TRIBUNAL DU TRAVAIL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE LONGUEUIL

 

 No:

500-63-004928-005

 

 

DATE: 2 mars 2001

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 EN PRÉSENCE De:

MADAME LA JUGE

LISE LANGLOIS ,J.C.Q.

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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL,

Poursuivante

c.

9045-8373 QUÉBEC INC. (GESTION IMMOBILIÈRE SOLITEC),

Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]                La défenderesse, 9045-8373 Québec inc., est accusée de ne pas avoir " le ou vers le 5 février 2000, en tant que maître-d'œuvre sur un chantier de construction situé au 39, rue Picardie, à Candiac, transmis à la commission un avis écrit d'ouverture de chantier de construction au moins dix (10) jours avant le début des activités sur ce chantier, contrevenant à l'article 2.4.1 du Code de sécurité pour les travaux de construction, commettant ainsi une infraction à l'article 236 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail."

[2]                Le premier témoin de la poursuivante a été l'inspecteur Jocelyn Cadieux qui s'était rendu le 17 août 2000 à Candiac, au 39 rue Picardie. On y construisait 16 logements. Il y avait rencontré Pierre Nantel, surintendant, Marc Belval, surintendant, et Me Guy Nault, avocat de Belval qui répondaient aux questions des journalistes.

[3]                Le chantier était très avancé: il était à 80% terminé. On en était rendu au terrassement et aux travaux de peinture. Il y avait une équipe de travail de 7 à 8 hommes. Le témoin avait pris des photos le 17 août et signé son rapport d'intervention le 18 août.

[4]                Selon le témoin, le maître-d'œuvre était la défenderesse: le surintendant Nantel lui avait dit que tous les travaux avaient été sous l'entière responsabilité de la défenderesse, Solitec qui avait d'ailleurs retenu tous les sous-traitants.

[5]                L'inspecteur avait vérifié si un avis d'ouverture de chantier avait été enregistré en février 2000 au nom de Solitec; il n'en avait trouvé aucun.

[6]                Lors du contre-interrogatoire, le témoin a répété qu'aucun document n'était parvenu à la C.S.S.T. C'était Nantel qui avait dit que Solitec était responsable de tous les travaux; cela avait été dit en présence de Belval. L'inspecteur n'avait fait aucune démarche supplémentaire.

[7]                Re-interrogé, le témoin a déclaré qu'il n'avait pas vérifié qui était propriétaire de l'immeuble. Les déclarations de Belval et Nantel avaient été faites en présence de leur avocat. Le témoin a ajouté qu'il connaissait Nantel et qu'il savait que celui-ci était toujours en charge des chantiers du Groupe Solitec. C'était la première fois qu'il rencontrait Belval.

[8]                La poursuite a déclaré sa preuve close.

[9]                Jean-Claude Blanchard, hommes d'affaires et président de la défenderesse et son représentant a témoigné. Il a affirmé que c'était la compagnie Belval, Blanchard et associés, par Marc Belval, qui était responsable du chantier du 39 rue Picardie. L'inspecteur s'était mal renseigné. Belval, cependant, prenait les employés de la défenderesse pour travailler. C'était ce qu'il avait fait pour le chantier en question.

[10]           La procureure de la poursuivante a demandé une suspension de l'audience qui lui fut accordée.

[11]           Au retour la procureure a souligné que le représentant de la défenderesse n'avait jamais téléphoné pour dire qu'il y avait une erreur sur la personne.

[12]           Pour sa part, l'inspecteur était justifié de prendre le témoignage des personnes présentes à la rencontre. D'ailleurs, qui était le propriétaire de l'immeuble au moment où l'inspecteur était allé sur place? A ce moment-là, Belval était accompagné de son avocat et était présent lorsque Cadieux avait reçu la déclaration de l'employeur. Selon la procureure, il y avait eu tromperie dans le dossier. Belval n'avait pas dit qui était le propriétaire.

[13]           La procureure a soutenu que tous les éléments de l'infraction i.e. la non-observance de l'article 2.4.1 du "Code de sécurité pour les travaux de construction" avaient été prouvés hors de tout doute raisonnable.

[14]           Le représentant de la défenderesse a admis qu'il aurait pu téléphoner, mais il ne l'avait pas fait. L'inspecteur n'avait pas demandé aux personnes qu'il avait rencontrées le 17 août qui était le propriétaire. Tous les autres organismes de la construction étaient au courant que c'était "104-131 Canada inc." (Les Entreprises Belval, Blanchard et Ass. inc.) qui était propriétaire du 39 avenue Picardie à Candiac comme en fait foi le rôle d'évaluation foncière déposé sous D-1.

[15]           La procureur de la poursuivante a demandé au Tribunal la permission d'ajouter à son plaidoyer verbal des commentaires écrits ainsi que de la jurisprudence. Cela lui fut accordé, le représentant de la défenderesse ne s'y objectant pas. Elle s'était engagée à faire parvenir à celui-ci une copie conforme de ses ajouts.

[16]           Le 1er février, la procureure de la plaignante faisait parvenir au Tribunal la copie de deux jugements: l'un rendu par la Cour supérieure dans "Les Entreprises industrielles Westburne ltée" [1] et l'autre par le Tribunal du travail dans "C.S.S.T. c. Praxair inc."[2] Accompagnaient cette jurisprudence les commentaires de la procureure et les documents suivant: 1.- copie d'un document produit à la C.S.S.T. par le comptable de 9045-8373 Québec inc. 2.- copies de documents provenant de l'inspecteur général des institutions financières, 3.- copie d'un compte de taxes adressé à les "Entreprises Belval Blanchard et associés inc. (déposé par la défenderesse D-1) 4.- copie d'une demande de permis de construction émis au nom de "Les Constructions Belval inc. par la ville de Candiac. (Selon la procureure, une copie de cette demande aurait été déposée par la poursuite lors du procès…)

[17]           Le Tribunal reproduit le plaidoyer écrit de la procureure:

"Les deux jugements que nous déposons sont au même effet. Pour déterminer s'il s'agit d'un cas ou non de substitution, il faut se rapporter aux faits, c'est-à-dire aux circonstances particulières de chaque cas. (Référence jugement Westburne p.13)

Dans les documents qui ont été déposés en cour et ceux que nous vous faisons parvenir, la preuve est à l'effet que la compagnie à numéro 9045-8373 Québec inc. et les Entreprises Belval Blanchard inc. ont leur place d'affaires au 3005, boul. Matte à Brossard (réf. permis de construction, compte de taxes, document des institutions financières etc.)

De plus, les documents provenant du ministère des institutions financières et le tableau produit à la C.S.S.T. par le Groupe Solitec démontrent que les compagnies sont liées puisque monsieur Jean-Claude Blanchard est actionnaire dans les deux compagnies citées ci-dessus.

Le système informatique de l'inspecteur des institutions financières indique qu'il existe plusieurs autres compagnies qui portent des noms qui peuvent porter à confusion. Ainsi co-existent les Entreprises Belval, Blanchard et associés inc. et les Entreprises Belval, Blanchard et Ass.

Le compte de taxes qui a été déposé devant la cour lors du procès est adressé à Les Entreprises Belval Blanchard et Ass. inc. alors que le permis de construction a été émis à Les Constructions Belval inc.

Les personnes rencontrées sur le chantier de construction de la rue Picardie à Brossard (sic) se sont identifiées comme étant Pierre Nantel et Marc Belval surintendants pour le Groupe Solitec. Monsieur Nantel est également actionnaire de 1% des actions de Pete J.C. Électrique et fait partie du Groupe Solitec. (réf. au tableau)

De plus, monsieur Belval était accompagné par son avocat lors de l'inspection du chantier par monsieur Cadieux. Les questions que ce dernier a posées aux personnes en autorité sur le chantier étaient en relation avec une obligation prescrite par le code de sécurité pour les travaux de construction: l'obligation de faire parvenir un avis d'ouverture de chantier dans les délais prescrits à l'article 2.4.1. Nul ne pouvait s'y tromper, il s'agissait d'une question de dérogation. Le rapport de l'inspecteur et son témoignage sont à l'effet que les personnes interrogées ignoraient si le bureau avait fait parvenir l'avis.

Le constat d'infraction a été signifié au siège social des deux compagnies. L'identification de l'entité visée était à faire. (réf. jugements précités)

La compagnie à numéro n'a pas refusé de recevoir le constat d'infraction. Cette dernière aurait pu retourner le constat à la C.S.S.T. ou du moins l'aviser de ce qu'elle prétend maintenant (réf. jugement Praxair)

Des prétentions sont à l'effet que l'erreur est attribuable aux représentations ou à la négligence de la défenderesse créant une confusion pour la poursuivante. Le président de la compagnie à numéro, monsieur Blanchard, la représente dans cette cause. Mais il est aussi actionnaire à 33% dans Les Entreprises Belval Blanchard et Associés inc.

Même le compte de taxes et le permis de construction sont à des noms différents. Ils visent la même adresse de chantier, soit la rue de Picardie, la même adresse de siège social, soit le 3005, Boulevard Matte, mais sont établis au nom de deux compagnies qui existent juridiquement. Il existe même une troisième entreprise qui porte le nom de Les Entreprises Belval, Blanchard et Ass. Monsieur Blanchard est actionnaire de toutes ces compagnies qui, comme on se rappelle, logent tous (sic) au même siège social situé sur le boulevard Matte à Brossard. Celui-ci est aussi actionnaire de la compagnie à numéro 9045-8373 Québec inc.

…la défenderesse ne subirait aucun préjudice à l'amendement formulé par la poursuite. Il s'agit d'une erreur faite de bonne foi, compte tenu des représentations faites par des personnes en autorité sur le chantier visé. La poursuite ne prend pas la compagnie 9045-8373 Québec inc. par surprise puisque les actionnaires sont liés les uns aux autres. D'ailleurs dans le cas contraire, quel défendeur faudrait-il nier? Celui qui a reçu le compte de taxes, celui qui a obtenu le permis de construction ou la troisième entité qui figure parmi la liste de l'inspecteur des institutions financières?

Pour ces motifs…nous réitérons notre prétention que l'erreur produite n'est pas incontournable puisqu'elle est la conséquence des déclarations et du système opérationnel très complexe de la partie inculpée.

Nous vous demandons d'accorder la requête visant la modification du constat d'infraction et de permettre l'amendement recherché; soit de déclarer que Les Entreprises Belval Blanchard et Ass. inc. (compte de taxes) est la défenderesse visée par les procédures.

De plus, selon la preuve qui a été apportée devant vous lors du procès, nous demandons à votre Tribunal de déclarer la défenderesse coupable de l'infraction qui lui est reprochée."

[18]           Le Tribunal n'a reçu à ce jour, aucun commentaire de la part de la défenderesse.

M O T I F S  D E  L A  D É C I S I O N

[19]           L'article 1 de la Loi sur la santé et sécurité au travail définit le "maître-d'œuvre " ainsi:

"Maître-d'œuvre":

"le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux."

[20]           L'article 2.4.1 du Code de sécurité pour les travaux de construction se lit comme suit:

"2.4.1 -1) Le maître-d'œuvre doit transmettre à la commission, un avis écrit d'ouverture d'un chantier de construction, au moins 10 jours avant le début des activités sur ce chantier."

[21]           Les dispositions du Code de procédure pénale permettent la modification du constat d'infraction et d'un chef d'accusation:

"Modification d'un chef d'accusation

179. Sur demande du poursuivant, le juge permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant modifie un chef d'accusation pour y préciser un détail ou pour y corriger une irrégularité, notamment pour y inclure expressément un élément essentiel de l'infraction. Cependant, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre."

[22]           "Modification d'un constat

180.Sur demande d'une partie, le juge doit, aux conditions qu'il détermine, permettre de modifier un constat d'infraction pour y préciser un détail ou y corriger une irrégularité qui ne vise pas le chef d'accusation."

"184. Toutefois, lorsqu'une modification au constat d'infraction peut corriger le vice dont l'existence a été établie, le juge plutôt que d'ordonner le rejet, permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant apporte cette modification. Cependant, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre."

[23]           Lors de l'audience du Tribunal, à Longueuil le 23 janvier 2001, la preuve était close de part et d'autre; le Tribunal avait alors permis à la procureure de la poursuivante de lui faire parvenir de la jurisprudence.

[24]           Il n'y avait pas eu, de la part de la poursuivante, une demande de modification du constat d'infraction. Au contraire, la procureure de la poursuivante avait plaidé que tous les éléments de l'infraction avaient été prouvés hors de tout doute raisonnable.

[25]           Ce n'est que dans son plaidoyer écrit, accompagné de documents non déposés en cour, que la procureure a demandé "d'accorder la requête visant la modification du constat d'infraction et de permettre l'amendement recherché que "Les Entreprises Belval Blanchard et Ass. inc." est la défenderesse visée par les procédures."

[26]           Une telle demande après le déroulement des procédures tel que décrit ci-avant par le Tribunal ne peut que laisser celui-ci perplexe. D'autant plus, qu'auparavant la procureure dans son plaidoyer écrit, se demandait "quel défendeur faudrait-il viser?"

[27]           Il y a lieu de rappeler que les seules pièces déposées en cour furent: le rapport de l'inspecteur (P-1), des photos prises par lui (P-2) et le compte de taxes envoyé par la Ville de Candiac aux "Les Entreprises Belval Blanchard et Ass. inc." (D-1) pour la propriété sise au 39 avenue Picardie.

[28]           Le Tribunal estime qu'il ne saurait dans les circonstances particulières de ce cas accorder une telle requête pour amender à ce stade-ci le constat d'infraction. Non seulement s'agirait-il de substituer une défenderesse à une autre: soit "Les Entreprises Belval Blanchard et Ass. inc." à "9045-8373 Québec inc. - Gestion immobilière Solitec inc." mais ce changement de défenderesse ne saurait corriger certaines lacunes de la preuve de la poursuivante.

[29]           Selon l'inspecteur Cadieux, lorsqu'il avait rencontré messieurs Nantel, Belval et l'avocat de celui-ci, le surintendant Nantel lui avait déclaré que tous les travaux avaient été faits sous l'entière responsabilité de Solitec et que celle-ci avait retenu tous les sous-traitants.

[30]           Pourtant, dans son rapport d'intervention (P-1) signé le 18 août 2000, le lendemain de son intervention, il a écrit: " Pierre Nantel, surintendant pour "Solitec" qui est venu donner un coup de main pour compléter la job."

[31]           Aucune autre démarche n'a été faite pour vérifier qui était ou le propriétaire ou le maître-d'œuvre. La poursuivante n'a pas jugé à propos d'examiner qui était le propriétaire et si celui-ci avait confié à la défenderesse l'exécution de l'ensemble des travaux.

[32]           Le représentant de la défenderesse a affirmé que c'était Belval qui était en charge du chantier, mais qu'il avait pris les employés de la défenderesse pour y travailler.

[33]           Sans doute, le compte de taxes établit que c'était la compagnie " Les Entreprises Belval Blanchard et Ass. inc." qui était propriétaire du 39 avenue Picardie mais cela ne prouvait pas qu'il en était demeuré le maître-d'œuvre. Quel a été le rôle véritable de la défenderesse? N'a-t-elle que prêté sa main-d'œuvre ou a-t-elle agi à titre de maître- d'œuvre?

[34]           Un des éléments essentiels de l'infraction, soit qui était le maître-d'œuvre et par conséquent qui avait l'obligation de transmettre l'avis écrit de l'ouverture du chantier du 39 avenue Picardie, n'a pas été prouvé hors de tout doute raisonnable.

[35]           POUR CES MOTIFS,

[36]           Le Tribunal acquitte la défenderesse.

 

 

 

 

 

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LISE LANGLOIS ,J.C.Q.

 

Me Lucie Rouleau

(Panneton, Lessard)

Avocate pour la poursuivante

 

M. Jean-Claude Blanchard

Président et représentant de la défenderesse

 

Date d'audience:  23 janvier 2001

 Domaine du droit:

Santé et sécurité du travail

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Les entreprises industrielles Westburne ltée c. Cour municipale de la ville de Saint-Laurent C.S. Mtl. 500-05-007124-926 M. le juge Croteau

[2] C.S.S.T. c. Praxair inc. T.T. Mtl. 500-63-004409-006 Madame la juge Suzanne Handman.