(Rendu oralement le 22 mai 2001)
[1] L'appelant se pourvoit à l'encontre d'une déclaration de culpabilité prononcée le 6 décembre 2000 relativement à une accusation d'entrave à un agent de la paix.
[2] Je me limiterai à la narration des faits nécessaires pour l'étude du pourvoi.
[3] Le 14 avril 1998, l'appelant se fait bronzer dans le parc Lafontaine avec pour seul vêtement un cache-sexe retenu par une corde à l'arrière, communément désigné comme «g-string».
[4] Suite à une plainte d'une dame qui se trouvait dans le parc, les policiers sont intervenus et ont demandé à l'appelant de se vêtir décemment ou de quitter le parc.
[5] Le policier Chauvette informe l'appelant qu'il contrevient à l'article 6(1) du Règlement sur les parcs qui prévoit:
«Il est interdit à quiconque visite ou fréquente un parc:
1- de pousser des cris, de proférer des blasphèmes, des injures, des paroles indécentes ou des menaces, ou de faire une action indécente ou obscène;»
[6] Comme l'appelant refuse de s'habiller et de partir et maintient qu'il a le droit de se vêtir de la sorte tout comme de se faire bronzer, le policier le somme à nouveau.
[7] Après avoir informé l'appelant de la réglementation et de ses pouvoirs en vertu de la loi, le policier lui demande de s'identifier pour émettre des constats d'infraction en vertu de la réglementation municipale. L'appelant refuse de s'identifier.
[8] Selon l'agent Chauvette, la discussion dure 35 minutes et constatant le refus obstiné de l'appelant, il effectue son arrestation pour entrave à un agent de la paix.
[9] Toujours selon l'agent, il aurait demandé entre cinq à quinze fois à l'appelant de s'identifier[1].
[10] L'appelant, lors d'un premier procès qui s'est tenu le 25 octobre 1999, a été acquitté sur l'infraction d'entrave et pour deux infractions à la réglementation municipale.
[11] Le 20 juin 2000, un collègue de cette Cour annulait l'acquittement pour l'accusation d'entrave, les deux autres verdicts n'ayant pas fait l'objet d'un appel.
[12] L'appelant a subi un deuxième procès pour l'accusation d'entrave, le 6 décembre 2000, et c'est suite à cette condamnation qu'il se pourvoit devant la Cour.
[13] Il soumet trois moyens:
1) L'absence de motifs raisonnables de croire que l'appelant avait commis une infraction au Règlement sur les parcs (R.R.V.M. c. P-3).
2) Le juge a erré en ne tenant pas compte des conclusions factuelles tranchées par le juge du premier procès.
3) Le juge a erré en concluant que le refus de s'identifier constitue une entrave au sens du Code criminel.
[14] L'intimée soumet que la condamnation s'appuie sur la preuve.
[15] Naturellement, les parties ont soumis des précédents jurisprudentiels appuyant leurs positions respectives.
[16] Dans un premier temps, le moyen sur la défense de chose jugée ne saurait tenir et ne repose sur aucun fondement factuel sérieux.
[17] Le fait que l'appelant ait été acquitté sur l'infraction du Règlement sur les parcs interdisant une action indécente ou obscène ne constitue pas une chose jugée sur la question des motifs raisonnables justifiant une arrestation en vertu des règlements municipaux.
[18] Comme le mentionnait la Cour suprême dans l'arrêt Stillman[2]:
«Pour que l'arrestation soit légale, il fallait que les policiers croient subjectivement qu'il y avait des motifs raisonnables d'arrêter l'appelant. Il fallait également que ces motifs soient objectivement raisonnables. Toutefois, la norme à respecter n'est pas stricte au point d'exiger que les policiers établissent, avant de procéder à l'arrestation, l'existence d'une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité […].»[3]
[19] Le fait d'être acquitté d'une infraction ne rend d'ailleurs pas l'arrestation illégale[4].
[20] De plus, l'appelant n'a jamais invoqué la défense de chose jugée au procès et ce n'est qu'en appel qu'il tente de se prévaloir d'une décision du premier procès qui, à son avis, est une conclusion que l'arrestation était illégale.
[21] Je suis d'avis que cet argument ne saurait tenir.
[22] Sur l'argument de motifs raisonnables de croire à la commission d'une infraction au règlement municipal, le critère objectif retenu par la Cour suprême dans l'arrêt Storrey[5] est celui d'une personne raisonnable placée dans la même situation que celle du policier: aurait-elle cru à l'existence de motifs raisonnables et probables d'effectuer une arrestation?
[23] Quant au critère subjectif, il s'agit de la croyance personnelle du policier dans les circonstances.
[24] Dans le cas sous étude, le policier est informé par son collègue d'une plainte d'une dame qui se trouve dans le parc avec des enfants. La plaignante parle d'un homme qui se fait bronzer nu.
[25] Lorsque Chauvette se dirige vers l'appelant, il dira que «le moindrement qu'on est un petit peu éloigné, c'est comme si Monsieur n'avait rien.[6]». Naturellement, en s'approchant, il a constaté que l'accusé avait un cache-sexe de couleur chair, tacheté style léopard. Il témoigne qu'il y avait beaucoup de jeunes dans le parc qui était achalandé puisqu'il s'agissait de la première journée chaude du printemps.
[26] Aussi, l'appelant était allongé sur un terrain en pente à 25 pieds de la piste cyclable et d'une école primaire.
[27] J'estime que cette preuve établit le critère objectif de commission d'une infraction au Règlement sur les parcs. Quant au caractère subjectif, il s'infère du témoignage du policier qui énonce que l'appelant commettait une infraction et qu'il fallait que celle-ci cesse[7].
[28] J'estime que le policier avait des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la réglementation était commise et il était autorisé d'exiger que l'appelant s'identifie pour lui remettre les constats d'infraction tel que prévu aux articles 72 et suivants C.p.p.
[29] Reste la question de savoir si le refus de s'identifier auprès du policier constitue une entrave.
[30] Il est clairement établi par la preuve que l'entrave se situe dans le refus de s'identifier.
[31] Aussi, le policier était en droit d'exiger que l'appelant s'identifie, la demande étant légale puisque prévue à l'article 72 C.p.p.
[32] Pour être trouvé coupable d'entrave, la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable que les gestes de l'appelant constituaient des gestes d'entrave au travail de l'agent de la paix alors qu'il agissait dans l'exécution de ses fonctions. Quant aux gestes de l'appelant, ceux-ci doivent avoir été posés volontairement[8].
[33] Dans l'arrêt Moore[9], un cycliste ayant passé sur une lumière rouge a refusé de s'identifier auprès du policier et a vu son acquittement annulé sur une accusation d'entrave par la Cour d'appel de Colombie-Britannique. La Cour suprême a maintenu le jugement de la Cour d'appel en considérant que le refus d'obtempérer à la demande d'identification du constable constituait une entrave.
[34] L'analyse des précédents jurisprudentiels soumis m'amène à conclure que l'omission de s'identifier lorsque la demande est légale constitue une infraction d'entrave.
[35] Selon l'appelant, le Code de procédure pénale prévoit différents mécanismes qui ajoutent aux pouvoirs des policiers et le fait de s'en prévaloir ne saurait constituer une entrave. À son avis, comme l'article 74 prévoit l'arrestation sans mandat si la personne refuse de s'identifier, il ne saurait y avoir d'entrave.
[36] J'estime que les pouvoirs énoncés au Code de procédure pénale, édictant une série de pouvoirs spécifiques, ne doivent pas être confondus avec l'infraction d'entrave. Je m'explique. Le Code de procédure pénale ne modifie en rien le Code criminel, il ne fait que spécifier les pouvoirs d'un agent de la paix lorsqu'un citoyen refuse de s'identifier (art. 74) ou encore lorsqu'il continue à commettre l'infraction (art. 75).
[37] L'adoption de ces pouvoirs ne modifie en rien le comportement ou les gestes posés par l'accusé. Ce que le Code de procédure pénale prévoit, c'est les pouvoirs des policiers lorsqu'ils sont confrontés à une situation précise. Pour le crime d'entrave, c'est l'agir du citoyen qu'il faut analyser.
[38] On m'a cité un des mes jugements rendu le 21 novembre 1996, dans l'affaire Gumbley[10], où j'ai conclu à l'absence d'entrave pour un policier qui a dû revenir à l'appartement d'un citoyen pour une deuxième plainte de bruit. J'étais d'avis que la conduite du citoyen, en commettant une autre infraction sur le bruit, ne pouvait constituer une entrave. Dans cette affaire, l'accusé s'était identifié lors de la première visite des policiers mais avait remonté le volume de son système de son après le départ de ces derniers. J'ai conclu qu'il s'agissait d'une autre infraction sur le bruit qui permettait aux policiers d'arrêter sans mandat en vertu de l'article 75 C.p.p. et que les gestes de l'accusé ne pouvaient constituer une entrave.
[39] À mon avis, ce jugement n'est d'aucun secours pour l'appelant puisqu'il y avait deux trames factuelles distinctes dans ce dossier alors que dans le cas sous étude, l'appelant refuse de s'identifier à plusieurs reprises alors que la demande du policier était entièrement légale.
[40] Je ne vois pas de raison de modifier la jurisprudence existante qui considère que, lors d'une demande légale de s'identifier, suite au refus du citoyen de le faire, il s'expose à une condamnation pour entrave.
[41] Cela dit, les policiers ne peuvent exiger de façon arbitraire que les citoyens dévoilent leur identité.
[42] En l'espèce, la demande était légale, le policier ayant non seulement informé l'appelant de l'infraction alléguée mais lui ayant montré et expliqué la réglementation.
[43] Je pense que l'agent Chauvette a usé de patience et de diplomatie.
[44] La conduite de l'appelant a conduit à son arrestation et une fois au poste lorsque ce dernier a décliné son identité, il a été remis en liberté.
[45] En l'espèce, les gestes de l'appelant étaient volontaires, celui-ci ayant été avisé à plusieurs reprises qu'il devait s'identifier et qu'il a maintenu son refus. L'agent Chauvette était dans l'exercice de ses fonctions et les gestes de l'appelant ont eu pour effet de nuire au travail du policier ou tout au moins de retarder le policier dans l'accomplissement de son travail.
[46] Pour ces motifs, je considère que le jugement de première instance devrait être maintenu et l'appel est donc rejeté.
[47] Le tout sans frais.
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Procureur de l'appelant
Me Gaétan Plouffe Procureur de l'intimée
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Domaine du droit: |
PÉNAL (DROIT)
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[1] N.S. du 6 décembre 2000, p. 15.
[2] [1997] 1 R.C.S. 607.
[3] Ibid, 634.
[4] R. c. Biron, [1976] 2 R.C.S. 56.
[6] N.S. p. 10.
[7] N.S. p. 14, ligne 6.
[8] Voir R. c. Rousseau, [1982] C.S. 461 (j. Boilard).
[9] [1979] 1 R.C.S. 195.
[10] 500-36-000747-967, voir transcription déposée au dossier.
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