COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

 

 No:

200-09-003185-003

 

(200-05-013197-004)

 

DATE: 11 décembre 2000

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

LES HONORABLES

RENÉ DUSSAULT J.C.A.

FRANCE THIBAULT J.C.A.

LOUIS ROCHETTE J.C.A.

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LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC,

APPELANT - Intimé

c.

LOCATION ROMPRÉ LTÉE,

INTIMÉE - Requérante

et

LA COUR DU QUÉBEC,

MISE EN CAUSE

___________________________________________________________________

 

ARRÊT

___________________________________________________________________

 

[1]           LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelant contre un jugement rendu le 8 juin 2000, par le juge André Gervais de la Cour supérieure, district de Québec, qui a accueilli partiellement la requête de l’intimée et accordé la permission d’interroger un représentant de l’appelant, conformément à l’article 93 du Code de procédure civile;

[2]           Après étude du dossier, audition et délibéré;

[3]           POUR LES MOTIFS énoncés dans l'opinion du juge Rochette, déposée avec le présent arrêt, auxquels souscrivent les juges Dussault et Thibault;

[4]           ACCUEILLE l'appel;

[5]           INFIRME le jugement de première instance;

[6]           REJETTE la requête de l’intimée pour permission d’interroger au préalable des tiers.

[7]           AVEC DÉPENS dans les deux cours.

 

 

 

 

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RENÉ DUSSAULT J.C.A.

 

 

________________________________

FRANCE THIBAULT J.C.A.

 

 

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LOUIS ROCHETTE J.C.A.

 

Me José Rhéaume

VEILLETTE & ASSOCIÉS

Pour l'appelant

 

Mes Yves Paré et Martin Simard

BERNIER, BEAUDRY

Pour l'intimée

 

Date d'audience:  3 novembre 2000

 Domaine du droit:

PÉNAL (DROIT)

 


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OPINION DU JUGE ROCHETTE

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[8]           Le fonctionnaire du ministère du Revenu signataire d'une dénonciation sous serment sur la foi de laquelle est émis un mandat de perquisition en vertu de l'article 40 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31) [la Loi], peut-il être interrogé en vertu de l'article 93 C.p.c. dans le cadre du recours en révision judiciaire institué par le saisi ?

[9]           Telle est la question que soulève ce pourvoi.

 

* * *

[10]        Le 20 mars 2000, un juge de la Cour du Québec autorise des représentants de l'appelant [Revenu Québec] à effectuer une perquisition dans les locaux de l'intimée [Rompré], sur dépôt d'une dénonciation alléguant que des choses recherchées pourraient s'y trouver et servir à prouver des manquements à la Loi sur la taxe de vente du Québec (L.R.Q., c. T-0.1), d'où la commission d'infractions à l'article 62 a) de la Loi.  On y procédera le 23 mars 2000.

[11]        Le 26 avril 2000, Rompré initie une requête en révision judiciaire, recherche notamment l'émission d'une ordonnance provisoire d'entiercement des biens saisis et ultimement, la cassation et l'annulation du mandat de perquisition du 20 mars 2000.  Cette requête est appuyée d'un affidavit circonstancié de son directeur général.

[12]        Le 15 mai 2000, Rompré dépose une requête pour permission d'interroger au préalable des tiers, soit le signataire de la dénonciation à l'origine du mandat, M. Jean-Guy Manseau, de même que six autres personnes, en regard des circonstances ayant entouré la perquisition et de certaines déclarations faites à un enquêteur de Revenu Québec.  L'ensemble des faits pertinents n'aurait pas été soumis au juge de la Cour du Québec qui a autorisé la saisie.  Rompré met en doute la teneur des déclarations faites à l'enquêteur de Revenu Québec et questionne le contexte dans lequel elles ont été reçues.  Elle invoque au soutien de sa requête les articles 2, 20 et 398 du Code de procédure civile.

[13]        Le 8 juin 2000, un juge de la Cour supérieure accueille partiellement la requête et accorde la permission d'interroger Jean-Guy Manseau, tout en la rejetant quant aux autres personnes considérées comme des tiers.  Le juge présume au surplus que Rompré connaît l'essentiel des témoignages que ces personnes seraient appelées à rendre.

[14]        Bien qu'il note que la Loi a un caractère pénal, le juge de première instance examine la demande qui lui est faite à la lumière des dispositions du Code de procédure civile.  Ayant conclu qu'en matière de recours extraordinaires, les articles 397 et 398 C.p.c. ne reçoivent pas application, il avance que l'article 93 C.p.c. pourrait être utilisé si Revenu Québec devait, dans le cadre de sa contestation de la requête en révision, produire des affidavits.  Cela n'est toutefois pas le cas.

[15]        Néanmoins, l'affidavit de Jean-Guy Manseau pour l'obtention du mandat de perquisition étant intimement relié à la requête en révision, d'où une situation particulière, le juge de première instance permet l'interrogatoire de l'affiant en vertu de l'article 93 C.p.c.

[16]        Revenu Québec se pourvoit contre de cette décision pour deux motifs:  d'une part l'interrogatoire de l'affiant n'est pas permis par l'article 93 C.p.c., l'affidavit de Jean-Guy Manseau n'étant pas un affidavit requis par une disposition du Code de procédure civile; d'autre part, le litige entre les parties étant essentiellement de nature pénale, ce sont les règles établies en cette matière qui doivent s'appliquer, devant la Cour supérieure chambre criminelle.  Or, en vertu de ces règles, le contre-interrogatoire du signataire d'une dénonciation à l'appui d'une demande de mandat de perquisition n'a lieu que sur autorisation préalable du juge du procès, s'il l'estime nécessaire à la préparation d'une défense complète.  Ce juge peut en outre limiter la portée de l'interrogatoire, ce que ne permet pas de faire l'interrogatoire hors cour.

[17]        Rompré rétorque que la décision du juge d'instance ne peut être portée en appel devant notre Cour, les conditions de l'article 29 C.p.c. n'étant pas rencontrées.  Sur la question de fond, elle soutient qu'en adoptant l'article 265 du Code de procédure pénale [C.p.p.] (L.R.Q., c. C-25.1), le législateur a écarté l'application des principes de droit pénal et assujetti la révision judiciaire d'une décision rendue en matière pénale au régime général de la procédure civile.  Comme la divulgation de la preuve est dorénavant privilégiée en matière civile, le juge de première instance aurait valablement exercé son pouvoir discrétionnaire.

 

* * *

[18]        Je suis d'avis que la décision attaquée est mal fondée en droit et qu'elle doit être réformée, pour les motifs suivants.

[19]        Au terme de sa dénonciation, Jean-Guy Manseau affirme avoir des motifs raisonnables de croire que la perquisition demandée permettra d'obtenir une preuve concluante de la commission d'infractions à une loi du Québec.  Or, le Code de procédure pénale s'applique à l'égard des poursuites visant la sanction pénale des infractions aux lois relevant de la juridiction provinciale (a. 1) et les deux premiers alinéas de l'article 265 C.p.p. précisent, en regard des recours extraordinaires:

265.  [C.p.c., applicable]  Les articles 834 à 858 et 861 du Code de procédure civile s'appliquent aux jugements et décisions rendus en vertu du présent code.

[Recours prohibé]  Toutefois aucun des recours prévus à ces articles ne peut être exercé si un appel du jugement ou de la décision est ou était possible de plein droit ou sur permission.

[20]        Ainsi, et cette situation est bien antérieure à l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale, ce sont les dispositions du Code de procédure civile et non celles du Code criminel qui s'appliquent en matière de révision judiciaire, même si la décision attaquée a été rendue dans un contexte pénal[1].

[21]        Par contre, les dispositions relatives à la preuve applicables à ces litiges ne sont pas nécessairement celles que l'on retrouve au Code civil du Québec et au Code de procédure civile.

[22]        D'abord, l'article 265 C.p.p. ne réfère ni à l'un ni à l'autre en regard de la preuve, se contentant de renvoyer au titre du Code de procédure civile relatif aux recours extraordinaires, soit notamment à l'article 846 C.p.c. qui est au cœur du pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure et résulte de la fusion de deux recours qui existent toujours dans certaines juridictions de common law et sous la Loi sur la Cour fédérale, soit la prohibition et le certiorari[2].

[23]        Par ailleurs, l'article 61 C.p.p. pose comme règle en regard de la preuve afférente aux affaires qui sont assujetties au Code de procédure pénale:

61.  [Règles applicables en matière criminelle]  Les règles de preuve en matière criminelle, dont la Loi sur la preuve au Canada (L.R.C. 1985, ch. C-5), s'appliquent en matière pénale, compte tenu des adaptations nécessaires et sous réserve des règles prévues dans le présent code ou dans une autre loi à l'égard des infractions visées par cette loi et de l'article 308 du Code de procédure civile.

[Je souligne]

[24]        À ce propos, les auteurs Létourneau et Robert écrivent[3]:

En principe la hiérarchie des sources de droit devrait donner en matière de preuve primauté aux règles du droit québécois, particulièrement celles contenues dans les lois d'application générale.  Les seules lois d'application générale qui contiennent des règles de preuve sont le Code civil et le Code de procédure civile qui, tous deux, ne tiennent pas compte de la spécificité du droit pénal.  Aussi l'article 61 du Code prévoit-il l'application et l'adaptation des règles de preuve en matière criminelle sous réserve des dispositions particulières du Code de procédure pénale, de la loi particulière qui crée l'infraction et de l'article 308 du Code de procédure civile.

Cette référence aux règles de preuve en matière criminelle vise les règles de preuve contenues dans la Loi sur la preuve au Canada (L.R.C. 1985, c. C-5) ainsi que les règles de preuve de la common law telles qu'elles sont reconnues en droit criminel canadien.

[25]        Ainsi, l'ensemble des règles de preuve du droit criminel canadien, qu'elles émanent de la Loi sur la preuve au Canada ou de la common law, sont intégrées au droit positif québécois.

[26]        Particulièrement en regard de l'article 61 C.p.p., les mêmes auteurs écrivent[4]:

L'article 44 de la Loi sur les poursuites sommaires faisait déjà un renvoi à la partie I de la Loi sur la preuve au Canada.  Comme cette loi ne contenait pas, et de loin, toutes les règles du droit de la preuve pénale, la jurisprudence reconnaissait, à titre supplétif, l'application en matières pénales provinciales des règles de preuve élaborées en common law.

La nouvelle disposition consacre cette situation et les réserves apportées par l'article 61 C.P.P. à l'application du droit criminel sont de portée limitée.  Il s'ensuit que la référence aux règles de preuve du droit criminel ne constitue pas seulement une indication du droit supplétif applicable, mais une forme de législation par renvoi qui implique la préséance du droit de la preuve fédérale en matière criminelle sur les règles de preuve d'application générale prévues dans la législation québécoise.  (...)

Par ailleurs, il est évident que de nombreuses règles de preuve du droit criminel n'ont pas d'équivalent dans la législation québécoise et que la référence à la législation fédérale ou au common law en matière de preuve s'avère indispensable ne serait ce que pour la cohérence du droit pénal.

[Je souligne/Références omises]

[27]        En l'espèce, le litige entre les parties se situe dans une matière pénale par sa nature.  Partant de là, les règles relatives à l'administration de la preuve doivent être puisées à la source de notre droit pénal et non pas en droit civil.

[28]        Par contre, le recours de Rompré est gouverné par les règles de la procédure civile, par l’effet de l’article 265 C.p.p., qui réfère aux articles 834 à 858 et 861 C.p.c.  Ainsi, notre Cour est compétente pour décider de ce pourvoi en vertu de l'article 29 C.p.c.

[29]        La décision de première instance constitue une décision interlocutoire.  Elle a été rendue pendant l'instance en révision judiciaire, avant que la demande principale soit tranchée au fond.  Or, en important à tort des règles de preuve civile qui ne sont pas applicables en matière criminelle et pénale, le juge de première instance ordonne que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne saurait remédier (a. 29, 1er al., 3 C.p.c.).

 

* * *

[30]        Précisons d’abord qu’il n’était pas possible de permettre un interrogatoire préalable ou un interrogatoire hors cour tel que demandé par l’intimée, en vertu des règles applicables en matière civile.

[31]        En cette matière, les témoins sont, règle générale, interrogés à l'audience.  C'est là qu'ils déposent, hors la présence les uns des autres (a. 294 C.p.c.).  Des procédures spéciales d'administration de la preuve permettent la tenue d'interrogatoires préalables (a. 397 ss. C.p.c.), mais la partie demanderesse ne peut ainsi interroger les représentants de la partie défenderesse, qu'après production sa défense (a. 398 C.p.c.).  Même en postulant que ces dispositions peuvent être appliquées en matière de recours extraordinaires (a. 834 C.p.c. ss.), ce que je ne tiens pas pour avéré, aucune telle contestation n'a été déposée ici.

[32]        L'article 93 C.p.c. n'est pas davantage utile, l'affidavit au sujet duquel on voudrait interroger Jean-Guy Manseau n'ayant pas été versé au dossier de la révision judiciaire parce que requis par quelque disposition du Code de procédure civile, mais plutôt à titre de preuve documentaire, à l'appui de la requête de Rompré.

[33]        Venons-en maintenant aux règles applicables à l'interrogatoire du signataire de la dénonciation déposée au soutien d'une demande pour l'émission d'un mandat de perquisition en matière pénale.

[34]        Personne ne conteste qu'il y ait ouverture, en l'espèce, à la révision judiciaire.  Un appel de la décision attaquée n'est pas possible.  La condition préalable que pose le second alinéa de l'article 265 C.p.p. est satisfaite.[5]

[35]        Par ailleurs, bien que les tribunaux de droit commun puissent réviser la décision d'émettre un mandat de perquisition, une question juridictionnelle doit être en cause pour qu'une intervention soit possible dans le cadre de la révision judiciaire.  Cela impose un exercice différent d'un simple contrôle d'opportunité qui pourrait être effectué par le juge du procès au fond.  Ainsi, l'interrogatoire de l'affiant aura une portée plus restreinte sur une requête en révision judiciaire que sur une requête en cassation d'un mandat de perquisition présentée lors du procès pénal.

[36]        Ces dernières années, nos tribunaux se sont penchés en quelques occasions (notamment lors de contestations portant sur la légalité de mandats de perquisition ou de demandes d'écoute électronique), sur le rôle des tribunaux de droit commun en regard de tels interrogatoires.  La Cour d'appel d'Ontario a d'abord énoncé, en 1987, dans l'arrêt Church of Scientology[6]:

It is firmly established at common law that a search warrant can be brought up on certiorari and quashed by a superior court.

(…)

These cases clearly establish that the subject of a search can challenge the validity of the search warrant by way of certiorari before the trial.  It is, however, less than clear what was considered to be the appropriate scope of review.  No case specifically stated, for example, that certiorari was only available for jurisdictional error.

(…)

This court, is not prepared to depart from its own recent pronouncements in Re Times Square, supra, and Re Print Three, supraThe appropriate test on a certiorari application for the judicial review of a search warrant in whether there was evidence upon which the justice of the peace could determine that a search warrant should be issued.  It is not the task of the reviewing judge to weigh the evidence or to determine whether the justice should have been satisfied by the sworn information.

Further, we agree with the respondent that the Charter has not altered the scope of review.

[Je souligne]

[37]        Plus précisément en regard de l'interrogatoire de l'affiant, elle écrit[7]:

In our opinion, there is ample authority to support the conclusions of Osler J.  In the case at bar he exercised his discretion in favour of permitting the appellants to cross-examine the informant although he restricted such cross-examination substantially to allegations in the information pertaining to Scientology's "Snow White" programme and the criminal fraud proceedings that had been taken against Scientology in France.

(…)

As noted above, the scope of review on an application for certiorari to quash a warrant is limited to jurisdictional error.  Jurisdictional error exists where the court's jurisdiction is invoked by fraudulent means or where there is no evidence upon which the judicial officer acting judicially could make the order requested.  (…)

The appellants submit, however, that absent those deficiencies they should be entitled to cross-examine the informant without prima facie proof of the deliberate fraud or reckless misstatements or omissions of fact.  If that view were to prevail it would mean that in every case in which a warrant is issued, in order to obtain leave to cross-examine the informant, the person whose premises are to be searched need only claim that the allegations in the information are untrue and that he or she desires to cross-examine the informant with respect to the alleged falsity of the claims which form the basis for the justice's findings under s. 443 (1).  (…)

In our opinion, that submission cannot prevail.  As pointed out by Osler J., the proceedings under s. 443(1) are not trial proceedings.  The guilt or innocence of a person is not being determined.  As previously stated, at the time a warrant is sought the authorities are still at a preliminary stage in their investigations.  It would unduly complicate and prolong criminal proceedings if cross-examination of an informant were permitted, as suggested by the appellants, in the circumstances set forth above.

(…)

As already stated, leave to cross-examine an informant lies in the discretion of the judge.  It follows logically that establishing the limits of such cross-examination also lies in the discretion of the judge.  In the case at bar the onus is on the appellants to show that he failed to exercise his discretion judicially and erred in limiting the cross-examination as aforesaid.  In our opinion, he did not err in this regard.

[Je souligne]

[38]        Peu après, la Cour Suprême a rappelé dans l'arrêt R. c. Garofoli, par la voix du juge Sopinka, l'importance du droit au contre-interrogatoire de l'auteur de l'affidavit au soutien d'une demande d'écoute électronique dans un procès criminel, mais seulement à certaines conditions[8]:

À mon avis, les conditions préalables de l'arrêt Franks v. Delaware, précité [rendu par la Cour Suprême des Etats-Unis et répertorié à 438 U.S. 154 (178)], sont trop sévères.  J'estime qu'elles sont incompatibles avec la conception que nous avons retenue au Canada quant aux droits de contre-interroger.  En outre, sous réserve de la protection de l'identité des informateurs et de la préoccupation relative à la prolongation des procédures, je ne vois aucune raison de restreindre si sévèrement ce droit.  (…)

Quant à l'argument de la longueur du contre-interrogatoire, je suis en faveur de limites raisonnables.  Il faut obtenir l'autorisation de contre-interroger.  Cette autorisation relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et devrait être accordée lorsqu'il est convaincu que le contre-interrogatoire est nécessaire pour permettre à l'accusé de préparer une défense complète.  L'accusé doit démontrer qu'il y a des motifs de penser que le contre-interrogatoire apportera un témoignage tendant à réfuter la présence d'une des conditions préalables à l'autorisation, dont par exemple l'existence de motifs raisonnables et probables.

Une fois autorisé, le contre-interrogatoire devrait être limité par le juge du procès aux questions qui visent à établir qu'il n'y avait aucun fondement justifiant la délivrance de l'autorisation.  Il conviendrait de ne pas intervenir en appel dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire du juge du procès, sauf dans les cas où il n'a pas été exercé de façon judiciaire.  Bien que l'autorisation de contre-interroger ne soit pas la règle générale, elle est justifiée dans ces circonstances pour prévenir un abus de ce qui équivaut essentiellement à une décision sur la recevabilité de la preuve.

[Je souligne]

[39]        En 1992, la regrettée juge Tourigny répondait[9], dans le contexte d'une requête en certiorari attaquant un mandat de perquisition émis sur la foi de dénonciations signées par un préposé du ministre du Revenu national en vertu de l'article 87 du Code criminel, à la prétention selon laquelle la décision Garofoli avait assoupli le test énoncé dans Church of Scientology:

Nous sommes donc encore là, à mon avis, loin d'un critère nouveau et différent de celui de Church of Scientology qui s'appliquerait à d'autres cas qu'à l'interception de communication privée et à l'accès aux paquets scellés.  Les propos tenus, dans ces deux affaires, me paraissent strictement liés à l'écoute électronique et à l'ouverture des paquets scellés qui contiennent les affidavits et les documents sur lesquels le juge qui a autorisé l'interception s'est appuyé (art. 185 et 186 C.cr.).

Dans le cadre des articles 184 et suivants, les affidavits ne peuvent faire l'objet d'examen de la part de celui qui se prétend victime d'une violation de ses droits fondamentaux (art. 8), vu l'existence des paquets scellés.

Les mandats de perquisition, comme celui émis par le juge de paix dans le cadre du présent litige, ne sont pas soumis aux exigences que la loi impose aux documents dont elle veut assurer le secret, comme c'est le cas pour l'article 187 du Code criminel.

Je ne vois donc pas, avec égards, de modification ou d'assouplissement au test que l'on retrouve dans Church of Scientology, pour les autres types de mandat et d'autorisation.

Je conclus donc, sur cette question, que le test approprié en pareilles circonstances est celui de Church of Scientology et que, quoi qu'il en soit des mots employés par le juge Filiatreault dans l'affaire qui nous occupe, il s'est, en droit, correctement dirigé.

[Je souligne]

[40]        Et plus particulièrement au sujet de l'examen de la discrétion exercée par le juge qui a émis le mandat de perquisition, par les tribunaux saisis d'une requête en certiorari[10]:

Évidemment, toutes les parties s'entendent pour dire que la question juridictionnelle n'est pas en cause ici et que ce motif évident de révision ne peut s'appliquer à la présente affaire.  Il me paraît, de façon préliminaire au surplus, pertinent de rappeler, ce que d'ailleurs admettent les parties, qu'il n'appartient pas à un juge de la Cour supérieure de jauger la preuve et d'exercer sa discrétion à la place du juge de paix.

[Je souligne]

[41]        Pour sa part, le juge Proulx énonce ainsi le test qui doit être satisfait[11]:

J'estime que dans l'état actuel du droit au Canada cette Cour, comme la Cour d'appel d'Ontario dans l'arrêt Church of Scientology qu'a cité abondamment ma collègue, peut énoncer que dans le cadre d'une révision judiciaire de la décision du juge de paix qui a émis un mandat de perquisition, le Tribunal ne peut pas se substituer à la décision du juge de paix quant à la suffisance de la preuve:  son rôle consiste à déterminer l'existence d'une preuve au dossier pouvant justifier l'émission du mandatL'absence de preuve constitue une erreur juridictionnelle qui justifie l'intervention du pouvoir de révision.

[Je souligne]

[42]        Il revient donc au juge saisi d'une demande de révision judiciaire, de décider, par exemple, si la façon de faire du dénonciateur a pu provoquer la perte de juridiction du juge qui a émis le mandat de perquisition.  Ainsi[12],

(…) il ne s'agit pas de décider si le juge de paix devait émettre le mandat, mais seulement s'il pouvait le faire.  La révision judiciaire se limite à un contrôle de légalité pur et simple.  Elle n'autorise pas une réévaluation de la preuve par le juge de la Cour supérieure.  Ce contrôle de légalité consiste à déterminer si les documents soumis au juge de paix lui permettaient de déterminer s'il existait une cause raisonnable pour l'émission du mandat.

[Références omises/Je souligne]

[43]        Notre Cour a appliqué, en 1997, les critères de la révision judiciaire à la décision d'un juge de paix qui avait émis un mandat de perquisition, dans le cadre d'une requête en évocation visant précisément à annuler des autorisations de perquisition et saisie accordées par un juge de la Cour du Québec, en vertu de l'article 40 de la Loi[13]:

Le juge Parent n'a donc commis aucune erreur en décidant que le juge Debiens pouvait avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction aux lois fiscales avait été commise et que des preuves pourraient être trouvées sur les lieux désignés à la dénonciation.  En refusant de substituer sa discrétion à celle du premier juge sur ce point, il a judicieusement appliqué les critères de révision judiciaire de la décision du juge de paix qui a décerné un mandat de perquisition, tels qu'établis par les arrêts R. c. Garofoli, Bâtiments Fafard Inc. c. La Reine et Bisson c. La Reine.

[Je souligne/Références omises]

[44]        Plus particulièrement en regard du contre-interrogatoire de l'affiant en matière de perquisition et saisie, les juges LeBel et Proulx écrivent en 1999, au sujet du refus du juge du procès de permettre le contre-interrogatoire d'un policier ayant signé un affidavit pour obtenir une première autorisation d'écoute électronique et d'autres affidavits au soutien de demandes de renouvellement[14]:

La contestation d'une autorisation d'écoute électronique peut revêtir plusieurs facettes, dont celle qui consiste à démontrer que l'affidavit soumis au juge qui a accordé l'autorisation contient des lacunes qui vicient cette autorisation à un point tel que le juge réviseur conclut qu'il n'existe pas un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.  Comme la Cour suprême l'a affirmé dans l'arrêt R. c. Durette:  "The validity of a wiretap authorization turns upon whether the affidavit put before the issuing judge, as amplified by any evidence taken on review, provides a basis upon which that judge could have been satisfied that the pre-conditions for granting the authorization exist."

Or, pour présenter une défense pleine et entière, il est admis que cette contestation peut porter sur la vérification de l'affidavit présenté pour obtenir l'autorisation, au moyen du contre-interrogatoire de l'affiant.  Toutefois, ce contre-interrogatoire n'est pas accordé de plein droit:  depuis l'arrêt R. c. Garofoli, il est bien établi que le juge du procès peut accorder l'autorisation de contre-interroger lorsqu'il est convaincu que cela est nécessaire pour assurer une défense pleine et entière.

Par ailleurs, ce contre-interrogatoire doit être limité aux questions qui visent à établir l'absence de fondement de l'autorisation, par exemple l'inexistence ou l'insuffisance de motifs raisonnables et probables ou encore la non-fiabilité de l'indicateur de police.

À l'égard de la décision du juge du procès de refuser le contre-interrogatoire, la cour d'appel n'interviendra que si le juge n'a pas exercé sa discrétion de façon judiciaire ou s'il a commis une erreur de principe et qu'il est démontré que le contre-interrogatoire eût pu modifier le fondement de l'autorisation:  R. c. Cheung; R. c. Villeneuve.

[Je souligne/Références omises]

[45]        Enfin, bien que l'approche davantage restrictive préconisée par la juge McLachlin dans l'arrêt Garofoli, en regard d’un tel contre-interrogatoire, n'ait pas été retenue par la majorité de la Cour, les inconvénients qu'elle rattache à la tenue de tels interrogatoires ne peuvent être totalement occultés[15]:

(…) je considère, quant à moi, que le droit de contre-interroger à l'occasion d'une demande fondée sur la partie IV.I, est fonction de l'évaluation des intérêts opposés de l'accusé et du public, évaluation qui, à mon avis, amènera assez souvent le juge à refuser la possibilité de contre-interroger les auteurs d'affidavits produits au soutien de l'autorisation.

(…)

L'audition avec enquête et le contre-interrogatoire des déposants peuvent nuire beaucoup plus à l'administration de la justice que l'ouverture du paquet.  La divulgation de détails sur les activités d'enquête et sur l'identité d'informateurs est beaucoup plus probable en contre-interrogatoire que dans des affidavits, qu'on peut soigneusement rédiger dans le but d'éviter ces écueils.  Comment peut-on contre-interroger un agent sur la crédibilité d'un informateur sans scruter des détails qui peuvent révéler son identité, par exemple ?  Quand une réponse préjudiciable a été donnée au cours d'un contre-interrogatoire, il est impossible de la censurer.  Les limites que l'on tente de fixer à la portée d'un contre-interrogatoire sont reconnues pour leur faiblesse.  Puisque l'efficacité du contre-interrogatoire dépend ordinairement de la grande latitude laissée quant aux questions, un contre-interrogatoire limité peut se révéler peu utile.  De plus, il est souvent difficile de prévoir quand une question précise suscitera une réponse qui déborde sur les sujets interdits.  Enfin, les contre-interrogatoires peuvent allonger indûment les procès sur des questions accessoires relatives à la preuve.

[46]        En somme le droit de contre-interroger le dénonciateur dont la déclaration assermentée a servi de fondement à l'émission d'un mandat de perquisition n'est pas sans limites.  Il s'exerce au premier chef devant le juge du procès, bien qu’il ne soit pas exclu dans le cadre d'un recours en révision judiciaire.  Il doit dans tous les cas faire l'objet d'une autorisation préalable, et ne sera accordé que sur des points bien identifiés.

[47]        Il s'agit d'un exercice d'administration de la preuve qui présente certains risques, ne doit pas constituer une recherche à l'aveuglette, ni permettre de divulguer des informations qui font l’objet d’un privilège, d'identifier des informateurs ou d'allonger inutilement le débat.

[48]        Chose certaine, la décision sur le droit au contre-interrogatoire doit être prise à la lumière des règles de preuve prévalant en matière pénale, même lorsqu'il s'agit de causes impliquant des infractions aux lois du Québec, et non pas en vertu des règles propres à la preuve civile comme cela a été fait en première instance.  Dans ce cadre pénal, le droit au contre-interrogatoire ne donne pas ouverture à un interrogatoire hors cour ou au préalable.

[49]        Ainsi, je proposerais:

[50]        D'ACCUEILLIR l'appel;

[51]        D'INFIRMER le jugement de première instance;

[52]        DE REJETER la requête de l’intimée pour permission d’interroger au préalable des tiers.

[53]        AVEC DÉPENS dans les deux cours.

 

 

 

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LOUIS ROCHETTE J.C.A.

 

 

 

 



[1]           Faber c. R., [1976] 2 R.C.S. 9; Roy c. R., [1974] C.A. 200; Labbé c. P.G. Québec, J.E. 79-31 (C.A.).

[2]           Denis Ferland, Benoit Emery, Précis de procédure civile du Québec, vol. 2, 3e éd., Les Éditions Yvon Blais Inc., 589.

[3]           Gilles Létourneau, Pierre Robert, Code de procédure pénale du Québec annoté, 4e éd., 1998, Wilson & Lafleur Ltée, 8.

[4]           Idem, 107.

[5]           Il n'y a d'appel que de la "décision de première instance" au sens de l'article 266 C.p.p.  R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764.  Or, le Code de procédure pénale écarte péremptoirement toute possibilité d'appel sur des moyens préliminaires autres que ceux expressément visés à cet article:  Alex Couture Inc. c. P.G. & Al, C.A. Québec 200-10-000121-918, 5.3.92, JJ. Chouinard, Brossard et Rousseau-Houle, opinion du juge Brossard, 4; voir aussi:  Ouellet c. Ross et al, C.S. Rimouski 100-36-000012-940, (J. Pidgeon), J.E. 95-599.

[6]           Church of Scientology c. R., (no 6), (1987) 31 C.C.C. (3 d) 449 (Ont. C.A.), JJ. Lacourcière, Goodman et Finlayson, 486 et 494, permission d'appel refusée par la Cour Suprême du Canada, (1987), 1 R.C.S. VII.

[7]           Idem, 519, 520 et 524.

[8]           [1990] 2 R.C.S. 1421, 1465.

[9]           Bâtiments Fafard Inc. c. R., (1992) R.L. 91, 104 et 105 (JJ. Rothman, Tourigny et Proulx).

[10]          Idem, 99.

[11]          Idem, 123.

[12]          Lajoie c. Godbout & Al, C.A. Québec 200-10-000080-924, 2 novembre 1993, JJ. LeBel, Gendreau et Rousseau-Houle, opinion du juge LeBel, 4 et 5.

[13]          P.A. Paré & Al c. Kami-Mark (Marketing) Inc. & Al, C.A. Montréal, 29.05.97, JJ. Proulx, Rousseau-Houle et Zerbisias (ad hoc), opinion de la juge Rousseau-Houle, 14.

[14]          Rendon c. R., [1999] R.J.Q. 2281, JJ. Rothman, LeBel et Proulx, opinion des juges LeBel et Proulx, 2297.

[15]          Idem, 1484 et 1485.