R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714
Jules Jobidon
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié: R. c. Jobidon
No du greffe: 21238.
1991: 28 mars; 1991: 26 septembre.
Présents: Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, Stevenson
et Iacobucci.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel -- Voies de fait -- Consentement -- Bagarres à coups de
poing -- Victime tuée par l'accusé dans une bagarre à coups de poing entre
adversaires consentants -- Annulation par la Cour d'appel de l'acquittement de
l'accusé relativement à une accusation d'homicide involontaire coupable -- L'absence
de consentement est-elle un élément essentiel de l'infraction de voies de fait? --
Existe-t-il en common law des limites quant au consentement applicables aux bagarres
à coups de poing lorsque des lésions corporelles sont voulues et causées? --
Négligence criminelle -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 8, 222, 265.
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L'accusé a été inculpé d'homicide involontaire coupable en se livrant à
des voies de fait, à la suite d'une bagarre à coups de poing. La bagarre a débuté dans
un bar. La victime avait le dessus lorsque le propriétaire les a séparés et a demandé
à l'accusé de quitter les lieux. Il est sorti et a attendu dehors, dans le stationnement.
Lorsque la victime est sortie une foule de gens s'est rassemblée autour d'eux pour
assister à la bagarre. Alors que les deux hommes se tenaient debout face à face,
l'accusé a assené à la victime un coup de poing violent à la tête et l'a fait tomber à la
renverse sur le capot d'une voiture. L'accusé a continué à s'avancer et, en une brève
volée, il a de nouveau frappé plusieurs fois la victime à la tête. La victime a roulé
par terre et est demeurée immobile. Elle a été transportée à l'hôpital où elle est
morte. Au procès, l'accusé a été acquitté de l'accusation d'homicide involontaire
coupable. Le juge a conclu que le consentement de la victime à une bataille loyale
écartait les voies de fait, et il a en outre jugé que l'accusé n'était pas coupable de
négligence criminelle. La Cour d'appel de l'Ontario a annulé le verdict de
non-culpabilité et l'a remplacé par un verdict de culpabilité d'homicide involontaire
coupable. Ce pourvoi soulève la question de savoir si l'absence de consentement est
un élément qui doit être prouvé par le ministère public dans tous les cas de voies de
fait visés à l'art. 265 du Code criminel ou s'il existe en common law des limites qui
restreignent ou nient l'effet juridique du consentement dans certains cas. Il s'agit, en
second lieu, de savoir si l'accusé pourrait être reconnu coupable d'homicide
involontaire coupable pour un autre motif que les voies de fait.
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
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Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory et Iacobucci:
L'article 265 du Code devrait être interprété à la lumière des limites imposées au
consentement par la common law. L'article 265 énonce une règle générale, à savoir
qu'il ne peut pas y avoir voies de fait si l'autre personne consent à ce que la force soit
utilisée. Toutefois, bien que l'art. 265 énonce que toutes les espèces de voies de fait,
y compris celles causant des lésions corporelles, sont visées par la règle générale, il
ne définit pas les circonstances, les formes de conduite ni les conséquences
éventuelles qui seront légalement reconnues comme étant des objets légitimes de
consentement pour les fins de l'infraction. La common law a engendré un ensemble
de règles juridiques visant à faire la lumière sur le sens du consentement et à imposer
certaines limites à son effet juridique en droit criminel. Elle a également fixé des
limites au genre d'actions préjudiciables auxquelles il est légitimement possible de
consentir et qui peuvent protéger l'assaillant contre les sanctions du droit criminel.
L'article 8 du Code prévoit que les principes de common law continuent de
s'appliquer dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le Code ou une autre
loi fédérale ou modifiés par eux. En particulier, le par. 8(3) du Code prévoit
expressément que les moyens de défense disculpatoires continuent à s'appliquer de
façon à exclure la responsabilité criminelle.
Les tribunaux anglais et canadiens reconnaissent depuis longtemps des
limites au consentement dans le cas des voies de fait. Quoiqu'il n'existe pas de
position claire dans la common law canadienne contemporaine, si on prend en
considération la jurisprudence tant anglaise que canadienne, si l'on songe que,
pendant des siècles, la common law a persisté à limiter l'effet juridique du
consentement dans le cas d'une bagarre à coups de poing et si l'on comprend que
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l'art. 265 a toujours fait état de cette persistance, la balance penche fortement contre
la validité du consentement à se faire infliger des lésions corporelles au cours d'une
bagarre. Les considérations de principe pertinentes de common law appuient
également cette conclusion. Il n'est pas dans l'intérêt public que des adultes se
blessent mutuellement, et ce, volontairement, sans raison valable. Les bagarres à
coups de poing et les batailles de rues n'ont aucune valeur sociale. Ces activités
peuvent aussi entraîner des troubles graves à la paix publique.
En l'espèce, le consentement de la victime à un combat loyal n'a pas
empêché la perpétration de l'infraction de voies de fait visée à l'art. 265 du Code. La
limite que requiert l'application de l'art. 265 invalide le consentement entre adultes
à l'utilisation intentionnelle de la force pour s'infliger mutuellement des blessures
graves ou de sérieuses lésions corporelles au cours d'une rixe ou d'une bagarre à
coups de poing. Telle est l'étendue de la limite prescrite par la common law en
l'espèce. Cette formulation n'influera pas sur la validité ou l'effet du consentement
donné librement à des activités sportives violentes menées selon les règles du jeu,
à un traitement médical ou chirurgical, ou à des spectacles dangereux de cascadeurs
qualifiés.
Les dispositions du Code n'ont pas supprimé les limites imposées au
consentement par la common law. Premièrement, en énonçant au par. 265(3) du
Code des facteurs susceptibles de vicier le consentement, le législateur n'avait pas
l'intention de remplacer toute règle de common law susceptible d'invalider l'effet
juridique du consentement à un acte qui constituerait par ailleurs des voies de fait.
Cette liste a simplement concrétisé les limites fondamentales de l'effet juridique du
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consentement que reconnaissait depuis des siècles le droit criminel en Angleterre et
au Canada. L'histoire de notre droit criminel montre que la codification n'a pas
remplacé les principes de responsabilité criminelle existant en common law, mais en
est le reflet. Cet historique montre également que les limites imposées au
consentement, fondées sur l'intérêt public, existaient avant la codification du droit
criminel canadien et n'ont pas été supprimées par les refontes du Code et les
modifications qu'il a subies. Par conséquent, même s'il était possible de conclure que
le par. 265(3) écarte l'application des règles de common law qui décrivent les cas
dans lesquels le consentement à des voies de fait est vicié parce qu'il n'a pas été
donné volontairement, ou parce qu'est entachée la volonté qui sous-tend le
consentement apparent, cela ne voudrait pas dire que ces modifications ont eu pour
effet de supprimer les limites fondées sur l'intérêt public. Si le législateur avait
voulu le faire, il aurait exprimé cette intention. Le paragraphe 8(3) du Code laisse
fortement supposer qu'il y a lieu de préserver la façon dont la common law aborde
le consentement en matière de voies de fait. Deuxièmement, en précisant, au par.
265(2), que l'art. 265 doit s'appliquer à toutes les espèces de voies de fait, le
législateur n'a pas voulu éliminer les règles de common law concernant les objets ou
formes de conduite auxquels il est impossible de donner un consentement ayant effet
juridique. Le législateur a plutôt cherché à s'assurer que s'appliqueraient sans
exception, indépendamment du genre de voies de fait commises, les éléments
fondamentaux de l'infraction de voies de fait énoncés aux al. 265(1)a) à c), les
circonstances énumérées au par. 265(3) où le consentement est vicié s'il a été donné
par contrainte ou d'une manière mal informée, et l'état d'esprit requis pour qu'un
moyen de défense puisse être invoqué selon le par. 265(4).
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Bien qu'une bagarre à coups de poing constitue une situation dans
laquelle la notion et l'expression de "voies de fait" s'appliquent d'une manière tout
à fait naturelle, la négligence criminelle se prête moins bien à ce genre de situation.
Dans une bagarre à coups de poing, une personne a l'intention évidente d'utiliser la
force contre une autre. La conscience de certaines conséquences préjudiciables
possibles pour l'intégrité physique de l'adversaire distingue les voies de fait de la
négligence criminelle, puisque, dans ce dernier cas, la personne ne fait aucun cas des
répercussions probables de sa conduite sur la sécurité physique de l'autre personne.
Les juges Sopinka et Stevenson: Le consentement ne peut pas être isolé
de l'infraction parce qu'il constitue un élément essentiel de beaucoup d'infractions
criminelles, dont les voies de fait, et que la disposition législative qui crée
l'infraction de voies de fait prévoit expressément l'élément du consentement. S'il ne
peut transformer un crime en un comportement licite, le consentement donné par la
victime est un élément fondamental pour déterminer quel comportement constitue
un crime. L'absence de consentement est un élément essentiel de l'actus reus et on
la confond souvent avec le moyen de défense fondé sur la croyance sincère qu'il y
a eu consentement, lequel se rapporte non pas à l'actus reus de l'infraction mais à la
mens rea ou à l'état d'esprit de l'accusé. La croyance sincère qu'il y a eu
consentement peut constituer un moyen de défense même s'il n'y a pas eu
consentement.
Le Parlement a étendu le principe qu'une absence de consentement est
nécessaire à toutes les voies de fait, attaques ou agressions, à l'exception du meurtre,
dans le but de préciser cet aspect du droit criminel. L'article 265 n'est pas conçu
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pour proscrire les bagarres entre adversaires consentants ni pour les autoriser si un
juge les croit socialement utiles dans les circonstances. Plutôt, l'art. 265 fait de
l'absence de consentement une condition de l'infraction et limite ce consentement aux
utilisations intentionnelles de la force à l'égard desquelles la victime a donné un
consentement clair et véritable, libre de toute coercition ou présentation inexacte des
faits. La portée du consentement à des voies de fait doit faire l'objet d'un examen
minutieux. Le juge du procès doit examiner le consentement afin de déterminer s'il
visait l'activité qui fait l'objet de l'accusation, au lieu de tenter d'évaluer l'utilité de
l'activité. Plus les voies de fait sont graves, plus il devrait être difficile de prouver
qu'il y a eu consentement.
L'absence de consentement ne peut être écartée par l'application
énergique d'une politique conçue par des juges. Le recours à la common law pour
éliminer un élément de l'infraction qui est exigé par la loi constitue plus que de
l'interprétation et va à l'encontre de la lettre et de l'esprit de l'al. 9(a) qui prévoit que
nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction en common law.
Vu le danger inhérent à l'activité violente dans la présente affaire, la
portée du consentement devait faire l'objet d'un examen minutieux. Le juge du
procès a conclu que le consentement de la victime ne s'étendait pas à la poursuite de
la bataille une fois qu'elle avait perdu connaissance. En continuant de rouer la
victime de coups après s'être rendu compte qu'elle était inconsciente, l'accusé a
outrepassé sciemment le consentement de la victime. Vu la conclusion que l'accusé
a commis des voies de fait et que la victime est décédée des suites de cet acte illicite,
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l'accusé est coupable d'homicide involontaire coupable en vertu de l'al. 222(5)a) et
de l'art. 234 du Code criminel.
Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Arrêts examinés: Attorney General's Reference (No. 6 of 1980), [1981]
2 All E.R. 1057; R. v. Coney (1882), 8 Q.B.D. 534; R. v. Donovan, [1934] All E.R.
207; arrêts approuvés: R. v. Buchanan (1898), 1 C.C.C. 442; R. v. Cullen (1948),
93 C.C.C. 1 (Ont. C.A.), conf. [1949] R.C.S. 658; R. v. Squire (1975), 26 C.C.C. (2d)
219 (C.A. Ont.), inf. pour d'autres motifs, [1977] 2 R.C.S. 13; R. v. Kusyj (1983), 51
A.R. 243; R. v. Gur (1986), 27 C.C.C. (3d) 511; R. v. Cey (1989), 48 C.C.C. (3d) 480;
R. v. McIntosh (1991), 64 C.C.C. (3d) 294; arrêts critiqués: R. v. Dix (1972),
10 C.C.C. (2d) 324; R. v. MacTavish (1972), 8 C.C.C. (2d) 206; R. v. Abraham
(1974), 26 C.R.N.S. 390; R. v. Setrum (1976), 32 C.C.C. (2d) 109; R. v. Bergner
(1987), 36 C.C.C. (3d) 25; R. v. Loonskin (1990), 103 A.R. 193; arrêts mentionnés:
Bradley v. Coleman (1925), 28 O.W.N. 261; R. v. Carriere (1987), 56 C.R. (3d) 257;
R. v. Crouse (1982), 39 N.B.R. (2d) 1; R. v. Jerome, [1990] 1 W.W.R. 277; Kirzner
c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 487; Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418; R. v.
March (1844), 1 Car. & K. 496, 174 E.R. 909; R. v. Lock (1872), L.R. 2 C.C.R. 10;
Wright's Case (1603), Co. Litt. f. 127 a-b; Matthew v. Ollerton (1693), Comb. 218,
90 E.R. 438; Boulter v. Clarke (1747), Bull. N.P. 16; R. v. Lewis (1844), 1 Car. & K.
419, 174 E.R. 874; R. v. Barron (1985), 23 C.C.C. (3d) 544.
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Citée par le juge Sopinka
Arrêts mentionnés: Lemieux v. La Reine, [1967] R.C.S. 492; Pappajohn
c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120; Attorney General's Reference (No. 6 of 1980),
[1981] 2 All E.R. 1057.
Lois et règlements cités
Acte concernant les offenses contre la Personne, S.C. 1869, ch. 20.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 8, 9 [abr. & rempl. ch. 27 (1er suppl.), art. 6;
mod. ch. 1 (4e suppl.), art. 18 (ann. I, no 3)], 14, 83 [mod. ch. 27 (1er
suppl.), art. 186 (ann. IV, no 1)], 150.1 [aj. ch. 19 (3e suppl.) art. 1], 159
[aj. idem, art. 3], 222, 234, 265, 267(2), 286.
Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36, art. 290.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 7, 205, 244 [abr. & rempl. 1974-75-76, ch. 93,
art. 21; abr. & rempl. 1980-81-82-83, ch. 125, art. 19].
Code criminel, S.C. 1953-54, ch. 51, art. 230.
Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 258.
Offences Against the Person Act, 1861 (R.-U.), 24 & 25 Vict., ch. 100.
Doctrine citée
Bryant, Alan W. "The Issue of Consent in the Crime of Sexual Assault" (1989), 68 R. du B.
can. 94.
Canada. Commission de réforme du droit. Problématique d'une codification du droit pénal
canadien. Ottawa: La Commission, 1976.
Canada. Commission de réforme du droit. Rapport 31. Pour une nouvelle codification du
droit pénal. Ottawa: La Commission, 1987.
- 10 -
Canada. Commission de réforme du droit. Document de travail 38. Les voies de fait.
Ottawa: La Commission, 1984.
Clarkson, C. M. V. and H. M. Keating. Criminal Law: Text and Materials, 2nd ed.
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Colvin, Eric. Principles of Criminal Law. Toronto: Carswells, 1986.
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Mewett, Alan W. and Morris Manning. Criminal Law, 2nd ed. Toronto: Butterworths,
1985.
Parker, Graham. "The Origins of the Canadian Criminal Code". In David H. Flaherty, ed.,
Essays in the History of Canadian Law, vol. I. Toronto: University of
Toronto Press, 1981.
Russell on Crime, vol. 1, 12th ed. By J. W. Cecil Turner. London: Stevens & Sons, 1964.
Stephen, Sir James Fitzjames. A General View of the Criminal Law of England, 2nd ed.
London: MacMillan and Co., 1890.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law: A Treatise, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1987.
Watt, David. The New Offences Against the Person: The Provisions of Bill C-127. Toronto:
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Williams, Glanville. Textbook of Criminal Law, 2nd ed. London: Stevens & Sons, 1983.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1988), 45
C.C.C. (3d) 176, 67 C.R. (3d) 183, 30 O.A.C. 172, qui a accueilli l'appel du ministère
public contre un jugement du juge Campbell (1987), 36 C.C.C. (3d) 340, 59 C.R.
(3d) 203, qui avait acquitté l'accusé relativement à une accusation d'homicide
involontaire coupable. Pourvoi rejeté.
Brian H. Greenspan, pour l'appelant.
W. J. Blacklock et J. Klukach, pour l'intimée.
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//Le juge Gonthier//
Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé,
Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par
LE JUGE GONTHIER -- Il s'agit ici de déterminer le rôle du consentement
dans le cas de l'infraction criminelle de voies de fait. En particulier, il s'agit de
savoir si l'absence de consentement est un élément essentiel de cette infraction dans
le cadre d'une bagarre à coups de poing où des lésions corporelles sont
intentionnellement infligées.
I -- Exposé des faits
L'appelant, Jules Jobidon, a été accusé d'homicide involontaire coupable
pour avoir tué Rodney Haggart -- en se livrant à des voies de fait (ou,
subsidiairement, en commettant un acte de négligence criminelle). L'accusation a
été portée à la suite d'une bagarre à coups de poing survenue entre les deux hommes,
dans un stationnement situé à l'extérieur d'un hôtel, près de Sudbury (Ontario), le
19 septembre 1986. Au moment où il a été tué, Rodney Haggart avait 25 ans. Il
avait consommé de la bière. Son taux d'alcoolémie, mesuré quelques heures après
l'incident, était de 160 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, mais le juge
du procès a conclu que Haggart paraissait [TRADUCTION] "parfaitement bien" et
[TRADUCTION] "parfaitement normal". Jobidon, un jeune homme robuste et en
forme, avait également bu de la bière avant la bagarre, mais de l'avis du juge du
procès, il n'était pas en état d'ébriété.
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Les deux hommes ont commencé à se battre dans le bar de l'hôtel. Avec
son frère et quelques amis, Haggart célébrait son mariage imminent. Il a accosté
Jobidon, qui était également à l'hôtel avec des amis, et a commencé à se battre avec
lui. Haggart était plus gros que l'appelant et il s'était déjà entraîné comme boxeur.
Pendant cette première rencontre, Haggart a eu le dessus, mais le propriétaire de
l'hôtel a séparé les adversaires et a demandé à Jobidon et à son frère de quitter l'hôtel.
Jobidon et Haggart ont échangé des paroles hostiles dans le hall et le juge du procès
a conclu que les deux hommes avaient convenu que la bagarre n'était pas terminée.
Jobidon et son frère ont attendu dehors, dans le stationnement. Lorsque
les copains de Haggart sont sortis de l'hôtel, leurs frères aînés respectifs ont
commencé à se battre à l'autre bout du stationnement. Jobidon et Haggart se
disputaient. Une foule de gens, dont un bon nombre étaient sortis pour assister à la
bagarre, se sont rassemblés autour d'eux.
Pendant que Haggart et Jobidon se tenaient debout face à face, Jobidon
a assené un coup de poing à Haggart, le frappant violemment à la tête et au visage.
Haggart est tombé à la renverse sur le capot d'une voiture. Le juge du procès a
conclu que Haggart avait perdu connaissance à la suite de ce premier coup de poing
et qu'il semblait être [TRADUCTION] "dans les pommes". Il ne bougeait pas et il ne
se défendait pas.
Dès qu'il eut assené ce premier coup de poing, Jobidon a continué à
s'avancer. En une brève volée, qui n'a pas duré plus de quelques secondes, il a de
nouveau frappé la victime évanouie quatre à six fois à la tête. Le juge du procès a
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conclu qu'il ne s'était pas écoulé de temps entre le moment où Haggart était tombé
et celui où il avait reçu les autres coups. Ces derniers faisaient partie d'
[TRADUCTION] "une seule opération continue [. . . d']un seul événement fluide
ponctué de coups précis". Le juge a fait remarquer qu'au dire du témoin qui était le
plus digne de foi, tout était arrivé si rapidement que celui-ci croyait que Haggart
rebondirait du capot et recommencerait à se battre.
Cependant, Haggart a roulé par terre et est demeuré immobile. Il a été
transporté à l'hôpital dans le coma, où il est mort de graves contusions à la tête.
Selon la preuve médicale, il avait de nombreuses ecchymoses et écorchures à la tête
et au cou. On a conclu que la mort avait été causée par un ou plusieurs des coups de
poing que l'appelant lui avait assenés dans le stationnement.
Le juge du procès a conclu que Jobidon n'avait pas eu l'intention de tuer
Haggart ni l'intention de le blesser grièvement. Toutefois, la possibilité de blessures
plus graves qu'une ecchymose ou qu'un saignement de nez, un nez cassé par
exemple, avait été envisagée. Jobidon avait intentionnellement frappé Haggart aussi
fort que possible, mais il croyait que la bagarre était loyale. Il n'a pas
intentionnellement fait autre chose que ce à quoi Haggart avait consenti. Jobidon
croyait que Haggart avait consenti à un combat loyal, dont l'objet était de frapper
l'adversaire aussi fort qu'il était physiquement possible de le faire jusqu'à ce que ce
dernier abandonne la partie ou batte en retraite. Le juge du procès a également
conclu que, bien qu'il se soit trompé et que les faits ne le justifient pas, Jobidon
croyait honnêtement que lorsque Haggart est tombé sur le capot de la voiture, il était
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simplement étourdi, mais encore capable de riposter, et qu'il essayait encore de se
battre.
Jobidon a subi un procès devant un juge de la Cour suprême de l'Ontario
et il a été acquitté de l'accusation d'homicide involontaire coupable: (1987), 36
C.C.C. (3d) 340. Le juge a conclu à l'absence de voies de fait, étant donné que
Haggart avait donné son consentement; il a en outre jugé que Jobidon n'était pas
coupable de négligence criminelle. L'intimée a interjeté appel de la décision du juge
relativement aux voies de fait devant la Cour d'appel de l'Ontario, qui a accueilli
l'appel, annulé l'acquittement et l'a remplacé par un verdict de culpabilité d'homicide
involontaire coupable: (1988), 45 C.C.C. (3d) 176.
Les jugements des tribunaux d'instance inférieure
La Cour suprême de l'Ontario (le juge Campbell)
Le juge du procès a fait remarquer que l'accusation d'homicide
involontaire coupable était fondée sur l'infraction de voies de fait prévue par
l'art. 265 (autrefois l'art. 244) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, et que le
ministère public était tenu de prouver chacun des éléments de l'infraction de voies
de fait en vue d'établir qu'il y avait eu homicide involontaire coupable.
Selon le juge, la question de droit dont il était saisi était de savoir
[TRADUCTION] "si le consentement de la victime à un combat loyal à coups de poing
peut servir de moyen de défense à l'accusé" (p. 351). Il a fait remarquer qu'en
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Angleterre, le consentement ne peut pas être invoqué comme moyen de défense
contre une accusation de voies de fait. Pourtant, après avoir examiné la
jurisprudence et s'être reporté aux précédents anglais et canadiens, il a conclu qu'il
était lié par l'arrêt rendu par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. v. Dix
(1972), 10 C.C.C. (2d) 324 (C.A. Ont.), à savoir que la défense de consentement
s'applique aux bagarres à coups de poing. Par conséquent, la seule question
importante à trancher était, selon lui, celle de savoir si l'accusé avait dépassé les
limites du consentement. En l'espèce le juge, concluant notamment que les cris de
[TRADUCTION] "combat loyal" venant de la foule appuyaient la preuve de l'accusé,
a jugé que l'appelant n'avait dépassé ni intentionnellement ni en fait les limites du
consentement de la victime, et il a donc jugé qu'il n'y avait pas eu de voies de fait.
Par conséquent, l'appelant n'était pas coupable d'homicide involontaire coupable.
La Cour d'appel de l'Ontario
Les cinq juges de la Cour d'appel de l'Ontario ont écarté à l'unanimité la
décision du juge du procès et l'ont remplacée par un verdict de culpabilité d'homicide
involontaire coupable. La cour n'a pas souscrit à l'interprétation donnée par le juge
du procès au sujet du rôle du consentement dans le cas de l'infraction de voies de
fait. Elle a conclu que, pour des raisons d'intérêt public principalement, il y a des
limites au genre de conduite préjudiciable à laquelle une personne peut légitimement
consentir et empêcher ainsi une déclaration de culpabilité de voies de fait. La Cour
d'appel a jugé que les limites applicables au consentement sont celles définies par la
Division criminelle de la Cour d'appel anglaise dans l'affaire Attorney General's
Reference (No. 6 of 1980), [1981] 2 All E.R. 1057.
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Selon la cour, l'affaire Attorney General's Reference appuyait la
proposition selon laquelle [TRADUCTION] "la notion de consentement est limitée et
ne peut aller au delà du cas de recours à la force ne causant pas et ne visant pas à
causer des lésions corporelles" (p. 181). L'adoption de ce point de vue signifie que
la plupart des bagarres, sauf les accrochages mineurs, sont illégales,
indépendamment du consentement. La Cour d'appel a cité l'extrait suivant de la
p. 1059 de l'affaire Attorney General's Reference:
[TRADUCTION] . . . il n'est pas dans l'intérêt public que les gens s'infligent
ou tentent de s'infliger mutuellement de véritables lésions corporelles
sans raison valable. Les accrochages sont autre chose. À notre avis, il
importe donc peu de savoir si l'acte a été commis en public ou en privé;
il y a voies de fait lorsqu'il y a l'intention ou le fait de causer de
véritables lésions corporelles, ou les deux. Cela veut dire que la plupart
des bagarres sont illégales, indépendamment du consentement.
La cour a en outre expressément conclu que l'arrêt R. v. Dix, précité,
reconnaissant que l'absence de consentement était un élément essentiel de l'infraction
qu'il incombait au ministère public de prouver, était erroné.
Étant donné que, de l'avis du juge du procès, Jobidon avait eu l'intention
d'infliger des lésions corporelles à la victime et avait, en fait, causé sa mort, la Cour
d'appel a conclu que le ministère public n'était pas tenu de prouver l'absence de
consentement. Par conséquent, puisque des voies de fait avaient illicitement été
commises et avaient entraîné la mort, l'existence des éléments de l'homicide
involontaire coupable avait été établie et l'appel interjeté par le ministère public à
l'encontre de l'acquittement a été accueilli.
- 17 -
Questions portées en appel
En l'espèce, il se pose une question principale ainsi qu'une question
connexe. Il s'agit, en premier lieu, de savoir si l'absence de consentement est un
élément essentiel qui doit être prouvé par le ministère public dans tous les cas de
voies de fait ou s'il existe en common law des limites qui restreignent ou nient l'effet
juridique du consentement dans certains cas. Il s'agit, en second lieu, de savoir si
Jobidon pourrait être reconnu coupable d'homicide involontaire coupable pour un
autre motif que les voies de fait.
Pour trancher la question principale, il faut examiner de près les
dispositions législatives et la jurisprudence pertinentes. Mais auparavant, il est utile
de souligner les principaux arguments que les parties ont invoqués devant notre
Cour.
Les arguments de l'appelant
L'appelant soutient que la Cour d'appel de l'Ontario a commis une erreur
en interprétant l'art. 265 du Code criminel. Au lieu d'appliquer la façon dont la
common law interprète le rôle du consentement -- qui limite parfois l'efficacité de
ce moyen de défense dans les cas de voies de fait -- la cour aurait dû accorder plein
effet au consentement exprimé par Haggart, comme le requiert apparemment
l'al. 265(1)a) du Code.
- 18 -
En vertu de l'al. 265(1)a), commet des voies de fait quiconque "d'une
manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une
autre personne sans son consentement". Le paragraphe 265(2) précise: "Le présent
article s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions
sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou
infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves." De l'avis de
l'appelant, la conclusion du juge du procès à l'existence du consentement voulait dire
que les éléments de l'infraction de voies de fait n'avaient pas tous été prouvés.
L'appelant aurait donc dû être acquitté pour ce motif, étant donné que le législateur
voulait que le consentement fasse obstacle à une déclaration de culpabilité.
Selon l'appelant, le législateur aurait pu préciser que, dans certains cas
ou en ce qui concerne certaines formes de conduite, l'absence de consentement ne
serait pas un élément déterminant de l'infraction. Il l'a fait à l'égard d'autres
infractions. Le législateur a prévu que nul n'a le droit de consentir à ce que la mort
lui soit infligée (art. 14). Il a restreint la portée de cette notion aux art. 150.1 et 159
du Code, en refusant le moyen de défense fondé sur le consentement de l'enfant dans
le cas d'une infraction sexuelle. Il l'a également fait à l'art. 286 en niant la validité
du consentement d'une jeune personne dans les cas d'enlèvement. Cependant, avec
les dispositions relatives aux voies de fait qui figurent à l'art. 265, il a choisi de ne
pas apporter de limites de principe au rôle du consentement. En outre, au par.
265(3), le législateur a expressément précisé les cas dans lesquels le consentement
serait vicié si la personne en cause l'avait donné contre son gré, mais les cas décrits
dans ce paragraphe ne comprennent pas la limite de principe apportée, dans le cas
- 19 -
des bagarres à coups de poing, par la Cour d'appel anglaise dans l'affaire Attorney
General's Reference, précitée et mentionnée plus loin.
En outre l'appelant fait observer qu'en Angleterre, le crime de voies de
fait est défini non pas dans un code criminel, mais dans la common law, les limites
et exceptions de la common law s'appliquant d'une manière plus naturelle en pareil
cas. Au Canada, il existe un code de principes généraux selon lequel, présume-t-on,
l'ambiguïté doit être tranchée en faveur de la liberté de l'individu.
Enfin, l'appelant soutient que la Cour d'appel n'a pas correctement
interprété la common law canadienne. À son avis, la jurisprudence canadienne
montre qu'une personne peut effectivement consentir à ce que la force soit utilisée
dans une bagarre à coups de poing même si son adversaire a l'intention de lui infliger
des lésions corporelles et lui en inflige.
Les arguments de l'intimée
Comme la Cour d'appel, le ministère public soutient que la très grande
majorité des arrêts fondés sur la common law appuient la position selon laquelle il
est impossible de consentir validement dans tous les cas à ce que des lésions
corporelles soient intentionnellement infligées, et que la loi interdit le consentement
à des batailles de rues ou à coups de poing. Il n'est pas dans l'intérêt public que les
gens se livrent à ce genre d'activités, de sorte que, pour des raisons d'intérêt public,
le mot "consentement" à l'art. 265 du Code devrait être interprété à la lumière de la
common law, qui limite son applicabilité comme moyen de défense dans les cas de
- 20 -
voies de fait. Le ministère public fait également remarquer que les bagarres à coups
de poing n'ont aucune valeur sociale et ont été prohibées dans d'autres pays de
common law.
L'intimée fait valoir en outre que le législateur n'a pas voulu écarter les
limites imposées au consentement par la common law. Si le législateur avait voulu
le faire, il aurait exprimé cette intention beaucoup plus clairement. Selon un principe
d'interprétation établi, le législateur n'a pas l'intention d'apporter des modifications
importantes au droit existant au delà de ce qui est expressément énoncé dans le
libellé de la loi ou de ce qui découle nécessairement de ce libellé. Comme la loi ne
dit rien au sujet de la suppression des limites imposées par la common law, il
faudrait présumer qu'elles s'appliquent encore.
L'intimée affirme subsidiairement que si notre Cour devait écarter le
point de vue exprimé par la Cour d'appel quant au consentement, le pourvoi devrait
néanmoins être rejeté pour le motif que Jobidon a causé la mort de Haggart en
portant l'acte illégal de troubler la paix par une bagarre.
II -- Analyse
1. L'évolution de l'infraction de voies de fait en droit criminel canadien
Pour apprécier pleinement la question du consentement en l'espèce, il est
utile de comprendre l'évolution historique de l'infraction de voies de fait et
d'examiner les dispositions législatives actuelles dans ce contexte tout en tenant bien
- 21 -
compte de la corrélation entre le Code criminel et la common law. L'analyse qui suit
comporte deux parties. La première comporte un examen des dispositions
pertinentes du Code, une description de leur origine et un exposé général de la nature
de l'influence que la common law a exercée sur celles-ci. La deuxième précise cette
influence des principes de common law dans leur application à l'espèce.
Lors de son introduction au Canada après la Confédération, l'infraction
fondamentale de voies de fait était un crime de common law. Même si en 1869, le
nouveau Dominion a adopté une loi (S.C. 1869, ch. 20) qui reprenait simplement les
dispositions de la loi anglaise intitulée Offences Against the Person Act, 1861 (R.-U.),
24 & 25 Vict., ch. 100, l'infraction fondamentale de voies de fait demeurait
néanmoins définie en common law. Comme l'écrivait sir James Fitzjames Stephen,
historien du droit criminel: [TRADUCTION] "la loi qui porte sur les infractions contre
la personne [Offences Against the Person Act, 1861] tient pour acquis que le lecteur
connaît déjà les théories de common law concernant le recours à la force contre une
autre personne, ainsi que les définitions existant en common law à l'égard de certains
crimes que la Loi punit, mais ne définit pas" (A General View of the Criminal Law
of England (2e éd. 1890), aux pp. 108 et 109). La Commission de réforme du droit
du Canada décrit ainsi le rapport:
. . . les règles actuelles en matière de voies de fait [. . .] découlent de
l'ancien droit anglais. Or celui-ci était fondé sur deux infractions prévues
par le common law: les voies de fait (assault) et les coups et blessures
(battery). Les règles actuellement en vigueur au Canada s'articulent donc
elles aussi autour de ces deux infractions, qui sont toutefois fondues en
une seule appelée "voies de fait".
(Document de travail 38: Les voies de fait (1984), à la p. 1.)
- 22 -
En tant qu'élément constitutif de nombreux crimes, les voies de fait
simples comprenaient tout acte par lequel une personne portait intentionnellement
une autre personne à appréhender un acte immédiat et illégal de violence. (C. M.
V. Clarkson et H. M. Keating, Criminal Law (2e éd. 1990), D. Watt, The New
Offences Against the Person: The Provisions of Bill C-127 (1984), et la Commission
de réforme du droit du Canada, op. cit.). En common law, la définition traditionnelle
tenait toujours pour acquis que l'absence de consentement était un élément nécessaire
de l'infraction. En règle générale, une caractéristique essentielle des voies de fait est
d'être commises contre le gré de la victime. Cela fournit donc à l'accusé, dans la
plupart des cas, un moyen de défense valide. Cela est logique si l'on reconnaît que
le consentement véritable d'un plaignant a traditionnellement constitué un moyen de
défense opposable à presque toutes les formes de responsabilité criminelle. (Russell
on Crime (12e éd. 1964), vol. 1, à la p. 678, et D. Stuart, Canadian Criminal Law: A
Treatise (2e éd. 1987), aux pp. 469 et 470.)
Le Canada n'a adopté son premier code criminel qu'en 1893. Le droit
anglais était donc le fondement premier du droit criminel canadien. Au fur et à
mesure que des décisions canadiennes s'ajoutaient à la jurisprudence anglaise, notre
common law en matière criminelle est devenue un mélange d'arrêts anglais et
canadiens. Toutefois, pendant des décennies, la définition des voies de fait en droit
criminel canadien est demeurée presque identique à celle de la common law anglaise.
Cette identité fondamentale n'a pas disparu lorsque le Canada a promulgué son Code
criminel le 1er juillet 1893, étant donné que la codification canadienne était très
restreinte et ne faisait qu' [TRADUCTION] "énoncer la common law au moyen de
dispositions législatives claires destinées à être interprétées par des juges de common
law". (G. Parker, "The Origins of the Canadian Criminal Code", dans
- 23 -
D. H. Flaherty, éd., Essays in the History of Canadian Law (1981), vol. I, à la p. 263.
Voir également Commission de réforme du droit du Canada, Problématique d'une
codification du droit pénal canadien (1976).)
Les voies de fait ont été définies pour la première fois dans le Code
criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 258:
258. Une voie de fait ou un attentat est l'action intentionnelle
d'appliquer la force ou la violence contre la personne d'autrui,
directement ou indirectement, ou de tenter ou menacer, par un acte ou un
geste, d'appliquer la force ou la violence contre la personne d'autrui, si
celui qui fait cette menace est en mesure, ou porte l'autre à croire, pour
des motifs plausibles, qu'il est en mesure de mettre ses menaces à
exécution, et, dans les deux cas, sans le consentement de l'autre, ou avec
ce consentement, si celui-ci a été obtenu par fraude. [Je souligne.]
Cette définition est demeurée inchangée à l'art. 290 de la refonte de 1927
et à l'art. 230 du Code de 1953-54. Elle est devenue l'art. 244 dans la refonte
générale de 1970, puis, à la suite d'une modification supplémentaire en 1976 (S.C.
1974-75-76, ch. 93, art. 21), elle a été ainsi libellée:
244. Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque, quiconque
a) sans le consentement d'autrui, ou avec son consentement, s'il est
obtenu par fraude, d'une manière intentionnelle, applique,
directement ou indirectement, la force ou la violence contre la
personne d'autrui;
b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d'appliquer la force ou
la violence contre la personne d'autrui, s'il est en mesure actuelle, ou
s'il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu'il
est en mesure actuelle d'accomplir son dessein; ou
c) en portant ostensiblement une arme ou son imitation, aborde ou
importune une autre personne en vue de mendier.
- 24 -
Le 4 janvier 1983, le projet de loi C-127 a été adopté. Il apportait
quelques modifications importantes à l'art. 244. Le législateur, en premier lieu,
énumérait certains éléments viciant le consentement donné par contrainte ou d'une
manière mal informée, lui enlevant alors tout effet juridique (par. 244(3)). Comme
nous l'expliquerons plus loin de façon plus détaillée, ces éléments n'étaient pas
nouveaux, car ils faisaient déjà partie de la loi avant la promulgation du Code de
1892. Ce qui serait nouveau dans le par. 244(3), c'est leur énoncé plus explicite et
général dans le Code, S.C. 1980-81-82-83, ch. 125, art. 19.
En second lieu, le législateur a ajouté le par. 244(4). Il s'agit simplement
d'une codification de la position traditionnelle de la common law, selon laquelle la
croyance sincère de l'accusé au consentement du plaignant à ce que la force soit
utilisée est un moyen de défense valable contre une accusation de voies de fait.
Enfin, le par. 244(2) précisait que les par. 244(1), 244(3) et 244(4) devaient
s'appliquer à toutes les espèces de voies de fait. La disposition concernant les voies
de fait est devenue l'art. 265 dans la refonte de 1985 du Code criminel, L.R.C.
(1985), ch. C-46, dont voici le libellé actuel:
265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une
agression, quiconque, selon le cas:
a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou
indirectement, contre une autre personne sans son consentement;
. . .
(2) Le présent article s'applique à toutes les espèces de voies de fait,
y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées,
menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les
agressions sexuelles graves.
- 25 -
(3) Pour l'application du présent article, ne constitue pas un
consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas
résister en raison:
a) soit de l'emploi de la force envers le plaignant ou une autre
personne;
b) soit des menaces d'emploi de la force ou de la crainte de cet
emploi envers le plaignant ou une autre personne;
c) soit de la fraude;
d) soit de l'exercice de l'autorité.
(4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant avait
consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge, s'il est
convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait
une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de
prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui
concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la
présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle-ci.
Ce bref aperçu nous permet de constater qu'au Canada, l'absence de
consentement au recours intentionnel à la force a toujours été un élément essentiel
de l'infraction de voies de fait. Toutefois, il est également évident que le
consentement n'aurait pas d'effet juridique dans tous les cas. Ainsi, la fraude aurait
pour effet de le vicier. Diverses limites apportées à la validité du consentement
remontent loin dans l'histoire de l'infraction. Pour les retracer, il faut se reporter à
la common law. Pourtant, avant d'examiner cette jurisprudence, il importe de noter
le lien qui existe entre l'infraction de voies de fait et celle de l'homicide involontaire
coupable, étant donné que Jobidon a été reconnu coupable de cette dernière
infraction.
2. Le lien entre les voies de fait et l'homicide involontaire coupable
- 26 -
Le lien qui existe entre les infractions de voies de fait et d'homicide
involontaire coupable se trouve à l'art. 222 (autrefois l'art. 205) du Code. Cette
disposition contient une définition de l'homicide involontaire coupable qui est liée
à la perpétration d'un acte illégal causant la mort:
222. . . .
(4) L'homicide coupable est le meurtre, l'homicide involontaire
coupable ou l'infanticide.
(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu'elle cause
la mort d'un être humain :
a) soit au moyen d'un acte illégal;
Les voies de fait sont une infraction de base sur laquelle se fondent
d'autres infractions contre la personne. Bien sûr, les voies de fait sont aussi illégales.
Il s'ensuit donc de l'art. 222 que, lorsque des voies de fait sont commises et causent
la mort d'une personne, l'assaillant est criminellement responsable d'homicide
involontaire coupable. Il s'ensuit également que si le consentement est un moyen de
défense opposable aux voies de fait, il est indirectement un moyen de défense
opposable à une accusation d'homicide involontaire coupable fondée sur des voies
de fait.
3. Le rôle et la portée du consentement dans les cas de voies de fait
En l'espèce, la controverse découle de la contradiction apparente entre
l'arrêt prononcé par la Cour d'appel de l'Ontario et le libellé de l'al. 265(1)a). Selon
ce libellé, si le juge du procès conclut que la victime a consenti à se battre avec
- 27 -
Jobidon, il appert que ce dernier n'a pas pu se livrer à des voies de fait illégales, étant
donné que le par. 265(2) stipule qu'en règle générale l'art. 265 s'applique à toutes les
espèces de voies de fait, y compris celles causant des lésions corporelles. Par
conséquent, étant donné qu'il est fait mention de l'absence de consentement au par.
265(1), la preuve du consentement à une bagarre à coups de poing, dans laquelle la
force est intentionnellement utilisée et des lésions corporelles sont causées,
semblerait pouvoir être invoquée comme moyen de défense par Jobidon. De cette
façon, les par. 265(1) et (2) semblent également appuyer la position de l'appelant
voulant que l'absence de consentement soit une condition que le ministère public doit
prouver hors de tout doute raisonnable, et ce, dans chaque cas de voies de fait.
(Cette interprétation du fardeau de la preuve, sans égard à la question de
l'applicabilité universelle de la condition, n'est pas expressément énoncée à l'art. 265,
mais elle a été interprétée de cette façon par les tribunaux et est appuyée par certains
des ouvrages de doctrine les plus récents. Voir, par exemple, A. W. Bryant, "The
Issue of Consent in the Crime of Sexual Assault" (1989), 68 R. du B. can. 94.) Étant
donné que la position de l'appelant semble à première vue fondée, on pourrait se
demander comment la Cour d'appel de l'Ontario a pu juger que le consentement de
la victime à un combat loyal n'a pas empêché la perpétration de l'infraction de voies
de fait.
Cette question serait pertinente. Les cours d'appel provinciales s'y sont
arrêtées à maintes reprises au cours des dernières années et sont parfois arrivées à
des conclusions divergentes. Les juristes ont connu les mêmes difficultés. Il faut
noter que l'état actuel du droit au Canada [TRADUCTION] "prête à confusion et est
contradictoire" (Bryant, op. cit., renvoi 24, à la p. 99). Un autre auteur déclare que
- 28 -
[TRADUCTION] "cette partie du droit est si nébuleuse qu'il est difficile d'être très
précis" (Mewett et Manning, Criminal Law (2e éd. 1985), à la p. 566). En 1984, la
Commission de réforme du droit du Canada a formulé le problème de manière plus
détaillée:
Dans certains cas, par exemple lorsque l'infraction consiste en un
simple toucher, le consentement de la victime constitue sans aucun doute
un moyen de défense tandis que lorsque le contact est provoqué avec
l'intention de causer la mort ou des blessures graves, ce n'est en général
pas le cas. Le consentement peut en outre légitimer l'emploi de la force
même quand il ne s'agit pas de simples touchers: citons par exemple les
interventions chirurgicales et la pratique des sports. Mais, au Canada, la
même règle peut-elle s'appliquer dans d'autres circonstances, par
exemple à l'égard des pratiques sadomasochistes? La réponse à cette
question demeure incertaine. [Je souligne.]
(Document de travail 38: Les voies de fait, à la p. 26.)
Le reste de l'analyse a pour objet d'éclaircir le rôle du consentement dans les cas de
rixes ou de bagarres à coups de poing.
a) L'influence générale de la common law sur la définition des voies de
fait figurant dans le Code
Le Code criminel s'inspire des principes généraux de la responsabilité
criminelle, même s'il contient une myriade de dispositions relativement détaillées.
L'article 265 ne fait pas exception. Il est formulé en termes généraux et il énonce
une règle générale, à savoir qu'il ne peut pas y avoir voies de fait si l'autre personne
consent à ce que la force soit utilisée.
- 29 -
Toutefois, s'il est vrai qu'en règle générale, toutes les espèces de voies de
fait sont visées par les diverses dispositions de l'art. 265, ce dernier ne tente pas de
définir les circonstances, ou les genres de conduite ou encore les conséquences
éventuelles qui seront légalement reconnus comme étant des objets légitimes de
consentement pour les fins de l'infraction. Cet article ne tente pas de définir les
circonstances où le consentement aura ou n'aura pas un effet juridique. À l'heure
actuelle, le Code ne dit rien à ce sujet.
La définition légale initiale des voies de fait ne parlait pas du
consentement, sauf pour reprendre la règle ancienne selon laquelle un consentement
obtenu frauduleusement n'a pas d'effet juridique. La règle traditionnelle de common
law, et son insertion dans la première définition légale des voies de fait, est expliquée
par Watt, op. cit., à la p. 219, et examinée plus à fond ci-dessous. Les lois
subséquentes ne contenaient pas non plus de définition complète du consentement.
Les modifications de 1983 ne définissaient le consentement qu'en partie, en
indiquant à la forme négative quelques façons dont le consentement pouvait être
vicié. Si le législateur avait entrepris d'indiquer globalement ce à quoi une personne
pouvait ou non consentir, il aurait vraisemblablement donné plus de précisions. (Il
vaut la peine de noter que, dans l'édition révisée et augmentée de son rapport sur la
nouvelle codification, la Commission de réforme du droit du Canada a proposé que
le consentement soit défini dans une disposition particulière du nouveau code
(Rapport 31: Pour une nouvelle codification du droit pénal (1987), à la p. 12).)
Le législateur aurait pu préciser si le mot "consentement" vise
simplement le genre d'activité à laquelle le consentement est censé être donné (en
- 30 -
l'espèce, une bagarre à coups de poing) ou s'il se rapporte au consentement à des
blessures légères n'équivalant pas à des lésions corporelles (comme celles qui
pourraient résulter d'activités sportives), ou si, pour que le moyen de défense puisse
être invoqué, le consentement doit porter sur l'étendue précise du préjudice
réellement causé par le recours à la force. À toutes les étapes de l'évolution de la
disposition, le législateur aurait pu saisir l'occasion de préciser si la common law, qui
avait déjà eu beaucoup à dire au sujet des voies de fait et du consentement requis,
n'était plus pertinente. Cependant, il ne l'a pas fait. Et il n'avait pas à le faire.
De même que la common law s'est exprimée dans une abondante
jurisprudence sur les notions de consentement en droit des contrats et le principe
volenti non fit injuria en matière de négligence, elle a également engendré un
ensemble de règles juridiques visant à faire la lumière sur le sens du consentement
et à imposer certaines limites à son effet juridique en droit criminel. Elle l'a fait à
l'égard des voies de fait. De la même manière qu'elle a établi des principes d'intérêt
public annulant l'effet juridique de certains types de contrats, comme ceux portant
sur la restriction du commerce, par exemple, la common law a également fixé des
limites au genre d'actions préjudiciables auxquelles il est légitimement possible de
consentir et protéger ainsi l'assaillant contre les sanctions de notre droit criminel.
Rien n'indique à l'art. 265 que son adoption devait miner la jurisprudence
de la common law en matière criminelle. Rien n'indique non plus que les limites de
principe traditionnelles en matière de consentement, dont nous reparlerons plus à
fond, devaient être écartées par l'art. 258 du premier Code criminel de 1892, ou par
l'adoption des dispositions de l'art. 244 qui l'ont remplacé (maintenant l'art. 265).
- 31 -
Cela ne devrait pas nous étonner. L'aperçu historique de l'infraction qui est fait plus
haut montre bien que, loin de viser à limiter la portée de ces règles de droit, le Code
en est une expression partielle.
Au Canada, toutes les infractions criminelles sont maintenant définies
dans le Code (art. 9). Toutefois, cela ne veut pas dire que la common law ne
transparaît plus dans ces définitions ni qu'elle ne donne plus substance aux divers
principes de responsabilité criminelle dont ces définitions s'inspirent. Comme la
Commission de réforme du droit du Canada le fait remarquer dans son 31e rapport
sur la nouvelle codification, les prémisses fondamentales de notre droit criminel --
les conditions nécessaires à la responsabilité criminelle -- découlent actuellement de
la common law. (Pour une nouvelle codification du droit pénal, aux pp. 17, 31 et 37.
Voir aussi E. Colvin, Principles of Criminal Law (1986), aux pp. 16 et 17.) Le Code
lui-même, à l'art. 8, reconnaît expressément l'influence continue de la common law:
8. . . .
(2) Le droit criminel d'Angleterre qui était en vigueur dans une
province immédiatement avant le 1er avril 1955 demeure en vigueur dans
la province, sauf en tant qu'il est changé, modifié ou atteint par la
présente loi ou toute autre loi fédérale.
(3) Chaque règle et chaque principe de la common law qui font d'une
circonstance une justification ou excuse d'un acte, ou un moyen de
défense contre une inculpation, demeurent en vigueur et s'appliquent à
l'égard des poursuites pour une infraction visée par la présente loi ou
toute autre loi fédérale, sauf dans la mesure où ils sont modifiés par la
présente loi ou une autre loi fédérale ou sont incompatibles avec l'une
d'elles.
L'article 8 prévoit expressément que les règles et principes de la common
law continuent à s'appliquer, mais uniquement dans la mesure où ils ne sont pas
- 32 -
incompatibles avec le Code ou une autre loi fédérale et n'ont pas été modifiés par
ceux-ci. Cette disposition du Code a rarement fait l'objet d'un examen judiciaire,
mais il en a été fait mention surtout dans des cas exceptionnels où des moyens de
défense pouvaient être invoqués ou certains aspects d'une infraction rejetés. (Voir
Colvin, op. cit., aux pp. 16 et 17). L'interprétation du par. 8(3) qui fait autorité figure
dans l'arrêt de notre Cour Kirzner c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 487. Le juge en chef
Laskin a expressément rejeté la conception statique de la common law aux fins du
par. 8(3) (autrefois par. 7(3)). Bien que ce soit dans le contexte d'une allégation de
pratique répréhensible de la part du ministère public et de la revendication d'une
défense de provocation policière, le juge en chef Laskin a donné une interprétation
susceptible d'être développée et d'évoluer, à la p. 496:
Il est préférable de ne pas trancher la question [à savoir si la provocation
policière peut être invoquée comme moyen de défense]. En fait, si cette
opinion est fondée sur une vue statique du par. 7(3) du Code criminel,
elle est, à mon avis, inacceptable. Je ne crois pas que le par. 7(3)
interdise aux tribunaux d'étendre le contenu de la common law en
admettant de nouveaux moyens de défense . . .
Le point de vue exprimé par le juge en chef Laskin dans l'arrêt Kirzner
a par la suite été renforcé dans l'arrêt Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418. Le
juge Estey, qui a rédigé des motifs dissidents au nom du juge en chef Laskin ainsi
que des juges McIntyre et Lamer, a appliqué ce qu'il a appelé la "règle ordinaire
d'interprétation lorsque les lois et la common law se rencontrent" pour conclure que
"le par. 7(3) permet aux cours de juridiction criminelle d'adopter, si le tribunal
l'estime opportun, les moyens de défense dont la provocation policière" (p. 445). La
majorité dans cet arrêt n'a pas exprimé de désaccord avec cette opinion. En tirant
cette conclusion, le juge Estey a fait les observations suivantes, à la p. 443:
- 33 -
On estime d'ordinaire que la common law s'applique toujours. Selon
certaines théories, c'est un processus de découverte, selon d'autres, un
processus d'évolution. Quelle que soit la classification que lui attribue
la jurisprudence, il faudrait qu'une loi qui prétend incorporer les
principes de la common law emploie les termes les plus clairs et les plus
précis pour qu'on puisse dire qu'elle cristallise la common law à la date
de son adoption. Dans ce cas, l'importation des principes de la common
law se limiterait à ceux qui sont déjà cristallisés et qui ont été élaborés
avant la date d'entrée en vigueur de la loi. Le paragraphe 7(3) n'emploie
pas de tels termes. Il est au plus ambigu, et on peut considérer qu'il est
statique ou qu'il se rapporte à la common law comme à un ensemble de
règles et de principes qui évoluent et se développent. Quand on peut dire
d'une loi qu'elle remplace la common law, la règle d'interprétation qui
s'impose est celle qui permet le maintien de la règle de la common law,
lorsque cela est possible sans déroger à la loi.
Le juge Estey s'est également longuement rapporté à l'art. 19 du Rapport
des Commissaires impériaux sur le projet de Code de 1879, qui est le précurseur de
notre par. 8(3) actuel. Dans l'arrêt Amato, précité, aux pp. 443 et 444, il est
mentionné que les commissaires avaient expliqué comme suit l'inclusion de la
disposition en question:
[TRADUCTION] Mais bien que nous excluions de la catégorie des
actes criminels tout acte ou toute omission coupables qui ne sont pas
prévus par la présente loi ou par une autre loi du Parlement, il y a une
autre partie du droit non écrit qui introduit des considérations différentes;
il s'agit des principes qui énoncent quelles circonstances permettent de
justifier ou d'excuser ce qui serait par ailleurs un acte criminel ou du
moins de modifier la nature de l'acte criminel. Dans les cas courants les
décisions des tribunaux et les opinions des grands juristes nous
permettent de dire comment doivent être appliqués les principes
juridiques.
Compte tenu de cette interprétation expresse des origines et de l'objet du
par. 8(3), on peut difficilement dire que la façon dont la common law a abordé le rôle
et la portée du consentement comme moyen de défense contre une accusation de
voies de fait n'a pas sa place dans notre droit criminel. Si le par. 8(3) et son
- 34 -
interaction avec la common law peuvent être utilisés pour concevoir des moyens de
défense entièrement nouveaux qui ne soient pas incompatibles avec le Code, cela
permet certainement aux tribunaux d'examiner les règles et principes de common law
préexistants pour donner un sens aux grandes lignes et aux limites d'une défense ou
d'une justification existantes, et les expliquer, et pour montrer dans quels cas elles
ne seront pas reconnues comme ayant un effet juridique -- à la condition, bien sûr,
que le Code ne contienne aucune disposition claire indiquant qu'il a remplacé la
common law. Or, le Code ne contient aucune disposition de ce genre. En tant que
telle, la common law sert ici légitimement d'archives où il est possible de trouver les
cas ou les formes de conduite qui, en droit, ne peuvent pas faire l'objet d'un
consentement.
Bien sûr, cette analyse générale ne répond pas à tous les arguments
contraires de l'appelant. Pour ce faire, il faut centrer plus directement l'analyse sur
la conjonction précise du Code et de la common law dans le cas d'une bagarre à
coups de poing.
b) Le rapport précis entre le Code et les règles de common law en
matière de voies de fait dans le cas des bagarres à coups de poing
(i) Le rapport entre le consentement et le par. 265(3)
Selon l'appelant, les modifications apportées à l'art. 265 en 1983 montrent
que le législateur voulait remplacer toute théorie de common law susceptible
d'annuler l'effet juridique du consentement à un acte qui constituerait par ailleurs des
voies de fait. En particulier, il invoque le par. 265(3), qui énonce quatre facteurs
- 35 -
susceptibles de vicier le consentement: l'emploi de la force, les menaces de
contrainte, la fraude et l'exercice de l'autorité. Il soutient qu'étant donné que le
législateur a expressément mentionné ces facteurs, tout autre facteur, même s'il avait
pu s'appliquer avant 1983, ne pouvait plus être tiré de la common law. Puisque le
juge du procès a conclu que Haggart avait consenti à la bagarre et n'a pas jugé que
le consentement avait été invalidé pour l'un quelconque des quatre motifs énoncés,
celui-ci devrait avoir effet et constituer un moyen de défense opposable à une
accusation de voies de fait, comme le texte clair des par. 265(1) et (2) semble
l'exiger.
À première vue, l'argument de l'appelant peut sembler convaincant, mais
en fin de compte il ne l'est pas. Le législateur ne s'est pas engagé dans un domaine
vierge lorsqu'il a énuméré, au par. 265(3), les quatre facteurs qui vicient le
consentement. Au contraire, nous verrons qu'en majeure partie cette liste a
simplement concrétisé, et rendu plus explicites, les limites fondamentales de l'effet
juridique du consentement que reconnaissaient depuis des siècles, le droit criminel
en Angleterre et au Canada. Les dispositions du Code à ce sujet n'exprimaient pas
l'intention de supprimer l'ensemble des règles de common law qui décrivaient déjà
ces limites et leur portée respective. Le Code se contentait de les énoncer plus
clairement, d'une manière générale.
Cette common law est riche et de vaste portée, son origine remontant aux
décennies qui ont précédé l'adoption par le Canada du Code de 1892. Ainsi, elle
prévoyait qu'en général, le consentement ne serait valide et n'aurait un effet juridique
- 36 -
que s'il était donné de plein gré par une personne rationnelle et sobre. (Voir Russell
on Crime, op. cit., à la p. 678.)
Ainsi, dans l'arrêt R. v. March (1844), 1 Car. & K. 496, 174 E.R. 909, la
cour criminelle anglaise, par la voix du lord juge en chef Tindal, a jugé qu'un
consentement à des voies de fait simples obtenu frauduleusement ne constituait
aucunement un consentement (p. 911). Dans notre Code, on trouve l'équivalent à
l'al. 265(3)c). Dans l'arrêt R. v. Lock (1872), L.R. 2 C.C.R. 10, la cour criminelle
anglaise a jugé que des garçons de huit ans étaient trop jeunes pour comprendre la
nature d'un acte sexuel avec un homme mûr de façon à pouvoir y consentir. La
soumission d'un jeune enfant à une personne plus âgée et plus forte, représentant
l'autorité, ne serait pas considérée comme un consentement car il aurait
probablement été donné par contrainte et d'une manière mal informée. Au Canada,
ce principe figure maintenant à l'al. 265(3)d).
En ce qui concerne le consentement dans le cas d'une bagarre à coups de
poing, la common law anglaise a manifesté une tendance similaire à en limiter le rôle
comme moyen de défense disculpatoire. Cependant, il est essentiel de noter que son
fondement n'était pas le même que dans les cas de fraude, de menaces ou de
"consentement" forcé. Les anciens arrêts exprimaient rarement la reconnaissance
expresse de ce fondement différent, mais on peut en trouver certains indices. On
envisageait que l'infraction de voies de fait -- et en particulier l'élément de
consentement -- soit soumise à des considérations d'intérêt public. Ces
considérations, croyait-on, étaient suffisamment importantes pour justifier d'écarter
- 37 -
la validité juridique du consentement à titre de moyen de défense contre une
accusation de voies de fait.
Ainsi, dans l'arrêt connu sous le nom de Wright's Case (1603), Co. Litt.
f. 127 a-b, la cour criminelle anglaise a jugé qu'un homme serait non seulement puni
par la loi pour avoir amené une autre personne à lui couper la main -- pour qu'il lui
soit plus facile de mendier -- mais que la personne qui s'était chargée de le faire était
également passible de sanction pénale, et ce, malgré le consentement de l'autre.
Dans l'arrêt Matthew v. Ollerton (1693), Comb. 218, 90 E.R. 438, il a été jugé qu'un
homme ne peut pas autoriser un autre à le battre puisque cela équivaut à troubler la
paix. Ce principe a été réitéré dans l'arrêt Boulter v. Clarke (1747), Bull. N.P. 16, où
il a été jugé que le fait que deux personnes se sont battues de plein gré ne constitue
pas un moyen de défense contre une accusation de voies de fait. Le juge Coleridge
a confirmé la théorie établie, dans l'arrêt R. v. Lewis (1844), 1 Car. & K. 419, 174
E.R. 874, où, à la suite d'une bagarre entre deux hommes à l'extérieur d'un dancing,
l'un de ceux-ci, qui avait reçu des coups à la tête, était mort. À la page 875, le juge
a écrit: [TRADUCTION] "on devrait savoir que dès que deux individus sortent pour se
battre et qu'ils se battent, chacun d'eux est coupable de voies de fait."
Nous verrons qu'en Angleterre, on a continué jusqu'à nos jours à invalider
le moyen de défense fondé sur le consentement dans le cas de bagarres à coups de
poing. Au Canada, le même principe a été appliqué pendant de nombreuses
décennies avant que le bien-fondé de cette invalidation ne soit remise en question.
En fait, c'est pour des raisons d'intérêt public que la Cour d'appel a invalidé le
consentement donné par Haggart.
- 38 -
Cette analyse générale du Code et de la common law nous permet de
constater que, dans l'histoire de notre droit criminel, la codification n'a pas remplacé
les principes de responsabilité criminelle existant en common law, mais en est le
reflet. Cet historique montre également que les limites de principe du genre ici en
litige sont d'origine aussi ancienne en common law que les facteurs qui vicient le
consentement involontaire. Étant donné que ces limites de principes précédaient
également la codification du droit criminel canadien, rien ne nous permet de croire
que les refontes du Code et les modifications qu'il a subies au fil des ans les ont
supprimées.
Cela étant, même s'il était possible de conclure, contrairement à ma
propre interprétation de la loi, que le par. 265(3) écarte l'application des règles de
common law qui décrivent les cas dans lesquels le consentement à des voies de fait
est vicié parce qu'il n'a pas été donné volontairement, ou parce qu'est entachée la
volonté qui sous-tend le consentement apparent, il ne s'ensuivrait pas que ces
modifications ont eu pour effet de supprimer les limites fondées sur l'intérêt public.
Si le législateur avait voulu le faire, il aurait exprimé cette intention. Or, le Code,
qui a été modifié en 1983, est tout à fait muet à ce sujet.
Ce point de vue est conforme à l'interprétation donnée par la Commission
de réforme du droit du Canada. Dans son document de travail sur les voies de fait,
la Commission fait remarquer qu'indépendamment du libellé du par. 265(3), le
consentement ne sera pas toujours considéré comme ayant un effet juridique. En
effet, même si l'on conclut à l'existence d'un consentement réel ou implicite, dans
certains cas (ressemblant à la situation en l'espèce) "le consentement de la victime
- 39 -
ou l'absence de consentement n'a aucune pertinence." (À la page 6, la Commission
donne, comme exemple, le cas où la force est employée dans l'intention de causer la
mort ou des lésions corporelles graves, et celui où le coup est porté au cours d'un
combat illégal.) Cette absence de pertinence résulte de considérations de principe
qui, dans certains cas, invalident l'effet juridique du consentement.
En outre, étant donné que le par. 8(3) du Code confirme expressément
que la common law demeure en vigueur et prévoit que les moyens de défense
disculpatoires qui ne sont pas expressément éliminés par le Code continuent à
s'appliquer de façon à exclure la responsabilité criminelle, dans le présent pourvoi,
où le Code n'a pas supprimé la limite établie en common law à l'égard des bagarres
à coups de poing, elle doit continuer à définir la portée du consentement ayant effet
juridique. Certains peuvent rétorquer que le par. 8(3) ne peut pas être utilisé pour
appuyer cette interprétation parce que le consentement n'est pas réellement un moyen
de défense, mais fait plutôt partie de l'infraction; en fait, c'est l'absence de
consentement qui est pertinente à titre d'élément de l'infraction de voies de fait. Par
exemple, Mewett et Manning, op. cit., à la p. 567, écrivent que [TRADUCTION] "Le
consentement réel est donc un élément essentiel des voies de fait qui se rapporte à
l'actus reus en ce sens que si le consentement existe, aucune infraction ne peut avoir
été commise". Pourtant, bien que cette objection puisse être dans une certaine
mesure pertinente d'un point de vue strictement formaliste, elle est de peu
d'importance sur le fond. En outre, elle va à l'encontre de l'interprétation que notre
Cour a déjà donnée au par. 8(3).
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Que le consentement soit formellement considéré comme faisant partie
de l'actus reus de l'infraction, ou comme moyen de défense, sa fonction essentielle
demeure inchangée -- si le consentement est prouvé, ou si l'absence de consentement
n'est pas prouvée, une personne accusée de voies de fait pourra en général s'appuyer
sur le consentement du plaignant pour empêcher sa condamnation. Elle pourra
invoquer le consentement pour nier sa responsabilité. Cette réalité fondamentale est
largement reconnue. Les tribunaux anglais et canadiens parlent dans une large
mesure du consentement comme participant d'un moyen de défense. Les auteurs qui
font autorité en droit criminel le conçoivent de cette façon. Voir Watt, op. cit., à la
p. 216, Clarkson et Keating, op. cit., aux pp. 283 à 292, G. Williams, Textbook of
Criminal Law (2e éd. 1983), à la p. 549 et aux pp. 576 à 578, et la Commission de
réforme du droit du Canada, Document de travail 38: Les voies de fait, à la p. 26.
Nous avons également remarqué, dans la section d'interprétation générale
précédente, que la loi donne au par. 8(3) une conception non limitative et évolutive
du rôle de la common law. Le paragraphe 8(3) laisse fortement supposer qu'il y a
lieu de préserver la façon dont la common law aborde le consentement en matière de
voies de fait.
Les voies de fait sont définies d'une manière très générale à l'art. 265. En
effet, elles sont commises dès qu'une personne, d'une manière intentionnelle, emploie
la force "directement ou indirectement" contre une autre personne sans son
consentement. La définition ne dit rien au sujet du degré de préjudice qui doit être
subi. Elle ne parle pas non plus des motifs du contact. À première vue, cette
formulation voudrait dire que le contact intentionnel le plus banal constituerait des
voies de fait. Pour ne mentionner qu'un des nombreux exemples possibles, citons le
- 41 -
cas du père qui se livrerait à des voies de fait sur la personne de sa fille s'il tentait de
placer une écharpe autour de son cou pour la protéger du froid, mais que celle-ci ne
consentait pas à ce contact, parce qu'elle trouve que l'écharpe est laide et ne veut pas
la porter. (Même un argument fondé sur le consentement implicite ne semblerait pas
s'appliquer dans un cas comme celui-là.) Le législateur n'a certainement pas voulu
cette conséquence absurde. Son intention devait plutôt être que les tribunaux
expliquent le contenu de l'infraction et, avec le temps, y apportent progressivement
des précisions.
En outre, alors que les facteurs énoncés au par. 265(3) sont facilement
identifiables et susceptibles de s'appliquer généralement à toutes sortes de situations,
cela n'est pas vrai en soi dans le cas des limites fondées sur des considérations de
principe qui, de par leur nature, dépendent des faits. Il aurait été peu pratique, voire
impossible, pour le législateur de dresser une liste adéquate d'exceptions destinée à
s'appliquer à toutes les situations, anciennes et nouvelles. Les limites de principe
sont presque toujours le produit de la recherche d'un équilibre entre l'autonomie
individuelle (la liberté de décider que la force sera intentionnellement utilisée contre
soi-même) et quelque intérêt social plus général. Il est peut-être plus facile de
réaliser cet équilibre à la lumière de cas concrets plutôt que dans l'abstrait, comme
le législateur aurait à le faire.
Quant à l'infraction de voies de fait, les tribunaux sont bien placés pour
assumer cette fonction d'appréciation. Comme par le passé, ils continueront à faire
face à des cas concrets dans lesquels il y a interaction d'actes et de mobiles
complexes. Je n'accepte pas l'argument selon lequel en omettant de dresser une liste
- 42 -
des objets ou des formes de conduite auxquels il serait impossible de consentir
validement, le législateur avait l'intention d'éliminer leur pertinence à l'infraction de
voies de fait et de retenir uniquement les quatre facteurs énoncés au par. 265(3). Une
dérogation aussi importante à une politique bien établie exige plus qu'un simple
silence, étant donné en particulier que cette liste aurait été beaucoup trop difficile et
peu pratique à dresser et qu'il aurait été inutile de le faire, puisque la common law
s'en chargeait déjà. La common law est le registre de la fonction d'appréciation que
les tribunaux exercent -- un registre que les tribunaux sont autorisés par le législateur
à administrer en ce qui concerne les limites de principe auxquelles sont assujettis le
rôle et la portée du consentement prévu à l'art. 265 du Code.
(ii) Le rapport entre le consentement et le par. 265(2)
L'appelant soutient que l'interprétation qui favorise l'imposition de limites
au consentement, qui est proposée en l'espèce, aurait pour effet de rendre superflu
et vide de sens l'al. 265(1)a) ("sans son consentement"), dans la mesure où le par.
265(2) prévoit que cet alinéa s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y
compris les voies de fait causant des lésions corporelles. Toutefois, cette objection
n'est pas soutenable.
En précisant, au par. 265(2), que l'art. 265 doit s'appliquer à toutes les
espèces de voies de fait, le législateur a sans aucun doute cherché à s'assurer que,
indépendamment du genre de voies de fait commises, s'appliqueraient sans exception
les éléments fondamentaux de l'infraction de voies de fait énoncés aux al. 265(1)a)
à c), les circonstances énumérées au par. 265(3), où le consentement est vicié s'il a
- 43 -
été donné par contrainte ou d'une manière mal informée, et l'état d'esprit requis pour
qu'un moyen de défense puisse être invoqué, selon le par. 265(4). Cela est clair.
Pourtant, il ne s'ensuit pas que le législateur voulait éliminer les règles de common
law concernant les objets ou formes de conduite auxquels il est impossible de donner
un consentement ayant effet juridique. À cet égard, l'art. 265 a délibérément été
formulé en termes non limitatifs, et ce, pour les motifs susmentionnés.
(iii) Le consentement et l'art. 14 du Code
L'article 14 écarte, d'une manière large et non limitative, le consentement
de quiconque à ce que la mort lui soit infligée:
14. Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et
un tel consentement n'atteint pas la responsabilité pénale d'une personne
par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement.
L'appelant soutient en dernier lieu qu'en adoptant l'art. 14 du Code, le
législateur a manifesté son intention de nier le consentement uniquement dans les cas
où on a l'intention d'infliger la mort. Dans les autres cas, et en ce qui concerne les
formes de conduite comme la bagarre à coups de poing entre Jobidon et Haggart, où
cette conséquence n'était pas voulue, le consentement donné devrait avoir plein effet
juridique. En d'autres termes, l'appelant propose une version du principe
d'interprétation expressio unius est exclusio alterius. Toutefois, cet argument doit
être rejeté lui aussi.
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L'article 14 exclut d'une manière absolue le consentement à la mort, et
ce, dans tous les cas. On ne peut en déduire ni logiquement ni en raison de la
structure du Code que hormis la mort il est possible de consentir à subir des lésions
corporelles quelconques, indépendamment des circonstances. Cette disposition parle
uniquement du consentement à se voir infliger la mort. Elle ne parle pas du
consentement à d'autres conséquences, pas plus qu'elle ne traite d'infractions
sexuelles ou de quelque autre espèce de voies de fait. Cette disposition s'applique
isolément.
c) Limites établies en common law dans le cas de rixes et de bagarres
à coups de poing
Les tribunaux anglais et canadiens reconnaissent depuis longtemps des
limites au consentement dans le cas des voies de fait. Nous avons déjà parlé de leurs
origines premières dans les arrêts anglais, à l'égard de bagarres à coups de poing et
d'autres cas; en l'espèce, nous ne nous intéressons qu'à la première situation. De nos
jours également, les tribunaux anglais se prononcent, dans l'ensemble, de manière
très uniforme dans les affaires de voies de fait découlant de rixes et de bagarres à
coups de poing. Étant donné que les arrêts anglais ont donné l'orientation générale
à la common law canadienne en matière de voies de fait et qu'ils continuent
apparemment à le faire, ils sont particulièrement pertinents en l'espèce. La
jurisprudence canadienne favorise également l'imposition de limites au
consentement. Depuis quelques années toutefois, les arrêts rendus par les cours
d'appel provinciales ne sont pas uniformes. Il est donc opportun de clarifier la
situation.
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(i) La jurisprudence anglaise
Nous avons vu que, dès 1603, la common law était prête à limiter le rôle
et l'effet du consentement dans le cas des voies de fait et qu'elle a continué à le faire
jusqu'au XIXe siècle. Cependant, cette volonté n'a pas soudainement disparu à la fin
du siècle dernier.
Le point de départ de la jurisprudence contemporaine est un jugement
prononcé par la Cour du Banc de la Reine anglaise dans l'affaire R. v. Coney (1882),
8 Q.B.D. 534. Onze juges avaient déclaré qu'un combat concerté était illégal et que
toutes les personnes qui avaient aidé au combat ou l'avaient encouragé étaient
coupables de voies de fait. Pour des raisons d'intérêt public, exprimées différemment
par les divers membres de la cour, on a décidé que le consentement des adversaires
était sans effet. La cour a essentiellement déclaré que les bagarres à coups de poing
entre adversaires consentants tendent à encourager les gens à troubler la paix et
l'ordre public et ne devraient pas être tolérées par le droit criminel. À la page 549,
le juge Stephen a exprimé cet avis comme suit:
[TRADUCTION] Lorsqu'une personne est accusée d'avoir blessé une autre
personne, le consentement de cette dernière ne peut pas être invoqué
comme moyen de défense si la blessure est telle, ou est infligée dans des
circonstances telles, que cela cause un préjudice tant au public qu'à la
personne blessée.
Dans l'arrêt R. v. Donovan, [1934] All E.R. 207, la Court of Criminal
Appeal a eu l'occasion d'élaborer davantage à partir de l'arrêt Coney. L'accusé avait
battu une jeune fille de 17 ans avec une canne, mais avait nié être coupable d'attentat
- 46 -
à la pudeur et de voies de fait simples parce que celle-ci avait consenti à se faire
battre. À certains moments dans son jugement, la cour semble trancher la question
en se fondant sur les faits, soit que la victime n'avait pas réellement donné son
consentement, mais elle a néanmoins décidé de prononcer sa décision en ces termes
(le juge Swift, à la p. 210):
[TRADUCTION] De façon générale, bien que la règle comporte des
exceptions bien établies, il est illégal de battre une autre personne avec
un tel degré de violence que cette dernière risque probablement de subir
des lésions corporelles; lorsque pareil acte est prouvé, le consentement
est sans importance.
Enfin, en 1980, on a demandé à la Cour d'appel anglaise d'énoncer le
droit dans Attorney General's Reference, précité. Ce renvoi avait eu lieu à la suite
d'une bataille de rue entre deux jeunes hommes qui, d'une façon relativement calme,
avaient décidé de régler un différend à l'aide de leurs poings. L'un d'eux a eu un
saignement de nez et des ecchymoses. L'autre a été accusé de voies de fait, mais il
a été acquitté. La question suivante a été posée à la Cour d'appel, à la p. 1058:
[TRADUCTION] Lorsque deux personnes se battent (autrement que
dans le cadre de la pratique d'un sport), dans un endroit public, est-il
possible pour celle qui, par suite de la bataille, est accusée de voies de
fait d'invoquer comme moyen de défense le fait que l'autre a consenti à
se battre?
La cour a jugé qu'étant donné qu'il n'est pas dans l'intérêt public que les
gens s'infligent mutuellement des lésions corporelles sans raison valable, le
consentement ne constitue pas une réponse à une accusation de voies de fait lorsqu'il
y a [TRADUCTION] "l'intention ou le fait de causer de véritables lésions corporelles,
- 47 -
ou les deux" (p. 1059). Cela voulait dire que la plupart des bagarres seraient
illégales, sans égard au consentement. Seules les bagarres mineures, ou des activités
sportives violentes, mais menées selon les règles -- qui peuvent avoir une certaine
valeur sociale positive -- étaient des activités de combat où le consentement serait
un moyen de défense efficace contre une accusation de voies de fait. Bien sûr, pour
les punitions légitimes et les interventions chirurgicales raisonnables, l'intérêt public
n'exigeait pas non plus l'invalidation du consentement. En pareils cas, la règle
générale s'applique: pour obtenir une déclaration de culpabilité de voies de fait, le
ministère public doit prouver l'absence de consentement. La Cour d'appel anglaise
a ajouté que le fait que l'endroit où a lieu la bagarre est public n'est pas déterminant
quant à l'effet du consentement. Les batailles privées ne méritent pas plus d'être
protégées que les batailles publiques.
Si elle était déterminante en l'espèce, la jurisprudence anglaise appuierait
sans aucun doute l'arrêt de la Cour d'appel. Dans la présente affaire, les voies de fait
se sont produites dans des circonstances qui ressemblent fort à un trouble de la paix.
De plus, il est certain qu'en assenant les coups, Jobidon a intentionnellement eu
recours à la force en vue de causer des lésions corporelles à la victime. Le
consentement apparent de Rodney Haggart ne fournirait aucun moyen de défense à
Jobidon en Angleterre.
(ii) La jurisprudence canadienne
Nous avons vu que la définition légale des voies de fait a toujours
comporté une exigence générale que le ministère public prouve l'absence de
- 48 -
consentement, et qu'il y est fait mention de certains cas où le consentement ne serait
pas considéré comme volontaire. Notre Cour n'a jamais été saisie de cette question
précise jusqu'à maintenant, mais des cours d'appel provinciales ont examiné de
nombreuses affaires d'échanges de coups ou de bagarres auxquels les adversaires
avaient apparemment consenti et qui ont donné lieu à des accusations de voies de fait
(et parfois d'homicide involontaire). Toutefois la grande majorité de ces affaires sont
récentes. Avant les années 70, un seul arrêt publié traite directement de la question:
R. v. Buchanan (1898), 1 C.C.C. 442 (C.A. Man.), rendu quelques années après
l'inclusion de l'infraction dans le Code de 1892.
En appel, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a retenu le principe
énoncé dans l'arrêt Coney, selon lequel le consentement à des voies de fait est sans
effet dans le contexte de bagarres à coups de poing où on a l'intention de causer des
lésions corporelles. Citant aux pp. 446 et 447 l'extrait suivant de l'arrêt Coney,
précité (le juge Cave), la cour a jugé qu'un coup assené pendant une bagarre à coups
de poing constitue des voies de fait sans égard au consentement:
[TRADUCTION] Le véritable principe est [. . .] qu'un coup qui est assené
sous l'effet de la colère, ou encore qui risque de causer des blessures
corporelles ou est destiné à le faire, constitue des voies de fait, mais
qu'un coup porté dans le cadre d'une activité sportive, et qui ne risque pas
de causer des lésions corporelles ni n'est destiné à en causer, ne constitue
pas des voies de fait, et qu'étant donné que se livrer à des voies de fait,
c'est troubler la paix et commettre un acte illégal, le consentement de la
personne frappée est sans importance.
Le principe énoncé dans l'arrêt Coney a de nouveau été confirmé, en
passant, par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Bradley v. Coleman, (1925), 28
O.W.N. 261, à la p. 262, une affaire de bagarre à coups de poing, et dans une opinion
- 49 -
incidente de l'arrêt R. v. Cullen (1948), 93 C.C.C. 1, à la p. 9, confirmé par [1949]
R.C.S. 658, qui portait sur une agression unilatérale dans un cas de viol. Cependant,
la question n'a plus été traitée directement comme elle l'avait été dans l'arrêt
Buchanan, jusqu'aux années 70 et c'est alors que le point de vue antérieur a été
sérieusement mis en doute. Les cours d'appel provinciales ont commencé à faire des
déclarations qui paraissaient contredire directement l'arrêt Buchanan et le point de
vue exprimé en Angleterre dans les affaires Coney et Donovan. En effet, les
premiers appels ne tenaient aucun compte de la jurisprudence anglaise, ou encore la
jugeaient inapplicable aux dispositions législatives canadiennes en matière de voies
de fait. Quant à l'arrêt Buchanan, les tribunaux n'en parlaient même pas.
En 1972, la Division d'appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick
a rendu l'arrêt R. v. MacTavish (1972), 8 C.C.C. (2d) 206, une affaire de bagarre de
cour d'école entre deux garçons dont l'un, en fin de compte, avait cassé le nez de
l'autre à coups de pied. La cour a simplement présumé que le consentement
constituait un moyen de défense opposable à une accusation de voies de fait portée
en vertu de ce qui était alors l'art. 244 du Code, le ministère public étant tenu de
prouver l'absence de consentement hors de tout doute raisonnable. Toutefois, à
proprement parler, cette opinion était une opinion incidente car, selon les faits, le
garçon blessé avait consenti à un "combat loyal", mais il n'avait pas consenti à
[TRADUCTION] "se faire frapper la tête à coups de pied". Il n'avait pas consenti à ce
qu'une telle force soit utilisée contre lui, ni à ce qu'on se livre à ce genre d'activité.
La cour a confirmé le verdict de culpabilité pour ce motif, et non pour le motif que
le moyen de défense fondé sur le consentement doit dans tous les cas avoir un effet
juridique.
- 50 -
La Cour d'appel de l'Ontario a souscrit au point de vue exprimé au
Nouveau-Brunswick dans l'affaire R. v. Dix, précitée, concernant une situation en
partie semblable à celle qui existe en l'espèce. Une échauffourée avait éclaté dans
un bar. Deux hommes étaient sortis des lieux pour se battre et le plaignant avait été
grièvement blessé. Le juge du procès a déclaré l'accusé coupable de voies de fait
causant des lésions corporelles.
La Cour d'appel a exprimé son avis en des termes non équivoques, à la
p. 325:
[TRADUCTION] Sans aucun doute, le ministère public a prouvé que
l'accusé avait intentionnellement eu recours à la force contre la victime,
et lui avait ainsi causé des lésions corporelles, mais l'utilisation
intentionnelle de la force n'équivaut à des voies de fait que si cette force
a été utilisée sans le consentement de la victime. Le juge a conclu qu'il
y avait eu consentement en ce sens que les deux personnes en cause
avaient convenu de se battre. Il incombait alors au ministère public, nous
semble-t-il, de convaincre le juge que l'appelant était allé plus loin que
ce à quoi son adversaire avait consenti.
La Cour d'appel a infirmé le verdict de culpabilité pour le motif énoncé
par le juge en chef Gale, aux pp. 325 et 326: [TRADUCTION] "le ministère public n'a
pas prouvé l'élément nécessaire de l'absence de consentement à ce qui a été fait. Les
deux parties ont consenti à se battre et elles se sont battues normalement, si je puis
employer cette expression."
L'arrêt R. v. Abraham (1974), 26 C.R.N.S. 390 (C.A. Qué.), a suivi dans
cette lignée croissante de jugements interprétant l'art. 244 (alors en vigueur) comme
exigeant la preuve par le ministère public de l'absence de consentement, cette fois-ci
- 51 -
à une accusation de voies de fait simples subies par une femme qui, en pleine rue,
s'était fait tirer les cheveux et rouer de coups de poing et des coups de pied à la tête
par son mari. La Cour d'appel du Québec a jugé que c'est à tort qu'on avait empêché
l'accusé d'invoquer le consentement comme moyen de défense contre l'accusation
pendant son procès, nonobstant le fait que les voies de fait pouvaient avoir constitué
une violation de la paix publique (le juge Gagnon, à la p. 392):
L'article 244 du Code criminel fait de l'absence de consentement de
la victime un élément essentiel des offenses de voies de fait et cet
élément doit être établi par la poursuite hors de tout doute raisonnable.
Il me semble qu'à cause de cette particularité statutaire, la jurisprudence
anglaise sur ce point ne peut être reçue qu'avec circonspection [. . .]
Enfin, je ne croirais pas que le fait qu'un assaut puisse constituer une
violation de la paix publique empêche l'accusé de plaider consentement.
Après avoir exprimé cet avis, la cour a confirmé le verdict de culpabilité pour le
motif que, même si l'accusé aurait dû être autorisé à soulever la question, les faits ne
permettaient pas de conclure que le consentement avait été donné. Comme dans
l'arrêt MacTavish, précité, les déclarations de la cour au sujet de l'applicabilité du
moyen de défense fondé sur le consentement constituaient, à proprement parler, des
opinions incidentes.
Une quatrième province s'est jointe à ce consensus grandissant, dans
l'arrêt R. v. Setrum (1976), 32 C.C.C. (2d) 109. La Cour d'appel de la Saskatchewan
était saisie d'une situation où une bagarre avait eu lieu entre deux hommes en dehors
de la résidence où ils venaient de boire. Comme en l'espèce, la bagarre s'est terminée
par la mort de l'un des deux adversaires. Le juge du procès s'était appuyé sur les
arrêts Coney et Donovan pour juger qu'une bagarre entre des parties consentantes
- 52 -
constituait en soi des voies de fait illégales, sans égard au consentement. La Cour
d'appel de la Saskatchewan a directement rejeté cette interprétation après avoir
soigneusement examiné le texte de l'art. 244 du Code et après avoir examiné et
approuvé une observation de l'auteur de Tremeear's Annotated Criminal Code (6e éd.
1964) qui, après avoir commenté la jurisprudence anglaise, concluait:
[TRADUCTION] Toutefois, compte tenu de la formulation du Code,
il est fort douteux qu'il puisse y avoir des cas où des voies de fait sont
commises lorsque la victime a consenti à la chose, à moins que ce
consentement n'ait été obtenu frauduleusement.
Enfin, se fondant sur les arrêts Dix et Abraham, la cour a dit ceci, à la
p. 114:
[TRADUCTION] La définition des voies de fait montre très clairement
que la preuve de l'absence de consentement est un élément essentiel à
établir pour qu'un verdict de culpabilité soit prononcé [. . .] La directive
selon laquelle une bagarre entre adversaires consentants est en soi un
acte illégal est erronée en droit.
Compte tenu de cette interprétation, la Cour d'appel de la Saskatchewan a accueilli
l'appel interjeté par Setrum à la suite de sa déclaration de culpabilité d'homicide
involontaire coupable et a ordonné un nouveau procès. L'arrêt Setrum a été suivi par
le juge Creaghan, de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, dans
l'arrêt R. v. Crouse (1982), 39 N.B.R. (2d) 1.
Si le courant de jurisprudence précédent établissait d'une manière toute
déterminante les règles de common law qui lient notre Cour, il n'y aurait guère
d'incertitude quant à la décision à rendre. Étant donné que le juge du procès a conclu
- 53 -
à l'existence d'un consentement, Jobidon n'aurait pas commis l'infraction de voies de
fait. Cependant, la solution est loin d'être aussi claire et nette que ces arrêts semblent
l'indiquer. Depuis l'arrêt Setrum, certaines décisions se sont plus ou moins éloignées
de cette approche nette et absolue qui écarte ni plus ni moins la conception
traditionnelle du consentement dans le cas de bagarres à coups de poing. L'intimée
s'appuie sur certaines de ces décisions plus récentes pour soutenir que le courant de
jurisprudence MacTavish, Dix, Abraham et Setrum ne devrait pas être suivi.
Quoique certaines des décisions les plus récentes soient compatibles avec
cette série d'arrêts, d'autres prennent dûment acte du principe établi de common law
pour soutenir que les bagarres à coups de poing sont des cas spéciaux qui exigent
l'imposition de certaines limites à l'effet du consentement prévu à l'art. 265. Bien
sûr, les opinions diffèrent au sujet des lignes de démarcation qu'il convient de tirer
dans différents cas.
Quoique traitant d'une affaire d'homicide où la provocation était invoquée
en défense, la Cour d'appel de l'Ontario a eu l'occasion, dans l'arrêt R. v. Squire
(1975), 26 C.C.C. (2d) 219 (infirmé pour d'autres motifs, [1977] 2 R.C.S. 13), de
s'appuyer sur les arrêts Coney et Donovan (sans faire mention de l'arrêt R. v. Dix,
précité) pour conclure que le simple fait que deux personnes consentent à s'assener
mutuellement des coups ne suffit pas pour que ces coups soient légaux (le juge
Martin, à la p. 230):
[TRADUCTION] Lorsque deux personnes en colère consentent à se
battre, les coups assenés par l'une constituent des voies de fait sur l'autre,
à moins qu'ils ne soient justifiables à titre de légitime défense
conformément aux dispositions du Code . . .
- 54 -
La Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a adopté la même
interprétation dans l'arrêt R. v. Kusyj (1983), 51 A.R. 243; il s'agissait là aussi d'une
opinion incidente. Dans une affaire portant sur l'infraction prévue par l'art. 244, soit
le fait de causer des lésions corporelles dans l'intention d'infliger des blessures
(autrefois l'art. 228), le juge a conclu qu'un homme qui avait intentionnellement eu
recours à la force contre une autre personne pendant qu'il essayait de mettre fin à une
bagarre était coupable de l'infraction incluse de voies de fait causant des lésions
corporelles. Le juge Marshall a profité de l'occasion pour souligner, à la p. 247, qu'il
était de principe qu'en droit, une personne ne peut pas valablement consentir à un
contact qui est [TRADUCTION] "destiné à causer de véritables blessures". Il a fait
remarquer que la loi décourage depuis longtemps ce genre d'"efforts personnels" et
devrait plutôt décourager la violence et les violations de la paix publique. (Contra
R. v. Jerome, [1990] 1 W.W.R. 277 (C.S.T.N.-O.).)
La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a appuyé ce point de vue dans
l'arrêt R. v. Gur (1986), 27 C.C.C. (3d) 511. Dans cette affaire, l'accusé et la victime,
armés de couteaux, se battaient dans la maison de cette dernière. Le plaignant a subi
de graves coupures aux mains. L'inculpé était notamment accusé d'avoir
illégalement utilisé une arme en se livrant à des voies de fait, contrairement à
l'art. 245.1 (alors en vigueur) du Code. L'inculpé a invoqué le consentement de la
victime à titre de moyen de défense principal. Après avoir dit que le Code n'avait
pas nié l'applicabilité de la common law dans le contexte des voies de fait et s'être
appuyée sur la trilogie d'arrêts anglais, la cour a fait une distinction d'avec les arrêts
MacTavish, Dix, Abraham et Setrum, fondée sur le fait qu'il y était question
d'accusations de voies de fait découlant de bagarres à coups de poing, et non de
- 55 -
l'utilisation d'armes dangereuses. En concluant que le juge du procès avait commis
une erreur en affirmant, dans ses directives au jury, que le consentement pouvait être
opposé comme moyen de défense à l'accusation et en s'appuyant fortement sur
l'affaire Attorney General's Reference, précitée, la Cour d'appel de la
Nouvelle-Écosse a exposé son interprétation de la loi en des termes directs et non
limitatifs (le juge Jones, à la p. 518):
[TRADUCTION] Vu que commet une infraction quiconque a
l'intention de causer des lésions corporelles ou en cause en se livrant à
des voies de fait, le consentement ne peut pas être invoqué pour justifier
l'utilisation d'une arme dans la perpétration de voies de fait [. . .] Je ne
puis accepter qu'une personne puisse consentir à ce que des lésions
corporelles qui entraînent sa mort lui soient infligées. [Je souligne.]
Cette méthode a été appliquée de façon plus générale par la Division
d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt R. v. McIntosh (1991),
64 C.C.C. (3d) 294. La seule question en litige dans cet appel était de savoir si la
personne qui participe à une bagarre à coups de poing peut donner un consentement
ayant effet juridique à ce que des lésions corporelles lui soient intentionnellement
infligées. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, le juge Macdonald, au
nom de la cour unanime, a conclu que parce qu'il n'était pas dans l'intérêt public que
les gens tentent de s'infliger mutuellement de véritables lésions corporelles sans
raison valable, la plupart des bagarres seraient illégales, sans égard au consentement.
Dans trois affaires très rapprochées dans le temps, la Cour d'appel de
l'Alberta a dû s'attaquer à la question, d'abord dans l'affaire R. v. Carriere (1987),
56 C.R. (3d) 257, puis dans l'affaire R. v. Bergner (1987), 36 C.C.C. (3d) 25, et plus
récemment dans l'affaire R. v. Loonskin (1990), 103 A.R. 193.
- 56 -
Dans l'affaire R. v. Carriere, deux femmes s'étaient battues à coups de
poing dans le hall d'un hôtel. Après une brève interruption, elles sont sorties à
l'extérieur et ont recommencé à se battre dans le stationnement, avec des couteaux
cette fois. La victime a reçu un coup de couteau à l'abdomen. L'inculpée a été
accusée et reconnue coupable de voies de fait graves, en violation de l'art. 245.2
(alors en vigueur) du Code. La Cour d'appel a confirmé cette déclaration de
culpabilité. En prononçant le jugement de la cour, le juge en chef Laycraft a affirmé
sans équivoque que les arrêts anglais montraient qu'il existait une règle précise selon
laquelle le consentement de la victime ne peut pas être invoqué en défense
[TRADUCTION] "[l]orsque les voies de fait ont eu pour effet de mutiler la victime".
Il a fait remarquer que le professeur Williams, op. cit., à la p. 585, avait laissé
entendre qu'à l'époque contemporaine, le fondement de la règle peut être que la
victime est susceptible de tomber à la charge de l'État, contrairement à l'intérêt
public.
Pour ce qui est des lésions corporelles moins graves, le juge en chef
Laycraft a reconnu qu'il existe dans la jurisprudence canadienne une grande diversité
d'opinions. Ainsi, tout en reconnaissant que [TRADUCTION] "les poings ne sont pas
des armes négligeables" et que les bagarres à coups de poing entraînent souvent des
blessures graves ou la mort, il a restreint sa décision à la question plus stricte dont
la cour avait été saisie et a conclu, à la p. 269:
[TRADUCTION] Toutefois, je ne doute aucunement de la réponse à
laquelle le droit doit arriver dans le cas d'une bataille à coups de couteau
où l'accusation est portée en vertu de l'une des dispositions concernant
les voies de fait. Une personne ne peut pas consentir à se faire
poignarder. La politique générale du droit intervient pour annuler le
consentement apparent de chacun des adversaires.
- 57 -
Avant de conclure, le juge en chef Laycraft a fait remarquer, en passant, que
certaines affaires examinées en vertu des dispositions du Code criminel en matière
de voies de fait seraient mieux traitées au moyen d'accusations de négligence
criminelle.
Dans l'affaire R. v. Bergner, entendue plus tard la même année, la cour
a eu l'occasion de trancher la question des bagarres à coups de poing qu'elle s'était
abstenue de commenter dans l'affaire Carriere. L'inculpé Bergner avait été accusé
de voies de fait causant des lésions corporelles à la suite d'une bagarre qui avait
commencé dans le bar d'un hôtel et qui s'était poursuivie à l'extérieur, dans la rue.
Bergner a frappé le plaignant ivre à maintes reprises à l'estomac et au visage avec
son poing, puis il lui a donné des coups de pied au visage et dans les côtes avec ses
bottes. Le plaignant a subi une fracture du nez et de l'os jugal et l'endommagement
d'un nerf optique l'a rendu borgne.
Le juge du procès a décidé qu'il s'agissait d'une bagarre à coups de poing
entre adversaires consentants et a déclaré Bergner non coupable de voies de fait
causant des lésions corporelles. Le juge en chef Laycraft a, de nouveau, fait
remarquer qu'au Canada les jugements rendus dans les affaires de bagarres à coups
de poing entre adversaires consentants varient énormément tant sur le plan du
résultat que sur celui du raisonnement. Vu cette incertitude, le Juge en chef s'est
estimé tenu de trancher l'affaire en se fondant sur des considérations de principe. En
fin de compte, il a conclu que le consentement à une bagarre à coups de poing ne
devrait pas être invalidé sur la base des critères fondés sur [TRADUCTION] "le coup
assené sous l'effet de la colère" (Buchanan, Squire) et [TRADUCTION] "l'intention ou
- 58 -
le fait de causer de véritables lésions corporelles, ou les deux" (Attorney General's
Reference), et ce, même lorsque des lésions corporelles sont intentionnellement
infligées. À son avis, la portée d'une telle invalidation serait trop générale -- car elle
toucherait un trop grand nombre de consentements, dans de nombreuses activités (à
la p. 31):
[TRADUCTION] Si la colère, ou l'intention d'infliger un mal corporel ou
de blesser vraiment ou de causer de véritables lésions corporelles doit
faire entrer en jeu l'intérêt public et invalider ainsi le consentement, il est
difficile d'imaginer une affaire dans laquelle l'intérêt public ne jouerait
pas. Les écoliers qui se disputent, avec ou sans gants de boxe, ont
l'intention de s'infliger des blessures ou de se causer des lésions
corporelles et s'efforcent rudement de le faire; ils sont certainement en
colère. Même les boxeurs professionnels qui se battent pour de l'argent
ne sont peut-être pas capables de résister aux manifestations d'une
certaine colère. Ceux qui se battent pendant une partie de hockey ou de
football satisfont également à tous ces critères. Le combat amical est un
phénomène rare.
. . . à mon avis, les critères énoncés ne mettent pas l'accent sur l'un des
éléments qui devraient encore plus rapidement entraîner l'application de
la politique générale de la loi de manière à annuler le consentement [le
fait que, dans la plupart des bagarres à coups de poing, les adversaires
sont souvent de grosses brutes entraînées et le fait que l'adversaire a
véritablement donné son consentement est pour le moins douteux].
Après avoir rejeté ces critères dans le cas des bagarres à coups de poing,
le juge en chef Laycraft affirme que, dès que le consentement à une bagarre à coups
de poing est vraiment prouvé, il empêche une déclaration de culpabilité de voies de
fait. Contrairement aux batailles armées, il serait trop difficile, et cela friserait
l'usurpation judiciaire du pouvoir politique, de formuler un code de critères qui
permettraient d'invalider le consentement donné par des adversaires non armés et qui
seraient fondés sur la colère ou l'intention de causer des lésions corporelles. Bien
qu'en désaccord avec la conclusion de fait tirée par le juge du procès au sujet du
- 59 -
consentement, la Cour d'appel a ainsi rejeté à regret l'appel interjeté par le ministère
public. Après l'affaire Bergner, on a demandé à trois reprises aux cours d'appel
provinciales d'interpréter le rôle du consentement dans le cas d'une infraction fondée
sur des voies de fait.
Dans l'arrêt R. v. Loonskin, précité, la Cour d'appel de l'Alberta a suivi le
point de vue qu'elle avait énoncé dans l'affaire Bergner. Elle a jugé que, même si
l'art. 265 obligeait le ministère public à prouver l'absence de consentement pour
justifier une déclaration de culpabilité de voies de fait graves, compte tenu des faits
de l'affaire dont elle était saisie, où l'un des adversaires dans une bagarre à coups de
poing avait arraché une partie de l'oreille de l'autre en la mordant, le consentement
n'avait pas en fait été donné. En général, l'étendue et la force de la conduite
préjudiciable de l'accusé allait au delà de tout consentement donné à une bagarre.
La cour a profité de l'occasion pour souligner qu'il existe en droit une
défense fondée sur le consentement, mais que les bagarres où il y a véritable
consentement sont très rares: [TRADUCTION] "[l]orsque une personne attaque et que
l'autre se défend, et même dans de nombreux cas où une personne relève un défi en
se défendant, il n'est pas réaliste de parler de bagarre entre adversaires consentants"
(p. 194). En écartant le verdict de non-culpabilité, la Cour d'appel a fait une
distinction à l'égard de l'affaire Bergner en affirmant que, dans cette dernière affaire,
il était plus facile de tirer la conclusion de fait que les adversaires avaient consenti
à se battre, parce qu'ils s'étaient délibérément déplacés d'un endroit à l'autre dans
l'intention expresse de régler leur différend par la bagarre; ce n'était pas le cas dans
- 60 -
l'affaire Loonskin où la bagarre avait éclaté plutôt spontanément et sans que les
parties conviennent que des morsures seraient infligées.
N'ayant pas été saisie de la question du consentement depuis qu'elle avait
rendu sa décision dans l'affaire Setrum, précitée, la Cour d'appel de la Saskatchewan
y est revenue dans l'arrêt R. v. Cey (1989), 48 C.C.C. (3d) 480, apparemment dans
un état d'esprit fort différent. Il s'agissait d'une accusation de voies de fait causant
des lésions corporelles graves qui avait été portée en vertu de l'art. 245.1 du Code et
qui découlait de blessures infligées au cours d'une partie de hockey, quand l'accusé
avait frappé le plaignant au cou et au visage avec son bâton. Le plaignant a été
blessé à la tête et on a constaté qu'il avait subi une commotion et une entorse
cervicale, pour lesquelles il a été hospitalisé pendant trois jours. Le juge du procès
a conclu que l'accusé n'avait pas eu l'intention de blesser le plaignant, pas plus qu'il
n'avait eu l'intention d'utiliser contre la victime une force plus grande que celle qui
est habituellement utilisée dans les parties de hockey. Le juge a conclu que, puisque
le plaignant avait continué à jouer après avoir été blessé, celui-ci avait implicitement
consenti aux contacts physiques qui avaient eu lieu; il s'est fondé sur cette conclusion
pour acquitter l'accusé. Le ministère public a interjeté appel pour le motif,
notamment, que le juge du procès s'était mal instruit du droit sur la question du
consentement.
Sans mentionner l'affaire Setrum, la cour à la majorité, dans l'affaire Cey,
est arrivée à sa conclusion en s'appuyant sur l'affaire Attorney General's Reference,
précitée, et sur l'arrêt rendu en l'espèce par la Cour d'appel de l'Ontario; ces deux
affaires ont été tranchées postérieurement à son jugement dans l'affaire Setrum. Dans
- 61 -
cette mesure, le raisonnement suivi dans l'arrêt Cey est ici tout autant en jeu que celui
qui a été adopté par la Cour d'appel de l'Ontario en l'espèce. La Cour d'appel de la
Saskatchewan a jugé que, même si le consentement au recours à la force peut être
implicite et peut donc constituer un consentement valide et efficace, son effet est
néanmoins restreint, non seulement en fait, mais également en droit (aux pp. 492 et
493):
[TRADUCTION] S'il conclut à l'existence d'un consentement exprès ou
implicite, le juge du procès est, à mon avis, tenu de se demander si la
nature de l'acte était telle que la victime pouvait y consentir en droit. Je
souscris à l'analyse de l'expression "voies de fait" et des limites du
consentement que peut donner la victime, que la Cour d'appel d'Ontario
a faite dans l'affaire R. v. Jobidon . . .
L'affaire Jobidon portait sur une bagarre entre adversaires
consentants survenue à l'extérieur d'un bar, et le renvoi anglais portait sur
une activité non liée à la pratique d'un sport, mais je ne vois pas pourquoi
en principe le consentement, exprès ou implicite, à des voies de fait dans
le contexte d'une activité sportive ne devrait pas être considéré de la
même manière. C'est-à-dire, dans les activités sportives également, le
simple fait qu'un genre de voies de fait se produit assez souvent ne veut
pas nécessairement dire qu'il n'est pas d'une nature assez grave pour
empêcher une personne d'y consentir. Toutefois, dans un sport comme
le hockey, je crois que le critère peut être plus restreint que dans l'affaire
Attorney-General's Reference -- c'est-à-dire qu'à mon avis, il ne convient
pas de retenir comme alternative distincte les lésions corporelles causées
mais non voulues lorsque les actions à l'égard desquelles un
consentement implicite a été donné peuvent exceptionnellement causer
un préjudice. [Je souligne.]
Étant donné que le juge du procès n'avait pas examiné la nature de l'acte à l'égard
duquel un consentement implicite avait été donné, le verdict de non-culpabilité a été
annulé.
d) Résumé de la common law
- 62 -
(i) La position anglaise
L'affaire Attorney General's Reference montre clairement qu'on
n'empêchera pas une déclaration de culpabilité de voies de fait s'il y a [TRADUCTION]
"l'intention ou le fait de causer des lésions corporelles, ou les deux". Étant donné
que ce critère est présenté comme une alternative, le consentement pourrait être
invalidé même dans le cas où l'assaillant n'avait pas l'intention de causer des lésions
corporelles, mais l'a fait par inadvertance. Toutefois, au Canada, cette formulation
très générale ne saurait s'appliquer tel quel, étant donné que la définition des voies
de fait figurant à l'art. 265 est expressément limitée à l'utilisation intentionnelle de
la force. Tout critère, dans notre droit, qui incorpore la conception anglaise doit
nécessairement se limiter aux lésions corporelles voulues et causées.
(ii) La position canadienne
L'examen qui précède révèle la division qui existe au sein de la
jurisprudence canadienne. Des décisions rendues par les cours d'appel du Manitoba,
de l'Ontario, de la Nouvelle-Écosse et (dernièrement) de la Saskatchewan
invalideraient le consentement à des lésions corporelles intentionnellement infligées
dans le cadre d'une bagarre à coups de poing. Ce point de vue est respectivement
exprimé dans les arrêts Buchanan (1898), Cullen (1948), Squire (1975), Jobidon
(1988), Gur (1986), McIntosh (1991) et Cey (1989). (Bien sûr, l'idée de l'invalidation
fondée sur des raisons de principe est généralement appuyée en Cour d'appel de
l'Alberta, comme en font foi les propos du juge en chef Laycraft dans l'arrêt R. v.
Carriere, précité.)
- 63 -
En sens contraire, il y a les arrêts des cours d'appel du
Nouveau-Brunswick (MacTavish (1972)), du Québec (Abraham (1974)), de la
Saskatchewan (Setrum (1976)) et de l'Alberta (Bergner (1987)) et Loonskin (1990)).
Quoiqu'il n'existe certainement pas de position claire, nette et précise
dans la common law canadienne contemporaine, il reste que, si on prend en
considération la jurisprudence tant anglaise que canadienne, si l'on songe que,
pendant des siècles, la common law a persisté à limiter l'effet juridique du
consentement dans le cas d'une bagarre à coups de poing et si l'on comprend que
l'art. 265 a toujours fait état de cette persistance, la balance penche plutôt fortement
contre la validité du consentement à se faire infliger des lésions corporelles au cours
d'une bataille.
L'influence de la common law anglaise est particulièrement importante
à cet égard étant donné qu'elle est uniforme depuis de nombreuses décennies, voire
depuis des siècles. Elle a été intégrée à la common law canadienne et en fait encore
partie aujourd'hui. Un grand nombre des décisions judiciaires apparemment
cruciales rendues pendant les années 70 en faveur du consentement étaient des
opinions incidentes ou ont été prononcées sans qu'il soit suffisamment tenu compte
du rôle important de la common law traditionnelle. De plus, elles ont été rendues
antérieurement à l'affaire Attorney General's Reference (1981), dans laquelle figure
un énoncé de grande autorité quant à la position de la common law. L'importance
de cet arrêt est peut-être plus manifeste en l'espèce, car c'est sur lui que s'est fondée
la Cour d'appel de l'Ontario lorsqu'elle a renversé sa décision rendue dans l'affaire
R. v. Dix, précitée. Dans son arrêt récent R. v. Cey, la Cour d'appel de la
- 64 -
Saskatchewan a de nouveau fait observer que l'affaire Attorney General's Reference
a une importance cruciale. Compte tenu de ces nombreuses considérations, je suis
d'avis que la position canadienne n'est pas aussi obscure ou aussi divisée qu'on
pourrait le croire au premier abord.
Malgré cette conclusion, étant donné l'incertitude qui persiste dans la
jurisprudence canadienne récente, il est utile d'examiner les considérations de
principe qui exercent une profonde influence en l'espèce, car elles appuient d'une
manière plutôt décisive la position de l'intimée et font pencher la balance encore plus
nettement du côté de l'arrêt de la Cour d'appel.
e) Considérations de principe
Parmi les considérations de principe qui appuient la position du ministère
public, il y a avant tout l'inutilité des bagarres à coups de poing, sur le plan social.
Comme la Cour d'appel anglaise l'a fait remarquer dans l'affaire Attorney General's
Reference, il n'est pas dans l'intérêt public que des adultes se blessent mutuellement,
et ce, volontairement et sans raison valable. Les bagarres à coups de poing et les
batailles de rues sont fort peu utiles. Elles sont motivées par des passions
immodérées. Les participants sont souvent grièvement blessés. Ici, la bagarre a
abouti à la mort tragique d'un jeune homme le jour de son mariage.
À une certaine époque, le pugilat était protégé par la notion de
"chevalerie". Les duels étaient non seulement tolérés, mais également requis par
l'honneur. Heureusement, ces jours sont depuis longtemps passés. Nos normes
- 65 -
sociales n'associent plus force de caractère et prouesses dans les bagarres au poing.
En fait, lorsque nous nous enorgueillissons du progrès réalisé sur les plans moral et
social, nous tendons à le fonder sur l'évolution de la raison. C'est particulièrement
vrai dans le domaine juridique, où la raison se voit attribuer une place privilégiée.
Supprimer les limites établies depuis longtemps à l'égard du consentement à des
voies de fait serait régresser et donc retarder la progression des normes civilisées de
conduite.
Indépendamment du fait que les bagarres à coups de poing n'ont aucune
valeur pour les adversaires, il faut également reconnaître que les bagarres entre
adversaires consentants peuvent parfois entraîner des rixes générales ou d'autres
troubles graves à la paix publique. En l'espèce, cette tendance est tout à fait
évidente. À la perspective d'une bagarre entre Jobidon et la victime, de nombreux
clients de l'hôtel se sont délibérément rendus au stationnement, d'une façon vraiment
macabre, pour être témoins de l'horrible événement. La chose aurait facilement pu
dégénérer en une bagarre généralisée entre les alliés des adversaires respectifs. De
fait, les frères de Jobidon et de Haggart se sont également battus à coups de poing.
Compte tenu de la nature spontanée de nombreuses bagarres à coups de
poing, souvent attribuables à l'alcool, je ne voudrais pas trop insister sur l'argument
de la dissuasion. Néanmoins, il semble raisonnable de croire que, dans certains cas,
les limites imposées au consentement en common law pourraient dans une certaine
mesure décourager ce genre d'activités.
- 66 -
Est également liée à l'argument de la dissuasion la possibilité qu'en
autorisant une personne à consentir à ce qu'une autre personne utilise la force contre
elle, cette dernière, dans de rares cas, éprouve un certain plaisir à se livrer à cette
activité, surtout si elle le fait régulièrement. Il n'est peut-être pas inconcevable que
ce genre de perversion puisse se manifester dans le cadre d'un ménage où l'état
mental d'au moins l'un des membres de la famille est fragile ou instable. Comme un
criminologue l'a dit:
[TRADUCTION] . . . l'individu autodestructeur qui incite une autre
personne à le tuer ou à le mutiler implique cette dernière dans la
violation d'un tabou social important. La personne qui se charge de le
tuer ou de le mutiler franchit un seuil qui, la seconde fois, pourrait être
plus facile à franchir. Et la seconde fois, il ne serait peut-être pas
particulièrement important que la victime consente ou non. De même,
si quelqu'un est encouragé à battre une victime consentante dans le cadre
d'une relation sadomasochiste, l'expérience pourrait amoindrir les
inhibitions de l'auteur de l'acte par rapport au sadisme en général.
(G. Fletcher, Rethinking Criminal Law (1978), aux pp. 770 et 771.)
Bien sûr, il n'est pas ici question de sadisme ni d'homicide intentionnel.
Cependant, l'affaire se rapproche des cas de mutilation. Quoi qu'il en soit, cet
argument pourrait s'appliquer aux bagarres. Si des individus agressifs consentants
sont légalement autorisés à se battre à coups de poing, et qu'ils profitent parfois de
cette permission, ils pourraient en arriver à ne plus comprendre que cette activité est
l'objet d'un tabou social puissant. Ils peuvent avoir trop facilement recours à leurs
poings, en oubliant de s'assurer pleinement que l'adversaire a consenti à la chose.
Il est préférable que les omissions de ce genre soient fortement découragées.
- 67 -
Tout à fait indépendamment de la dissuasion, il ne convient certes pas,
au point de vue moral, que la loi tolère, et encore moins sanctionne indirectement,
le genre d'interaction ici en cause. Le caractère sacré du corps humain milite contre
la validité du consentement à se voir infliger des lésions corporelles dans une
bagarre.
Certains diraient que ces considérations ne devraient pas entrer en ligne
de compte en ce qui concerne l'infraction de voies de fait. Ils pourraient faire valoir
que, dans le cas des batailles de rues, la dissuasion et la désapprobation expresse de
la loi se manifestent déjà ailleurs dans le Code criminel. Ainsi, le législateur a jugé
bon, à l'art. 83, d'interdire les "combats concertés", sous peine de sanction pénale.
Toutefois, bien qu'il soit vrai que l'art. 83 interdise les combats concertés,
il est peu probable que cette disposition s'applique au cas à l'origine du présent
pourvoi, ou à la gamme étendue des cas qui surviennent de façon similaire. Le
combat concerté est ainsi défini:
83. . . .
(2) . . . un match ou combat, avec les poings ou les mains, entre
deux personnes qui se sont rencontrées à cette fin par arrangement
préalable conclu par elles, ou pour elles; cependant, n'est pas réputé
combat concerté un match de boxe entre des sportifs amateurs . . . [Je
souligne.]
Étant donné qu'une des conditions de l'infraction est que le combat doit
avoir fait l'objet d'un arrangement préalable, on peut se demander si les faits de la
présente espèce justifieraient une déclaration de culpabilité pour ce motif. Le juge
- 68 -
du procès a conclu que les parties avaient convenu de continuer à se battre à
l'extérieur de l'hôtel, mais il s'agissait néanmoins d'un événement spontané et
improvisé. (Quoi qu'il en soit, cette question n'a pas été soulevée dans le présent
pourvoi.)
Le principe selon lequel les gens ne devraient pas être en mesure de
consentir à ce que des lésions leur soient intentionnellement infligées ne fait pas
uniquement partie de la common law. Le Code criminel en contient également de
nombreux exemples. Comme nous l'avons fait remarquer précédemment, l'art. 14
du Code infirme l'effet juridique du consentement d'une personne à se voir infliger
la mort, et ce, quelles que soient les circonstances. Le même principe paraît
sous-tendre les art. 150.1, 159 et 286 en ce qui concerne les jeunes gens, dans le
contexte des infractions sexuelles, de la sodomie et du rapt respectivement. Tout
cela pour dire que la notion de limites de principe quant à l'efficacité d'un
consentement à se faire infliger quelque lésion n'est pas une notion étrangère. Le
législateur et les tribunaux ont été conscients du besoin de pareilles limites.
L'autonomie n'est pas la seule valeur que notre droit cherche à protéger.
Certains peuvent percevoir comme trop paternaliste, comme une violation
de l'autonomie personnelle, la restriction de la liberté d'un adulte à consentir à ce que
la force soit utilisée au cours d'une bagarre à coups de poing. Pourtant, ceux qui
préconisent ce point de vue ne sauraient raisonnablement affirmer que la loi ne
connaît pas pareilles limitations. Tout le droit criminel est, dans une certaine
mesure, "paternaliste"; toute règle prohibitive comporte en soi l'exercice d'une
autorité supérieure. Le fait que la common law en soit venue à hésiter fortement à
- 69 -
reconnaître la validité du consentement à l'utilisation intentionnelle de la force dans
les rixes et dans les bagarres à coups de poing traduit simplement le souci du droit
criminel que les citoyens canadiens se traitent entre eux humainement et avec
respect.
Enfin, il ne faut pas penser qu'en donnant le feu vert à la common law,
et le feu rouge au consentement à se battre, notre Cour nie ainsi le rôle du
consentement dans toutes les situations ou activités où les gens s'exposent de leur
plein gré à ce que la force soit intentionnellement utilisée. On ne saurait tirer une
conclusion si générale. La décision a une portée beaucoup plus restreinte.
f) Conclusion
Comment et dans quelle mesure le consentement est-il limité?
La volonté en droit d'écarter le consentement pour des raisons de principe
est fort limitée. La jurisprudence de common law en restreint les circonstances; il
en est de même des considérations de principe pertinentes. La situation unique ici
à l'étude, soit une bagarre non armée à coups de poing entre deux adultes, fournit une
autre limite importante.
La limite que requiert l'application de l'art. 265 aux faits de l'espèce, est
l'annulation du consentement entre adultes à l'utilisation intentionnelle de la force
pour s'infliger mutuellement des blessures graves ou de sérieuses lésions corporelles
au cours d'une rixe ou d'une bagarre à coups de poing. (Ce critère signifie que le
- 70 -
consentement apparent d'un mineur à ce qu'un adulte ait intentionnellement recours
à la force dans une bagarre serait également invalidé.) Telle est l'étendue de la limite
prescrite par la common law en l'espèce. Il se peut qu'il soit jugé, dans d'autres cas,
que des limites supplémentaires s'appliquent. Cependant, il est préférable de fixer
ces limites, s'il en est, dans chaque cas de sorte que les caractéristiques particulières
de l'affaire puissent exercer une influence rationnelle sur l'étendue de la limite et sur
sa justification.
Énoncé de cette façon, le principe de common law n'influera pas sur la
validité ou sur l'effet du consentement donné librement par une personne à participer
à des activités sportives violentes, dans la mesure où l'utilisation intentionnelle de
la force à laquelle elle consent respecte les normes et les règles habituelles du jeu.
Contrairement aux bagarres à coups de poing, les activités sportives et les jeux ont
habituellement une valeur sociale importante; ils sont utiles. À cet égard, l'arrêt R.
v. Cey, précité, de la Cour d'appel de la Saskatchewan est pertinent.
La cour à la majorité a décidé que certains genres de force intentionnelle
sont clairement visés par les règles du jeu, de sorte qu'il est facile de conclure à
l'existence d'un consentement implicite auquel il faut donner effet. Par ailleurs, des
actes très violents qui dépassent clairement les normes ordinaires de conduite ne
seront pas reconnus comme une conduite légitime à laquelle il est validement
possible de consentir.
Il n'y a rien dans l'énoncé qui précède qui empêcherait une personne de
consentir à un traitement médical ou à des interventions chirurgicales appropriées.
- 71 -
Il n'invaliderait pas nécessairement non plus le consentement entre des cascadeurs
qui acceptent d'avance de se livrer à des combats de boxe ou des acrobaties
dangereuses pour créer un produit culturel socialement valable. Une accusation de
voies de fait échouerait si le ministère public n'arrivait pas à prouver l'absence de
consentement en pareil cas, dans la mesure où ces activités ont une valeur sociale
positive et où les acteurs ont l'intention de produire un avantage social pour le bien
des personnes en cause, et souvent pour un groupe plus étendu également. Cela ne
ressemble absolument pas à la situation ici en cause, où Jobidon cherchait
uniquement à frapper la victime aussi fort qu'il pouvait physiquement le faire, jusqu'à
ce que cette dernière abandonne la partie ou batte en retraite. Les bagarres à coups
de poing sont loin de ressembler à ces autres formes de conduite.
Enfin, l'énoncé qui précède évite l'invalidation du consentement au
recours intentionnel à la force causant seulement de légères blessures ou des lésions
corporelles mineures. Les lésions corporelles visées par le critère sont
essentiellement équivalentes à celles envisagées par la définition figurant au par.
267(2) du Code, concernant l'infraction de voies de fait causant des lésions
corporelles. En vertu de cette disposition, l'expression "lésions corporelles" désigne
"une blessure qui nuit à la santé ou au bien-être du plaignant et qui n'est pas de
nature passagère ou sans importance".
Selon cette définition, et compte tenu du fait que le critère s'applique
uniquement aux cas dans lesquels des adultes sont en cause, le phénomène de la
bousculade "ordinaire" dans une cour d'école, où garçons ou filles cherchent, par
manque de maturité, à régler leurs différends avec leurs mains, ne sera pas visé par
- 72 -
cette limite. Cela n'a jamais été la politique de la loi et je n'ai pas l'intention de
modifier le statu quo. Toutefois, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir
si les garçons ou les filles âgés de moins de 18 ans qui ont vraiment l'intention de se
blesser mutuellement, et qui se causent en fin de compte plus que des lésions
corporelles mineures, pourraient invoquer le consentement comme moyen de
défense. (Comme ce fut le cas pour l'accusé dans l'affaire R. v. Barron (1985), 23
C.C.C. (3d) 544 (C.A. Ont.), où un garçon avait été accusé d'homicide involontaire
coupable, par suite de voies de fait, pour avoir poussé un autre garçon en bas d'un
escalier et avoir causé sa mort. Le juge du procès a déclaré que la victime avait
implicitement consenti à se bagarrer dans l'escalier pendant qu'ils descendaient.) Le
résultat approprié dépendra sans aucun doute des circonstances propres à chaque
affaire.
Il est maintenant possible de laisser de côté la question du consentement.
Cependant, avant de résumer le résultat de ce pourvoi, il peut être intéressant de
parler brièvement de la possibilité que la négligence criminelle puisse servir d'acte
illégal subsidiaire sur lequel l'accusation d'homicide involontaire coupable pourrait
être fondée.
4.
Motifs subsidiaires de déclaration de culpabilité d'homicide involontaire
coupable
a) Comparaison entre les voies de fait et la négligence criminelle
Étant donné que le juge du procès a conclu que l'appelant n'était pas
coupable de négligence criminelle, que la Cour d'appel n'a pas examiné la question
- 73 -
et que l'appelant ne l'a pas soulevée non plus dans le présent pourvoi, il n'est pas
strictement nécessaire d'analyser ici la négligence criminelle. Néanmoins, il peut
être intéressant de le faire, de façon à mieux comprendre l'infraction de voies de fait
et de bien saisir les différences entre les voies de fait et la négligence criminelle.
Dans l'arrêt R. v. Carriere, précité, le juge en chef Laycraft de la Cour d'appel de
l'Alberta a laissé entendre que, dans certaines affaires de bagarres à coups de poing
ou de batailles de rues, même si des armes sont en cause, la négligence criminelle
causant la mort ou des lésions corporelles, en vertu des art. 203 ou 204 (maintenant
les art. 220 et 221) respectivement, peut constituer l'accusation la plus appropriée,
étant donné qu'il s'agit d'un comportement qui montre [TRADUCTION] "une
insouciance déréglée ou téméraire pour la sécurité d'autrui" (p. 269). De l'avis du
juge en chef Laycraft, une accusation fondée sur ces dispositions mettrait l'accent sur
ce qu'il a appelé la [TRADUCTION] "véritable question" en pareils cas, c'est-à-dire non
pas sur la question de savoir s'il y a eu consentement, mais si la personne qui a eu
recours à la force savait que la vie ou la sécurité d'une autre personne était
probablement en danger et a néanmoins agi sans égard à ce danger.
Ce raisonnement pourrait s'imposer pour écarter la tâche parfois
inévitablement difficile de déterminer si le consentement a été donné, et sur quoi
portait précisément ce consentement -- le genre d'activité et le genre de conséquences
-- mais somme toute, j'estime que, dans la situation dont nous sommes saisis, soit le
cas d'une bagarre à coups de poing ou d'une bataille de rue, cette tâche demeurera en
bonne partie inévitable.
- 74 -
La bagarre à coups de poing typique constitue une situation dans laquelle
la notion et l'expression de "voies de fait" s'appliquent d'une manière tout à fait
naturelle. La négligence criminelle se prête moins bien à la situation. Dans une
bagarre à coups de poing, deux personnes s'affrontent. Elles se font face et
commencent à se frapper. Habituellement, elles ont de toute évidence l'intention
d'utiliser la force l'une contre l'autre. Elles sont conscientes que si l'une d'elles
frappe l'autre violemment, cette dernière subira tout au moins une certaine douleur
ou un certain malaise. Or, cette conscience de certaines conséquences préjudiciables
possibles pour l'intégrité physique de l'adversaire distingue les voies de fait de la
négligence criminelle, puisque, dans ce dernier cas, la personne ne fait aucun cas des
répercussions probables de sa conduite sur la sécurité physique de l'autre personne.
L'individu qui se livre à des voies de fait songe au plaignant. L'individu qui commet
une négligence criminelle omet, d'une certaine façon, de penser au plaignant.
Il se peut que le raisonnement qui précède soit peu fondé dans le contexte
des blessures causées par des athlètes qui se livrent à une activité sportive violente.
Par exemple, il est facile d'imaginer un joueur de hockey qui cause une blessure
grave à un joueur de l'équipe adverse en lui appliquant une dure mise en échec, mais
d'une façon qui serait encore conforme aux règles, sauf que compte tenu de la
rapidité du jeu, le joueur, par négligence, a omis de baisser son bâton juste avant la
mise en échec et a blessé l'autre joueur par négligence. Toutefois, ici encore, je crois
qu'il est préférable que les présomptions de ce genre soient conçues progressivement
avec le temps, dans les cas où les faits le permettent plus naturellement.
b) Autres "actes illégaux" qui pourraient fonder une déclaration de
culpabilité d'homicide involontaire coupable
- 75 -
Le ministère public a soutenu que, si les voies de fait ne peuvent pas être
retenues pour cause de consentement, Jobidon devrait être déclaré coupable
d'homicide involontaire coupable pour le motif subsidiaire qu'il a troublé l'ordre
public. Toutefois, étant donné que cette question n'a pas été directement soulevée
en appel, nous ne l'examinerons pas.
III -- Dispositif
Je suis d'avis de confirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rejeter le
pourvoi.
//Le juge Sopinka//
Version française des motifs des juges Sopinka et Stevenson rendus par
LE JUGE SOPINKA -- J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs
du juge Gonthier et, bien que je sois d'accord avec le dispositif, je ne puis souscrire
à son raisonnement. Le présent pourvoi concerne le rôle que joue le consentement
dans l'infraction criminelle de voies de fait. Contrairement à mon collègue, je suis
d'avis que le consentement ne peut pas être isolé de l'infraction. J'en arrive à cette
conclusion pour deux raisons: (1) le consentement constitue un élément essentiel de
beaucoup d'infractions criminelles, dont les voies de fait, et (2) la disposition
législative qui crée l'infraction de voies de fait prévoit expressément l'élément du
consentement.
- 76 -
Les faits
Les faits de l'espèce sont, en substance, ceux que le juge Gonthier a
exposés dans ses motifs. Toutefois, pour les fins de mes propres motifs, je désire
souligner quelques faits très importants.
L'altercation qui a, malheureusement, abouti au décès de Rodney Haggart
est survenue à la suite de la décision des personnes concernées de se battre à coups
de poing. Le juge du procès a conclu que la bagarre a commencé après que Haggart
et l'accusé se furent invités l'un et l'autre à se battre. Il a estimé que l'accusé croyait
sincèrement et raisonnablement que Haggart avait consenti à une bagarre "loyale"
à coups de poing. Le juge a également conclu que Haggart s'est évanoui à la suite
du premier coup assené par l'accusé mais que ce dernier a continué de frapper
Haggart quatre à six fois pendant qu'il était inconscient.
1. Les principes généraux du droit criminel
Bien que le consentement donné par la victime ne puisse pas transformer
un crime en un comportement licite, il constitue un élément fondamental pour
déterminer quel comportement constitue un crime. Il est bien reconnu en droit
criminel que l'absence de consentement est un élément essentiel de l'actus reus.
Ainsi, il n'y a pas de vol si le propriétaire de la chose donne son consentement, et les
rapports sexuels entre personnes consentantes ne constituent pas une agression
sexuelle. Dans son ouvrage intitulé Canadian Criminal Law: A Treatise (2e éd.
1987), D. Stuart écrit (à la p. 469):
- 77 -
[TRADUCTION] Le principe général, qui souffre des exceptions, selon
lequel le véritable consentement de la victime constitue toujours un
moyen de défense opposable à la responsabilité criminelle est un principe
fondamental du droit criminel.
Il ajoute plus loin à la p. 472 que:
[TRADUCTION] Il est décevant que nos tribunaux aient fondé le rejet
de ce principe uniquement sur l'interprétation de dispositions législatives.
L'absence de consentement est un principe fondamental. L'arrêt
Donovan [qui représente le courant de jurisprudence anglaise] n'aurait
pas dû être suivi même si l'absence de consentement n'avait pas été
mentionnée dans notre définition des voies de fait.
Dans l'arrêt Lemieux v. The Queen, [1967] R.C.S. 492, notre Cour a statué qu'il n'y
avait pas introduction par effraction lorsque la personne s'est introduite dans un lieu
à la suite d'un arrangement préalable avec le mandataire du propriétaire. Le
consentement du propriétaire a dépouillé l'activité en question d'une caractéristique
essentielle de l'actus reus. On confond souvent l'absence de consentement en tant
qu'élément de l'actus reus avec le moyen de défense fondé sur la croyance sincère
qu'il y a eu consentement, lequel se rapporte non pas à l'actus reus de l'infraction
mais à la mens rea ou à l'état d'esprit de l'accusé. Bien qu'il n'y ait pas consentement,
la croyance sincère qu'il y a eu consentement peut constituer un moyen de défense.
Voir Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120.
Il n'y a d'ailleurs pas d'exception généralement admise à ce principe en
ce qui concerne le fait d'infliger intentionnellement des blessures. Il existe dans la
société beaucoup d'activités qui comportent une utilisation intentionnelle de la force
pouvant causer des blessures graves, mais qui ne sont pas criminelles. Les
- 78 -
opérations chirurgicales et les activités sportives en sont des exemples. C'est sans
aucun doute l'absence d'exception à ce principe qui a amené le Parlement à adopter
l'art. 14 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, qui crée une exception dans le
cas des voies de fait les plus graves, soit le fait de causer intentionnellement la mort.
À mon avis, le Parlement a choisi d'étendre ce principe à toutes les voies
de fait, attaques ou agressions, à l'exception du meurtre, dans le but de préciser cet
aspect du droit criminel. Le texte clair et simple de l'art. 265 ne me semble pas
indiquer que le Parlement a voulu proscrire les bagarres entre adversaires
consentants dans le but d'empêcher des atteintes à la paix publique ou de les
permettre si un juge pense qu'elles se sont produites dans des circonstances qui
étaient socialement utiles. Plus exactement, la politique que traduit l'art. 265 est de
faire de l'absence de consentement une condition dans la définition de l'infraction,
mais de limiter le consentement aux utilisations intentionnelles de la force à l'égard
desquelles la victime a donné un consentement clair et véritable qui soit libre de
toute coercition ou présentation inexacte des faits. Au lieu de faire abstraction des
mots "contre une autre personne sans son consentement" de l'art. 265, j'estime qu'un
examen minutieux de la portée du consentement à des voies de fait respecte la
volonté du Parlement. Au lieu de tenter d'évaluer l'utilité de l'activité, le juge du
procès examinera le consentement afin de déterminer s'il visait l'activité même qui
fait l'objet de l'accusation. Plus les voies de fait sont graves, plus il devrait être
difficile de prouver qu'il y a eu consentement.
2. Interprétation de l'art. 265
- 79 -
D'après l'art. 265, "[c]ommet des voies de fait, ou se livre à une attaque
ou une agression, quiconque, selon le cas [. . .] d'une manière intentionnelle, emploie
la force [. . .] contre une autre personne sans son consentement . . ." (je souligne).
Mon collègue le juge Gonthier conclut que, compte tenu des affaires où on a
appliqué la common law, cet article devrait s'interpréter comme excluant l'absence
de consentement en tant qu'élément de l'actus reus dans le cas des voies de fait
commises dans l'intention de causer des blessures. Pour tirer sa conclusion, mon
collègue s'appuie sur un certain nombre de précédents anglais. La question n'a été
réglée de façon définitive en Angleterre qu'au moment de l'arrêt rendu par la Cour
d'appel anglaise à la suite d'un renvoi que lui avait adressé le procureur général en
1980. Voir Attorney General's Reference (No. 6 of 1980), [1981] 2 All E.R. 1057.
Non contrainte par l'expression d'une politique législative, la cour a façonné la
common law de manière à ce qu'elle concorde avec ce qu'elle croyait être dans
l'intérêt public. Dans ces conditions, la cour a écarté l'absence de consentement
comme élément des voies de fait où l'on causait ou avait l'intention de causer
véritablement des blessures. On a créé des exceptions dans le cas des voies de fait,
attaques ou agressions qui ont une certaine valeur sociale positive telles que les
activités sportives. Au Canada, le droit criminel a été codifié et les juges doivent
s'en tenir au texte des articles qui définissent les infractions criminelles.
L'application de la notion d'intérêt public par les tribunaux est régie par la
formulation de la notion d'intérêt public dans le Code criminel. Si le Parlement a
voulu adopter la notion d'intérêt public qui a été conçue par la Cour d'appel anglaise,
il s'est particulièrement mal exprimé. Il a fait de l'absence de consentement une
condition précise et a prévu que cela s'appliquait à toutes les voies de fait, attaques
ou agressions sans exception. La contradiction dans les précédents canadiens que
- 80 -
révèle l'examen auquel s'est livré mon collègue est due en grande partie à
l'application de ces deux conceptions différentes de l'intérêt public.
À mon avis, les observations précédentes au sujet de l'utilisation
appropriée de la notion d'intérêt public suffisent pour conclure que l'absence de
consentement ne peut être écartée par l'application énergique d'une politique conçue
par des juges. Les préceptes particuliers du Code en ce qui concerne les éléments
essentiels d'une infraction criminelle viennent renforcer et confirmer cette
proposition. L'alinéa 9a) du Code prévoit que "[n]onobstant toute autre disposition
de la présente loi ou de quelque autre loi, nul ne peut être déclaré coupable . . . a)
[d']une infraction en common law". La méthode utilisée par mon collègue a pour
effet de créer une infraction là où il n'en existe pas selon les termes mêmes du Code
par application de la common law. L'infraction créée consiste dans l'utilisation
intentionnelle de la force avec le consentement de la victime. Je me rends compte
que la méthode utilisée par mon collègue consiste à interpréter l'article en fonction
de la common law, mais, selon moi, le recours à la common law pour éliminer un
élément de l'infraction qui est exigé par la loi constitue plus que de l'interprétation
et va à l'encontre non seulement de l'esprit mais aussi de la lettre de l'al. 9a). L'une
des raisons fondamentales de l'existence de l'al. 9a) est l'importance de la certitude
dans la détermination des comportements qui constituent une infraction criminelle.
C'est la raison pour laquelle nous avons codifié les infractions dans le Code criminel.
L'accusé ne devrait pas être obligé de chercher à découvrir la common law dans les
livres afin de déterminer si l'infraction dont il est inculpé est vraiment une infraction
en droit. Où faut-il chercher pour déterminer l'utilité sociale d'une bagarre durant un
match de hockey, par exemple? Il y a ceux qui soutiendraient que c'est une partie
- 81 -
importante du spectacle. Les juges peuvent ne pas être d'accord. Est-ce une question
de connaissance d'office ou faut-il des éléments de preuve? Le problème de
l'incertitude qu'engendre le critère de l'utilité sociale dépasse celui de la recherche
de la common law, problème qui a conduit à l'interdiction visée à l'al. 9a).
Application au présent pourvoi
Vu le danger inhérent à l'activité violente dans la présente affaire, la
portée du consentement devait faire l'objet d'un examen minutieux. Le juge du
procès a conclu que le consentement donné par Haggart ne s'étendait pas à la
poursuite de la bagarre une fois qu'il avait perdu connaissance. En frappant Haggart
après qu'il se fut évanoui, l'accusé a outrepassé le consentement donné par Haggart
et a commis ainsi l'actus reus des voies de fait.
Bien qu'il ait satisfait aux conditions à remplir pour qu'il y ait actus reus,
l'accusé avait-il l'état d'esprit requis? Je vais aborder maintenant la question de la
croyance sincère à l'existence d'un consentement.
L'accusé croyait que la victime, Haggart, avait consenti à une bagarre
loyale. Durant son propre témoignage, l'accusé a déclaré qu'il s'était battu pour
éviter d'être blessé. Le juge du procès a indiqué:
[TRADUCTION] J'accepte le témoignage de l'accusé selon lequel il ne
voulait pas tuer M. Haggart ni lui infliger des blessures graves. Il croyait
que Haggart avait consenti à une bagarre loyale. Ce fut une bagarre
furieuse et non pas une épreuve de force modérée et amicale. Le but de
la bagarre était de frapper l'adversaire aussi fort qu'il était physiquement
- 82 -
possible de le faire jusqu'à ce qu'il abandonne la partie ou batte en
retraite. Il y avait intention de blesser. [Je souligne.]
((1987), 36 C.C.C. (3d) 340, à la p. 349.)
Il semble évident, d'après les conclusions du juge du procès, que l'accusé croyait
sincèrement qu'il y avait eu consentement, mais que ce consentement valait
seulement jusqu'à ce que Haggart "abandonne la partie ou batte en retraite". Par ce
consentement, Haggart ne consentait pas à être frappé une fois qu'il avait été mis
hors de combat. L'accusé savait que le consentement de Haggart ne valait que
pendant que celui-ci était conscient.
À mon avis, compte tenu de ses propres conclusions, le juge du procès
a mal interprété la preuve en ce qui concernait la croyance de l'accusé que tous les
coups avaient été assenés avant que Haggart ne perde connaissance. Le passage
suivant du témoignage de l'accusé montre qu'il savait que Haggart était inconscient
après le deuxième coup de poing:
[TRADUCTION]
Q. Qu'est-il arrivé ensuite?
R. Ça l'a pas mal étourdi et il se battait encore et il me lançait des coups
de poing. Il essayait de prendre son élan. Il ne pouvait pas le faire parce
qu'il était couché sur la voiture et que son coude allait seulement vers son
côté, et il m'a lancé un coup de poing et j'en ai lancé un autre et je l'ai
atteint et il était hors de combat après le deuxième coup de poing.
Q. À quel endroit a été porté le deuxième coup de poing?
R. Au même endroit de la joue ou à la joue ou à la mâchoire.
Q. Vous êtes en train de nous parler de deux coups de poing à
l'extérieur?
- 83 -
R. C'est exact.
Q. Y en a-t-il eu d'autres?
R. Non.
Dans ses motifs, le juge du procès a conclu que l'accusé a frappé Haggart
quatre à six fois après que celui-ci se fut évanoui (p. 348). Le juge du procès n'a
donc pas admis le témoignage de l'accusé selon lequel il a frappé Haggart deux fois
seulement et il reste que l'accusé a avoué s'être rendu compte que Haggart était
inconscient après le deuxième coup de poing. En continuant de rouer Haggart de
coups après s'être rendu compte que celui-ci était inconscient, l'accusé a outrepassé
sciemment le consentement de Haggart et a donc commis des voies de fait.
Vu ma conclusion que l'accusé a commis des voies de fait et que
M. Haggart est décédé des suites de cet acte illicite, l'accusé est donc coupable
d'homicide involontaire coupable en vertu de l'al. 222(5)a) et de l'art. 234 du Code
criminel. Je suis donc d'avis de trancher le pourvoi de la façon proposée par le juge
Gonthier.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant: Greenspan, Humphrey, Toronto.
Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Toronto.