JD 1648 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
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C.M.M: 199-114-323 |
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DATE : |
21 JANVIER 2003 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ANDRÉ DENIS, J.C.S. |
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THOMAS KEEFER, |
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Appelant-accusé |
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c. |
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SA MAJESTÉ LA REINE, |
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Intimée-poursuivante |
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N°: |
500-36-002818-022 |
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C.M.M: 199-114-430 |
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FREDERICK STOM, |
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Appelant-accusé |
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c. |
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SA MAJESTÉ LA REINE, |
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Intimée-poursuivante |
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JUGEMENT |
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[1] Le pourvoi porte sur une décision rendue par la Cour municipale de Montréal (le juge Jean-Pierre Bessette, verdict du 15 janvier 2002 et sentence du 30 mai 2002).
[2] Les appelants ont subi leur procès conjointement à l'égard des chefs d'accusation suivants:
« Le 4 novembre 1999, près de Maisonneuve et Mackay, district de Montréal, Thomas Keefer (1976-12-28) a volontairement entravé un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions, soit : l’agent Guy matricule 1918, du Service de police de la CUM, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue à l’article 129a) e) du Code criminel. »
« Le 4 novembre 1999, au 1455 de Maisonneuve ouest, district de Montréal, Frederick Stom (1963-06-28) a volontairement entravé un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions, soit : l’agent Miletto matricule 1505, du Service de police de la CUM, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue à l’article 129a) e) du Code criminel. »
[3] Le procès a nécessité huit jours d’audience entre le 26 janvier 2001 et le 15 janvier 2002, date du verdict. Les deux accusés sont trouvés coupables d’entrave au travail des agents de la paix.
[4] Le 30 mai 2002, le juge de première instance a accordé à l’appelant Stom une absolution inconditionnelle et l’appelant Keefer a bénéficié d’une absolution conditionnelle avec une probation d’une année.
[5] Le 3 novembre 1999, l'Association étudiante de l'Université Concordia à Montréal organise une manifestation visant à sensibiliser la population et les étudiants au problème du financement universitaire.
[6] La direction de l'université est prévenue et aurait autorisé la marche qui devait se dérouler aux abords de l'un de ses pavillons, angle Bishop et Maisonneuve.
[7] L'appelant Keefer est vice-président aux communications de l'Association et l'appelant Stom en est le directeur-général. Les deux participent évidemment à la manifestation en compagnie des autres membres de l'exécutif de l'Association.
[8] La manifestation se forme aux aurores soit vers 7h30. Deux mégaphones sont utilisés pour haranguer la foule. Les deux appareils sont commodément munis de sirènes servant sans doute à réchauffer le moral des troupes.
[9] À 8h30, deux policiers municipaux avisent Robert Green, président de l'Association que l'utilisation du porte-voix est contraire à la réglementation municipale sur le bruit et que les manifestants doivent cesser de l'utiliser.
[10] Les policiers avisent de même l'appelant Keefer. L’avertissement n’est pas suivi.
[11] À 10h00, les policiers décident de faire cesser la violation du règlement municipal sur le bruit en saisissant les mégaphones.
[12] Des policiers se dirigent vers Keefer et l'informent qu'un constat d'infraction lui est remis pour infraction au règlement municipal sur le bruit, Keefer continue à se servir du mégaphone et est arrêté pour entrave au travail des policiers puisqu'il refuse de remettre le mégaphone.
[13] Menotté, Keefer est amené au centre opérationnel où il est écroué. Il est libéré un peu plus tard après les formalités d'usage.
[14] D’autres policiers se dirigent vers Stom puisque après les carabinades d'usage visant à se passer le mégaphone de main à main, c'est ce dernier qui l'a en sa possession à l'arrivée des policiers.
[15] Voyant arriver les policiers, Stom se réfugie à l'intérieur de l'université. On l'informe alors de sa contravention au règlement municipal et on lui ordonne de remettre le mégaphone. Stom refuse et il est arrêté et accusé d'entrave au travail des policiers.
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[16] L’avis d’appel ne soulève qu’un motif : le caractère déraisonnable des verdicts de culpabilité.
[17] Plusieurs mois avant l’audition, les appelants ont donné avis à l’intimée et au tribunal de leur intention de soulever de nouveaux motifs d’appel fondés uniquement sur des questions de droit :
a) L’article 9 du Règlement sur le bruit, R.R.V.M., B-3, est invalide au motif qu’il est ultra vires;
b) L’article 9 du Règlement sur le bruit, R.R.V.M., B-3, est inconstitutionnel au motif qu’il porte atteinte indûment à la liberté d’expression protégée par l’al. 2b) de la Charte des droits et libertés;
c) En raison de l’invalidité et/ou du caractère inconstitutionnel du règlement, les policiers n’étaient pas dans l’exécution de leurs fonctions au moment de procéder à la saisie des mégaphones et l’arrestation des appelants.
[18] L’intimée accepte l’ajout de ces nouveaux motifs d’appel et la Cour reconnaît aux appelants le droit de bénéficier d’un changement important dans la loi ou la jurisprudence dans la mesure où l’affaire est toujours en cours.[1]
[19] Le 16 mai 1994, la Ville de Montréal adoptait le Règlement sur le bruit (R.R.V.M. B-3) dont l’article 9 se lit ainsi :
9. Outre le bruit mentionné à l’article 8, est spécifiquement prohibé lorsqu’il s’entend à l’extérieur :
1° le bruit produit au moyen d’appareils sonores, qu’ils soient situés à l’intérieur d’un bâtiment ou qu’ils soient installés ou utilisés à l’extérieur;
2° le bruit d’une sirène ou d’un autre dispositif d’alerte, sauf en conformité d’un permis délivré à cet effet ou sauf en cas de nécessité;
3° le bruit produit par un musicien ambulant au moyen d’instruments de musique ou d’objets utilisés comme tels, en tout temps s’il est fait usage d’instruments à percussion ou d’instruments fonctionnant à l’électricité, et en période de nuit dans les autres cas;
4° le bruit de cris, de clameurs, de chants, d’altercations ou d’imprécations et toute autre forme de tapage.
[20] Les policiers ont arrêté les appelants pour contravention à l’article 9 du Règlement sur le bruit.
[21] Le 27 avril 2000, le juge Jean-Guy Boilard de cette Cour dans l’affaire Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec inc. [2] déclare nul l’article 9 du Règlement sur le bruit de la Ville de Montréal puisque contraire à la liberté d’expression garantie par l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
[22] Le 12 août 2002, la Cour d’appel du Québec, dans une décision majoritaire confirme le jugement de la Cour supérieure.[3]
[23] Le 9 octobre 2002, la Ville de Montréal demande à la Cour suprême du Canada la permission d’en appeler du jugement de la Cour d’appel.
[24] À la date de l’audition des présents pourvois, aucune réponse n’a été déposée au greffe de la Cour suprême et aucune date d’examen de la requête n’est prévue.
[25] Pour des raisons que la Cour ignore, ni l’une, ni l’autre partie n’a fait référence au jugement de la Cour supérieure devant le juge de la Cour municipale bien que celui-ci ait été rendu bien avant la fin de l’enquête.
[26] Les appelants, dont la vie est bouleversée par une condamnation criminelle soumettent avoir le droit de se prévaloir de la jurisprudence de la Cour d’appel et prétendre que leur arrestation, faite sur la foi d’un règlement nul, était illégale.
[27] Il s’ensuivrait logiquement que l’accusation d’entrave au travail des policiers n’aurait plus d’assise légale.
[28] L’intimée soumet que le jugement de la Cour d’appel n’a pas acquis l’autorité de la chose jugée vu la cause pendante devant la Cour suprême.
[29] Elle ajoute que de toute façon, les articles 74 et 75 du Code de procédure pénale permettaient l’arrestation des appelants
[30] L’intimée a raison de soutenir qu’en droit civil la présomption de validité d’un règlement, déclaré invalide par une cour supérieure, subsiste pendant l’appel.[4]
[31] Nous sommes en droit pénal.
[32] Les appelants soulèvent pour la première fois comme moyen de défense un argument de droit sérieux : l’article du règlement sur lequel les policiers se sont fondés pour les arrêter a été déclaré ultra vires des pouvoirs de la Ville de Montréal par cette Cour en cela confirmée par une majorité de la Cour d’appel.
[33] Cette Cour n’a pas à se pencher sur les mérites de la dissidence du juge Chamberland comme on semble l’y inviter. Cet intéressant débat est réservé à la Cour suprême.
[34] Les auteurs Béliveau et Vauclair soulignent :
Nous devons également noter que l’exercice du droit d’appel n’a pas, comme c’est le cas en droit civil, un effet dévolutif sur la décision antérieure.[5]
[35] Le juge Jean-Guy Boilard de cette Cour dans Desroches c. Paquette[6] aux pages 10 et 11 :
Cependant, au risque de me répéter, en l’absence d’un texte législatif ou d’une ordonnance de la Cour d’appel, le jugement porté en appel, dans les matières régies par le Code criminel, continue de valoir dans tous ses effets. Ainsi l’incarcération de l’accusé, suite au verdict de culpabilité, article 457.8(1) (b) (ii) C.cr., peut être suspendu par la Cour d’appel. Si une peine de détention était imposée en guise de sentence, l’accusé devrait à nouveau s’adresser à la Cour d’appel pour être libéré. Telle était l’opinion émise par monsieur le juge Morden dans Re Morris and The Queen (Ont. C.A.) (1985) 21 C.C.C.(3) p. 242 aux pages 245 et 246 :
[…]
Cette démonstration suffit, il me semble, pour convaincre que les conséquences découlant de la décision de monsieur le juge Hannan ne sont pas suspendues du seul fait de l’appel.
[36] Dans cette affaire relative à l’indépendance des juges municipaux, le juge Boilard faisait référence à un autre jugement rendu par la Cour supérieure porté en appel et dont la décision n’était pas encore rendue.
[37] L’auteur Peter W. Hogg :[7]
Once a law has actually been held to be unconstitutional, even if the holding is under appeal, the public interest in the continued enforcement of the law is enormously diminished. The government is therefore usually unsuccessful in obtaining a stay of judgment to keep the law in force pending the decision on appeal.
[38] Le premier juge n’a pas eu l’avantage de prendre connaissance du jugement de cette Cour rendant inopérant l’article 9 du règlement non plus que celui de la Cour d’appel. L’eut-il fait que son jugement aurait pu être différent.
[39] Au stade des plaidoiries, le premier juge soulignait d’ailleurs :
Vous admettrez avec moi qu’il ne s’agit quand même pas de la manifestation la plus dérangeante ou de la plus violente…[8]
[40] Dans le contexte particulier de l’affaire, les appelants ont droit d’obtenir un jugement immédiatement sans attendre de connaître le sort du dossier suspendu en Cour suprême.
[41] Cette Cour bénéficie des enseignements de la Cour d’appel sur le caractère ultra vires de l’article 9 du Règlement sur le bruit et doit faire siens les commentaires de la majorité.
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[42] L’intervention des policiers, en arrêtant les appelants, était fondée exclusivement sur la violation de l’article 9 du Règlement sur le bruit comme la preuve le révèle et comme l’admettent les parties.
[43] La déclaration d’invalidité de l’article 9 par les tribunaux supérieurs rend illégale l’intervention des policiers et l’accusation d’entrave ne saurait être retenue.[9]
[44] Les auteurs Côté-Harper, Rainville et Turgeon[10]
L’invalidité d’un règlement municipal n’a pas pour seul effet d’empêcher des poursuites pénales en vertu dudit règlement. Elle peut avoir des répercussions sur d’autres infractions tel le crime d’entrave au travail d’un agent de la paix de l’article 129 C.cr. : il est impossible d’inculper d’entrave la personne qui refuse de se conformer aux directives du policier voulant faire respecter un règlement municipal ultra vires des pouvoirs de la municipalité. Le refus obstiné de se soumettre à un règlement municipal jugé par la suite ultra vires ne correspond pas à l’infraction décrite à l’article 129 C.cr.
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[45] Quant au second argument de l’intimée, voulant que les policiers aient eu quand même le pouvoir d’arrêter les appelants vu les articles 74 et 75 du Code de procédure pénale, il n’est pas retenu.
74 : Arrêt sans mandat. L’agent de la paix peut arrêter sans mandat la personne informée de l’infraction alléguée contre elle qui, lorsqu’il l’exige, ne lui déclare pas ou refuse de lui déclarer ses nom et adresse ou qui ne lui fournit pas les renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude.
75 : Arrêt sans mandat. L'agent de la paix qui constate qu'une personne est en train de commettre une infraction peut l'arrêter sans mandat si l'arrestation est le seul moyen raisonnable à sa disposition pour mettre un terme à la perpétration de l'infraction.
[46] D’une part, la preuve montre à l’évidence que les policiers ont agi en vertu de l’article 9 du règlement municipal et non en vertu du Code de procédure pénale. Les articles 74 et 75 C.p.p. ne sont pas des articles omnibus que l’on peut invoquer à toutes les fois que le véritable motif d’arrestation n’est pas retenu.
[47] La preuve ne montre pas clairement, puisque l’intention était tout autre, que les appelants ont refusé de s’identifier non plus que l’arrestation était le seul moyen raisonnable de faire cesser une infraction qui n’en est pas une.
[48] On lira avec intérêt à ce sujet les commentaires de la juge Arbour dans R. c. Greenbaum[11] repris par le juge Iacobucci dans l’arrêt Sharma.[12]
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[49] Les appels sont fondés et les appelants doivent être acquittés.
[50] PAR CES MOTIFS, LA COUR :
[51] ACCUEILLE l’appel.
[52] CASSE les deux verdicts de culpabilité.
[53]
ACQUITTE l’appelant Thomas Keefer dans le dossier
500-36-002817-024.
[54] ACQUITTE l’appelant Frederick Stom dans le dossier 500-36-002818-022.
[55] LE TOUT SANS FRAIS.
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ANDRÉ DENIS, J.C.S. |
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Me Gilles Ouimet |
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SHADLEY BATTISTA |
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Procureur de l'appelant |
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Me Marie-Claude Lauzanne |
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Cour municipale de Montréal |
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Procureurs de l'intimée |
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Date d’audience : |
7 janvier 2003 |
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[1]
Voir notamment R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246 et R.
c. Sarson, [1996] 2 R.C.S. 223
[2] C.S.M. 500-36-001972-994
[3]
J.E. 2002-1619 (C.A.) Les juges Fish, Chamberland (dissident) et Letarte
[4] Fernscraft Leather inc. c. Roll et al., jugement du 2 mars 1979, dossier 500-09-001270-784 Cour d’appel, les juges Owen, Bélanger et Bernier
[5] Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et de procédure pénales, 9e édition 2002, Les Éditions thémis, Montréal 2002, no. 2260
[7] Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada Fourth Edition, Carswell 1997 no. 55.2
[8] Audition du 18 décembre 2001, pp. 77, 78
[9]
Voir R. c. Sharma [1993] 1 R.C.S. 650
[10] CÔTÉ-HARPER, RAINVILLE et TURGEON, Traité de droit pénal canadien, 4e édition, Les Éditions Yvon Blais, Montréal 1998, p. 79
[12] Sharma précité par. 33