COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000165‑899
(300‑36‑000003‑861)
(300‑36‑000013‑886)
Le 22 juillet 1992
CORAM: LES HONORABLES McCARTHY
TOURIGNY
CHEVALIER, JJ.C.A.
ANTOINE THIBAULT,
APPELANT-prévenu
c.
CORPORATION PROFESSIONNELLE DES MÉDECINS DU QUÉBEC,
INTIMÉE-plaignante
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
Intervenant
La Cour; - Statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu le 12 septembre 1989 dans le district de Québec par l'honorable Jacques Dufour, juge de la Cour supérieure, rejetant l'appel de novo formulé par l'appelant contre un jugement prononcé le 10 juin 1988 par l'honorable Jean-L. Dutil le déclarant coupable d'avoir illégalement exercé la médecine le tout contrairement aux articles 43, 31 et 45 de la Loi médicale (L.R.Q. c. M-9 et modifications) commettant ainsi une infraction à l'article 188 du Code des professions (L.R.Q. c. C-26 et modifications);
Après étude, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion de monsieur le juge Chevalier, dont un exemplaire est déposé avec le présent jugement, auxquels souscrivent monsieur le juge McCarthy et madame la juge Tourigny;
REJETTE l'appel avec dépens, ceux-ci étant fixés à la somme de 3 000$ pour honoraires à l'intimée et 3 000$ pour honoraires à l'intervenant, de même qu'aux déboursés encourus par chacun d'eux pour la préparation et la production de leur mémoire d'appel.
GERALD McCARTHY, J.C.A.
CHRISTINE TOURIGNY, J.C.A.
FRANÇOIS CHEVALIER, J.C.A.
Procureur de l'appelant: Me Guy Bertrand
(Bertrand, Larochelle)
Procureur de l'intimée: Me Claude Jean
(Flynn, Rivard)
Procureur de l'intervenant: Me Pierre Bienvenue
Date de l'audition: 10 avril 1992
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000165‑899
(300‑36‑000003‑861)
(300‑36‑000013‑886)
CORAM: LES HONORABLES McCARTHY
TOURIGNY
CHEVALIER, JJ.C.A.
ANTOINE THIBAULT,
APPELANT-prévenu
c.
CORPORATION PROFESSIONNELLE DES MÉDECINS DU QUÉBEC,
INTIMÉE-plaignante
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
Intervenant
OPINION DU JUGE CHEVALIER
L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui a rejeté un appel par voie de procès de novo à l'encontre d'un jugement de la Cour des poursuites sommaires le déclarant coupable de deux infractions rédigées comme suit:
À St-Damase, district de Montmagny,
1. A le ou vers le 17 juillet 1984, illégalement exercé la médecine, le tout contrairement aux articles 43, 31 et 45 de la loi médicale (L.R.Q. c. M-9, tels que modifiés), commettant ainsi une infraction à l'article 188 du Code des Professions (L.R.Q. c. C-26, tel que modifié);
2. A, le ou vers le 31 juillet 1984, illégalement exercé la médecine, le tout contrairement aux articles 43, 31 et 45 de la loi médicale (L.R.Q. c. M-9, tels que modifiés), commettant ainsi une infraction à l'article 188 du Code des Professions (L.R.Q. c. C-26, tel que modifié);
Les motifs que l'appelant invoque consistent dans trois propositions, savoir:
1) que les dénonciations, telles que formulées, ne contiennent pas les éléments essentiels requis pour constituer des infractions au sens de la législation en vertu de laquelle elles ont été portées;
2) que le cas échéant où telles dénonciations seraient jugées conformes aux exigences de la Loi sur les poursuites sommaires du Québec, L.R.Q. c. P-15, les articles 13.1, 13.3, 65 et 66.1 de cette loi doivent être déclarés inopérants parce que contrevenant aux garanties juridiques offertes par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et par la Charte canadienne des droits et libertés;
3) que, dans son traitement de la preuve soumise, le juge de la Cour supérieure a erronément interprété sa compétence et n'a pas assumé le rôle que la loi lui dévoluait dans le cadre d'un procès de novo.
Je signale au départ que les procédures dans l'affaire en titre ont débuté en 1984. Leur cheminement a été complexe et a donné lieu à un bon nombre de jugements interlocutoires. Il n'est pas nécessaire d'en relater le détail pour les fins du présent débat. À l'occasion de l'étude des moyens soulevés, certains faits seront particularisés en vue d'assurer l'éclairage requis à la compréhension des problèmes qui s'y rattachent.
Premier motif
L'appelant plaide:
1. que la formulation des dénonciations dont le texte a été cité plus haut ne révèle l'existence d'aucune infraction;
2. que rien ne lui ayant été reproché, il n'y avait pas lieu de le forcer à répondre à l'inculpation et de se soumettre à un procès;
3. que les dénonciations étant nulles ab initio, on ne peut reprocher à l'appelant de n'avoir pas eu recours à la requête pour particularités.
Je me déclare d'accord avec le principe posé dans la troisième proposition. Il est évident que si une dénonciation est nulle à sa face même, on ne saurait la faire revivre par le moyen d'une procédure qui aboutirait à la production de particularités. Cette règle a été énoncée par le juge Lamer (maintenant juge en chef) dans La Reine c. Wis Development Corp., (1984) 1 R.C.S. 485, à la page 493:
Je suis d'avis que la dénonciation est entachée d'un vice ab initio parce qu'elle ne contient pas les détails suffisants requis par le par. 510(3).
...j'en suis venu à la conclusion que le législateur n'a pas donné au juge du procès d'autre choix que d'annuler la dénonciation et ce, peu importe qu'on offre de fournir des détails et que la poursuite demande une modification conforme à l'article 732 (C.cr.).
Voir également Scaff c. Comité de discipline de l'ordre des optométristes du Québec, (1985) C.A. 615, notes du juge Kaufman.
La deuxième proposition ne pose pas non plus de problème. L'appelant était parfaitement justifié de soulever la question de la validité des dénonciations dès le moment où il a été requis d'enregistrer un plaidoyer et en conséquence sa décision de refuser de plaider coupable ou non coupable s'inscrivait dans la logique des choses. Cette attitude qu'il a adoptée ne valait cependant que dans la mesure où la première proposition était retenue, ce qui, on le verra plus loin, n'est pas le cas ici.
Se pose donc en l'occurrence une seule question: telles que formulées, les dénonciations comportent-elles les éléments essentiels requis pour constituer l'énonciation d'une infraction?
L'appelant prétend que non. Lors de l'audition de l'appel il a particularisé sa réponse en disant que pour donner naissance à des dénonciations valides il aurait fallu qu'elles mentionnent 1) qu'il n'était pas médecin et 2) que, ne l'étant pas, il avait posé tel geste précis qui relève de l'exercice de la médecine.
Sur le plan des principes, une abondante jurisprudence nous a été soumise. Avec égards, j'estime qu'il y a lieu d'en écarter certains arrêts qui ont été rendus à une époque où un formalisme rigoureux était à l'honneur. Ayant à traiter d'un cas qui impliquait une allégation d'accusations doubles ou multiples, le juge en chef Dickson, dans La Reine c. Sault Ste-Marie, (1978) 2 R.C.S. 1299, à la page 1307, écrivait:
Je crois que pour résoudre ce problème, il faut rappeler le but fondamental de la règle qui interdit les accusations doubles ou multiples. La règle a été élaborée à une époque de formalisme extrême dans la présentation des actes d'accusation et des dénonciations. Elle procédait des sentiments humanitaires des juges qui voulaient adoucir la sévérité de la loi à une époque où de nombreuses infractions étaient placées dans la catégorie des crimes graves punis par la pendaison. Le moindre défaut viciait l'accusation. Cette époque est révolue. Le Parlement a clairement démontré, dans les articles du Code criminel relatifs à la forme des actes d'accusation et des dénonciations, que nous n'étions plus liés par le formalisme pointilleux d'antan. Nous devons examiner le fond des choses et non pas des formalités insignifiantes.
Dans La Reine c. Côté, (1978) 1 R.C.S. 8, à la page 13 le juge De Grandpré émet une semblable opinion et à la même occasion énonce le principe directeur:
...la règle par excellence est que l'accusé doit être raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, pour lui donner ainsi la possibilité d'une défense complète et d'un procès équitable. Lorsque, comme en l'espèce, la dénonciation énumère tous les faits et les relie à une infraction déterminée, identifiée par l'article pertinent du Code, il est impossible que l'accusé soit induit en erreur. Admettre le contraire serait retourner au formalisme extrême de l'ancienne procédure.
Dans l'affaire qui nous est soumise, la dénonciation indique: 1) l'endroit où les infractions ont été commises; 2) les dates de leur commission; 3) la nature des infractions; 4) les références aux articles des lois sous lesquelles elles ont été portées.
Était-il nécessaire pour leur conférer validité que la dénonciation mentionne: 1) que l'appelant n'était pas médecin; 2) le geste précis qu'il avait posé et qui constituerait, si prouvé, l'exercice de la médecine?
L'appelant appuie sa prétention à la nullité ab initio de la dénonciation sur l'arrêt Wis que j'ai précédemment cité. Dans Montali c. Roireau, C.A. Montréal, 23 juillet 1984, no. 500-10-000084-838, notre collègue monsieur le juge Monet déclare ne pas se croire lié dans le cadre de la Loi sur les poursuites sommaires par cette décision de la Cour suprême qui portait sur l'article 510(3) du Code criminel.
Je me permets d'ajouter que même si un rapprochement entre les législations provinciale et fédérale était approprié, le cas d'espèce ici en instance ne se prête pas à une comparaison avec l'affaire Wis. En effet, dans Wis, il s'agissait d'une dénonciation reprochant à l'accusée d'avoir "exploité illégalement un service aérien commercial sans détenir un permis...". Dans son opinion, Monsieur le juge Lamer faisait sien cet argument du mémoire de l'intimée qui se lisait comme suit (page 492):
L'exploitation d'un "service aérien commercial" au sens du par. 9(1) de la Loi sur l'aéronautique pourrait donc se rapporter à une multitude d'activités ou d'usages d'un aéronef au Canada, comme par exemple l'usage d'un aéronef pour le transport de passagers ou de fret, l'usage d'un aéronef par un concessionnaire ou un fabricant comme appareil d'essai ou même l'usage d'un aéronef dans une séance de photographie pour faire la publicité d'autres produits tels que des spiritueux ou des cigarettes. La loi dont on s'est autorisé pour déposer la dénonciation en cause est de vaste portée et vise à empêcher divers usages non reliés d'aéronefs dans les limites du Canada, qui, suivant le par. 9(1), sont réputés constituer l'exploitation d'un "service aérien commercial".
Dans l'affaire qui nous est soumise, l'article 31 de la loi médicale définit ce qui constitue l'exercice de la médecine. Il s'agit d'un acte "qui a pour objet de diagnostiquer ou de traiter toute déficience de la santé d'un être humain". Voilà qui est passablement clair, simple et de portée extrêmement restreinte.
Le second alinéa du même article mentionne, il est vrai, un certain nombre d'actes qui relèvent d'une telle pratique. Il n'ajoute cependant rien à ce qui a été décrit dans l'alinéa précédent. Le législateur y précise les activités qui peuvent tomber dans la catégorie des actes de diagnostic (consultation, établissement et contrôle d'un diagnostic) ou des actes de traitement (prescription de médicaments ou de traitement, radiothérapie, accouchement, traitement de maladies ou d'infection).
On est donc loin de cette "multitude d'activités ou d'usage" et d'"usages divers non reliés" dont parle la Cour suprême dans Wis. Ce n'est d'ailleurs pas, à mon avis, l'appelant qui pourrait se plaindre du deuxième alinéa de l'article 31, puisque les précisions qu'il contient lui indiquent ce qu'il n'a pas droit de faire s'il ne veut pas contrevenir à la lettre de la loi.
J'estime qu'en l'occurrence, la jurisprudence qu'il faut suivre et appliquer est celle de notre cour dans La Corporation des chimistes professionnels du Québec c. Satin, C.A. Montréal, 7 juillet 1982, no. 500-10-000277-796. Dans cette affaire, la dénonciation contenait quatre éléments; elle mentionnait 1) que l'accusé n'était pas membre de la corporation appelante; 2) qu'il avait exercé la chimie professionnelle illégalement; 3) que l'exercice avait eu lieu dans les laboratoires de Les Aliments Steinberg Ltée; 4) qu'il avait par là commis l'infraction prévue à l'article 8 de la Loi applicable. La seule différence entre notre litige et Satin est donc que cette autre dénonciation précisait que l'accusé n'était pas membre de la corporation alors qu'ici cette mention n'apparaît pas.
J'aurai l'occasion de traiter plus loin de l'importance que peut avoir cette absence de mention. Dans Satin, monsieur le juge Monet écrit:
À mon avis, il faut aborder cette question de façon réaliste et libérale, en s'inspirant de guides raisonnables qu'un juge de la Cour suprême du Canada a ainsi énoncés la règle par excellence est que l'accusé doit être raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, pour lui donner ainsi la possibilité d'une défense complète et d'un procès équitable.
Après avoir cité l'arrêt Sault Ste-Marie, et ceux de notre Cour dans Hilton Canada Ltd. c. Gaboury, 1977 C.A. 108, et de Association des Enseignants de la Tardivel c. Boisvert, 1978 C.A. 164, il conclut:
Certes, comme le signale monsieur le juge Beetz dans l'affaire Strasser c. Roberge, (1979) 2 R.C.S. 953, l'article 65 de la loi qui nous concerne "implique qu'il y a des irrégularités auxquelles on ne peut pas remédier, par exemple si la description de l'infraction est d'une extrême nébulosité". Mais il n'y a rien de tel dans la présente cause. Bien au contraire. À propos, je ne puis me pénétrer de l'idée que les savants avocats de l'intimé aient procédé à une longue instruction sans être en mesure, en l'absence de précisions, d'assurer à leur client une défense pleine et entière.
En application de ces règles, j'estime que la formulation de la dénonciation qui fait l'objet du litige en est une qui contient les éléments essentiels requis pour constituer une infraction. L'appelant y lit qu'il a pratiqué la médecine, à quelles dates il est accusé de l'avoir fait, à quel endroit ses actes ont été posés et les articles auxquels il peut référer pour connaître la loi applicable.
L'omission de la mention qu'il n'est pas membre de la Corporation des médecins ne tire pas à conséquence puisque l'allégation qu'il a pratiqué "illégalement" la médecine suggère implicitement qu'il n'avait pas le droit d'agir comme médecin et l'appelant n'est sûrement pas pris par surprise vu qu'il sait bien ou devrait bien savoir s'il est membre ou non de cette profession.
D'ailleurs l'article 33.2 de la Loi sur les poursuites sommaires répond à ce grief de l'appelant:
Lorsqu'un prévenu a fait ou est coupable d'avoir omis de faire un acte qui rend une personne, non munie d'une licence l'y autorisant, passible de quelque pénalité, la preuve qu'il est dûment licencié incombe à ce prévenu.
En conséquence, dès que l'actus reus, ici un geste qui constituerait l'exercice de la médecine, est prouvé, il incombait à l'appelant d'établir qu'il avait le droit de le poser, le dénonciateur n'ayant pas, au stade de la poursuite, à faire la preuve du contraire.
Quant au fait que l'acte de pratique de la médecine n'est pas spécifiquement décrit, j'estime que l'article 65.1 de la Loi sur les poursuites sommaires - L.R.Q. c. P-15 - dispose de la prétention de l'appelant:
Aucune dénonciation, plainte, mandat, condamnation ou autre procédure régie par la présente loi, n'est considérée irrégulière ou insuffisante pour quelqu'une des raisons suivantes, savoir:...
c)Parce qu'elle ne spécifie pas le moyen par lequel l'infraction a été commise.
Cette règle n'exclut d'ailleurs pas le droit de celui qui fait l'objet d'une dénonciation d'utiliser le moyen que met à sa disposition l'article 65.2 L.P.S. et d'obtenir ainsi, s'il le croit utile à la préparation de sa défense, les détails qu'il estime appropriés:
Le juge de paix peut, s'il le croit nécessaire pour assurer un procès juste, ordonner que le poursuivant fournisse des détails plus précis sur la personne, le moyen, le lieu ou la chose dont il s'agit.
Notre Cour s'est prononcée à ce sujet, entre autres, dans Montali c. Roireau (cité plus haut) et dans Commission de Contrôle du permis d'Alcool du Québec c. Groome, (1973) C.A. 941.
J'estime donc que ce premier motif doit être rejeté.
Deuxième motif
L'appelant plaide que, dans l'éventualité où nous serions d'avis que les dénonciations telles que rédigées, sont conformes aux règles édictées par la Loi sur les poursuites sommaires, il y aurait lieu de déclarer les articles 13.1, 13.3, 65 et 66.1 de cette loi inopérants. Le raisonnement à la base de cette proposition étant que si c'est là l'application qu'on doit en faire, c'est qu'ils ne sont pas eux-mêmes conformes aux garanties juridiques accordées par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et par la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans leurs parties pertinentes au débat, les articles "incriminés" se lisent comme suit:
13.1 La plainte ou dénonciation doit être basée sur des motifs raisonnables ou plausibles et elle doit être portée,
a)devant un juge de paix et alléguer que quelqu'un a commis ou est soupçonné avoir commis, dans les limites de la juridiction de ce juge de paix, une infraction qui le rend passible d'après la loi, sur poursuite sommaire, d'un emprisonnement, d'une amende ou de toute autre punition.
13.3 Cette dénonciation ou plainte peuvent être suivant la formule 3.
65.1 Aucune dénonciation, plainte, mandat, condamnation ou autre procédure régie par la présente loi, n'est considérée irrégulière ou insuffisante pour quelqu'une des raisons suivantes, savoir:
a)Parce qu'elle ne contient pas le nom de la personne lésée ou qu'on avait l'intention ou qu'on avait tenté de léser; ou
b)Parce qu'elle n'indique pas qui est le propriétaire d'un bien y mentionné; ou
c)Parce qu'elle ne spécifie pas le moyen par lequel l'infraction a été commise; ou
d)Parce qu'elle ne nomme pas ou ne désigne pas avec précision quelque personne ou chose.
2. Le juge de paix peut, s'il le croit nécessaire pour assurer un procès juste, ordonner que le poursuivant fournisse des détails plus précis sur la personne, le moyen, le lieu ou la chose dont il s'agit.
3. La description de toute infraction dans les termes de la disposition qui crée l'infraction, ou dans des termes analogues, est suffisante.
66.1 Nulle objection n'est reçue contre une dénonciation, plainte, assignation ou mandat, pour irrégularité au fond ou à la forme, ou divergence entre la dénonciation, plainte, assignation ou mandat et la preuve à charge faite lors de l'instruction de la dénonciation ou plainte, ni à cause de divergence entre la dénonciation ou la plainte et l'assignation ou le mandat.
La formule 3 à laquelle réfère l'article 13.3 est proposée comme suit:
Dénonciation et plainte de C.D., de .................. (bourgeois,) reçue ce ....... jour de.............. en l'année mil neuf cent .............................. devant le soussigné, lequel déclare que (etc., indiquer l'infraction).
Assermenté devant moi, les jour et an ci-dessus en premier lieu mentionnés, à ........................
Au départ, je ne vois vraiment pas qu'il puisse y avoir quelque intérêt, pour la solution du problème posé par l'appelant, à considérer ici certains textes des dispositions précitées.
En ce qui a trait à l'article 13.1, l'obligation du plaignant de fonder sa plainte ou dénonciation sur des motifs raisonnables ou plausibles est manifestement une application de la règle de common law (invoquée par l'appelant, m.a. page 5), savoir qu'une personne ne peut être l'objet d'une accusation de nature pénale ou criminelle à moins que celui qui la porte puisse, au moins à priori, justifier qu'il a raison de croire qu'une infraction a été commise.
L'implication de l'article 13.3 n'est pertinente que dans la mesure où il contient, entre parenthèses, les mots "indiquer l'infraction", ce dernier mot se référant manifestement à la description dont la suffisance est reconnue par l'article 65.3 attaqué par l'appelant.
Quant à l'article 65.1, je suis d'avis qu'il faut écarter du débat sur l'opérabilité de la disposition les sous-paragraphes a), b) et d), qui ne sont pas en cause. En effet, il n'y a en l'occurrence aucune personne lésée. Il n'y est pas question de propriétaire d'un bien. Enfin on ne se plaint pas que la mention de quelque personne ou chose soit imprécise. Discuter de leur conformité ou de leur non conformité avec les chartes canadienne et québécoise serait ici purement académique. Je limiterai donc ma discussion de cet article à son sous-paragraphe c).
Il ne me paraît pas non plus nécessaire d'aborder la discussion de l'article 65.2 qui, implicitement, accorde à une personne poursuivie le droit de demander au juge de paix qu'on lui fournisse des détails sur l'infraction qu'on lui reproche. Cet article reçoit application dans le cas où une plainte ou dénonciation paraît insuffisante sans pour autant être atteinte de nullité initiale. Ce n'est sûrement pas un accusé qui peut se plaindre de ce recours mis à sa disposition et qui remplit justement le but des chartes invoquées, soit de lui permettre de présenter une défense pleine et entière.
Assez étrangement, l'appelant ne s'insurge pas contre l'article 33.2 L.P.S. qui, pourtant, ne manque pas ici de pertinence:
Lorsqu'un prévenu a fait ou est coupable d'avoir omis de faire un acte qui rend une personne, non munie d'une licence l'y autorisant, passible de quelque pénalité, la preuve qu'il est dûment licencié incombe à ce prévenu.
Sans doute a-t-il pris pour acquis que le problème que pose l'article en question se situe à un stade ultérieur du processus judiciaire et qu'en conséquence, il n'entre pas dans le cadre de sa contestation.
Il reste donc à discuter des articles 65.1c), 65.3 et 66.1.
D'entrée de jeu, l'appelant admet qu'il ne peut recourir aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés pour appuyer sa thèse, en raison de la clause dérogatoire contenue, à l'époque, à l'article 132 de la loi sur les poursuites sommaires.
C'est en conséquence, non pas sur ces dispositions qu'il cherche appui, mais uniquement sur l'article 26 de cette Charte, qui, lui, n'est pas soumis à la clause nonobstant:
Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne constitue pas une négation des autres droits et libertés qui existent au Canada.
C'est par le biais de cet article 26 qu'il veut faire entrer au tableau les articles 23 à 28 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, lesquels sont inscrits dans le chapitre intitulé "Droits judiciaires". Il raisonne qu'une contravention aux principes qu'ils énoncent donne en conséquence ouverture à l'article 52(1) de la Charte canadienne qui permet de faire déclarer par une Cour de justice "inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit". Il précise que cet article 52(1) ne fait aucune distinction entre un article de la Charte canadienne et un autre qui serait autrement exclus par l'effet de la clause dérogatoire. En conséquence, dit-il, il y a lieu à application au cas en l'instance de ces "autres" règles de droit, celles de la Charte québécoise, en particulier les articles 28.1 (droit d'être informé de l'infraction reprochée), 33 (présomption d'innocence), 33.1 (non contraignabilité d'un accusé comme témoin), 35 (droit à une défense pleine et entière) et 37.1 (interdiction d'être jugé de nouveau pour la même infraction).
Cette relation que suggère l'appelant entre l'article 26 de la Charte canadienne et les articles précités de la Charte québécoise lui permet, à son avis, d'invoquer les grands principes énoncés dans l'article 1 de la Charte canadienne qui n'est pas atteint par la clause "nonobstant" et de poser à notre Cour les questions suivantes:
Les articles qu'on veut faire déclarer inopérants:
1) sont-ils des règles de droit?
2) si oui, constituent-ils des restrictions aux droits et libertés accordés par la Charte canadienne?
3) s'ils constituent des restrictions, sont-elles raisonnables et justifiées dans le cadre d'une société libre et démocratique?
À ces trois questions, l'appelant répond oui aux deux premières. Quant à la troisième, il propose une réponse négative aux motifs
- que les articles attaqués ne sont pas clairs au sens que la jurisprudence donne en l'occurrence à ce qualificatif - Luscher c. Sous-ministre du Revenu, (1985) 1 C.R. 85; Ontario Films and Video Appreciations c. Ont. Board of Censors, (1983) 34 C.R. (3rd) 73, confirmé par la Cour d'appel, (1984) 38 C.R. (3rd) 271;
- qu'ils ne satisfont pas au test de "l'objectif suffisamment important visé par la loi", critère développé par la jurisprudence, en particulier dans R. c. Big M. Drug Mart Ltd., (1985) 1 R.C.S. 295; R.c. Oakes, (1986) 1 R.C.S. 103;
- que la restriction qu'ils comportent n'est pas justifiée parce qu'ils ne répondent pas adéquatement au principe de la proportionnalité entre les effets produits et les buts recherchés, tels effets étant en particulier: 1) le risque de voir les tribunaux les appliquer d'une façon arbitraire, vu leur ambiguïté; 2) la possibilité qui était offerte au législateur de minimiser ces restrictions et 3) le fait que ces articles engendrent un état de choses ayant pour résultat d'annuler des droits fondamentaux accordés par la Charte provinciale.
Vu ce qui va suivre, je ne crois pas qu'il soit nécessaire, voir même utile pour la solution du litige, d'aborder la discussion de l'implication des articles 1, 26 et 52 de la Charte canadienne. À mon avis la législation sur laquelle doit porter le débat est la Charte québécoise, son applicabilité, les principes qui en sont le fondement et la relation qu'ils ont avec l'affaire qui nous est soumise.
Dans son mémoire, le Procureur général intervenant suggère que le débat sur ce second motif devrait déterminer trois questions, les suivantes:
1. Les articles 28.1, 33, 33.1, 35 et 37.1 de la Charte québécoise ont-ils préséance en l'espèce sur la Loi sur les poursuites sommaires?
2. Si la Charte a préséance, les articles de la Loi sur les poursuites sommaires 65.1c) (suffisance d'une plainte ou dénonciation qui ne spécifie pas le moyen par lequel l'infraction a été commise), 65.3 (suffisance d'une rédaction conforme aux termes de la loi qui la crée) et 66.1 (non recevabilité d'une plainte ou dénonciation pour irrégularité au fond ou à la forme) dérogent-ils à cette Charte?
3. S'ils y dérogent, ces articles constituent-ils des restrictions raisonnables au sens des Chartes québécoise et canadienne.
Pour l'étude qui va suivre, je crois devoir adopter cet énoncé des questions que propose le Procureur général.
La réponse à la première question ne me paraît pas poser de problème. Pour déterminer si la Charte québécoise a préséance sur la Loi sur les poursuites sommaires, il faut se demander quel était l'état de la Charte à l'époque où la dénonciation a été faite. Cette précision est importante en l'occurrence, étant donné que cette dénonciation a eu lieu en décembre 1984 (m.a. 201). S'il y a eu atteinte aux droits de l'appelant, c'est à cette époque qu'elle a été commise et que l'appelant a été, selon ses prétentions, placé dans la situation de ne pouvoir, à cause de ce qu'il dit être la rédaction irrégulière et insuffisante du document qui la constate, bénéficier de son droit de préparer une défense pleine et entière.
Or, il est avéré que ce n'est qu'à compter du 1er janvier 1986 que les articles 9 à 38 de la Charte ont été déclarés avoir préséance sur les lois antérieures.
Le principe que j'ai énoncé plus haut, savoir que c'est au moment du dépôt de la dénonciation qu'il faut examiner si les droits d'un accusé sont en péril me semble ici particulièrement applicable, si on constate par l'étude du dossier que, suite à la dénonciation, l'appelant a présenté le 13 mai 1985 une requête en nullité et que jugement a été rendu le 13 décembre 1985 (m.a. page 199).
Je ne puis donc pas, je le dis avec égards, accepter comme valable la proposition de l'appelant qui plaide que l'atteinte à ses droits a été "continue" vu que le dossier s'est promené de cour en cour sur le sujet de la requête en nullité jusqu'à ce qu'il arrive devant nous, donc ultérieurement à l'amendement de 1986 à la Charte qui a eu pour effet de lui donner préséance sur les lois antérieures et qu'en conséquence il a droit d'invoquer maintenant cette Charte. Voir à ce sujet: Coté c. Désormeaux, C.A. 1990 R.J.Q. 2476; Valois c. Universal Spa Ltée, C.A. 1987 R.J.Q. 296.
Cette façon de voir les choses selon laquelle l'appelant nous invite à soumettre le sort de la demande de nullité faite en 1984 aux vicissitudes des législations qui ont suivi celle existant à l'époque de sa présentation initiale me paraît au départ une entreprise douteuse en ce qu'elle risque de créer à l'égard de l'une ou l'autre des parties une injustice potentielle, celle qui consisterait à lui faire perdre un droit ou un moyen de contestation qui lui était reconnu en vertu de la législation en vigueur à l'époque où elle a été appelée à l'invoquer.
Enfin, comme le souligne le Procureur général dans son mémoire, la reconnaissance de la théorie de "l'atteinte continue à ses droits" que propose l'appelant ne lui serait en l'occurrence d'aucune utilité et, au contraire, son application irait dans un sens contraire à ses intérêts.
Nous sommes en 1992. Depuis le 1er octobre 1990, la plainte portée est régie par le Code de procédure pénale. Son article prévoit que les appels déjà entrepris "sont continués conformément au présent Code, sauf dispositions particulières d'une loi".
Or l'une de ces dispositions est l'article 312 qui accorde à la Cour saisie d'un appel "tous les pouvoirs conférés par le présent Code au juge dont le jugement est porté en appel". Notre Cour pourrait donc exercer le pouvoir qu'aurait eu le juge de première instance, lequel est énoncé à l'article 184, in fine, comme suit:
... lorsqu'une modification de la dénonciation peut corriger le vice dont l'existence a été établie, le juge, plutôt que d'ordonner le rejet, permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant apporte cette modification. Cependant, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre.
Cette non préséance de la Charte québécoise sur la Loi sur les poursuites sommaires à laquelle je conclus ne règle cependant pas tout le problème. On ne peut en effet ignorer que cette Charte existe et que son préambule énonce les grands principes qui consacrent les droits fondamentaux de la personne, ces droits devant être "garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation".
On ne peut non plus faire abstraction de l'article 53 de cette Charte qui invite les cours de justice à s'inspirer de la philosophie générale qu'elle entend véhiculer et qui va bien au-delà de la question de savoir si, quant à tel article ou à tel autre, il y a ou non préséance de la Charte sur la loi qui les contient:
Si un doute surgit dans l'interprétation d'une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la Charte.
En conséquence, sont pertinentes et doivent être examinées ici les deuxième et troisième questions que pose le Procureur général dans son mémoire, savoir si les articles incriminés constituent des dérogations aux principes de la Charte québécoise et, le cas échéant si ces dérogations sont raisonnables.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, les deux griefs de l'appelant 1) portent sur le fait que les dénonciations omettent de mentionner qu'il n'est pas membre de la Corporation des médecins et 2) ne précisent pas quel geste il a posé qui constituerait l'exercice de la médecine. S'il y a dérogation aux principes de la Charte, elle mettrait donc au ban des accusés, dans le premier cas l'article 65.3 L.P.S. qui déclare satisfaisante la description d'une infraction rédigée dans les termes prévus par la loi (ici les articles 31, 43 et 45 de la Loi médicale); dans le second cas serait en cause l'article 65.1c) L.P.S. qui déclare une plainte "suffisante" même si elle ne spécifie pas le moyen par lequel l'infraction a été commise.
Ces principes se retrouvent dans des textes qui se veulent l'expression de la justice naturelle. Ils font partie de la common law et, dans nos statuts provinciaux, ils sont consignés dans les articles 28.1, 33, 33.1, 35 et 37 de la Charte québécoise. Ils consacrent en faveur d'une personne:
- le droit d'être informé, dans une langue compréhensible, des motifs pour lesquels une poursuite est engagée, et en conséquence de savoir exactement ce qu'on lui reproche;
- le droit à la présomption d'innocence et, partant, de connaître avec précision à quel sujet cette présomption va jouer;
- le droit de n'être pas obligé de témoigner dans un procès, ce qui présuppose qu'on sait à quoi il faudra répondre, le cas échéant;
- le droit à une défense pleine et entière, soit celui de pouvoir interroger et contre-interroger en connaissance de cause;
- le droit de ne pas être jugé deux fois pour une même infraction, ce qui implique le droit de connaître la nature exacte de ce dont on l'accuse.
Les articles 65.1c) et 65.3) L.P.S. constituent-ils des dérogations aux droits précités? À cette question j'estime qu'il faut donner une réponse négative quoique nuancée. J'appuie cette conclusion sur deux propositions, les suivantes:
En premier lieu, l'application des principes que je viens d'énoncer doit tenir compte de la matière à laquelle on veut les relier, ce qui est dérogation dans l'une pouvant ne pas l'être dans une autre.
En second lieu, la relativité de la dérogation, même s'il était vrai qu'elle puisse exister, est largement compensée par la possibilité d'en annuler les effets, en l'occurrence par le biais de l'article 65.2 L.P.S.
Quant à la première proposition, je n'ai aucune hésitation à faire mien cet argument du Procureur général intervenant à l'effet qu'il faut faire une nette distinction entre le cas d'une infraction de nature criminelle et celui où il s'agit d'une simple infraction à caractère réglementaire. Le droit strict d'une personne poursuivie en vertu du Code criminel ou d'une loi à caractère nettement pénal d'exiger le respect absolu de ses droits fondamentaux dès la mise en branle du processus judiciaire ne doit pas être interprété et appliqué avec la même rigidité lorsque cette même personne a à répondre à une dénonciation ou plainte comportant une infraction dite "réglementaire" comme c'est ici le cas. Cette différence d'application des règles est justifiée à la fois par le degré d'importance d'une matière par rapport à l'autre et par les conséquences infiniment plus sérieuses que peut comporter, envers l'une en comparaison de l'autre personne poursuivie, la non application stricte des règles en question.
Dans l'arrêt McKinley
Transport Ltd., (1990) 1 R.C.S. 627, où la Cour avait à adjuger de la
validité d'une dénonciation faite relativement à une infraction à la Loi de
l'impôt sur le revenu, la juge Wilson réfère à l'arrêt Thomson (1990) 1
R.C.S. 425 dans lequel elle avait elle-même résumé les critères devant servir à
appliquer l'article 8 de la Charte canadienne, ceux énoncés dans l'arrêt Hunter,
(1984) 2 R.C.S. 145 (arrêt dont elle dit qu'il fait autorité en la matière).
Les commentaires qu'elle fait ensuite à ce sujet sont à mon avis adéquatement
rapportés dans le texte suivant qui constitue le résumé de ses propos (page
628):
La norme d'examen de ce qui est "raisonnable" dans un contexte donné doit être souple si on veut qu'elle soit réaliste et ait du sens. Il est conforme à cette interprétation de faire une distinction entre, d'une part, les saisies en matière criminelle ou quasi criminelle auxquelles s'appliquent dans toute leur rigueur les critères énoncés dans l'arrêt Hunter et, d'autre part, les saisies en matière administrative et de réglementation, auxquelles peuvent s'appliquer des normes moins strictes selon le texte législatif examiné. Compte tenu de la nature réglementaire du texte législatif et de son intention générale, il est évident en l'espèce que les critères de l'arrêt Hunter ne conviennent pas pour déterminer le caractère raisonnable d'une saisie effectuée en vertu du par. 231(3) de la Loi.
Verbatim, voici en particulier comment la juge Wilson s'exprime (page 644):
À mon sens, la souplesse est essentielle à l'interprétation de tout document constitutionnel, y compris la Charte. J'estime que les tribunaux auraient tort d'interpréter avec rigidité un article particulier de la Charte puisque cette disposition doit pouvoir s'appliquer à une grande variété de régimes législatifs.
(Soulignement ajouté).
Dans Strasser c. Roberge (1979) 2 R.C.S. 953, qui concernait une infraction d'avoir participé à une grève illégale et où l'intimé se plaignait que la dénonciation ne contenait pas tous les éléments essentiels, le juge Beetz cite ce commentaire du juge Dubé qui, dans l'arrêt Office de la Construction du Québec c. Amco Door Installations Ltd., (1977) C.A., 135 avait écrit:
Il ne s'agit pas dans la présente cause d'étudier les dénonciations suivant les règles habituelles du Code criminel, mais suivant les règles de la Loi des poursuites sommaires...
Dans l'arrêt Montali que j'ai cité plus haut, le juge Monet écrit:
... la Loi sur les poursuites sommaires est une loi d'application générale (art. 2.1.a) en ce qui concerne les lois provinciales. On a pu dire qu'elle constitue notre Code de procédure pénale, à mon avis, on pourrait aussi la qualifier d'autonome...
La seule référence au Code criminel est celle de l'article 2.1d) et de l'article 2.2 qui se reportent à "la partie XV(1) et aux lois qui l'ont précédée" relativement aux lois provinciales en vigueur le 21 mars 1922; il se peut que certains estiment que cette antiquaille a quelque chose de charmant. Par contre, la Partie XVII dispose que ceux-ci s'appliquent mutatis mutandis. Plutôt que d'avoir recours à ce mutandis au deuxième degré, pour fins d'interprétation de notre Code de procédure pénale, je préfère pour ma part répéter une fois de plus ce que plusieurs arrêts de notre Cour ont affirmé: de nos jours, une interprétation libérale de la procédure s'impose. Soit dit en passant seulement, on peut songer à la règle primordiale de la procédure, civile celle-là, que reflète l'article 2 C.pr.civ. Cette digression ne vise qu'un but, à savoir réaffirmer que le formalisme suranné doit être éliminé de notre Code de procédure pénale. À ce propos, je suis plus porté à qualifier de subtilité excessive ce que d'autres qualifient de finesse d'analyse.
(Soulignement ajouté).
Dans
l'affaire C.S.S.T. c. Bilodeau, (1986) R.J.Q. 2302, le juge Tyndale se
déclare du même avis. Enfin, dans Guillette c. Procureur général du Québec,
C.A. Montréal, 18 février 1992, no. 500-10-000059-897, notre Cour a confirmé un
jugement de la Cour supérieure rendu par le juge Gervais, district de
St-François, 18 février 1992, no. 450-36-000106-881 dans lequel une
jurisprudence abondante a été citée, laquelle comportait les conclusions que
j'énonce au sujet de l'application nuancée des principes des chartes selon la
matière du litige.
Quant à la seconde proposition, elle comporte deux volets. Je les énonce comme suit:
1) En présupposant que les articles 65.1c) et 65.3 L.P.S. constitueraient, au sens strict du mot, des dérogations aux principes des chartes canadienne et québécoise ou à ceux reconnus par la common law, l'importance toute relative de ces dérogations est compensée par le droit au recours de l'article 65.2 L.P.S. qui en atténue les effets au point d'annuler le préjudice qu'elles pourraient au départ causer à la personne sujet de la dénonciation.
2) Cette "minimisation" de l'atteinte aux droits, toujours à supposer que celle-ci existe, est en outre justifiée en ce qu'elle répond à une nécessité d'ordre pratique, celle de favoriser une saine et efficace administration de la justice dans l'activité que l'État est appelé à déployer en rapport avec l'application des lois à caractère administratif et réglementaire.
Pour évaluer l'importance du préjudice causé par une dérogation, il faut se demander au départ de quelle façon et à quel point elle empêche le sujet d'une dénonciation de réaliser de quoi il est accusé. Cette importance est forcément variable. Son degré dépendra de la manière dont la dénonciation a été rédigée, cette rédaction pouvant aller de la simple description dans les termes de la loi qui crée l'infraction ou dans des termes analogues (article 65.3) jusqu'à une autre rédaction qui spécifierait la personne, le lieu, la chose dont il s'agit mais non le moyen par lequel l'infraction a été commise (article 65.1c)).
De cette variété de rédactions possibles, je tire une première conclusion: ce n'est pas par une attaque à la loi que l'on doit décider de l'insuffisance de la dénonciation mais bien par un examen cas par cas de chaque dénonciation.
Comme il faut forcément étudier chaque problème de ce genre dans son contexte, je me demande quel est ici le préjudice dont peut se plaindre l'appelant. Le dénonciateur lui reproche d'avoir "illégalement" exercé la médecine. Il le réfère à un article de la Loi médicale où il est énoncé que pour ne pas être en contravention il faut être médecin. Il décrit l'endroit et le lieu où l'infraction a été commise. L'absence de mention qu'il n'est pas membre de la Corporation des médecins et de précision quant au geste médical qu'il aurait posé l'empêche-t-elle de préparer sa défense d'une façon adéquate? Était-il nécessaire pour lui de se faire dire qu'il n'est pas médecin, alors que, selon la preuve faite au procès (éléments dont l'appelant connaissait forcément l'existence au moment où il plaidait la nullité de la dénonciation) de nombreuses affiches dans son établissement avertissaient la "clientèle" qu'il n'est pas médecin et une vidéo-cassette en faisait de même à toutes les vingt minutes (m.a. page 260)?
Était-il également nécessaire que le dénonciateur précise le geste posé qui constituerait selon lui la pratique illégale de la médecine? Dès la réception des plaintes qui relatent l'infraction, l'appelant sait ce qu'il a fait durant les journées qu'elles mentionnent. Si un préjudice lui est causé, il résulterait uniquement du fait qu'on ne lui précise pas à l'égard de qui il a posé un geste "médical", à quelle heure il l'a posé et de quelle nature est ce geste. Ce préjudice est, à mon avis et à supposer qu'il existe, extrêmement mineur, voire négligeable. S'il y a ici irrégularité au sens où l'appelant entend ce mot, c'est en une insuffisance de détails qu'elle consiste. Elle peut être facilement et entièrement corrigée par une simple demande de précision formée en vertu de l'article 65.2.
Dans les circonstances, il est à propos de rappeler ce message du juge LeBel, dans l'arrêt C.S.S.T. c. Bilodeau (déjà cité, page 2308):
Avant de plaider la violation de ses droits fondamentaux, il faudrait au moins que l'intimé utilise les instruments que lui fournit notre système de procédure pénale.
En second lieu, il me paraît que l'introduction dans la Loi sur les poursuites sommaires des articles 65.1c) et 65.3 répond à la préoccupation du législateur de faciliter la disposition des litiges sur des matières à caractère purement administratif et réglementaire en réduisant les exigences procédurales qu'elle comporte.
Comme le
souligne dans son mémoire le Procureur général, il s'agit d'infractions qui ne
comportent comme sanction ni peine d'emprisonnement ni établissement d'un
casier judiciaire. Elles sont poursuivables par une procédure strictement
sommaire et leur gravité intrinsèque de même que l'absence à peu près absolue
de stigmate à l'égard de ceux qui en sont accusés doivent incliner l'appareil
judiciaire à une interprétation et une application plus libérales et moins
rigides des principes traditionnels qui sont reconnus en matière criminelle.
C'est là la direction vers laquelle nos tribunaux ont été invités à s'orienter
depuis les arrêts Sault Ste-Marie, (1978) 2 R.C.S. 1299, Strasser
(déjà cité), Stinchcombe, (1991) 3 R.C.S. 326, et, devant notre Cour,
les arrêts Montali et Bilodeau (déjà cités).
En terminant sur ce sujet, je suis porté à appliquer à l'argumentation de l'appelant relativement à l'inopérabilité des articles auxquels il s'attaque le commentaire suivant du juge LeBel dans l'arrêt Valois, (1987) 1 R.J.Q. 296 (à la page 303):
Une cause comme celle-ci, cependant, me paraît indiquer un risque sérieux d'abus dans l'application des garanties constitutionnelles. Les erreurs ou les déficiences dans... le fonctionnement des tribunaux ne remettent pas toutes en cause les valeurs fondamentales que reconnaissent la Charte canadienne ou les lois québécoises. Il faut en analyser la nature et la portée, au point où elles se situent dans le procès pénal, si l'on veut éviter que l'application des chartes ne dégénère en purs jeux de procédure.
Pour ces raisons, je conclus que ce second motif d'appel n'est pas fondé.
Troisième motif
Rappelons que, lors du procès de novo, qui a donné lieu au jugement entrepris, les parties ont convenu de verser au dossier la preuve entendue en première instance, cette preuve constituant l'entièreté du dossier soumis.
Se prononçant sur le mérite de la cause, le juge de la Cour supérieure écrit (m.a. page 123):
Venons-en maintenant au dernier argument soulevé par le prévenu à savoir que la preuve ne démontre pas hors de tout doute raisonnable sa culpabilité.
La Cour supérieure, agissant comme tribunal d'appel, n'interviendra dans les conclusions de la Cour des poursuites sommaires que s'il apparaît une appréciation manifestement erronée des faits ou une conclusion toute aussi erronée dans la crédibilité accordée aux témoins.
Tel n'est pas le cas en la présente cause. En plus de n'avoir pas démontré d'erreur de droit de la part du juge de première instance, l'appelant n'a pas non plus fait apparaître d'erreur manifeste de ce dernier dans l'appréciation de la preuve.
L'appelant plaide qu'il appartenait au juge saisi de l'appel de novo "d'évaluer, de soupeser cette preuve et de justifier sa décision en fonction précisément des témoignages entendus par son prédécesseur". Il écrit (m.a. page 66):
À aucun moment dans son jugement il n'indique pourquoi il retient ou ne retient pas tel ou tel témoignage. A-t-il réellement apprécié les faits? Comment les a-t-il perçus? Pourquoi pondère-t-il plus favorablement les témoignages offerts par la poursuite que ceux présentés par la défense? Nul ne le sait.
Dans Compagnie Miron Ltée c. Communauté Urbaine de Montréal et al, (1977) C.S. 998 (renversé en appel mais sur un autre aspect du jugement, le juge Hugessen traite du problème en question (page 1000):
L'appel devant cette Cour est réglé par les articles 72 etc. de la Loi des poursuites sommaires. L'article 75 de la Loi stipule que, règle générale, l'appel s'instruit par voie de procès de novo. Cependant lors de l'audition de l'appel les parties ont convenu de ne produire aucun témoin et de déposer, à titre de preuve, toutes les dépositions prises et tous les exhibits produits devant la Cour municipale.
Le Tribunal a déjà eu l'occasion de dire que dans des circonstances semblables à celle du présent cas le Tribunal d'appel ne peut pas intervenir dans l'appréciation des faits par le premier juge en l'absence d'une erreur manifeste de la part de ce dernier.
Dans Léger c. Ville de Beloeil, (1977) C.S. 423, le juge Nichols cite deux arrêts non rapportés de notre Cour; R. c. Guay, C.A.M. 10-000109-72, 14 novembre 1972 et R. c. Charpentier, C.A.M. 2738, 18 février 1969. Il les résume comme suit:
Le juge de première instance a-t-il décidé sur une question de crédibilité? Cela est fort possible. Comme la Cour d'appel l'a décidé dans les causes de R. c. Guay et R. Charpentier (sic) le juge du procès de novo, en matière de crédibilité, n'a d'autres alternatives que d'agir comme un juge d'une Cour d'appel quand la preuve lui est soumise sur la transcription des témoignages de première instance.
Dans R. c. Guay, M. le juge Rinfret écrit:
Vu le consentement cependant, je ne vois pas comment la Couronne peut se plaindre de la manière de procéder du premier juge: pour apprécier la crédibilité des témoins, il n'avait pas d'alternative que de se fier à l'appréciation qu'en avait faite le juge municipal. Si en ce faisant, il a agi à la façon d'un juge de notre Cour, il n'a pas erré en droit et la Couronne n'a qu'elle seule à blâmer.
Dans R. c. Charpentier, M. le juge Brossard disait:
Le premier juge a entendu et vu le témoin; lui donner tort d'avoir choisi entre les deux versions contradictoires, en se basant sur la crédibilité à accorder au témoin serait contraire au principe uniformément suivi par les tribunaux.
Ces jugements et arrêts ont été cités par l'intimée dans son mémoire. Mes recherches ne m'ont pas permis de trouver d'autres décisions plus récentes qui seraient contraires à la tendance jurisprudentielle qu'ils indiquent. C'est donc là l'état actuel de la pensée judiciaire quant au rôle du juge saisi d'un appel de novo qui procède sans instruction nouvelle devant lui.
Quoi qu'il en soit, c'est, à mon avis, à juste titre que la Cour supérieure a confirmé la culpabilité de l'appelant.
Deux seuls témoignages composent cette preuve. Le premier est rendu par Louis Lemieux, enquêteur de la corporation intimée; le second est celui de Germaine Pellerin, citée par la défense.
L'enquêteur Lemieux relate dans le détail et avec précision, ce qui s'est passé à l'occasion des deux visites qu'il a faites les 17 et 31 juillet 1984.
La première fois, il entre dans un sous-sol où il constate qu'il est meublé de 34 chaises, d'un système vidéo à circuit fermé, de photos du Sacré-Coeur et du frère André ainsi que de nombreuses affiches indiquant que l'appelant n'est pas médecin.
Il est reçu par l'appelant dans son bureau. On lui demande de signer une formule dans laquelle il reconnaît que l'appelant n'est pas un médecin. Lemieux signe d'un faux nom. S'engage ensuite la conversation suivante (m.a. page 217):
Après que j'ai eu signé la formule monsieur Thibault m'a fait signe de la main de m'approcher de lui, ce que j'ai fait. Je me suis approché de lui, et en approchant de lui il m'a fait signe de me tourner, pour l'avoir dans mon dos, ce que j'ai fait, et au même moment, je lui ai dit: "Moi j'ai un point dans le côté, j'ai mal au ventre, et mon coeur bat très fort à certains moments." À ce moment-là monsieur Thibault était dams mon dos, et sa respiration était très, très vite, et j'entendais un bruit comme quelqu'un qui fait aller ses bras très vite, un genre de claquement. Et je sentais qu'il passait très près de ma chemise, parce qu'il y avait une sensation que quelqu'un me touchait à la chemise.
Q.Bon. Quel genre de claquement entendiez-vous?
R.Des claquements de doigts comme ceci à peu près, monsieur le juge, tout en faisant des mouvements brusques. Et après quelques secondes, si on peut dire, pas tellement longtemps, monsieur Thibault a dit: "C'est tout."
Je me suis tourné et en me tournant il m'a dit: "C'est un rein qui est collé qui fait du pus." J'ai dit: "C'est un rein qui est collé qui fait du pus? Il dit: "Oui." J'ai dit: "Je peux tu repasser une deuxième fois?" Il dit: "Oui."
Lemieux relate ensuite qu'à sa seconde visite, l'appelant lui réitère qu'il souffre d'un problème de rein. Se passe ensuite la scène suivante (témoignage de Lemieux m.a. page 224):
À un moment donné il a dit après quelques secondes: "C'est tout." Je me suis retourné et je l'ai informé que j'avais apporté avec moi deux (2) photos de mes petits fils - de mes petits enfants qui étaient malades. Et puis je lui ai exhibé la première photo.
Q.À quelle photo référez-vous, monsieur?
R.Une photo que j'ai produite --
Q.P-1 et P-2?
R.P-1 et P-2, lors de ma visite du dix-sept (17).
Q.D'accord.
R.Alors la première photo, le petit bébé qui est debout, une petite enfant qui est debout, je lui ai dit qu'elle avait un problème d'os à la jambe droite. Il l'a prise dans sa main gauche, il a fait des cercles, fait des "pich-nuts", et il m'a répondu: "C'est sa vessie." Je lui ai présenté la deuxième photo, il l'a mise dans sa main gauche, il a fait des cercles, fait des "pich-nuts". Si vous me permettez, monsieur le juge, pour me rafraîchir la mémoire je peux regarder mes notes? Et à ce moment-là il m'a répond: "Ça prendrait un nettoyage de poumons." Alors je lui demande s'il y aurait des médicaments pour accélérer mon problème, il m'a dit que non, il n'y avait pas de médicament. Je lui demande comment je lui dois, il me dit: "Vingt dollars (20$)." Je prends vingt dollars (20$) pour le payer, il me fait signe d'aller au pupitre. Je me suis rendu au pupitre à la gauche de la madame, et j'ai mis vingt dollars (20$) sur le bureau. J'ai constaté qu'elle était après travailler dans des factures, et j'ai quitté les lieux.
Germaine Pellerin témoigne qu'elle est secrétaire de l'appelant depuis douze ans. Il lui verse un salaire de 325$ par semaine. Elle lui loue le sous-sol de l'immeuble dont son mari est propriétaire à raison de 50$ par semaine. Elle le tutoie.
Elle déclare que le local servant de salle d'attente est équipé de vingt chaises. L'appelant reçoit la clientèle pendant dix mois de l'année, quatre jours par semaine. Entre dix et vingt-cinq personnes s'y présentent chaque jour.
En ce qui a trait aux sommes que versent les visiteurs, elle témoigne (m.a. page 265):
"Q.Au sujet des honoraires, vous dites: "On ne charge pas d'honoraires." Comment ça fonctionne ça? Monsieur Allard prétend qu'il a remis vingt dollars (20$), comment ça fonctionne?
R.Les gens demandent: "Comment qu'on vous doit?" Je leur dis: "Il n'y a pas d'honoraire, donnez qu'est-ce que vous voulez."
Q.Et puis est-ce qu'il y en a qui donnent, est-ce qu'il y en a qui ne donnent pas?
R.Oui, il y en a qui vont donner et il y en a d'autres qui ne donneront pas.
Q.Alors, ça c'est laissé à la faculté de chacun?
R.C'est ça."
Sur ce qui se passe durant la rencontre entre le visiteur et l'appelant, elle dit (m.a. page 266):
"Q.Alors comment ça s'est passé? Qu'est-ce -- alors les gens rencontrent monsieur Thibault, et il se produit quoi? Qu'est-ce qui arrive là?
R.Monsieur Thibault ne leur parle pas... (inaudible) dire bonjour. Il les fait tourner.
LA COUR:
Q.Pardon?
R.J'ai dit que monsieur Thibault leur dit bonjour.
Me GUY BERTRAND:
Q.Vous dites qu'il ne leur parle pas sauf dire bonjour?
R.Oui.
Q.Bon. Et puis là il les fait tourner. Est-ce qu'il parle? Vous dites qu'il les fait tourner. Comment ça se passe?
R.Bien, il leur fait signe comme de quoi qu'il faut qu'ils tournent par en arrière."
Au sujet de la visite de l'enquêteur Lemieux, qui s'est annoncé sous le faux nom de Allard, elle s'exprime comme suit (m.a. page 273):
"Q.Dans le cas de monsieur Allard, vous nous avez dit que monsieur Thibault ne parlait pas, sauf pour dire bonjour, qu'il fait des signes pour faire tourner les gens. A-t-il parlé cette journée-là, ce mois-là, avec monsieur Allard, d'autre chose que de dire bonjour?
R.Non, monsieur Thibault ne lui a pas parlé.
Q.Bon.
LA COUR:
Q.Il n'a pas parlé à monsieur Allard?
R.Non.
Me GUY BERTRAND:
Q.Pourquoi ne parle-t-il pas à monsieur Allard ou aux autres qui vont le voir? Pourquoi?
R.Pour s'éviter d'avoir des problèmes.
Q.Des problèmes avec qui?
R.Avec le Collège des médecins."
Plus loin (m.a. page 277), elle reconnaît qu'il est possible que l'enquêteur ait exhibé à l'appelant des photos d'enfants. Elle ajoute (m.a. page 278):
"Q.Est-ce que monsieur Allard, lui, a parlé de maladie?
R.... Oui, il lui a parlé de maladie.
Q.Vous souvenez-vous qu'est-ce qu'il a dit à --
R.Je me souviens qu'il lui a dit qu'il avait mal au ventre. Mais, moi, j'arrête les gens de parler de maladie, je leur dis: "Monsieur Thibault n'est pas un médecin, vous devez vous taire." Mais ils continuent les gens, des fois.
Q.Alors, vous dites que - je comprends là - lorsque les gens parlent de maladie vous les arrêtez?
R.Bien ... oui.
Q.Et est-ce que vous l'avez fait dans le cas de monsieur Allard?
R.Sûrement, je l'ai fait.
Q.Pourquoi vous dites ça?
R.Bien, je le fais aux autres, pourquoi je ne l'aurais pas fait à lui?
Q.Pourquoi que vous arrêtez les gens de parler de maladie?
R.Bien, ... il n'est pas médecin, il ne pratique pas la médecine."
Interrogée sur le motif qui pousse les gens à se rendre chez l'appelant, Dame Pellerin répond (m.a. page 292):
"Q.Pourquoi les gens vont-ils voir monsieur Thibault?
R.Bien, les gens viennent voir monsieur Thibault parce qu'ils ont confiance.
Q.Confiance en quoi?
R.En monsieur Thibault. Ils ont confiance.
Q.Ils ont confiance en quoi?
R.... Je ne sais pas, moi. Ces gens-là, vous pouvez peut-être leur poser la question.
Q.Vous êtes là?
R.Oui.
Q.Vous avez témoigné que vous étiez toujours présente?
R.Je suis toujours présente.
Q.Vous entendez donc ce qu'il se dit?
R.Oui.
Q.Est-ce qu'il n'est pas exact que les gens ont confiance que monsieur Thibault les guérisse?
R.Certains, oui. Ils parlent de maladie.
Q.Est-ce qu'il n'est pas exact, madame, que quand vous dites certains, en fait c'est à peu près tout le monde qui vient pour question de maladie?
R.Pas tout le monde."
(m.a. page 296):
"R.Quand ils vont parler de maladie, moi, je les arrête, parce que sur l'ordre des conseils de notre avocat, de l'avocat maître René Letarte, il nous avait dit ça au départ, on ne parle pas de maladie, et puis vous n'êtes pas médecin.
Q.Alors les gens parlent de quoi?
R.Ils vont parler de l'actualité. Ils y en a qui vont continuer à parler.
Q.Vous voulez dire par exemple que les gens se présentent, commencent à énumérer leurs problèmes, leurs maux physiques, vous les arrêtez, et là ils se mettent à parler des élections et puis des Nordiques?
R.Non, ils vont dire: "Bien, dans ce cas-là on a confiance, monsieur Thibault."
Q.Confiance à quoi?
R.Bien, confiance... ils ont confiance à monsieur Thibault, ils l'aiment.
Q.Ils ont confiance qu'il les guérisse, n'est-ce pas?
R.Je ne peux pas...
Q.Etes-vous sûre que vous ne pouvez pas?
R.... ... Bien, c'est pas moi c'est eux-autres.
Q.Vous savez qu'il a une réputation de guérisseur monsieur Thibault?
R.... Bien ..."
(m.a. page 299):
"Q.Je vais reprendre une question antérieure, madame. N'est-il pas exact que les gens qui vont voir monsieur Thibault, en votre présence, vont le voir pour être guéris, à votre connaissance personnelle?
R.Bien, probablement là qu'ils viennent. C'est comme je vous dis, moi, je ne peux pas répondre pour eux-autres ces personnes-là. Je ne sais pas qu'est-ce qu'ils ressentent, je ne sais pas qu'est-ce qu'ils veulent de monsieur Thibault. Mais je sais qu'ils aiment parler avec monsieur Thibault, là...
Q.Parler de leurs maux en particulier?
R.Parler, et puis à ce moment-là ils n'ont pas le droit à cause qu'on n'entend pas parler de maladie, mais ils ont confiance, ils le regardent, ils ont confiance, ils l'aiment. S'ils parlent d'autre chose la conversation peut durer quelques minutes, mais ...
Q.Mais ces gens-là, la plupart, d'après votre témoignage, remettent de l'argent?
R.Oui... euh... Oui."
Enfin, la preuve révèle qu'à l'occasion de chaque visite, le "client" doit signer deux formules. Selon Dame Pellerin, les deux signatures sont apposées, l'une avant qu'il soit admis à s'approcher de l'appelant, l'autre après la "conversation" à sens unique. Dans la première, le document se lit comme suit (m.a. page 262):
Je, soussigné, reconnais venir rencontrer Antoine Thibault en sachant très bien qu'il n'est pas médecin, et qu'en conséquence il ne peut pas me prescrire de médicament, de traitement, de radio-thérapie, faire des accouchements, ni établir ou contrôler un diagnostic ou trairement de maladie ou d'affection.
Le second porte le texte suivant (m.a. page 264):
"J'ai rencontré monsieur Thibault et je reconnais qu'il n'a pas été question ni de maladie, de traitement ou d'honoraire".
Au risque d'allonger cette opinion, j'ai cru devoir citer ce nombre considérable d'extraits de la preuve, la question qui se pose devant ces deux témoignages, à première vue contradictoires, n'étant pas de savoir s'ils s'annulent mais bien de se demander lequel doit être retenu comme véridique.
J'estime que le juge de la Cour supérieure avait amplement raison d'écarter la version de Dame Pellerin. Il s'agit incontestablement d'une personne intéressée non seulement à disculper l'appelant mais également à démontrer qu'elle est elle-même sans reproche en rapport avec la situation dans laquelle elle joue un rôle très actif. Sa façon ambiguë de répondre à toute question qui pourrait compromettre le sort de la défense appelle des réserves sérieuses sur sa crédibilité.
Qui plus est, la version des faits qu'elle relate est totalement invraisemblable. Peut-on imaginer que quatre jours par semaine et dix mois par année, entre dix et vingt-cinq personnes -ce qui fait un total approximatif moyen d'au-delà de trois mille personnes par année - font un trajet plus ou moins long selon le lieu d'où elles partent pour parler soit de leurs maladies soit d'autre chose, qu'elles sont reçues par un individu qui n'émet pas en leur présence un traitre son et qu'après une visite aussi frustrante, ces gens versent des sommes d'argent pour le seul plaisir d'avoir été pendant un court instant en présence d'un être pour lequel elles ressentent une particulière affection spontanée?
La mise en scène organisée par l'appelant est elle-même sujette à un énorme soupçon quant à l'activité qui se pratique dans les lieux. Le témoin Pellerin a beau affirmer que la pose d'affiches, l'avertissement aux vingt minutes que le système vidéo diffuse à la clientèle et les deux formules qu'on lui fait signer sont des précautions recommandées par un avocat consulté par l'appelant, on ne peut s'empêcher de penser que le motif est plutôt de préparer à l'avance une défense adéquate et appropriée à des allégations d'infraction à la Loi médicale qui, de l'aveu même de Dame Pellerin, étaient du domaine des probabilités. Il y a lieu en particulier de signaler cette rédaction du premier document que signe le client à son arrivée. J'en ai cité le texte plus haut. Il répète mot à mot l'article 31, deuxième alinéa de la Loi médicale.
À l'encontre, le témoignage de l'enquêteur est clair, net et circonstancié. Il est surtout vraisemblable. Cela me suffit amplement pour conclure que l'intimée a prouvé hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'appelant aux deux plaintes portées contre lui, l'acte prouvé dans les deux occasions étant l'établissement d'un diagnostic.
Pour ces motifs, je rejetterais l'appel. Vu les circonstances du cas, l'envergure du dossier et la tâche que le litige a représenté à l'égard de l'intimée et de l'intervenant le Procureur général, je fixerais les dépens à la somme de 3 000$ comme honoraires pour chacun d'eux, ainsi qu'aux déboursés qu'ils ont encourus pour la préparation et la production de leur mémoire d'appel.
FRANÇOIS CHEVALIER, J.C.A.