COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000301‑965
(615‑01‑000833‑957)
Le 2 décembre 1996
CORAM: LES HONORABLES ROTHMAN
DELISLE
ROBERT, JJ.C.A.
SA MAJESTÉ LA REINE,
APPELANTE - ( poursuivante )
c.
ÉRIC BOUTIN,
INTIMÉ - ( accusé )
LA COUR, statuant séance tenante sur l'appel d'un jugement de la Cour du Québec, district d'Abitibi, prononcé le 22 mai 1996 par l'honorable Miville St-Pierre, accueillant une requête de l'intimé et écartant de la preuve les éléments obtenus en violation des droits constitutionnels de l'intimé.
APRÈS étude du dossier et audition:
Le 9 avril 1996, l'intimé a subi son procès sur les chefs d'accusation suivants:
1. Le ou vers le 22 février 1995, à Malartic, district d'Abitibi, a fait le trafic d'un stupéfiant, soit: de la cocaïne; commettant ainsi l'acte criminel prévu aux articles 4(1) et 4(3) de la Loi sur les stupéfiants;
2. Le ou vers le 22 février 1995, à Malartic, district d'Abitibi, a eu en sa possession pour fins de trafic un stupéfiant, soit: de la cocaïne; commettant ainsi l'acte criminel prévu aux articles 4(2) et 4(3) de la Loi sur les stupéfiants.
Le 22 mai 1996, à la suite d'une requête présentée par l'intimé, le premier juge a déclaré l'arrestation de l'intimé illégale de même que sa détention ainsi que la fouille et la saisie s'y rattachant. En conséquence, il a écarté de la preuve les éléments obtenus en violation des droits constitutionnels de l'intimé (articles 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés), étant d'avis que l'admission de ces éléments de preuve était susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Cette décision a entraîné l'acquittement de l'intimé.
Le 4 juin 1996, la Couronne a inscrit ce jugement en appel. Dans son «inscription en appel sur des questions de droit et avis d'appel», elle soulève les motifs d'appel suivants:
a) Le juge de première instance a erré en omettant d'apprécier tous les éléments de preuve pertinents à la détermination de l'existence de motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation et à la fouille incidente;
b) Le juge du procès a erré en omettant d'apprécier tous les éléments de preuve relatifs à la fiabilité des renseignements fournis par l'informateur eu égard à l'ensemble de toutes les circonstances;
c) Subsidiairement, le juge de première instance a erré dans l'application de l'article 24, paragraphe 2 de la Charte canadienne des Droits et libertés en ne permettant pas l'utilisation des éléments de preuve matériels saisis en l'espèce, compte tenu de l'ensemble des circonstances.
Il s'agit de l'arrestation et d'une fouille de l'intimé sans mandat, basées sur les renseignements obtenus d'un informateur. La défense prétendait que les droits constitutionnels de l'intimé avaient été violés par sa détention arbitraire et une fouille abusive, vu l'insuffisance des renseignements soumis aux policiers pour procéder à une arrestation sans mandat. Les faits constatés par le premier juge ne sont pas contestés. Voici comment il a qualifié la preuve devant lui:
Dans notre affaire, les renseignements fournis au policier étaient loin d'être convaincants et précis. On supposait que l'accusé transporterait sur lui des stupéfiants sans plus. Aucune preuve ne fut faite de la fiabilité des renseignements fournis. La source était-elle fiable? Peut-être, étant donné que des renseignements fournis auparavant avaient donné lieu à des arrestations. Mais on ne connaît pas la réputation de cet informateur ni quel rôle il joue dans le milieu des stupéfiants. Aucune précision n'est fournie quant aux renseignements obtenus. Enfin, les policiers n'ont pas cherché à vérifier eux-mêmes la valeur des renseignements avant de procéder à l'arrestation de l'accusé.
Les policiers, comme dans l'affaire Bennett, auraient dû poursuivre plus avant leur enquête. Rien ne laissait croire qu'on trouverait quelque chose. Si l'accusé avait été dans son domicile, après avoir raté son avion, le policier aurait-il pu entrer sans mandat et arrêter l'accusé? Définitivement pas. Les circonstances commandaient la prudence, les policiers n'avaient que des soupçons et l'arrestation de l'accusé n'était pas légale.
Le premier juge s'appuie
sur les arrêts de la Cour Suprême du Canada dans R. c. Kokesh ([1990] 3
R.C.S. 3); Garofoli c. R. ([1990] 2 R.C.S. 1421); Plant c. R.
([1993] 3 R.C.S. 281)
; et sur l'arrêt de la Cour dans Bennet c. R.
(C.A.M. 500-10-000393-924
, 15 mars 1996).
Les motifs d'appel, dans la présente cause, soulèvent une question d'appréciation de la preuve par le premier juge plutôt qu'une question de droit. L'omission d'apprécier les éléments de preuve ne saurait constituer une erreur de droit que si elle résulte d'une mauvaise compréhension d'un principe juridique, ce qui n'est pas démontré dans l'inscription en appel (R. c. Morin [1992] 3 R.C.S. 286,295).
La compétence de la Cour d'appel, en l'espèce, se limite à une question de droit seulement. Si toutes les questions factuelles sont acceptées ou incontestées, le désaccord porte sur le droit ou l'application des principes de droit aux faits non contestés de l'affaire. La Cour d'appel peut ne pas partager une conclusion erronée tirée par le premier juge sur l'existence ou l'absence de motifs raisonnables et probables pour procéder à l'arrestation et la fouille de l'accusé ou sur la fiabilité des renseignements fournis par un informateur.
Intervenir dans l'appréciation des faits par le premier juge est toute autre chose.
Dans R. c. Morin
([1992] 3 R.C.S. 286, 294) le juge Sopinka a décrit le pouvoir d'une cour d'appel
d'intervenir dans la conclusion d'un juge du procès lorsque les faits constatés
par le premier juge sont incontestés:
Si un juge du procès conclut à l'existence de tous les faits nécessaires pour tirer une conclusion en droit et que, pour tirer cette conclusion, ces faits peuvent simplement être tenus pour avérés, une cour d'appel peut ne pas partager la conclusion tirée sans empiéter sur la fonction de recherche des faits conférée au juge du procès. Le désaccord porte sur le droit et non sur les faits ni sur les conclusions à tirer de ceux-ci. Le même raisonnement s'applique si les faits sont acceptés ou incontestés. Dans ce cas, le tribunal peut arriver à la bonne conclusion en droit sans ordonner un nouveau procès puisque les questions factuelles ont été réglées. On trouve des exemples de ce genre d'erreur de droit dans les arrêts Belyea c. The King, [1932] R.C.S. 279, Ciglen c. La Reine, [1970] R.C.S. 804, Poitras c. La Reine, [1974] R.C.S. 649, Johnson c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 160, et Fotti c. La Reine [1980] 1 R.C.S. 589.
Toutefois, quant à l'omission d'un juge du procès d'apprécier les éléments de preuve, le juge Sopinka en fait la distinction suivante (supra, page 295):
L'omission d'apprécier les éléments de preuve ne saurait constituer une erreur de droit que si elle résulte d'une mauvaise compréhension d'un principe juridique...
La Cour est d'avis que ni l'inscription de l'appelante ni les représentations de son procureur lors de l'audition de l'appel n'ont démontré une mauvaise compréhension d'un principe juridique de la part du premier juge ou un motif qui justifierait l'intervention par la Cour d'appel sans nécessiter son appréciation des faits.
Quant au troisième motif d'appel, rien dans l'inscription en appel ni dans les représentations du procureur de l'appelante n'a fait voir des circonstances indiquant que le premier juge a erré en écartant, en vertu de l'article 24 de la Charte, les éléments de preuve saisis en violation des droits constitutionnels de l'intimé.
Pour ces motifs, la Cour:
ACCUEILLE la requête de l'intimé pour rejet d'appel et REJETTE l'appel.
MELVIN L. ROTHMAN, J.C.A.
JACQUES DELISLE, J.C.A.
MICHEL ROBERT, J.C.A.
Me Richard Duchesneau, pour l'appelante
Me Jacques Lacouceur, pour l'intimé
( CLICHE LORTIE ET LADOUCEUR )
Audition le 2 décembre 1996.