leur
victimisation; d'après l'analyse que j'ai faite dans l'arrêt Seaboyer, précité, à la
p. 650, près de la moitié des cas de non-signalement sont attribuables à cette
perception qu'ont les victimes d'agression sexuelle. Pour de bonnes raisons, les
femmes en sont venues à croire que leurs dénonciations ne seront pas prises au
sérieux par la police et que le procès lui-même ne sera qu'un traumatisme de plus.
Il est donc manifeste que si, en plus des facteurs dissuasifs actuels, les victimes
sont confrontées à la révélation de détails intimes de leur vie par la divulgation de
leurs dossiers médicaux, les freins au signalement ne pourront qu'augmenter.
Deux situations sont susceptibles de se produire. Si les victimes
d'agressions sexuelles craignent que leurs dossiers médicaux soient jugés
pertinents relativement à l'agression, elles pourraient fort bien décider de renoncer
au traitement médical si elles ont l'intention de signaler l'agression ou si des
accusations sont déjà portées. Celles qui auront subi un traitement pourront être
réticentes à se livrer entièrement de peur que ces informations ne soient utilisées
contre elles, que ce soit au procès ou, vu le caractère public du procès, dans
d'autres aspects de leur vie. Une telle décision pourrait empêcher que soient
analysées des questions d'importance vitale dans le cadre de la thérapie et pour le
bien-être ultime des victimes.
Par contre, les victimes qui choisissent de suivre une thérapie, ainsi que
celles dont la survie même en dépend, seront moins susceptibles de porter plainte.
De toute évidence, cela conduirait à une diminution des poursuites et des
déclarations de culpabilité dans ce genre d'affaires, ce qui, en retour, aurait pour

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résultat de perpétuer la victimisation et d'accroître le risque d'agression contre
d'autres victimes potentielles.
En outre, la nature de la thérapie fait en sorte que sa simple divulgation
pourrait en soi être préjudiciable à la santé du témoin.
De fait, des articles récents ont fait écho à ces préoccupations. À la
suite de décisions récemment rendues en Nouvelle-Écosse (R. c. Ross (1993), 121
N.S.R. (2d) 242 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour Suprême du Canada
refusée, [1993] 3 R.C.S. viii) et en Colombie-Britannique (R. c. O'Connor (1992),
18 C.R. (4th) 98 (S.C.)), des groupes représentant, entre autres, des victimes
d'agression sexuelle et des personnes handicapées ont fait état de sérieuses
préoccupations à ce sujet (The Globe and Mail, 15 mai 1993, à la p. D3, et 15 juillet
1993, à la p. A7; et le Calgary Herald, 16 juillet 1993, à la p. A12).
Ironiquement, donc, une procédure justifiée par le droit de l'accusé à
une défense pleine et entière risque d'aller à l'encontre de l'objectif de protéger les
victimes d'agression sexuelle en fournissant aux contrevenants le moyen
d'échapper aux poursuites.
Rappelons que les experts que cite la défense dans sa tentative de
contester la fiabilité du plaignant ont le droit d'exposer le fondement de leur
opinion et on s'attend d'ailleurs à ce qu'ils le fassent. Dans les circonstances, il
semble impossible d'empêcher la divulgation de renseignements tirés des dossiers
médicaux sur le comportement et les antécédents du témoin, renseignements qui,
bien que non pertinents pour les questions en litige, peuvent, vu la persistance des

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croyances entourant les victimes d'agression sexuelle, prévenir injustement le jury
contre le plaignant. En retour, cela peut nuire au procès en amenant le jury à
concentrer son attention sur la personnalité du plaignant et non sur la question
précise qui lui est soumise, celle de l'agression.
À mon avis, il faut, pour contrecarrer ces effets, que les victimes
d'agression sexuelle aient préalablement l'assurance que leurs dossiers médicaux
ne pourront être communiqués à la défense.
Conclusion
Je conclurais, donc, que l'obligation de divulguer des dossiers médicaux
ne peut être imposée que lorsqu'il y a des raisons graves de croire que, sans cette
divulgation, il y aura vraisemblablement erreur judiciaire. Étant donné
l'importance que notre société accorde à la confidentialité des dossiers médicaux
et le grave préjudice que cause au témoin le fait de fouiller dans ses dossiers
psychiatriques, ces dossiers ne devraient, à mon avis, être divulgués que s'il existe
une preuve forte selon laquelle un doute sérieux plane sur l'habilité du témoin à
témoigner ou que son témoignage sur un point particulier est peu fiable en raison
des troubles médicaux dont il souffre et que, sans cette divulgation, le droit de
l'accusé à une défense pleine et entière subirait un grave préjudice. Le simple fait
que la défense, comme elle l'a fait en l'espèce, évoque la possible pertinence de ces
dossiers ou spécule à cet égard ne saurait suffire.
La question de la divulgation des dossiers médicaux n'ayant pas fait
l'objet d'un débat particulier dans le présent appel et vu que cette question reste

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ouverte, je m'abstiendrai pour le moment de discuter de façon plus précise des
conditions ordinairement nécessaires pour satisfaire à ces considérations
préliminaires.
Cependant, dans le cas où les dossiers médicaux sont divulgués à la
défense, leur utilisation doit, à mon avis, être restreinte aux fins précises pour
lesquelles ils ont été communiqués. En d'autres termes, leur utilisation se limite
à établir que l'état de santé du témoin rend son témoignage peu fiable. En règle
générale, la défense ne peut recourir à ces dossiers pour obtenir des éléments de
preuve sur d'autres questions en litige. Certes, il peut y avoir des cas où, étant
donné la pertinence directe et la haute valeur probante des éléments de preuve ainsi
révélés, l'impossibilité d'utiliser ces autres éléments pourrait conduire à une erreur
judiciaire, mais ces cas seront rares et encore là, pour les raisons déjà avancées,
l'avocat de la défense ne pourra pas avoir recours à ces dossiers pour obtenir des
informations lui permettant de contester la crédibilité du témoin en général. À cet
égard, les dossiers médicaux, en particulier les dossiers psychiatriques, constituent
une mine de renseignements potentiels pour les avocats de la défense. En
conséquence, dans les cas exceptionnels où les dossiers médicaux sont admis en
preuve, les tribunaux doivent veiller avec un soin particulier à ce que, dans les
procès pour agression sexuelle, ces dossiers ne servent pas à interroger les
plaignantes sur leur comportement sexuel antérieur ou à alimenter le mythe
entourant le viol en soulevant des questions que le juge des faits risque de
considérer comme établissant le «mauvais caractère» de la plaignante, ce que la
défense a précisément allégué en l'espèce, savoir [TRADUCTION] «le genre de
personne qu'est la plaignante».

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En conclusion, je me dois de souligner que la défense n'a normalement
pas accès aux dossiers médicaux des témoins. À moins que nous soyons disposés
à accepter l'argument voulant que les dossiers médicaux doivent être communiqués
dans tous les cas où la crédibilité est en cause (ce qui n'est pas le cas, pour des
raisons de pertinence), je ne vois pas comment l'impossibilité d'avoir accès à ces
renseignements, ou de contre-interroger pleinement la plaignante à cet égard,
empêche l'accusé de présenter une défense pleine et entière. Un tel argument
suppose que l'accusé jouirait d'une latitude virtuellement illimitée pour élargir le
focus du procès. Or, les droits de l'accusé de présenter des éléments de preuve et
de procéder au contre-interrogatoire ne sont pas illimités; ils doivent, en premier
lieu, être circonscrits par la question de pertinence et, en second lieu, être pondérés
par des facteurs tels le droit du témoin à sa vie privée et le préjudice qui peut en
résulter tant pour le témoin que pour le déroulement du procès.
Application à l'espèce
Dans la présente affaire, l'avocat de l'appelant a cherché à l'origine à
obtenir communication de l'ensemble du dossier médical de la plaignante ainsi que
l'autorisation de la contre-interroger sans restriction sur tous ses problèmes
psychiatriques, tous les médicaments qu'elle prenait et toute l'aide psychologique
qu'elle recevait. Avant le dépôt des dossiers médicaux, l'avocat a librement admis
ne pas savoir ce qu'il allait y trouver et il a reconnu la possibilité qu'il ne trouve
aucun élément utile, tout en affirmant néanmoins que les dossiers étaient
nécessaires à une défense pleine et entière. Le juge du procès a apparemment été
d'avis que les dossiers médicaux de la plaignante devaient être divulgués étant
donné la possibilité qu'elle souffre d'une maladie psychiatrique grave.

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À mon avis, rien au dossier ne laisse ici croire qu'il y avait, au départ,
des motifs suffisants pour justifier une ordonnance de communication des dossiers
à la défense. La question en litige se réduisait au consentement aux relations
sexuelles avec l'appelant ce jour-là. Rien dans la preuve n'indiquait que la
plaignante était incapable de donner un témoignage fiable en général et encore
moins, quant à la question précise à trancher. Bien au contraire, la plaignante a été
capable de faire, et a effectivement fait, avant l'ordonnance de communication des
dossiers médicaux, un compte rendu clair, complet et détaillé des événements.
Rien n'empêchait la défense de contre-interroger pleinement la plaignante sur ces
événements.
De plus, il n'y avait absolument aucun élément indiquant que la
plaignante souffrait, dans les faits, d'un trouble susceptible d'affecter son aptitude
à rendre un témoignage fiable; le seul élément en preuve était qu'elle avait été
admise dans une unité psychiatrique à plusieurs reprises à cause de difficultés avec
sa famille et de problèmes liés à une faible estime de soi. Or, la plaignante avait
déjà elle-même admis ses antécédents psychiatriques avant la divulgation des
dossiers médicaux. Il n'y avait donc, eu égard à son état mental, aucune
«déficience cachée» que seul aurait pu révéler le témoignage d'un psychiatre.
Étant donné, cependant, que le juge du procès s'estimait tenu d'ordonner
la divulgation des dossiers médicaux de la plaignante, il était, à mon avis, non
seulement approprié mais essentiel qu'il restreigne les fins auxquelles ceux-ci
pouvaient être utilisés. Le juge du procès n'a pas non plus commis d'erreur en
concluant que la vie privée de la plaignante constituait une valeur importante dont
il fallait tenir compte dans la détermination du champ d'utilisation des dossiers

- 51 -
médicaux. Enfin, il a eu tout à fait raison de ne pas permettre à la défense de
contre-interroger la plaignante à ce propos afin de tenter d'en tirer des
renseignements susceptibles d'étayer la défense de croyance erronée au
consentement. Les éléments de preuve contenus dans les dossiers médicaux
étaient, de toute évidence, dénués de toute pertinence et n'avaient aucune valeur
probante à cet égard.
Malgré la production des dossiers médicaux, l'appelant n'a pu établir
par l'entremise du médecin de la plaignante ou de son propre témoin expert que
celle-ci souffrait d'une déficience mentale qui l'empêchait de témoigner de façon
fiable quant au consentement aux relations sexuelles ce jour-là. L'avocat de
l'appelant a contre-interrogé le psychiatre de la plaignante, le Dr MacTavish, lors
d'un voir-dire sur ces dossiers. Ce dernier a rejeté la prétention selon laquelle la
plaignante souffrait d'un trouble de la personnalité et, interrogé directement à ce
sujet par le juge du procès, il a expressément dit croire que son témoignage était
fiable à sa face même.
Toutefois, une fois en possession des dossiers médicaux, l'appelant a
fait valoir que, puisqu'ils avaient été admis, il devait être autorisé à
contre-interroger la plaignante sans restriction à leur sujet afin de contester sa
crédibilité sur la question du consentement. Pour les motifs que j'ai exposés,
l'analyse qu'a faite le juge du procès pour refuser le contre-interrogatoire était
correcte. De surcroît, il est clair que l'appelant entendait recourir à ces dossiers
pour soulever contre la plaignante le type même de préjugés qui alimentent les
mythes entourant le viol.

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À mon avis, l'appelant ayant été incapable d'établir l'incapacité de la
plaignante à rendre un témoignage fiable, le juge du procès a eu entièrement raison
d'estimer que là s'arrêtait toute utilisation de ses dossiers médicaux au procès.
Contrairement à la conclusion de la Cour d'appel, il existe bel et bien
au dossier, tel qu'il appert des prétentions qu'a fait valoir l'avocat de l'appelant
avant l'ordonnance de communication des dossiers médicaux et avant la décision
touchant le contre-interrogatoire, des indications concernant les questions que la
défense souhaitait poser et la stratégie qu'elle entendait poursuivre en
contre-interrogeant la plaignante au sujet de ses dossiers médicaux. L'avocat de
l'appelant a en effet admis en toute franchise qu'il voulait présenter des éléments
de preuve concernant la réaction des parents de celle-ci à l'agression parce que
[TRADUCTION] «cela touche directement le genre de personne qu'est la plaignante».
De plus, le contre-interrogatoire de son psychiatre, le Dr MacTavish, sur ces
dossiers lors du voir-dire révèle clairement la manière dont l'appelant concevait
leur pertinence. Il ressort de ces deux sources que la défense entendait recourir
aux renseignements émanant des dossiers pour mener une contestation en règle
contre la crédibilité de la plaignante et établir son «mauvais caractère». Cela
découle, à l'évidence, du contre-interrogatoire du Dr MacTavish dans lequel la
défense a soulevé des questions tel l'usage antérieur que la plaignante a fait de
drogue et d'alcool, les difficultés qu'elle a rencontrées dans ses relations sociales,
ses relations sexuelles et ses disputes avec sa mère. Je peux seulement en conclure
que la défense espérait se servir de témoignages d'experts sur les dossiers
médicaux pour inviter le jury à en tirer des inférences quant à la crédibilité de la
plaignante fondées, entre autres, sur son comportement sexuel antérieur. Or, telles
sont précisément les inférences fondées sur des mythes qui sont préjudiciables aux

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victimes d'agression sexuelle et que le législateur s'est efforcé de prévenir, en
modifiant les dispositions régissant l'agression sexuelle.
En ce qui concerne le contre-interrogatoire projeté, l'appelant a fait
valoir devant notre Cour que la note du 9 juillet figurant aux dossiers de la
plaignante, et portant qu'elle craignait que son comportement ait pu influencer
celui de l'appelant, était pertinente quant aux moyens de défense de consentement
et de la croyance erronée au consentement. Il a également soutenu que les
remarques concernant les relations turbulentes que la plaignante entretenait avec
ses parents étaient pertinentes en ce qui concerne la thèse de la défense voulant
qu'elle ait fabriqué les allégations d'agression pour éviter une confrontation avec
eux au sujet de la nuit entière passée à l'extérieur.
En ce qui a trait à la note du 9 juillet, je ne puis voir en quoi cette
déclaration, faite quatre mois et demi après l'incident, pourrait avoir quelque
pertinence quant à la question du consentement au moment de l'incident ou à celle
de la croyance erronée de l'appelant à cet égard. Les réflexions de la plaignante
sur la façon dont la situation aurait pu être évitée, même en présumant de leur
justesse, ne peuvent avoir aucune valeur probante quant à la question de savoir s'il
y a eu ou non consentement à l'agression ou croyance erronée au consentement de
la part de l'appelant. Quoi qu'il en soit, de telles déclarations n'ont rien d'étonnant;
en pareil cas, comme dans d'autres situations traumatiques telle la mort d'un être
cher, notamment par suicide, il n'est pas rare de ressentir un sentiment de
culpabilité. Il est bien connu que les victimes d'agression sexuelle tout
particulièrement se sentent souvent responsables de ne pas avoir tout fait pour
prévenir l'attaque.

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En outre, ainsi que l'a souligné la Cour d'appel dans ses motifs, rien
dans la preuve n'indique que les dossiers médicaux contenaient des déclarations
antérieures incompatibles pertinentes quant au témoignage de la plaignante sur la
question du consentement. Le juge du procès, qui a entendu l'ensemble de la
preuve et lu tous les dossiers médicaux, n'a pu voir aucune pertinence au
contre-interrogatoire projeté et il a, en conséquence, refusé de l'autoriser.
L'appelant n'allègue pas non plus l'existence dans ces dossiers de déclarations
antérieures incompatibles. À mon avis, l'appelant n'a manifestement pas établi que
la décision du juge du procès de lui refuser l'autorisation de contre-interroger la
plaignante au sujet de ses dossiers psychiatriques l'a empêché de présenter une
défense pleine et entière.
Sur la question du consentement, le jury disposait déjà du témoignage
direct de la plaignante sur les événements eux-mêmes et son absence de
consentement. Elle a subi à ce sujet un contre-interrogatoire serré. De plus,
l'appelant a également témoigné à propos de ses [TRADUCTION] «attentes» quant au
déroulement des événements. Il n'y avait donc nul besoin de recourir à des
éléments dérivés des dossiers médicaux et nulle raison de croire que d'autres
questions pouvaient éclairer ce point, compte tenu en particulier du fait que
l'appelant aurait été lié par les réponses de la plaignante sur cette question
incidente.
Quant à la question de la croyance sincère mais erronée de l'accusé au
consentement, les pensées qu'a pu avoir après le fait la plaignante au sujet de
l'agression sont dépourvues de toute pertinence. Par opposition à la défense de
consentement, la défense de croyance erronée au consentement n'est normalement

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soulevée que lorsque la plaignante et l'accusé racontent essentiellement la même
version mais que leur interprétation diverge quant à savoir si l'activité en cause
équivalait à un consentement (voir Director of Public Prosecutions c. Morgan,
[1976] A.C. 182 (H.L.), et Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120). Dans la
présente affaire, toute erreur de perception ou d'interprétation existait uniquement
dans la tête de l'appelant; rien dans les commentaires subséquents de la plaignante
ne saurait donc ajouter ou retrancher quelque élément ou avoir quelque pertinence
quant à la présence ou à l'absence de cette croyance à l'époque.
Les informations contenues dans les dossiers médicaux au sujet des
relations de la plaignante avec ses parents n'ont également aucune pertinence quant
à la question de savoir si elle a été agressée. Par conséquent, tout
contre-interrogatoire sur ce point serait inadmissible. À tout événement, le jury
était déjà au courant des difficultés qu'avait la plaignante avec ses parents et de la
thèse de la défense voulant qu'elle ait inventé l'histoire de l'assaut pour éviter leurs
reproches. Encore là, rien ne prouve qu'un contre-interrogatoire additionnel sur
cette question aurait influé de quelque façon sur l'issue du procès.
En résumé, aussi important que soit le contre-interrogatoire et, sur ce
point je partage l'opinion du juge Cory, je ne puis souscrire à son avis selon lequel
l'appelant a été privé de la possibilité de présenter une défense pleine et entière
parce qu'il n'a pu contre-interroger la plaignante au sujet de ses dossiers médicaux.
Rien ne laisse croire que les informations que renfermaient ces dossiers aux fins
du contre-interrogatoire projeté aient pu avoir quelque pertinence quant à la
question du consentement à l'agression. De plus, il est évident que ce
contre-interrogatoire aurait été fortement préjudiciable et qu'il visait à contester la

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crédibilité générale de la plaignante en soumettant aux jurés toutes les difficultés
auxquelles elle s'était heurtée dans sa vie personnelle, dans l'espoir qu'ils en
tireraient des conclusions négatives sur sa moralité et sa crédibilité. Un
contre-interrogatoire mené à cette fin est manifestement inadmissible; de plus, il
n'aurait pu que nuire au procès en détournant l'attention du jury de la question
précise du consentement à l'agression lors de cet incident particulier.
Dispositif
En définitive, je conclus à la constitutionnalité du par. 265(4) du Code
criminel et, comme Madame le juge McLachlin, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
//Le juge McLachlin//
Version française des motifs des juges La Forest, Gonthier et
McLachlin rendus par
LE JUGE MCLACHLIN (dissidente) -- Le présent pourvoi soulève deux
questions -- celle des éléments qu'il faut établir dans une affaire d'agression
sexuelle pour que le juge puisse soumettre au jury le moyen de défense de la
croyance sincère mais erronée au consentement, et celle de savoir dans quels cas
il convient dans ce genre d'affaire de permettre le contre-interrogatoire sur des
dossiers médicaux délicats. Ces deux questions revêtent une grande importance,
non seulement quant à l'évolution régulière du droit criminel mais également en ce
qui touche la répression nécessaire de l'un des maux les plus graves qui affligent
notre société, l'agression sexuelle.

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Bien que je souscrive en bonne partie aux motifs de mes collègues les
juges Cory et L'Heureux-Dubé, j'aborde de façon quelque peu différente chacune
des deux questions soulevées dans ce pourvoi. En définitive, je rejetterais le
pourvoi pour essentiellement les mêmes motifs que la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique.
Les faits ont été analysés en détail par mes collègues. Sur certains
points, la preuve n'est pas contredite. Il n'est pas contesté que les deux accusés,
Osolin et McCallum, se sont rendus dans la roulotte de la plaignante et sont entrés
dans sa chambre après s'être fait dire qu'elle était [TRADUCTION] «facile». Il n'est
pas contesté que leur intention était d'avoir avec elle des rapports sexuels. Il n'est
pas contesté que Smith, l'homme avec qui elle était, a été expulsé. Il n'est pas
contesté qu'Osolin a porté la plaignante à l'extérieur de la roulotte, malgré ses
protestations. Il n'est pas contesté qu'elle a été conduite à 40 milles de là dans un
chalet isolé où McCallum, le conducteur, a laissé Osolin et la plaignante. Il n'est
pas contesté qu'Osolin l'a alors attachée bras et jambes écartés sur le lit et qu'il a
eu des rapports sexuels avec elle. Il n'est pas contesté que la plaignante a été
retrouvée en pleurs et hystérique sur la route à 3 h 30 du matin, et qu'elle a dit au
policier qu'elle avait été violée. Il n'est pas contesté que sa crise d'hystérie s'est
poursuivie et qu'elle a été conduite à l'hôpital. Enfin, il n'est pas contesté que son
état physique, notamment les meurtrissures au poignet et les meurtrissures et la
décoloration dans la région pubienne, correspondait davantage à la résistance et au
viol qu'à des rapports consensuels. De plus, la lutte dont la plaignante a fait état
a été confirmée par la découverte de sa culotte à une vingtaine de pieds de la
roulotte où, selon son témoignage, on la lui avait déchirée après l'avoir déposée sur
le siège arrière de la voiture qui a servi à la conduire au chalet isolé. L'appelant a

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admis que la plaignante avait émis quelques protestations au cours de la soirée
(dossier, à la p. 471), qu'il n'avait pas tenu compte de ses plaintes à propos de sa
nudité (dossier, à la p. 497) et qu'il a tendance à agir comme si «non» veut dire
«oui» tant qu'il n'est pas tout à fait clair qu'il n'y a pas consentement (dossier, à la
p. 509).
Sur la question du consentement, il y a divergence totale entre la
version de la plaignante et celle d'Osolin. La plaignante a affirmé n'avoir jamais
consenti à l'enlèvement et avoir résisté du mieux qu'elle pouvait tout le temps que
l'épreuve a duré. De son côté, Osolin soutient qu'elle a été une participante
consentante aux incidents de la nuit.
Osolin a été accusé d'agression sexuelle et d'enlèvement. McCallum
a quant à lui été accusé d'enlèvement. La défense d'Osolin, tel qu'il appert de son
témoignage, de celui de McCallum et de la nature du contre-interrogatoire de la
plaignante, reposait sur le consentement allégué de la plaignante. Selon la thèse
de la défense, la plaignante avait de fait consenti à l'enlèvement et aux actes
sexuels pour ensuite inventer l'histoire de l'absence de consentement pour éviter
un affrontement avec ses parents. Osolin n'a pas expressément nié l'avoir
séquestrée en la tirant de la roulotte et en l'amenant en voiture au chalet. Il a
cependant déclaré dans son témoignage qu'elle semblait accepter ce qui se passait,
bien que passivement; en contre-interrogatoire, il a dit n'avoir aucun doute qu'elle
a consenti à tout ce qui s'est passé dans le chalet (dossier, à la p. 458). L'essentiel
de sa preuve reposait donc sur le consentement, dans les faits, de la plaignante; il
n'a jamais évoqué la possibilité qu'il ait simplement cru sincèrement à son
consentement bien qu'elle n'ait pas consenti.

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Tout en laissant au jury le soin de déterminer s'il y avait eu
consentement de la plaignante, le juge du procès a refusé de lui soumettre le moyen
de défense de la croyance sincère mais erronée d'Osolin à ce sujet, pour le motif
que ce moyen n'avait, d'après la preuve, aucune «vraisemblance» comme l'exige
la loi. Le jury l'a déclaré coupable d'enlèvement et d'agression sexuelle, et il a été
condamné à une peine de six ans d'emprisonnement. La Cour d'appel de la
Colombie-Britannique a maintenu la déclaration de culpabilité: (1991), 7 B.C.A.C.
181, 15 W.A.C. 181, 10 C.R. (4th) 159. Osolin se pourvoit maintenant devant
notre Cour.
Analyse
Les restrictions au contre-interrogatoire
Avant et après les événements en cause au procès, la plaignante a reçu
des soins psychiatriques. L'avocat d'Osolin a demandé et obtenu la communication
des dossiers médicaux de celle-ci aux fins de permettre à un expert d'examiner son
habilité à témoigner sous serment. La validité de l'ordonnance de production n'est
pas en cause dans la présente instance.
L'avocat d'Osolin a demandé l'autorisation de contre-interroger la
plaignante au sujet de ces dossiers et, en particulier, au sujet de la note faisant état
des craintes qu'elle avait exprimées à son médecin après les événements en cause,
savoir [TRADUCTION] «que son attitude et son comportement aient pu influencer
l'homme jusqu'à un certain degré». La note précisait qu'elle commençait
[TRADUCTION] «à avoir des doutes quant à toute l'affaire». L'avocat d'Osolin a

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expliqué au juge que le contre-interrogatoire avait pour but de montrer
[TRADUCTION] «le genre de personne qu'est la plaignante».
Je souscris à l'analyse de mon collègue le juge Cory en ce qui concerne
les principes régissant la décision du juge du procès d'autoriser ou non un
contre-interrogatoire en pareil cas. Je suis également d'accord avec l'accent que
ma collègue le juge L'Heureux-Dubé a mis sur le caractère discrétionnaire de la
décision du juge lorsque la preuve se rapporte au comportement sexuel antérieur
de la plaignante et sur la prudence dont le tribunal doit faire montre en permettant
qu'elle soit interrogée sur des questions tels ses antécédents, dont la pertinence
quant aux points réels en litige peut être faible sinon inexistante tout en portant
indûment atteinte à sa réputation et à sa vie privée. De plus, comme l'a souligné
le juge L'Heureux-Dubé, l'utilisation de la preuve psychiatrique en
contre-interrogatoire peut présenter des dangers particuliers. La règle est claire.
Pour être autorisée à contre-interroger la plaignante au sujet de son comportement
sexuel antérieur, la défense doit établir que le contre-interrogatoire possède «un
degré de pertinence qui l'emporte sur les préjudices et les inconvénients qui
résulteraient de l'admission de cette preuve»: R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577,
à la p. 634.
Telle était donc la tâche du juge du procès. Étant donné la demande de
contre-interrogatoire qui lui était présentée, il devait déterminer si la défense avait
établi que ce contre-interrogatoire avait une pertinence telle qu'elle était
susceptible de l'emporter sur le préjudice causé à la plaignante et sur l'atteinte à sa
vie privée. Pour pouvoir conclure au respect du critère préliminaire de la
pertinence, le juge du procès, comme je l'ai dit dans l'arrêt Seaboyer, à la p. 634,

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«doit s'assurer que la preuve est présentée à une fin légitime et qu'elle appuie
logiquement un moyen de défense». À quoi j'ai ajouté expressément: «Les
recherches à l'aveuglette qui ont malheureusement sévi dans le passé ne doivent
plus être autorisées.» (Je souligne.)
Pour que ce critère soit respecté, l'accusé doit démontrer que le
contre-interrogatoire vise une «fin légitime», un moyen de défense particulier. En
l'espèce, l'avocat de l'accusé n'a pas fait cette preuve. Tout ce qu'il a fait valoir,
c'est qu'il voulait ainsi montrer «le genre de personne qu'est la plaignante».
Comme le dit le juge Cory, c'est le type même de fin indue pour laquelle des
éléments de preuve ne peuvent pas être produits suivant les principes énoncés par
notre Cour dans l'arrêt Seaboyer, et en l'absence d'autre précision, «le juge du
procès a eu raison de refuser d'autoriser la tenue d'un contre-interrogatoire à cette
fin» (p. 673).
La question est donc de savoir si cette «autre précision» a été apportée
en l'espèce. Or, l'avocat d'Osolin n'a fait valoir aucun autre motif, son seul but
étant, d'après le dossier, de discréditer la réputation de la plaignante.
On allègue toutefois que le défaut de l'avocat de justifier la pertinence
du contre-interrogatoire ne met pas fin à la tâche d'investigation incombant au juge
du procès. Ce dernier, dit-on, a l'obligation distincte d'examiner les éléments sur
lesquels est susceptible de porter le contre-interrogatoire et de faire en sorte que
soient explorées toutes les avenues pouvant conduire au reproche de la plaignante
et que l'avocat de l'accusé a pu négliger. On ajoute que le juge du procès ne s'est
pas acquitté de cette obligation. Il aurait dû, soutient-on, insister pour qu'un

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contre-interrogatoire soit tenu sur la note en cause, non pas en vue d'en tirer des
révélations sur la moralité de la plaignante mais plutôt aux fins d'établir que
celle-ci aurait pu avoir des raisons d'alléguer faussement avoir été victime d'une
agression sexuelle, ainsi que sur la question de savoir si elle a fait quoi que ce soit
qui aurait pu porter Osolin à croire qu'elle consentait à ses avances sexuelles.
Conséquemment, estime-t-on, un nouveau procès s'impose.
La Cour d'appel a rejeté cette thèse. Au nom de la cour, le juge Southin
a conclu que l'absence de motif valide à l'appui de la demande de
contre-interrogatoire était fatale à ce moyen d'appel. En revanche, mon collègue
le juge Cory a accepté cette argumentation. Avec égards, je me range à l'avis du
juge Southin.
Mon collègue le juge Cory dit (à la p. 673) qu'«indépendamment des
prétentions avancées par l'avocat de la défense, il incombe au juge du procès de
s'assurer que les droits de l'accusé en matière de contre-interrogatoire, qui sont si
essentiels à la défense, sont protégés». Cet énoncé me semble susciter deux
difficultés.
La première est que, contrairement à la règle formulée dans l'arrêt
Seaboyer, il n'appartiendrait plus alors uniquement à l'accusé d'établir la légitimité
de la fin visée par le contre-interrogatoire. Au contraire, dans le cas où l'avocat de
la défense ne réussirait pas à établir cette légitimité, la charge se déplacerait et c'est
au juge du procès qu'il incomberait de déterminer de façon indépendante s'il y a
potentiellement matière à contre-interrogatoire légitime.

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La seconde difficulté a trait aux conséquences qui résulteraient de la
décision du juge portant qu'il y a encore potentiellement matière à
contre-interrogatoire légitime. Le jury Cory dit (à la p. 673) que, dans les
circonstances, le juge du procès «aurait dû autoriser le contre-interrogatoire». (Je
souligne.) Or il ne s'agit pas d'autoriser le contre-interrogatoire puisque l'avocat
ne l'a pas demandé pour une fin légitime. Dans un cas comme celui-ci où l'avocat
n'a pas demandé l'autorisation de contre-interroger sur des sujets qu'il peut
légitimement aborder, le juge qui veut s'acquitter de son obligation «de s'assurer
que les droits de l'accusé en matière de contre-interrogatoire, qui sont si essentiels
à la défense, sont protégés» aurait, semble-t-il, deux options à sa disposition. En
premier lieu, il pourrait ordonner à l'avocat de procéder à un contre-interrogatoire,
à des fins légitimes, sur les sujets qui n'ont pas été abordés. (Il serait insuffisant
de simplement suggérer la tenue de ce contre-interrogatoire puisque, advenant le
refus de l'avocat, la protection des droits de l'accusé ne serait pas assurée.) En
second lieu, il pourrait entreprendre lui-même le contre-interrogatoire omis. Or,
les deux perspectives présentent des difficultés. Dans le premier cas, le juge du
procès usurpe le droit de l'avocat (et implicitement celui de l'accusé) de présenter
sa preuve comme il l'entend. Dans le second, il assume lui-même le rôle de
l'avocat.
À mon sens, imposer au juge du procès l'obligation de voir à ce que
toutes les avenues légitimes de contre-interrogatoire soient explorées est
incompatible avec la nature même du processus judiciaire et ne ferait
qu'embrouiller et compliquer indûment la poursuite des infractions criminelles.
Notre système pénal est de type essentiellement contradictoire. Le ministère
public présente des éléments de preuve visant à établir la culpabilité de l'accusé

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hors de tout doute raisonnable. L'accusé fait ressortir les faiblesses de la preuve
du ministère public et présente parfois une contre-preuve. Le tribunal, composé
d'un juge et d'un jury, siège à titre d'arbitre neutre chargé de décider si, après
présentation de tous les éléments de preuve, le ministère public a prouvé la
culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable.
On a souvent souligné le danger de voir les juges abandonner leur rôle
traditionnel d'arbitre neutre. Il s'est dégagé à cet égard la règle générale voulant
que, si les juges peuvent poser des questions à des fins de clarification et
d'explicitation, ils ne sont pas pour autant obligés de se substituer aux avocats
compétents, et devraient de fait s'en abstenir: Boran c. Wenger, [1942] O.W.N. 185
(C.A.); R. c. Ignat (1965), 53 W.W.R. 248 (C.A. Man.); Majcenic c. Natale, [1968]
1 O.R. 189 (C.A.), et Jones c. National Coal Board, [1957] 2 All E.R. 155 (C.A.).
D'ailleurs, des juges présidant des procès ont été critiqués et des verdicts ont été
infirmés précisément parce que les juges étaient montés dans l'arène pour
soumettre l'accusé à leur propre contre-interrogatoire: Brouillard c. La Reine,
[1985] 1 R.C.S. 39; R. c. Turlon (1989), 49 C.C.C. (3d) 186 (C.A. Ont.); R. c.
Valley (1986), 26 C.C.C. (3d) 207 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi à la Cour
suprême du Canada refusée, [1986] 1 R.C.S. xiii.
Cette conception du juste rôle du juge du procès repose sur un certain
nombre de considérations. D'abord, le juge ne doit pas seulement être impartial;
il doit donner l'apparence d'impartialité; R. c. Sussex Justices; Ex parte McCarthy,
[1924] 1 K.B. 256, à la p. 259. Le juge qui usurpe le rôle de l'avocat, qu'il s'agisse
de l'avocat du ministère public ou de celui de la défense, risque de donner une

- 65 -
apparence de partialité et s'expose au danger d'une identification psychologique
aux réponses qu'il aura réussi à obtenir.
L'intervention judiciaire comporte un second risque, celui d'être
préjudiciable à la défense. L'avocat de la défense peut avoir de bonnes raisons de
ne pas s'engager, en contre-interrogatoire, sur un terrain qui peut sembler fertile au
juge qui n'a pas, comme lui, la possibilité d'évaluer les conséquences d'aborder la
question. Dans l'arrêt Yuill c. Yuill, [1945] 1 All E.R. 183 (C.A.), cité et approuvé
dans Brouillard, précité, lord Greene, maître des rôles, explique, à la p. 185,
qu'[TRADUCTION] «[o]n ne doit jamais perdre de vue que le juge ignore la teneur
du mémoire de l'avocat et n'a pas les mêmes possibilités que l'avocat de mener un
interrogatoire principal ou un contre-interrogatoire efficaces».
Enfin, il est douteux que le déroulement efficace des procès requiert que
le juge intervienne en contre-interrogatoire lorsque l'avocat a omis d'explorer
certaines avenues. Le juge qui préside l'instance assume déjà la lourde tâche de
veiller à ce que le procès se déroule dans l'équité et la célérité, d'écouter la preuve
et d'en faire l'appréciation. Dans un procès avec jury, il assume en outre la tâche
de voir à ce que ce dernier reçoive les directives appropriées. Ajouter à cela le
devoir de passer en revue les avenues possibles de contre-interrogatoire que
l'avocat a laissé intactes serait lui imposer une autre tâche, celle de l'avocat -- des
deux parties au surplus. Cette tâche pourrait demander un temps considérable,
comme en témoigne la présente affaire. Les dossiers médicaux produits en l'espèce
consistent en une centaine de pages de rapports. Si l'appelant a raison, le juge du
procès doit examiner toutes ces pages pour voir s'il n'y aurait pas quelque note sur
laquelle la défense pourrait asseoir un contre-interrogatoire. On peut présumer

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qu'en toute équité le juge serait obligé d'agir de même à l'égard de la preuve du
ministère public. Cela étant, il me semble que la seule règle équitable et pratique
est de laisser aux avocats le choix du type de contre-interrogatoire dans lequel ils
désirent s'engager. Le juge peut poser des questions à des fins de clarification et
d'explicitation. Mais on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir insisté pour que
soit abordée en contre-interrogatoire une avenue que l'avocat a choisi de laisser en
friche.
Mon collègue le juge Cory a laissé entendre que, devant la possibilité
qu'une avenue inexplorée de contre-interrogatoire ait pu soulever un doute
raisonnable quant à la culpabilité, le tribunal d'appel devrait ordonner la tenue d'un
nouveau procès afin d'éviter une erreur judiciaire. En présumant, aux fins de la
présente analyse, qu'un tribunal d'appel est tenu d'ordonner un nouveau procès
lorsqu'il appert que l'avocat a choisi, en contre-interrogatoire, de ne pas fouiller un
point crucial qui peut entraîner une erreur judiciaire, je ne crois pas que tel soit le
cas en l'espèce. On a fait valoir qu'un contre-interrogatoire sur la note en cause
aurait pu amener la plaignante à avouer qu'elle avait inventé l'histoire de
l'agression sexuelle pour éviter un affrontement avec ses parents. Tout comme le
juge Southin de la Cour d'appel, j'estime que, dans la mesure où les éléments de
preuve ainsi obtenus auraient pu avoir une faible valeur probante quant à la thèse
de la défense concernant la fabrication de cette version, on ne peut conclure à un
tort important ou à une erreur judiciaire grave. Le jury disposait déjà d'une preuve
abondante quant aux relations difficiles existant entre la plaignante et ses parents,
qui désapprouvaient certains de ses comportements.

- 67 -
Il a été allégué devant nous que le contre-interrogatoire aurait pu
également servir à étayer la thèse subsidiaire de la croyance sincère mais erronée
de l'accusé au consentement de la plaignante. On peut s'interroger, à l'instar de ma
collègue le juge L'Heureux-Dubé, sur la valeur des réponses qui auraient pu être
obtenues, compte tenu du phénomène bien connu de la culpabilité des victimes
dans ce genre d'affaires. Quoi qu'il en soit, il est loin d'être certain que des
réponses favorables à l'accusé sur ce point auraient pu influencer le jury vu
l'ensemble de la preuve. À ce sujet, je note que le juge du procès a permis que le
dénommé Bragg soit contre-interrogé sur ce qu'il a dit à Osolin à propos des
activités sexuelles de la plaignante avec le dénommé Dick le jour des événements
en cause. Il a également permis que la plaignante soit contre-interrogée sur ses
activités sexuelles ce jour-là. En bref, le jury disposait donc déjà d'un grand
nombre d'éléments de preuve négatifs concernant «son attitude et son
comportement» à ce moment. Dans les circonstances, il m'est impossible de
conclure que le fait que l'avocat de la défense n'ait pas procédé à un
contre-interrogatoire sur ces questions donne à Osolin le droit d'obtenir un nouveau
procès.
Pour déterminer si le juge du procès aurait dû intervenir, il ne faut pas
perdre de vue que les questions projetées auraient contredit la thèse soutenue par
la défense au procès. Tel qu'il appert en effet du témoignage d'Osolin et du
contre-interrogatoire de la plaignante, la défense visait à établir que la plaignante
avait été une participante consentante aux incidents de la soirée et qu'elle avait
inventé, après le fait, l'histoire de l'enlèvement et de l'agression sexuelle dans
l'espoir d'éviter un affrontement avec ses parents. Interroger la plaignante pour
savoir si, bien qu'elle n'ait pas consenti, elle a pu agir d'une façon qui aurait laissé

- 68 -
croire à Osolin qu'elle consentait, aurait été en contradiction avec la thèse de la
défense. Cela peut expliquer pourquoi l'avocat a choisi de ne pas la
contre-interroger sur ce point. Il voulait la contre-interroger dans le but d'établir
sa mauvaise moralité, but qui était compatible avec la thèse voulant qu'elle ait
consenti aux actes d'Osolin et qu'elle ait menti en prétendant le contraire. Selon
toute apparence toutefois, l'avocat ne souhaitait pas la contre-interroger sur la thèse
opposée de l'absence de consentement conjuguée à la croyance sincère mais
erronée d'Osolin au consentement. On peut également présumer qu'il n'aurait pas
souhaité que le juge du procès intervienne pour mener un interrogatoire à ce sujet.
S'engager dans ce type de contre-interrogatoire aurait eu pour résultat de soumettre
au jury une version des événements qu'il leur demandait de rejeter.
Ayant choisi de présenter sa preuve de la façon qu'il jugeait alors la
meilleure, Osolin vient devant notre Cour demander un nouveau procès qui lui
permettrait d'explorer des avenues qu'il croyait sage d'éviter à l'époque, en plaidant
que lui refuser un tel procès équivaudrait à une erreur judiciaire fondamentale. Je
ne puis être d'accord. L'accusé a droit à un procès, au cours duquel il lui est
loisible de faire porter son contre-interrogatoire sur autant de moyens de défense
qu'il le veut. Il n'a pas droit à une série de procès, explorant une thèse dans l'un et
une deuxième dans le suivant.
Pour ces motifs, je suis d'avis de ne pas ordonner la tenue d'un nouveau
procès fondé sur le refus du contre-interrogatoire.

- 69 -
La croyance sincère mais erronée au consentement et le critère de la vraisemblance
Plusieurs moyens de défense peuvent être soulevés à l'encontre d'une
accusation d'agression sexuelle. On peut d'abord faire valoir que les actes
physiques reprochés ne se sont jamais produits. Ce moyen de défense n'a pas été
soulevé en l'espèce. Un deuxième moyen consiste à reconnaître que les actes se
sont produits mais que la plaignante y a consenti. C'est la thèse que la défense a
soutenue dans la présente affaire. Un troisième moyen est de faire valoir que bien
que les actes se soient produits et que la plaignante n'y ait pas consenti, l'accusé
croyait sincèrement mais à tort qu'elle était consentante. Il ne possédait pas, par
conséquent, la mens rea subjective ou l'intention coupable nécessaire à une
déclaration de culpabilité.
Comme mes collègues l'ont souligné, pour qu'un moyen de défense
puisse être soumis au jury, il faut que ce moyen soit étayé par la preuve ou, comme
on le dit parfois, qu'il soit «vraisemblable». Présenter un moyen de défense au jury
lorsque cette «vraisemblance» ne ressort pas de la preuve serait risquer de semer
la confusion chez les jurés et de donner ouverture à des verdicts non fondés sur la
preuve.
Cette règle est certes d'application générale, mais elle suscite une
attention particulière dans le contexte des procès pour agression sexuelle. En effet,
l'un des moyens de défense les plus courants dans ce genre de procès, soit la
défense de la croyance sincère mais erronée, est fréquemment invoqué dans des cas
où ce moyen de défense ne ressort aucunement de la preuve, ce qui oblige la cour
à aviser le jury de son absence de vraisemblance.

- 70 -
Pour que la défense de croyance sincère mais erronée acquière une
«vraisemblance», il faut établir les éléments suivants: (1) la preuve de l'absence
de consentement aux actes sexuels et (2) la preuve que, malgré le refus réel de la
plaignante, l'accusé a cru sincèrement mais erronément qu'elle était consentante.
Dans la plupart des cas, la preuve de l'absence de consentement est
fournie par le témoignage de la plaignante. Par contre, l'accusé qui veut établir sa
croyance sincère mais erronée déclare habituellement en témoignage qu'il croyait
sincèrement que la plaignante était consentante. En théorie, cette croyance pourrait
être invoquée dans tous les cas, même lorsqu'elle ne correspond aucunement à la
preuve sur les événements. On a donc statué que la simple affirmation que l'accusé
croyait au consentement ne suffit pas à donner ouverture à la défense de croyance
sincère mais erronée; cette affirmation doit en effet être «appuyé[e] dans une
certaine mesure par d'autres éléments de preuve ou circonstances»: R. c. Bulmer,
[1987] 1 R.C.S. 782, à la p. 790. Cet appui peut provenir de l'accusé ou d'autres
sources; sur ce point, je souscris à la façon dont le juge Cory a dissipé la confusion
qui subsistait dans la jurisprudence antérieure. Mais cet appui doit exister.
Comme l'a dit lord Morris of Borth-y-Gest, il doit y avoir plus que [TRADUCTION]
«l'expression creuse d'une formule d'excuse facile»: Bratty c. Attorney-General for
Northern Ireland, [1963] A.C. 386 (H.L.), à la p. 417.
On a laissé entendre que cette exigence s'écartait de la règle générale
voulant que, en droit criminel, l'appréciation du caractère suffisant de la preuve
présentée à l'appui d'un moyen de défense, si faible soit-elle, relève du jury. Dans
la mesure où il existe une preuve, soutient-on, c'est au jury qu'il appartient de

- 71 -
décider si elle est suffisante et, non au juge. Soutenir le contraire serait priver
l'accusé de son droit fondamental d'être jugé par un jury.
La réponse à cet argument, me semble-t-il, est que le simple fait
d'affirmer sa croyance ne constitue pas la preuve de sa sincérité. L'exigence d'une
croyance sincère n'équivaut pas au critère objectif de la croyance raisonnable, mais
elle exige néanmoins un certain appui dans les circonstances. Une croyance
totalement non fondée n'est pas une croyance sincère. Celui qui croit sincèrement
à un état de fait est celui qui a examiné les circonstances et qui en a tiré une
inférence honnête. Pour être sincère, la croyance doit donc découler dans une
certaine mesure des circonstances. Son fondement n'a pas à atteindre le degré
nécessaire pour qu'une croyance soit qualifiée de raisonnable. Mais il doit y avoir
un fondement. La personne qui commet une agression sexuelle en l'absence de
circonstances permettant d'inférer le consentement du plaignant a, à tout le moins,
fait preuve d'ignorance volontaire quant au consentement. Il y a une distinction,
en droit, entre la «croyance sincère» au consentement, laquelle s'infère, bien que
de façon erronée, des circonstances, et l'«ignorance volontaire» quant au
consentement, laquelle est une croyance non fondée sur les circonstances et qui ne
constitue pas un moyen de défense.
Cela m'amène aux faits de l'espèce. Comme je l'ai souligné, la thèse de
la défense a consisté à affirmer que la plaignante était consentante mais qu'elle a
menti à ce propos afin d'éviter un affrontement avec ses parents. C'est dans ce
contexte que l'accusé a déclaré avoir cru à son consentement. Toutefois, au
moment de l'exposé au jury, Osolin a demandé au juge présidant l'instance qu'il lui
soumette le moyen de défense additionnel de la croyance sincère mais erronée,

- 72 -
fondée sur le non-consentement de la plaignante. Après avoir pris acte des
versions largement divergentes de la plaignante et de l'accusé, avoir passé en revue
le droit en matière de croyance sincère mais erronée et vu l'exigence que le moyen
de défense invoqué soit, d'après la preuve, vraisemblable, le juge du procès a
conclu:
[TRADUCTION] Il faut d'autre preuve que la simple affirmation par
l'accusé d'une croyance au consentement. Pour être vraisemblable,
cette preuve doit ressortir de sources autres que l'accusé, ou s'y
appuyer.
J'estime qu'il n'y a pas de vraisemblance en l'occurrence, qu'il
n'existe pas d'autres éléments de preuve et, conséquemment, je ne
donnerai pas de directive au jury à cet égard et je ne permettrai pas à
l'avocat d'invoquer la défense d'erreur de fait.
La Cour d'appel a souscrit à cette conclusion. Le juge Southin a
toutefois estimé que le juge du procès avait commis une erreur en laissant entendre
que la preuve susceptible de conférer une vraisemblance à la défense devait
provenir de personnes autres que l'accusé. Elle a néanmoins conclu que, d'après
la preuve, l'argument portant que la croyance de l'accusé au consentement l'avait
privé de la mens rea nécessaire à la perpétration des infractions d'enlèvement ou
d'agression sexuelle n'avait aucune vraisemblance (aux pp. 183 et 184 C.R.):
[TRADUCTION] L'appelant n'a jamais déclaré qu'il avait cru sincèrement
ne pas avoir amené la plaignante à Parksville contre son gré. Il n'a pas
dit avoir cru que la plaignante, qui était nue, consentait à faire une
ballade de 40 milles par une froide nuit de mars avec deux personnes
qui lui étaient relativement étrangères et qui atteignaient chacune le
double de sa taille. Il n'a pas dit ne pas avoir eu l'intention de la
séquestrer contre son gré. S'il avait fait une telle déposition, qui l'aurait
cru?
. . .

- 73 -
Mise à part la contrainte physique réelle, rien n'est plus propre à
susciter un état d'enfermement que d'être privé de ses vêtements. Tout
ce que l'appelant a pu dire pour sa défense est: «Je n'ai pas réfléchi».
À mon sens, il s'agit là, à tout le moins, d'insouciance ou d'ignorance
volontaire.
En ce qui concerne l'infraction d'agression sexuelle, le juge Southin a
estimé que n'eût été l'enlèvement, il aurait peut-être été préférable que la question
de la croyance sincère mais erronée soit soumise au jury. Elle est toutefois arrivée
à la conclusion suivante (à la p. 184 C.R.):
[TRADUCTION] À mon avis, l'argument selon lequel un homme qui,
sciemment ou par insouciance, a séquestré une femme par la force et
contre son gré peut croire sincèrement que, durant sa séquestration, elle
consentait librement à ses avances sexuelles n'a absolument aucune
vraisemblance.
Il reste une question à trancher, savoir s'il existait une preuve, émanant
de l'accusé ou d'autres sources, à l'appui de la croyance sincère qu'a invoquée
Osolin. À cet égard, je partage la conclusion des juridictions inférieures quant à
l'inexistence de cette preuve. Les faits non contestés exposés au début de ces
motifs ne peuvent en rien servir à étayer une croyance honnête. Il s'agit, au mieux,
d'ignorance volontaire. L'homme qui tire une femme de chez elle nue et, malgré
ses protestations, la conduit dans un endroit isolé où il l'attache au lit et a avec elle
des rapports sexuels est, à tout le moins, prévenu qu'elle n'est peut-être pas
consentante. Son omission de s'enquérir à cet égard n'est compatible qu'avec deux
états d'esprit: l'intention de parvenir à ses fins sans son consentement ou
l'ignorance volontaire quant à savoir si elle est ou non consentante. En d'autres
termes, aucun individu, raisonnable ou non, ne pourrait sincèrement inférer le
consentement en pareilles circonstances du seul fait qu'à certains moments, la

- 74 -
plaignante a pu acquiescer passivement. La preuve qu'Osolin a soumise au jury
aurait pu, ainsi que l'a conclu le juge du procès, correspondre à une ignorance
volontaire. Mais elle ne pouvait servir à étayer le moyen de défense de la croyance
sincère mais erronée. «Je n'ai pas réfléchi», a dit lui-même Osolin au jury.
Avant de clore le sujet, je ferai deux remarques. La première concerne
l'argument que la divergence des versions du plaignant et de l'accusé au sujet du
consentement empêche nécessairement, en droit, de plaider une troisième version,
celle de la croyance sincère mais erronée. Je ne suis pas aussi convaincue que le
sont mes collègues qu'en présence de deux versions diamétralement opposées,
l'une alléguant l'absence de consentement et l'autre, le consentement, il soit
logiquement impossible de concevoir une défense de croyance sincère mais
erronée. Même si cette situation se présente rarement, il est possible, à mon sens,
que le jury accepte des portions du témoignage du plaignant et de l'accusé et qu'il
conclue à la sincérité de la croyance de l'accusé, malgré l'absence de consentement
réel. Comme le dit A. W. Bryant:
[TRADUCTION] . . . le rejet de ce plaidoyer subsidiaire pour le motif que
le témoignage du plaignant et celui de l'accusé sont diamétralement
opposés et qu'il y a donc insuffisance du fondement commun requis est
fondé, en partie, sur le postulat -- contestable dans certains cas -- que
le plaignant a donné une version complète. De plus, l'exigence de la
corroboration peut encourager faussement l'accusé à faire concorder
partiellement son témoignage avec celui du plaignant afin de constituer
le fondement commun susceptible d'étayer le moyen de défense.
(«The Issue of Consent in the Crime of Sexual Assault» (1989), 68 R.
du B. can. 94, à la p. 149.)
La seconde remarque porte sur le passage des motifs de mon collègue
le juge Cory où il dit que la Cour d'appel a commis une erreur en concluant que

- 75 -
l'enlèvement ne pouvait servir de motif pour rejeter la défense d'erreur de fait.
Selon son analyse, cette conclusion est incorrecte parce qu'il n'y a pas eu de
condamnation antérieure sous le chef de l'enlèvement. En d'autres termes, il estime
que le raisonnement de la Cour d'appel est vicié en ce qu'il présume qu'il n'y a pas
de défense à l'infraction d'agression sexuelle parce qu'il n'y en avait aucune à
l'encontre de l'enlèvement, question qui était elle-même en litige. Je dois dire que
telle n'est pas mon interprétation des motifs de la Cour d'appel. Il me semble que
le juge Southin a simplement voulu dire que la preuve de la séquestration
dépouillait de tout fondement la défense de la croyance sincère mais erronée.
Je suis d'accord avec le juge Cory pour conclure que le par. 265(4) du
Code criminel, qui oblige l'accusé soulevant la défense de croyance sincère mais
erronée au consentement à établir que ce moyen de défense a une vraisemblance,
ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés.
Dispositif
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
//Le juge Sopinka//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE SOPINKA -- J'ai lu les motifs du juge Cory et je souscris à la
solution à laquelle il est arrivé et à ses motifs, sous réserve des observations
suivantes.

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Bien que je sois d'accord avec ses motifs au sujet du
contre-interrogatoire sur les dossiers médicaux, je préférerais ne pas faire de
commentaires au sujet de l'art. 276 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46
(modifié par la Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), L.C. 1992,
ch. 38, art. 2). La mention que mon collègue en fait pourrait s'interpréter comme
un commentaire sur sa constitutionnalité, qui n'est pas en cause en l'espèce.
Pour ce qui est de la défense de croyance erronée, je suis d'accord avec
le juge Cory que le par. 265(4) «établit simplement les critères fondamentaux qui
sont applicables à tous les moyens de défense» (p. 676) et qu'il n'exige rien de plus
de l'accusé qu'il satisfasse à la charge de la preuve de présenter ou de signaler des
éléments de preuve à partir desquels un jury raisonnable ayant reçu des directives
appropriées pourrait prononcer l'acquittement. Je crois que nous sommes tous du
même avis sur ce point. En réalité, c'est là le fondement de la décision que nous
avons prise que le paragraphe est constitutionnel. L'expression «charge de
présentation» et la définition que j'en ai donnée sont bien connues des juges de
première instance et bien acceptées. Je ne puis voir comment l'addition du mot
«vraisemblance» facilite la compréhension des obligations du juge du procès en
ce qui a trait à ce moyen de défense. Je m'inquiète qu'en essayant d'ajouter
quelque chose à la définition d'un concept fondamental de droit criminel, on ne
fasse qu'embrouiller la question. Tout comme les tentatives de cerner le sens de
«doute raisonnable» ont souvent donné lieu à une erreur justifiant l'infirmation de
la décision, de même, le recours au critère de la «vraisemblance» incite les juges
de première instance à évaluer la preuve plutôt qu'à appliquer la définition
juridique que j'ai mentionnée.

- 77 -
J'accepte les réserves du juge McLachlin au sujet de l'approbation par
le juge Cory du principe selon lequel le moyen de défense de croyance erronée ne
s'applique pas si le plaignant et l'accusé donnent des versions diamétralement
opposées de ce qui s'est passé.
Écarter le moyen de défense de croyance erronée lorsque l'accusé et le
plaignant présentent des versions contradictoires des faits s'appuie sur l'hypothèse
que la version de l'accusé ou celle du plaignant représente la relation complète de
ce qui s'est passé. Ainsi que J. M. Williams le signale («Mistake of Fact: The
Legacy of Pappajohn v. The Queen» (1985), 63 R. du B. can. 597), c'est une
hypothèse douteuse. Parlant de l'arrêt Pappajohn ([1980] 2 R.C.S. 120), Williams
dit, aux pp. 611 et 612:
[TRADUCTION] Il ressort de la décision de la majorité que le jury devrait
accepter une version en totalité ou la rejeter en totalité. Si cela
correspondait à ce que ferait un jury, alors on peut facilement
comprendre pourquoi la majorité ne pouvait voir l'utilité de soumettre
au jury le moyen de défense subsidiaire de l'erreur. En supposant,
comme on l'a proposé, que les deux versions étaient totalement
incompatibles, si le jury a cru la version de l'accusé dans sa totalité,
celui-ci serait acquitté pour le motif qu'il n'y avait pas d'actus reus (c.-à-
d. qu'il y a eu consentement). Si le jury a cru totalement la plaignante,
non seulement l'actus reus aurait été prouvé, mais, de plus, le jury aurait
déjà caractérisé l'accusé de menteur. En conséquence, il devient donc
peu réaliste de proposer que les jurés concluraient néanmoins que
l'accusé croyait sincèrement au consentement.
Le raisonnement qui précède paraît logique, vu l'hypothèse de
départ. Il reste à déterminer cependant s'il convient de supposer qu'un
jury acceptera une version dans sa totalité et rejettera entièrement
l'autre. Il semble que non. Quand il y a deux versions contradictoires
des faits, le juge des faits doit «déterminer» ce qui s'est produit. Il est
reconnu que, pour le faire, le juge des faits n'est pas tenu d'accepter la
totalité de la preuve d'une partie, mais qu'il peut en croire certains
éléments et en rejeter les éléments inacceptables. [En italique dans
l'original.]

- 78 -
Dans l'arrêt Lee Chun-Chuen c. The Queen, [1963] 1 All E.R. 73 (C.P.),
lord Devlin a dit, à propos de la façon de satisfaire à la charge de présentation en
matière de provocation, à la p. 80:
[TRADUCTION] L'essentiel est qu'il ressorte, soit autant que possible de
la partie recevable de la déposition de l'accusé, soit de celles d'autres
témoins ou d'une combinaison raisonnable de celles de l'un et des
autres, une version crédible d'événements qui révèlent des éléments
évoquant la provocation en droit. S'il est impossible de dégager une
telle version de la preuve, il est interdit d'amener le jury à en inventer
une.
Comme pratique courante, dans une affaire criminelle, le juge dit au
jury que l'évaluation de la déposition d'un témoin n'est pas une affaire de tout ou
rien. Voici une directive typique à donner à un jury:
[TRADUCTION] Pour évaluer la déposition d'un témoin, comprenez
bien que vous n'êtes pas tenus de croire ou de rejeter tout ce que dit un
témoin en particulier. Vous pouvez, cela va de soi, décider de croire
tout ce qu'un témoin dit à la barre ou de n'en rien croire. Mais vous
pouvez aussi décider de croire seulement certains éléments de ce que
le témoin dit et de ne pas croire le reste.
(G. A. Ferguson et J. C. Bouck, Canadian Criminal Jury Instructions
(2e éd. 1989), vol. 1, à la p. 4.12-2.)
Je suis d'avis de trancher le pourvoi de la manière que propose le juge
Cory.
//Le juge Cory//
Version française du jugement des juges Cory et Major rendu par

- 79 -
LE JUGE CORY -- Deux points fondamentaux sont soulevés dans le
présent pourvoi. L'un a trait à la question de savoir si le critère de la
«vraisemblance» établi au par. 265(4) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46,
porte atteinte aux droits constitutionnels de l'appelant garantis par les al. 11d) et
11f) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'autre porte sur la question de
savoir si la Cour d'appel a commis une erreur en n'accordant pas un nouveau
procès motivé par les restrictions apportées par le juge du procès au
contre-interrogatoire de la plaignante.
I. Les faits
La plaignante en l'espèce est une adolescente de 17 ans. Après un
séjour dans un hôpital psychiatrique en janvier et en février 1987, elle était revenue
vivre chez ses parents près de Ladysmith en Colombie-Britannique, où elle
demeurait le 26 mars de la même année. En dépit de ses 17 ans, elle avait une
instruction limitée. Elle avait terminé la huitième année et quitté l'école à l'âge de
14 ans. Elle est de taille modeste, mesurant cinq pieds et sept pouces et ne pesant
que 115 livres.
Le matin du 26 mars, un ami du nom de Brad Dick, qu'elle avait
fréquenté à quelques reprises, l'a appelée et ils se sont entendus pour se rencontrer
à 11 heures le même jour. Dick, qui était dans la vingtaine, est arrivé à l'endroit
convenu avec un ami du nom de Ken Smith, qui était dans la trentaine.
Ils se sont rendus tous les trois à la roulotte de Jim Bragg, située au
nord de Ladysmith. Il y ont bu de la bière. Ils se sont ensuite rendus à Dual

- 80 -
Mountain, puis à Boat Harbour. C'est là que Brad Dick et la plaignante se sont
retirés dans un endroit isolé pour y avoir des rapports sexuels consensuels.
Les trois amis sont finalement revenus à la roulotte. Smith a alors
reconduit Dick en ville vers 17 h. Il est revenu rejoindre la plaignante et Bragg,
et ensemble ils ont passé le temps à boire et à jouer aux cartes. La plaignante est
restée avec Bragg et Smith parce que, pour reprendre ses paroles, ils semblaient
être [TRADUCTION] «d'assez bons gars» et qu'elle appréciait leur compagnie. Ils ont
tous trois emprunté l'automobile de Smith, mais celle-ci est tombée en panne. Elle
a calé à une centaine de pieds de la roulotte et ils ont dû la pousser. C'est à ce
moment que l'appelant, Stephen Osolin, et Russell McCallum sont arrivés sur les
lieux à bord d'une autre automobile. Ils ont tous les cinq passé quelques minutes
dans la roulotte. Smith et la plaignante sont retournés dans l'automobile de ce
dernier pour s'y embrasser et se caresser. Bragg, McCallum et Osolin ont quitté
la roulotte à destination d'un bar. Avant de partir, Bragg a dit à Smith et à la
plaignante qu'ils pouvaient utiliser la roulotte. Smith et la plaignante se sont alors
rendus dans la chambre à coucher de la roulotte où ils ont eu des rapports sexuels.
Pendant ce temps au bar, Bragg a dit à McCallum et à Osolin que la
plaignante était une personne de m{oe}urs légères, ou, dans ses mots,
[TRADUCTION] «une fille facile», et qu'ils pourraient tous la posséder à tour de rôle.
Après avoir quitté Bragg au bar, McCallum et Osolin sont revenus à sa roulotte.
Ils ont fait irruption dans la chambre, ont tiré Smith du lit, l'ont fait sortir et l'ont
conduit à une certaine distance de la roulotte. Il y a lieu de mentionner en passant
que Smith, qui mesure cinq pieds et sept pouces et qui pèse 150 livres, était
relativement plus petit que les autres hommes.

- 81 -
De retour dans la chambre, McCallum s'est emparé de la plaignante et
l'a projetée sur le lit. Elle était en état de choc et effrayée. McCallum l'a touchée
et caressée, l'empêchant de se rhabiller. Il a tenté d'avoir des rapports sexuels avec
elle, mais elle s'est débattue. Il s'est mis en colère et a proféré des menaces qui l'on
effrayée. Elle a entendu l'automobile qui revenait et a tenté de remettre sa blouse,
mais encore une fois McCallum l'en a empêchée. Ce faisant, il lui a arraché son
pendentif viking du cou. Elle l'a vu tomber sur le lit et l'a saisi. Elle l'a par la suite
laissé tomber dans le chalet de Parksville, où il a été retrouvé par la police. Elle
a réussi à remettre sa culotte au moment où Osolin est entré dans la chambre.
Elle a déclaré avoir été frappée sur le côté de la tête. Osolin l'a
soulevée et portée sur son épaule pour l'amener à l'automobile. Au moment où on
l'enlevait, elle a dit qu'elle voulait ses vêtements. La plaignante a déclaré avoir
résisté à son retrait de la roulotte et avoir dit qu'elle voulait ses vêtements; sa tête
a heurté le cadre de la porte et Osolin l'a frappée en plein visage. Ni Osolin ni
McCallum ne sont allés chercher ses vêtements. L'appelant a admis [TRADUCTION]
«ne pas avoir tenu compte» des protestations de la plaignante forcée à quitter la
roulotte nue. La plaignante a déclaré qu'Osolin l'avait alors déposée sur le siège
arrière de l'automobile et qu'il avait déchiré sa culotte. Osolin et McCallum ont
tous deux déclaré que la plaignante était nue à ce moment et qu'Osolin n'avait pas
déchiré sa culotte. La police a par la suite trouvé une culotte de femme sur le sol,
à une vingtaine de pieds devant la roulotte.
Osolin s'est assis sur le siège arrière avec la plaignante tandis que
McCallum a mis l'automobile en marche. La plaignante reposait sur son côté
gauche et Osolin ne lui permettait pas de s'asseoir. Elle a déclaré qu'elle pleurait

- 82 -
à ce moment et qu'elle ne pouvait pas bouger. Osolin lui a caressé les seins et a
tenté des mains de lui faire ouvrir les jambes. Elle n'a accepté aucune caresse et
a déclaré qu'elle se débattait lorsqu'il l'a frappée avec force sur le côté du visage.
Elle a expressément nié avoir embrassé Osolin, l'avoir caressé, avoir bu de la bière
avec lui ou lui avoir tenu une conversation amicale. Osolin a déclaré que la
plaignante n'avait rien fait pour indiquer qu'elle n'était pas consentante.
L'automobile s'est finalement immobilisée et Osolin en a retiré la
plaignante. Il l'a tenait par le biceps droit et il l'a tirée pour lui faire franchir une
clôture. McCallum s'est éloigné avec l'automobile. À ce moment, elle ne portait
qu'une paire de bas blancs. Elle avait très froid, elle était bouleversée et elle
pleurait. Dans le chalet, il l'a tirée vers une chambre à coucher. La plaignante a
déclaré qu'il l'a projetée sur le lit et qu'il lui a attaché les mains derrière le dos à
l'aide d'un fil qu'il avait retiré d'une lampe. Profitant du fait qu'Osolin avait quitté
la chambre un moment, elle a couru vers une fenêtre et a tenté de s'échapper, mais
il est revenu avec d'autres fils électriques qu'il avait arrachés d'un appareil. Il l'a
attachée bras et jambes écartés au cadre du lit. Elle a déclaré avoir crié puis l'avoir
entendu lui dire [TRADUCTION] «[i]l me serait si facile de te tuer», puis prétendre
qu'il ne le ferait pas si elle était [TRADUCTION] «gentille». Il est revenu dans la
chambre à coucher avec du savon et un rasoir et il a commencé à lui raser les poils
du pubis. Elle lui a dit d'arrêter, mais il a continué. Elle a réussi à le frapper avec
un genou, mais il a resserré le lien qui retenait cette jambe. Puis il l'a violée.
L'appelant a déclaré que la plaignante était une participante empressée, bien que
non active, à tous les actes préliminaires comme aux rapports sexuels.

- 83 -
Après les rapports sexuels, il l'a détachée et elle a demandé si elle
pouvait prendre un bain. Même si elle avait fermé à clef, l'appelant a forcé la porte
et a pénétré dans la salle de bains. La plaignante a déclaré que pendant qu'elle était
dans la salle de bains, l'appelant lui a présenté des excuses pour tout ce qui s'était
produit. L'appelant a déclaré pour sa part qu'il avait présenté des excuses
uniquement au sujet du rasage, parce qu'il n'avait rien d'autre à se reprocher. Il lui
a donné une vieille chemise de nuit et un chandail. À sa sortie du bain, ils se sont
tous deux couchés dans le lit et ils sont tombés ivre morts ou ils se sont endormis.
La plaignante a déclaré qu'à son réveil, l'appelant était encore en train de la
toucher. La plaignante a alors eu une violente crise de nerfs et dit qu'elle voulait
rentrer à la maison. L'appelant a déclaré avoir été réveillé par la plaignante qui
disait qu'il lui fallait se rendre à Ladysmith. L'appelant lui a dit que McCallum les
prendrait au matin, mais comme elle voulait absolument partir, il l'a mise à la porte
du chalet en lui indiquant la direction de la route.
Peu avant 3 h 30, un gendarme de la GRC a découvert la plaignante sur
la route, en proie à une violente crise de nerfs qui se manifestait par des cris et des
pleurs. Il lui a demandé si elle avait été violée, ce à quoi elle a répondu par
l'affirmative. Il l'a conduite au poste de police, où elle a demandé de se rendre aux
toilettes pour y vomir. Comme elle continuait à être en proie à une violente crise
de larmes, elle a été conduite à l'urgence de l'hôpital de Nanaimo.
L'examen médical a révélé que la plaignante avait un certain nombre
de meurtrissures, d'écorchures et d'égratignures, y compris des contusions, de la
tuméfaction et de la décoloration dans la région des organes génitaux. En général,

- 84 -
les blessures décelées correspondaient davantage à une agression sexuelle qu'à des
rapports sexuels consensuels.
Le jury a conclu que l'appelant était coupable à la fois d'agression
sexuelle et d'enlèvement. Il a été condamné à six années d'emprisonnement pour
agression sexuelle et à quatre années pour enlèvement, à purger concurremment.
II. Les juridictions inférieures
La cour de première instance
Le juge du procès a déclaré au jury que, dans une affaire d'enlèvement,
la poursuite doit démontrer que l'appelant avait l'intention de séquestrer la
plaignante contre son gré. Pour ce qui est de l'agression sexuelle, il a dit au jury
qu'il fallait prouver hors de tout doute raisonnable l'absence de consentement de
la part de la plaignante. Il n'a pas dit expressément au jury que l'accusé devait être
conscient que la plaignante ne donnait pas son consentement pour que le crime ait
lieu, et il a refusé de soumettre au jury le moyen de défense de la croyance sincère
mais erronée au consentement. Il a conclu que le moyen de défense d'erreur de fait
n'avait aucune «vraisemblance» selon le critère établi dans les arrêts Pappajohn c.
La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120, et Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570. Il
a déclaré qu'il [TRADUCTION] «faut d'autre preuve que la simple affirmation par
l'accusé d'une croyance au consentement. Pour être vraisemblable, cette preuve
doit ressortir de sources autres que l'accusé, ou s'y appuyer».

- 85 -
Au cours du procès, les dossiers médicaux sur la santé mentale de la
plaignante ont été admis. Ils devaient permettre à un expert autorisé à les examiner
de déterminer si la plaignante était habile à témoigner sous serment. L'avocat a
demandé l'autorisation de contre-interroger la plaignante au sujet de ces dossiers,
notamment au sujet de la note suivante, datée du 9 juillet 1987, qui y figurait:
[TRADUCTION] L'audition relative à l'agression sexuelle a été reportée
jusqu'en septembre. Linda souhaite maintenant qu'elle n'ait pas été
reportée. Elle craint que son attitude et son comportement aient pu
influencer l'homme jusqu'à un certain degré et elle commence à avoir
des doutes quant à toute l'affaire.
Le juge du procès a refusé à l'avocat de la contre-interroger au sujet de
cette note, en concluant que les dossiers avaient été communiqués dans le but
exprès de déterminer l'habilité de la plaignante à témoigner sous serment. Selon
lui, un examen plus approfondi au moyen d'un contre-interrogatoire constituerait
une violation du droit à la vie privée de la plaignante.
La Cour d'appel (1991), 7 B.C.A.C. 181, 15 W.A.C. 181, 10 C.R. (4th) 159
Dans les motifs qu'elle a rédigés pour la Cour d'appel, le juge Southin
s'est d'abord demandé si le juge du procès avait commis une erreur en omettant
d'instruire le jury quant à la mens rea requise dans les infractions d'agression
sexuelle et d'enlèvement. En se fondant sur les arrêts R. c. Robertson, [1987] 1
R.C.S. 918, et R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782, elle a conclu en ce qui a trait à
l'agression sexuelle que le juge du procès a commis une erreur dans son
appréciation du critère de la vraisemblance. Elle a exprimé l'avis que le

- 86 -
témoignage de l'accusé pouvait à lui seul donner une vraisemblance au moyen de
défense de la croyance erronée au consentement de la plaignante.
Elle a toutefois conclu que l'erreur commise par le juge du procès sur
ce point n'avait pas vicié les directives données au jury puisque aucun élément de
la preuve de l'appelant n'obligeait le juge du procès à instruire le jury sur la
question de la mens rea nécessaire à la perpétration de l'infraction d'enlèvement.
L'appelant n'a jamais déclaré avoir cru que la plaignante consentait à être conduite
vers Parksville sans ses vêtements, ou ne pas avoir eu l'intention de la séquestrer
contre son gré. De toute façon, elle a exprimé l'opinion que le jury ne l'aurait pas
cru s'il avait fait une telle déposition. À défaut de la perpétration de l'infraction
d'enlèvement par l'appelant, elle a noté qu'il aurait peut-être été préférable que la
question de la mens rea eût été soumise au jury relativement à l'infraction
d'agression sexuelle. Elle a toutefois écrit (à la p. 184 C.R.):
[TRADUCTION] . . . l'argument selon lequel un homme qui, sciemment
ou par insouciance, a séquestré une femme par la force et contre son
gré peut croire sincèrement que, durant sa séquestration, elle consentait
librement à ses avances sexuelles n'a absolument aucune
vraisemblance.
La cour a donc conclu que le fait de ne pas donner de directive au jury
quant à la mens rea nécessaire dans les cas d'agression sexuelle n'avait pas vicié
l'exposé au jury.
Le juge Southin a ensuite examiné la prétention subsidiaire portant que
la décision du juge du procès de ne pas mentionner le moyen de défense de la
croyance sincère mais erronée dans son exposé au jury constituait une atteinte au

- 87 -
droit de l'appelant à la présomption d'innocence tant qu'il n'est pas déclaré
coupable, et à un procès avec jury, droits qui sont garantis par les al. 11d) et 11f)
de la Charte. Elle a rejeté cette prétention en concluant que la Charte n'oblige pas
le juge à attirer l'attention des jurés, dans son exposé, sur tous les aspects qui
pourraient être soulevés en vertu de la loi, peu importe s'ils découlent de la preuve.
Enfin, sur la question du contre-interrogatoire, la cour a conclu que le
juge du procès a commis une erreur en fondant son refus d'autoriser le
contre-interrogatoire au sujet des dossiers psychiatriques de la plaignante sur le fait
que ce serait porter atteinte à son droit à la vie privée. La cour a conclu que si le
contre-interrogatoire portant sur les dossiers visait la crédibilité de la plaignante,
l'avocat de l'appelant aurait dû être autorisé à y procéder. Toutefois, puisque le
dossier du procès n'indique pas quelles questions l'avocat se proposait de
demander, la cour a déterminé que ce moyen d'appel ne devait pas être accueilli
non plus.
III. Analyse
A. La restriction apportée au contre-interrogatoire par le juge du procès
(1) Le contre-interrogatoire comme élément fondamental d'un procès
équitable
Le contre-interrogatoire a une importance incontestable. Il remplit un
rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de
foi. Même lorsqu'il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de

- 88 -
jauger la fragilité des témoignages. Il peut servir, par exemple, à montrer le
handicap visuel ou auditif d'un témoin. Il peut permettre d'établir que les
conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d'observation
d'un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur
sa vision ou son ouïe. Son importance ne peut être mise en doute. C'est le moyen
par excellence d'établir la vérité et de tester la véracité. Il faut autoriser le
contre-interrogatoire pour que l'accusé puisse présenter une défense pleine et
entière. La possibilité de contre-interroger les témoins constitue un élément
fondamental du procès équitable auquel l'accusé a droit. Il s'agit d'un principe
ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d'innocence. Voir les
arrêts R. c. Anderson (1938), 70 C.C.C. 275 (C.A. Man.); R. c. Rewniak (1949), 93
C.C.C. 142 (C.A. Man.); Abel c. La Reine (1955), 23 C.R. 163 (B.R. Qué.), et R. c.
Lindlau (1978), 40 C.C.C. (2d) 47 (C.A. Ont.). L'importance du droit au
contre-interrogatoire est bien soulignée par notre Cour dans les motifs rendus par
le juge Ritchie dans l'arrêt Titus c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 259, aux pp. 263 et
264. Il a alors écrit:
J'estime primordial de souligner le but pour lequel le
contre-interrogatoire est permis: il faut que la défense puisse
rechercher à fond les facteurs susceptibles de mettre à jour la fragilité
de la preuve de la poursuite. L'accusé qui se trouve au banc des
prisonniers dans un procès pour meurtre est présumé innocent jusqu'à
ce que sa culpabilité soit prouvée hors de tout doute raisonnable; c'est
là une des présomptions fondamentales inhérentes à la common law;
c'est ce qui permet à l'accusé d'employer tous les moyens légitimes
pour tester la preuve que présente la poursuite pour renverser cette
présomption, et cela comprend, à mon avis, le droit d'examiner toutes
les situations susceptibles d'indiquer qu'un des témoins de la poursuite
a un motif de favoriser la poursuite.
Dans l'arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, la Cour a encore une
fois souligné que le droit de contre-interroger constitue un principe de justice

- 89 -
fondamentale qui est essentiel à l'obtention d'un procès équitable pour l'accusé.
Dans cet arrêt, le droit de contre-interroger a été situé dans le contexte du droit de
présenter une défense pleine et entière (à la p. 608, le juge McLachlin):
Le droit de l'innocent de ne pas être déclaré coupable est lié à son
droit de présenter une défense pleine et entière. Il doit donc pouvoir
présenter les éléments de preuve qui lui permettront d'établir sa défense
ou de contester la preuve présentée par la poursuite.
. . .
Bref, la dénégation du droit de présenter ou de contester une preuve
équivaut à la dénégation du droit d'invoquer un moyen de défense
autorisé par la loi. La défense que la loi accorde d'une main, peut être
retirée de l'autre main. Des contraintes de nature procédurale rendent
possible la condamnation de personnes qui, selon les règles de droit
pénal, sont innocentes.
Le contre-interrogatoire revêt un caractère encore plus important
comme moyen de permettre à l'accusé de présenter une défense pleine et entière
lorsque la crédibilité est le point litigieux central du procès. C'est le sens de la
conclusion tirée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Anandmalik
(1984), 6 O.A.C. 143, à la p. 144:
[TRADUCTION] Dans une affaire où la culpabilité ou l'innocence de
l'[accusé] découlait en grande partie d'une question de crédibilité, ce fut
une grave erreur que de priver l'[accusé] de son droit essentiel de
contre-interroger complètement le principal témoin de la poursuite. Il
ne serait pas approprié dans les circonstances d'invoquer ou d'appliquer
les dispositions réparatrices du sous-al. 613(1)b)(iii).
Le même raisonnement a été adopté par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt R.
c. Giffin (1986), 69 A.R. 158, à la p. 159:

- 90 -
[TRADUCTION] Nous reconnaissons [. . .] que les événements à
propos desquels l'avocat a demandé de contre-interroger étaient
pertinents en ce qui a trait à la question de la crédibilité du témoin. . . .
On ne peut dire en l'espèce que l'accusé a eu l'occasion de présenter une
défense pleine et entière quand on ne lui a pas permis de poser ces
questions.
L'arrêt R. c. Wallick (1990), 69 Man. R. (2d) 310 (C.A.), va dans le même sens; on
y affirme, à la p. 311:
[TRADUCTION] Le contre-interrogatoire est un outil très puissant de
la défense, particulièrement lorsque toute l'affaire repose sur la
crédibilité des témoins. L'accusé dans un procès criminel a le droit de
procéder à un contre-interrogatoire au sens le plus complet et le plus
large du terme pourvu qu'il n'abuse pas de ce droit. Toute limitation
indue de ce droit constitue une erreur susceptible d'entraîner
l'annulation de la condamnation.
On peut donc constater que le droit au contre-interrogatoire a toujours
été considéré comme un élément d'importance fondamentale dans un procès
criminel. Ce droit est maintenant protégé par l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte. Par
conséquent, il devrait être interprété «dans le sens large et généreux que lui mérite
son statut constitutionnel» (voir R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525, à la p. 544).
(2) Restrictions au droit de contre-interroger

Malgré son importance, le droit de contre-interroger n'a jamais été
illimité. Il doit respecter le principe fondamental selon lequel tout élément de
preuve doit être pertinent pour être admissible. En outre, la valeur probante de la
preuve doit être soupesée en regard de son effet préjudiciable. Voir Wigmore on
Evidence, vol. 1A (Tillers rev. 1983), aux pp. 969 et 975. Le juge Lamer
(maintenant Juge en chef) a fait le commentaire suivant sur la nécessité de

- 91 -
satisfaire à ces deux principes en matière de contre-interrogatoire, dans
l'arrêt Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190, à la p. 201:
Le principe de droit qui s'applique encore au Canada a été ainsi
formulé par Thayer:
[TRADUCTION] (1) que rien ne doit être admis qui ne constitue pas
une preuve logique d'un fait qui doit être prouvé; et (2) que tout ce
qui constitue une telle preuve doit être admis, à moins qu'un motif
de principe ou de droit n'entraîne manifestement son exclusion.
À cette déclaration générale doit être ajouté le pouvoir discrétionnaire
qu'ont les juges d'exclure certains éléments de preuve logiquement
pertinents:
[TRADUCTION] . . . à cause de leur trop faible importance ou en
raison de leur lien excessivement conjectural et indirect; d'autres,
à cause de leur effet dangereux sur le jury qui est susceptible d'en
faire un mauvais usage ou d'en surestimer la valeur; d'autres encore
parce qu'ils sont impolitiques ou hasardeux pour des raisons
d'intérêt public; d'autres simplement par l'application d'un
précédent [. . .] [C']est ce genre de chose -- le rejet, pour un motif
quelconque d'ordre pratique, de ce qui a une véritable valeur
probante -- qui caractérise le droit de la preuve et qui en fait le fruit
du système de jurys. [Je souligne.]
La pertinence et la valeur probante doivent être déterminées dans le
contexte du but visé par la preuve produite. L'élément de preuve qui est pertinent
et probant à l'égard d'une question peut ne pas l'être à l'égard d'une autre. Dans le
contexte des agressions sexuelles, on a apporté cette restriction au
contre-interrogatoire pour éviter qu'il ne serve à des fins indues. Il ne peut être
utilisé, par exemple, pour évoquer l'activité sexuelle antérieure d'une plaignante
dans le but d'attaquer sa crédibilité. On a reconnu l'absence de fondement du
mythe selon lequel, pour une raison ou une autre, la crédibilité de la plaignante
serait compromise par des expériences sexuelles antérieures. Dans l'arrêt Seaboyer,
précité, l'interdiction, formulée à l'art. 277 du Code criminel, de faire porter le
contre-interrogatoire sur les expériences sexuelles antérieures de la plaignante dans

- 92 -
le but d'attaquer sa crédibilité a été confirmée en ces termes par le juge McLachlin
(aux pp. 612 et 613):
L'article 277 exclut la preuve de réputation sexuelle visant à
attaquer ou à défendre la crédibilité de la plaignante. L'idée que la
crédibilité de la plaignante puisse être touchée par le fait qu'elle a eu
d'autres rapports sexuels est aujourd'hui universellement rejetée. Il
n'existe aucun lien logique ou pratique entre la réputation sexuelle
d'une femme et sa crédibilité en tant que témoin. La preuve exclue en
vertu de l'art. 277 ne peut donc avoir aucune fin légitime au procès. En
limitant l'exclusion d'une preuve à une fin qui est clairement illégitime,
l'art. 277 ne vise pas la preuve susceptible d'être présentée à des fins
valides et ne viole donc pas le droit à un procès équitable.
Par contre, l'art. 276 du Code criminel a été déclaré inopérant parce qu'il
permettait une interdiction générale de procéder au contre-interrogatoire du
plaignant à l'égard de ses expériences sexuelles antérieures dans les cas d'agression
sexuelle, peu importe l'objet visé par la production de la preuve. Notre Cour a
conclu qu'on ne pouvait affirmer que cette preuve avait une valeur à ce point
insignifiante que son effet préjudiciable doive toujours surpasser sa valeur
probante (Seaboyer, précité, à la p. 613).
La question de l'admissibilité de la preuve dans des affaires d'agression
sexuelle nécessite une pondération minutieuse. Il faut, d'une part, faire preuve
d'attention et de délicatesse pour s'assurer que le contre-interrogatoire du plaignant
porte directement sur des points pertinents et ne s'étend pas inutilement à des fins
indues. Il faut toujours, d'autre part, protéger le droit de l'accusé à un procès
équitable. Ce principe a été accepté dans l'arrêt Seaboyer, précité, et il se traduit
dans les nouvelles dispositions adoptées par le législateur pour remplacer l'ancien
art. 276 (Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), L.C. 1992, ch. 38,
art. 2, entrée en vigueur le 15 août 1992). Ces dispositions visent directement à

- 93 -
empêcher le recours au contre-interrogatoire et l'introduction d'éléments de preuve
à des fins abusives. Le nouvel article dispose:
276. (1) Dans les poursuites pour une infraction prévue aux
articles 151, 152, 153, 155 ou 159, aux paragraphes 160(2) ou (3) ou
aux articles 170, 171, 172, 173, 271, 272 ou 273, la preuve de ce que
le plaignant a eu une activité sexuelle avec l'accusé ou un tiers est
inadmissible pour permettre de déduire du caractère sexuel de cette
activité qu'il est:
a) soit plus susceptible d'avoir consenti à l'activité à l'origine de
l'accusation;
b) soit moins digne de foi.
(2) Dans les poursuites visées au paragraphe (1), l'accusé ou son
représentant ne peut présenter de preuve de ce que le plaignant a eu une
activité sexuelle autre que celle à l'origine de l'accusation sauf si le
juge, le juge de la cour provinciale ou le juge de paix décide,
conformément aux articles 276.1 et 276.2, à la fois:
a) que cette preuve porte sur des cas particuliers d'activité
sexuelle;
b) que cette preuve est en rapport avec un élément de la cause;
c) que le risque d'effet préjudiciable à la bonne administration de
la justice de cette preuve ne l'emporte pas sensiblement sur sa
valeur probante.
(3) Pour décider si la preuve est admissible au titre du
paragraphe (2), le juge, le juge de la cour provinciale ou le juge de paix
prend en considération:
a) l'intérêt de la justice, y compris le droit de l'accusé à une
défense pleine et entière;
b) l'intérêt de la société à encourager la dénonciation des
agressions sexuelles;
c) la possibilité, dans de bonnes conditions, de parvenir, grâce à
elle, à une décision juste;
d) le besoin d'écarter de la procédure de recherche des faits toute
opinion ou préjugé discriminatoire;
e) le risque de susciter abusivement, chez le jury, des préjugés, de
la sympathie ou de l'hostilité;

- 94 -
f) le risque d'atteinte à la dignité du plaignant et à son droit à la vie
privée;
g) le droit du plaignant et de chacun à la sécurité de leur personne,
ainsi qu'à la plénitude de la protection et du bénéfice de la loi;
h) tout autre facteur qu'il estime applicable en l'espèce. [Je
souligne.]
Les articles 276.1 à 276.3 portent sur la demande d'audition, l'exclusion du jury et
du public, et l'interdiction de publication. Enfin, l'art. 276.4 porte:
276.4 Au procès, le juge doit donner des instructions au jury quant
à l'utilisation que celui-ci peut faire ou non de la preuve admise en
application de l'article 276.2.
Ces dispositions législatives reflètent le souci d'assurer une protection
appropriée aux intérêts du plaignant victime d'agression sexuelle, qui ont été
établis dans l'arrêt Seaboyer. Les motifs du juge McLachlin comme les nouvelles
dispositions du Code mentionnent les facteurs qu'il faudrait prendre en
considération pour limiter la portée du contre-interrogatoire d'un plaignant dans un
procès pour agression sexuelle. Il ne faut pas oublier que l'agression sexuelle est
une infraction très différente des autres types de voies de fait. Il est vrai que,
comme toutes les autres formes de voies de fait, elle est un acte de violence. Elle
est toutefois plus qu'un simple acte de violence. Dans la grande majorité des cas,
l'agression sexuelle est fondée sur le sexe de la victime. C'est un affront à la
dignité humaine et un déni de toute notion de l'égalité des femmes.

La réalité de cette situation ressort clairement des statistiques qui
démontrent que 99 pour 100 des contrevenants dans les affaires d'agression
sexuelle sont des hommes, et que 90 pour 100 des victimes sont des femmes. Voir

- 95 -
L'égalité des sexes dans le système de justice au Canada: Document récapitulatif et
propositions de mesures à prendre (avril 1992), à la p. 23. Nous avons vu que les
droits de l'accusé à un procès équitable et au contre-interrogatoire sont protégés par
la common law et garantis constitutionnellement par l'art. 7 et l'al. 11d). Toutefois,
dans le contexte de l'agression sexuelle, les droits du plaignant ne peuvent être
ignorés complètement. Même si elles ne sont pas déterminantes, les dispositions
des art. 15 et 28 de la Charte qui garantissent l'égalité des hommes et des femmes
devraient être prises en considération lorsqu'il s'agit d'établir les limites
raisonnables à apporter au contre-interrogatoire d'un plaignant. Il va de soi qu'on
applique des limites raisonnables à un tel contre-interrogatoire. Le plaignant ne
devrait pas être indûment tourmenté et mis au pilori au point de le transformer en
victime d'un système judiciaire insensible. Il faut toutefois maintenir un juste
équilibre, de sorte que les limites imposées au contre-interrogatoire des plaignants
dans des affaires d'agression sexuelle ne nuisent pas au droit de l'accusé à un
procès équitable.
Dans l'arrêt Seaboyer, on a souligné que le juge du procès est tenu de
s'assurer que seuls les éléments probants sont admis et que la fin pour laquelle la
preuve est admise est légitime. L'extrait suivant figure à la p. 634:
Il doit d'abord évaluer, avec la plus grande sensibilité, si la preuve
présentée par la défense satisfait au critère exigeant un degré de
pertinence qui l'emporte sur les préjudices et les inconvénients qui
résulteraient de l'admission de cette preuve. [. . .] Le juge du procès
doit s'assurer que la preuve est présentée à une fin légitime et qu'elle
appuie logiquement un moyen de défense. Les recherches à
l'aveuglette qui ont malheureusement sévi dans le passé ne doivent plus
être autorisées. Le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour
garantir que ni les procédures à huis clos ni le procès ne deviennent le
théâtre de conduite humiliante ou abusive de la part des avocats de la
défense.

- 96 -
. . . Il faut espérer que les juges, par exercice responsable et sensible de
leur pouvoir discrétionnaire, réduiront ou élimineront les
préoccupations qui ont donné naissance à des dispositions comme
l'art. 276, tout en préservant le droit de l'accusé à un procès équitable.
Les motifs de l'arrêt Seaboyer montrent clairement qu'il ne convient pas
d'obtenir d'un plaignant des éléments de preuve en vue de susciter des inférences
quant au consentement ou à la crédibilité des victimes de viol sur la base de mythes
sans fondement et de stéréotypes fantaisistes. Nombre de mythes sur le viol ont
dans le passé indûment servi de cadre à l'examen des questions de preuve dans des
affaires d'agression sexuelle. Faisaient partie de ce nombre les fausses notions
suivantes: on ne peut violer une femme contre son gré; seules les «femmes de
mauvaise réputation» sont violées; la personne qui n'a pas clairement une «bonne
moralité» est plus susceptible d'avoir donné son consentement. (Voir C.
A. MacKinnon, Toward a Feminist Theory of the State (1989), à la p. 175; L.
L. Holmstrom et A. W. Burgess, The Victim of Rape: Institutional Reactions (1983),
et L'égalité des sexes dans le système de justice au Canada, op. cit., aux pp. 33 et 34.)
Dans l'arrêt Seaboyer, précité, le juge McLachlin a souligné, à la p. 604, que ces
mythes étaient maintenant disparus:
En effet, des preuves que la plaignante avait eu des relations sexuelles
avec l'accusé et d'autres personnes étaient ordinairement présentées (et
acceptées par les juges et les jurés) comme tendant à rendre plus
probable le consentement de la plaignante et à diminuer généralement
sa crédibilité. Ces inférences étaient fondées non pas sur des faits mais
sur le mythe selon lequel il est plus probable qu'une femme de
m{oe}urs faciles consente à des rapports sexuels et qu'elle est, de toute
façon, moins digne de foi. Ce mythe double est maintenant disparu.
Il pourrait être utile de résumer les principes qui ont été énoncés dans
l'arrêt Seaboyer en ce qui a trait au contre-interrogatoire des plaignants. En

- 97 -
général, un plaignant peut être contre-interrogé dans le but de faire ressortir des
éléments de preuve portant sur le consentement et sur la crédibilité lorsque la
valeur probante de cette preuve l'emporte sensiblement sur le risque qu'il en
découle un préjudice inéquitable. Le contre-interrogatoire qui se fonde sur des
«mythes sur le viol» afin de démontrer qu'il y a eu consentement ou d'attaquer la
crédibilité aura toujours un effet préjudiciable qui dépassera sa valeur probante.
Une telle preuve ne répond à aucun objectif légitime, et elle serait par conséquent
inadmissible en ce qui a trait aux questions du consentement et de la crédibilité.
Le contre-interrogatoire qui viserait à évoquer une telle preuve ne devrait pas être
autorisé. Il appartient au juge du procès de prendre en considération toute la
preuve présentée au voir-dire et de déterminer si le contre-interrogatoire proposé
vise une fin légitime.
Dans chaque affaire, le juge du procès doit établir un équilibre délicat
entre le droit fondamental de l'accusé à un procès équitable et la nécessité de
protéger raisonnablement le plaignant, tout particulièrement lorsque la fin visée par
le contre-interrogatoire est fondée sur des «mythes sur le viol». Pour faire en sorte
que le procès soit équitable, il y a lieu de procéder à un voir-dire lorsque des
questions litigieuses sont soulevées relativement au contre-interrogatoire du
plaignant. Au cours du voir-dire, il faudra démontrer, au moyen d'arguments des
avocats, d'affidavits ou de témoignages de vive voix, que le contre-interrogatoire
demandé est approprié. Si, au terme du voir-dire, le contre-interrogatoire est
autorisé, le jury doit recevoir des directives sur la façon adéquate d'utiliser la
preuve tirée du contre-interrogatoire. En règle générale, il n'est ni nécessaire ni
souhaitable que le procès d'une personne inculpée d'agression sexuelle donne
l'occasion de faire le procès du mode de vie et de la réputation du plaignant. La

- 98 -
seule exception à cette règle s'applique dans les cas relativement rares où le
plaignant fait preuve de man{oe}uvre frauduleuse, de malveillance cruelle ou de
mensonge visant à nuire.
(3) Application aux faits de l'espèce
Une centaine de pages de dossiers médicaux ont été déposées devant
la cour afin de permettre de déterminer si la plaignante pouvait témoigner sous
serment. L'avocat de l'appelant a demandé l'autorisation de contre-interroger la
plaignante à leur sujet, tout particulièrement au sujet de la note du 9 juillet 1987
dont il est fait mention dans le sommaire des motifs de la cour de première
instance.
On a prétendu devant notre Cour qu'un contre-interrogatoire portant sur
cet extrait aurait pu faire ressortir des éléments de preuve ayant un rapport avec la
croyance de l'appelant au consentement de la plaignante.
Il faut se rappeler que le juge du procès a refusé d'autoriser le
contre-interrogatoire parce qu'il estimait que l'utilisation des dossiers médicaux de
la plaignante à quelque fin autre que celle de déterminer sa capacité de témoigner
sous serment aurait constitué une violation de son droit à la vie privée. La Cour
d'appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur, mais qu'il n'y avait
rien dans les dossiers médicaux qui lui permette de déduire les questions que
l'avocat voulait poser au cours du procès s'il avait obtenu l'autorisation de les
utiliser. La Cour d'appel a donc conclu qu'elle ne pouvait se prononcer de façon
adéquate sur la décision relative au contre-interrogatoire.

- 99 -
Nul n'a fait valoir que les dossiers médicaux n'auraient pas dû être
produits devant le tribunal. Toutes les parties ont convenu qu'ils étaient
nécessaires pour que soit tranchée la question de la capacité de la plaignante à
témoigner sous serment. Une fois les dossiers médicaux régulièrement admis, il
était loisible à la défense de procéder au contre-interrogatoire dans les
circonstances appropriées. Cela ne signifie pas que les dossiers médicaux ou
psychiatriques des plaignants dans des affaires d'agression sexuelle seront
automatiquement admissibles. Leur admission en preuve doit être solidement
fondée sur leur pertinence. Dans la plupart des cas, il devrait y avoir un rapport
temporel suffisamment étroit entre les rapports médicaux et l'agression.
Il est vrai que la vie privée de la plaignante est un intérêt qui mérite
d'être protégé, au même titre que la relation de confiance entre un patient et son
psychiatre. Toutefois, ce droit à la vie privée doit être évalué en regard de la
nécessité d'assurer un procès équitable à l'accusé et d'éviter une erreur judiciaire.
Une fois les rapports médicaux régulièrement admis, il aurait fallu, pour assurer
un procès équitable, que le juge autorise à leur égard la tenue d'un
contre-interrogatoire conforme aux lignes directrices déjà établies.
La fin visée par le contre-interrogatoire est un facteur déterminant de
son opportunité. En l'espèce, l'avocat de la défense, dans les prétentions qu'il a
présentées au juge du procès, a indiqué que le contre-interrogatoire porterait sur
[TRADUCTION] «le genre de personne qu'est la plaignante». À première vue, cela
semble constituer le type même de fin indue pour laquelle des éléments de preuve
ne peuvent pas être produits, et le jury devrait en être averti. En l'absence d'autre

- 100 -
précision sur l'objet visé, il semble que le juge du procès a eu raison de refuser
d'autoriser la tenue d'un contre-interrogatoire à cette fin.
Toutefois, indépendamment des prétentions avancées par l'avocat de la
défense, il incombe au juge du procès de s'assurer que les droits de l'accusé en
matière de contre-interrogatoire, qui sont si essentiels à la défense, sont protégés.
Le juge du procès avait tous les dossiers médicaux devant lui. Il aurait dû autoriser
le contre-interrogatoire à l'égard du rapport du 9 juillet, particulièrement pour
déterminer s'il pouvait jeter une lumière nouvelle soit sur un motif qu'aurait pu
avoir la plaignante de prétendre avoir été victime d'une agression sexuelle, soit sur
un aspect de sa conduite qui aurait pu porter l'appelant à croire qu'elle consentait
à ses avances sexuelles.
Il existait donc des motifs réels pour que soit autorisée la tenue d'un
contre-interrogatoire sur les rapports médicaux, en particulier sur la note du
9 juillet. Faute de contre-interrogatoire, il est impossible de savoir quelle preuve
aurait pu être obtenue. Lorsqu'il s'est vu refuser le contre-interrogatoire, l'accusé
a été privé de son droit à un procès équitable. Comme l'a affirmé le juge Wilson
dans l'arrêt Potvin, précité, à la p. 543:
. . . c'est l'occasion de contre-interroger, et non le contre-interrogatoire
lui-même, qui est cruciale si on veut traiter l'accusé de façon équitable.
Je répéterais pour mieux le souligner que le contre-interrogatoire d'un
plaignant ne peut avoir lieu que pour des fins appropriées et que l'on peut fort bien
en restreindre la portée. En l'espèce, on aurait dû autoriser la tenue d'un
contre-interrogatoire à l'égard des dossiers médicaux, mais cela ne signifie pas

- 101 -
pour autant qu'un tel contre-interrogatoire dévoilera nécessairement des éléments
de preuve utiles à la position de l'appelant. Par exemple, les propos tenus par la
plaignante devant son conseiller le 9 juillet pourraient fort bien refléter les
sentiments malheureux et non fondés de culpabilité et de honte pour des actes et
des événements survenus sans qu'elle soit fautive. Les sentiments de culpabilité,
de honte et de perte d'estime de soi sont souvent le résultat de l'expérience
traumatisante de l'agression sexuelle. S'ils étaient effectivement le fondement de
sa déclaration à son conseiller, ils ne pourraient aucunement donner une
vraisemblance au moyen de défense de la croyance erronée au consentement de la
plaignante qu'invoque l'appelant. Faute de contre-interrogatoire toutefois, il est
impossible de savoir quel aurait pu en être le résultat.
En bref donc, il était essentiel de donner à l'accusé la possibilité de
procéder à un contre-interrogatoire au sujet du dossier médical pour faire en sorte
qu'il bénéficie d'un procès équitable. En raison du refus de lui donner cette
possibilité et de l'impossibilité de déterminer quel aurait pu en être le résultat, il est
nécessaire d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
Toutefois, l'appelant conteste aussi la validité du par. 265(4) du Code
criminel, et il faut trancher cette question.

- 102 -
B. Le paragraphe 265(4) du Code criminel: erreur de fait et défense
Le paragraphe 265(4) porte:
265. . . .
(4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant avait
consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge, s'il est
convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve
constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce
dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la
preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de
l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle-ci.
La première prétention de l'appelant est que les tribunaux d'instance
inférieure ont commis une erreur en concluant que la preuve était insuffisante pour
que soit soumise au jury la défense de la croyance erronée au consentement de la
plaignante. En l'absence de toute preuve qui pourrait être jugée admissible par
suite d'un contre-interrogatoire portant sur les dossiers médicaux au cours d'un
nouveau procès et eu égard à la seule preuve présentée au procès, il serait difficile
de relever quelque erreur dans cette décision. En l'espèce, le témoignage de la
plaignante affirmait catégoriquement qu'il n'y a eu aucun consentement et que rien
de ce qu'elle a dit ou fait ne pouvait porter quelqu'un à croire qu'elle donnait son
consentement aux actes de l'appelant. Celui-ci a déclaré pour sa part que la
plaignante était en tout temps une participante enthousiaste et consentante, si ce
n'est une participante particulièrement active, à tous ses actes. En pareil cas, rien
ne semble justifier qu'on examine la défense de la croyance erronée au
consentement de la plaignante. Toutefois, comme il doit y avoir un nouveau
procès pour permettre un contre-interrogatoire à l'égard des dossiers médicaux,
conformément aux lignes directrices déjà énoncées, il ne serait pas indiqué

- 103 -
d'examiner ici cette question étant donné la possibilité que surgissent de nouveaux
éléments de preuve.
La seconde proposition avancée par l'appelant porte que le par. 265(4)
viole les droits que garantissent à l'accusé les al. 11d) (la présomption d'innocence)
et 11f) (le droit à un procès avec jury).
(1) L'interprétation du par. 265(4)
Le paragraphe 265(4) du Code criminel s'applique à toutes les voies de
fait et ne se limite pas aux agressions sexuelles. Il semble ne constituer qu'une
codification du moyen de défense de l'erreur de fait reconnu par la common law.
Voir les arrêts Robertson, précité, et R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, à la p. 730.
À mon avis, cette disposition établit simplement les critères fondamentaux qui sont
applicables à tous les moyens de défense, à savoir qu'il n'y a pas lieu de soumettre
un moyen de défense au jury si un jury raisonnable ayant reçu des directives
appropriées n'aurait pas été en mesure d'acquitter l'accusé à partir de la preuve
présentée à l'appui de ce moyen de défense. En revanche, s'il est possible qu'un
jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées acquitte l'accusé à partir de
la preuve présentée à l'appui de ce moyen de défense, il doit être soumis au jury.
C'est au juge du procès qu'il appartient de décider si la preuve est suffisante pour
que la défense soit soumise à un jury puisqu'il s'agit d'une question strictement de
droit. (Voir Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449, et Pappajohn, précité.) Il
faut donc suivre une procédure à deux étapes. En premier lieu, le juge du procès
doit examiner toute la preuve et déterminer si elle est suffisante pour justifier que
la défense soit soumise au jury. En second lieu, si la preuve satisfait à cette

- 104 -
exigence préliminaire, le juge du procès doit soumettre le moyen de défense au
jury, qui l'évaluera et déterminera s'il soulève un doute raisonnable. Voir Wigmore
on Evidence, op. cit., aux pp. 968 et 969, et R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265, à la
p. 276. C'est, à mon avis, l'interprétation qui doit être donnée aux mots «preuve
suffisante» qui figurent au par. 265(4).
Il est bien établi en droit que le juge du procès ne doit soumettre au jury
que les moyens de défense qui disposent d'un fondement factuel. Un moyen de
défense qui n'a pas de valeur probante ne doit pas être soumis au jury. Cette règle
a une application qui ne se limite pas à la défense fondée sur la croyance erronée
au consentement et elle existe depuis longtemps. Dans l'arrêt Kelsey c. The Queen,
[1953] 1 R.C.S. 220, à la p. 226, le juge Fauteux, au nom de la majorité, a tiré la
conclusion suivante:
[TRADUCTION] Pour accorder quelque substance à un argument ou
quelque valeur à un grief qui se fonde sur l'omission du juge du procès
de mentionner cet argument, il faut qu'il y ait au dossier une preuve ou
un point qui puisse rendre vraisemblable l'argument et le grief. [Je
souligne.]
Dans l'arrêt Parnerkar, précité, on avait prétendu que la défense de
provocation doit être présentée au jury s'il existe «quelque preuve» à son appui.
Le juge en chef Fauteux, qui a écrit les motifs pour la majorité, a rejeté cet
argument. Il a écrit, à la p. 454:
La tâche confiée au jury quant aux faits particuliers mentionnés au
par. (3) de l'art. 203 ne diffère aucunement de la tâche qu'il a de
déterminer toutes les autres questions de fait, que ces faits constituent
des éléments d'un crime ou des éléments d'une excuse ou d'une
justification à l'égard d'un crime imputé. En effet, et dans toutes
causes, l'exercice valide de la fonction d'un jury consiste, selon les

- 105 -
termes mêmes du serment d'office que les jurés doivent prêter, à rendre
un verdict fondé sur la preuve. Les jurés ne peuvent aller au-delà de la
preuve ni faire des conjectures et, évidemment, il ne serait pas de bon
droit pour le juge de première instance de les inviter à le faire. Alors,
si le dossier est dépourvu de toute preuve susceptible de permettre à un
jury raisonnable agissant judiciairement de trouver une action injuste
ou une insulte de la nature et du caractère mentionnés aux al. a) et b)
du par. (3) de l'art. 203, il entre donc, comme question de droit, dans le
cadre des attributions exclusivement réservées au juge de première
instance de la décider et celui-ci doit s'abstenir de soumettre au jury la
défense de provocation.
Il n'y a rien, soit d'exprès ou de nécessairement implicite, dans les
termes de l'art. 203(3) qui manifeste une intention de la part du
législateur de modifier le principe selon lequel la suffisance de la
preuve, question qui se pose seulement lorsqu'il y a une preuve, est une
question de fait laissée au jury et l'absence de preuve est une question
de droit laissée au juge.
Dans l'arrêt R. c. Squire, [1977] 2 R.C.S. 13, notre Cour a de nouveau
examiné la question de la défense de provocation et des circonstances dans
lesquelles elle peut être soumise à un jury. Le juge Spence à cité l'arrêt Parnerkar,
précité, et conclu, aux pp. 21 et 22:
Comme je l'ai dit, c'est le devoir de cette Cour de décider si,
compte tenu de ces circonstances, un jury raisonnable agissant de façon
judiciaire pouvait conclure à une action injuste ou insulte suffisante
pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser
(art. 215(2)). Très respectueusement à l'égard de l'opinion exprimée
par le juge Martin, je suis nettement d'avis qu'aucun jury agissant de
façon judiciaire ne pouvait en venir à une telle conclusion.
Le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a établi, dans l'arrêt Faid,
précité, la démarche à deux volets applicable à l'examen des moyens de défense,
aux pp. 276 et 277:
La question de savoir si l'accusé a perdu la maîtrise de lui-même par
suite d'une provocation est une question de fait à soumettre au jury.
Lorsqu'un accusé témoigne qu'il a tué impulsivement dans un accès de

- 106 -
colère, c'est le jury qui doit décider de la crédibilité de ce témoignage.
Il y a toutefois la question de droit préliminaire à trancher par le juge,
savoir si on a produit des éléments de preuve sur lesquels un jury
pourrait se fonder pour conclure que l'accusé a agi dans un accès de
colère. C'est donc à la cour que revient la tâche de décider s'il existe
des éléments de preuve, mais, sous cette réserve, sont des questions de
fait à soumettre au jury le point de savoir (i) si l'action injuste ou
l'insulte en question suffit à priver une personne ordinaire de la maîtrise
de soi et (ii) si cette action ou insulte a effectivement privé l'accusé de
la maîtrise de lui-même . . .
Le juge Dickson a ajouté, à la p. 278:
En la présente espèce, la question est donc de savoir s'il existe une
preuve quelconque susceptible de permettre à un jury raisonnable
agissant judiciairement de conclure que Faid a été privé du pouvoir de
se maîtriser par la provocation qu'il allègue avoir reçue.
La question n'est pas de savoir s'il y a une preuve, mais plutôt de savoir s'il y a une
preuve susceptible d'étayer la défense particulière invoquée par l'accusé. C'est ce
qui ressort clairement de la façon dont notre Cour a examiné la preuve dans l'arrêt
Faid, précité, à la p. 278:
Il ne fait pas de doute qu'un jury raisonnable agissant
judiciairement pouvait conclure qu'un coup à la tête ou une attaque au
couteau constitue une action injuste ou une insulte de la nature et du
caractère énoncés au par. 215(3). Il y a sans doute eu provocation en
l'espèce, mais la réflexion ne s'arrête pas là. La question vitale à
trancher ici est de savoir s'il existait une preuve indiquant que Faid a
été provoqué. Existait-il des preuves d'un accès de colère ou de ce que
Faid «a agi» sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps
de reprendre son sang-froid? Sur ce point nous n'avons que son
témoignage et rien dans ce témoignage n'indique que les coups ou toute
autre conduite de Wilson l'ont mis en rage ou l'ont rendu furieux ni
qu'il a tué dans un accès de colère.
La preuve présentée devant le jury établissait l'existence d'actes qui
constituaient de la provocation. Toutefois, cette preuve ne suffisait pas à étayer la

- 107 -
défense invoquée puisqu'il n'avait pas été établi que Faid avait été provoqué par ces
actes. Le juge du procès n'aurait donc pas dû soumettre cette défense spécifique
au jury.
Le même raisonnement s'applique à la défense fondée sur la nécessité
dans l'arrêt Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616. Le juge en chef Laskin
(dissident sur un autre point) a déclaré (à la p. 654):
Le juge du procès, lorsqu'il a donné des directives au jury sur la
nécessité, n'a pu le faire qu'en étant d'avis qu'il y avait des éléments de
preuve sur lesquels le jury pouvait conclure que la défense avait été
établie.
S'exprimant au nom de la majorité dans cet arrêt, le juge Pigeon a dit, à la p. 659:
Dans l'arrêt Parnerkar c. la Reine, (à la p. 454), M. le juge en chef
Fauteux, parlant pour une majorité de la Cour, déclarait:
Alors, si le dossier est dépourvu de toute preuve susceptible de
permettre à un jury raisonnable agissant judiciairement de trouver
une action injuste ou une insulte de la nature et du caractère
mentionnés aux al. a) et b) du par. (3) de l'art. 203, il entre donc,
comme question de droit, dans le cadre des attributions
exclusivement réservées au juge de première instance de le décider
et celui-ci doit s'abstenir de soumettre au jury la défense de
provocation.
Ce raisonnement s'applique clairement à toute défense, puisqu'il est
basé sur la définition fondamentale des fonctions propres d'un juge et
d'un jury.
La même règle a été appliquée dans le contexte de la légitime défense.
Dans l'arrêt Brisson c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 227, notre Cour a conclu que la
défense doit être vraisemblable pour pouvoir être soumise au jury. Le juge

- 108 -
McIntyre, qui s'exprimait au nom de la majorité sur ce point, a déclaré (à la p. 235):
Un juge du procès doit soumettre au jury tous les moyens de
défense qui découlent de la preuve. Il faut cependant des éléments de
preuve suffisants pour appuyer la vraisemblance d'un moyen de défense
avant que l'obligation de le soumettre prenne naissance.
Notre Cour a réaffirmé, dans l'arrêt R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482,
la nécessité de conclure à l'existence d'une preuve suffisante pour donner une
vraisemblance avant qu'un moyen de défense ne soit soumis au jury. Au nom de
la majorité, j'ai conclu que le verdict subsidiaire d'homicide involontaire coupable
n'aurait pas dû être soumis au jury puisque, eu égard à la preuve présentée dans
cette affaire, le «moyen de défense [. . .] n'avait aucune vraisemblance» (p. 506).
Toutes ces décisions reconnaissent la notion judicieuse selon laquelle
le jury ne devrait être saisi que des moyens de défense qui découlent de la preuve
produite. Les jurés ne devraient pas recevoir de directives sur des moyens de
défense qui ne s'appliquent tout simplement pas à l'affaire qu'ils ont entendue. Les
commentaires du juge Doherty en ce sens dans l'arrêt R. c. Haughton (1992), 11
O.R. (3d) 621 (C.A.), à la p. 625, sont particulièrement pertinents.
Dans les affaires d'agression sexuelle, la question de la preuve
suffisante a donné lieu à une certaine confusion. Pourtant, à mon avis, ces mots
n'exigent rien d'autre que l'application des principes susmentionnés. Dans l'arrêt
Pappajohn, précité, notre Cour a conclu que le moyen de défense de la croyance
erronée au consentement ne devait être soumis au jury que si la preuve a une valeur
probante adéquate. Le juge McIntyre, au nom de la majorité, a déclaré que le

- 109 -
moyen de défense doit avoir une «apparence de vraisemblance» avant d'être
soumis au jury. Il a expliqué cette expression en ces termes, aux pp. 126 et 127:
Pour qu'une obligation naisse à cet égard, la preuve doit contenir des
éléments qui puissent appuyer le moyen de défense et ce n'est que dans
ce cas que le juge doit le soumettre.
Il a ensuite ajouté, à la p. 133:
Il me semble que si en l'espèce, on juge nécessaire de donner au
jury des directives sur le moyen de défense d'erreur de fait, il faudra le
faire dans tous les cas où la plaignante nie avoir consenti et où l'accusé
affirme le contraire.
Dans l'arrêt Bulmer, précité, le juge McIntyre a eu de nouveau
l'occasion d'examiner le moyen de défense d'erreur et le critère de la
vraisemblance. Il a reformulé sa position antérieure en ces termes (aux pp. 789 et
790):
Il est bien établi en droit que dans son exposé au jury le juge du
procès doit présenter tous les moyens de défense qui peuvent être
soulevés d'après les éléments de preuve, qu'ils aient été plaidés par
l'avocat de la défense ou non. Ainsi, il est obligé d'expliquer le droit
concernant le moyen de défense et de signaler au jury l'élément de
preuve qui peut être pertinent à cet égard. Toutefois, avant de présenter
la défense, le juge du procès doit décider si, d'après les faits qui lui sont
présentés, le moyen de défense découle des éléments de preuve. C'est
seulement lorsqu'il rend une décision favorable sur cette question qu'il
doit présenter la défense au jury, car le juge du procès n'est pas tenu de
présenter tous les moyens de défense proposés par l'avocat en l'absence
d'éléments de preuve à l'appui. En fait, il ne devrait pas le faire, car
présenter un moyen de défense qui n'est absolument pas appuyé par un
élément de preuve ne causerait que de la confusion.
Et le juge de poursuivre, à la p. 791:

- 110 -
Lorsque la défense d'erreur de fait, ou d'ailleurs tout autre moyen
de défense, est soulevée, deux étapes distinctes doivent être franchies.
La première étape exige que le juge du procès décide si le moyen de
défense devrait être soumis au jury. C'est à l'égard de cette question,
comme je l'ai déjà dit, que le critère de l'«apparence de vraisemblance»
s'applique.
Dans un arrêt rendu en même temps (Robertson, précité), le juge
Wilson, qui a rédigé les motifs pour la Cour, a aussi examiné le critère de la
vraisemblance (à la p. 933):
Bien qu'il y ait eu des divergences d'opinions au sein de cette Cour
quant à savoir si la connaissance qu'a l'accusé de l'absence de
consentement doit être décrite comme un élément de l'infraction ou
plutôt comme un moyen de défense d'erreur de fait, la Cour a été
unanime sur un point, savoir pour que la question soit soumise au jury,
il doit exister des éléments de preuve qui rendent vraisemblable
l'argument de l'accusé selon lequel il croyait que la plaignante donnait
son consentement.
Elle a ajouté, à la p. 938:
À mon avis, l'insertion du par. 244(4) [maintenant le par. 265(4)] dans
le Code indique clairement que le juge du procès n'est pas obligé dans
chaque cas de demander au jury d'examiner si l'accusé croyait
sincèrement, mais à tort, qu'il y avait eu consentement. Le juge du
procès ne doit donner une telle directive que dans la mesure où l'on a
satisfait à certaines exigences préliminaires. Ces exigences concordent
parfaitement avec la jurisprudence.
On peut voir que notre Cour a maintenu de façon constante que le
moyen de défense d'erreur de fait dans un procès pour agression sexuelle ne sera
soumis au jury que s'il satisfait à la même exigence préliminaire que celle qui
s'applique à tous les moyens de défense. L'expression «vraisemblance» signifie
simplement que le juge du procès doit déterminer si la preuve produite est

- 111 -
susceptible, si elle était acceptée, de permettre à un jury raisonnable ayant reçu des
directives appropriées de prononcer l'acquittement. Si la preuve satisfait à ce
critère, la défense doit être soumise au jury. Il ne s'agit en fait que d'un exemple
de la division fondamentale des tâches respectives du juge et du jury. C'est le juge
qui doit d'abord déterminer si la preuve qu'on cherche à présenter est pertinente et
admissible. De même, c'est le juge qui détermine si l'on a produit une preuve
suffisante pour appuyer le moyen de défense. Si la preuve est suffisante, le jury
doit avoir l'occasion d'examiner cette défense avec les autres éléments de preuve
et les autres moyens de défense qui lui ont été présentés, avant de rendre son
verdict. Voir l'arrêt Morgentaler, précité, à la p. 659, les motifs du juge Pigeon, et
Wigmore on Evidence, op. cit., à la p. 976.
En général, le système de jury fonctionne exceptionnellement bien. Son
importance est confirmée par l'al. 11f) de la Charte. L'une des raisons qui
expliquent pourquoi il fonctionne si bien a trait au fait que les juges du procès
peuvent diriger l'attention des jurés sur les éléments essentiels de l'infraction et sur
les moyens de défense applicables. Ce processus devrait être maintenu. L'exposé
au jury doit porter sur les éléments essentiels du crime reproché à l'accusé et sur
les moyens de défense qui peuvent être soulevés. Quant aux moyens de défense
théoriques qui ne sont pas étayés, ils ne devraient pas être soumis au jury, car cela
ne serait pas approprié et risquerait de créer de la confusion et de prolonger
indûment les procès avec jury.
Pour arriver à une décision sur la question du caractère suffisant de la
preuve relative à un moyen de défense, le juge du procès doit examiner toute la
preuve et toutes les circonstances. Ce n'est que lorsque la totalité de la preuve

- 112 -
produite au procès a été prise en considération et examinée à la lumière de toutes
les circonstances pertinentes que le juge du procès est en mesure de trancher. Voir
les arrêts Bulmer, précité, aux pp. 790 et 791, et Squire, précité, à la p. 21.
Dans quelles circonstances faudrait-il examiner un moyen de défense
fondé sur la croyance erronée au consentement? Selon le procureur général de
l'Ontario, intervenant au présent pourvoi, cette défense ne peut être invoquée dans
les situations où le témoignage de la plaignante et celui de l'appelant sont
diamétralement opposés. Si, par exemple, l'accusé déclare qu'il y avait
consentement empressé et que la plaignante nie qu'il y ait eu quelque
consentement, le moyen de défense ne peut tout simplement pas être soulevé. Pour
que le jury accepte la défense de la croyance erronée au consentement en de telles
circonstances, il lui faudrait rejeter toute la preuve produite au cours du procès, y
compris celle qui a été présentée à la fois par la plaignante (aucun consentement)
et par l'accusé (consentement empressé). En fait, pour accueillir ce moyen de
défense, le jury devrait conjecturer sur une troisième version des faits qui n'a pas
été établie par la preuve et l'entériner. Voir, par exemple, l'arrêt R. c. Guthrie
(1985), 20 C.C.C. (3d) 73 (C.A. Ont.), aux pp. 83 et 84.
Le juge McIntyre a fait allusion à ce point lorsqu'il a déclaré, aux pp.
133 et 134 de l'arrêt Pappajohn, précité:
Lorsque la plaignante prétend avoir été violée, et que l'accusé
prétend qu'elle consentait, et lorsque l'ensemble de la preuve, y compris
le témoignage de la plaignante, celui de l'accusé et les circonstances de
l'affaire, soulève une question claire sur ce point, et lorsque comme en
l'espèce, l'accusé ne fait aucune affirmation de croyance au
consentement par opposition à un consentement véritable, il est
irréaliste, en l'absence d'autres circonstances [. . .] de considérer que le

- 113 -
juge a l'obligation de soumettre au jury le moyen de défense d'erreur de
fait.
Cette question a aussi été examinée dans l'arrêt de la Chambre des lords
Director of Public Prosecutions c. Morgan, [1976] A.C. 182 (H.L.). Lord Cross y
explique, à la p. 204:
[TRADUCTION] Ainsi, comme le juge l'a précisé au début de son
résumé, la seule question litigieuse dans ce cas était de savoir si ce qui
s'est passé dans la maison de Morgan ce soir-là est un viol collectif ou
une orgie. Le jury a manifestement estimé que le témoignage des
appelants quant au rôle joué par Mme Morgan était un tissu de
mensonges et on peut supposer que n'importe quel autre jury adopterait
la même opinion quant à la crédibilité relative des parties. On ne peut
concevoir que le jury qui a estimé que les défendeurs n'ont jamais eu
à l'esprit les motifs qu'ils invoquent pour établir l'existence d'une
croyance au consentement, lesquels, s'ils avaient été sincères, auraient
été très raisonnables, puisse du même souffle conclure que les
intéressés peuvent avoir eu une croyance sincère au consentement
fondée sur des motifs différents et déraisonnables.
Lord Hailsham a énoncé ce point de la façon suivante, à la p. 207:
[TRADUCTION] Le jury devait donc choisir entre deux versions
totalement incompatibles et, à mon avis, il aurait amplement suffi que
le juge, après avoir exposé adéquatement la question de la charge de la
preuve, de la corroboration, des verdicts distincts et de l'admissibilité
des dépositions contre leurs auteurs seulement, dise aux membres du
jury qu'ils doivent en réalité choisir entre les deux versions, dont l'une
faisait état d'un viol caractérisé et violent de nature particulièrement
odieuse, et l'autre d'une participation active à une orgie, en se rappelant
toujours qu'en cas de doute raisonnable sur la vraie version, ils doivent
toujours en accorder le bénéfice aux défendeurs. Malgré les vaillantes
tentatives de l'avocat pour établir une façon permettant de fragmenter
les versions et de décrire une situation qui pourrait paraître acceptable
à un jury raisonnable et dans laquelle, même si l'on a jugé que la
victime n'avait pas consenti, les appelants, ensemble ou
individuellement, pouvaient théoriquement, de façon raisonnable ou
déraisonnable, avoir cru qu'elle consentait, je ne puis absolument pas
concevoir de moyen terme. Les éléments qui pouvaient avoir soulevé
le doute quant au consentement portent également sur la croyance, et
vice versa.

- 114 -
Voir aussi l'arrêt Bratty c. Attorney-General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386
(H.L.).
Je suis d'accord avec cette position. La défense d'erreur peut être
invoquée lorsque l'accusé et le plaignant racontent essentiellement la même version
tout en prétendant l'avoir interprétée différemment. De façon réaliste, elle ne peut
être soulevée que lorsque les faits décrits par le plaignant correspondent de façon
générale à ceux qui sont décrit par l'accusé, et que leur interprétation laisse
entrevoir un état d'esprit différent, propre à chaque partie. Dans une situation où
les témoignages sur l'existence d'un consentement sont directement contraires, la
défense d'erreur quant au consentement n'existe tout simplement pas. Toutefois,
même en l'absence de cette défense, le jury doit prononcer un acquittement si, à la
lumière de la preuve contradictoire sur ce point, il a un doute raisonnable quant à
la question de savoir s'il y a eu consentement. L'absence de consentement est un
élément essentiel de l'infraction. Dans les cas ou il y a preuve contradictoire sur
cette question, le juge du procès expose toujours aux jurés qu'ils doivent être
convaincus hors de tout doute raisonnable de l'absence de consentement.
Il y a lieu de souligner encore une fois que la défense de la croyance
erronée au consentement n'est que rarement soulevée. Dans la grande majorité des
cas, l'agression sexuelle ne survient ni par accident ni par erreur. Ce n'est tout
simplement pas un crime qui se produit par erreur ou par accident. Comme l'a dit
le juge Dickson, dissident, dans l'arrêt Pappajohn, précité, à la p. 155, ce n'est pas
un crime qui est commis par incurie. En fait, il peut même être loisible au juge du
procès de dire au jury qu'en temps normal il ne s'agit pas d'un crime qui peut être
commis par accident.

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(2) La charge de présentation en vertu du par. 265(4)
Il faut maintenant examiner la question de savoir quelle preuve doit être
produite pour que le juge du procès soumette la défense d'erreur au jury. Cette
question a entraîné une certaine confusion. Dans l'arrêt Pappajohn, précité, à la
p. 133, le juge McIntyre a dit:
Pour exiger que soit soumis le moyen de défense subsidiaire de
croyance erronée au consentement, il faut, à mon avis, d'autres preuves
que la simple affirmation par l'appelant d'une croyance au
consentement. Cette preuve doit ressortir d'autres sources que
l'appelant, ou s'y appuyer, pour lui donner une apparence de
vraisemblance. [Je souligne.]
Le juge McIntyre a clarifié sa position dans l'arrêt Bulmer, précité, à la
p. 790:
Il n'y aura pas d'apparence de vraisemblance à la simple affirmation «je
croyais qu'elle consentait» sans que ce ne soit appuyé dans une certaine
mesure par d'autres éléments de preuve ou circonstances de l'affaire.
Si cette simple affirmation était suffisante pour obliger le juge du
procès à présenter le moyen de défense «d'erreur de fait», il suffirait
dans toute affaire de viol de faire une telle déclaration et, peu importe
les autres circonstances, exiger que le moyen de défense soit soumis au
jury. [Je souligne.]
Il s'agit maintenant de savoir si cela signifie que, pour que le moyen de
défense soit présenté au jury, il doit y avoir une preuve de la croyance erronée au
consentement qui provienne d'une autre source que de l'accusé. À mon avis, cette
proposition n'est pas correcte. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une preuve
indépendante de l'accusé pour que ce moyen de défense soit soumis au jury.
Toutefois, il ne suffit pas que l'accusé affirme simplement «je croyais qu'elle

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consentait». Il faut que la défense de la croyance erronée soit étayée par une
preuve qui va plus loin que la seule affirmation en ce sens. Dans les mots de lord
Morris of Borth-y-Gest, il doit y avoir plus que [TRADUCTION] «l'expression creuse
d'une formule d'excuse facile» (Bratty, précité, à la p. 417).
Pour que le moyen de défense soit soumis au jury, il faut satisfaire au
même critère que celui qui s'applique à tous les autres moyens de défense. Tout
comme une défense de provocation ne sera pas présentée au jury uniquement parce
que l'accusé a prononcé les mots «j'ai été provoqué» (voir l'arrêt Faid, précité, à la
p. 278), le seul fait que l'accusé affirme «je pensais qu'elle consentait» ne justifiera
pas de soumettre au jury la défense de la croyance erronée au consentement. La
preuve nécessaire peut provenir du seul témoignage détaillé de l'accusé sur cette
question ou de son témoignage corroboré par celui d'autres sources. Par exemple,
le témoignage du plaignant peut fournir les éléments de preuve nécessaires.
En l'espèce, la Cour d'appel a conclu à bon droit que le juge du procès
avait commis une erreur en statuant que la défense d'erreur ne pouvait être
soulevée sur le seul fondement du témoignage de l'accusé. Elle a par contre
commis une erreur en concluant que ce moyen de défense ne pouvait avoir aucune
vraisemblance parce que la plaignante avait été enlevée par l'appelant. La prémisse
de base élaborée par le juge Southin de la Cour d'appel est juste, à savoir que la
croyance de l'auteur de l'enlèvement que sa victime consentait à une agression
sexuelle à l'occasion de l'enlèvement n'a aucune vraisemblance. Toutefois, en
l'espèce, il n'y a pas eu de déclaration antérieure ou distincte de culpabilité sous le
chef de l'enlèvement. En fait, la mens rea de l'infraction d'enlèvement et celle de

- 117 -
l'agression sexuelle étaient tellement liées qu'elles étaient inséparables.
L'enlèvement ne pouvait donc servir de motif pour rejeter la défense d'erreur.
(3) La constitutionnalité du par. 265(4)
(i) La présomption d'innocence: l'al. 11d)
Le principe fondamental qui est protégé par l'al. 11d) est la garantie du
droit d'être présumé innocent, c'est-à-dire qu'un accusé ne doit pas être déclaré
coupable lorsqu'il existe un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Toute loi qui
impose à l'accusé une charge de persuasion en vertu de laquelle il serait tenu de
prouver l'existence ou l'inexistence d'un fait essentiel à sa culpabilité porte atteinte
au droit garanti par l'al. 11d). Comme je l'ai déjà mentionné, tous les moyens de
défense contre des accusations pénales doivent satisfaire à l'exigence préliminaire
de la preuve suffisante ou, en d'autres termes, au critère de vraisemblance, pour
que le juge du procès les soumette au jury. J'estime que cela ne viole pas la
présomption d'innocence.
Notre Cour a déjà eu l'occasion d'examiner la question de savoir si une
telle exigence impose à l'accusé une inversion de la charge de la preuve qui serait
inacceptable. Dans l'arrêt Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, par exemple, le
juge Dickson a examiné ce point dans le contexte de la défense de nécessité (aux
pp. 257 et 258):
Bien que la nécessité soit désignée comme un moyen de défense en
ce sens que c'est l'accusé qui l'invoque, il incombe toujours à la
poursuite de faire la preuve d'un acte volontaire. La poursuite doit
prouver chacun des éléments du crime imputé. Un de ces éléments est

- 118 -
le caractère volontaire de l'acte. Normalement, le caractère volontaire
peut se présumer, mais si l'accusé soumet à la cour, au moyen de ses
propres témoins ou d'un contre-interrogatoire des témoins de la
poursuite, des éléments de preuve suffisants pour soulever un doute que
la situation engendrée par des forces extérieures était à ce point urgente
que l'omission d'agir pouvait mettre en danger la vie ou la santé de
quelqu'un et que, suivant une analyse raisonnable des faits, il était
impossible d'observer la loi, alors la poursuite se doit d'écarter ce
doute. Le fardeau de la preuve ne repose pas sur l'accusé.
Il a conclu, à la p. 259:
. . . si l'accusé fournit à la cour suffisamment d'éléments de preuve pour
soulever la question, il incombe à la poursuite de contredire cette
preuve hors de tout doute raisonnable.
La distinction entre la charge de la preuve à l'égard d'un infraction ou
d'un élément de l'infraction et la charge de présentation est critique. Il faut se
rappeler que l'accusé n'est tenu de s'acquitter que de la charge de présentation en
soulevant la question de l'erreur, et qu'en fait, il n'a cette charge que si la poursuite
n'a pas fourni suffisamment d'éléments à cet égard dans la présentation de sa
preuve. Les motifs du juge Wilson dans l'arrêt Robertson, précité, à la p. 933,
portent sur cette question:
De plus, je crois que la jurisprudence établit que, lorsqu'il y a une
preuve suffisante pour que la question soit soumise au jury, il incombe
au ministère public de le persuader hors de tout doute raisonnable que
l'accusé savait que la plaignante ne consentait pas ou qu'il ne se souciait
pas de savoir si elle consentait ou non. Pour reprendre les termes
employés par Glanville Williams dans Criminal Law: The General Part
(2nd ed. 1961), aux pp. 871 à 910, la question de la croyance sincère
mais erronée comporte une charge de la preuve en deux parties
distinctes: la charge de présentation et la charge de persuasion. Il faut
produire des éléments de preuve qui convainquent le juge qu'il y a lieu
de soumettre la question au jury. Cette preuve peut être présentée par
le ministère public ou par la défense. La charge de présentation
n'incombe à l'accusé qu'en ce sens restreint que, si rien dans la preuve
produite par le ministère public n'indique que l'accusé croyait

- 119 -
sincèrement au consentement de la plaignante, il appartiendra alors à
ce dernier de produire la preuve requise s'il veut que le jury soit saisi
de la question. Une fois celle-ci soumise au jury, le ministère public
court le risque de ne pas être en mesure de convaincre le jury de la
culpabilité de l'accusé.
Le juge McIntyre a lui aussi fait cette distinction fondamentale dans l'arrêt
Pappajohn, précité, à la p. 127:
Quel critère le juge doit-il utiliser pour trancher cette question?
Habituellement, lorsqu'on établit un élément de fait dont la preuve peut
être pertinente à la culpabilité ou à l'innocence d'un accusé, le juge doit
laisser au jury le soin de tirer sa propre conclusion à cet égard.
Cependant, lorsqu'on demande au juge de soumettre au jury un moyen
de défense spécifique, il n'a pas à rechercher seulement s'il existe ou
non une preuve de fait. Présumant que la preuve sur laquelle l'accusé
fonde son moyen de défense est vraie, il doit examiner si elle est
suffisante pour justifier l'exposé du moyen au jury.
Le paragraphe 265(4) ne crée pas une présomption d'origine législative.
L'accusé qui désire invoquer le moyen de défense de croyance erronée ne doit
s'acquitter que d'une charge de présentation tactique. Ce point a été souligné par
le juge Wilson dans l'arrêt Robertson, précité, à la p. 936:
Il y a une charge de présentation qui incombe à l'accusé mais, (et
c'est là, à mon avis, le point fondamental) si la preuve est suffisante
pour que la question soit soumise au jury, il incombe alors au ministère
public de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé ne croyait
pas sincèrement au consentement. Le moyen de défense d'erreur,
comme le juge Dickson l'a souligné dans l'arrêt Pappajohn, est une
simple négation de la mens rea qui ne fait peser sur l'accusé aucune
charge de la preuve.
Le professeur Hogg abonde dans le même sens:

- 120 -
[TRADUCTION] . . . la présomption d'innocence ne serait pas violée par
une disposition qui imposerait à l'accusé la charge de présenter une
preuve suffisante pour soulever un doute raisonnable quant à la
présence ou à l'absence de certains faits qui constituent un élément de
l'infraction, un facteur connexe, une excuse ou une défense. Une telle
charge de présentation n'enfreint pas l'al. 11d) puisque l'accusé peut
éviter d'être condamné simplement en soulevant un doute raisonnable
dans l'esprit du juge des faits. [En italique dans l'original.]
(Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), vol. 2, à la p. 48-15.)
Le paragraphe 265(4) laisse à la poursuite la charge de prouver tous les
éléments essentiels de l'infraction. La poursuite doit prouver à la fois la mens rea
et l'actus reus hors de tout doute raisonnable: c'est-à-dire que l'accusé a eu des
rapports sexuels avec une femme qui n'y consentait pas, et qu'il avait l'intention
d'avoir de tels rapports sans le consentement de la femme. Il est toujours loisible
au jury, même en l'absence d'une défense d'erreur de fait quant au consentement,
de conclure à l'existence d'un doute raisonnable à l'égard de la mens rea de l'accusé
et d'acquitter ce dernier. La simple obligation d'établir une vraisemblance ne
modifie pas la présomption d'innocence.
En conclusion donc, le critère préliminaire de la vraisemblance établi
au par. 265(4) ne viole pas l'al. 11d). Même s'il crée une charge de présentation
qui incombe à l'accusé, en ce sens que celui-ci doit soulever une preuve suffisante
pour donner au moyen de défense une vraisemblance justifiant qu'il soit soumis au
jury, il n'en demeure pas moins que la charge de prouver tous les éléments de
l'infraction hors de tout doute raisonnable repose clairement sur la poursuite.

- 121 -
(ii) Le droit à un procès avec jury: l'al. 11f)
L'alinéa 11f) confère à tout inculpé le droit de bénéficier d'un procès
avec jury lorsque la peine maximale pour l'infraction est un emprisonnement de
cinq ans ou plus.
En vertu d'un précepte fondamental du système de jury, le jury décide
des questions de fait tandis que le juge tranche les questions de droit. La question
de savoir s'il y a une preuve suffisante pour déterminer si un point en litige a été
soulevé adéquatement est une question de droit, qui relève donc de la compétence
du juge (Bulmer, précité, aux pp. 790, 791 et 796).
L'obligation de prouver que la défense de croyance erronée au
consentement est vraisemblable, prévue au par. 265(4), est raisonnable et
complètement valide. Elle ne constitue que la réaffirmation d'une partie intégrante
du rôle du juge en matière de contrôle du procès avec jury. Le juge du procès doit
trancher les questions de droit comme la pertinence et l'admissibilité de la preuve,
et l'habilité et la contraignabilité des témoins. Dans ces domaines, on ne peut
accuser le juge du procès d'usurper le rôle du jury ni de violer les droits de
l'accusé. De même, il revient au juge de déterminer s'il y a une preuve suffisante
pour que soit soulevé la défense de croyance erronée au consentement. Il y lieu de
se rappeler que lorsqu'il est appelé à examiner la preuve visant à donner une
vraisemblance, le juge du procès n'évalue pas la preuve, mais se contente de
l'examiner afin de déterminer quels moyens de défense peuvent être soulevés. Voir
l'arrêt Guthrie, précité, à la p. 84.

- 122 -
L'appelant a bénéficié d'un procès avec jury. Les seuls éléments du
procès que le juge du procès a tranchés étaient des éléments qui appartenaient à
son champ de compétence, à savoir les questions relatives au processus judiciaire
et les questions de droit. Il n'y a donc eu aucune violation du droit de l'appelant
à un procès avec jury.
(iii) L'article premier
Puisque j'ai conclu que le critère préliminaire de la vraisemblance
énoncé au par. 265(4) ne viole ni l'al. 11d) ni l'al. 11f), il n'est pas nécessaire
d'examiner l'article premier de la Charte.
IV. Dispositif
Il y a lieu d'accueillir le présent pourvoi et d'ordonner la tenue d'un
nouveau procès parce que le juge du procès a commis une erreur en ne permettant
pas le contre-interrogatoire de la plaignante au sujet de ses dossiers médicaux. Ce
contre-interrogatoire devrait se dérouler dans le respect des présents motifs.
Les questions constitutionnelles devraient recevoir les réponses
suivantes:
1.
Si le paragraphe 265(4) du Code criminel impose un «critère de la
vraisemblance» comme condition préliminaire à remplir avant de
soumettre la question de la croyance erronée au jury, ce paragraphe
limite-t-il le droit d'être présumé innocent garanti par l'al. 11d) de la
Charte canadienne des droits et libertés ou le droit à un procès avec jury
garanti par l'al. 11f) de la Charte?
Non.

- 123 -
2.
Si le paragraphe 265(4) limite les droits garantis par les al. 11d) et 11f)
de la Charte, ou l'un ou l'autre de ces droits, s'agit-il d'une limite
prescrite par une règle de droit, dont la justification peut se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique?
Il n'est pas nécessaire de répondre à la seconde question.
//Le juge Iacobucci//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE IACOBUCCI -- Je souscris aux motifs du juge Cory avec la même
réserve que celle exprimée par le juge Sopinka, c'est-à-dire que tout en étant
d'accord avec le juge Cory, je ne souhaite pas faire de commentaires au sujet de
l'art. 276 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (modifié par la Loi modifiant
le Code criminel (agression sexuelle), L.C. 1992, ch. 38, art. 2).
Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné, les juges LA FOREST,
L'HEUREUX-DUBÉ, GONTHIER et MCLACHLIN sont dissidents.
Procureurs de l'appelant: McAlpine & Horod, Vancouver.
Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Vancouver.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: John C. Tait,
Ottawa.

- 124 -
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère
du Procureur général, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Le ministère
de la Justice, Ste-Foy.