R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482
Gifford Aalders
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
Répertorié: R. c. Aalders
No du greffe: 22617.
1993: 3 mars; 1993: 10 juin.
Présents: Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.
en appel de la cour d'appel du québec
Droit criminel -- Preuve -- Contre-preuve -- Contre-preuve touchant une
question essentielle à la détermination du litige -- La contre-preuve est-elle
admissible?
Droit criminel -- Meurtre -- Meurtre au premier degré -- Préméditation
et propos délibéré -- Exposé au jury -- Les directives du juge du procès quant à la
préméditation et au propos délibéré sont-elles appropriées?

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Droit criminel -- Exposé au jury -- Possibilité d'un autre verdict -- Meurtre
-- L'accusé, inculpé de meurtre au premier degré, a témoigné qu'il n'avait pas
l'intention de tuer la victime -- L'ensemble de la preuve démontre que le meurtre a été
commis avec préméditation et de propos délibéré -- Le juge du procès a-t-il commis
une erreur en ne soumettant pas au jury la question de l'homicide involontaire
coupable?
L'accusé a été inculpé du meurtre au premier degré d'une connaissance.
Il s'est introduit par effraction dans la résidence de la victime tôt un matin et s'est
rendu au sous-sol, où il a pris et chargé une carabine 30.30, qu'il a utilisée pour
tuer le chien de la victime. L'accusé, qui fréquentait régulièrement la famille,
savait que personne ne serait à la maison jusqu'à ce que la victime y retourne aux
environs de midi. Il a entrepris la fouille de la maison, a trouvé un pistolet de
calibre .32 qu'il a chargé puis placé dans sa ceinture. Il a ensuite rassemblé tous
les articles qu'il avait volés et les a placés près de la porte arrière. Lorsque la
victime est revenue à la maison pour le déjeuner, l'accusé était encore dans la
maison. La victime a vu son chien mort et s'est retournée vers la salle de bains où
l'accusé s'était caché. L'accusé est sorti de la baignoire et a fait feu. La victime a
été atteinte par huit balles, dont seulement une dans la région des jambes et le reste
dans le torse et le cou. Après avoir tiré, l'accusé a pris l'argent et les clés de la
voiture de la victime, a placé les biens volés dans la voiture et il est parti. Il a été
arrêté trois jours plus tard. Dans sa déclaration à la police, l'accusé a dit s'être
rendu à la résidence de la victime pour s'y introduire par effraction et il a admis
avoir dérobé des sommes d'argent tant sur la victime que dans la résidence. Au
procès, il a toutefois déclaré s'y être rendu seulement pour demander une faveur
à la victime. Il est alors entré dans la maison en raison de la forte pluie et, une fois

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à l'intérieur, il a décidé de commettre un vol. Il a également déclaré avoir pointé
le pistolet en direction des jambes de la victime et n'avoir eu aucune intention de
le tuer, tentant seulement de s'enfuir. Lors de son contre-interrogatoire, l'accusé
a déclaré que l'argent trouvé en sa possession au moment de son arrestation
provenait en partie d'allocations d'aide sociale. Le ministère public a été autorisé
à présenter une contre-preuve sur cette question, et, selon les témoignages offerts
par deux employés de l'aide sociale, l'accusé n'a jamais reçu d'aide, ses demandes
ayant été rejetées. Dans son exposé, le juge du procès a dit au jury qu'il devait
déclarer l'accusé coupable de meurtre au premier degré s'il était convaincu hors de
tout doute raisonnable qu'il avait eu l'intention de tuer la victime et que le meurtre
avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. Il a expliqué que
l'expression «préméditation et de propos délibéré» signifiait «le dessein réfléchi
qui a précédé l'exécution d'un acte illégal. C'est l'accomplissement d'un acte illégal
après y avoir pensé. En d'autres mots, . . . [c]'est un acte planifié et voulu.» Le
juge du procès a également donné au jury des directives sur le meurtre au
deuxième degré, sans mentionner l'homicide involontaire coupable. L'accusé a été
déclaré coupable de meurtre au premier degré, et la Cour d'appel à la majorité a
confirmé la déclaration de culpabilité. Le présent pourvoi soulève trois questions:
(1) Le juge du procès a-t-il commis une erreur en permettant au ministère public
de présenter une contre-preuve? (2) L'exposé du juge du procès au jury était-il
approprié relativement à la préméditation et au propos délibéré du meurtre au
premier degré? (3) Le juge du procès aurait-il dû informer le jury de la possibilité
d'un verdict d'homicide involontaire coupable?
Arrêt (le juge Sopinka est dissident): Le pourvoi est rejeté.

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Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory: La question
primordiale en ce qui concerne l'admission d'une contre-preuve n'est pas de savoir
si la preuve que le ministère public cherche à présenter est déterminante quant à
une question essentielle, mais bien de savoir si elle se rapporte à une question
essentielle qui peut être déterminante pour trancher l'affaire. Si la contre-preuve
porte sur un élément essentiel du litige et si le ministère public ne pouvait prévoir
que cette preuve serait nécessaire, alors elle est généralement admissible. En
conséquence, lorsqu'un témoin fait, au cours de son témoignage au procès, une
déclaration qui entre en conflit avec d'autres éléments de preuve portant sur une
question essentielle, la contre-preuve sera autorisée pour résoudre ce conflit. En
l'espèce, la contre-preuve était admissible. Les témoignages des fonctionnaires de
l'aide sociale portaient sur un élément essentiel de la preuve, et le ministère public
ne pouvait prévoir que l'accusé allait témoigner comme il l'a fait vu sa déclaration
antérieure. L'aveu même de la perpétration du vol qualifié, fait par l'accusé au
cours de son témoignage dans lequel il a faussé la nature de ce vol et changé
d'importants détails, ne peut donner lieu à la conclusion que la contre-preuve porte
seulement sur des questions incidentes. Les témoignages concernant les détails du
vol constituaient une partie importante de la preuve du ministère public, et il était
donc important que soit clarifiée toute confusion entre les déclarations et le
témoignage de l'accusé sur ce point essentiel. Cette clarification ne pouvait être
obtenue que par contre-preuve. On ne peut alors affirmer que la contre-preuve
permettait au ministère public de scinder sa preuve.
Il ressort de la lecture de l'ensemble de l'exposé que le jury a reçu les
directives appropriées relativement aux éléments «préméditation» et «propos
délibéré». Les directives que le juge du procès a données au jury précisaient

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clairement qu'il s'agissait de deux concepts distincts, c'est-à-dire d'éléments
distincts du meurtre au premier degré, lesquels devaient être prouvés hors de tout
doute raisonnable.
Le juge du procès n'a pas commis d'erreur en ne soumettant pas au jury
la question de l'homicide involontaire coupable. Tout porte à croire que le meurtre
en l'espèce a été commis de sang-froid, avec préméditation et de propos délibéré.
La défense d'homicide involontaire coupable soulevée par l'accusé n'avait pas de
vraisemblance. Il n'aurait donc pas été approprié de mentionner au jury la
possibilité d'homicide involontaire coupable.
Le juge Sopinka (dissident): Le juge du procès a commis une erreur en
permettant au ministère public de présenter une contre-preuve. Cette dernière
n'était pas pertinente quant à l'affirmation de l'accusé qu'il n'avait pas l'intention
de tuer la victime, et elle était tout à fait inutile pour établir le vol qualifié, l'accusé
lui-même ayant admis, lors de son témoignage, l'avoir commis. Le ministère
public avait le droit de contre-interroger l'accusé sur des faits incidents afin de
miner sa crédibilité, mais une fois qu'il l'avait fait, il devait s'en tenir à ses
réponses. Si on la replace dans le contexte, la contre-preuve a attaqué la crédibilité
de l'accusé sur la seule question de savoir s'il avait été bénéficiaire d'aide sociale,
une question incidente soulevée pour la première fois lors du contre-interrogatoire.
Le ministère public a également soutenu que l'accusé a fait de sa crédibilité un
élément essentiel en offrant un témoignage différent de sa déclaration aux
policiers.

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Chaque fois que l'accusé témoigne, sa crédibilité est en jeu. C'est
interpréter beaucoup trop largement l'arrêt Krause que d'admettre une
contre-preuve simplement parce que l'accusé a choisi de faire de sa crédibilité une
question en litige.
On ne peut remédier à une erreur de cette nature en appliquant la
réserve du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel.
Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêt examiné: R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466; distinction d'avec
l'arrêt: Latour c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 361; arrêts mentionnés: R. c. Nygaard,
[1989] 2 R.C.S. 1074; R. c. Widdifield (1963), 6 Crim. L.Q. 152; Pilon c. The Queen
(1965), 46 C.R. 272, [1966] 2 C.C.C. 53; More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522;
McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484; R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471; John
c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476; R. c. Perry (1977), 36 C.C.C. (2d) 209; Lampard
c. The Queen, [1969] R.C.S. 373; Schuldt c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 592; R. c.
Squire, [1977] 2 R.C.S. 13; Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120; R. c. Faid,
[1983] 1 R.C.S. 265.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466; John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S.
476.

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Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 229a), 230d) [mod. ch. 27 (1er suppl.),
art. 40(2) (ann. I, no 2)], 686(1)b)(iii) [mod. 1991, ch. 43, art. 9
(ann. art. 8)].
Doctrine citée
McCormick, Charles Tilford. McCormick on Evidence, vol. 1, 4th ed. By John William
Strong, General Editor. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1992.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1991] R.J.Q.
2097, 39 Q.A.C. 175, 69 C.C.C. (3d) 154, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa
déclaration de culpabilité relativement à une accusation de meurtre au premier
degré. Pourvoi rejeté, le juge Sopinka est dissident.
Gervais Labrecque, pour l'appelant.
Georges Letendre, pour l'intimée.
//Le juge Cory//
Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé,
Gonthier et Cory rendu par
LE JUGE CORY -- Le présent pourvoi soulève deux questions principales.
La première vise à déterminer si le juge du procès a commis une erreur en

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permettant au ministère public de présenter une contre-preuve. La seconde vise
à savoir si les directives du juge au jury étaient appropriées relativement aux
aspects critiques du meurtre au premier degré, notamment quant à la préméditation
et au propos délibéré.
I. Les faits
Le 20 janvier 1986, l'appelant Aalders a tiré un coup mortel sur
Lawrence Ford dans la maison de ce dernier, à St-Basile. Plus tôt dans la matinée,
Aalders s'était fait conduire chez les Ford par un ami, qui l'a laissé à une certaine
distance de la maison. Aalders fréquentait régulièrement la famille de la victime
et en connaissait les habitudes. Il savait que personne ne serait à la maison à huit
heures du matin un jour de semaine. Il savait qu'il n'y aurait personne dans la
maison jusqu'à ce que M. Ford y retourne aux environs de midi. L'appelant a
sonné à la porte principale, mais n'a pas reçu de réponse. Il est ensuite allé vers la
porte arrière, qu'il a ouverte au moyen d'un tourne-vis qu'il avait par hasard sur lui
et s'est introduit par effraction. Une fois entré, il est immédiatement descendu au
sous-sol où il a pris et chargé une carabine 30.30. Il est ensuite retourné au
rez-de-chaussée. Lorsqu'il est descendu au sous-sol, le chien de la maison, Tuppy,
s'était mis à aboyer en tentant loyalement de défendre la maison familiale. En
revenant au rez-de-chaussée, Aalders est entré dans la chambre à coucher où se
trouvait le chien et a fait feu sur lui.
Après avoir tué le chien, l'appelant a entrepris la fouille de la maison.
Il est tout d'abord allé dans la chambre à coucher principale et a fouillé les tiroirs
des tables de nuit et des commodes et en a vidé le contenu sur le plancher. Il a

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trouvé un pistolet de calibre .32 non chargé. Il a ensuite trouvé le chargeur qui
contenait deux balles. Il a continué à chercher des munitions pour le pistolet et a
finalement tiré sur la serrure d'un coffret au sous-sol, dans lequel il en a trouvées.
Dans sa déclaration à la police, Aalders a dit qu'il avait chargé le pistolet de
calibre .32 parce qu'il n'était pas aussi lourd et encombrant que la carabine 30.30.
Il a ensuite placé le pistolet chargé dans sa ceinture avant de remonter. Il a dit
avoir fait cela au cas où quelqu'un entrerait dans la maison car il ne voulait pas être
surpris.
En cherchant des munitions dans les placards de la maison, Aalders
avait trouvé des bocaux remplis d'argent. Après avoir trouvé et chargé le pistolet,
il est retourné dans la chambre à coucher principale et a sorti les bocaux des
placards. Il est ensuite allé dans la chambre de Laura Jane Ford, la fille de la
victime, où il a aussi trouvé de l'argent, qu'il a pris. Il est alors retourné en bas et
a trouvé plusieurs sacs dans lesquels il a mis l'argent et les autres armes (les fusils
et la carabine) qu'il avait trouvés dans la maison. Pour se nourrir, il a pris trois
bouteilles de vin qu'il a mises dans des bars portatifs ainsi que deux sacs de
biscuits.
Une partie de l'argent pris dans la résidence des Ford se composait
d'anciens billets canadiens et américains que la victime et sa fille avaient
collectionnés. Le poids total de tous les articles saisis dans la maison était de
190 livres. Aalders avait placé tous ces articles sur le plancher près de la porte où
il était entré. Il a dit que son intention était de les cacher dans le bois près de la
maison et de revenir les chercher plus tard. On peut également déduire que le vol
avait été soigneusement planifié de façon à se dérouler pendant l'absence des

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occupants de la maison, qu'Aalders avait besoin d'une voiture pour transporter les
biens volés et qu'il était armé et attendait le retour de M. Ford dans sa voiture vers
midi.
Quoi qu'il en soit, l'appelant a témoigné qu'il est retourné en haut et
qu'il était dans la salle de bains lorsqu'il a entendu le bruit d'une porte en bas. Il
s'est alors rendu compte que quelqu'un était dans la maison. Il est ensuite entré
dans la baignoire et a sorti le pistolet qu'il avait à la ceinture. Aalders a vu une
ombre devant la salle de bains et ensuite le reflet d'un homme de dos dans le miroir
de la salle de bains. L'homme se trouvait dans la chambre à coucher principale où
l'appelant avait tué le chien de la famille. Lorsqu'il a vu la personne dans la
chambre se retourner, l'appelant est sorti de la salle de bains et s'est dirigé vers la
chambre à coucher avec le pistolet à la main. Dans son témoignage au procès, il
a dit avoir visé les jambes de la personne dans la chambre, avoir fermé les yeux et
appuyé sur la détente. Il a dit qu'il voulait seulement s'enfuir de la maison et qu'il
n'avait pas l'intention de tuer la victime. Toutefois, il importe de signaler que dans
sa longue déclaration à la police, Aalders n'a pas mentionné qu'il avait pointé
l'arme sur les jambes de la victime ou qu'il avait seulement voulu s'enfuir. Selon
le rapport d'autopsie, M. Ford a été atteint de huit projectiles, dont un seul s'est
logé dans la région des jambes, les autres s'étant pour la plupart logés dans la
région du torse et du cou.
Après avoir tiré la victime, Aalders a quitté la pièce et s'est rendu à la
voiture de M. Lawrence Ford. Lorsqu'il s'est rendu compte que les clés n'y étaient
pas, Aalders est retourné dans la maison et a fouillé les poches de M. Ford jusqu'à
ce qu'il les trouve. Il a pris les clés ainsi qu'une somme de 50 à 60 $ qui se trouvait

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dans le porte-monnaie de la victime. L'appelant a ensuite pris les biens volés, y
compris la carabine, les fusils et le vin, les a placés dans le coffre de la voiture et
il est parti. Il a été arrêté trois jours plus tard à Charlesbourg.
II. Les juridictions inférieures
1. L'exposé du juge du procès au jury
Le juge du procès a expliqué au jury que, conformément à la règle
générale, le meurtre exige une intention de tuer au sens des sous-al. 212a)(i) et (ii)
du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34 (maintenant L.R.C. (1985), ch. C-46,
sous-al. 229a)(i) et (ii)). Il a dit au jury qu'il devait tout d'abord examiner si
l'appelant avait l'intention de tuer au sens de la règle générale. Dans l'affirmative,
il devait ensuite examiner si l'appelant, lorsqu'il a eu cette intention, avait agi avec
préméditation et de propos délibéré. Le juge du procès a dit au jury qu'il devait
déclarer l'appelant coupable de meurtre au premier degré s'il était convaincu hors
de tout doute raisonnable qu'il avait eu l'intention de tuer la victime et que le
meurtre avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. Toutefois, il
devait le déclarer coupable de meurtre au deuxième degré s'il était d'avis que
l'appelant avait eu l'intention de tuer la victime, mais qu'il subsistait un doute
raisonnable quant à la préméditation et au propos délibéré.
Le juge du procès a remis aux membres du jury une description écrite
des éléments de l'acte criminel qu'est le meurtre au premier degré. Voici cette
description:

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Dans cette cause, la poursuite avait le fardeau de prouver, hors de tout
doute raisonnable, les éléments constitutifs suivants:
1. Que l'accusé, Gifford Aalders, le ou vers le vingt (20) janvier mil
neuf cent quatre-vingt-six (1986), à Portneuf Station, district de
Québec;
2. a causé illégalement la mort de Monsieur Lawrence Ford;
3. avec l'intention de causer sa mort ou de lui causer des lésions
corporelles qu'il savait être de nature à causer sa mort et qu'il lui était
indifférent que sa mort s'ensuive ou non;
4. et ce, avec préméditation et de propos délibérés.
Le juge du procès a dit au jury de retrancher le paragraphe 4 pour
obtenir la description des éléments du meurtre au deuxième degré.
Pour expliquer le sens de l'expression «préméditation et de propos
délibérés», il a dit:
En droit criminel, cette expression signifie le dessein réfléchi qui a
précédé l'exécution d'un acte illégal. C'est l'accomplissement d'un acte
illégal après y avoir pensé.
En d'autres mots, on peut résumer en disant: C'est un acte planifié
et voulu. Une personne commet donc un crime avec préméditation et
de propos délibérés lorsqu'elle l'a planifié, qu'elle a prévu cette
éventualité et qu'elle s'est préparée en conséquence, en pleine
connaissance de cause. En d'autres mots, elle s'est préparée.
Le juge du procès a alors abordé l'examen de l'exception visée à
l'al. 213d) (maintenant l'al. 230d)) du Code. Il a dit au jury que, s'il avait, par
rapport à la règle générale, un doute raisonnable quant à l'intention de tuer de
l'accusé, il devait alors tenir compte de l'exception prévue à l'al. 213d). Si le jury
était d'avis que l'accusé avait eu l'intention de commettre un vol qualifié et qu'il

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avait causé la mort de la victime pendant la perpétration de ce vol qualifié, il devait
le déclarer coupable de meurtre au deuxième degré. Le juge du procès a également
présenté au jury une liste des éléments constitutifs du meurtre par imputation en
vertu de l'al. 213d) du Code. Il a dit au jury qu'il devait acquitter l'accusé s'il avait
des doutes quant à l'intention de tuer la victime, quant aux éléments de
préméditation et de propos délibéré ou quant à l'existence des éléments prévus à
l'al. 213d).
En réponse à une question posée par le jury sur la préméditation, le juge
du procès a dit:
Je vais donc débuter en vous expliquant à nouveau la signification de
l'expression «préméditation et de propos délibérés», qu'on peut résumer
par le mot «planifier» ou le mot «planification».
Souvent on emploie, au lieu de toujours employer l'expression au long
«préméditation et de propos délibérés», bien on peut résumer en disant
«planifier, préparer à l'avance, y avoir pensé à l'avance, penser à
quelque chose à l'avance», c'est un peu ça la préméditation.
Il a aussi affirmé:
Alors en droit criminel, l'expression «préméditation et de propos
délibérés» signifie: le dessein réfléchi qui a précédé l'exécution d'un
acte illégal. Alors c'est l'accomplissement d'un acte illégal après y
avoir pensé. C'est un acte planifié et voulu.
En conséquence, le jury a déclaré l'appelant coupable de meurtre au
premier degré.
2. La Cour d'appel

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L'appelant a soulevé quatre moyens d'appel: l'admissibilité de la
déclaration qu'il a faite aux policiers; l'exposé du juge au jury relativement au
meurtre au premier degré; l'absence de directives sur l'homicide involontaire
coupable et l'admissibilité de la contre-preuve. La Cour d'appel à l'unanimité a
conclu à l'admissibilité de la déclaration, mais le juge Proulx était dissident
relativement aux trois autres moyens: [1991] R.J.Q. 2097. (L'appelant a demandé
à notre Cour l'autorisation de se pourvoir contre l'admissibilité de la déclaration,
mais cette demande a été rejetée le 6 février 1992, [1992] 1 R.C.S. v.)
a) Le juge Proulx (dissident)
Le juge Proulx était d'avis d'accueillir l'appel et d'ordonner la tenue d'un
nouveau procès.
(i) La préméditation et le propos délibéré
Selon le juge Proulx, le juge du procès n'a pas, dans son exposé au jury,
établi de distinction entre la préméditation et le propos délibéré. Le juge Proulx
a précisé que ces deux éléments sont distincts et qu'ils doivent coexister pour
qu'une personne puisse être déclarée coupable de meurtre au premier degré: R. c.
Nygaard, [1989] 2 R.C.S. 1074, et R. c. Widdifield (1963), 6 Crim. L.Q. 152 (H.C.
Ont.). Il a affirmé, à la p. 2102:
Alors que la préméditation s'entend d'un projet bien arrêté et dont
la nature et les conséquences ont été examinées et soupesées, encore
est-il requis que le sujet, par son propos délibéré, considère ce qu'il a
planifié, c'est-à-dire qu'il prenne le temps de réfléchir sur la portée du
geste qu'il se propose d'accomplir.

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Pour le juge Proulx, le «propos délibéré» nécessite que la personne
prenne le temps de réfléchir une fois le plan arrêté. Il affirme: «le processus de
délibération implique que son auteur, comme je l'ai souligné, prenne le temps de
réfléchir». Il a également fait sienne la déclaration contenue dans l'arrêt Pilon c.
The Queen (1965), 46 C.R. 272 (B.R. Qué.), à la p. 286:
. . . le propos délibéré procède de la volonté éclairée par une
intelligence qui a pu réfléchir à la nature et à la qualité de l'acte
incriminé.
En s'appuyant sur les arrêts More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522,
McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484, et R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471, le
juge Proulx a précisé qu'un meurtre peut être prémédité, mais non commis de
propos délibéré et vice-versa. À son avis, lorsque le meurtre a été prémédité, mais
que le geste final a été accompli sous le coup d'une impulsion soudaine plutôt
qu'après réflexion, il n'y aurait pas de propos délibéré.
Le juge Proulx a aussi indiqué que si le meurtre survient à l'occasion
de la perpétration d'une autre infraction, il est essentiel d'éviter, dans l'exposé au
jury, la confusion entre la préméditation et le propos délibéré requis pour cette
autre infraction et la préméditation et le propos délibéré requis pour le meurtre au
premier degré.
Examinant l'ensemble de l'exposé au jury, le juge Proulx a conclu que
le juge du procès a omis de faire ces distinctions. L'exposé laissait entendre que
le propos délibéré était compris dans la notion de «préméditation». Le juge Proulx
a dit: «le premier juge [. . .] n'a soumis véritablement qu'une seule question au

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jury, à savoir: le meurtre a-t-il été planifié, voulu, prémédité?» (p. 2105). Il a
aussi indiqué que le juge du procès a omis de définir «le propos délibéré».
Selon le juge Proulx, l'exposé n'était pas clair sur la différence entre
l'intention de tuer, et l'intention requise pour le meurtre au premier degré. À son
avis, en disant qu'«un meurtre planifié est un meurtre voulu ou encore préparé» (p.
2106), le juge du procès a omis de faire une distinction entre un meurtre prémédité
et un meurtre intentionnel.
Selon le juge Proulx, si le jury avait reçu les directives appropriées, le
verdict n'aurait pas nécessairement été le même, car la preuve laissait d'importantes
questions sans réponse. Par exemple, l'appelant a-t-il planifié le meurtre? A-t-il
donné suite à son plan de propos délibéré? De l'avis du juge Proulx, seul un jury
ayant reçu des directives appropriées peut répondre à ces questions.
(ii) La contre-preuve
Appliquant les principes formulés dans l'arrêt R. c. Krause, [1986] 2
R.C.S. 466, le juge Proulx a conclu que la contre-preuve du ministère public n'était
pas admissible parce qu'elle portait seulement sur une question incidente. À son
avis, il n'est pas suffisant que la preuve soit pertinente, elle doit aussi être
importante ou essentielle.
Il a fait remarquer que l'appelant n'a pas soulevé de faits nouveaux dans
son témoignage. C'est plutôt l'intimée, lors du contre-interrogatoire de l'appelant,
qui a introduit l'idée que l'argent trouvé en la possession de l'appelant au moment

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de son arrestation provenait d'allocations d'aide sociale. La question de la
provenance de l'argent était pertinente relativement à la possession récente d'objets
volés. Toutefois, selon le juge Proulx, puisque l'appelant avait déjà admis qu'il
avait dérobé des sommes d'argent tant sur la personne de la victime que dans la
résidence, le témoignage des fonctionnaires de l'aide sociale n'était aucunement
essentiel. À son avis, le contre-preuve ne visait qu'à attaquer la crédibilité de
l'appelant; même si la crédibilité était en cause, cela ne rendait pas pour autant
admissible la contre-preuve sur une question incidente: Krause, précité; John c. La
Reine, [1985] 2 R.C.S. 476; Latour c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 361, et R. c. Perry
(1977), 36 C.C.C. (2d) 209 (C.A. Ont.).
(iii) L'homicide involontaire coupable
De l'avis du juge Proulx, le juge du procès a commis une erreur en ne
soumettant pas au jury la question de l'homicide involontaire coupable. Dans son
témoignage, l'appelant a dit qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime. En
conséquence, puisque l'intention de tuer était en litige, le juge Proulx était d'avis
que la question de l'homicide involontaire coupable aurait dû être présentée au
jury. Selon le juge Proulx, le juge du procès avait l'obligation de traiter de tous les
moyens de défense découlant de la preuve: Lampard c. The Queen, [1969] R.C.S.
373, et Schuldt c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 592.
b) Le juge Chouinard (souscrivant à l'opinion du juge Tourigny)
(i) La préméditation et le propos délibéré

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Tenant compte de la preuve que l'appelant savait que la victime venait
quotidiennement à sa résidence à l'heure du déjeuner, de la confession de l'appelant
et du fait qu'il s'est approprié les armes dès son arrivée sur les lieux, le juge
Chouinard a affirmé que la théorie de la défense (quant à la surprise et à la panique
de l'appelant au moment de l'arrivée de la victime) était peu crédible. Il a dit:
«Ainsi, le verdict de meurtre au premier degré rendu par le jury me semble
raisonnable, conforme à celui qu'un jury convenablement instruit aurait rendu dans
une cause semblable» (p. 2111).
Tout en convenant qu'un crime prémédité peut ne pas être commis de
propos délibéré, le juge Chouinard ne croyait pas, contrairement au juge Proulx,
que cette question était en litige en l'espèce. L'appelant a attendu quelque quatre
heures l'arrivée de la victime et l'a alors criblée de huit balles. Selon la thèse du
ministère public, il y a eu une longue préparation du plan et une exécution
accomplie avec froideur et lucidité. De l'avis du juge Chouinard, cette thèse
constituait une inférence raisonnable à tirer de la preuve et elle n'était pas
conciliable avec la crainte, la surprise et l'impulsion soudaine. Le jury l'a de toute
évidence rejetée. Par ailleurs, le juge Chouinard a affirmé que l'ensemble de
l'exposé au jury établissait clairement une distinction entre les notions de
préméditation et de propos délibéré.
(ii) La contre-preuve
Selon le juge Chouinard, la possession récente de la voiture et des
objets de la victime, y compris son argent, lors de l'arrestation de l'accusé, rendait

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la provenance de ces choses un fait important même s'il ne contestait pas le vol
comme tel.
c) Le juge Tourigny
(i) La contre-preuve
Le juge Tourigny a estimé que, dans le contexte des prétentions de
l'appelant quant à l'origine de l'argent, la contre-preuve était admissible. Les faits
en l'espèce sont différents de ceux de l'affaire Krause, précitée, dans laquelle il n'y
avait aucune preuve d'une déclaration faite aux policiers, la question de
déclarations contradictoires s'était présentée en contre-interrogatoire et la
crédibilité de Krause portait sur une question incidente seulement. En l'espèce, la
crédibilité n'était pas une question incidente; c'était une question essentielle qui
touchait la mens rea. Le juge Tourigny a dit que la preuve des employés de l'aide
sociale n'aurait pas pu être amenée en preuve principale, car le ministère public ne
pouvait prévoir que l'appelant changerait sa version des faits.
D'après le juge Tourigny, la présente affaire diffère également de
l'affaire Latour, précitée, dans laquelle l'accusé avait présenté une défense d'alibi,
affirmant qu'il n'était jamais allé à l'endroit en question. Le ministère public avait
amené en contre-preuve que l'accusé avait été vu à cet endroit, quelque trois mois
après le crime. Dans cette affaire, l'attaque de la crédibilité portait sur une
question incidente. En l'espèce, de l'avis du juge Tourigny, l'appelant, en
changeant sa version des faits quant à son intention de voler et à son intention de
tuer, a fait de sa crédibilité une question principale.

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(ii) L'homicide involontaire coupable
Le juge Tourigny a conclu que le juge du procès n'a pas commis
d'erreur en ne soumettant pas au jury la question de l'homicide involontaire
coupable puisque, à son avis, rien dans la preuve n'appuyait pareille prétention.
Quoi qu'il en soit, le jury a décidé qu'il ne s'agissait ni d'un meurtre au deuxième
degré, ni d'un meurtre par imputation, mais bien d'un meurtre au premier degré.
Selon le juge Tourigny, ce verdict est raisonnable si par ailleurs l'exposé à cet
égard est adéquat.
(iii) La préméditation et le propos délibéré
Le juge Tourigny a reproduit des extraits de l'exposé ainsi qu'un
document que le juge du procès avait remis au jury. Ce document présentait les
éléments de l'infraction au jury et mentionnait la préméditation et le propos
délibéré en tant qu'éléments nécessaires du meurtre au premier degré. Elle a
conclu, à la p. 2123:
J'avoue, pour ma part, ne pas trouver d'erreur dans les directives
données par le juge; certes, comme je l'ai déjà dit, il n'a pas à chaque
fois répété les mots précis mais il me paraît cependant que, compte tenu
des propos qu'il avait tenus et des références faites au document qu'il
avait distribué, le jury n'a pu être amené à comprendre autre chose que
la nécessité de la présence hors de tout doute raisonnable de tous les
éléments constitutifs du meurtre au premier degré, y compris le
caractère «planifié et de propos délibérés».
III. Questions en litige

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1.
Le juge du procès a-t-il commis une erreur en permettant au ministère
public de présenter une contre-preuve relativement à la question de
savoir si l'appelant était bénéficiaire d'aide sociale?
2.
L'exposé du juge du procès au jury était-il approprié relativement à la
préméditation et au propos délibéré du meurtre au premier degré?
3.
L'exposé du juge du procès au jury était-il insuffisant en ce qu'il ne
mentionnait pas la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire
coupable?
IV. Analyse
1. La contre-preuve
Dans l'arrêt Krause, précité, notre Cour a formulé les principes régissant
la présentation d'une contre-preuve. La règle générale porte que le substitut du
procureur général, en contre-interrogeant un accusé, n'est pas limité aux sujets qui
se rattachent strictement aux questions essentielles d'une affaire. Les avocats
jouissent, en matière de contre-interrogatoire, d'une grande liberté qui leur permet
de vérifier et d'attaquer les dépositions des témoins et leur crédibilité. Toutefois,
lorsque le substitut du procureur général pose des questions qui ne se rattachent
pas à une question essentielle aux fins de la détermination de l'affaire, le ministère
public est lié par les réponses données et ne peut présenter de contre-preuve pour
contester les déclarations faites par le témoin. Le bien-fondé de cette règle a été
expliqué par le juge McIntyre dans l'arrêt Krause, aux pp. 473 et 474:

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Cette règle empêche les surprises injustes, les préjudices et la confusion
qui pourraient résulter si le ministère public ou le demandeur était
autorisé à scinder sa preuve, c'est-à-dire, à présenter une partie de ses
éléments de preuve -- autant qu'il l'estime nécessaire au départ -- pour
ensuite terminer la présentation de sa preuve et, après la fin de
l'argumentation de la défense, ajouter d'autres éléments de preuve à
l'appui de la position présentée au début. La raison d'être de cette règle
est que le défendeur ou l'accusé a le droit à la fin de la présentation de
la preuve du ministère public de disposer de la preuve complète du
ministère public de manière à savoir, dès le début, ce à quoi il doit
répondre.
Toutefois, il y a exception à cette règle lorsque la défense soulève de nouvelles
questions ou de nouveaux moyens de défense dont le ministère public n'a pas eu
l'occasion de traiter dans sa preuve principale et qu'il ne pouvait pas
raisonnablement prévoir. Le juge McIntyre a fait la mise en garde suivante
relativement à cette exception, à la p. 474:
. . . la contre-preuve n'est pas permise en ce qui a trait à des questions
qui confirment ou renforcent simplement des éléments de preuve
soumis précédemment dans le cadre de la preuve du ministère public
et qui auraient pu être soumis avant la présentation de la défense. Elle
ne sera autorisée que si elle est nécessaire pour assurer qu'à la fin de
l'audience chaque partie aura eu une chance égale d'entendre les
arguments complets de l'autre et d'y répondre.
Il a ajouté les commentaires suivants relativement à la règle interdisant la
présentation d'une contre-preuve sur des questions incidentes:
Lorsqu'un élément nouveau ressort du contre-interrogatoire, nouveau
dans le sens que le ministère public n'a pas eu l'occasion d'en traiter
dans sa preuve principale (c.-à-d. qu'il n'avait aucune raison de prévoir
que la question serait soulevée), et lorsque la question porte sur le fond
de l'affaire (c.-à-d. sur une question essentielle pour statuer sur
l'affaire), le ministère public peut alors être autorisé à présenter une
contre-preuve. Toutefois, lorsque la nouvelle question est incidente,
c'est-à-dire, non déterminante quant à une question soulevée dans les
plaidoiries ou dans l'acte d'accusation ou sans rapport avec des

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questions dont la preuve est nécessaire pour trancher l'affaire, aucune
contre-preuve ne sera autorisée. [Je souligne.]
En l'espèce, on a soutenu que la contre-preuve servait seulement à
confirmer que l'appelant avait volé de l'argent dans la résidence des Ford.
L'appelant a admis avoir volé des articles dans la maison des Ford; en
conséquence, on a soutenu que la contre-preuve n'était pas déterminante quant aux
éléments qui doivent être prouvés pour trancher le présent pourvoi.
À mon avis, la question primordiale en ce qui concerne l'admission
d'une contre-preuve n'est pas de savoir si la preuve que le ministère public cherche
à présenter est déterminante quant à une question essentielle, mais bien de savoir
si elle se rapporte à une question essentielle qui peut être déterminante pour
trancher l'affaire. Si la contre-preuve porte sur un élément essentiel du litige et si
le ministère public ne pouvait prévoir que cette preuve serait nécessaire, alors elle
est généralement admissible. En conséquence, lorsqu'un témoin fait, au cours de
son témoignage au procès, une déclaration qui entre en conflit avec d'autres
éléments de preuve portant sur une question essentielle, la contre-preuve sera
autorisée pour résoudre ce conflit.
Il est vrai que le ministère public ne peut scinder sa preuve pour obtenir
un avantage injuste. Il ne devrait pas non plus être autorisé à présenter une
contre-preuve relativement à une question purement incidente. Toutefois, la
présentation d'une contre-preuve peut être autorisée si elle se rapporte à une
question essentielle de l'affaire. Dans ces circonstances, il serait erroné de priver
le juge des faits d'une preuve importante se rapportant à un élément essentiel du

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litige. Un procès, plus particulièrement un procès criminel, doit se dérouler
conformément aux règles d'équité de façon à garantir la protection de la personne
accusée. Toutefois, les règles ne devraient pas aller jusqu'à priver le juge des faits
d'éléments de preuve importants, susceptibles d'être utiles à la solution d'un
élément essentiel du litige.
Examinons maintenant la situation en l'espèce. Le ministère public
devait nécessairement établir qu'Aalders avait commis un vol à la résidence des
Ford, et, à la fois, que ce vol était prémédité et que le meurtre de Lawrence Ford
avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. Le ministère public
tenait beaucoup à faire ressortir l'importance du vol qualifié pour Aalders. En
réalité, vu le volume et le poids des articles volés, Aalders avait besoin d'un
véhicule pour les transporter. Il devait donc attendre dans la maison le retour de
M. Ford à l'heure du déjeuner pour pouvoir tirer sur lui et prendre son véhicule.
En outre, afin d'établir l'importance du vol qualifié pour Aalders, le ministère
public devait nécessairement établir qu'Aalders avait en sa possession l'argent qu'il
avait pris à la résidence des Ford et qu'il en avait besoin.
Au procès, Aalders a témoigné qu'il n'avait pas l'intention de voler
lorsqu'il est arrivé à la maison, mais qu'il voulait simplement demander à M. Ford
de le ramener de la gare plus tard. Il a admis avoir commis le vol une fois entré
dans la maison, mais il a dit que c'est sa mère ou sa grand-mère qui lui avait donné
les deux billets de cinq dollars et le billet de deux dollars (qui paraissaient assez
anciens) qui étaient en sa possession lorsqu'il a été arrêté. Toutefois, selon le
témoignage du fils de la victime, ces billets pourraient bien faire partie de la
collection de billets anciens conservée par son père et sa s{oe}ur. Aalders a aussi

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témoigné que la somme de 141 $ qu'il avait sur lui lors de son arrestation provenait
d'un chèque d'aide sociale qu'il avait reçu et encaissé. On a cherché à faire paraître
le vol qualifié comme quelque chose de spontané, commis sur un coup de tête et
comme un incident qui avait relativement peu d'importance pour Aalders puisqu'il
avait d'autres sources de revenus.
Le ministère public n'avait aucun moyen de savoir que l'appelant allait
témoigner ainsi vu la déclaration antérieure qu'il avait faite. Il n'est pas suffisant
de dire qu'Aalders a admis avoir commis le vol qualifié parce qu'il a aussi nié
d'importants aspects de ce vol de manière à le présenter non seulement sous un jour
plus favorable pour lui mais aussi d'une façon erronée et trompeuse. Les
témoignages des fonctionnaires de l'aide sociale qui ont affirmé qu'Aalders n'a
jamais été bénéficiaire d'aide sociale étaient pertinents et importants parce qu'ils
servaient à établir que le vol qualifié était, selon toute probabilité, la source de
toutes les sommes d'argent trouvées en la possession de l'appelant lors de son
arrestation. Ces témoignages étaient aussi importants relativement à l'accusation
de meurtre puisqu'ils pouvaient raisonnablement permettre de déduire que le vol
était important pour Aalders. On peut déduire de la preuve que le meurtre de Ford,
dans le but d'obtenir la voiture de ce dernier, faisait partie intégrante du vol
qualifié. Les témoignages concernant les détails du vol constituaient une partie
importante de la preuve du ministère public. La nature et les détails du vol
n'étaient pas une question incidente; ils étaient plutôt un aspect essentiel de la
preuve. Dans les circonstances de l'espèce, le ministère public était justifié de
présenter une contre-preuve pour établir l'importance du vol qualifié pour Aalders.

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Il y a lieu d'autoriser la présentation d'une contre-preuve en l'espèce non
seulement parce que cette contre-preuve permettra d'attaquer la crédibilité
d'Aalders, tout témoignage étant, dans une certaine mesure, assujetti à un test de
crédibilité, mais plutôt parce que l'élément de preuve en question porte sur un
élément essentiel de la preuve et que le ministère public ne pouvait prévoir que
l'accusé allait témoigner de cette façon, ce qui rend la contre-preuve admissible.
L'aveu même de la perpétration du vol qualifié, fait par l'appelant au cours de son
témoignage dans lequel il a faussé la nature de ce vol et changé d'importants
détails, ne peut donner lieu à la conclusion que la contre-preuve porte seulement
sur des questions incidentes. Les déclarations faites par Aalders aux policiers,
déclarées admissibles au procès, différaient de son témoignage; il était donc
important que soit clarifiée toute confusion entre les déclarations et le témoignage
sur ce point essentiel. Cette clarification ne pouvait être obtenue que par
contre-preuve. On ne peut alors affirmer que la contre-preuve permettait au
ministère public de scinder sa preuve.
À l'appui de sa position, l'appelant a invoqué deux arrêts. Le premier
est l'arrêt Krause, précité. Comme je l'ai indiqué, l'admission de la contre-preuve
en l'espèce ne va pas à l'encontre des principes formulés dans l'arrêt Krause. Il
importe également de tenir compte des faits fort différents de cet arrêt. Krause
avait témoigné non seulement en ce qui concerne les circonstances qui entouraient
le meurtre, mais aussi relativement à sa collaboration avec la police dans le cours
de l'enquête sur le meurtre. Le ministère public avait contre-interrogé Krause
relativement aux déclarations qu'il avait faites aux policiers et avait alors demandé,
conformément à l'art. 11 de la Loi sur la preuve au Canada, d'être autorisé à
présenter une contre-preuve après la présentation de la défense.

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Le juge McIntyre, s'exprimant au nom de notre Cour à l'unanimité, a
conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant admissible et
en autorisant le contre-interrogatoire au sujet de la déclaration faite à la police
puisque l'accusé n'avait fait aucune déclaration incompatible dans le cours de son
témoignage. Notre Cour a statué que l'élément de preuve à l'égard duquel la
présentation de la contre-preuve a été autorisée traitait de la déclaration de l'accusé
selon laquelle les policiers l'avaient harcelé avant son arrestation. Notre Cour a
statué que cela était une question incidente qui n'était ni pertinente ni importante
en ce qui a trait à la question de savoir si l'accusé avait tué la victime. Le
témoignage de l'accusé portait atteinte seulement à l'intégrité de la police mais il
ne touchait pas à la question de sa culpabilité ou de son innocence. Les faits
étaient fort différents de ceux de l'espèce. En l'espèce, la contre-preuve touchait
à une question essentielle à la détermination du litige.
L'appelant a aussi invoqué l'arrêt Latour, précité. Latour avait été
accusé de vol qualifié dans une bijouterie. Lors du procès, on a soutenu que Latour
avait un alibi. En tentant d'attaquer ce moyen de défense, le ministère public avait
demandé à Latour s'il s'était rendu dans une certaine bijouterie, à des dates
spécifiées, trois mois après le vol en question. Le ministère public avait présenté
une contre-preuve seulement relativement à la question incidente de la présence
de Latour dans une autre bijouterie à une date ultérieure. Notre Cour a statué que
la contre-preuve n'aurait pas dû être autorisée puisqu'elle ne se rapportait à aucun
des éléments concernant le vol qualifié, ni à l'alibi ni, en fait, à aucune autre
question substantielle soulevée. La contre-preuve visait seulement à discréditer le
témoignage de l'appelant en attaquant sa crédibilité relativement à une question
purement incidente. Cette contre-preuve était en conséquence irrégulière et

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inadmissible. Encore une fois, cet arrêt est fort différent du présent pourvoi et se
distingue facilement d'avec ce dernier où la contre-preuve portait sur une question
essentielle qui faisait partie intégrante de la preuve de la poursuite.
2. Le caractère approprié de l'exposé sur le meurtre au premier degré
Il n'y a aucun doute que la préméditation et le propos délibéré sont des
éléments distincts du meurtre au premier degré, lesquels doivent être prouvés hors
de tout doute raisonnable. Dans l'arrêt More, précité, le juge Cartwright (alors juge
puîné) écrit aux pp. 533 et 534:
[TRADUCTION] La preuve à l'effet que l'appelant avait projeté le
meurtre était très concluante, mais, comme le savant juge de première
instance l'a signalé au jury avec raison, les jurés ne pouvaient trouver
l'accusé coupable de meurtre qualifié à moins d'être convaincus hors de
tout doute raisonnable non seulement que l'accusé avait projeté de
commettre le meurtre, mais aussi qu'il l'avait commis de propos
délibéré. Le savant juge de première instance a, à juste titre, indiqué
au jury que le mot «délibéré» à l'art. 202A(2)a) signifie «réfléchi, non
impulsif».
Les autres sens que l'Oxford Dictionary donne au mot «deliberate»
(délibéré) sont [TRADUCTION] «peu empressé dans sa décision», «lent
à décider», et «intentionnel». Dans ce paragraphe, le mot «délibéré»
ne peut pas avoir uniquement le sens de «intentionnel» parce que c'est
seulement si son acte a été intentionnel que l'accusé peut être déclaré
coupable de meurtre. Ce paragraphe exige la preuve d'un élément de
plus pour qu'un prévenu puisse être déclaré coupable de meurtre
qualifié.
L'appelant soutient que le juge du procès a omis de faire la distinction
qui s'impose entre les éléments concernant la préméditation et le propos délibéré.
Je ne peux accepter cette prétention. Il ressort de la lecture de l'ensemble de
l'exposé que le jury a reçu les directives appropriées relativement aux éléments

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«préméditation» et «propos délibéré». À plusieurs reprises, le juge du procès a dit
au jury que, pour déclarer l'appelant coupable de meurtre au premier degré, il
devait conclure que l'acte avait été «planifié et voulu». Dans la description écrite
des éléments du meurtre au premier degré qu'il a remise au jury, le juge du procès
indique clairement dans le dernier paragraphe que le ministère public a le fardeau
de prouver hors de tout doute raisonnable que le meurtre a été commis «avec
préméditation et de propos délibérés». Ces directives ont été répétées plusieurs
fois au jury. À titre d'exemple, la directive ci-après indique clairement au jury le
sens distinct des termes «avec préméditation» et de «propos délibéré»:
Alors en droit criminel, l'expression «préméditation et de propos
délibérés» signifie: le dessein réfléchi qui a précédé l'exécution d'un
acte illégal. Alors c'est l'accomplissement d'un acte illégal après y
avoir pensé. C'est un acte planifié et voulu.
Le jury a demandé une question sur la préméditation et le propos
délibéré. Le juge du procès doit bien entendu répondre aux questions du jury avec
précision et suffisamment de détails. L'appelant soutient que la réponse du juge
du procès a jeté une certaine confusion. Cependant, à mon avis, cette réponse était
appropriée. Pour définir le terme «planifié», le juge du procès a dit:
Souvent on emploie, au lieu de toujours employer l'expression au long
«préméditation et de propos délibérés», bien on peut résumer en disant
«planifier, préparer à l'avance, y avoir pensé à l'avance, penser à
quelque chose à l'avance», c'est un peu ça la préméditation.
À mon avis, cette directive, était particulièrement appropriée compte
tenu des faits de l'affaire. Tout au long du procès, le ministère public a soutenu
que le vol qualifié et le meurtre avaient été longuement préparés et qu'ils avaient

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été exécutés avec froideur et lucidité. Je suis d'accord avec la description que le
juge Chouinard de la Cour d'appel a présenté dans ses motifs, à la p. 2112:
Ces deux éléments étaient, dans l'espèce, particulièrement reliés.
Comment en effet, concevoir que le meurtre de la victime, exécuté
comme il le fut, pouvait dans l'esprit des jurés être isolé de la notion
d'accomplissement longuement décrit, pour se restreindre à la
préméditation? La thèse de la poursuite, je le répète, affirmait en effet
une longue préparation et une exécution accomplie avec froideur et
lucidité.
Les directives que le juge du procès a données au jury sur la question
de la préméditation et du propos délibéré précisaient clairement qu'il s'agissait de
deux concepts distincts, c'est-à-dire d'éléments distincts du meurtre au premier
degré, lesquels devaient être prouvés hors de tout doute raisonnable. Il importe de
signaler que le juge a répondu d'une façon longue et détaillée à la question du jury.
Il a repris ses directives initiales et passé en revue la description écrite qu'il avait
remise au jury. Les directives orales et écrites faisaient ressortir que le ministère
public devait prouver, hors de tout doute raisonnable, et l'élément «préméditation»
et l'élément «propos délibéré».
3. L'homicide involontaire coupable
L'appelant soutient que le juge du procès aurait dû informer le jury de
la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire coupable. S'il avait été
vraisemblable, selon la preuve, de soutenir qu'Aalders n'avait pas eu l'intention de
tuer Lawrence Ford ni de lui causer des lésions corporelles qu'il savait de nature
à causer la mort, la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire coupable aurait

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alors dû être présentée au jury. Voir les arrêts R. c. Squire, [1977] 2 R.C.S. 13;
Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120, et R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265.
La preuve présentée est le témoignage d'Aalders qui a dit ne pas avoir
voulu tuer M. Ford, mais seulement lui tirer dans les jambes. À mon avis, pris
dans le contexte de l'ensemble de la preuve, ce témoignage n'a aucune
vraisemblance.
L'appelant est arrivé à la résidence des Ford à huit heures. Il
connaissait les habitudes de la famille et savait fort bien que personne ne se
trouverait à la maison. Il s'est introduit par effraction et a immédiatement trouvé
et chargé la carabine 30.30, qu'il a aussitôt utilisée pour faire taire le chien. Il a
ensuite pris le pistolet de calibre .32, plus petit et plus commode. Il est alors allé
à l'étage et au sous-sol pour chercher des munitions pour le pistolet. Il a fait feu
sur la serrure d'un coffret où il a trouvé d'autres munitions. Il a ensuite chargé le
pistolet et l'a placé dans sa ceinture. Dans son témoignage, il a dit avoir fait cela
de crainte d'être surpris pendant le vol. Il a ensuite rassemblé tous les articles qu'il
voulait voler et les a placés près de la porte arrière.
Il est difficile de croire que l'appelant n'aurait pu sortir les articles volés
de la maison, les apporter dans le bois ou quitter les lieux avec l'argent s'il l'avait
voulu. Il a plutôt guetté l'arrivée de Lawrence Ford qu'il attendait vers midi, soit
plus de quatre heures après son introduction dans la maison. Il a pris soin de se
cacher dans la salle de bains. Lorsque Ford a vu son chien mort et s'est retourné
vers la salle de bains, Aalders s'est avancé vers lui et a fait feu. Ford a été atteint
par huit balles, dont seulement une dans la région des jambes et le reste dans le

- 32 -
torse et le cou. Ford a été exécuté et est décédé par suite des nombreux projectiles
dont il a été atteint. Dans ces circonstances, je ne crois pas que le témoignage
d'Aalders pourrait vraisemblablement être interprété de façon à soutenir qu'il
permet de soulever la défense d'homicide involontaire coupable. Tout porte à
croire que le meurtre a été commis de sang-froid, avec préméditation et de propos
délibéré. Il n'aurait donc pas été approprié de mentionner au jury la possibilité
d'homicide involontaire coupable.
V. Conclusion et dispositif
C'est à bon droit que la contre-preuve du ministère public a été déclarée
admissible. Les directives données au jury sur la préméditation et le propos
délibéré étaient appropriées. Le moyen de défense d'homicide involontaire
coupable n'avait aucune vraisemblance. En définitive, je suis d'avis de rejeter le
pourvoi.
//Le juge Sopinka//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE SOPINKA (dissident) -- L'appelant soutient que le juge du procès
a commis une erreur en permettant la présentation d'une contre-preuve contredisant
le témoignage de l'appelant qui, lors du contre-interrogatoire, a affirmé avoir reçu
des prestations d'aide sociale. Notre Cour a examiné les règles qui régissent la
contre-preuve dans R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466. Le juge McIntyre y a
indiqué, à la p. 474:

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Le demandeur ou le ministère public peut être autorisé à présenter
une contre-preuve après la fin de l'argumentation de la défense, lorsque
la défense a soulevé de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de
défense dont le ministère public n'a pas eu l'occasion de traiter et que
le ministère public ou le demandeur ne pouvait pas raisonnablement
prévoir. Toutefois, la contre-preuve n'est pas permise en ce qui a trait
à des questions qui confirment ou renforcent simplement des éléments
de preuve soumis précédemment dans le cadre de la preuve du
ministère public et qui auraient pu être soumis avant la présentation de
la défense. Elle ne sera autorisée que si elle est nécessaire pour assurer
qu'à la fin de l'audience chaque partie aura eu une chance égale
d'entendre les arguments complets de l'autre et d'y répondre.
Les mêmes principes s'appliquent essentiellement au
contre-interrogatoire des témoins. En contre-interrogeant un accusé,
l'avocat du ministère public n'est pas limité aux sujets qui se rattachent
strictement aux questions essentielles d'une affaire. Les avocats
jouissent, en matière de contre-interrogatoire, d'une grande liberté qui
leur permet de vérifier et d'attaquer les dépositions des témoins et leur
crédibilité. Lorsqu'un élément nouveau ressort du
contre-interrogatoire, nouveau dans le sens que le ministère public n'a
pas eu l'occasion d'en traiter dans sa preuve principale (c.-à-d. qu'il
n'avait aucune raison de prévoir que la question serait soulevée), et
lorsque la question porte sur le fond de l'affaire (c.-à-d. sur une
question essentielle pour statuer sur l'affaire), le ministère public peut
alors être autorisé à présenter une contre-preuve. Toutefois, lorsque la
nouvelle question est incidente, c'est-à-dire, non déterminante quant à
une question soulevée dans les plaidoiries ou dans l'acte d'accusation
ou sans rapport avec des questions dont la preuve est nécessaire pour
trancher l'affaire, aucune contre-preuve ne sera autorisée. [Je
souligne.]
Le rapport entre le contre-interrogatoire et la contre-preuve a été décrit
en des termes semblables dans McCormick on Evidence (4e éd. 1992), vol. 1, aux
pp. 182 et 183:
[TRADUCTION] Tous les moyens qui peuvent être utilisés en
contre-interrogatoire pour contester la déposition du témoin ont pour
but, notamment, de vérifier sa crédibilité. L'utilisation plus restreinte
d'une preuve extrinsèque visant à contredire un témoin est commandée
par le risque de confondre les questions, d'induire le jury en erreur, de
perdre déraisonnablement du temps et de causer un préjudice injuste
par l'introduction de questions dites incidentes. Si une question est
considérée incidente, la déposition du témoin donnée au cours de
l'interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire tient, et le

- 34 -
contre-interrogateur doit s'en tenir à la réponse du témoin; la preuve
extrinsèque, c'est-à-dire la preuve qui n'est pas déposée par le témoin
lui-même, et qui vise à le contredire, est interdite. Si la question n'est
pas incidente, la preuve extrinsèque peut être introduite pour contester
la déposition du témoin lors de l'interrogatoire principal ou sa négation
de l'exactitude des faits avancés dans une question posée en
contre-interrogatoire.
L'intimée soutient que l'admission de la contre-preuve était justifiée
compte tenu des différences entre la déclaration de l'appelant aux policiers et son
témoignage. Dans sa déclaration aux policiers, l'appelant a affirmé s'être rendu
chez les Ford pour s'y introduire par effraction. Dans son témoignage, il a déclaré
s'y être rendu pour demander une faveur à la victime. Dans sa déclaration,
l'appelant n'a pas mentionné avoir pointé le pistolet en direction des jambes de la
victime alors qu'il l'a déclaré dans son témoignage, en plus d'y affirmer n'avoir eu
aucune intention de tuer la victime. La déclaration est muette sur la provenance
de l'argent trouvé en possession de l'appelant au moment de son arrestation. Au
cours de l'interrogatoire principal, l'appelant a soutenu avoir reçu de vieux billets
de banques de sa mère ou de sa grand-mère. Au cours du contre-interrogatoire, il
a prétendu que les autres sommes d'argent trouvées en sa possession provenaient
d'un chèque d'aide sociale. Selon la contre-preuve offerte par deux employés de
l'aide sociale, l'appelant n'a jamais reçu d'aide, ses demandes ayant été rejetées.
L'intimée soutient que l'appelant a nié avoir eu l'intention de commettre
un vol qualifié et que la contre-preuve a démontré la possession récente d'objets
volés, élément essentiel pour établir que le vol qualifié était intentionnel. L'intimée
a invoqué la thèse du juge Tourigny de la Cour d'appel, qui a conclu que le
témoignage de l'appelant «est à l'effet qu'il s'est rendu chez les Ford sans aucune
intention criminelle et, à la rigueur, qu'il n'y a peut-être même pas eu de vol avec

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effraction» ([1991] R.J.Q. 2097, à la p. 2118). Avec égards, la preuve n'étaye pas
une telle analyse. Bien qu'il ait effectivement changé son récit sur la nature de ses
intentions au moment où il se rendait chez les Ford, l'appelant n'a jamais modifié
son récit sur le vol qualifié comme tel. La contre-preuve n'était pertinente que
relativement à ce second élément, qui avait été admis par l'appelant.
Dans son témoignage principal, l'appelant a précisément admis avoir
commis un vol à la fois dans la résidence et sur la personne de la victime:
J'ai fouillé dans ses poches jusqu'à ce que je trouve les clés.
Et son portefeuille était dans la même poche, alors je l'ai sorti, je l'ai
ouvert et j'ai pris tout l'argent qu'il y avait à l'intérieur. Je suis retourné
en bas et j'ai pris l'argent, les armes et le vin et j'ai ramené tout ça en
haut. J'ai pris les clés et j'ai ouvert le coffre arrière de la voiture et j'ai
tout mis dans le coffre arrière de la voiture, et j'ai fermé le coffre. . .
Après ça, je suis entré dans la voiture, j'ai lancé le moteur et j'ai quitté
la maison.
Au contre-interrogatoire, le témoignage de l'appelant sur ces éléments n'a pas été
directement remis en question, et l'appelant n'a pas tenté de nier le vol qualifié. Au
contraire, comme l'échange suivant le démontre, il l'a admis à nouveau:
Q. L'argent que vous avez pris, il y avait des billets américains, il y
avait des billets canadiens?
R. Je pense que oui.
La contre-preuve offerte par les employés de l'aide sociale n'était pas
pertinente quant à l'affirmation de l'appelant qu'il n'avait pas l'intention de tuer la
victime, et elle était tout à fait inutile pour établir le vol qualifié, l'appelant

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lui-même ayant admis, lors de son témoignage, l'avoir commis. L'intimée avait le
droit de contre-interroger l'appelant sur des faits incidents afin de miner sa
crédibilité, mais une fois qu'elle l'avait fait, elle devait s'en tenir à ses réponses.
Si on la replace dans le contexte, la contre-preuve a attaqué la crédibilité de
l'appelant sur la seule question de savoir s'il avait été bénéficiaire d'aide sociale,
une question incidente soulevée pour la première fois lors du contre-interrogatoire.
L'intimée a également invoqué les motifs du juge Tourigny, soutenant
que l'appelant a fait de sa crédibilité un élément essentiel en offrant un témoignage
différent de sa déclaration faite aux policiers. Le juge Tourigny a indiqué (à la
p. 2118):
La crédibilité d'Aalders, par le choix qu'il a fait de son propre chef
et non pas dans le cadre d'un contre-interrogatoire, de changer sa
version des faits, devient une question non pas collatérale ou
accessoire, mais une question principale.
Chaque fois que l'accusé témoigne, sa crédibilité est en jeu. C'est
interpréter beaucoup trop largement l'arrêt Krause que d'admettre une
contre-preuve simplement parce que l'accusé a choisi de faire de sa crédibilité une
question en litige. Je suis d'accord avec le juge Proulx de la Cour d'appel lorsqu'il
dit (à la p. 2109):
En l'espèce, il n'était pas contesté par l'appelant qu'il avait dérobé
la victime de sommes d'argent non seulement sur sa personne mais
dans la résidence. En effet, l'appelant l'avait admis dans sa déclaration
et dans son témoignage; le juge, dans ses directives au jury, a même
pris ce fait pour acquis. Dans ce contexte, comment pouvait-il être
pertinent et important ou essentiel au litige de démontrer que,
contrairement à ce que l'appelant déclarait, l'argent trouvé en sa
possession au moment de son arrestation, soit trois jours après la

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commission du vol et de l'homicide, ne provenait pas du Bien-être
social? [En italique dans l'original.]
On ne peut remédier à une erreur de cette nature en appliquant la
réserve du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Dans
John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476, notre Cour a affirmé (aux pp. 481 et 482):
Le sous-alinéa 613(1)b)(iii) [maintenant l'al. 686(1)b)(iii)] du Code
criminel ne peut être invoqué dans ces circonstances. La Cour d'appel
ne peut, de façon vraiment réaliste, juger de nouveau l'affaire pour
déterminer la valeur des témoignages qui restent après avoir retiré du
dossier ceux offerts illégalement. La Cour d'appel n'a pas l'avantage de
voir les témoins et, de toute façon, on n'a jamais voulu qu'elle remplace
le jury en matière criminelle.
En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un
nouveau procès.
Pourvoi rejeté, le juge SOPINKA est dissident.
Procureurs de l'appelant: Lévesque, Labrecque & Associés, Québec.
Procureur de l'intimée: Georges Letendre, Québec.