JC 1888

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-36-002898-024

 

 

 

DATE :

Le 19 décembre 2002

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LISE CÔTÉ, j.c.s.

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VILLE DE MONTRÉAL,

Appelante

c.

FRÉDÉRIC GUINDON,

Intimé

 

 

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JUGEMENT

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(prononcé séance tenante)

[1]           L’appelante se pourvoit à l’encontre de la décision rendue le 2 octobre 2002 par monsieur le juge Jacques Ghanimé de la Cour municipale de Montréal qui a acquitté l’intimé de l’offense d’avoir enfreint l’article 30(1) du Règlement sur la circu­lation et le stationnement de la Ville de Montréal[1] (R.R.V.M.), en ayant stationné un véhicule routier là où la signalisation interdit le stationnement, soit en face du 555 rue Chabanel à 12h59, le 13 août 2001.

[2]           L’appelante invoque comme moyen d’appel que le premier juge a erré quant à son interprétation de l’exception prévue au par. 33(2) du Règlement sur la circulation et le stationnement.

[3]           La preuve révèle que le 13 août 2001, l’intimé a stationné son véhicule à l’endroit  prohibé et ce, pour faire de la livraison de courrier.  Les pancartes indiquaient «Station­nement interdit, livraison seulement» et l’intimé s’y est stationné puisqu’il faisait alors de la livraison pour une compagnie.  Il témoigne que le panneau n’indiquait aucunement qu’il devait s’agir d’un véhicule commercial.

[4]           Le juge du procès, après avoir analysé cette preuve, a conclu que le véhicule de l’intimé était un véhicule commercial et qu’à ce titre il pouvait bénéficier de l’exception prévue à l’art. 33(2) du Règlement, soit qu’il est permis de stationner un véhicule routier pour une période d’au plus 15 minutes, dans une zone interdisant le stationnement, s’il s’agit d’un véhicule commercial utilisé aux fins de cueillette ou livraison de courrier ou encore de petits colis.

[5]           Essentiellement, le premier juge a retenu la définition plus large prévue à l’art. 4 du Code de la sécurité routière (C.S.R.)[2] de l’expression «véhicule de commerce» pour l’appliquer à l’exception en cause, soit la définition d’un «véhicule commercial» que l’on retrouve au Règlement.

[6]           L’appelante invoque que l’interprétation de l’exception prévue au par. 33(2) du Règlement ne vise que les véhicules commerciaux, l’expression étant définie au Règlement sur l’immatriculation des véhicules routiers[3] comme un véhicule appartenant à une personne morale, défini à l’art. 2 comme étant un véhicule automobile, autre qu’un autobus, un minibus ou les autres véhicules visés aux paragraphes 2 à 11 de l’art. 102, d’une masse nette de 3 000 kg ou moins et appartenant à une personne morale.  Elle soumet que l’interprétation qui a été antérieurement adoptée par un collègue de cette Cour, dans l’affaire Logeswaran[4], est celle qui doit prévaloir, à savoir qu’un véhicule commercial doit appartenir à une personne morale et doit comporter les caractéristiques physiques qui sont prévues au Règlement pour pouvoir bénéficier de l’exception.

[7]           Pour pouvoir être acquitté, l’intimé doit établir qu’il bénéficie de l’exception prévue au Règlement, toute exception devant être établie par l’intimé en vertu de l’art. 64(2)  du Code de procédure pénale.

[8]           En l’espèce, l’intimé n’a pas présenté de preuve visant à établir qu’il faisait la livraison de courrier avec un véhicule commercial.

[9]           Le Tribunal estime que l’exception prévue à l’art. 33 du Règlement s’applique et ne peut valoir pour la livraison de courrier que si le véhicule employé à cette fin est un véhicule commercial appartenant à une personne morale, ou encore ayant les carac­téristiques énoncées au Règlement sur l’immatriculation des véhicules routiers.

[10]        L’expression «véhicule commercial» est clairement définie à l’art. 2 de ce Règle­ment et comprend un véhicule automobile avec certaines caractéristiques et appar­tenant à une personne morale.

[11]        En l’espèce, la preuve est silencieuse quant à la propriété du véhicule et le Tribunal estime que c’est à tort que le premier juge s’est servi de la définition de l’art. 4 du C.S.R. puisque le Règlement a adopté la définition spécifique édictée au Règlement sur l’immatriculation des véhicules routiers en ce qui concerne un «véhicule com­mercial».

[12]        Quant au renvoi à l’art. 4 du C.S.R. à la toute fin de l’art. 2 du Règlement, il ne saurait valoir que si aucune définition spécifique n’était donnée au Règlement.  Lorsque le Législateur prévoit que les mots et expressions définis à l’art. 4 ont, dans le présent règlement, le même sens que dans le C.S.R., il s’agit des mots et expressions que le Législateur ne s’est pas donné la peine de définir à l’art. 2. 

[13]        C’est à tort que le juge s’est servi de la définition du C.S.R.

[14]        Le Tribunal estime que l’interprétation qui doit prévaloir est celle qu’a adoptée le juge Zigman dans l’arrêt précité, soit qu’un véhicule commercial doit non seulement posséder certaines caractéristiques physiques, mais doit aussi, d’après le Règlement sur l’imma­triculation des véhicules routiers, appartenir à une personne morale et «personne morale» est définie dans le Règlement sur l’immatriculation des véhicules routiers comme étant «une société, une personne physique faisant affaires sous une raison sociale ou utilisant un véhicule principalement à des fins commerciales ou professionnelles».

[15]        En l’espèce, comme la preuve était silencieuse sur cette question, l’intimé ne pouvait pas bénéficier de l’exception prévue au Règlement.  Cependant, la lecture des notes sténographiques du procès révèle que dans sa défense l’intimé présentait plutôt que la municipalité n’avait pas installé une signalisation appropriée.  Comme l’intimé se représentait seul, il s’est limité à faire valoir l’absence d’une signalisation adéquate et, après avoir expliqué au juge qu’il pensait avoir le droit de stationner à cet endroit, il spécifie:

Écoutez, moi j’ai regardé la pancarte et c’est bien indiqué interdiction de stationner – livraison seulement.  Comme je faisais de la livraison, j’ai compris que j’avais le droit de stationner. [5] 

[16]        Ces propos de l’intimé reflétaient essentiellement sa défense.

[17]        À première vue, l’on pourrait croire, comme l’a mentionné Me Crevier, que l’intimé fait valoir une défense d’ignorance de la loi et l’on sait que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse en droit criminel. 

[18]        D’un autre côté, les municipalités peuvent réglementer le stationnement sur leur territoire mais certaines sont toutefois régies par l’art. 295(7) du C.S.R.; cet article prévoit l’obligation de le faire au moyen d’une signalisation appropriée.  Dans une affaire où le juge, en matière d’infraction de stationnement, avait acquitté un individu parce que la signalisation était inadéquate, la Ville de Laval[6] s’était pourvue en appel au motif que le juge avait soulevé ce moyen proprio motu dans un premier temps et deuxièmement, que l’on ne pouvait pas invoquer l’ignorance de la loi.  Après avoir fait l’analyse de l’article 295(7) C.S.R., j’ai conclu qu’un règlement où une partie d’un règlement pouvait être déclaré inopérant si la Ville n’avait pas dûment rempli ses obligations imposées par le Code de la sécurité routière et maintenu l’acquittement.

[19]        Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il y a lieu d’annuler l’acquittement parce que le juge s’est servi de l’exception pour acquitter l’intimé ce qui, à mon avis, était une mauvaise interprétation du droit.  D’un autre côté, j’ordonnerai un nouveau procès mais je ne saurais accorder la demande de l’appelante de prononcer un verdict de culpabilité à l’encontre de l’intimé pour les motifs que j’ai plus haut énoncés.

POUR CES MOTIFS, la Cour :

ACCUEILLE l’appel;

ANNULE le jugement d’acquittement rendu en première instance;

ORDONNE un nouveau procès dont l’instruction devra être tenue devant un autre juge que celui qui a rendu le jugement en première instance;

Le tout sans frais tant en appel qu’en première instance vu les circonstances du dossier.

 

 

 

 

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j.c.s.

 


 


Me Patrice G. Crevier

Procureur de l’Appelante

 

 

M. Frédéric Guindon

(se représente lui-même)

 

 

Date d’audience :

Le 19 décembre 2002

Transcrit et révisé le 14 février 2003

 



[1]     Règlement C-4.1

[2]     L.R.Q. c. C-24.2.

[3]     Décret 1420-91 du 16 octobre 1991, C-24.2, r.1.01.1.

[4]     Ville de Montréal c. Logeswaran, C.S. no. 500-36-002852-021, 24 septembre 2002, j. Zigman.

[5]     Notes sténographiques du 2 octobre 2002, page 4.

[6]     Ville de Laval c. Maurice Doucet, C.S. Laval, no. 540-36-000050-962, 29 janvier 1997, j. Côté.