R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244
Spencer Dixon
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
Répertorié: R. c. Dixon
No du greffe: 25834.
1997: 5 décembre; 1998: 19 février.
Présents: Les juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de la nouvelle-écosse
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Justice fondamentale --
Obligation de divulguer -- Accusé déclaré coupable de voies de fait graves -- Omission
du ministère public de divulguer les déclarations de quatre personnes -- Résumé des
déclarations contenu dans les rapports de police remis à l'avocat de la défense au
procès -- Critère à utiliser pour déterminer si l'omission par inadvertance du ministère
public de communiquer des documents pertinents a violé le droit de l'accusé à la
divulgation -- En cas de violation du droit à la divulgation, critère à utiliser pour
déterminer s'il y a eu atteinte au droit à une défense pleine et entière garanti par la
Constitution -- Importance à accorder au manque de diligence raisonnable d'un avocat
de la défense -- Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 24(1).
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Trois personnes ont été blessées lors d'une bagarre au cours de laquelle les
agresseurs ont encerclé leurs victimes à tour de rôle et les ont battues à coups de pied et
à coups de poing. Deux des victimes (Gillis et Charman) ont été blessées grièvement et
la troisième (Watts) a subi des blessures très graves et permanentes. L'accusé, qui a subi
son procès en même temps que quatre autres personnes, a été reconnu coupable de voies
de fait graves contre Watts. Fait révélateur, il a été déclaré coupable à la fois comme
auteur principal de l'infraction et comme participant à celle-ci (aider ou encourager), au
sens de l'art. 21 du Code criminel. Au cours du procès, les avocats de tous les accusés
ont obtenu copie des rapports de police qui comprenaient des résumés des déclarations
de quatre personnes. Deux des déclarations indiquaient que leurs auteurs n'avaient pas
été témoins des voies de fait. La troisième (celle de Tynes) révélait que son auteur était
en compagnie du principal témoin à charge en matière d'identification, près de l'endroit
où les voies de fait ont été commises. Elle décrivait aussi les vêtements que ce témoin
portait le soir en question. La quatrième (celle de Daye) indiquait que son auteur avait
été témoin de deux cas de voies de fait, précisait l'endroit où certains accusés se
trouvaient pendant que les voies de fait étaient commises et identifiait certains des
agresseurs. Elle impliquait l'accusé dans des voies de fait dont il n'a été ni inculpé ni
reconnu coupable, et contredisait, à certains égards, la déposition du principal témoin en
matière d'identification.
Aucune des quatre déclarations n'a été produite par le ministère public, ce
qui a donné lieu à un moyen d'appel fondé sur l'omission du ministère public de
divulguer des renseignements comme il est tenu de le faire en vertu de l'art. 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d'appel a rejeté les appels. Elle a
toutefois admis une nouvelle preuve qui indiquait que les avocats disposaient non
- 3 -
seulement de transcriptions et de déclarations qui mentionnaient certaines personnes dont
les déclarations n'ont pas été divulguées, mais encore d'un plan et d'une feuille de
renvoi. L'avocat de l'accusé a aussi examiné les rapports de police et a estimé qu'il n'y
avait rien dans les quatre déclarations mentionnées dans ces rapports qui aiderait l'accusé
à présenter une défense pleine et entière. Les autres avocats sont arrivés à la même
conclusion, sur la foi des résumés. Il s'agit de déterminer: (1) le critère à appliquer pour
déterminer si l'omission par inadvertance du ministère public de communiquer tous les
documents pertinents a violé le droit de l'accusé à la divulgation, (2) en cas de violation
du droit à la divulgation, le critère à appliquer pour déterminer s'il y a eu atteinte au droit
à une défense pleine et entière garanti par la Charte, et (3) pour établir s'il y a eu atteinte
à ce droit, l'importance à accorder au manque de diligence raisonnable de l'avocat de la
défense.
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
(1) L'obligation de divulguer du ministère public
Lorsqu'un accusé démontre l'existence d'une possibilité raisonnable que les
renseignements non divulgués auraient été utilisés pour réfuter la preuve du ministère
public, pour présenter un moyen de défense ou, par ailleurs, pour prendre une décision
qui aurait pu avoir une incidence sur la façon de présenter la défense, il se trouve
également à établir l'existence d'une atteinte au droit à la divulgation que lui garantit la
Charte. Le droit à la communication de tous les documents pertinents est large et vise
les documents qui peuvent n'avoir qu'une importance secondaire par rapport aux
questions fondamentales en litige. Le ministère public peut donc omettre de divulguer
des renseignements qui satisfont au critère préliminaire de l'arrêt Stinchcombe, mais qui
ne pourraient absolument pas compromettre le bien-fondé du résultat atteint ou l'équité
- 4 -
globale du procès. Une cour peut bien conclure à la violation du droit à la divulgation
que la Charte garantit à un accusé, tout en refusant d'accorder un nouveau procès à titre
de réparation si elle juge que le procès a été foncièrement équitable et qu'il n'y avait
aucune possibilité raisonnable que le résultat au procès aurait été différent si la
documentation non communiquée avait été produite. Le droit à la divulgation complète
n'est qu'une composante du droit à une défense pleine et entière. Il n'y a pas
nécessairement atteinte au droit à une défense pleine et entière garanti par la Charte, du
seul fait qu'il y a eu violation du droit à la divulgation.
Le ministère public n'est pas tenu de produire ce qui n'a manifestement
aucune pertinence. En l'espèce, les deux premières déclarations ne contenaient aucun
renseignement pertinent, et il n'y avait aucune possibilité raisonnable qu'elles aient été
de quelque utilité à l'accusé au procès. Les troisième et quatrième déclarations (celles
de Tynes et de Daye, respectivement) satisfaisaient toutes les deux au critère
préliminaire peu élevé fixé pour la divulgation et auraient dû être divulguées.
(2)
L'atteinte au droit à une défense pleine et entière et la réparation à
accorder en vertu du par. 24(1) de la Charte
Pour déterminer s'il y a eu atteinte au droit à une défense pleine et entière,
il faut entreprendre une analyse en deux étapes. Premièrement, pour évaluer le
bien-fondé du résultat, il faut examiner les renseignements non divulgués pour
déterminer l'incidence qu'ils auraient pu avoir sur la décision de rendre un verdict de
culpabilité. Si une cour d'appel est convaincue qu'il y a une possibilité raisonnable que
les renseignements non divulgués influent, à première vue, sur le bien-fondé de la
déclaration de culpabilité, un nouveau procès devrait être ordonné. Même si les
renseignements non divulgués n'influent pas eux-mêmes sur le bien-fondé du résultat
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atteint au procès, l'incidence de la non-divulgation sur l'équité globale du procès doit
être prise en considération à la deuxième étape de l'analyse. On le fera en évaluant, sous
l'angle d'une possibilité raisonnable, les questions qui auraient pu être posées aux
témoins ou les possibilités de recueillir d'autres éléments de preuve que la défense aurait
pu avoir si les renseignements pertinents avaient été divulgués.
Pour examiner l'équité globale du procès, il faut tenir compte de la diligence
dont l'avocat de la défense a fait preuve en tentant d'obtenir la divulgation par le
ministère public. Le manque de diligence raisonnable est un facteur important pour
déterminer si la non-divulgation par le ministère public a nui à l'équité du procès.
Lorsque l'avocat prend ou devrait prendre connaissance, à partir de documents pertinents
produits par le ministère public, d'une omission de communiquer d'autres documents,
il ne doit pas rester passif. Il doit plutôt tenter diligemment d'en obtenir la
communication.
La réponse à la question de savoir s'il y a lieu d'ordonner la tenue d'un
nouveau procès pour le motif que l'omission de divulguer du ministère public a rendu
le procès inéquitable comporte un processus d'évaluation et de pondération. Si l'avocat
de la défense savait ou aurait dû savoir, sur la foi d'autres renseignements divulgués, que
le ministère public avait omis par inadvertance de divulguer de l'information, et qu'il n'a
rien fait en raison d'une décision tactique ou d'un manque de diligence raisonnable, il
serait difficile de retenir un argument selon lequel l'omission de divulguer a nui à
l'équité du procès.
Il convient de bien pondérer tous ces facteurs. Dans les cas où la pertinence
de la preuve non divulguée est très élevée à première vue, la tenue d'un nouveau procès
devrait être ordonnée pour ce motif seulement. Dans ces circonstances, il ne sera pas
- 6 -
nécessaire d'examiner l'incidence des possibilités perdues de recueillir d'autres éléments
de preuve par suite de l'omission de divulguer. Cependant, si la pertinence des
renseignements non divulgués est relativement peu élevée, une cour d'appel devra
déterminer si la défense a perdu des possibilités réalistes. À cette fin, la diligence
raisonnable ou le manque de diligence raisonnable dont l'avocat de la défense aura fait
preuve en tentant d'obtenir la divulgation constituera un facteur très important à retenir
pour décider d'ordonner ou non la tenue d'un nouveau procès.
En l'espèce, il incombait à l'accusé de démontrer (i) qu'il est
raisonnablement possible que les déclarations non divulguées aient influé sur le
bien-fondé de sa déclaration de culpabilité en tant qu'auteur principal des voies de fait
graves et de sa déclaration de culpabilité d'avoir aidé ou encouragé à perpétrer ces voies
de fait, ou (ii) qu'il est raisonnablement possible que la non-divulgation des déclarations
ait nui à l'équité globale du procès. Premièrement, l'accusé n'a pas prouvé que
l'omission de divulguer les déclarations a influé sur chacune des autres conclusions
mentionnées au par. 21(1) du Code, à savoir qu'il a donné des coups de pied à la victime
ou l'a battue, qu'il a aidé à la battre ou qu'il a encouragé à le faire. Deuxièmement, la
non-divulgation n'a pas nui à l'équité globale du procès. Les troisième et quatrième
déclarations (celles de Tynes et de Daye, respectivement) n'auraient eu, à première vue,
aucune incidence sur le bien-fondé de la déclaration de culpabilité. L'omission de
divulguer du ministère public n'a pas privé la défense de la possibilité de poser d'autres
questions aux témoins ou de recueillir d'autres éléments de preuve découlant des
documents non communiqués. Un facteur important qui a été pris en considération pour
tirer cette conclusion est le manque de diligence raisonnable dont l'avocat de la défense
a fait preuve en tentant d'obtenir la divulgation.
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L'avocat de la défense n'a, en aucun temps, le droit de supposer que tous les
renseignements pertinents ont été divulgués à la défense. Tout comme l'obligation de
divulguer du ministère public est constante, et continue d'exister durant tout le procès,
il en est de même de l'obligation de l'avocat de la défense de faire preuve de diligence
raisonnable en tentant d'obtenir la divulgation. Si l'avocat de la défense ne fait rien
lorsqu'il sait que des renseignements pertinents n'ont pas été divulgués, cela justifiera
souvent, à tout le moins, une conclusion à un manque de diligence raisonnable et pourra,
dans certains cas, justifier une déduction que l'avocat a pris une décision stratégique de
ne pas tenter d'obtenir la divulgation.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés: R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
; R. c. Egger,
[1993] 2 R.C.S. 451
; R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727; R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S.
80; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
; R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S. 763; R. c.
Bramwell (1996), 106 C.C.C. (3d) 365, conf. par [1996] 3 R.C.S. 1126; R. c. S.E.S.
(1992), 100 Sask. R. 110; R. c. McAnespie, [1993] 4 R.C.S. 501.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 24(1).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 21(1).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse (1997),
156 N.S.R. (2d) 81, 461 A.P.R. 81, [1997] N.S.J. No. 20 (QL) (sub nom. R. c. McQuaid
(Dixon Appeal)), qui a rejeté l'appel interjeté par l'accusé contre sa déclaration de
- 8 -
culpabilité de voies de fait graves (1996), 148 N.S.R. (2d) 321 (sub nom. R. c. McQuaid),
429 A.P.R. 321, [1996] N.S.J. No. 81 (QL). Pourvoi rejeté.
L. W. Scaravelli, pour l'appelant.
Kenneth W. F. Fiske, c.r., et Richard B. Miller, pour l'intimée.
//Le juge Cory//
Version française du jugement de la Cour rendu par
1
LE JUGE CORY -- Le présent pourvoi soulève trois questions:
(1)
Quel critère faut-il appliquer pour déterminer si l'omission par inadvertance
du ministère public de communiquer tous les documents pertinents a
constitué une violation du droit à la divulgation, garanti à l'appelant par
l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?
(2)
En cas de violation du droit d'un appelant à la divulgation, quel critère
faut-il appliquer pour déterminer s'il y a eu également, de ce fait, une
atteinte au droit à une défense pleine et entière que lui garantit la Charte?
(3)
Pour déterminer s'il y a eu une atteinte au droit d'un appelant à une défense
pleine et entière, quelle importance faut-il accorder au manque de diligence
raisonnable de l'avocat de la défense?
- 9 -
2
Plusieurs aspects de ces questions sont communs aux pourvois de Spencer
Dixon, Herman McQuaid, Guy Leaman Robart, Cyril Joseph Smith et Stacey Skinner,
qui ont tous été jugés ensemble relativement à des accusations de voies de fait graves
découlant des mêmes circonstances. Les cinq pourvois ont été entendus simultanément
par notre Cour. Les présents motifs traiteront de ces aspects communs, et des motifs
distincts porteront sur les questions propres aux autres pourvois.
I. Les faits
3
Le 10 septembre 1994, une confrérie d'étudiants donnait une fête à Halifax.
La soirée s'était déroulée sans incident jusqu'à ce qu'une jeune femme du nom de
Shannon Burke en vienne aux coups avec Terrence Dixon, un jeune homme qu'elle
prétendait être le père de son enfant. Terrence Dixon a traîné Burke à l'extérieur de la
maison de la confrérie et ils ont été suivis par d'autres personnes. Deux jeunes hommes
qui avaient participé à la fête -- Rob Gillis et John Charman -- ont essayé d'intervenir et
d'aider Burke. L'affrontement s'est envenimé et a pris de l'ampleur au point d'inclure
un certain nombre de jeunes gens qui ont attaqué Gillis et Charman. Gillis s'est affaissé,
sa tête a heurté le sol et il s'est mis à saigner abondamment. Un cercle s'est formé autour
de Charman, qui a été frappé par derrière et a eu les dents brisées.
4
Darren Watts est allé au secours de son ami Charman. Aussitôt, les hommes
qui avaient encerclé Charman se sont tournés vers Watts. L'un de ceux-ci l'a envoyé au
sol d'un seul coup de poing. Les membres de ce groupe lui ont donné des coups de pied
et ont continué à le faire jusqu'au moment où ils se sont enfuis de l'autre côté de la rue.
Watts s'est retrouvé handicapé de façon permanente à la suite de cette violente raclée.
Il a subi deux opérations, dont l'ablation partielle du lobe frontal de son cerveau. Il a dû
se soumettre à des traitements intensifs de réadaptation et a perdu l'usage du côté
- 10 -
gauche. Il n'a pas retrouvé les capacités cognitives et motrices qu'il avait avant de subir
les voies de fait en cause.
5
Six hommes, dont les cinq appelants, ont été reconnus coupables de voies
de fait graves contre Darren Watts. Lors du même procès, l'appelant Cyril Smith a
également été reconnu coupable de voies de fait graves contre Rob Gillis. Les appelants
Herman McQuaid et Stacey Skinner ont été reconnus coupables des voies de fait graves
dont a été victime John Charman.
6
Au cours du procès, les avocats de tous les accusés ont obtenu copie des
rapports de police. Ces rapports comprenaient des résumés des déclarations de Terris
Daye, Terrance Tynes, Travia Carvery et Edmond Levia, qui n'avaient pas été produites
par le ministère public. Après les déclarations de culpabilité et le prononcé des
sentences, les avocats de tous les accusés à l'exception de Skinner se sont rencontrés
pour discuter des questions d'appel. Les déclarations ont été produites par le ministère
public après cette rencontre, à la demande de l'avocat de l'un des accusés. L'un des
moyens d'appel concernait l'omission du ministère public de divulguer ces déclarations.
7
La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a admis une nouvelle preuve sous
forme d'affidavits des avocats au sujet de ce qu'ils avaient fait pour tenter d'obtenir la
divulgation avant et pendant le procès. Les affidavits révèlent qu'au moment où
l'enquête préliminaire a eu lieu durant la semaine du 5 juin 1995, les avocats de tous les
accusés ont estimé qu'ils s'étaient tous vu communiquer la même documentation. Cette
divulgation ne comprenait pas les quatre déclarations manquantes ni aucune mention du
fait que ces déclarations avaient été recueillies. Cependant, les avocats avaient reçu une
transcription de la déclaration sous serment de Danny Clayton, le principal témoin à
charge en matière d'identification, dans laquelle celui-ci identifiait Terris Daye et
- 11 -
Terrance Tynes comme étant des témoins oculaires des voies de fait. Les avocats ont
aussi reçu les déclarations de Stephen (Dee) Nelson, Nathaniel Robart et Michael Barton,
qui parlaient tous de trois des quatre individus dont les déclarations n'ont pas été
divulguées, y compris Terris Daye. La Cour d'appel a fait observer que tous les avocats
avaient reçu un plan daté du 13 octobre 1994 et une feuille de renvoi datée du
14 octobre 1994. Bien qu'on ne sache pas exactement quand ces documents ont été
reçus, la Cour d'appel a conclu que les avocats de la défense les avaient probablement
en leur possession avant l'enquête préliminaire, et sûrement avant le procès. Le plan
montre que Tynes, Daye, Carvery et Levia se trouvaient dans les environs immédiats
lorsque les voies de fait ont été commises. La feuille de renvoi laisse également
supposer qu'une déclaration a été obtenue de Terris Daye.
8
Le 4 janvier 1996, les avocats de tous les accusés ont tenu une conférence
préparatoire au procès avec le substitut du procureur général, Me Craig Botterill.
Maître Botterill a alors invité tous les avocats à se rendre à son bureau et à reproduire
l'un ou l'autre des documents contenus dans le dossier du ministère public. L'avocat qui
représentait Cyril Smith s'y est rendu pour le compte des avocats de Spencer Dixon et
de Herman McQuaid. L'avocat de Guy Robart et celui de Stacey Skinner s'y sont
rendus séparément. Les trois avocats qui se sont rendus au bureau de Me Botterill ont
déclaré, dans leurs affidavits, que les quatre déclarations non divulguées ne se trouvaient
pas dans le dossier du ministère public lorsqu'ils l'ont examiné avant le procès.
9
Le procès a débuté le lundi 5 février 1996. Quelque temps après l'ouverture
du procès, Me Scaravelli, l'avocat de Spencer Dixon, a demandé à un policier des copies
des rapports de police. Environ 160 pages de rapports originaux ont été produites peu
après. Maître Scaravelli a soumis ces rapports à l'attention des autres avocats et, le jeudi
- 12 -
8 février 1996, tous les avocats avaient des copies des rapports de police, qui faisaient
état des quatre déclarations non divulguées.
10
Le lundi 12 février 1996, après avoir examiné les rapports de police,
Me Scaravelli savait que le ministère public n'avait pas divulgué quatre déclarations
recueillies par la police. Toutefois, se fondant sur les résumés des déclarations contenus
dans les rapports de police, il a estimé qu'il n'y avait rien dans ces déclarations qui
aiderait l'accusé à présenter une défense pleine et entière. Il a dit, dans son affidavit,
qu'il était persuadé que le ministère public avait divulgué tous les renseignements
pertinents, et n'est donc pas allé plus loin. À ce moment-là, trois autres avocats de la
défense, Mes Katsihtis, O'Neill et Coady, qui représentaient Cyril Smith, Herman
McQuaid et Guy Robart respectivement, savaient également que le ministère public
n'avait pas divulgué quatre déclarations de témoins. Ils ont eux aussi décidé, sur la foi
des résumés, de ne pas demander la divulgation des déclarations. Maître Cain-Grant,
l'avocate de l'appelant Skinner, n'avait participé qu'à un seul autre procès criminel. Elle
croyait que les résumés contenus dans les rapports de police étaient les déclarations
complètes faites à la police et n'a donc pas tenté d'obtenir la communication d'autres
documents.
II. Les juridictions inférieures
A. Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (1996), 148 N.S.R. (2d) 321
11
Lors du procès pour voies de fait contre Darren Watts, le juge Saunders a tiré
des conclusions de fait très minutieuses et détaillées. Il a conclu que les cinq appelants
faisaient partie du groupe d'hommes qui avaient entouré Watts et qui étaient
responsables de la raclée qu'il avait reçue. Le juge Saunders a conclu que les appelants,
- 13 -
en tant que membres du groupe qui avait entouré Watts, avaient été là pour battre Watts
ou pour encourager d'autres à le faire, ou encore pour se serrer les coudes afin de
l'empêcher de s'échapper. Appliquant le par. 21(1) du Code criminel, L.R.C. (1985),
ch. C-46, il les a tous reconnus coupables de voies de fait graves contre Darren Watts.
12
Le ministère public s'est fortement appuyé sur le témoignage de Danny
Clayton, qui a admis avoir participé aux voies de fait graves contre Darren Watts et a
témoigné en échange de l'immunité. Clayton est le seul témoin à charge qui a identifié
les agresseurs de Watts. Sa moralité a été mise en doute. De plus, il était complice. Le
juge Saunders a examiné très attentivement son témoignage. Il a parfaitement reconnu
les faiblesses de la déposition du témoin oculaire, mais il a conclu que celles-ci étaient
minimisées par le fait que Clayton avait assisté et participé aux voies de fait. Clayton
connaissait aussi les appelants personnellement et avait grandi et vécu avec eux dans la
même collectivité. Il a été jugé que ces facteurs avaient renforcé sa preuve
d'identification. En outre, le juge Saunders a conclu que le témoignage de Clayton était
étayé, à certains égards importants, par d'autres éléments de preuve. Par conséquent, il
n'avait pas le sentiment qu'il serait risqué de déclarer les appelants coupables de voies
de fait graves contre Darren Watts. Compte tenu du témoignage de Clayton et de tous
les éléments de preuve présentés, il était convaincu hors de tout doute raisonnable qu'ils
étaient coupables.
13
Le juge Saunders a également accepté le témoignage de Clayton selon lequel
Cyril Smith avait frappé Rob Gillis, et il a reconnu Smith coupable des voies de fait
graves dont Gillis a été victime. Le juge Saunders a souligné de plus que, dans leurs
déclarations à la police, Stacey Skinner et Herman McQuaid avaient tous deux admis
avoir attaqué John Charman. Ces aveux étayaient le témoignage de Clayton voulant que
Stacey Skinner et un homme que Clayton a identifié non sans hésitation comme étant
- 14 -
Stephen (Dee) Nelson aient attaqué John Charman. Le juge du procès a conclu que
Skinner et McQuaid avaient commis des voies de fait graves contre Charman.
B. Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse (1997), 156 N.S.R. (2d) 81
14
La principale question dont était saisie la Cour d'appel était de savoir si
l'omission de divulguer les quatre déclarations de témoins avait porté atteinte au droit
de l'appelant à une défense pleine et entière. Le juge Chipman a fait remarquer, au nom
de la cour à la majorité, que les parties ont convenu qu'aucun motif répréhensible ne
sous-tendait l'omission du ministère public de divulguer les déclarations et que la seule
déclaration susceptible d'être pertinente était celle de Terris Daye.
15
Le juge Chipman a conclu que l'avocat de l'appelant n'a pas réclamé les
déclarations manquantes ni porté à l'attention du juge du procès l'omission de divulguer
ces déclarations, dès que possible comme il était tenu de le faire. Il était d'avis que, dès
que le ministère public eut produit les rapports de police au cours du procès, l'avocat de
la défense devait savoir qu'il n'avait pas produit quatre déclarations recueillies par la
police. À son avis, l'avocat devait alors faire un choix: [TRADUCTION] «demander les
déclarations ou s'en passer» (p. 93). Il a jugé que certaines contradictions entre le
résumé de la déclaration de Daye et le témoignage de Clayton auraient dû inciter tout
avocat qui avait un intérêt dans les déclarations à examiner davantage ces divergences.
Le juge Chipman a conclu qu'une décision tactique de ne pas tenter d'obtenir la
divulgation de ces déclarations avait été prise au procès et qu'un point de vue contraire
n'a été adopté qu'après la déclaration de culpabilité. Il a fait observer que le manque de
diligence raisonnable de l'avocat de la défense est un facteur important pour déterminer
s'il y a lieu d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
- 15 -
16
Toutefois, les juges majoritaires ont rejeté l'appel pour le motif que la
documentation non communiquée n'avait aucune valeur probante. Le juge Chipman a
statué que, lors d'un appel contre une déclaration de culpabilité, si le ministère public
n'a pas effectué une divulgation complète, l'appelant doit montrer [TRADUCTION] «qu'il
y a une probabilité raisonnable que le résultat aurait été différent si la documentation non
communiquée avait été produite» (p. 104). Il a ensuite examiné la pertinence de la
déclaration de Terris Daye en fonction de ce critère et a conclu qu'elle ne minait pas
[TRADUCTION] «la preuve accablante que des noirs avaient entouré et battu Watts»
(p. 111). Tout en reconnaissant que les témoins se contredisaient sur certains points, le
juge Chipman a constaté une surprenante unanimité au sujet de ce cercle de gens, qui a
été décrit à partir de points d'observation différents. Il a également conclu que Daye
n'avait pas vu ou ne voulait pas admettre avoir vu ceux qui avaient attaqué Watts et il
a statué qu'il n'y avait aucune probabilité raisonnable que le résultat aurait été différent
si cette déclaration avait été disponible pendant ou avant le procès.
17
Le juge Chipman a donc rejeté l'argument de l'appelant selon lequel, parce
que la déclaration de Daye contredisait le témoignage de Clayton quant à l'endroit où
certains accusés se trouvaient pendant que Watts était attaqué, on aurait pu s'en servir
pour miner la crédibilité de Clayton. Il a rejeté de la même façon l'argument selon
lequel la description que Daye a donnée des cercles intérieur et extérieur formés autour
de Darren Watts étayait les dépositions d'autres témoins à charge qui laissaient entendre
que Watts n'avait été attaqué que par trois ou quatre hommes. Le juge Chipman a aussi
noté que le résumé de la déclaration de Daye, contenu dans le rapport de police,
comportait cette description de deux cercles autour de Watts, et ainsi, que l'avocat
n'avait pas perdu une possibilité réaliste de recueillir et de présenter des éléments de
preuve découlant de cette déclaration. Le juge Chipman a décidé que la déclaration ne
- 16 -
contenait rien qui donnait ouverture à une enquête préliminaire et dont n'aurait pas déjà
disposé un avocat diligent.
18
Le juge Bateman, dissidente, a exprimé son désaccord avec la conclusion des
juges majoritaires que, pour mériter un nouveau procès, un appelant doit établir
l'existence d'une probabilité raisonnable que le résultat aurait été différent si la
documentation non communiquée avait été produite. Elle a statué que tout examen de
la pertinence de renseignements non divulgués doit comprendre une évaluation
généreuse de la possibilité raisonnable que la non-divulgation ait nui à la préparation de
la défense et à l'équité du procès, et que cet examen va plus loin que le bien-fondé du
résultat. Elle était d'avis que la déclaration de Daye contenait assez de renseignements
pour pouvoir être sensiblement utile à la préparation et à la présentation de la défense.
Elle ne pouvait pas dire que, si la défense avait disposé de la déclaration de Daye, il n'y
aurait eu aucune possibilité raisonnable que le résultat soit différent, et elle ne pouvait
pas non plus conclure que l'équité du procès n'avait pas été compromise. Elle a donc
jugé que l'omission de divulguer du ministère public avait porté atteinte au droit de
l'appelant à une défense pleine et entière.
19
Le juge Bateman n'était pas d'accord non plus avec la conclusion de ses
collègues que l'avocat de l'appelant au procès n'avait pas fait preuve de diligence
raisonnable. Elle partageait les craintes des juges majoritaires que l'omission des
avocats des divers appelants de répondre aux questions posées lors des audiences en
appel, l'absence d'information dans les affidavits des avocats de la défense relativement
à leur connaissance de la déclaration et leur intérêt inexpliqué dans les déclarations à la
suite du procès ne fassent soupçonner que certains ou la totalité d'entre eux avaient pris
la décision stratégique de ne pas tenter d'obtenir la divulgation. Cependant, elle n'a pas
conclu que l'avocat de l'appelant au procès avait adopté comme tactique de passer sous
- 17 -
silence l'omission de divulguer du ministère public. Elle aurait fait droit à la demande
de nouveau procès de l'appelant.
III. Analyse
A. L'obligation de divulguer du ministère public
20
Dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
, il a été jugé que le
ministère public est tenu de communiquer tous les documents pertinents qu'il a en sa
possession, pourvu qu'ils ne soient pas protégés. Un document est pertinent si la défense
peut raisonnablement s'en servir pour réfuter la preuve du ministère public. L'arrêt R.
c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451
, décrit ainsi la question de la pertinence, à la p. 467:
Une façon de mesurer la pertinence d'un renseignement dont dispose le
ministère public est de déterminer son utilité pour la défense: s'il a une
certaine utilité, il est pertinent et devrait être divulgué -- Stinchcombe,
précité, à la p. 345. Le juge qui effectue le contrôle doit déterminer si
l'accusé peut raisonnablement utiliser la communication des renseignements
pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter
un moyen de défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible
d'avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de
présenter ou non une preuve.
21
Manifestement, le critère préliminaire fixé pour la divulgation est fort peu
élevé. Par conséquent, une vaste gamme de documents, qu'ils soient disculpatoires ou
inculpatoires, sont assujettis à la communication. Voir l'arrêt Stinchcombe, précité, à la
p. 343. En particulier, «toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des
renseignements pertinents aux autorités devrait être produite, même si le ministère public
n'a pas l'intention de citer ces personnes comme témoins à charge» (p. 345).
L'obligation de divulguer du ministère public est donc déclenchée chaque fois qu'il y
- 18 -
a une possibilité raisonnable que le renseignement soit utile à l'accusé pour présenter une
défense pleine et entière. Voir R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727
, à la p. 742.
22
L'obligation qui incombe au ministère public de communiquer des
documents engendre un droit constitutionnel correspondant de l'accusé à la
communication de tous les documents qui satisfont au critère préliminaire de l'arrêt
Stinchcombe. Comme l'écrivait récemment le juge Sopinka au nom de notre Cour à la
majorité dans l'arrêt R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80
, à la p. 106:
Le droit à la communication de documents qui satisfont au critère
préliminaire établi dans Stinchcombe est l'un des éléments du droit de
présenter une défense pleine et entière qui est lui un principe de justice
fondamentale visé à l'art. 7 de la Charte. Le fait de manquer à cette
obligation constitue une atteinte aux droits constitutionnels de l'accusé, sans
qu'il soit nécessaire de prouver l'existence d'un préjudice additionnel.
Ainsi, lorsqu'un accusé démontre l'existence d'une possibilité raisonnable que les
renseignements non divulgués auraient été utilisés pour réfuter la preuve du ministère
public, pour présenter un moyen de défense ou, par ailleurs, pour prendre une décision
qui aurait pu avoir une incidence sur la façon de présenter la défense, il se trouve
également à établir l'existence d'une atteinte au droit à la divulgation que lui garantit la
Charte.
23
Toutefois, la conclusion qu'il y a eu violation du droit d'un accusé à la
divulgation ne met pas fin à l'analyse. Comme le juge Sopinka l'a fait observer
judicieusement dans Carosella, précité, à la p. 100, une cour d'appel doit se garder de
«confond[re] l'obligation d'établir la violation du droit [à une défense pleine et entière]
avec l'obligation qui incombe à l'appelant lorsqu'il sollicite l'arrêt des procédures». De
même, le critère initial auquel il faut satisfaire pour établir la violation du droit à la
- 19 -
divulgation est distinct, sur le plan de l'analyse, de l'obligation dont il faut s'acquitter
pour mériter un nouveau procès à titre de réparation. Le droit à la communication de
tous les documents pertinents est large et vise les documents qui peuvent n'avoir qu'une
importance secondaire par rapport aux questions fondamentales en litige. Il s'ensuit que
le ministère public peut omettre de divulguer des renseignements qui satisfont au critère
préliminaire de l'arrêt Stinchcombe, mais qui ne pourraient absolument pas
compromettre le bien-fondé du résultat atteint ou l'équité globale du procès. Dans ces
circonstances, rien ne justifierait d'accorder un nouveau procès à titre de réparation en
vertu du par. 24(1) de la Charte, puisque l'accusé n'a subi aucun préjudice.
24
Il sera nécessaire plus tard d'examiner plus en profondeur la nature de
l'obligation dont il faut s'acquitter pour mériter un nouveau procès. Il suffit, pour
l'instant, de faire observer qu'aux fins de cette première étape de l'analyse une cour
d'appel peut bien conclure à la violation du droit à la divulgation que la Charte garantit
à un accusé, tout en refusant d'accorder un nouveau procès à titre de réparation si elle
juge que le procès a été foncièrement équitable et qu'il n'y avait aucune possibilité
raisonnable que le résultat du procès aurait été différent si la documentation non
communiquée avait été produite. Le droit à la divulgation complète n'est qu'une
composante du droit à une défense pleine et entière. Il ne s'ensuit pas automatiquement
qu'il y a atteinte au droit à une défense pleine et entière garanti par la Charte, du seul fait
qu'il y a eu violation du droit à la divulgation.
Le droit de l'appelant à la divulgation a-t-il été violé au procès?
25
L'appelant a fondé son pourvoi sur l'omission de divulguer les quatre
déclarations de témoins, malgré la conclusion de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse
[TRADUCTION] «qu'il ressortait de cet argument que la déclaration de Daye est la seule
- 20 -
des quatre déclarations non divulguées à être invoquée comme étant pertinente
relativement à la question de la défense pleine et entière» (p. 88). Tant les motifs
majoritaires que les motifs de dissidence se limitaient à un examen de la déclaration de
Daye. Cependant, les juges majoritaires ont évalué les déclarations non divulguées
uniquement en fonction de leur incidence sur le résultat atteint au procès et n'ont pas
étudié chaque déclaration en fonction de la question préliminaire de savoir s'il y avait
eu violation du droit à la divulgation garanti à l'appelant par la Charte, même si les deux
questions avaient bien pu être ramenées à une seule. Par conséquent, il conviendra de
se demander si l'omission de divulguer chacune des quatre déclarations a violé le droit
de l'appelant à la communication des documents pertinents.
26
Les quatre déclarations peuvent se résumer brièvement ainsi:
(1)
La déclaration de Travia Carvery, en date du 16 septembre 1994, indique
qu'il était dans la maison de la confrérie d'étudiants lorsque les voies de fait
ont été commises et qu'il n'a été témoin d'aucune des raclées.
(2)
La déclaration d'Edmond («T.J.») Levia, en date du 22 septembre 1994,
indique qu'il était dans la maison de la confrérie d'étudiants lorsque les
voies de fait ont été commises et qu'il n'a été témoin d'aucune des raclées.
(3)
La déclaration de Terrance Tynes, en date du 21 septembre 1994, révèle
qu'il se trouvait près de l'endroit où les voies de fait ont été commises. Il
déclare également qu'il était en compagnie de Danny Clayton, le principal
témoin à charge en matière d'identification, pendant que Shannon Burke et
Terrence Dixon se querellaient, et qu'il a quitté les lieux avec Clayton.
Tynes décrit aussi les vêtements qu'il portait ce soir-là.
- 21 -
(4)
La déclaration de Terris Daye, en date du 19 septembre 1994, indique qu'il
a été témoin de deux des cas de voies de fait. Daye précise où certains des
accusés se trouvaient pendant que ces voies de fait étaient commises et
identifie certains des agresseurs. Daye implique expressément l'appelant
dans les voies de fait contre John Charman, même s'il est possible qu'il
parlait alors des voies de fait contre Rob Gillis. L'appelant n'a été reconnu
coupable que des voies de fait contre Darren Watts.
27
Le ministère public est tenu de divulguer tous les renseignements,
inculpatoires ou disculpatoires, que «l'accusé [pourrait] raisonnablement utiliser [. . .]
pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter un moyen de
défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible d'avoir un effet sur le
déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve»
(Egger, précité, à la p. 467). Même là, «[s]i le ministère public pèche, ce doit être par
inclusion. Il n'est toutefois pas tenu de produire ce qui n'a manifestement aucune
pertinence» (Stinchcombe, précité, à la p. 339). Les déclarations de Carvery et Levia
ne contiennent aucun renseignement pertinent, et il n'y a aucune possibilité raisonnable
que leurs déclarations aient été de quelque utilité à l'appelant au procès.
28
Pour réduire au minimum le risque de non-divulgation par inadvertance, le
ministère public pourrait bien choisir de divulguer même les déclarations de témoins qui
ne semblent pas pertinentes au départ. Évidemment, la défense connaît mieux sa preuve
que le ministère public, et quelque chose qui semble non pertinent au ministère public
pourrait avoir de l'importance pour la défense. Il est clair, toutefois, que ni Carvery ni
Levia n'ont participé davantage à l'incident ou encore à l'enquête ou aux poursuites
concernant l'appelant. Leurs déclarations n'étaient pas pertinentes et le ministère public
- 22 -
n'a pas manqué à son obligation de communiquer tous les documents pertinents en
omettant de les produire.
29
Cependant, on ne peut pas en dire autant de la déclaration de Terrance
Tynes, même si elle semble contenir très peu de renseignements pertinents. Il est
révélateur que Tynes affirme qu'il se trouvait à proximité de l'endroit où les voies de fait
ont été commises, et qu'il n'identifie aucun des agresseurs. Il déclare également avoir
été en compagnie de Danny Clayton pendant une partie de la soirée. Quoique Tynes ne
contredise pas le témoignage de Clayton ou n'y ajoute rien, le fait qu'il ait été en
compagnie de Clayton à un certain moment, pendant que les voies de fait étaient
commises, aurait pu être d'une certaine utilité pour la défense. La description que Tynes
donne des vêtements qu'il portait le soir en question aurait pu également être utile à la
défense lors du contre-interrogatoire des témoins à charge qui ne pouvaient pas identifier
les agresseurs de Watts par leur nom et qui devaient décrire l'apparence des hommes
qu'ils avaient vus. Bien que cette déclaration n'ait qu'une importance secondaire, elle
satisfait effectivement au critère préliminaire de l'arrêt Stinchcombe et aurait dû être
divulguée.
30
La déclaration de Terris Daye aurait dû elle aussi être divulguée. Daye
implique l'appelant dans les voies de fait commises contre Rob Gillis, au sujet desquelles
il n'a été ni mis en accusation ni reconnu coupable. Daye a aussi fait, dans sa
déclaration, certaines remarques incriminantes au sujet de l'appelant, comme par
exemple: [TRADUCTION] «Spencer a frappé cet homme à coups de poing et à coups de
pied. Il aime donner des coups de pied.» La déclaration de Daye contredit également
le témoignage de Clayton à certains égards et, par conséquent, elle aurait pu être utile
pour attaquer la crédibilité de Clayton. Ces aspects de la déclaration de Daye devront
être étudiés de plus près en examinant la question de savoir si l'omission du ministère
- 23 -
public de divulguer cette déclaration a porté atteinte au droit à une défense pleine et
entière que la Charte garantit à l'appelant. Encore une fois, cette déclaration satisfait au
critère préliminaire de l'arrêt Stinchcombe et aurait dû être divulguée. Il s'ensuit qu'il
y a eu atteinte au droit de l'appelant à la divulgation, du fait que le ministère public a
omis par inadvertance de produire ces deux déclarations.
B. L'atteinte au droit à une défense pleine et entière et la réparation à accorder en
vertu du par. 24(1)
31
Le droit à la divulgation n'est qu'une composante du droit à une défense
pleine et entière. Bien qu'il puisse y avoir violation du droit à la divulgation, il se peut
qu'il n'y ait aucune atteinte au droit à une défense pleine et entière par suite de cette
violation. En fait, différents principes et normes s'appliquent pour déterminer si la
divulgation devrait avoir lieu avant la déclaration de culpabilité et pour déterminer l'effet
d'une omission de divulguer après la déclaration de culpabilité. Par exemple, lorsque
la documentation non communiquée peut être examinée au procès, le juge qui préside
l'audience l'évaluera en fonction du critère préliminaire de l'arrêt Stinchcombe pour
déterminer si, en dissimulant cette documentation, le ministère public a manqué à son
obligation de divulguer. Dans l'affirmative, une ordonnance de production ou peut-être
l'ajournement sera la réparation appropriée. Il est évident que ces réparations ne sont
plus disponibles après une déclaration de culpabilité. Une cour d'appel doit alors
déterminer non seulement si les renseignements non divulgués satisfont au critère
préliminaire de Stinchcombe, mais encore si l'omission de divulguer du ministère public
a porté atteinte au droit de l'accusé à une défense pleine et entière. Si une cour d'appel
conclut que l'omission de divulguer du ministère public a porté atteinte au droit à une
défense pleine et entière, la réparation à accorder dépendra de la gravité de l'atteinte à
ce droit. Lorsque, comme en l'espèce, l'accusé a subi son procès devant un juge seul,
- 24 -
qui a fourni des motifs détaillés à l'appui de sa décision, et que les éléments de preuve
non divulgués peuvent être examinés, une cour d'appel est particulièrement bien placée
pour évaluer l'incidence de l'omission de divulguer sur la capacité de l'accusé de
présenter une défense pleine et entière à son procès.
32
À ce moment-ci, il faudrait aussi parler de la norme à laquelle doit satisfaire
l'accusé qui soutient qu'il y a eu atteinte à son droit à une défense pleine et entière.
Même si cela peut sembler banal, il vaut la peine de répéter que, dans toutes les affaires
où une personne allègue une violation d'un droit garanti par la Charte, elle doit prouver
l'existence de cette violation selon la prépondérance des probabilités. Donc, avant
d'accorder quelque réparation que ce soit en vertu du par. 24(1), il faut conclure qu'il
était davantage probable qu'il y avait eu violation ou négation du droit en question
garanti par la Charte. Voir R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
, à la p. 277.
33
La preuve requise pour s'acquitter de cette obligation et les facteurs à
prendre en considération différeront selon le droit en cause et la réparation réclamée. Par
exemple, lorsqu'un tribunal est convaincu que les renseignements non divulgués
satisfont au critère préliminaire de l'arrêt Stinchcombe, l'accusé s'est acquitté de son
obligation d'établir l'existence d'une violation du droit à la divulgation que lui garantit
la Charte. Comme nous l'avons vu, une ordonnance de production ou l'ajournement est
la réparation qu'il convient d'accorder pour une telle violation au procès. Lorsque la
question de la non-divulgation est soulevée dans le cadre d'un appel contre une
déclaration de culpabilité, l'accusé doit commencer par établir l'existence d'une
violation du droit à la divulgation. De plus, il incombe à l'accusé de démontrer, selon
la prépondérance des probabilités, que l'omission de divulguer a porté atteinte à son droit
à une défense pleine et entière.
- 25 -
34
Il est satisfait à cette obligation lorsque l'accusé démontre qu'il y a une
possibilité raisonnable que la non-divulgation ait influé sur l'issue ou l'équité globale
du procès. Voir les arrêts R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S. 763, à la p. 776; Stinchcombe,
précité, à la p. 348. Imposer un critère fondé sur une possibilité raisonnable permet
d'établir un juste équilibre entre l'intérêt qu'a l'accusé à subir un procès équitable et
l'intérêt qu'a le public dans l'administration efficace de la justice. On reconnaît ainsi la
difficulté qu'il y a à reconstituer fidèlement le procès et on évite l'effet non souhaitable
de miner les obligations de divulgation du ministère public. C'est le résultat auquel on
arriverait si, en dissimulant des renseignements ayant relativement peu de valeur
probante, le ministère public se trouvait dans une meilleure situation qu'en les
divulguant. Cependant, la possibilité raisonnable, dont l'existence doit être démontrée
selon ce critère, ne doit pas être purement hypothétique. Elle doit se fonder sur les
utilisations raisonnablement possibles de la preuve non divulguée ou sur les moyens
d'enquête raisonnablement possibles dont l'accusé a été privé à la suite de la
non-divulgation. S'il est prouvé qu'une telle possibilité existe, il y a alors eu atteinte au
droit à une défense pleine et entière.
35
L'accusé qui établit que l'omission de divulguer du ministère public a porté
atteinte à son droit à une défense pleine et entière a droit à une réparation fondée sur le
par. 24(1). Encore une fois, c'est à cette étape que la gravité de l'atteinte portée aux
droits de l'accusé ou du préjudice causé à ceux-ci doit être évaluée et examinée en
fonction de la réparation demandée. Par exemple, l'accusé qui réclame la réparation
exceptionnelle qu'est l'arrêt des procédures doit non seulement établir, selon la
prépondérance des probabilités, qu'il y a eu atteinte à son droit à une défense pleine et
entière, mais encore qu'un préjudice irréparable a été causé à ce droit. Voir Carosella,
précité, à la p. 112. Par contre, lorsque la réparation demandée est un nouveau procès,
l'accusé a seulement besoin de convaincre la cour d'appel de la possibilité raisonnable
- 26 -
que l'omission de divulguer ait influé sur l'issue ou l'équité globale du procès, rien de
plus.
36
Donc, pour déterminer s'il y a eu atteinte au droit à une défense pleine et
entière, il faut entreprendre une analyse en deux étapes fondée sur ces considérations.
Premièrement, pour évaluer le bien-fondé du résultat, il faut examiner les renseignements
non divulgués pour déterminer l'incidence qu'ils auraient pu avoir sur la décision de
rendre un verdict de culpabilité. Évidemment, la tâche sera plus facile si l'accusé a subi
son procès devant un juge seul et si des motifs ont été exposés à l'appui de la déclaration
de culpabilité. Si, à la première étape, une cour d'appel est convaincue qu'il y a une
possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués influent, à première vue,
sur le bien-fondé de la déclaration de culpabilité, un nouveau procès devrait être
ordonné. Même si les renseignements non divulgués n'influent pas eux-mêmes sur le
bien-fondé du résultat atteint au procès, l'incidence de la non-divulgation sur l'équité
globale du procès doit être prise en considération à la deuxième étape de l'analyse. On
le fera en évaluant, sous l'angle d'une possibilité raisonnable, les questions qui auraient
pu être posées aux témoins ou les possibilités de recueillir d'autres éléments de preuve
que la défense aurait pu avoir si les renseignements pertinents avaient été divulgués.
Bref, la possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués aient porté atteinte
au droit à une défense pleine et entière a trait non seulement au contenu des
renseignements eux-mêmes, mais encore aux possibilités réalistes d'examiner les
utilisations possibles des renseignements non divulgués aux fins de l'enquête et de la
cueillette d'éléments de preuve.
37
Pour examiner l'équité globale du procès, il faut tenir compte de la diligence
dont l'avocat de la défense a fait preuve en tentant d'obtenir la divulgation par le
ministère public. Le manque de diligence raisonnable est un facteur important pour
- 27 -
déterminer si la non-divulgation par le ministère public a nui à l'équité du procès. Dans
l'arrêt Stinchcombe, précité, à la p. 341, l'obligation qu'a l'avocat de la défense de faire
preuve de diligence raisonnable est ainsi décrite:
Quand l'avocat de l'accusé prend connaissance d'une omission du
ministère public de respecter son obligation de divulguer, celui-ci doit, dès
que possible, signaler cette omission au juge du procès. L'observation de
cette règle permettra au juge du procès de remédier, autant que faire se peut,
à tout préjudice causé à l'accusé et d'éviter ainsi un nouveau procès. Voir
Caccamo c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 786. L'omission de l'avocat de la
défense de ce faire constituera un facteur important à retenir pour
déterminer, lors d'un appel, s'il y a lieu d'ordonner la tenue d'un nouveau
procès.
Pour que le système de justice pénale fonctionne efficacement et équitablement, l'avocat
de la défense doit faire preuve de diligence raisonnable en réclamant activement la
divulgation par le ministère public. La nature même du processus de divulgation
l'expose à l'erreur humaine et à la contestation. En tant qu'officier de justice, l'avocat
de la défense est tenu de faire preuve de diligence en tentant d'obtenir la divulgation.
Lorsque l'avocat prend ou devrait prendre connaissance, à partir de documents pertinents
produits par le ministère public, d'une omission de communiquer d'autres documents,
il ne doit pas rester passif. Il doit plutôt tenter diligemment d'en obtenir la
communication. Ce principe est bien énoncé par la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique dans l'arrêt R. c. Bramwell (1996), 106 C.C.C. (3d) 365 (conf. par
[1996] 3 R.C.S. 1126), à la p. 374:
[TRADUCTION] . . . le processus de divulgation met en cause à la fois le
ministère public et la défense. Ce n'est pas un processus dans lequel
l'avocat de la défense n'a aucun rôle à jouer, si ce n'est de recevoir
l'information de façon passive. Le processus de divulgation vise à assurer
que l'accusé ne soit pas privé d'un procès équitable. À cette fin, le substitut
du procureur général doit divulguer tout ce qui est en sa possession et qui
n'est pas manifestement non pertinent pour la défense, mais la défense doit
également jouer son rôle en réclamant de manière diligente au substitut du
procureur général la divulgation en temps opportun. De plus, lorsque,
- 28 -
comme en l'espèce, l'avocat de la défense prend une décision tactique de ne
pas tenter d'obtenir la communication de certains documents, le tribunal
sera généralement indifférent à un plaidoyer selon lequel il n'y a pas eu
communication complète de ces documents.
Voir également R. c. S.E.S. (1992), 100 Sask. R. 110 (C.A.), à la p. 121.
38
La réponse à la question de savoir s'il y a lieu d'ordonner la tenue d'un
nouveau procès pour le motif que l'omission de divulguer du ministère public a rendu
le procès inéquitable comporte un processus d'évaluation et de pondération. Si l'avocat
de la défense savait ou aurait dû savoir, sur la foi d'autres renseignements divulgués, que
le ministère public avait omis par inadvertance de divulguer de l'information, et qu'il n'a
rien fait en raison d'une décision tactique ou d'un manque de diligence raisonnable, il
serait difficile de retenir un argument selon lequel l'omission de divulguer a nui à
l'équité du procès. Voir l'arrêt R. c. McAnespie, [1993] 4 R.C.S. 501, aux pp. 502
et 503.
39
Somme toute, il convient de bien pondérer tous ces facteurs. Dans les cas
où la pertinence de la preuve non divulguée est très élevée à première vue, la tenue d'un
nouveau procès devrait être ordonnée pour ce motif seulement. Dans ces circonstances,
il ne sera pas nécessaire d'examiner l'incidence des possibilités perdues de recueillir
d'autres éléments de preuve par suite de l'omission de divulguer. Cependant, si la
pertinence des renseignements non divulgués est relativement peu élevée, une cour
d'appel devra déterminer si la défense a perdu des possibilités réalistes. À cette fin, la
diligence raisonnable ou le manque de diligence raisonnable dont l'avocat de la défense
aura fait preuve en tentant d'obtenir la divulgation constituera un facteur très important
à retenir pour décider d'ordonner ou non la tenue d'un nouveau procès. Ce processus
de pondération doit maintenant être appliqué au présent pourvoi.
- 29 -
Application au présent pourvoi
a) La déclaration de culpabilité de l'appelant fondée sur le par. 21(1) du
Code criminel
40
Il importe de souligner, pour trancher le présent pourvoi, que le juge du
procès a déclaré l'appelant coupable à la fois comme auteur principal de l'infraction et
comme participant à celle-ci, au sens du par. 21(1) du Code criminel. Ce paragraphe se
lit ainsi:
21. (1) Participent à une infraction:
a) quiconque la commet réellement;
b) quiconque accomplit ou omet d'accomplir quelque chose en vue
d'aider quelqu'un à la commettre;
c) quiconque encourage quelqu'un à la commettre.
Le juge du procès a exposé avec vigueur et grande clarté les raisons pour lesquelles il a
déclaré l'appelant coupable de voies de fait graves contre Darren Watts, en vertu du
par. 21(1) du Code. Il a dit (à la p. 324):
[TRADUCTION] On ne peut pas confirmer l'identité de l'homme ou des
hommes qui ont sauté sur Darren Watts ni celle de l'homme qui a écarté ses
amis afin de jouir d'un meilleur angle, ou de plus d'espace, pour reculer de
trois pas et lui donner un violent coup de pied à la tête, qui a été décrit à
maintes reprises comme un «botté de soccer», un «botté de Coupe Grey» ou
un «méchant coup de pied». Je conclus que le groupe qui a encerclé Darren
Watts et qui a été responsable de la raclée sauvage qu'il a reçue comprenait
au moins sept noirs, soit les six accusés et le témoin à charge, Danny
Clayton. Il y avait peut-être d'autres personnes dans ce cercle qui s'est
formé autour de M. Watts, dont les agresseurs connaissent mieux l'identité.
Cependant, leurs noms et leur degré de participation ce soir-là ne sont pas
pertinents pour les fins du présent procès, car je suis convaincu hors de tout
doute raisonnable que chacun de ces six accusés est coupable des voies de
fait graves dont a été victime Darren Watts.
- 30 -
Il est bien établi que la seule présence sur les lieux d'un crime ne suffit
pas à justifier une déclaration de culpabilité. (Dunlop et Sylvester c. La
Reine [[1979] 2 R.C.S. 881]). Il faut quelque chose de plus. En l'espèce,
le ministère public s'appuie sur le par. 21(1) du Code criminel, qui a pour
effet de rendre aussi coupables l'une que l'autre la personne qui commet
réellement l'infraction et celle qui aide ou encourage la perpétration de
l'infraction. Bien que je sois convaincu hors de tout doute raisonnable de
la culpabilité de ces six accusés relativement à tous les chefs d'accusation,
en raison du témoignage de leur complice, Danny Clayton, je serais
également disposé à dire, si cela était nécessaire, que chacun des accusés et
Danny Clayton ont participé, au sens du par. 21(1), aux voies de fait graves
contre Darren Watts, tel que mentionné dans l'acte d'accusation. Je suis
persuadé que les hommes qui formaient le cercle étaient tous là pour les
mêmes raisons: donner des coups de pied à Darren Watts ou le battre, ou
aider à le battre ou encourager d'autres à le faire, ou encore -- comme
d'autres l'ont fait observer -- se serrer les coudes de manière à former un
cercle afin d'empêcher Darren Watts de s'échapper ou d'empêcher d'autres
personnes de venir à sa rescousse. [Je souligne.]
41
Il incombe à l'appelant de démontrer (i) qu'il est raisonnablement possible
que les déclarations non divulguées influent sur le bien-fondé de sa déclaration de
culpabilité en tant qu'auteur principal des voies de fait graves contre Darren Watts, et
de sa déclaration de culpabilité d'avoir aidé ou encouragé à perpétrer les voies de fait
contre Watts, ou (ii) qu'il est raisonnablement possible que la non-divulgation des
déclarations ait nui à l'équité globale du procès. Il faut se rappeler que, par suite de sa
déclaration de culpabilité fondée sur le par. 21(1) du Code, l'appelant doit prouver que
l'omission de divulguer les déclarations a influé sur chacune des autres conclusions
mentionnées dans le paragraphe, plus précisément celles qu'il a donné des coups de pied
à Darren Watts ou l'a battu, qu'il a aidé à le battre ou qu'il a encouragé à le faire. À mon
avis, l'appelant ne s'est pas acquitté de cette obligation.
b) La pertinence de la déclaration de Tynes
42
Il y a peu de choses à dire au sujet de la pertinence de la déclaration de
Tynes. Elle n'ajoute rien à la preuve d'identification présentée par Danny Clayton et elle
- 31 -
ne la contredit pas non plus. Tynes ne mentionne aucunement l'appelant. La description
de ses propres vêtements et de son apparence ce soir-là n'a également aucune incidence
sur la déclaration de culpabilité de l'appelant. Il appert qu'à première vue la déclaration
de Tynes n'aurait pu avoir aucune incidence sur le bien-fondé de la déclaration de
culpabilité de l'appelant prononcée au procès. La possibilité que la déclaration de Tynes
aurait été utilisée pour recueillir d'autres éléments de preuve sera examinée plus loin en
fonction de l'équité du procès.
c) La pertinence de la déclaration de Daye
43
Il est révélateur que Daye déclare très clairement qu'il n'a été témoin que
de deux des cas de voies de fait qui ont été commises le soir en question et qu'il laisse
nettement entendre qu'il n'a pas été témoin des voies de fait contre Darren Watts. En
réalité, il a peu à offrir au sujet des voies de fait contre Watts, outre sa description de
deux cercles de personnes autour de la victime et de l'endroit où les voies de fait ont été
commises. Ce manque de détails contraste vivement avec la description que Daye donne
des deux autres cas de voies de fait, dans laquelle il implique l'appelant.
44
Ainsi, la déclaration n'a aucune incidence directe sur la déclaration de
culpabilité de l'appelant. Non seulement Daye a-t-il peu de choses à dire au sujet des
voies de fait contre Watts, mais encore il fait, en réalité, des déclarations très
incriminantes au sujet de l'appelant. Il s'ensuit qu'il n'y a aucune possibilité raisonnable
que la déclaration de Daye aurait, à première vue, influé directement sur le bien-fondé
du résultat atteint au procès.
45
Il faut maintenant se demander si la déclaration aurait pu avoir une incidence
indirecte. L'identification de l'appelant comme étant l'un des hommes qui ont commis
- 32 -
des voies de fait contre Darren Watts reposait en grande partie sur la crédibilité de
Clayton. Par conséquent, toute contradiction qui existe entre la déclaration de Daye et
le témoignage de Clayton est pertinente relativement à la défense de l'appelant et est
susceptible d'influer sur le bien-fondé de la déclaration de culpabilité. Les
contradictions importantes peuvent se résumer ainsi:
i.
Daye a déclaré que l'appelant et Damon Cole ont commis des voies de
fait contre le «premier homme» (il semble que Daye faisait allusion aux
voies de fait contre Rob Gillis). Clayton a témoigné que Cyril Smith et
Damon Cole ont commis des voies de fait contre Rob Gillis.
ii. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait vu Cyril Smith battre quelqu'un ou
frapper quelqu'un à coups de poing ou à coups de pied, Daye a répondu
«Non». Clayton a témoigné que Cyril Smith a commis des voies de fait
contre Rob Gillis.
iii. Daye a déclaré ne pas avoir vu Stacey Skinner frapper quelqu'un, même
s'il savait que Skinner avait admis avoir commis des voies de fait dans
sa propre déclaration à la police. Clayton a témoigné que Skinner a
commis des voies de fait contre Charman et Watts. Il y a lieu également
de noter que Skinner a admis avoir commis des voies de fait contre
Charman dans sa déclaration à la police.
iv. Daye a déclaré ne pas pouvoir se rappeler si Guy Robart avait frappé
quelqu'un. Clayton a témoigné que Robart a commis des voies de fait
contre Watts.
- 33 -
v. Daye a déclaré qu'un seul groupe d'hommes s'est dirigé en courant vers
l'hôpital situé en face de la maison de la confrérie et qu'un autre groupe
l'a ensuite rejoint. Clayton a témoigné qu'un seul groupe -- celui qui
avait commis des voies de fait contre Darren Watts -- avait couru vers
l'hôpital. Cela a été étayé par le témoignage d'un autre témoin à charge,
Blaine McQueen. La thèse d'«un seul groupe cohésif» a constitué une
partie importante de l'argumentation du ministère public au procès.
46
Il me semble que ces contradictions relativement peu importantes ne
pouvaient absolument pas influer sur le bien-fondé de la déclaration de culpabilité qui
a été prononcée contre l'appelant, en application du par. 21(1), relativement aux voies
de fait contre Darren Watts. Quant à l'alinéa (i), il n'est pas raisonnablement possible
que l'identification par Daye de l'appelant comme étant l'un des agresseurs de Gillis
minerait la crédibilité de Clayton quand il identifie l'appelant comme étant l'un des
agresseurs de Watts. Cette contradiction très mineure concernant une question
secondaire ne pouvait pas susciter un doute dans l'esprit du juge du procès quant à la
déclaration de culpabilité de l'appelant relative aux voies de fait contre Watts. Les
contradictions mentionnées aux alinéas (ii), (iii) et (iv) sont fondées sur le souvenir que
Daye avait des événements en question et sur l'observation qu'il en avait faite. Encore
une fois, il n'est pas raisonnablement possible que ces lacunes dans les souvenirs et les
observations de Daye mineraient la crédibilité de Clayton dans l'esprit du juge du procès
en ce qui concerne la participation de l'appelant aux voies de fait contre Watts. Il faut
se rappeler que le juge du procès a examiné attentivement toute la preuve de Clayton et
qu'il était convaincu de sa crédibilité. À cet égard, il a dit (aux pp. 327 et 328):
[TRADUCTION] J'ai été impressionné par la façon dont il s'est comporté
pendant son témoignage. Je l'ai observé et écouté attentivement. Rien dans
ses propos ou dans sa façon de les tenir n'a suscité chez moi un doute
- 34 -
raisonnable quant à son identification positive de ces six accusés comme
étant responsables des voies de fait graves contre Darren Watts. . .
Pendant son témoignage, M. Clayton m'a donné nettement l'impression
de répondre minutieusement et honnêtement aux questions des avocats.
Simplement à titre d'exemple, j'ai noté qu'il a parfois posé des questions au
contre-interrogateur pour s'assurer qu'il avait bien compris la question avant
d'y répondre. Il ne s'est jamais montré évasif ni belliqueux ou encore
soucieux de se présenter ou de présenter ses réponses sous le meilleur jour
possible. Il admettait ce qui était évident. Parfois, la forme de la question
posée entraînait une réponse non sollicitée, ce qui, à mes yeux, donnait de
la crédibilité à Clayton. Lorsqu'on le ramenait à des déclarations
antérieures dans lesquelles des questions avaient été posées à l'aide
d'expressions comme «donner des coups de pied et des coups de poing»,
Clayton essayait d'établir soigneusement une distinction. Les réponses qu'il
a données à des questions difficiles étaient raisonnables. Il était direct. . .
Compte tenu de ces observations, il est irréaliste de penser que les contradictions
mineures qui ressortent de la déclaration de Daye auraient eu pour effet de miner la
crédibilité de Clayton. Tout simplement, elles ne rendent pas douteuse la déclaration de
culpabilité de l'appelant.
47
Quant à l'alinéa (v), la thèse d'un seul groupe cohésif préconisée par le
ministère public n'est importante que dans son application au groupe d'hommes qui ont
commis des voies de fait contre John Charman et qui se sont ensuite tournés vers Watts.
La déclaration de Daye selon laquelle deux groupes d'hommes ont quitté les lieux ne
contredit aucunement cette thèse. Cette contradiction ne laisse nullement entendre que
la déclaration de culpabilité de l'appelant est douteuse.
48
Enfin, la description que Daye a donné des cercles intérieur et extérieur
formés autour de Watts étaye indirectement le témoignage de Lloyd Finter, le
commissionnaire de l'hôpital situé de l'autre côté de la rue, en face de la maison de la
confrérie. Monsieur Finter a témoigné qu'il avait vu un groupe d'environ 12 personnes
entourer Watts et que quatre hommes étaient en train de donner la raclée. La Cour
d'appel a noté, à la majorité, que le témoignage de M. Finter différait de celui de la
- 35 -
majorité des autres personnes qui ont témoigné quant au nombre d'agresseurs, mais que
M. Finter avait quitté son point d'observation ou tourné le dos aux attaques à au moins
six reprises.
49
Pas moins de 12 autres témoins à charge ont parlé d'un groupe composé
d'environ 7 à 10 hommes qui entouraient Watts. De plus, le nombre réel d'hommes qui
ont frappé Watts ce soir-là n'est pas pertinent relativement à la déclaration de culpabilité
de l'appelant, fondée sur le par. 21(1) du Code. Ainsi, même si on devait présumer que
la description que Daye a donnée d'un cercle intérieur formé autour de Darren Watts par
un nombre indéterminé d'hommes pourrait influer sur la conclusion du juge du procès
fondée sur le témoignage d'identification de Clayton, selon lequel l'appelant était l'un
des hommes qui ont vraiment frappé Darren Watts, cela n'aurait encore aucune incidence
sur la conclusion du juge du procès que l'appelant a aidé ou encouragé la perpétration
des voies de fait contre Watts. Il est donc clair qu'il n'y a aucune possibilité raisonnable
que ces déclarations influent sur le bien-fondé du résultat atteint au procès, étant donné
particulièrement que l'appelant a été reconnu coupable à la fois à titre d'auteur principal
des voies de fait contre Darren Watts et à titre de participant à ces voies de fait.
d) L'équité du procès
50
Même si, à première vue, les déclarations de Daye et de Tynes ne peuvent
avoir que peu d'incidence sur le bien-fondé du résultat atteint au procès, l'appelant aurait
néanmoins droit à un nouveau procès s'il démontrait que l'omission de divulguer ces
déclarations a nui à l'équité globale du procès. Ce serait le cas si l'omission de
divulguer du ministère public avait privé la défense de la possibilité de poser d'autres
questions aux témoins ou de recueillir d'autres éléments de preuve découlant des
documents non communiqués. Dans les circonstances de la présente affaire, l'omission
- 36 -
de divulguer du ministère public n'a pas nui à l'équité du procès. Un facteur important
qui a été pris en considération pour tirer cette conclusion est le manque de diligence
raisonnable dont l'avocat de la défense a fait preuve en tentant d'obtenir la divulgation.
51
Pour situer dans le contexte approprié l'omission de divulguer du ministère
public, il est nécessaire d'examiner le processus de divulgation suivi en l'espèce.
Premièrement, avant l'enquête préliminaire, le ministère public a fourni aux avocats une
transcription de la déposition sur vidéocassette de Danny Clayton. Le passage suivant
figure dans cette déclaration:
[TRADUCTION]
Q. Terrance Tynes, Terrence Day (sic), Nathaniel Robart et Michael
Barton pouvaient-ils voir Darren Watts subir une raclée?
R. Fort probablement, ouais. Fort probablement, ouais.
Q. Vous rappelez-vous où ils se tenaient pendant que M. Watts était battu?
R. Je ne peux vraiment pas me rappeler où ils se trouvaient, mais je sais
qu'ils étaient au coin.
Q. C'est là qu'ils étaient?
R. Hum.
Q. Étaient-ils tous là -- étaient-ils présents également au moment où les
autres gars de la confrérie étaient battus?
R. Ouais.
Q. Ils y étaient? D'accord. . . [Je souligne.]
En outre, le juge Bateman a fait remarquer en Cour d'appel (à la p. 137):
[TRADUCTION] Rien ne laisse supposer que les avocats de la défense ne
savaient pas, bien avant le procès, que Terris Daye pouvait être un témoin
oculaire de la totalité ou d'une partie des événements survenus ce soir-là.
Il était nettement décrit comme tel dans les documents de la police fournis
- 37 -
à la défense; dans sa déclaration à la police, Guy Robart a identifié Terris
Daye comme étant l'un de ceux qui donnaient des coups de pied à Darren
Watts; l'avocat d'au moins un des accusés a contre-interrogé le principal
témoin à charge, Danny Clayton, au sujet du rôle de Terris Daye dans les
voies de fait commises; le nom de M. Daye revient plus de 20 fois dans la
preuve en l'espèce.
52
En réalité, lors de son interrogatoire principal, Clayton a témoigné avoir
assisté à la fête en compagnie de Tynes et Daye, et être parti avec eux après que les voies
de fait eurent été commises. L'avocat de l'accusé Guy Robart a expressément
contre-interrogé Clayton au sujet de la participation de Daye et de Tynes aux voies de
fait. De plus, dans sa propre déclaration à la police, l'appelant a mentionné à cinq
reprises qu'il était avec Tynes à la fête de la confrérie et que Tynes est sorti de la maison
avec lui quand il a suivi Terrence Dixon et Shannon Burke dans la rue. De toute
évidence, l'avocat de la défense était bien au courant que Daye et Tynes avaient tous
deux joué un rôle dans les événements survenus à l'extérieur de la maison de la confrérie
ce soir-là, et il savait qu'ils pouvaient avoir été témoins des voies de fait.
53
Compte tenu de ces faits, il est étonnant que l'avocat de la défense n'ait pas
demandé les déclarations de Daye et Tynes, lorsqu'il a pris connaissance de l'omission
du ministère public de les divulguer. Il maintient plutôt qu'il n'avait pas intérêt à
recevoir les déclarations faites à la police par des témoins oculaires nommément
désignés, dont l'homme qui accompagnait l'appelant dans la bagarre survenue à
l'extérieur de la maison de la confrérie. Ce point de vue revêt encore plus d'importance
à la lumière du résumé des déclarations figurant dans les rapports de police. Les
passages pertinents du résumé de la déclaration de Daye se lisent ainsi:
[TRADUCTION] Après avoir reçu la mise en garde destinée aux jeunes
contrevenants et des explications détaillées, Terris Daye décide de faire une
déclaration. Il dit que lui et les autres intervenants se trouvaient à la fête de
la confrérie, au 1770, rue Robie; il ne peut pas décrire les vêtements portés
- 38 -
par les autres ce soir-là. Il déclare avoir vu quatre blancs marcher en
direction sud dans la rue Robie, derrière Terry Dixon et Shannon Burke qui
se querellaient. Il a examiné les quatre photos des victimes et a identifié
John Charman comme étant le premier gars à avoir été frappé et à s'être
affaissé. Il a déclaré que Damon Cole lui a d'abord donné des coups de
poing et que Spencer Dixon lui a donné des coups de pied lorsqu'il était par
terre, parce que c'est ce que Spencer aime faire. Il désigne Dennis
MacDonald comme étant le deuxième homme à recevoir des coups de poing
et il déclare que c'est Spencer Dixon qui a donné les coups de poing et les
coups de pied. Puis, il n'a pas pu identifier la photo de Robert Gillis, mais
il connaissait le visage de Darren Watts parce qu'il l'avait vu au bulletin
d'informations. Mais il ne pouvait pas identifier Watts comme étant
l'homme qui avait reçu la raclée ce soir-là. Il s'est avéré que Darren Watts
était un ami de son frère Troy Daye.
Après quelques questions, Terris Daye dit qu'il se trouvait dans le cercle
extérieur formé autour de Darren Watts. Il est tout à fait évident qu'il ne
veut pas identifier les principaux intervenants, car il les craint. Terris Daye
affirme que Cyril Smith, Danny Clayton, Terrance Tynes couraient en
direction ouest dans la rue Cedar après que Guy Robart eut crié «Police».
Interrogé au sujet des voies de fait contre le policier, il a dit que Guy et
Nathaniel Robart couraient dans la même direction et étaient poursuivis par
le policier. Il a affirmé que la voiture de police était de couleur bourgogne.
[. . .] Les rédacteurs n'ont pas pu obtenir de Daye qu'il nomme l'une ou
l'autre des personnes qui formaient le cercle intérieur autour de Darren
Watts. La mère semble en savoir plus et, si elle était interrogée en l'absence
de son fils, elle pourrait peut-être donner des renseignements utiles.
Les rapports de police ont été remis à tous les avocats de la défense durant le procès,
quelques jours avant le témoignage de Clayton.
54
Compte tenu des renseignements préjudiciables divulgués au sujet de
l'appelant dans le résumé, il n'est pas difficile d'imaginer que l'avocat de la défense ait
pu prendre une décision tactique de ne pas tenter d'obtenir la divulgation. Néanmoins,
l'avocat de la défense maintient, dans son affidavit déposé en Cour d'appel, qu'il ne
voyait rien dans le résumé qui aiderait l'accusé à présenter une défense pleine et entière
et que [TRADUCTION] «la raison pour laquelle [il] n'a pas donné suite davantage à
l'affaire est qu'[il] était persuadé au moment du procès, après le déroulement de
l'enquête préliminaire, que tous les renseignements pertinents avaient été divulgués à la
défense».
- 39 -
55
Il faut se rappeler que l'avocat de la défense n'a, en aucun temps, le droit de
supposer que tous les renseignements pertinents ont été divulgués à la défense. Tout
comme l'obligation de divulguer du ministère public est constante, et continue d'exister
durant tout le procès; il en est de même de l'obligation de l'avocat de la défense de faire
preuve de diligence raisonnable en tentant d'obtenir la divulgation. Si l'avocat de la
défense ne fait rien lorsqu'il sait que des renseignements pertinents n'ont pas été
divulgués, cela justifiera souvent, à tout le moins, une conclusion à un manque de
diligence raisonnable et pourra, dans certains cas, justifier une déduction que l'avocat
a pris une décision stratégique de ne pas tenter d'obtenir la divulgation. En l'espèce, le
résumé contenu dans le rapport de police indique que la déclaration de Daye satisferait
fort probablement au critère de pertinence énoncé dans l'arrêt Stinchcombe. Lorsque
l'avocat de la défense a examiné le rapport de police, il savait ou aurait dû savoir que le
ministère public avait manqué à ses obligations en matière de divulgation. Lorsque cela
est devenu évident, l'avocat de la défense aurait dû porter cette affaire à l'attention du
juge du procès à la toute première occasion. Dans les circonstances de la présente
affaire, la Cour d'appel a eu raison de conclure qu'à ce moment-là l'avocat de la défense
devait faire un choix: [TRADUCTION] «demander les déclarations ou s'en passer» (p. 93).
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Lorsqu'il s'est rendu compte ou aurait dû se rendre compte de l'omission du
ministère public de divulguer la déclaration de Tynes, l'avocat de la défense était tenu
de prendre les mesures appropriées. Il ne l'a pas fait et n'a donc pas fait preuve de
diligence raisonnable en tentant d'obtenir la divulgation. L'appelant n'est pas en mesure
de soutenir qu'il a perdu une possibilité de recueillir des éléments de preuve découlant
de la déclaration de Tynes, puisque l'omission de la divulguer est en grande partie
attribuable à l'inaction de l'avocat de la défense. De même, l'appelant ne peut pas
maintenant se plaindre du fait que la déclaration de Daye n'a pas été divulguée. En
réalité, le point de vue qu'il avance s'impose encore moins relativement à cette
- 40 -
déclaration. Le résumé contenu dans le rapport de police, qui a été divulgué, mentionne
la description que Daye a donnée des cercles intérieur et extérieur formés autour de
Watts. Lorsque le résumé a été divulgué, avant le témoignage de Clayton, l'avocat aurait
pu demander la divulgation et solliciter un ajournement, et il aurait eu alors une
possibilité suffisante d'enquêter sur cet aspect de la déclaration de Daye. Le résumé
révèle également une contradiction entre Daye et Clayton quant à l'identité de ceux qui
ont commis des voies de fait contre John Charman. Encore là, l'avocat avait la
possibilité d'exploiter cette contradiction apparente. L'appelant ne peut pas prétendre
maintenant que l'omission de divulguer du ministère public a rendu le procès
inéquitable.
IV. Dispositif
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Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant: Scaravelli & Associates, Halifax.
Procureur de l'intimée: The Nova Scotia Public Prosecution Service,
Halifax.