R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339
Brian Arp
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
et
Le procureur général du Canada,
le procureur général de l'Ontario
et le procureur général de l'Alberta
Intervenants
Répertorié: R. c. Arp
No du greffe: 26100.
1998: 18 juin; 1998: 26 novembre.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory,
McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.
en appel de la cour d'appel de la colombie-britannique
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Justice fondamentale --
Présomption d'innocence -- Norme de preuve applicable aux conclusions tirées d'une
preuve de faits similaires -- L'application de la norme civile porterait-elle atteinte aux
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principes de justice fondamentale et au droit à la présomption d'innocence garantis par
la Charte? -- Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d).
Droit criminel -- Preuve -- Preuve de faits similaires -- Norme de preuve
applicable aux conclusions tirées d'une preuve de faits similaires -- L'application de la
norme civile porterait-elle atteinte aux principes de justice fondamentale et au droit à
la présomption d'innocence garantis par la Charte? -- Charte canadienne des droits et
libertés, art. 7, 11d).
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Fouilles, perquisitions et saisies
abusives -- Échantillons de substances corporelles obtenus avec le consentement de
l'intéressé dans le cours d'une enquête sur un premier crime -- Échantillons saisis en
vertu d'un mandat et analysés dans le cadre d'une enquête sur un second crime --
L'admission en preuve des échantillons de substances corporelles a-t-elle porté atteinte
au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives
garanti par les art. 7 et 8 de la Charte -- Charte canadienne des droits et libertés, art. 7,
8.
Deux femmes ont été assassinées à deux ans et demi d'intervalle dans la
même ville et dans des circonstances similaires.
L'accusé a été arrêté après le premier meurtre. Il a fourni des échantillons
de cheveux et de poils pubiens aux policiers chargés de l'enquête, qui lui avaient
demandé s'il était intéressé à les aider à l'éliminer comme suspect. Les échantillons
devaient servir à déterminer si des cheveux ou des poils lui appartenant avaient été
trouvés à l'endroit où la victime avait été découverte. L'accusé a été libéré étant donné
qu'aucun échantillon ne correspondait à ceux prélevés sur le manteau de la victime.
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(L'utilisation des échantillons pour fins d'analyse génétique n'avait pas été envisagée
à ce moment-là.) Un policier a avisé l'accusé que si ces échantillons permettaient de
recueillir quelque élément de preuve, cet élément serait utilisé devant les tribunaux.
Dans le cadre de l'enquête menée sur le second meurtre, l'accusé a refusé
de fournir des échantillons de substances corporelles pour fins d'analyse génétique.
Toutefois, des mégots de cigarettes fumées par l'accusé ont été ramassés après
l'interrogatoire policier et soumis à des analyses génétiques. On a constaté une
concordance entre ces mégots et le sperme prélevé sur la seconde victime. Les cheveux
et les poils pubiens fournis par l'accusé au cours de l'enquête sur le premier meurtre ont
été utilisés pour des analyses génétiques et une concordance a été constatée entre ces
échantillons et les mégots de cigarette et le sperme. L'appelant a été arrêté et inculpé du
meurtre au premier degré de la seconde victime, puis il a à nouveau été arrêté à l'égard
du meurtre de la première victime et inculpé de meurtre au premier degré.
L'avocat de la défense a vainement demandé à deux reprises -- avant le
procès ainsi qu'à la fin d'un long voir-dire -- que les deux chefs d'accusation de meurtre
contenus dans l'acte d'accusation soient séparés. L'avocat a également contesté
l'admissibilité des échantillons prélevés et utilisés par les policiers pour les analyses
génétiques ainsi que l'admissibilité de la preuve génétique elle-même. La preuve a été
déclarée admissible. Un jury a reconnu l'accusé coupable des deux chefs d'accusation.
L'appel formé par ce dernier devant la Cour d'appel a été rejeté.
La présente affaire soulevait deux questions principales. Premièrement, pour
tirer des conclusions fondées sur une preuve de faits similaires, le jury doit-il être
convaincu que la même personne a commis les actes en question selon la norme de
preuve applicable en matière civile ou selon celle applicable en matière criminelle, et si
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la norme civile s'appliquait, y aurait-il atteinte aux principes de justice fondamentale
(art. 7) et au droit à la présomption d'innocence (al. 11d)) garantis par la Charte
canadienne des droits et libertés? Deuxièmement, l'admission en preuve d'échantillons
de cheveux et de poils obtenus avec le consentement de l'intéressé au cours d'une
enquête policière puis utilisés dans le cadre d'une enquête distincte a-t-elle porté atteinte
au droit de l'accusé d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies
abusives garanti par les art. 7 et 8 de la Charte?
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
Pour décider si une preuve de faits similaires doit être déclarée admissible,
la question fondamentale qui doit être tranchée est de savoir si la valeur probante de cette
preuve l'emporte sur son effet préjudiciable. Par conséquent, lorsque l'identité est un
point litigieux dans une affaire et qu'il est démontré que l'accusé a commis des actes
présentant des similitudes frappantes avec le crime reproché, le jury n'est pas invité à
inférer des habitudes ou de la disposition de l'accusé qu'il est le genre de personne qui
commettrait ce crime. Au contraire, le jury est plutôt invité à inférer du degré de
particularité ou de singularité qui existe entre le crime perpétré et l'acte similaire que
l'accusé est la personne même qui a commis le crime. Cette inférence n'est possible que
si le haut degré de similitude entre les actes rend une coïncidence objectivement
improbable. Une fois cette constatation préliminaire faite, les éléments de preuve relatifs
aux faits similaires (ou au chef d'accusation, dans un acte d'accusation comportant
plusieurs chefs) peuvent être admis pour prouver la perpétration d'un autre acte (ou chef
d'accusation).
Plusieurs suggestions ont été faites pour aider les juges dans leur démarche
concernant la preuve de faits similaires. Lorsqu'une preuve de faits similaires est
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produite pour établir l'identité, un degré élevé de similitude doit exister entre les actes
puisque cette preuve doit avoir une valeur probante qui l'emporte sur son effet
préjudiciable, conformément à ce qui est requis pour qu'elle soit admissible. La
similitude entre les actes peut consister en une marque ou signature singulière
caractérisant une série de similitudes importantes. Dans l'appréciation de la similitude
des actes, le juge du procès devrait uniquement examiner la façon dont les actes ont été
commis et non la preuve relative à la participation de l'accusé à chaque acte. Il est bien
possible qu'il y ait des exceptions, mais, en règle générale, si le juge du procès est
convaincu, lorsqu'il apprécie la similitude des actes de cette façon, qu'il existe entre les
actes un degré de similitude tel qu'il est probable que ces derniers ont été commis par
la même personne, la preuve de faits similaires aura ordinairement une force probante
suffisante pour l'emporter sur son effet préjudiciable et elle peut être admise. Le jury
sera alors en mesure d'examiner toute la preuve relative aux faits qui, prétend-on, sont
similaires pour déterminer si l'accusé est coupable d'avoir commis l'un ou l'autre des
actes. Le critère d'admissibilité d'une preuve de faits similaires produite pour établir
l'identité est le même, que les actes similaires allégués soient définitivement attribués
à l'accusé ou qu'ils fassent l'objet d'un acte d'accusation reprochant plusieurs chefs
d'accusation à l'accusé.
Lorsque les actes similaires allégués font partie d'un acte d'accusation
reprochant plusieurs chefs, la question de l'admissibilité d'une preuve de faits similaires
doit être prise en considération pour décider s'il convient de séparer les chefs
d'accusation. Une requête sollicitant la tenue de procès distincts doit être présentée par
l'accusé, lequel a alors le fardeau d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que
les intérêts de la justice exigent une ordonnance en ce sens. C'est au ministère public
qu'il appartient de démontrer que la preuve de faits similaires devrait être admise.
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Lorsque la preuve de faits similaires produite pour établir l'identité tend à
indiquer que les actes similaires ont été commis par la même personne, alors,
logiquement, cette constatation rend la preuve rattachant l'accusé à chaque acte similaire
pertinente à l'égard de la question de l'identité pour ce qui concerne l'infraction en
cause. De même, dans un acte d'accusation comportant plusieurs chefs d'accusation, le
lien entre l'accusé et un chef d'accusation sera pertinent à l'égard de la question de
l'identité pour ce qui est des autres chefs d'accusation qui révèlent une similitude
frappante du point de vue du mode de perpétration de ces infractions.
L'existence d'un lien entre l'accusé et les actes similaires allégués est
également une condition préalable à l'admissibilité. Il n'est pas nécessaire que la preuve
liant l'accusé aux actes similaires rattache les actes à l'accusé aussi. Une fois que le juge
du procès a conclu que les actes similaires sont probablement le fait d'une seule et même
personne, et qu'il existe des éléments de preuve rattachant l'accusé aux actes, il n'est pas
nécessaire de conclure que les actes similaires ont probablement été commis par
l'accusé. Le juge des faits doit trancher cette question en tenant compte de l'ensemble
des éléments de preuve se rapportant aux actes. La preuve d'une simple occasion ne
révélant rien d'autre que la possibilité que l'acte similaire soit le fait de l'accusé ne
suffira pas pour démontrer la participation de celui-ci à l'acte similaire allégué.
La norme de preuve qu'il convient d'appliquer à l'inférence fondamentale
tirée de la preuve de faits similaires est la prépondérance des probabilités. Comme la
valeur probante d'une preuve de faits similaires, en tant que preuve circonstancielle,
réside dans l'improbabilité d'une coïncidence, il n'est tout simplement pas logique
d'exiger qu'une des allégations soit prouvée hors de tout doute raisonnable comme
condition préalable à l'examen de cette preuve par le juge des faits. Bien qu'il soit
possible que, à elle seule, la preuve de faits similaires n'apporte pas une preuve hors de
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tout doute raisonnable, elle peut être invoquée pour aider à prouver une autre allégation
hors de tout doute raisonnable. (Il y a dérogation à la règle générale selon laquelle les
conclusions de fait préliminaires peuvent être tirées selon la prépondérance des
probabilités dans les cas, certes rares, où l'admission de la preuve peut elle-même avoir
un effet concluant en ce qui concerne la question de la culpabilité.) La bonne approche
en ce qui concerne l'examen d'une preuve de faits similaires par un jury est donc
l'approche «cumulative» ou approche de la «mise en commun». Par conséquent, en règle
générale, lorsqu'une preuve de faits similaires est produite pour établir l'identité, il
faudrait donner aux jurés la directive qu'une fois qu'ils ont conclu à l'existence d'une
probabilité suffisante que la même personne a commis les actes similaires allégués, ils
peuvent tenir compte de tous les éléments de preuve se rapportant aux actes similaires
pour décider si l'accusé est coupable de l'acte en question.
Lorsqu'une preuve de faits similaires est admise pour établir l'identité dans
le cadre d'un acte d'accusation comportant plusieurs chefs, un bon exposé au jury devrait
inclure les facteurs suivants:
(1) Le juge du procès devrait dire aux jurés qu'ils peuvent conclure, à la
lumière de la preuve -- quoique rien ne les oblige à le faire -- que le mode de perpétration
des infractions présente des similitudes telles qu'il est probable qu'elles ont été
commises par la même personne.
(2) Le juge du procès devrait ensuite passer en revue les similitudes entre les
infractions.
(3) Puis, le juge du procès devrait dire aux jurés que, s'ils concluent qu'il est
probable que la même personne a commis plus d'une des infractions, alors la preuve
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relative à chacun de ces chefs d'accusation peut les aider à décider si l'accusé a commis
les autres chefs d'accusation similaires.
(4) Le juge du procès doit dire aux jurés que, s'ils acceptent la preuve des
actes similaires, cette preuve est pertinente, mais uniquement à l'égard de la fin limitée
pour laquelle elle a été admise.
(5) Les jurés doivent être avertis qu'ils ne peuvent pas utiliser la preuve
relative à un chef d'accusation pour inférer que l'accusé est une personne possédant une
nature ou une disposition telle qu'elle a probablement commis les infractions reprochées
dans les autres chefs d'accusation.
(6) Si les jurés ne concluent pas qu'il est probable que la même personne a
commis les infractions similaires, ils doivent rendre leur verdict en examinant la preuve
relative à chaque chef d'accusation séparément, et faire abstraction de la preuve relative
aux autres chefs d'accusation.
(7) Enfin, le juge du procès doit indiquer clairement aux jurés qu'ils ne
doivent déclarer l'accusé coupable d'un chef d'accusation que s'ils sont convaincus hors
de tout doute raisonnable que l'accusé est coupable de l'infraction en question.
La directive qu'a donnée le juge du procès aux jurés -- c'est-à-dire que s'ils
concluaient que les infractions reprochées dans les deux chefs d'accusation avaient
probablement été commises par la même personne, ils pouvaient utiliser la preuve
relative à chaque chef pour statuer sur la culpabilité de l'accusé à l'égard des deux chefs
d'accusation -- ne porte atteinte ni à l'art. 7 ni à l'al. 11d) de la Charte. La directive
supplémentaire indiquant aux jurés de décider si l'accusé était coupable du second
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meurtre et si les infractions reprochées dans les deux chefs d'accusation avaient été
commises par une seule et même personne avant d'utiliser la preuve relative aux deux
chefs à l'égard de l'un et l'autre chef ne peut pas avoir causé préjudice à l'accusé.
Pour que le consentement au prélèvement d'échantillons de substances
corporelles soit valide, il doit reposer sur un consentement éclairé. Toutefois, si ni les
policiers ni la personne qui donne son consentement ne limitent l'utilisation qui peut être
faite de l'élément de preuve, alors, en règle générale, l'utilisation de cet élément de
preuve ne devrait être assortie d'aucune limite ou restriction. L'obligation faite aux
policiers d'obtenir un consentement valide ne concerne que la divulgation des objectifs
visés et déjà connus des policiers lorsque le consentement est donné. En l'absence de
toute restriction dont les policiers ou la partie donnant son consentement auraient assorti
l'utilisation devant être faite des échantillons de cheveux ou de poils, il n'y a rien
d'intrinsèquement injuste ou illégal dans le fait de permettre à des policiers de conserver
des éléments de preuve recueillis dans le cadre d'une enquête donnée et de les utiliser
dans une enquête subséquente qui n'était pas prévue au moment où le consentement a
été donné. Une fois les échantillons de cheveux et de poils prélevés par les policiers
avec le consentement inconditionnel et raisonnablement éclairé de l'accusé, celui-ci a
cessé d'avoir à l'égard de ces échantillons des attentes en matière de respect de sa vie
privée. Il est inutile de se demander si, après avoir consenti inconditionnellement au
prélèvement des échantillons par les policiers, l'accusé a pu conserver un droit au respect
de sa vie privée à l'égard de ces échantillons ou des renseignements susceptibles d'en
être tirés.
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Jurisprudence
Arrêt critiqué: Director of Public Prosecutions c. Boardman, [1975] A.C.
421; arrêts examinés: R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145
; R. c. B. (C.R.), [1990] 1
R.C.S. 717; R. c. P., [1991] 3 All E.R. 337; R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938; arrêts
mentionnés: R. c. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337; R. c. Lawson (1994), 45
B.C.A.C. 14; R. c. Doan (1996), 81 B.C.A.C. 192; R. c. Morin, [1998] 2 R.C.S. 345;
Koufis c. The King, [1941] R.C.S. 481; R. c. Morris, [1983] 2 R.C.S. 190; R. c. D. (L.E.),
[1989] 2 R.C.S. 111; Hoch c. The Queen (1988), 165 C.L.R. 292; R. c. Scopelliti (1981),
63 C.C.C. (2d) 481; R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S. 763; R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S.
451; R. c. Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679; R. c. Barnes, [1995] 2 Cr. App. R. 491; R.
c. Scarrott (1977), 65 Cr. App. R. 125; R. c. Khan (1996), 49 C.R. (4th) 160; R. c.
Sweitzer, [1982] 1 R.C.S. 949; Harris c. Director of Public Prosecutions, [1952] A.C.
694; R. c. Ross, [1980] 5 W.W.R. 261; R. c. J.T.S., [1997] A.J. No. 125 (QL); R. c. Eng
(1995), 56 B.C.A.C. 18; R. c. Studer (1996), 181 A.R. 399; R. c. N. (R.S.) (1995), 31
Alta. L.R. (3d) 424; R. c. White, [1998] 2 R.C.S. 72; R. c. Bouvier (1984), 11 C.C.C. (3d)
257, conf. par [1985] 2 R.C.S. 485; R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653; Ward c. La Reine,
[1979] 2 R.C.S. 30; R. c. Cullen (1989), 52 C.C.C. (3d) 459; R. c. Verney (1993), 87
C.C.C. (3d) 363; R. c. M. (R.A.) (1994), 94 C.C.C. (3d) 459; R. c. Merdsoy (1994), 91
C.C.C. (3d) 517; Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 810; R. c. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758;
G. (an infant) c. Coltart, [1967] 1 All E.R. 271; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417
; R.
c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 8, 11d), 24(2).
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Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487.04 [aj. L.C. 1995, ch. 27, art. 1],
591(3)a) [abr. et rempl. L.R.C. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 119].
Doctrine citée
Canada. Commission de réforme du droit. Document de travail 34. Les méthodes
d'investigation scientifiques. Ottawa: La Commission, 1984.
Eggleston, Richard. Evidence, Proof and Probability, 2nd ed. London: Weidenfeld and
Nicolson, 1983.
Ferguson, Gerry. CRIMJI: Canadian Criminal Jury Instructions, vol. 1, 3rd ed.
Vancouver: Continuing Legal Education Society of British Columbia, 1997
(loose-leaf updated November 1997, release PB97874).
Mahoney, R. «Similar Fact Evidence and the Standard of Proof», [1993] Crim. L. Rev.
185.
McWilliams, Peter K. Canadian Criminal Evidence, 3rd ed. Aurora, Ont.: Canada Law
Book, 1988 (loose-leaf updated November 1997, release 19).
Percival, Richard. Case and Comment on R. v. Brown, Wilson, McMillan and
McClean, [1997] Crim. L. Rev. 502.
Smith, J. C. Case and Comment on R. v. Hurren, [1962] Crim. L. Rev. 770.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique
(1997), 92 B.C.A.C. 286, 150 W.A.C. 286, 116 C.C.C. (3d) 168, [1997] B.C.J. No. 1193
(QL), qui a rejeté l'appel formé contre la déclaration de culpabilité prononcée par le juge
Parrett au terme d'un procès devant jury, [1995] B.C.J. No. 882 (QL). Pourvoi rejeté.
Gil David McKinnon, c.r., et Thomas Arbogast, pour l'appelant.
Oleh S. Kuzma, pour l'intimée.
S. Ronald Fainstein, c.r., et Chantal Proulx, pour l'intervenant le procureur
général du Canada.
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Jamie C. Klukach, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Argumentation écrite seulement par Arnold Schlayer, pour l'intervenant le
procureur général de l'Alberta.
Version française du jugement de la Cour rendu par
//Le juge Cory//
1.
LE JUGE CORY -- Deux questions principales sont soulevées dans le cadre du
présent pourvoi. Premièrement, devrait-on donner au jury la directive qu'il peut tirer,
selon la prépondérance des probabilités, des conclusions fondées sur une preuve de faits
similaires? Selon l'appelant, une telle directive porte atteinte aux principes de justice
fondamentale garantis par l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et au
droit à la présomption d'innocence énoncé à l'al. 11d) de la Charte.
2.
Deuxièmement, l'admission en preuve d'échantillons de cheveux et de poils
qui ont été obtenus avec le consentement de l'intéressé au cours d'une enquête policière
puis utilisés dans le cadre d'une enquête distincte deux ans et demi plus tard porte-t-elle
atteinte au droit de l'appelant d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les
saisies abusives garanti par les art. 7 et 8 de la Charte?
I. Les faits
3.
Marnie Blanchard a été vue pour la dernière fois vers 2 h le
22 novembre 1989. Elle était alors seule à l'extérieur d'un bar de Prince George, en
Colombie-Britannique. Un chauffeur de taxi a vu un homme seul, au volant d'un
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véhicule qui lui a semblé être une petite camionnette grise de marque Toyota ou Nissan,
s'arrêter à côté de Marnie Blanchard. Il a vu que le conducteur de la camionnette avait
des cheveux noirs jusqu'aux épaules et des poils sur le côté du visage. Il a remarqué que
Mme Blanchard a hésité et est ensuite montée dans la camionnette, qui a démarré.
4.
Presque trois semaines plus tard, un skieur de fond a trouvé un maxillaire
humain dans une clairière située à une dizaine de kilomètres du centre-ville de Prince
George. Les policiers ont par la suite trouvé un crâne et divers autres ossements humains
dans la clairière. Comme des animaux avaient remué les restes, les médecins légistes ont
été incapables de déterminer la cause de la mort. Un pathologiste a témoigné que les
ossements ne laissaient voir aucune trace de lésion antérieure au décès. La comparaison
des fiches dentaires a permis d'identifier le cadavre comme étant celui de Marnie
Blanchard.
5.
Les policiers ont également découvert des vêtements empilés, soit le
manteau, le chandail et une partie du bas-culotte que portait Mme Blanchard. Le reste des
vêtements, ainsi que des morceaux d'étoffe et des effets personnels étaient éparpillés
dans la clairière. Il y avait des indices qu'un instrument tranchant avait été utilisé pour
taillader certains vêtements (la jupe près de la fermeture éclair et le cache-corset) et que
le chandail de la victime avait été très abîmé par des taillades ou des déchirures. Un
spécialiste des cheveux et fibres a témoigné qu'il était également possible que des
animaux aient abîmé les vêtements en les mâchant.
6.
Le médecin légiste qui a témoigné pour le ministère public a exprimé
l'opinion que la mort était attribuable à des violences meurtrières pour trois raisons: les
vêtements avaient été tailladés et déchirés, puis placés à l'endroit où ils ont été trouvés;
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les restes avaient été trouvés dans une région éloignée; la squelettisation des os et leur
dispersion par des animaux ne concordaient pas avec une mort naturelle.
7.
Thorone Fontaine, une connaissance de l'appelant, a témoigné qu'il était allé
prendre un verre avec celui-ci un soir de novembre 1989, bien qu'il ne fût pas certain de
la date. Lorsque l'appelant l'a déposé à la fin de la soirée, M. Fontaine a remarqué que
ce dernier était reparti vers le centre-ville, dans la direction inverse de son domicile. Le
lendemain, l'appelant s'est rendu chez M. Fontaine et lui a dit qu'il était rentré tard parce
qu'il avait fait monter une jeune femme et l'avait conduite à Vanderhoof. L'appelant a
déclaré à M. Fontaine que, lorsqu'il avait déposé la jeune femme, celle-ci avait laissé des
bijoux sur le tableau de bord de la camionnette. Monsieur Fontaine a remarqué que la
gaine du levier de vitesse de la camionnette de l'appelant était endommagée et que le
bras commandant l'interrupteur de signalisation et les essuie-glaces était brisé.
8.
Sharon Olson, une autre connaissance de l'appelant, a témoigné que, le
22 novembre 1989 ou vers cette date, l'appelant lui a dit qu'il avait déposé un ami avec
lequel il avait pris un verre et qu'il avait ensuite fait monter une jolie blonde qu'il avait
ramenée chez elle. Ces propos ont donné à Mme Olson l'impression que l'accusé avait
eu des rapports sexuels avec la femme en question et que celle-ci lui avait donné des
bijoux en échange. Il a déclaré à Mme Olson que sa conjointe de fait avait trouvé les
bijoux dans sa poche. Arlene Spencer, une autre connaissance de l'appelant, a témoigné
que, le 23 novembre 1989 ou vers cette date, l'appelant lui a également dit que, le soir
précédent, il avait fait monter une jeune fille et l'avait conduite à Vanderhoof. Comme
la jeune fille n'avait pas l'argent qu'elle lui avait promis pour l'essence, elle lui avait
donné des bijoux à la place. L'appelant avait déclaré que sa conjointe avait été
contrariée lorsqu'elle avait trouvé les bijoux en question dans sa poche.
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9.
Le 18 avril 1990, des policiers ont fouillé une camionnette grise de marque
Nissan immatriculée au nom de la conjointe de fait de l'appelant. Dans la poche
aumônière de la porte du conducteur, ils ont trouvé un couteau à double tranchant muni
d'une lame de quatre pouces. Sous le siège du passager, ils ont découvert une petite
bague en argent, qui a par la suite été identifiée comme appartenant à Mme Blanchard par
plusieurs de ses amis. En fouillant la camionnette, les policiers ont également trouvé
deux petites fibres de couleur mauve dans le tapis sous le siège du passager, et ils ont
taillé une partie du tapis. Un expert en cheveux et fibres a témoigné qu'il avait examiné
ces fibres et d'autres fibres qu'il avait extraites du tapis. Il les a comparées avec le
chandail de Mme Blanchard qui avait été découvert avec ses restes dans la clairière.
L'expert est arrivé à la conclusion que les fibres trouvées dans le véhicule
correspondaient aux fibres utilisées pour fabriquer le chandail mauve.
10.
Le 26 juillet 1990, l'appelant a été arrêté pour le meurtre au deuxième degré
de Mme Blanchard. On l'a informé des droits que lui garantit la Charte et on lui a donné
la possibilité de téléphoner à un avocat. Après avoir téléphoné à un avocat, l'appelant
a déclaré aux policiers que l'avocat lui avait conseillé de ne rien dire. Néanmoins, les
policiers ont interrogé l'appelant pendant environ 25 minutes, au cours desquelles
celui-ci a affirmé qu'il n'avait fait monter aucune jeune fille en novembre. L'un des
policiers a ensuite demandé à l'appelant s'il était intéressé à les aider à l'éliminer comme
suspect. L'appelant a répondu que [TRADUCTION] «ce serait génial», et il a accepté de
fournir des échantillons de cheveux et de poils pubiens. Il a été avisé que les
échantillons serviraient à déterminer si des cheveux ou des poils lui appartenant avaient
été trouvés à l'endroit où l'on avait découvert les restes de Mme Blanchard. Il a reconnu
qu'il n'était pas obligé de donner ces échantillons. Le policier a en outre dit à l'appelant
que si ces échantillons lui permettaient de recueillir quelque élément de preuve, cet
élément serait utilisé devant les tribunaux.
- 16 -
11.
Il est acquis que les enquêteurs n'envisageaient pas d'utiliser les échantillons
de cheveux et de poils pour effectuer une analyse génétique; le recours à cette
technologie n'était pas courant en 1990. Les échantillons ont été remis au laboratoire
judiciaire de la GRC à Vancouver pour qu'on procède à des comparaisons physiques
avec des cheveux et des poils trouvés à l'endroit où les restes de Mme Blanchard avaient
été découverts. Les cheveux et les poils de l'appelant ne concordaient pas avec les
16 échantillons de cheveux et de poils tirés du manteau et d'autres effets de
Mme Blanchard.
12.
À la suite de l'enquête préliminaire tenue à l'égard de l'accusation relative
au meurtre de Marnie Blanchard, le juge de la cour provinciale a refusé de citer
l'appelant à procès. Celui-ci a été libéré le 17 décembre 1990.
13.
Le 13 février 1993, Theresa Umphrey est arrivée à Prince George et a pris
un verre avec des amis dans plusieurs pubs. Entre 2 h 20 et 3 h 40 le 14 février, elle a
été vue près d'un dépanneur. Elle était ivre. Elle a demandé à des hommes de la
reconduire chez elle. Après avoir roulé dans la ville, ils l'ont ramenée près du dépanneur
parce qu'elle était incapable de reconnaître l'endroit où elle habitait. Vers 14 h 30 le
14 février, on a découvert le corps nu et partiellement gelé de Mme Umphrey sur un banc
de neige à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Prince George.
14.
Le médecin légiste qui a fait l'autopsie du cadavre de Mme Umphrey a
témoigné que la mort avait eu lieu par strangulation manuelle et ensuite par strangulation
par ligature. Les marques de ligature étaient compatibles avec les marques qu'auraient
laissées des lacets de chaussures semblables à ceux trouvés sur le lieu du crime. Le
corps de la victime portait de nombreuses éraflures, comme s'il avait été traîné sur une
- 17 -
surface rugueuse. Son crâne avait été gravement enfoncé. Près de la blessure au cuir
chevelu, ses cheveux avaient été coupés court avec un instrument tranchant comme des
ciseaux ou un couteau. Le médecin légiste a confirmé que, d'après le sperme trouvé
dans son vagin, Mme Umphrey avait eu des rapports sexuels de 24 à 28 heures avant sa
mort. Il n'y avait aucun signe physique d'agression sexuelle. On a également trouvé du
sperme sur le sweatshirt de Mme Umphrey.
15.
La plupart des vêtements de Mme Umphrey ont été trouvés sur le lieu du
crime, éparpillés au pied du banc de neige près de son corps, comme s'ils avaient été
lancés là. Son soutien-gorge a été retrouvé au bord de la route, à 1,4 kilomètre au nord
de l'endroit où se trouvait le corps. Un membre de la GRC spécialisé dans l'analyse des
fibres et des dommages causés aux tissus a témoigné que le soutien-gorge avait été coupé
entre les deux bonnets et noué dans le dos à l'endroit où il est normalement attaché.
L'un des lacets avait également été coupé. Dans les deux cas, on s'était servi d'un
instrument tranchant. D'autres vêtements de Mme Umphrey étaient intacts.
16.
L'appelant a été interrogé à plusieurs reprises par des policiers pendant qu'il
était en liberté et avant qu'il ne soit accusé. Au cours du dernier interrogatoire, un
policier a dit à l'appelant que certains tissus humains n'appartenant pas à Mme Umphrey
avaient été trouvés sur le corps de celle-ci, et il a demandé à l'appelant de fournir des
échantillons en vue d'analyses génétiques. Le policier a dit qu'ils étaient en train de
comparer les échantillons de cheveux et de poils prélevés sur l'appelant en 1990 avec
l'échantillon de tissus humains provenant du corps de Mme Umphrey. L'appelant a
refusé de fournir les échantillons en question.
17.
Pendant l'interrogatoire, l'appelant avait été autorisé à fumer plusieurs de
ses propres cigarettes. Après l'interrogatoire, un agent est retourné dans la salle
- 18 -
d'interrogatoire et a ramassé les mégots des cigarettes que l'appelant avait fumées et
qu'il avait déposés dans un cendrier. Quelques jours plus tard, un agent a exécuté un
mandat de perquisition au laboratoire judiciaire de la GRC à Vancouver et a pris
possession des cheveux et des poils pubiens qui avaient été prélevés sur l'appelant le
26 juillet 1990.
18.
Barbara Fraser, spécialiste en biologie judiciaire au laboratoire judiciaire de
la GRC, a constaté qu'il y avait concordance visuelle de cinq sondes entre les poils
pubiens prélevés sur l'appelant le 26 juillet 1990, les mégots récupérés dans la salle
d'interrogatoire, le sperme trouvé dans le vagin de Mme Umphrey et celui trouvé sur son
chandail. Dans son témoignage, Mme Fraser a expliqué qu'il y a concordance de cinq
sondes lorsque cinq régions différentes de deux échantillons d'ADN sont identiques.
Une telle adéquation est extrêmement rare entre des personnes qui n'ont aucun lien de
parenté. En s'appuyant sur ces résultats, Mme Fraser a exprimé l'opinion que cette
fréquence d'apparition au sein de la population canadienne de race blanche était
inférieure à un sur 31 milliards.
19.
Madame Fraser a également comparé l'ADN provenant des mégots avec
l'ADN provenant du sang de la mère et du père biologiques de l'appelant au moyen de
cinq sondes. L'analyse a révélé que les règles d'hérédité étaient respectées puisque l'une
des bandes d'ADN de l'appelant était identique à une des bandes d'ADN de son père,
et que l'autre bande était identique aux bandes d'ADN de sa mère. Madame Fraser a
conclu que, à son avis, il y avait 30 millions de fois plus de chances que l'ADN des
échantillons de sperme provienne d'un enfant biologique des parents de l'appelant plutôt
que d'une personne choisie au hasard dans la population canadienne.
- 19 -
20.
Le 4 octobre 1993, l'appelant a été arrêté et inculpé du meurtre au premier
degré de Theresa Umphrey. En outre, il a à nouveau été arrêté à l'égard du meurtre de
Marnie Blanchard et inculpé de meurtre au premier degré.
21.
Avant le procès, l'avocat de la défense a demandé à deux reprises que les
deux chefs d'accusation de meurtre contenus dans l'acte d'accusation soient séparés.
Ces demandes ont été rejetées. L'avocat a également contesté l'admissibilité et des
échantillons prélevés par les policiers et utilisés pour les analyses génétiques, et de la
preuve génétique elle-même. Cette preuve a été déclarée admissible. Un jury a reconnu
l'appelant coupable des deux chefs d'accusation de meurtre au premier degré. L'appel
formé par ce dernier devant la Cour d'appel a été rejeté.
II. Les décisions des juridictions inférieures
A. Cour suprême de la Colombie-Britannique, [1995] B.C.J. No. 882 (QL) (le juge
Parrett)
1. Les décisions relatives à la séparation des chefs d'accusation
22.
Le 13 octobre 1994, l'appelant a demandé la séparation des deux chefs
d'accusation de meurtre en application de l'al. 591(3)a) du Code criminel, L.R.C.
(1985), ch. C-46. Le juge du procès a fait remarquer que l'accusé qui présente une telle
demande a la charge de prouver que les intérêts de la justice commandent la séparation.
La défense a souligné que l'appelant avait été libéré au terme de l'enquête préliminaire
concernant le meurtre de Mme Blanchard en 1990, et a soutenu que le ministère public
tentait d'utiliser la preuve des faits similaires du meurtre de Mme Umphrey
principalement pour établir que le décès de Mme Blanchard résultait d'un homicide.
L'avocat de la défense a affirmé qu'il n'y avait aucun précédent pour cette utilisation
- 20 -
d'une preuve de faits similaires. La défense a en outre fait valoir qu'il n'y avait aucune
connexité dans le temps entre les deux meurtres, qu'il y avait de nombreuses différences
entre les deux événements et que les similitudes qui existaient n'étaient pas singulières.
23.
Le ministère public s'est opposé à la demande et a plaidé que, même s'il y
avait séparation des chefs d'accusation, il chercherait à produire la preuve de chaque
infraction dans l'autre procès comme preuve de faits similaires. Le ministère public a
concédé que les deux chefs d'accusation devraient être séparés, sauf si la preuve relative
au meurtre de Mme Umphrey était admissible pour prouver que l'accusé avait assassiné
Mme Blanchard. Le ministère public a toutefois soutenu qu'il y avait, entre les deux
événements, de nombreuses similitudes indicatives d'une méthode et d'un plan.
24.
Le juge du procès a signalé que les médecins légistes avaient été incapables
de déterminer la cause du décès de Mme Blanchard. Il a indiqué que les vêtements de la
victime avaient été trouvés près de son corps et que certains d'entre eux avaient été
déchirés tandis que d'autres semblaient avoir été tailladés avec un instrument tranchant
tel un couteau. Selon le juge du procès, il était raisonnable d'en déduire que
Mme Blanchard n'était pas morte naturellement et qu'on l'avait dévêtue avant
d'abandonner son corps dans la neige.
25.
Le juge du procès a examiné la preuve relative au meurtre de Theresa
Umphrey. Il a souligné que le ministère public avait affirmé que les crimes étaient
similaires en ce que les victimes étaient de jeunes femmes célibataires qui étaient
vulnérables et sans argent ou sans moyen de transport aux petites heures du matin; il y
avait des preuves indiquant que, dans chaque cas, l'accusé avait fait monter la victime
dans une camionnette grise; dans l'affaire Umphrey, il y avait manifestement eu rapports
sexuels, tandis que dans l'affaire Blanchard, on pouvait inférer que le meurtre était lié
- 21 -
à une fin sexuelle; les victimes avaient été abandonnées dans des régions isolées mais
néanmoins accessibles à l'extérieur de Prince George; leurs vêtements avaient été
trouvés abandonnés à proximité; dans les deux cas, il y avait des preuves de l'utilisation
d'un instrument tranchant tel un couteau.
26.
Le juge du procès a en outre signalé que, dans l'affaire Umphrey, l'analyse
génétique rattachait l'accusé à la victime. Dans l'affaire Blanchard, il y avait des
éléments de preuve circonstancielle rattachant également l'accusé à la victime, par
exemple la déposition d'un témoin ayant vu Mme Blanchard monter dans une camionnette
semblable à celle conduite par l'appelant; la bague trouvée dans la camionnette de
l'appelant et qui avait été identifiée comme appartenant à Mme Blanchard; les fibres
mauves trouvées dans la camionnette et qui avaient été déclarées compatibles avec celles
du chandail de Mme Blanchard. Le ministère public a soutenu que ces éléments de
preuve démontraient l'existence d'un système et d'une méthode au moyen desquels
l'accusé cherche et trouve ses victimes, ainsi que du traitement qu'il leur fait subir et de
la façon dont il se débarrasse des corps.
27.
Le juge du procès a examiné la jurisprudence et la doctrine concernant la
preuve de faits similaires, les similitudes entre les deux infractions et le risque de
préjudice pour l'appelant. Il a conclu que l'appelant ne s'était pas acquitté du fardeau
qui lui incombait en vertu de l'art. 591 du Code. Il a relevé des [TRADUCTION]
«similitudes importantes et frappantes» entre les deux décès. Le juge du procès a conclu
que, si la preuve rattachant l'appelant aux deux victimes les nuits où elles ont disparu
était admise, alors la preuve relative au meurtre de Mme Umphrey [TRADUCTION] «est à
la fois pertinente et très probante en ce qui a trait aux questions substantielles dans
l'affaire Blanchard». Le juge du procès a rejeté la requête en séparation des chefs
d'accusation présentée par l'appelant, mais il a invité ce dernier à présenter une nouvelle
- 22 -
demande en ce sens une fois que les décisions relatives à l'admissibilité auraient été
rendues.
28.
Au terme d'un long voir-dire, la défense a renouvelé sa demande de
séparation des chefs d'accusation. Le juge du procès a conclu que, malgré l'exclusion
de certains éléments de preuve, la preuve du ministère public demeurait essentiellement
inchangée. La demande de séparation a de nouveau été rejetée. Il n'y a pas eu d'examen
distinct de l'admissibilité de la preuve de faits similaires en dehors de la requête en
séparation des chefs d'accusation.
2. La décision relative à l'admissibilité des échantillons de cheveux et de
poils et de la preuve génétique
29.
Plusieurs voir-dire ont été tenus pour statuer sur l'admissibilité des
échantillons de cheveux et de poils obtenus de l'appelant en 1990. Le juge du procès a
conclu que la question centrale pour décider de l'admissibilité de ces échantillons et de
la preuve génétique en découlant n'était pas de savoir si le consentement donné par
l'appelant en 1990 se limitait à l'enquête menée dans l'affaire Blanchard, mais si un
consentement éclairé et valide peut être limité en droit. À son avis, il n'existait aucun
principe juridique qui rendait déraisonnable ou illicite l'utilisation par les policiers
d'échantillons déjà en leur possession en raison du consentement donné en 1990. Le
refus subséquent de l'appelant de fournir des échantillons de cheveux, de poils ou de
sang en 1993 ne modifiait pas cette conclusion. En outre, le juge du procès a conclu que
le consentement initial au prélèvement des échantillons de cheveux et de poils ne se
limitait pas à l'utilisation de ces échantillons en vue d'une simple comparaison avec les
cheveux et les poils trouvés à l'endroit où Mme Blanchard avait été assassinée, ni à leur
utilisation uniquement dans le cadre de l'enquête menée en 1990. Pareille restriction
- 23 -
irait à l'encontre de la compréhension qu'avait l'appelant lui-même du fait que toute
information obtenue à l'aide de ces échantillons pourrait être utilisée contre lui.
3. L'exposé au jury
30.
Le juge du procès a donné au jury des directives sur l'utilisation de la preuve
de faits similaires. Il a déclaré que la preuve relative au meurtre de Mme Blanchard était
admissible pour prouver la culpabilité de l'appelant relativement au meurtre de
Mme Umphrey, et vice versa. Le jury pouvait utiliser cette preuve uniquement pour
décider si l'appelant était la personne qui avait commis les infractions mentionnées dans
les deux chefs d'accusation, c.-à-d. pour trancher la question de l'identité. Les jurés ont
été informés que, dans l'examen de la preuve relative aux deux chefs d'accusation, ils
ne devaient pas en inférer que l'appelant était une personne possédant une nature ou une
disposition telle qu'il avait probablement commis les infractions. Le juge du procès a
déclaré que le jury pouvait, quoique rien ne l'obligeât à le faire, déduire de la preuve que
l'incident mentionné dans le chef d'accusation relatif à l'affaire Blanchard et celui
mentionné dans le chef d'accusation relatif à l'affaire Umphrey avaient des
caractéristiques communes dont la similitude était tellement frappante qu'ils étaient
probablement le fait d'une seule et même personne. Pour décider s'il existait des
similitudes entre les deux incidents, le jury devait examiner tous les éléments de preuve
et se demander si les actes possédaient des similitudes frappantes et révélaient
l'existence d'une méthode commune. Le juge du procès a ensuite donné au jury des
exemples de similitudes entre les chefs d'accusation.
31.
Le juge du procès a poursuivi son exposé en disant aux jurés que, s'ils
arrivaient à la conclusion que les infractions reprochées dans les affaires Blanchard et
Umphrey étaient probablement le fait d'une seule et même personne, ils pouvaient alors
- 24 -
recourir à la preuve relative à chaque chef d'accusation afin de décider si l'accusé avait
commis les infractions reprochées dans les deux chefs d'accusation. Toutefois, s'ils ne
déduisaient pas que les deux infractions avaient probablement été commises par la même
personne, ils devaient alors tenir compte uniquement de la preuve relative au chef
d'accusation concerné pour parvenir à une décision à l'égard de ce chef, et faire
abstraction de la preuve relative à l'autre chef. Le juge du procès a également déclaré
que si les jurés acceptaient la preuve relative à l'accusation portée dans l'affaire
Umphrey et concluaient que l'accusé était coupable relativement à ce chef, et s'ils
concluaient aussi que l'infraction reprochée dans l'affaire Blanchard était probablement
le fait de la même personne, ils pouvaient utiliser cette preuve, en particulier celle de
l'utilisation d'un instrument tranchant, pour confirmer ou appuyer les dépositions des
autres témoins et la découverte de la bague et des fibres mauves. Le juge du procès a
conclu son exposé en disant aux jurés de ne pas oublier qu'ils ne pouvaient pas
reconnaître l'accusé coupable du meurtre de Mme Blanchard ou de celui de Mme Umphrey
à moins d'être convaincus hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité à l'égard des
actes reprochés.
B. Cour d'appel (1997), 92 B.C.A.C. 286 (le juge Hinds au nom de la cour)
32.
Devant la Cour d'appel, l'appelant a soutenu que l'exposé du juge du procès
au sujet de la preuve de faits similaires était fondé sur l'arrêt R. c. Simpson (1977), 35
C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.), arrêt qui ne devrait pas être suivi parce qu'il existe des
décisions d'autres cours d'appel ayant appliqué une approche différente. Cependant, le
juge Hinds a conclu que l'arrêt Simpson avait été suivi par la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique dans R. c. Lawson (1994), 45 B.C.A.C. 14, arrêt qui, à son tour,
a été mentionné avec approbation dans une autre décision de cette même cour: R. c.
- 25 -
Doan (1996), 81 B.C.A.C. 192. Dans Lawson, la Cour d'appel a tiré la conclusion
suivante, à la p. 21:
[TRADUCTION] L'avocat de l'appelant a invoqué deux arguments.
Le premier était que le mot «probablement» employé par le juge du
procès fixe la mauvaise norme. Il affirme que la norme applicable à l'égard
de l'identité et de l'intention devrait exiger que ces éléments au moins soient
établis hors de tout doute raisonnable relativement au chef d'accusation que
l'on prétend similaire sans recourir à des éléments de preuve étrangers à ce
chef avant d'utiliser la preuve concernant ce chef pour aider à prouver
l'intention ou l'identité relativement au chef d'accusation directement
examiné. Il a voulu dire par là qu'au moins un chef d'accusation doit être
prouvé hors de tout doute raisonnable sur la base de la preuve qui se
rapporte exclusivement à ce chef. Comme a dit l'avocat: «il doit y avoir au
moins un point d'ancrage». Selon moi, cet argument est incompatible avec
l'autorité de l'arrêt R. c. Simpson, et je ne puis y souscrire.
33.
Le juge Hinds a conclu que le droit en vigueur en Colombie-Britannique sur
l'utilisation de la preuve de faits similaires est exposé dans l'arrêt Lawson et repose sur
les principes énoncés dans l'arrêt Simpson. Il a conclu que l'exposé du juge du procès
était conforme à ces principes et suivait le libellé suggéré dans G. Ferguson, CRIMJI:
Canadian Criminal Jury Instructions (3e éd. 1997 (feuilles mobiles)), vol. 1, 4.61 . En
outre, les directives du juge du procès sur l'utilisation que le jury pouvait faire de la
preuve de faits similaires étaient compatibles avec le principe énoncé dans R. c. Morin,
[1988] 2 R.C.S. 345
, aux pp. 360 à 362, et suivant lequel la norme de preuve en matière
criminelle s'applique à la décision finale en ce qui concerne la culpabilité ou l'innocence
et non aux divers éléments de preuve pris isolément.
34.
L'appelant a également plaidé que les échantillons de cheveux et de poils
donnés en 1990 n'auraient pas dû être utilisés dans une enquête policière subséquente.
Il a affirmé que l'utilisation subséquente de ces échantillons a vicié le consentement
donné en 1990, et que la saisie des échantillons avait en conséquence porté atteinte aux
- 26 -
droits qui lui sont garantis par l'art. 8 de la Charte. L'appelant a en outre soutenu que,
en application du par. 24(2) de la Charte, la preuve génétique n'aurait pas dû être
admise. Le juge Hinds a fait remarquer que cette question avait été laissée sans réponse
par notre Cour dans R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145. L'avocat de l'appelant a
prétendu que l'utilisation par les policiers, dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de
Mme Umphrey, des échantillons de cheveux et de poils prélevés en juillet 1990 avait eu
pour effet de leur permettre de conserver une banque d'ADN. Les récentes dispositions
législatives sur l'ADN interdisent expressément au gouvernement de conserver des
échantillons d'ADN. Voir les art. 487.04 et suiv. du Code.
35.
Le juge Hinds n'a pas accepté cette prétention. Il a estimé que les
dispositions législatives portant sur la saisie de matériel génétique ne visent pas
l'utilisation de substances fournies volontairement aux autorités policières par une
personne. Les cheveux et les poils pubiens de l'appelant n'avaient pas été prélevés par
la force ou par la menace d'utilisation de la force, et ne constituaient donc pas une
preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même. L'obtention d'échantillons de
cheveux et de poils de l'appelant le 26 juillet 1990 n'avait pas porté atteinte aux droits
garantis à celui-ci par l'art. 8. Par la suite, les échantillons étaient demeurés sous la
garde et la responsabilité de la GRC. La date pertinente pour décider si les droits de
l'appelant garantis par l'art. 8 avaient été violés était le 26 juillet 1990, date à laquelle
les policiers avaient obtenu les échantillons.
36.
Même si la date pertinente avait été le 16 mars 1993, soit la date à laquelle
les échantillons ont été saisis au laboratoire de la GRC, les droits garantis à l'appelant
par l'art. 8 n'avaient pas été violés. Le 16 mars 1993, l'appelant n'avait aucune attente
raisonnable en matière de respect de la vie privée à l'égard des échantillons de cheveux
- 27 -
et de poils, et les policiers avaient saisi les échantillons en vertu d'un mandat de
perquisition décerné validement. L'appel de la déclaration de culpabilité a été rejeté.
III. L'analyse
A. L'admissibilité de la preuve de faits similaires
1. La valeur probante
37.
Le présent pourvoi porte sur les directives qu'il convient de donner au jury
relativement à l'utilisation d'une preuve de faits similaires. Cette question exige
forcément une analyse approfondie du rôle du juge du procès dans l'examen de la
question de savoir si une telle preuve doit être admise. Cette analyse est nécessaire afin
de bien situer dans son contexte le rôle du jury dans l'appréciation d'une preuve de faits
similaires.
38.
La meilleure façon de définir la règle autorisant l'admission d'une preuve
de faits similaires serait peut-être de dire qu'il s'agit d'une «exception à une exception»
à la règle fondamentale suivant laquelle tout élément de preuve pertinent est admissible.
La pertinence dépend directement des faits en litige dans une affaire donnée. Pour leur
part, les faits en litige sont déterminés par l'infraction reprochée dans l'acte d'accusation
et par les moyens de défense, s'il en est, qui sont invoqués par l'accusé. Voir Koufis c.
The King, [1941] R.C.S. 481, à la p. 490. Pour qu'un élément de preuve soit
logiquement pertinent, il n'est pas nécessaire qu'il établisse fermement, selon quelque
norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d'un fait en litige. La preuve doit
simplement tendre à [TRADUCTION] «accroître ou diminuer la probabilité de l'existence
d'un fait en litige». Voir Sir Richard Eggleston, Evidence, Proof and Probability (2e éd.
- 28 -
1978), à la p. 83. En conséquence, aucune valeur probante minimale n'est requise pour
qu'un élément de preuve soit pertinent. Voir R. c. Morris, [1983] 2 R.C.S. 190, aux
pp. 199 et 200.
39.
La preuve d'une propension ou disposition (par exemple la preuve d'actes
antérieurs répréhensibles) est pertinente pour trancher la question ultime, celle de la
culpabilité ou de l'innocence, dans la mesure où le fait qu'une personne a agi d'une
certaine manière dans le passé tend à appuyer l'inférence qu'elle a de nouveau agi de
cette façon. Même si cette preuve n'a souvent qu'une faible valeur probante, il est
difficile d'affirmer qu'elle n'est pas pertinente. À cet égard, je suis partiellement en
désaccord avec le jugement de lord Hailsham dans Director of Public Prosecutions c.
Boardman, [1975] A.C. 421, où ce dernier a écrit, à la p. 451, que [TRADUCTION]
«[l]orsque rien ne rattache l'accusé à un crime particulier, si ce n'est une preuve de
moralité douteuse ou de perpétration de crimes similaires dans le passé, une telle preuve
n'a aucune valeur probante et est rejetée pour ce motif». À mon avis, cette affirmation
va peut-être trop loin, et l'approche retenue par le juge Lamer, maintenant Juge en chef
du Canada, dans Morris, précité, me paraît plus juste. Ce dernier a déclaré ceci, à la
p. 203:
La propension, si elle ne se rapporte pas au crime perpétré, n'a aucune
valeur probante; [. . .] et doit pour cette raison être exclue. Mais si la
propension se rapporte au crime, même en l'absence de tout autre lien entre
l'accusé et ce crime, elle a une certaine valeur probante, si minime soit-elle,
et elle doit être exclue parce qu'elle est inadmissible et non parce qu'elle
n'est pas pertinente. [Je souligne.]
40.
Par conséquent, la preuve d'une propension ou disposition peut être
pertinente à l'égard du crime reproché, mais elle est généralement inadmissible parce
que, en dernière analyse, son effet très préjudiciable l'emporte sur sa faible valeur
- 29 -
probante. Comme l'a souligné le juge Sopinka dans R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111,
aux pp. 127 et 128, une preuve d'actes antérieurs répréhensibles comporte trois dangers
potentiels: (1) le jury peut conclure que l'accusé est une «mauvaise» personne qui est
vraisemblablement coupable de l'infraction qu'on lui reproche; (2) le jury peut punir
l'accusé pour son inconduite antérieure en le déclarant coupable de l'infraction qui lui
est imputée; (3) le jury peut tout simplement s'embrouiller parce que son attention se
trouve détournée de l'objet premier de ses délibérations, et substituer son verdict sur une
autre question à un verdict sur la question qu'il est appelé à juger. Comme il s'agit de
dangers très réels pour l'accusé, la preuve d'une propension ou disposition est écartée
en tant qu'exception à la règle générale suivant laquelle tout élément de preuve pertinent
est admissible.
41.
Toutefois, comme a déclaré lord Hailsham dans Boardman, précité, à la
p. 453, [TRADUCTION] «ce qui ne doit pas être admis est un raisonnement, pas
nécessairement un état de faits» (en italique dans l'original). En d'autres mots, est
inadmissible la preuve d'une propension ou disposition qui est produite dans le seul but
d'inviter le jury à déclarer l'accusé coupable sur le fondement de sa conduite immorale
antérieure. Toutefois, la preuve d'une inconduite antérieure similaire peut
exceptionnellement être admise lorsque le raisonnement interdit peut être évité. Dans
R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717, le juge McLachlin, qui s'exprimait au nom des juges
majoritaires, a soigneusement examiné la question de la preuve de faits similaires. Après
avoir analysé le raisonnement fait dans Boardman, précité, elle a fait les observations
suivantes, à la p. 730:
Cette conception de la preuve de faits similaires propose un critère qui
se rapporte à la règle générale, bien qu'il en soit distinct, selon laquelle la
preuve est inadmissible si son effet préjudiciable l'emporte sur sa valeur
probante: voir l'arrêt R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272. Il s'agit d'une règle
d'exclusion applicable à la preuve qui serait par ailleurs admissible. C'est
- 30 -
l'inverse pour la preuve de faits similaires. Pour déterminer son
admissibilité, il faut partir du principe que la preuve est inadmissible étant
donné la faible force probante et l'importance du préjudice qui y est
généralement associé. Il faut se demander ensuite si, en raison de la valeur
probante exceptionnelle de la preuve examinée par rapport au préjudice
qu'elle est susceptible de causer, elle devrait être admise sans égard à la
règle générale d'exclusion.
Après avoir examiné les autres décisions pertinentes, elle a dit ceci, aux pp. 734 et 735:
Cet examen de la jurisprudence m'amène à tirer les conclusions
suivantes quant à l'état actuel du droit en matière de preuve de faits
similaires au Canada. Pour déterminer si la preuve en question est
admissible, il faut d'abord reconnaître la règle générale d'exclusion de la
preuve qui ne tend qu'à établir la propension. Comme le dit l'arrêt
Boardman et comme notre Cour l'a répété dans les arrêts Guay, Cloutier,
Morris, Morin et D. (L.E.), la preuve présentée dans le seul but d'établir que
l'accusé est le genre de personne susceptible d'avoir commis une infraction,
est en principe inadmissible. La question de savoir si la preuve en question
constitue une exception à cette règle générale dépend de savoir si la valeur
probante de la preuve présentée l'emporte sur son effet préjudiciable. Dans
un cas comme celui-ci, où la preuve de faits similaires que l'on veut
présenter est une preuve à charge d'un acte moralement répugnant commis
par l'accusé, le préjudice qui peut en résulter est grave et la valeur probante
de la preuve doit vraiment être grande pour permettre sa réception. Le juge
doit considérer des facteurs comme le degré de particularisme marquant à
la fois les faits similaires et les infractions reprochées à l'accusé ainsi que
le rapport, s'il en est, entre la preuve et les questions autres que la
propension, afin de déterminer si, compte tenu des circonstances de l'espèce,
la valeur probante de la preuve l'emporte sur le préjudice potentiel et justifie
sa réception.
42.
On constate que, pour décider si une preuve de faits similaires doit être
déclarée admissible, la question fondamentale qui doit être tranchée est de savoir si la
valeur probante de cette preuve l'emporte sur son effet préjudiciable. De même, il
convient de se rappeler qu'il faut accorder un respect considérable à la décision du juge
du procès sur cette question. Voir B. (C.R.), précité, aux pp. 732 et 733.
43.
Il s'ensuit que, lorsque l'identité est un point litigieux dans une affaire
criminelle et qu'il est démontré que l'accusé a commis des actes présentant des
- 31 -
similitudes frappantes avec le crime reproché, le jury n'est pas invité à inférer des
habitudes ou de la disposition de l'accusé qu'il est le genre de personne qui commettrait
ce crime. Au contraire, le jury est plutôt invité à inférer du degré de particularité ou de
singularité qui existe entre le crime perpétré et l'acte similaire que l'accusé est la
personne même qui a commis le crime. Cette inférence n'est possible que si le haut
degré de similitude entre les actes rend une coïncidence objectivement improbable. Voir
Hoch c. The Queen (1988), 165 C.L.R. 292 (H.C. Aust.). En d'autres termes, il est
toujours possible que, par le jeu d'une coïncidence, l'auteur du crime et l'accusé
partagent certaines prédilections, ou encore que l'accusé puisse devenir impliqué dans
des crimes dont il n'est pas responsable. Toutefois, lorsque la preuve révèle une manière
distincte de commettre les actes en question, la possibilité que, par pure coïncidence,
l'accusé soit à plusieurs reprises impliqué dans des infractions très similaires s'en trouve
de beaucoup réduite. Ce point a été clairement exprimé par le juge Sopinka, dans Morin,
précité, où une preuve de faits similaires avait été utilisée pour établir l'identité (à la
p. 367):
Dans les affaires de faits similaires, il ne suffit pas d'établir que l'accusé
fait partie d'un groupe anormal qui a les mêmes propensions que l'auteur du
crime. Il doit y avoir d'autres caractéristiques distinctives. Par conséquent,
si le crime a été commis par quelqu'un qui a des tendances homosexuelles,
il ne suffit pas d'établir que l'accusé est un homosexuel actif ni même qu'il
a pratiqué de nombreux actes homosexuels. La preuve offerte doit tendre
à démontrer qu'il y a des similitudes frappantes entre la manière dont
l'auteur du crime a commis l'acte criminel et cette preuve.
Voir aussi R. c. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481 (C.A. Ont.), à la p. 496, le juge
Martin, (la preuve de la propension n'est pas admissible, [TRADUCTION] «à moins que
la propension soit tellement distinctive ou singulière qu'elle constitue une signature»).
- 32 -
44.
Comme une preuve de faits similaires est admise parce qu'une coïncidence
est objectivement improbable, la valeur probante de cette preuve découle forcément du
degré de similitude entre les actes examinés. Évidemment, il faut que cette valeur
probante l'emporte de façon nette sur le préjudice causé à l'accusé pour que la preuve
en question soit admissible. Voir B. (C.R.), précité. Cependant, dans B. (C.R.), aux pp.
732 et 733, la majorité a rejeté la thèse voulant que la preuve doive révéler une
«similitude frappante» entre les actes en question pour posséder la valeur probante
requise. J'admets que l'exigence de «similitudes frappantes» doit être tempérée. Ce
point est soigneusement exposé dans R. c. P., [1991] 3 All E.R. 337 (H.L.). Dans cette
affaire, l'accusé avait été inculpé du viol de ses deux filles ainsi que d'inceste à leur
endroit. Les accusations ont été instruites ensemble et le témoignage des deux filles a
été admis relativement à chaque chef pour prouver la perpétration du crime (à la p. 348):
[TRADUCTION] Quand une question semblable à celle qui est soulevée
en l'espèce se pose, j'estime que le juge doit d'abord décider s'il existe des
éléments qui autoriseraient le jury à conclure que le témoignage d'une
victime sur ce qui lui est arrivée est tellement lié au témoignage d'une autre
victime sur ce qui est arrivé à cette dernière que le témoignage de la
première victime appuie suffisamment le témoignage de la seconde victime
pour qu'il soit juste de l'admettre, malgré l'effet préjudiciable de
l'admission du témoignage. Le lien dont découle cet appui peut prendre de
nombreuses formes et, quoiqu'une de ces formes puisse être une «similitude
frappante» quant à la façon dont le crime a été commis, [. . .] ce lien
indispensable n'est en aucune façon limité à de telles circonstances. Des
liens dans le temps et les circonstances -- autres que celles qui viennent
d'être évoquées -- peuvent fort bien constituer des liens importants à cet
égard. Lorsque l'identité de l'accusé est en cause et que des témoignages
de ce genre sont importants à cet égard, il est évident qu'il faudra quelque
chose qui ressemble à ce qu'on a appelé au cours des débats une signature
ou une autre caractéristique spéciale. Transposer cette exigence à d'autres
situations dans lesquelles la question consiste à déterminer si un crime a été
commis plutôt que l'identité de son auteur revient à imposer une restriction
inutile et inappropriée à l'application de ce principe. [Je souligne.]
Comme les témoignages des deux filles décrivaient une conduite qui s'était étendue sur
une longue période et qui avait comporté l'utilisation de la force et l'exercice d'une
- 33 -
domination générale, les circonstances, considérées ensemble, donnaient une forte valeur
probante au témoignage de l'une par rapport à celui de l'autre, malgré le fait que la
manière dont les crimes reprochés avaient été commis ne révélait pas une «similitude
frappante».
45.
Au lieu de cela, l'application d'une approche fondée sur des principes pour
statuer sur l'admissibilité d'une preuve de faits similaires reposera dans tous les cas sur
la conclusion qu'il est improbable que l'implication de l'accusé dans les faits similaires
ou chefs d'accusation reprochés soit le fruit d'une coïncidence. Une telle conclusion
assure que la preuve a une valeur probante suffisante pour être admise, et elle fera
intervenir différentes considérations dans différents contextes. Lorsque, comme c'est
le cas en l'espèce, une preuve de faits similaires est produite à l'égard de la question de
l'identité, il doit exister un haut degré de similitude entre les faits pour que la preuve soit
admise. Par exemple, la présence d'une marque ou signature singulière donnera
automatiquement aux faits reprochés une «similitude frappante» et les rendra, par
conséquent, extrêmement probants et admissibles. De même, il est possible que,
considérées ensemble, un certain nombre de similitudes importantes soient telles que leur
effet cumulatif justifie l'admission de la preuve. Ordinairement, lorsque la question de
l'identité est en litige, le juge du procès devrait examiner la façon dont les actes
similaires ont été commis -- c'est-à-dire examiner si ces actes laissent voir une marque
singulière ou révèlent un certain nombre de similitudes importantes. Cet examen lui
permettra de déterminer si les faits similaires reprochés ont tous été commis par la même
personne. Cette constatation préliminaire établit l'improbabilité objective que
l'implication de l'accusé dans les actes reprochés soit le fruit d'une coïncidence et
confère ainsi à la preuve la force probante requise. En conséquence, lorsqu'une preuve
de faits similaires est produite pour établir l'identité, une fois cette constatation
préliminaire faite, les éléments de preuve relatifs à l'acte similaire (ou au chef
- 34 -
d'accusation, dans un acte d'accusation comportant plusieurs chefs) peuvent être admis
pour prouver la perpétration d'un autre acte (ou chef d'accusation).
46.
En résumé, dans R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S. 763, le juge McLachlin a
énoncé avec justesse le droit relatif à l'admissibilité d'une preuve de faits similaires.
Elle a exposé très clairement ces principes aux pp. 771 et 772:
Cette preuve est susceptible d'avoir un grave effet préjudiciable en amenant
le jury à penser que l'accusé est une «mauvaise personne». En même temps,
elle est d'une pertinence limitée relativement à la vraie question, celle de
savoir si l'accusé a commis l'infraction particulière dont il est inculpé. Il y
aura des cas, cependant, où la preuve d'actes similaires touchera à autre
chose que la disposition et sera considérée comme ayant une véritable valeur
probante. Cette valeur probante tient ordinairement au fait que les actes
comparés sont à ce point inhabituels et présentent des similitudes à ce point
frappantes que ces similitudes ne peuvent pas être attribuées à une
coïncidence. Cette preuve ne devrait être utilisée que lorsque la force
probante l'emporte nettement sur le préjudice, ou sur le danger que le jury
rende un verdict de culpabilité pour des raisons illogiques.
47.
L'arrêt C. (M.H.), précité, n'a pas tranché la question de la norme de preuve
qui devrait être appliquée par le juge du procès dans les cas où une preuve de faits
similaires est produite pour établir l'identité. À cet égard, il ne faut pas oublier que
l'admissibilité d'une preuve de faits similaires demande une analyse que le juge du
procès ne fait pas en temps normal. En règle générale, le juge du procès admet un
élément de preuve dont la pertinence est établie, et il n'évalue pas le poids ou valeur
probante de cet élément. Si le juge du procès est appelé à tirer une conclusion de fait
préliminaire en tant que condition préalable à l'admissibilité, cette conclusion n'a
habituellement pas de lien avec la qualité ou la fiabilité de l'élément de preuve lui-même.
Voir R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451
, à la p. 474. De fait, le juge doit s'abstenir
d'évaluer la qualité, le poids ou la fiabilité de l'élément de preuve lorsqu'il décide de son
admissibilité, puisque le poids qu'il convient de lui accorder relève de la compétence du
- 35 -
jury. Voir R. c. Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679. Toutefois, pour décider de
l'admissibilité d'une preuve de faits similaires, le juge du procès doit, dans une certaine
mesure, empiéter sur cette compétence. Comme a dit le professeur Smith dans Case and
Comment on R. c. Hurren, [1962] Crim. L. Rev. 770, à la p. 771:
[TRADUCTION] Il convient de souligner que les juges font habituellement
une distinction entre les faits qui se rapportent au poids plutôt qu'à
l'admissibilité (voir, par exemple, R. c. Wyatt); mais nous soumettons que,
pour ce qui est de la preuve de faits similaires, il n'est pas possible de tracer
une ligne de démarcation nette, et l'admissibilité dépend du poids.
48.
En conséquence, lorsqu'une preuve de faits similaires est produite pour
prouver un fait en litige, pour décider de son admissibilité le juge du procès doit
apprécier le degré de similitude des faits reprochés et déterminer si l'improbabilité
objective d'une coïncidence a été établie. Ce n'est que dans ce cas que la preuve aura
une valeur probante suffisante pour être admissible. Lorsque le fait en litige est l'identité
de l'auteur du crime, alors, dans le cours normal des choses, le juge du procès doit
apprécier le degré de similitude qui ressort de la façon dont les actes en cause ont été
commis pour déterminer s'il est probable que les actes similaires reprochés ont été
commis par la même personne. Une fois qu'il a été établi, selon la prépondérance des
probabilités, que les actes similaires reprochés ont été commis par la même personne, la
preuve de faits similaires peut être admise pour établir que l'accusé a commis l'infraction
ou les infractions en question.
49.
Afin de décider si une preuve de faits similaires doit être admise pour établir
l'identité, le juge du procès doit tenir compte de la manière dont les actes similaires
allégués ont été commis. En général, la preuve qui lie l'accusé à chaque acte similaire
reproché ne devrait pas faire partie de cette évaluation. Comme le dit Peter K.
McWilliams dans Canadian Criminal Evidence (3e éd. 1988 (feuilles mobiles)), à la
- 36 -
p. 11-26.1, [TRADUCTION] «[l]e lien [avec l'accusé] [. . .] est distinct du lien ou de la
connexion [. . .] qui touche à la nature de l'acte et se rapporte à sa similitude ou à sa
pertinence qui doit être telle qu'elle écarte la règle générale d'exclusion» (en italique
dans l'original). Cette distinction est clairement indiquée dans Case and Comment on
R. c. Brown, Wilson, McMillan and McClean, [1997] Crim. L. Rev. 502, à la p. 503
(sommaire de Richard Percival):
[TRADUCTION] . . . La preuve révélait des similitudes frappantes entre
les deux groupes d'infractions, et il existait une signature ou autre
caractéristique spéciale. [. . .] Une fois établi ce lien entre les groupes
d'infractions, alors la preuve qui liait un défendeur à chaque groupe
d'infractions était admissible contre lui relativement à l'autre groupe. [Je
souligne.]
Voir aussi R. c. Barnes, [1995] 2 Cr. App. R. 491 (C.A.), aux pp. 496 à 498. Autrement
dit, la similitude des actes indique si une seule et même personne a commis les crimes;
dans la plupart des cas, la preuve relative au lien entre l'accusé et chaque acte similaire
indique si l'accusé a commis les crimes. Ce n'est qu'après que le juge du procès a
examiné la façon dont les actes similaires ont été commis et qu'il est convaincu de
l'existence d'éléments de preuve qui pourraient amener le jury à conclure que tous les
actes ont été commis par une seule et même personne qu'il doit admettre la preuve se
rapportant à chaque acte et la soumettre au jury, y compris la preuve de la participation
de l'accusé à la perpétration de chaque acte similaire.
50.
En résumé, dans l'examen de la question de l'admissibilité d'une preuve de
faits similaires, la règle fondamentale est que le juge du procès doit d'abord décider si
la valeur probante de cette preuve l'emporte sur son effet préjudiciable. Dans la plupart
des cas où une preuve de faits similaires est produite pour établir l'identité, il pourrait
- 37 -
être utile au juge du procès de prendre en considération les suggestions suivantes
lorsqu'il décide si la preuve doit être admise:
(1) En règle générale lorsqu'une preuve de faits similaires est produite pour
prouver l'identité, un degré élevé de similitude doit exister entrer les actes
pour faire en sorte que cette preuve ait une valeur probante qui l'emporte sur
son effet préjudiciable, conformément à ce qui est requis pour qu'elle soit
admissible. La similitude entre les actes peut consister en une marque ou
signature singulière caractérisant une série de similitudes importantes.
(2) Dans l'appréciation de la similitude des actes, le juge du procès devrait
uniquement examiner la façon dont les actes ont été commis et non la preuve
relative à la participation de l'accusé à chaque acte.
(3) Il est bien possible qu'il y ait des exceptions, mais en règle générale s'il
existe entre les actes un degré de similitude tel qu'il est probable que ces
derniers ont été commis par la même personne, la preuve de faits similaires
aura ordinairement une force probante suffisante pour l'emporter sur son
effet préjudiciable et elle peut être admise.
(4) Le jury sera alors en mesure d'examiner toute la preuve relative aux faits
qui, prétend-on, sont similaires pour déterminer si l'accusé est coupable
d'avoir commis l'un ou l'autre des actes.
Les observations qui précèdent sont faites, répétons-le, non pas en tant que règles rigides,
mais simplement en tant que suggestions susceptibles d'aider les juges qui président des
procès dans leur façon d'aborder une preuve de faits similaires.
- 38 -
51.
Le critère d'admissibilité d'une preuve de faits similaires produite pour
prouver l'identité est le même, que les actes similaires allégués soient définitivement
attribués à l'accusé ou qu'ils fassent l'objet d'un acte d'accusation reprochant plusieurs
chefs d'accusation à l'accusé. Voir Boardman, précité, à la p. 896, lord Wilberforce.
52.
Toutefois, lorsque les actes similaires allégués font partie d'un acte
d'accusation reprochant plusieurs chefs, la question de l'admissibilité d'une preuve de
faits similaires devra être prise en considération pour décider s'il convient de séparer les
chefs d'accusation. Néanmoins, le juge du procès devrait prendre soin de ne pas
confondre la question de l'admissibilité et celle de la séparation des chefs d'accusation.
Une requête sollicitant la tenue de procès distincts fondée sur l'al. 591(3)a) du Code doit
être présentée par l'accusé, lequel a alors le fardeau d'établir, selon la prépondérance des
probabilités, que les intérêts de la justice exigent une ordonnance en ce sens. Cependant,
c'est au ministère public qu'il appartient de démontrer que la preuve de faits similaires
devrait être admise. Ces fardeaux respectifs peuvent entraîner l'examen de facteurs
similaires, mais comme l'a souligné lord Scarman dans l'arrêt R. c. Scarrott (1977), 65
Cr. App. R. 125 (C.A.), à la p. 135, [TRADUCTION] «[c]e n'est pas parce qu'on a permis
qu'un acte d'accusation comportant plusieurs chefs d'accusation reste intact qu'il sera,
de ce fait, présenté des éléments de preuve à l'égard de tous les chefs reprochés dans
l'acte». Par conséquent, pour paraphraser la Cour d'appel du Manitoba dans R. c. Khan
(1996), 49 C.R. (4th) 160, à la p. 167, même si le juge du procès refuse d'ordonner la
tenue de procès distincts sur les divers chefs reprochés dans un acte d'accusation, rien
ne l'empêche, au fur et à mesure de la présentation de la preuve au procès, de décider,
en tant que question de droit, que la preuve relative à un chef d'accusation n'est pas
admissible comme preuve de faits similaires à l'égard des autres chefs d'accusation.
L'appréciation d'une preuve de faits similaires et la détermination de sa valeur probante
- 39 -
et de son admissibilité imposent au juge du procès une lourde tâche, tâche qui doit être
accomplie avec beaucoup de soin.
2. Le lien avec l'accusé
53.
Lorsque la preuve de faits similaires produite pour prouver l'identité tend à
indiquer que les actes similaires ont été commis par la même personne, alors,
logiquement, cette constatation rend la preuve rattachant l'accusé à chaque acte similaire
pertinente à l'égard de la question de l'identité pour ce qui concerne l'infraction en
cause. De même, dans un acte d'accusation comportant plusieurs chefs d'accusation, le
lien entre l'accusé et un chef d'accusation sera pertinent à l'égard de la question de
l'identité pour ce qui est des autres chefs d'accusation qui révèlent une similitude
frappante du point de vue du mode de perpétration de ces infractions.
54.
Toutefois, l'existence d'un lien entre l'accusé et les actes similaires allégués
est également une condition préalable à l'admissibilité. Cette condition a été énoncée
dans R. c. Sweitzer, [1982] 1 R.C.S. 949, à la p. 954:
Pour que des éléments de preuve soient reçus comme preuve d'actes
similaires, il doit y avoir un lien entre les actes que l'on prétend similaires
et l'accusé. En d'autres termes, il doit exister des éléments de preuve qui
permettent au juge des faits de conclure à bon droit que les actes similaires
que l'on veut invoquer sont effectivement les actes de l'accusé, car il est
évident que, s'il ne s'agit pas de ses propres actes mais plutôt de ceux d'une
autre personne, ceux-ci n'ont aucun rapport avec les questions soulevées par
l'acte d'accusation.
De même, dans Harris c. Director of Public Prosecutions, [1952] A.C. 694 (H.L.), il a
été jugé, à la p. 708, que [TRADUCTION] «la preuve de «faits similaires» ne saurait en
- 40 -
aucun cas être admise au soutien d'une infraction reprochée à l'accusé, à moins que ces
faits ne soient liés d'une manière pertinente à l'accusé et à sa participation au crime».
55.
Faudrait-il exiger que le juge du procès conclue non seulement que la preuve
tend à indiquer -- avec suffisamment de force pour l'emporter sur son effet préjudiciable
-- que les actes sont le fait d'une seule et même personne, mais aussi qu'ils sont
vraisemblablement le fait de l'accusé? C'est l'approche que préconise le professeur
R. Mahoney dans «Similar Fact Evidence and the Standard of Proof», [1993] Crim. L.
Rev. 185, aux pp. 196 et 197, et que favorisent implicitement les tribunaux qui ont
souscrit, en matière de preuve de faits similaires, à l'approche «séquentielle» ou
approche du «point d'ancrage». Voir, par exemple, R. c. Ross, [1980] 5 W.W.R. 261
(C.A.C.-B.); R. c. J.T.S., [1997] A.J. No. 125 (QL) (C.A.).
56.
La suggestion voulant que la preuve liant l'accusé aux actes similaires doive
rattacher les actes à l'accusé va trop loin. Une fois que le juge du procès a conclu que
les actes similaires sont probablement le fait d'une seule et même personne, et qu'il
existe des éléments de preuve rattachant l'accusé aux actes similaires allégués, il n'est
pas nécessaire de conclure que les actes similaires ont probablement été commis par
l'accusé. La réponse à cette question peut bien déterminer de la culpabilité ou
l'innocence. Il s'agit de la question même que le juge des faits doit trancher en tenant
compte de l'ensemble des éléments de preuve se rapportant aux actes similaires, y
compris évidemment la participation de l'accusé à chacun des actes. La norme énoncée
dans l'arrêt Sweitzer devrait être conservée. Elle exige uniquement que le juge du procès
soit convaincu qu'il existe des éléments de preuve rattachant l'accusé aux actes
similaires.
- 41 -
57.
Néanmoins, il convient de signaler que les arrêts Sweitzer et Harris, précités,
indiquent que la preuve d'une simple occasion ne suffira pas pour établir «avec l'accusé
un lien» suffisant pour rendre une preuve de faits similaires admissible. Cette restriction
est expliquée ainsi par le vicomte Simon, dans Harris, précité, à la p. 708; celui-ci
affirme que les actes similaires doivent être liés [TRADUCTION] «d'une manière
pertinente à l'accusé et à sa participation au crime» (je souligne). La preuve d'une
simple occasion ne révélant rien d'autre que la possibilité que l'acte similaire soit le fait
de l'accusé ne suffira pas pour démontrer la participation de l'accusé à l'acte similaire
allégué. Même si la norme peu élevée qui est exposée dans l'arrêt Sweitzer est
appropriée et souple, la preuve qui ne révèle rien d'autre qu'une simple possibilité que
l'acte similaire allégué soit le fait de l'accusé ne suffira pas pour rendre la preuve de faits
similaires admissible.
B. L'utilisation de la preuve de faits similaires par le jury
58.
Les cours d'appel provinciales ont adopté deux approches très différentes
quant à l'utilisation de la preuve de faits similaires. La première, qui a été appelée
l'approche «cumulative» ou approche de la «mise en commun», découle de l'arrêt de la
Cour d'appel de l'Ontario Simpson, précité, le juge Martin. Voir aussi Lawson, précité;
R. c. Eng (1995), 56 B.C.A.C. 18. Suivant cette approche, le juge dit au jury d'examiner
les similitudes entre les divers chefs reprochés dans l'acte d'accusation et de décider,
comme question préliminaire, si les infractions ont vraisemblablement été commises par
une seule et même personne. Ce n'est que dans le cas où les jurés sont convaincus, selon
la prépondérance des probabilités, que les infractions ont été commises par une seule et
même personne qu'ils peuvent tenir compte de la preuve relative à chaque chef
d'accusation pour décider si l'accusé a commis les autres infractions. S'ils sont
incapables de tirer cette conclusion préliminaire, ils doivent examiner la preuve relative
- 42 -
à chaque chef d'accusation séparément pour décider de l'innocence ou de la culpabilité
de l'accusé. Il faut également rappeler aux jurés qu'ils ne peuvent déclarer l'accusé
coupable à l'égard d'un chef d'accusation que s'ils sont convaincus hors de tout doute
raisonnable qu'il est coupable de l'infraction en question.
59.
En l'espèce, le juge du procès a donné ses directives au jury de la manière
prévue dans l'arrêt Simpson. Il a déclaré ceci:
[TRADUCTION] Si vous arrivez à la conclusion que les infractions
reprochées dans le chef d'accusation 1 et le chef d'accusation 2 ont
vraisemblablement été commises par la même personne, alors la preuve
relative à chaque chef d'accusation peut vous aider à décider si Brian Arp
a commis les infractions reprochées dans les deux chefs d'accusation.
Toutefois, si vous ne faites pas l'inférence que les deux infractions ont
vraisemblablement été commises par la même personne, alors, pour parvenir
à une décision à l'égard d'un chef donné, vous devez uniquement tenir
compte de la preuve relative à ce chef et faire abstraction de la preuve
relative à l'autre chef.
. . .
N'oubliez pas que vous ne pouvez déclarer l'accusé coupable du chef
d'accusation 1 ou du chef d'accusation 2 que si vous êtes convaincus hors
de tout doute raisonnable qu'il est coupable de ce qu'on lui reproche.
60.
La deuxième approche, qui a été appelée l'approche «séquentielle» ou
approche du «point d'ancrage», a été adoptée principalement par la Cour d'appel de
l'Alberta: voir R. c. Studer (1996), 181 A.R. 399; R. c. N. (R.S.) (1995), 31 Alta. L.R.
(3d) 424; Ross, précité. Cette approche est normalement utilisée dans les cas où la
preuve de faits similaires découle d'un acte n'ayant pas donné lieu à des accusations,
plutôt que d'un autre chef d'accusation dans le même acte d'accusation: voir CRIMJI,
op. cit., 4.60. Lorsqu'elle est appliquée dans le contexte d'un acte d'accusation
comportant plusieurs chefs, cette approche exige que le jury décide d'abord si l'accusé
a commis l'une des infractions reprochées hors de tout doute raisonnable, en se fondant
- 43 -
uniquement sur la preuve se rapportant à ce chef d'accusation. Ce n'est qu'après que le
jury peut prendre en compte les circonstances de cette infraction comme preuve de faits
similaires pour statuer sur les autres chefs d'accusation.
61.
En l'espèce, le juge du procès a lui aussi donné au jury des directives
conformes à cette approche. Il a dit ceci:
[TRADUCTION] Si vous acceptez la preuve relative au chef d'accusation
2 de l'acte d'accusation [le meurtre de Mme Umphrey] et concluez que Brian
Arp est coupable de cette infraction, et si vous décidez également que
l'infraction reprochée dans le chef d'accusation 1 [le meurtre de
Mme Blanchard] a probablement été commise par la même personne, vous
pouvez utiliser la preuve, particulièrement celle concernant l'utilisation de
l'instrument tranchant, pour confirmer ou appuyer la preuve [relative au chef
d'accusation 1].
62.
L'appelant soutient que le juge du procès a commis une erreur dans son
exposé au jury, parce qu'il a omis de dire aux jurés que, avant d'utiliser la preuve
relative à une des accusations de meurtre pour appuyer une conclusion de culpabilité à
l'égard de l'autre chef de meurtre, ils devaient d'abord conclure hors de tout doute
raisonnable (1) que l'accusé avait commis l'un des deux meurtres reprochés, en se
fondant uniquement sur la preuve se rapportant à ce chef; ou (2) que la même personne
avait commis les infractions reprochées dans les deux chefs d'accusation.
63.
Pour trancher ces questions, il faut non seulement décider quelle est la norme
de preuve applicable lorsqu'une preuve de faits similaires est utilisée par un jury, mais
aussi exposer la bonne approche en ce qui concerne l'utilisation de cette preuve. Les
possibilités algébriques qu'offrent ces deux questions sont impressionnantes. Au lieu
de tenter d'évaluer chaque permutation ou combinaison séparément, il convient
d'examiner les principes fondamentaux pour découvrir la bonne approche.
- 44 -
1. Les principes applicables
64.
La première observation qui s'impose est qu'aucune norme de preuve ne
s'applique à l'«utilisation» de la preuve ou à la preuve elle-même. Les normes de preuve
s'appliquent uniquement aux questions de fait. Voir Morin, précité. Lorsqu'une preuve
de faits similaires (comme toute autre preuve circonstancielle) est produite pour établir
l'identité, le jury est invité à en tirer des inférences et des conclusions de fait. La valeur
probante de la preuve de faits similaires repose sur un raisonnement axé sur la
probabilité. La force de la preuve réside dans la proposition voulant qu'il soit peu
probable que l'accusé soit impliqué plus d'une fois dans des infractions présentant un
caractère singulier ou une similitude frappante. C'est l'improbabilité d'une coïncidence
qui donne à la preuve sa force probante.
65.
Dans chaque cas, la question consiste à déterminer si la valeur probante de
la preuve l'emporte sur son effet préjudiciable. Comme il a été souligné plus tôt, en
règle générale, lorsqu'une preuve de faits similaires est présentée pour établir l'identité,
si le juge du procès est convaincu qu'il est probable que la même personne a commis et
l'acte similaire allégué et l'acte en cause, dans un tel cas la valeur probante de la preuve
de ces actes similaires l'emportera sur son effet préjudiciable, et la preuve sera admise.
Pour que le jury puisse s'appuyer sur une preuve de faits similaires, il doit lui aussi
conclure que la même personne a commis les actes similaires allégués. Le
chevauchement qui semble exister entre le rôle du juge et celui du jury découle du fait
que l'admissibilité d'une preuve de faits similaires dépend fréquemment de son poids.
Voir le commentaire de l'arrêt Hurren, précité. Comme l'a affirmé le juge Martin de
la Cour d'appel dans Simpson, précité, aux pp. 345 et 346:
- 45 -
[TRADUCTION] Il était évidemment loisible au juge de décider, en tant
que question de droit, si la preuve relative à chaque chef d'accusation était
admissible relativement à l'autre chef. Dans les circonstances, sa décision
à cet égard dépendait de la question de savoir s'il était convaincu que les
similitudes entre les infractions étaient telles que les deux infractions avaient
probablement été commises par un même homme. Il appartenait toutefois
entièrement aux jurés de décider s'il convenait de faire cette inférence; la
question de savoir s'ils feraient cette inférence serait fonction de leur
opinion quant aux similitudes entre les circonstances des deux infractions.
[Je souligne.]
Par conséquent, la principale question en litige dans le présent pourvoi est la norme de
preuve qu'il convient d'appliquer à l'inférence fondamentale tirée de la preuve de faits
similaires: Le jury doit-il être convaincu selon la prépondérance des probabilités ou hors
de tout doute raisonnable que la même personne a commis les actes en question?
66.
Formuler la question de cette manière écarte effectivement l'approche
séquentielle ou approche du point d'ancrage. C'est inévitable, car si la valeur probante
d'une preuve de faits similaires, en tant que preuve circonstancielle, réside dans
l'improbabilité d'une coïncidence, il n'est tout simplement pas logique d'exiger qu'une
des allégations soit prouvée hors de tout doute raisonnable comme condition préalable
à l'examen de cette preuve par le juge des faits. Bien qu'il soit possible que, à elle seule,
la preuve de faits similaires n'apporte une preuve hors de tout doute raisonnable, elle
peut être invoquée pour aider à prouver une autre allégation hors de tout doute
raisonnable. Deux allégations distinctes peuvent s'étayer mutuellement au point de
constituer une preuve hors de tout doute raisonnable, même lorsqu'un doute raisonnable
peut avoir existé relativement à chaque allégation prise isolément. Voir R. c. White,
[1998] 2 R.C.S. 72, au par. 44, citant R. c. Bouvier (1984), 11 C.C.C. (3d) 257 (C.A.
Ont.), le juge Martin, conf. par [1985] 2 R.C.S. 485.
- 46 -
67.
Ce raisonnement s'applique certainement lorsqu'une preuve de faits
similaires est admise pour établir l'identité. Dans ces cas, le raisonnement découle de
la similitude entre les actes eux-mêmes. Comme le souligne le procureur général de
l'Ontario intervenant, la valeur probante de la preuve n'est pas tributaire de la conclusion
que les deux infractions ont nécessairement été commises par la même personne. Au
contraire, c'est la probabilité qu'elles sont le fait de la même personne qui réduit
suffisamment les risques de coïncidence et donne ainsi à la preuve une valeur probante
légitime. L'improbabilité qu'un accusé soit impliqué dans deux infractions très
similaires peut apporter une preuve circonstancielle de sa culpabilité à l'égard des deux
infractions. Cette circonstance, conjuguée à d'autres éléments de preuve présentés au
soutien de chaque accusation, peut signifier la culpabilité hors de tout doute raisonnable.
68.
L'appelant soutient qu'il est contraire à la présomption d'innocence et aux
principes de justice fondamentale de déclarer un accusé coupable sur le fondement d'une
preuve relative à un chef d'accusation distinct ou à un acte similaire, même si le
ministère public n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable le fait préliminaire capital
qu'une seule et même personne a commis les infractions reprochées dans les deux chefs
d'accusation. Je ne puis accepter cet argument. Comme l'a affirmé le procureur général
de l'Ontario, on ne peut supposer que, parce qu'une constatation de fait préliminaire n'a
pas été établie suivant la norme applicable en matière criminelle, le juge des faits est en
conséquence invité à utiliser une preuve dépourvue de la valeur probante qu'elle est
censée avoir. Il n'est pas intrinsèquement injuste qu'un accusé puisse être déclaré
coupable même si le jury a des doutes sur la question de savoir si, à elle seule, la
similitude entre les actes établit que la même personne les a commis tous les deux.
L'argument de l'appelant présume qu'une similitude établie suivant un degré moindre
de certitude n'a aucune valeur probante. Si l'appelant a raison, alors, suivant le même
- 47 -
raisonnement, il faudrait conclure que la mauvaise décision a été rendue dans l'affaire
R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938.
69.
Dans Carter, il a été statué que, pour qu'un jury puisse utiliser la déclaration
d'un complice contre un accusé en tant qu'exception à la règle du ouï-dire, le jury doit
d'abord conclure, selon la prépondérance des probabilités et au moyen de la preuve
directement admissible contre l'accusé, que le témoin et l'accusé ont participé au même
complot. Ce n'est qu'après avoir tiré cette conclusion que le jury peut utiliser
concrètement les déclarations relatées. La Cour a refusé d'appliquer la norme de la
preuve hors de tout doute raisonnable à cette conclusion de fait préliminaire, étant donné
que l'application de cette norme aurait empêché le jury de trancher la question de fond
dans cette affaire, soit la culpabilité de l'accusé relativement à l'accusation de complot.
70.
D'une manière plus générale, dans R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653, il a été
jugé qu'une conclusion de fait préliminaire déterminant l'utilisation d'un élément de
preuve est normalement assujettie à la norme de preuve applicable en matière civile, que
la conclusion soit tirée par le juge du procès à l'étape de l'admissibilité ou par le jury au
début de ses délibérations. Dans Evans la preuve en litige était un aveu de l'accusé. Le
juge Sopinka, qui a rédigé les motifs des juges majoritaires, a déclaré ceci, à la p. 668:
Notre Cour a affirmé que le juge des faits peut trancher les questions de fait
préliminaires en se fondant sur la prépondérance des probabilités. [Citant
l'arrêt Carter, précité.]
. . .
Si certains éléments de preuve permettent de soumettre la question au juge
des faits, celle-ci doit faire l'objet d'un examen en deux temps. Tout
d'abord, il faut déterminer si, compte tenu de la preuve admissible contre
l'accusé, le ministère public a établi selon la prépondérance des probabilités
que la déclaration est celle de l'accusé. Une fois cette exigence préliminaire
satisfaite, le juge des faits doit examiner le contenu de la déclaration en
- 48 -
même temps que les autres éléments de preuve pour décider de l'innocence
ou de la culpabilité de l'accusé.
Les principes généraux énoncés dans ces arrêts indiquent que le jury devrait décider,
selon la prépondérance des probabilités, si les similitudes entre les actes établissent que
les infractions reprochées dans les deux chefs d'accusation ont été commises par la
même personne. Si cette condition préalable est satisfaite, le jury peut alors examiner
l'ensemble de la preuve se rapportant aux actes similaires pour décider si l'accusé est
coupable hors de tout doute raisonnable.
71.
Toutefois, il y a dérogation à la règle générale selon laquelle les conclusions
de fait préliminaires peuvent être tirées selon la prépondérance des probabilités dans les
cas, certes rares, où l'admission de la preuve peut elle-même avoir un effet concluant en
ce qui concerne la question de la culpabilité. Par exemple, lorsque le ministère public
produit une déclaration de l'accusé à une personne en situation d'autorité, le juge du
procès doit être convaincu hors de tout doute raisonnable du caractère volontaire de la
déclaration. Cette preuve peut, si elle est tenue pour avérée, apporter en elle-même une
preuve concluante de la culpabilité. Étant donné que l'existence d'un doute sur le
caractère volontaire de la déclaration se répercute également sur la fiabilité de celle-ci,
il est justifié d'exiger une preuve hors de tout doute raisonnable. Voir Ward c. La Reine,
[1979] 2 R.C.S. 30. Si la règle était différente, le jury serait autorisé à se fonder sur une
preuve qu'il pourrait considérer très forte même si la fiabilité intrinsèque de cette preuve
était douteuse.
72.
En revanche, en tant que preuve circonstancielle, une preuve de faits
similaires doit être qualifiée différemment, étant donné que, de par sa nature, elle ne peut
pas être concluante quant à la culpabilité. Elle constitue simplement un des éléments de
- 49 -
preuve à examiner parmi tous ceux qui constituent la preuve globale du ministère public.
Sa valeur probante réside dans sa capacité d'étayer, par l'improbabilité d'une
coïncidence, d'autres éléments de preuve inculpatoires. Comme pour tout élément de
preuve circonstancielle, le jury décidera du poids qui doit lui être accordé. Le simple fait
que, dans un cas particulier, le juge des faits pourrait accorder un poids élevé à une
preuve de faits similaires est une toute autre chose que le concept selon lequel, de par sa
nature, la preuve peut être décisive quant à la culpabilité.
73.
Comme le concède le procureur général de l'Ontario intervenant, il est
évidemment concevable qu'un seul élément de preuve circonstancielle soit la seule
preuve d'un élément essentiel de l'infraction dans une affaire donnée. Il faudra alors
appliquer la norme de preuve en matière criminelle dans ces circonstances afin de
garantir le respect de l'exigence selon laquelle, dans une poursuite criminelle, chaque
élément essentiel doit être prouvé hors de tout doute raisonnable. Par conséquent,
lorsque la preuve du ministère public sur la question de l'identité repose entièrement sur
l'unité sous-jacente entre les actes similaires, il s'ensuit que la norme de la preuve hors
de tout doute raisonnable s'applique à la décision du jury sur la question de savoir si une
seule et même personne a commis les deux actes.
74.
L'appelant soutient que, comme il y a risque qu'une preuve de faits
similaires fasse l'objet d'un mauvais usage préjudiciable par le juge des faits, une norme
de preuve élevée devrait être imposée comme condition préalable à l'utilisation d'une
telle preuve. Toutefois, le danger qu'un jury utilise mal une preuve de faits similaires
en se livrant au raisonnement interdit est évité, d'une part, par l'application du critère
d'admissibilité rigoureux, qui garantit que la preuve a une valeur probante suffisante
pour écarter le risque d'un mauvais usage préjudiciable, et, d'autre part, par la mise en
garde faite contre l'utilisation inappropriée de cette preuve. Ces mesures garantissent
- 50 -
que la preuve a une valeur probante légitime avant d'être soumise au juge des faits et que
le jury appréciera sa véritable pertinence. Empêcher le jury d'utiliser la preuve de façon
appropriée une fois qu'elle a été admise ne ferait rien pour éviter qu'elle soit utilisée de
manière inappropriée.
75.
Pour ce motif, la bonne approche en ce qui concerne l'examen d'une preuve
de faits similaires par un jury est l'approche «cumulative» ou approche de la «mise en
commun». Par conséquent, en règle générale, lorsqu'une preuve de faits similaires est
produite pour établir l'identité, il faudrait donner aux jurés la directive qu'une fois qu'ils
ont conclu à l'existence d'une probabilité suffisante que la même personne a commis les
actes similaires allégués, ils peuvent tenir compte de tous les éléments de preuve se
rapportant aux actes similaires pour décider si l'accusé est coupable de l'acte en
question.
2. L'utilisation d'une preuve sous-tendant un acquittement antérieur en
tant que preuve de faits similaires dans des poursuites subséquentes
contre le même accusé
76.
En dernier lieu, l'appelant invoque des arrêts dans lesquels il a été interdit
au ministère public de produire, en tant que preuve de faits similaires, dans un procès
subséquent intenté contre le même accusé, des témoignages faits dans des poursuites
s'étant soldées par l'acquittement de l'accusé. Voir, par exemple, R. c. Cullen (1989),
52 C.C.C. (3d) 459 (C.A. Ont.); R. c. Verney (1993), 87 C.C.C. (3d) 363 (C.A. Ont.); R.
c. M. (R.A.) (1994), 94 C.C.C. (3d) 459 (C.A. Man.); N. (R.S.), précité; R. c. Merdsoy
(1994), 91 C.C.C. (3d) 517 (C.A.T.-N.). L'appelant soutient que ces arrêts sont
incompatibles avec l'idée fondamentale qu'une preuve de faits similaires peut être
utilisée parce que deux infractions ont probablement été commises par la même
personne. L'appelant prétend que, si un accusé est déclaré coupable d'un des deux chefs
- 51 -
d'un acte d'accusation mais qu'il est acquitté de l'autre chef, il faut alors conclure que
les deux infractions n'ont pas été commises par la même personne, et la déclaration de
culpabilité est viciée dans la mesure où elle reposait sur une preuve de faits similaires.
Comme le souligne l'appelant, le problème des verdicts incompatibles disparaîtrait si
l'on invitait le jury, au début de ses délibérations, à décider hors de tout doute
raisonnable si les deux infractions ont été commises par la même personne. Cette
approche a pour effet de fondre ensemble les deux chefs d'accusation en tant que
conséquence nécessaire de l'utilisation d'une preuve de faits similaires, de sorte que le
sort des deux chefs d'accusation doit être le même.
77.
Dans les décisions où on a limité l'utilisation d'une preuve sous-tendant un
acquittement comme preuve de faits similaires dans un procès subséquent contre le
même accusé, le tribunal s'est fondé sur l'arrêt de notre Cour Grdic c. La Reine, [1985]
1 R.C.S. 810. Le juge Lamer a écrit ceci, au nom de la majorité, à la p. 825:
Il n'existe pas différentes sortes d'acquittements et, à cet égard, je
souscris au point de vue selon lequel [TRADUCTION] «le ministère public doit
accepter en tant que principe fondamental de l'administration du droit
criminel que, dans une poursuite criminelle subséquente, un acquittement
équivaut à une déclaration d'innocence» [. . .] Aller au-delà de
l'acquittement pour le qualifier revient en fait à introduire le verdict de «non
prouvé» qui [. . .] n'[. . .]a jamais fait partie [. . .] de notre droit.
. . .
Toutefois, cela ne signifie pas qu'aux fins de l'application de la doctrine
de la res judicata, la poursuite ne peut rouvrir certaines ou toutes les
questions soulevées au premier procès. Mais cela signifie effectivement que
toute question qui a nécessairement dû être résolue en faveur de l'accusé
pour qu'il y ait acquittement est réputée de façon irrévocable avoir été
tranchée définitivement en faveur de l'accusé. . .
78.
Le principe énoncé dans l'arrêt Grdic est fondamental pour notre système
de justice. Il vise à faire en sorte qu'un accusé ne soit pas obligé de se défendre à
- 52 -
répétition contre les mêmes allégations. Néanmoins, dans certaines circonstances, le fait
qu'un accusé ait, dans le passé, été acquitté d'accusations pesant contre lui peut être
pertinent à l'égard d'une question fondamentale dans un procès subséquent. Par
exemple, dans R. c. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758, l'inculpé était accusé d'avoir obtenu de
l'argent par des faux-semblants. Il avait obtenu des fonds en échange d'un chèque qu'on
avait par la suite refusé d'accepter. Au terme du premier procès, l'accusé avait été
acquitté pour le motif que, lorsqu'il avait remis le chèque au plaignant, il s'attendait à
recevoir des fonds couvrant le chèque. Par la suite, l'accusé a de nouveau été inculpé
d'avoir obtenu de l'argent par des faux-semblants et, au second procès, le ministère
public a produit le témoignage du premier plaignant en tant que preuve pertinente à
l'égard de l'état d'esprit coupable de l'accusé. La cour a statué que la preuve était
admissible. Comme l'a affirmé le juge Widgery dans G. (an infant) c. Coltart, [1967]
1 All E.R. 271 (Q.B.), à la p. 276:
[TRADUCTION] . . . il peut bien arriver que la preuve relative à l'accusation
qui s'est soldée par un acquittement soit produite relativement à l'accusation
subséquente, mais, si tel est le cas, cette preuve sera produite parce qu'elle
est pertinente à l'égard de l'accusation subséquente, indépendamment de la
question de savoir si l'accusé était innocent ou coupable de la première
accusation. [Je souligne.]
Suivant ce raisonnement, la preuve de l'acquittement antérieur a été à bon droit admise
dans Ollis. Elle a été admise pour prouver l'intention. Même si l'accusé avait été
acquitté de la première accusation, le fait qu'il avait déjà subi un procès relativement à
des accusations similaires se rapportait à sa connaissance d'un acte fautif,
indépendamment de sa culpabilité relativement à la première accusation. Son procès et
son acquittement antérieurs pouvaient être admis pour cette fin limitée, mais ils
exigeaient évidemment des directives minutieuses de la part du juge du procès.
Néanmoins, dans la plupart des situations, il sera injuste et inopportun d'admettre une
- 53 -
preuve sous-tendant l'acquittement antérieur en tant que preuve de faits similaires dans
un procès subséquent contre le même accusé.
79.
Malgré cela, je ne puis accepter la thèse voulant que le principe énoncé dans
l'arrêt Grdic, précité, s'applique aux verdicts rendus par le même juge des faits
relativement à des accusations jugées ensemble dans un même procès. Il n'y a rien
d'injuste ou de logiquement irréconciliable dans le fait qu'un jury ait un doute
raisonnable sur la question de savoir si l'accusé a commis un acte, mais arrive également
à la conclusion que l'accusé a probablement commis cet acte. Il peut très bien exister
de bonnes raisons d'exclure une preuve de faits similaires sous-tendant un acquittement
antérieur dans une poursuite subséquente. Toutefois, ce principe ne s'applique pas
lorsque les actes similaires allégués font l'objet d'un acte d'accusation comportant
plusieurs chefs. Dans ces cas, le juge du procès devra donner des directives minutieuses
au jury. Il est nécessaire d'expliquer au jury que la preuve produite relativement à un
chef d'accusation à l'égard duquel celui-ci prononce un acquittement peut être utilisée
pour décider de la culpabilité à l'égard d'un ou plusieurs autres chefs.
80.
En résumé, lorsqu'une preuve de faits similaires est admise pour établir
l'identité dans le cadre d'un acte d'accusation comportant plusieurs chefs, un bon exposé
au jury devrait inclure les facteurs suivants, qui ont été examinés par le juge Martin de
la Cour d'appel dans l'arrêt Simpson, précité, et par notre Cour dans les arrêts Sweitzer
et D. (L.E.), précités:
(1) Le juge du procès devrait dire aux jurés qu'ils peuvent conclure, à la
lumière de la preuve -- quoique rien ne les oblige à le faire -- que le mode
de perpétration des infractions présente des similitudes telles qu'il est
probable qu'elles ont été commises par la même personne.
- 54 -
(2) Le juge du procès devrait ensuite passer en revue les similitudes entre
les infractions.
(3) Puis, le juge du procès devrait dire aux jurés que, s'ils concluent qu'il
est probable que la même personne a commis plus d'une des infractions,
alors la preuve relative à chacun de ces chefs d'accusation peut les aider à
décider si l'accusé a commis les autres chefs d'accusation similaires.
(4) Le juge du procès doit dire aux jurés que, s'ils acceptent la preuve des
actes similaires, cette preuve est pertinente, mais uniquement à l'égard de
la fin limitée pour laquelle elle a été admise.
(5) Les jurés doivent être avertis qu'ils ne peuvent pas utiliser la preuve
relative à un chef d'accusation pour inférer que l'accusé est une personne
possédant une nature ou une disposition telle qu'elle a probablement commis
les infractions reprochées dans les autres chefs d'accusation.
(6) Si les jurés ne concluent pas qu'il est probable que la même personne
a commis les infractions similaires, ils doivent rendre leur verdict en
examinant la preuve relative à chaque chef d'accusation séparément, et faire
abstraction de la preuve relative aux autres chefs d'accusation.
(7) Enfin, le juge du procès doit évidemment indiquer clairement aux jurés
qu'ils ne doivent déclarer l'accusé coupable d'un chef d'accusation que s'ils
sont convaincus hors de tout doute raisonnable que l'accusé est coupable de
l'infraction en question.
- 55 -
3. L'application au présent pourvoi
81.
La directive qu'a donnée le juge du procès aux jurés en se fondant sur l'arrêt
Simpson, précité, -- c'est-à-dire que s'ils concluaient que les infractions reprochées dans
les deux chefs d'accusation avaient probablement été commises par la même personne,
ils pouvaient utiliser la preuve relative à chaque chef pour statuer sur la culpabilité de
l'accusé à l'égard des deux chefs d'accusation --, ne porte atteinte ni à l'art. 7 ni à
l'al. 11d) de la Charte. La directive supplémentaire indiquant aux jurés de décider si
l'accusé était coupable du meurtre de Mme Umphrey et si les infractions reprochées dans
les deux chefs d'accusation avaient été commis par une seule et même personne avant
d'utiliser la preuve relative aux deux chefs à l'égard de l'un et l'autre chef ne peut pas
avoir causé préjudice à l'accusé. Ce moyen d'appel doit donc être rejeté.
C. L'admissibilité des échantillons de cheveux et de poils
82.
L'appelant soutient que le prélèvement d'échantillons de cheveux et de poils
et leur utilisation subséquente dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Mme Umphrey
ont porté atteinte aux droits que lui garantissent les art. 7 et 8 de la Charte, et que la
preuve contestée aurait dû être écartée en application du par. 24(2) de la Charte.
L'appelant affirme que la date pertinente pour décider s'il y a eu saisie en l'espèce est
le 26 juillet 1990, date à laquelle il a consenti à fournir des échantillons de cheveux et
de poils pubiens dans l'enquête sur le meurtre de Mme Blanchard. Il prétend que ce
consentement ne s'appliquait pas à l'entreposage des échantillons et à leur utilisation
subséquente dans l'enquête sur le meurtre de Mme Umphrey, et donc que la saisie des
échantillons à une fin qui dépasse l'étendue du consentement initial est illégale.
- 56 -
83.
L'appelant plaide en outre que, même si notre Cour conclut que la date
pertinente pour décider s'il y a eu saisie est le 16 mars 1993, date à laquelle des policiers
ont saisi en vertu d'un mandat de perquisition les échantillons conservés par le
laboratoire de la GRC, l'invalidité du consentement donné le 26 juillet 1990 saperait la
légalité du mandat. Les policiers n'auraient alors pas été justifiés de «reprendre
possession» des échantillons de cheveux et de poils pour les utiliser dans l'enquête sur
la mort de Mme Umphrey si l'utilisation de ces échantillons était restreinte à l'enquête sur
la mort de Mme Blanchard. Par conséquent, la saisie effectuée en vertu du mandat de
perquisition violerait également l'art. 8 de la Charte.
84.
Les deux arguments de l'appelant reposent sur sa thèse que le prélèvement
des échantillons à des fins qui dépassent l'étendue du consentement donné en 1990
constitue une saisie illégale. Comme l'a déclaré le juge Iacobucci pour la majorité dans
Borden, précité, à la p. 160, il y a saisie chaque fois que l'État prend, sans le
consentement d'un citoyen, un bien appartenant à ce dernier et à l'égard duquel il a une
attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Voir aussi R. c. Dyment,
[1988] 2 R.C.S. 417. Lorsque des policiers cherchent à obtenir des échantillons de sang
ou des échantillons de cheveux et de poils d'un suspect, l'existence d'attentes en matière
de respect de la vie privée en ce qui concerne l'intégrité physique est claire. Par
conséquent, lorsque les policiers ne sont pas autorisés par la loi à exiger de tels
échantillons, ceux-ci ne peuvent être prélevés qu'avec le consentement du suspect.
85.
Dans les motifs qu'il a rédigés au nom de la majorité dans l'arrêt Borden, le
juge Iacobucci a examiné attentivement le sens du mot consentement. Dans cette affaire,
deux agressions sexuelles avaient été commises en l'espace de quelques mois. L'accusé
avait été appréhendé relativement à la seconde agression. À la demande des policiers,
il avait consenti à fournir des échantillons de cheveux et de poils ainsi qu'un échantillon
- 57 -
de sang relativement à cette agression. Cependant, les policiers souhaitaient utiliser
l'échantillon de sang pour prouver, au moyen d'une analyse génétique, que l'accusé était
l'auteur de la première agression. L'accusé n'avait reçu à toutes fins utiles aucune
indication que ces échantillons étaient également demandés relativement à la première
agression. Les juges de la majorité ont statué qu'il existe un «lien entre l'étendue d'un
consentement valide et l'étendue de la connaissance qu'a l'accusé des conséquences de
ce consentement» (à la p. 163). Le juge Iacobucci a fait remarquer que, pour que la
renonciation soit valide, la personne qui est censée donner son consentement doit
posséder suffisamment de renseignements pour donner un consentement valide. Il s'est
exprimé en ces termes, aux pp. 162 et 163:
Pour que la renonciation au droit à la protection contre les saisies abusives
soit réelle, la personne qui est censée donner son consentement doit disposer
de tous les renseignements requis pour pouvoir renoncer réellement à ce
droit. Le droit de choisir exige non seulement que la personne puisse
exercer sa volonté de préférer une solution à une autre, mais aussi qu'elle
possède suffisamment de renseignements pour faire un choix utile. . .
. . . [Il existe un] lien entre l'étendue d'un consentement valide et l'étendue
de la connaissance qu'a l'accusé des conséquences de ce consentement.
Il a ensuite tiré les conclusions suivantes, aux pp. 164 et 165:
Il leur incombait [aux policiers] à tout le moins de dire clairement à l'intimé
qu'ils considéraient son consentement comme un consentement général à
l'utilisation de l'échantillon relativement à d'autres infractions dont il
pourrait être soupçonné. Je ne me prononce pas sur la question de savoir s'il
y aurait eu saisie si les policiers n'avaient eu l'intention d'utiliser
l'échantillon pour [la première] agression d'octobre, et l'avaient ensuite pris
à cette fin, qu'après avoir saisi le sang pour l'utiliser dans [la seconde]
affaire. . .
Le degré de conscience qu'un accusé doit avoir des conséquences d'une
renonciation au droit qui lui est garanti par l'art. 8 dépend des faits
particuliers de chaque cas. Évidemment, il ne sera pas nécessaire que
l'accusé ait une compréhension approfondie de chacune des répercussions
- 58 -
possibles de son consentement. Toutefois, il devrait comprendre notamment
que les policiers comptent utiliser le produit de la saisie dans une enquête
portant sur une infraction différente de celle pour laquelle il est détenu.
Par conséquent, le principe général qui se dégage de l'arrêt Borden est que l'étendue
d'un consentement valide peut être limitée par l'étendue de la connaissance qu'a l'accusé
et par l'information qui lui est donnée quant aux conséquences du consentement. Les
juges majoritaires ont explicitement laissé en suspens la question soulevée par l'appelant
dans cette affaire.
86.
Il convient de souligner que le juge en chef Lamer (avec l'appui du juge
Gonthier) et le juge McLachlin ont exprimé une opinion sur cette question dans des
remarques incidentes. Comme l'a dit le juge en chef Lamer, aux pp. 153 et 154:
Bien que je ne croie pas qu'il soit nécessaire ou souhaitable d'examiner la
question plus générale des conditions requises pour un consentement valide,
je suis d'accord avec le juge Iacobucci pour dire que l'individu doit être
informé de l'objectif visé et déjà connu des policiers lorsqu'ils lui
demandent son consentement.
Toutefois, je ne voudrais pas que l'on considère que cela signifie que je
souscris au principe général voulant qu'une fois qu'il est donné validement
dans le contexte du droit criminel, le consentement restreint les usages qui
peuvent être faits de l'échantillon ou des résultats de son analyse. Une telle
approche risque d'entraîner une analyse compartimentée des enquêtes et des
consentements donnés à des fouilles, perquisitions et saisies. [Je souligne.]
Dans de brefs motifs concordants, le juge McLachlin a convenu avec le Juge en chef que
l'individu doit être informé de l'«objectif visé et déjà connu des policiers lorsqu'ils lui
demandent son consentement» (à la p. 171), mais a confiné cette observation aux faits
de l'affaire Borden. À la p. 171, elle a souligné que sert un intérêt public important le
fait de permettre aux policiers de mettre la preuve obtenue relativement à une infraction
en corrélation avec d'autres infractions non résolues. À cet égard, les commentaires faits
- 59 -
par la Commission de réforme du droit, à la p. 76 de son Document de travail 34 intitulé
Les méthodes d'investigation scientifiques (1984), sont pertinentes:
Nous pensons qu'il est vraisemblable, au contraire, que la destruction de
certains dossiers dans de telles circonstances pourrait nuire à la police dans
l'exercice de son rôle légitime qui est de détecter la criminalité et de
protéger l'ensemble de la société au lieu de constituer une garantie utile et
valable du droit des gens honnêtes à leur vie privée. Les copies authentiques
d'empreintes digitales, par exemple, peuvent avoir une importance capitale
quand l'investigation porte sur des crimes graves qui sont commis par des
personnes qui, quelle que soit la raison, n'ont pas été reconnues coupables
d'infractions dont elles étaient en fait coupables. Peut-on affirmer que la
conservation des copies authentiques d'empreintes digitales obtenues
légalement et d'une manière raisonnable «(empiète) de façon abusive ou
arbitraire sur les droits et libertés des personnes . . .»?
87.
Néanmoins, les arrêts de notre Cour indiquent clairement que, pour que le
consentement au prélèvement d'échantillons de substances corporelles soit valide, il doit
reposer sur un consentement éclairé. En d'autres mots, les personnes qui donnent ce
consentement doivent être au courant de leurs droits et, autant que possible, des
conséquences de leur consentement. Voir Borden, précité, aux pp. 161 et 162; et
R. v. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, à la p. 624. Toutefois, si ni les policiers ni la
personne qui donne son consentement ne limitent l'utilisation qui peut être faite de
l'élément de preuve, alors, en règle générale, l'utilisation de cet élément de preuve ne
devrait être assortie d'aucune limite ou restriction. Comme l'a expliqué le juge
Iacobucci dans Borden, précité, à la p. 164, «il ne sera pas nécessaire que l'accusé ait une
compréhension approfondie de chacune des répercussions possibles de son
consentement» pour que le consentement soit valide.
88.
J'admets que l'obligation faite aux policiers d'obtenir un consentement
valide ne concerne que la divulgation des objectifs visés et déjà connus des policiers
lorsque le consentement est donné. Imposer une obligation plus grande pourrait, comme
- 60 -
l'a expliqué le Juge en chef, à la p. 154, «permettre d'interpréter l'équivalent de
privilèges complexes relatifs à la preuve en fonction des fins pour lesquelles la preuve
a tout d'abord été obtenue ou des renseignements qui ont été fournis au moment où le
consentement a été donné». Ce point de vue est compatible avec la conclusion des juges
majoritaires, à la p. 164, qu'«il ne sera pas nécessaire que l'accusé ait une
compréhension approfondie de chacune des répercussions possibles de son
consentement» pour que le consentement soit valide.
89.
En l'absence de toute restriction dont les policiers ou la partie donnant son
consentement auraient assorti l'utilisation devant être faite des échantillons de cheveux
ou de poils, il n'y a rien d'intrinsèquement injuste ou illégal dans le fait de permettre à
des policiers de conserver des éléments de preuve recueillis dans le cadre d'une enquête
donnée et de les utiliser dans une enquête subséquente qui n'était pas prévue au moment
où le consentement a été donné. En l'espèce, les policiers ne pouvaient pas vraiment
prévoir que, 30 mois après avoir obtenu légalement les échantillons de poils et de
cheveux de l'appelant, ce dernier serait de nouveau un suspect dans une autre affaire
d'homicide. De plus, au moment du prélèvement des échantillons, l'appelant a été
clairement informé que, si les policiers recueillaient [TRADUCTION] «quelque élément de
preuve grâce à cet échantillon de cheveux et de poils, [cet élément serait utilisé] devant
les tribunaux» (je souligne). Par conséquent, il est évident que le consentement de
l'appelant n'était assorti d'aucune limite et qu'il n'était pas vicié par sa méconnaissance
des conséquences de ce consentement. La saisie des échantillons de cheveux et de poils
en 1990 était légale et raisonnable.
90.
À mon avis, une fois les échantillons de cheveux et de poils prélevés par les
policiers avec le consentement inconditionnel et raisonnablement éclairé de l'accusé,
celui-ci a cessé d'avoir à leur égard des attentes en matière de respect de sa vie privée.
- 61 -
Comme l'a déclaré le juge du procès dans sa décision sur l'admissibilité de la preuve
tirée des échantillons de cheveux et de poils:
[TRADUCTION] À mon avis, il est illogique et inacceptable de prétendre que
la personne qui donne volontairement aux policiers un échantillon d'une
substance corporelle -- qu'il s'agisse de cheveux, de poils ou de sang, en
sachant parfaitement que cet échantillon sera utilisé dans le cadre d'une
enquête -- continue d'avoir des attentes en matière de respect de sa vie
privée en ce qui a trait au «contenu informationnel» de cet échantillon.
Selon moi, il n'existait aucune attente de la sorte, réelle ou implicite . . .
Le juge du procès a examiné la question de la validité du consentement à l'utilisation des
échantillons de cheveux et de poils. Il a estimé que le consentement était valide et,
compte tenu de la preuve dont il disposait, il était fondé à tirer cette conclusion. Dans
ces circonstances, sa décision devrait être acceptée.
91.
Toutefois, pour les fins du présent pourvoi, il est inutile de se demander si,
après avoir consenti inconditionnellement au prélèvement des échantillons par les
policiers, l'appelant a pu conserver un droit au respect de sa vie privée à l'égard de ces
échantillons ou des renseignements susceptibles d'en être tirés. Les policiers ont saisi
les échantillons au laboratoire de la GRC en 1993 en vertu d'un mandat de perquisition.
L'appelant a plaidé que l'invalidité du consentement donné le 26 juillet 1990 saperait la
légalité du mandat, mais le consentement donné en 1990 était valide à tous égards, et la
validité du mandat n'a été attaquée d'aucune autre façon. Par conséquent, même si
l'appelant avait encore quelque droit au respect de sa vie privée en ce qui concerne les
échantillons de cheveux et de poils, ces échantillons ont été saisis en vertu d'un mandat
décerné régulièrement. La validité de ce mandat n'a pas été contestée directement.
IV. Le dispositif
- 62 -
92.
En définitive, le pourvoi est rejeté.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l'appelant: G. D. McKinnon, c.r., Vancouver.
Procureur de l'intimée: Le procureur général de la Colombie-Britannique,
Victoria.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Le procureur
général du Canada, Ottawa.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le procureur
général de l'Ontario, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: Le procureur
général de l'Alberta, Edmonton.