COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500‑10‑000014‑934
(550‑36‑000052‑926)
(550‑01‑001690‑900)
Le 1er novembre 1995
CORAM: LES HONORABLES BISSON
DESCHAMPS, JJ.C.A.
PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
SA MAJESTÉ LA REINE,
APPELANTE - Poursuivante
c.
GEORGES-MARC COUSINEAU,
INTIMÉ - Accusé
LA COUR, statuant sur le pourvoi à l'encontre d'un jugement de la Cour supérieure, Chambre criminelle, district de Hull, prononcé le 16 décembre 1992 par monsieur le juge Orville Frenette, faisant droit à une requête de l'intimé et ordonnant l'arrêt des procédures tout en libérant ce dernier des accusations criminelles portées contre lui;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion de monsieur le juge Claude Bisson, déposée avec le présent arrêt, à laquelle souscrivent madame la juge Marie Deschamps et monsieur le juge Jacques Philippon;
ACCUEILLE l'appel;
CASSE le jugement du 16 décembre 1992 et RETOURNE le dossier à la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Hull, pour la fixation du procès.
CLAUDE BISSON, J.C.A.
MARIE DESCHAMPS, J.C.A.
JACQUES PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
Procureur de l'appelante: Me Martin Lamontagne
Procureur de l'intimé : Me Jean-Charles Desjardins
Date de l'audition : 26 octobre 1995
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500‑10‑000014‑934
(550‑36‑000052‑926)
(550‑01‑001690‑900)
CORAM: LES HONORABLES BISSON
DESCHAMPS, JJ.C.A.
PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
SA MAJESTÉ LA REINE,
APPELANTE - Poursuivante
c.
GEORGES-MARC COUSINEAU,
INTIMÉ - Accusé
OPINION DU JUGE BISSON
Nous sommes saisis d'un pourvoi à l'encontre d'un jugement de la Cour supérieure, Chambre criminelle, district de Hull, prononcé le 16 décembre 1992 par monsieur le juge Orville Frenette, faisant droit à une requête de l'intimé et ordonnant l'arrêt des procédures tout en libérant ce dernier des accusations criminelles portées contre lui;
Le 8 mars 1990, les deux accusations suivantes étaient portées contre l'intimé de même qu'une autre personne:
1 -Le ou vers le 9 octobre 1988, à Plaisance, district de HULL, se sont livrés à des voies de fait contre Victor Molla et lui ont infligé par là des lésions corporelles, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 267(1)b) du Code criminel.
2 -Le ou vers le 9 octobre 1988, à Plaisance, district de HULL, se sont livrés à des voies de fait contre Patrick Molla et lui ont infligé par là des lésions corporelles, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 267(1)b) du Code criminel.
L'enquête préliminaire fut tenue le 5 octobre 1990 à la suite de laquelle le juge de paix cita l'intimé à procès sur les deux chefs.
Par suite de la décision de l'intimé d'avoir son procès devant juge seul, on fixe la date de façon pro forma au 12 octobre 1990 devant la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, désormais l'instance de jugement.
Pour des motifs qu'il n'est pas utile de mentionner ici, le procès est ajourné du 12 octobre 1990 au 18 janvier 1991, puis de nouveau au 11 février 1991.
Il y a une nouvelle remise au 11 novembre 1991, puis au 3 avril 1992.
Le 30 mars 1992, toujours devant la Cour du Québec, l'appelante rédige une requête en arrêt des procédures en raison du délai déraisonnable dans le processus conduisant à son procès.
Le 3 avril 1992, la requête est prise en délibéré par un juge de la Cour du Québec qui fixe d'abord sa décision au 25 juin 1992, les avocats devant soumettre dans l'intervalle des notes et autorités, ce qui est complété le 16 juin 1992 par la réplique de l'intimé.
Le 25 juin 1992, le juge de la Cour du Québec n'est pas prêt à rendre jugement et le reporte au 28 septembre 1992 puis, pour la même raison, de nouveau au 8 octobre 1992.
Le 29 septembre 1992, un nouveau substitut dépose des autorités additionnelles auxquelles l'avocat de l'intimé réplique par document déposé le 6 octobre 1992.
On est toujours devant la Cour du Québec, et finalement le juge rend sa décision le 23 octobre 1992, rejetant la requête de l'intimé et suggérant la date du 23 novembre 1992 pour la tenue du procès.
Comme l'avocat de l'intimé a déjà un procès pour le 23 novembre, il accepte la date du 24 novembre.
Alors que rien d'autre ne s'est produit à la Cour du Québec dans l'attente du procès du 24 novembre, le 17 novembre 1992 l'intimé rédige pour la Cour supérieure une requête intitulée REQUÊTE EN VUE D'OBTENIR UN ARRÊT DES PROCÉDURES où il récite de nouveau toutes les dates pertinentes - celles-là même qui avaient été invoquées en Cour du Québec - sans ajouter aucun nouvel élément qui ferait en sorte qu'outre le délai couru jusqu'au jugement du 23 octobre 1992, la Cour du Québec serait devenue incompétente à procéder.
Les seuls nouveaux délais signalés dans cette requête sont, d'une part, ceux courus depuis la présentation de la requête en Cour du Québec le 3 avril 1992 et, d'autre part, celui couru à partir du jugement du 23 octobre 1992 jusqu'au procès fixé un mois plus tard, le 24 novembre 1992.
Dans le jugement entrepris, le juge de la Cour supérieure se reconnaît rapidement compétence pour se saisir de la requête en référant aux arrêts de la Cour suprême du Canada dans les affaires Rahey c. La Reine[1] et Mills c. La Reine[2].
Puis, le juge analyse de nouveau les délais courus jusqu'en octobre et novembre 1992 et les circonstances les entourant pour en venir à la conclusion qu'ils ont été déraisonnables, ce qui le conduit à accorder la requête, à ordonner un arrêt des procédures et à libérer l'intimé.
Le seul nouvel élément que le jugement entrepris ajoute à ceux pris en compte dans la décision du 23 octobre 1992 est le délibéré de la Cour du Québec qui s'est prolongé du 3 avril 1992 au 23 octobre 1992 et au sujet duquel la Cour supérieure fait les brefs commentaires suivants:
En principe, le délai pris pour rendre jugement ne devrait pas être considéré dans la computation des délais11, mais tout comme le juge Rothman, dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. Eugène Trudel 12, je trouve qu'un délai de sept mois pour décider une requête préliminaire, paraît excessif.
12C.A.M. 500-10-000094-910 - 26 octobre 1992
...
Il n'y a pas eu non plus, d'explication valable présentée pour justifier le délai à rendre jugement entre le 3 avril 1992 et le 23 octobre 1992.
________________________
Il est important de rappeler ce qui suit:
1.-En tout temps jusqu'en novembre 1992, l'intimé a toujours été devant la Cour du Québec et c'était l'instance de jugement;
2.-L'intimé n'a jamais répudié la compétence de la Cour du Québec;
3.-Le seul nouvel élément de l'intimé dans sa requête à la Cour supérieure est le délai couru depuis la présentation de la requête le 3 octobre 1992, le jugement ayant été prononcé le 23 octobre 1992 et le procès fixé, un mois plus tard, pour le 24 novembre 1992.
4.-Sauf les faits nouveaux qui impliquent la Cour du Québec elle-même depuis le délibéré du 3 octobre 1992 jusqu'au jugement du 23 octobre 1992, on ne peut interpréter autrement la requête devant la Cour supérieure que comme une procédure en révision ou encore un de novo ou peut-être même, un appel.
La Cour supérieure semble elle-même s'être attribué une compétence de révision puisque, parlant de l'article 24 de la Charte, le juge dit:
Dans ce dossier, le juge du procès a statué sur cette question, donc le requérant se présente en révision de ce jugement.
________________________
Il faut d'abord rappeler le principe qu'en matière criminelle, il n'y a pas d'appel des jugements interlocutoires prononcés par l'un des juges de la Cour où doit se dérouler le procès.
Ceci veut dire qu'à la suite du jugement de la Cour du Québec du 23 octobre 1992, le seul recours normal de l'intimé, s'il eut été trouvé coupable après le procès du 24 novembre 1992, aurait été de se pourvoir devant la Cour d'appel du Québec et de remettre en cause le bien fondé de la décision du 23 octobre 1992.
Il est exact que les arrêts Rahey et Mills ont reconnu une compétence à la Cour supérieure de façon parallèle à celle exercée par le tribunal du procès. On a aussi indiqué qu'il n'était pas loisible de s'adresser immédiatement à l'un ou l'autre des tribunaux.
À ce sujet, faisant le point sur les arrêts Rahey et Mills, dans Smith c. La Reine[3], monsieur le juge Sopinka, s'exprimant au nom de la formation complète et unanime de la Cour suprême du Canada, a dit:
Je suis d'avis que, dans la mesure du possible, les tribunaux de première instance devraient entendre les allégations de violation de l'al. 11b).
Dans Jean-Pierre Bois c. la Reine[4], notre Cour a également reconnu cette juridiction concurrente de la Cour supérieure, tout en refusant de l'appliquer dans les circonstances de l'espèce.
Mais, pour que cette juridiction concurrente puisse s'exercer après une première décision recherchée et obtenue du juge du procès, il faut des circonstances exceptionnelles; il ne faut surtout pas que la Cour supérieure devienne en matière d'acte criminel un tribunal d'appel ou de révision d'une décision interlocutoire relativement à l'arrêt des procédures.
Ici, l'intimé a choisi la Cour du Québec pour présenter sa demande d'arrêt des procédures et c'est, sauf la question de la durée du délibéré, uniquement parce qu'il n'a pas été satisfait du résultat obtenu par le jugement du 23 octobre qu'il a cherché à faire réviser cette décision par la Cour supérieure.
On ne peut souscrire à une telle façon de procéder.
C'est uniquement s'il est trouvé coupable que l'intimé pourra demander à notre Cour de réformer la décision du 23 octobre 1992.
Relativement au délibéré de six mois et vingt jours (3 avril 1992 - 23 octobre 1992) auquel la Cour supérieure a fait allusion, je n'estime pas qu'il implique à ce point le processus en Cour du Québec pour qu'une fois la décision de cette dernière rendue, on s'en autorise pour s'adresser à la Cour supérieure, une fois rendue la décision de la Cour du Québec.
La requête même à la base du jugement entrepris allègue dans les détails les différentes dates parcourues dans le cheminement de son dossier et, dans sa décision du 23 octobre 1992, la Cour du Québec a pris soin de les relater et de les commenter à l'égard de la jurisprudence.
Il est opportun de souligner que le 3 avril 1992, l'arrêt Morin c. La Reine[5] venait d'être prononcé quelques jours plus tôt, apportant un nouvel éclairage à l'arrêt Askov[6].
La demande de produire des notes et autorités n'est peut-être pas étrangère à cette situation.
La décision de la Cour du Québec de refuser l'arrêt des procédures était ou bien correcte ou bien erronée, mais jusqu'à ce qu'elle soit rendue, l'intimé n'a pas remis en cause le cheminement parcouru depuis sa présentation le 3 avril 1992.
Je reconnais qu'il peut se présenter des cas où la façon même avec laquelle le pouvoir judiciaire a pu traiter un dossier exige qu'on s'adresse à un autre tribunal pour obtenir réparation, mais on ne peut sûrement, après jugement sollicité et obtenu, prendre appui sur un délibéré de six mois et vingt jours pour tenter de soumettre de nouveau à un autre tribunal - et avant jugement final - l'examen des délais antérieurs à la prise en délibéré, en l'espèce, un délai de près de deux ans entre la comparution du 10 mai 1990 jusqu'à la requête du 3 avril 1992.
La Cour supérieure ne peut, dans un cas comme celui sous étude, agir comme tribunal de révision ou d'appel.
En terminant, je ne peux que déplorer le délai de près de trois ans couru depuis que le jugement entrepris a été porté en appel.
Je note que la partie appelante a produit son mémoire le 30 novembre 1993, mais que ce n'est que plus d'un an et demi plus tard, soit le 17 juillet 1995, que l'intimé, naguère soucieux des délais, a produit le sien, et immédiatement le pourvoi fut porté au premier rôle disponible, soit celui d'octobre 1995.
J'accueillerais l'appel, casserais le jugement du 16 décembre 1992 et retournerais le dossier à la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Hull, pour la fixation du procès.
CLAUDE BISSON, J.C.A.
[1][1987] 1 R.C.S. 588, particulièrement les pages
603 et 604
[3][1989] 2 R.C.S. 1120, à la page 1130