R. c. Brydon, [1995] 4 R.C.S. 253
James Lee Brydon
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
Répertorié: R. c. Brydon
No du greffe: 24554.
Audition et jugement: 11 octobre 1995.
Motifs déposés: 16 novembre 1995.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Cory,
McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de la colombie-britannique
Droit criminel -- Exposé au jury -- Exposé supplémentaire -- Sens de
doute raisonnable -- Accusé déclaré coupable d'agression sexuelle -- Certains
passages de l'exposé supplémentaire du juge au jury sur le sens et l'application du
doute raisonnable comportaient-ils une erreur donnant lieu à révision?
L'accusé a été déclaré coupable de cinq chefs d'accusation
d'agression sexuelle. Peu après le début des délibérations, le jury a transmis

- 2 -
une note au juge du procès pour lui demander des directives supplémentaires
sur la définition du doute raisonnable. Dans son exposé supplémentaire en
réponse à la question, le juge du procès a fait les trois déclarations contestées
suivantes: (1) «Si vous croyez que l'accusé est probablement ou
vraisemblablement coupable, mais que vous avez encore un doute raisonnable,
vous devez lui accorder le bénéfice de ce doute»; (2) «Après avoir examiné tous
les éléments de preuve, il se peut que vous ayez un doute raisonnable quant à
savoir si l'accusé est coupable ou non coupable»; (3) «Si vous êtes unanimes
relativement à ce doute, vous devez accorder le bénéfice de ce doute à
l'accusé». La Cour d'appel, à la majorité, a conclu que l'exposé supplémentaire
ne comportait pas d'erreur donnant lieu à révision, et a maintenu la déclaration
de culpabilité.
Arrêt: Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.
Il faut répondre aux questions du jury de façon soignée, complète et
correcte. Compte tenu de l'importance du filtre du fardeau de la preuve et du
doute raisonnable pour l'intégrité et la solidité d'un verdict et pour l'équité du
procès de l'accusé, les directives du juge du procès doivent être soignées,
lucides et scrupuleusement exactes. Pour déterminer si les directives du juge du
procès sur le fardeau de la preuve comportent une erreur donnant lieu à
révision, le tribunal doit se demander: (i) si la directive contestée n'est pas
compatible avec ce qui a été dit dans l'exposé initial ou est simplement erronée
en soi; et (ii) si, après avoir replacé l'incohérence ou l'erreur dans le contexte de
l'exposé dans son ensemble, il y a une possibilité raisonnable que le jury ait été
induit en erreur par ces directives au point d'avoir appliqué une norme de

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preuve inférieure à celle de la preuve hors de tout doute raisonnable ou d'avoir
appliqué incorrectement la norme du fardeau de la preuve ou du doute
raisonnable pour aboutir au verdict. En l'espèce, le premier passage contesté, lu
dans le contexte de l'exposé dans son ensemble, n'aurait pas pu induire le jury
en erreur au point de lui faire appliquer une norme de preuve inférieure à la
norme de preuve requise hors de tout doute raisonnable. Le deuxième passage
contesté pouvait être déroutant pour le jury, mais cela ne suffisait pas en soi
pour ordonner un nouveau procès. Cependant, le troisième passage, disant au
jury qu'il doit être unanime dans son doute avant de pouvoir acquitter l'accusé,
est manifestement une erreur. Bien que le verdict d'un jury doive être unanime,
les jurés peuvent arriver à ce verdict en empruntant des voies différentes. Cette
directive viciait toutes les directives données auparavant par le juge du procès
sur le doute raisonnable. Il existe une possibilité raisonnable que cette directive
erronée du juge du procès, jointe à la directive précédente, ait induit le jury en
erreur au point de lui faire appliquer incorrectement la norme du doute
raisonnable pour aboutir au verdict.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés: R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742; R. c. Naglik,
[1993] 3 R.C.S. 122; R. c. Pétel, [1994] 1 R.C.S. 3; R. c. S. (W.D.), [1994] 3
R.C.S. 521; R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652.

- 4 -
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 686(1)b)(iii).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique (1995), 37 C.R. (4th) 1, 2 B.C.L.R. (3d) 243, 95 C.C.C.
(3d) 509, 55 B.C.A.C. 6, 90 W.A.C. 6, qui a confirmé la déclaration de
culpabilité prononcée contre l'accusé relativement à cinq chefs d'accusation
d'agression sexuelle. Pourvoi accueilli, la tenue d'un nouveau procès est
ordonnée.
Richard C. C. Peck, c.r., et Letitia Sears, pour l'appelant.
Wendy Rubin, pour l'intimée.
//Le juge en chef Lamer//
Version française du jugement de la Cour rendu par
1
LE JUGE EN CHEF LAMER -- À l'audience du 11 octobre 1995, la Cour
a accueilli le présent pourvoi et ordonné un nouveau procès, indiquant que les
motifs seraient déposés à une date ultérieure. Voici ces motifs.
2
La Cour est saisie de plein droit de l'appel d'une décision rendue par une
formation de cinq juges de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ((1995),
37 C.R. (4th) 1) sur la question restreinte de droit qui consistait à déterminer si

- 5 -
certains passages de l'exposé supplémentaire du juge au jury quant au sens et à
l'application du doute raisonnable constituaient une erreur donnant lieu à
révision. Devant la juridiction inférieure, l'appelant a soulevé la question
supplémentaire de savoir s'il convient de définir le doute raisonnable en
fonction de la «certitude morale». Il appert que la formation initiale de trois
juges de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a décidé d'ajourner les
procédures et de les reprendre en une formation de cinq juges. La cour a
ensuite invité les avocats [TRADUCTION] «à examiner à fond les directives qu'il
convient de donner au jury quant au sens du doute raisonnable» (p. 42).
3
Je tiens d'abord à mentionner que ni l'une ni l'autre des parties ne nous a
demandé de traiter les questions plus générales de savoir comment il faudrait
définir le concept du doute raisonnable pour les jurés et de savoir s'il faudrait
parler de «certitude morale» dans cette définition. Par conséquent, notre
opinion ne devrait en aucun cas être interprétée comme une approbation ou un
rejet du modèle d'exposé au jury sur le doute raisonnable proposé, à la majorité,
par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique.
I.
Les faits
4
L'appelant a été déclaré coupable de cinq chefs d'accusation d'agression
sexuelle, concernant des caresses ou des attouchements sur des écolières
prépubères dont il était le professeur. Les incidents sont survenus plusieurs
années avant l'inculpation. La preuve opposait les allégations des plaignantes
aux dénégations de l'appelant. La crédibilité constituait la question
fondamentale en l'espèce, et, à l'exception de la preuve de faits similaires

- 6 -
présentée par deux autres étudiantes, il n'y avait que peu ou pas d'éléments de
preuve pour étayer l'une ou l'autre version des faits.
II.
Les questions en litige
5
L'appelant se pourvoit de plein droit auprès de notre Cour contre la déclaration
de culpabilité, en se fondant sur la dissidence du juge Wood en Cour d'appel.
Cette dissidence se basait sur les questions de droit suivantes:
[TRADUCTION]
(1)
La directive suivante du juge du procès aux jurés: «[s]i vous croyez
que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, mais
que vous avez encore un doute raisonnable, vous devez lui accorder
le bénéfice de ce doute et rendre un verdict de non-culpabilité»,
constituait-elle une erreur donnant lieu à révision si l'on tient compte
de l'exposé dans son ensemble?
(2)
La directive suivante du juge du procès aux jurés: «après avoir
examiné tous les éléments de preuve, il se peut que vous ayez un
doute raisonnable quant à savoir si l'accusé est coupable ou non
coupable», constituait-elle une erreur donnant lieu à révision si l'on
tient compte de l'exposé dans son ensemble?
(3)
La directive suivante du juge du procès aux jurés: «si vous êtes
unanimes relativement à ce doute, vous devez accorder le bénéfice
de ce doute à l'accusé» constituait-elle une erreur donnant lieu à
révision si l'on tient compte de l'exposé dans son ensemble?
(4)
Si le juge du procès a commis une erreur dans sa directive aux jurés
concernant l'application ou la définition du doute raisonnable, les
dispositions du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel
devraient-elles s'appliquer?
6
À l'audience, les deux parties ont convenu que la dissidence du juge Wood ne
donne pas lieu à l'application du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C.
(1985), ch. C-46. Je suis d'accord avec cette interprétation des paramètres de la

- 7 -
dissidence puisque les juges de la majorité n'ont pas jugé nécessaire de traiter la
question du sous-al. 686(1)b)(iii). J'ajouterai que j'ai des réserves quant à la
notion que le sous-al. 686(1)b)(iii) pourrait remédier à une directive erronée qui
a pu amener un jury à appliquer incorrectement la norme du fardeau de la
preuve ou du doute raisonnable.
III.
Les juridictions inférieures
7
Dans le résumé des jugements des juridictions inférieures, je n'ai inclus que les
passages de l'exposé, de l'exposé supplémentaire et des jugements de la Cour
d'appel qui se rapportent aux questions soulevées dans le pourvoi.
A. L'exposé au jury
8
Le juge du procès a donné au jury les directives suivantes sur le sens et
l'application du doute raisonnable:
[TRADUCTION] Comme je vous l'ai dit au début, et vous êtes
peut-être las de l'entendre dire, mais je dois insister parce que c'est
très important et que vous ne devez pas l'oublier -- c'est un principe
fondamental de notre droit que tout accusé est présumé innocent.
Cette présomption vaut, elle vaut maintenant et vaudra jusqu'à ce
que vous soyez convaincus hors de tout doute raisonnable de la
culpabilité de l'accusé. Ce fardeau de preuve incombe au ministère
public tout au long du procès. L'accusé n'est pas tenu de montrer,
d'établir ou de prouver son innocence. Si le ministère public ne
prouve pas la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable,
vous devez acquitter l'accusé.
Que signifie doute raisonnable? Il n'y a pas de réponse simple à
cette question, si ce n'est de dire que l'expression se définit par
elle-même. C'est un doute fondé sur la raison par opposition à un
doute fondé sur l'imagination ou des suppositions. On peut
considérer qu'une preuve hors de tout doute raisonnable a été
apportée au procès lorsqu'il existe dans votre esprit la certitude

- 8 -
morale que l'accusé a commis l'infraction. Si, par exemple, vous
concluez que l'accusé a probablement commis l'infraction, sans plus,
alors vous avez un doute raisonnable et vous avez le devoir de
rendre un verdict de non-culpabilité.
Vous devez évaluer la crédibilité des témoins entendus au cours
du procès. C'est la question principale. Ce faisant, vous devriez
appliquer votre expérience personnelle et votre bon sens à la
question de la crédibilité. Vous pouvez croire la totalité de la
déposition d'un témoin, n'en croire qu'une partie ou n'en croire aucun
élément . . .
Il y a trois choses que je voudrais que vous gardiez à l'esprit,
tout en vous rappelant que l'accusé a témoigné: premièrement, si
vous croyez l'accusé, vous devez évidemment l'acquitter;
deuxièmement, si vous n'ajoutez pas foi au témoignage de l'accusé,
mais que ce témoignage vous laisse avec un doute raisonnable, vous
devez l'acquitter; en dernier lieu, si le témoignage de l'accusé ne
laisse pas de doute raisonnable dans votre esprit, vous devez vous
demander si, en raison des éléments de preuve que vous acceptez,
vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable de la culpabilité
de l'accusé.
. . .
Enfin, n'oubliez pas que l'accusé ne peut être reconnu coupable
d'une infraction que si vous êtes convaincus hors de tout doute
raisonnable qu'il est coupable de l'accusation portée contre lui.
. . .
. . . je dois vous rappeler de ne pas oublier mes directives relatives au
doute raisonnable. Le choix ne consiste pas à prendre parti pour l'un
ou l'autre. Vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable
que les incidents reprochés se sont vraiment produits . . . .
Je vous rappelle une dernière fois la question finale à laquelle vous
devez répondre. Si vous avez un doute raisonnable au sujet de la
culpabilité de l'accusé, vous devez lui accorder le bénéfice de ce doute
et le déclarer non coupable. Vous ne lui faites ainsi aucune faveur,
vous ne faites que votre devoir, que la loi vous impose. Par contre, si
vous n'avez aucun doute raisonnable au sujet de la culpabilité de
l'accusé, vous devez le déclarer coupable de l'accusation portée contre
lui, ce qui est aussi tout simplement votre devoir et la loi n'exige rien
de plus de vous.
Le jury s'est ensuite retiré pour délibérer. Après 11 minutes, la note suivante,
demandant des directives supplémentaires, a été transmise au juge:

- 9 -
[TRADUCTION] Au début de l'exposé du juge, définir le doute
raisonnable, définir la certitude morale, les lignes directrices
mentionnées au début de l'exposé.
En réponse, le juge a donné cet exposé supplémentaire, que je cite intégralement:
[TRADUCTION] Si vous me permettez de traiter d'abord le dernier
point, les lignes directrices mentionnées au début de mon exposé, je
vous ai demandé et je vous demande encore de trancher en vous
fondant sur les éléments de preuve présentés dans la salle d'audience
et rien d'autre. Nous avons des fonctions distinctes: les faits relèvent
de vous et le droit relève de moi. Vous avez le devoir d'évaluer la
preuve et de tirer vos propres conclusions quant à ce que vous croyez
et ce que vous ne croyez pas.
C'est un principe fondamental de notre droit que tout accusé est
présumé innocent, que cette présomption vaut jusqu'à ce que l'on
présente devant vous un ensemble d'éléments de preuve qui vous
convainquent hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de
l'accusé. Ce fardeau de preuve incombe au ministère public tout au
long du procès et ne passe à personne d'autre. L'accusé n'est pas tenu
de montrer, d'établir ou de prouver son innocence. Si le ministère
public ne prouve pas la culpabilité de l'accusé hors de tout doute
raisonnable, vous devez acquitter l'accusé.
Vous me demandez de définir le doute raisonnable et la certitude
morale. Vous estimerez peut-être que je vous aide moins à cet égard.
Voici ce que je vous ai dit: il n'y a pas de réponse simple à la question
de savoir ce qu'est un doute raisonnable, si ce n'est de dire que c'est une
expression qui se définit par elle-même parce que c'est un doute fondé
sur la raison, par opposition à un doute fondé sur l'imagination ou des
suppositions.
Je peux ajouter ceci dans l'espoir que cela puisse vous aider. Un
doute raisonnable peut naître de la preuve, de contradictions dans la
preuve ou de l'absence de preuve. Un doute raisonnable est un doute
fondé sur la raison. Ce n'est pas un doute imaginaire. Il est parfois
exprimé de cette façon en vue de véhiculer ce qu'il veut dire, il est
parfois décrit ainsi aux jurés. Si vous êtes moralement certains ou
estimez certain que l'accusé a commis les infractions, vous n'avez pas
un doute raisonnable. Si vous croyez que l'accusé est probablement ou
vraisemblablement coupable, mais que vous avez encore un doute
raisonnable, vous devez lui accorder le bénéfice de ce doute et rendre
un verdict de non-culpabilité. Par contre, vous ne devez pas fixer une
norme de certitude absolue à laquelle le ministère public doit satisfaire
pour prouver la culpabilité. Vous devez être convaincus hors de tout
doute raisonnable en ce qui concerne la culpabilité de l'accusé.

- 10 -
J'ajouterai la remarque suivante: il se peut que vous ayez de la
difficulté à décider quels témoins croire et quels témoins ne pas croire.
Vous devez savoir que la règle du doute raisonnable s'applique aussi à
la question de la crédibilité. Vous n'avez pas besoin de vous décider
définitivement sur la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins.
Vous n'avez pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un
témoin ou un certain nombre de témoins.
Après avoir examiné tous les éléments de preuve, il se peut que
vous ayez un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé est coupable
ou non coupable. Si vous êtes unanimes relativement à ce doute, vous
devez accorder le bénéfice de ce doute à l'accusé. [Je souligne.]
B.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique (1995), 37 C.R. (4th) 1
(i) L'opinion majoritaire
a) Le juge en chef McEachern (avec l'appui des juges Goldie et Rowles)
9
Le Juge en chef était convaincu que l'exposé supplémentaire n'allait pas jusqu'au
niveau de l'erreur donnant lieu à révision. Il a examiné les deux passages qui
auraient constitué une erreur:
Si vous croyez que l'accusé est probablement ou vraisemblablement
coupable, mais que vous avez encore un doute raisonnable, vous devez
lui accorder le bénéfice de ce doute et rendre un verdict de
non-culpabilité. [Je souligne.]
et
Après avoir examiné tous les éléments de preuve, il se peut que vous
ayez un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé est coupable ou
non coupable. Si vous êtes unanimes relativement à ce doute, vous
devez accorder le bénéfice de ce doute à l'accusé. [Je souligne.]

- 11 -
10
Le Juge en chef ne pensait pas que le premier passage, pris dans le contexte de
l'ensemble de l'exposé, aurait pu amener le jury à appliquer la mauvaise norme de
preuve. Il était également convaincu que le deuxième passage ne constituait pas
une erreur. Bien qu'il ait conclu que les mots «ou non coupable» n'étaient pas
nécessaires, il ne les estimait pas incorrects parce que le jury peut bien avoir eu un
doute quant à l'une ou l'autre possibilité. La deuxième phrase du deuxième passage
contesté lui a créé plus de difficultés. Elle contenait une erreur manifeste, sans
aucun doute un lapsus du juge, puisque ce juge expérimenté savait qu'il n'était pas
nécessaire que le jury soit unanime sur quelque doute que ce soit. Cependant, il
a trouvé significatif que le juge du procès ait dit au jury à plusieurs reprises qu'il
fallait accorder le bénéfice du doute à l'appelant et qu'il n'a jamais été dit au jury
qu'il ne pouvait acquitter l'appelant que s'il était unanime. De plus, dans plusieurs
passages, le juge du procès a donné au jury des directives adéquates sur la norme
de preuve appropriée. Le Juge en chef estimait également que cette directive
particulière était encore favorable en général à l'appelant parce qu'elle rappelait au
jury que l'appelant avait droit au bénéfice du doute. Le juge en chef McEachern
a donc conclu que le jury n'aurait pas été induit en erreur par cette directive
malencontreuse. Il a estimé probable que le jury, plutôt que d'analyser
minutieusement la phrase, l'aurait considérée comme un rappel que le doute
bénéficie toujours à l'appelant.
b) Le juge Gibbs (souscrivant aux motifs du juge en chef McEachern
quant au résultat)
11
En interprétant l'exposé dans son ensemble, le juge Gibbs a conclu que l'appelant
ne pouvait pas avoir gain de cause, sauf peut-être sur un seul point. Il s'agissait des
trois mots «ou non coupable» au dernier paragraphe de l'exposé supplémentaire:

- 12 -
Après avoir examiné tous les éléments de preuve, il se peut que
vous ayez un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé est coupable
ou non coupable. Si vous êtes unanimes relativement à ce doute, vous
devez accorder le bénéfice de ce doute à l'accusé. [Je souligne.]
12
Le juge Gibbs a noté qu'il ne faisait aucun doute qu'une directive selon laquelle un
jury pourrait fonder son verdict sur un doute raisonnable que l'accusé n'était pas
coupable était erronée. Il a conclu que cette erreur entrait dans la catégorie des
lapsus qui n'auraient pas induit le jury en erreur. Selon lui, le juge du procès a
commencé l'exposé en expliquant correctement qu'une personne était présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit prouvée hors de tout doute raisonnable
et qu'un accusé n'était pas tenu de prouver son innocence, et a terminé l'exposé en
rappelant que le ministère public doit prouver tous les éléments de l'infraction hors
de tout doute raisonnable. Le juge Gibbs était également d'avis que la demande du
jury qui a abouti à l'exposé supplémentaire n'était pas une question relative au
fardeau de preuve ou à la présomption d'innocence mais plutôt une demande
d'explication supplémentaire au sujet des concepts du doute raisonnable et de la
certitude morale. Par conséquent, il n'était pas persuadé, compte tenu de
l'ensemble de l'exposé, que le jury aurait vraisemblablement été induit en erreur
par la malencontreuse déclaration inexacte. Il était convaincu qu'il s'agissait
simplement d'un lapsus du juge.
(ii) La dissidence
13
Le juge Wood a estimé qu'il y avait une erreur donnant lieu à révision dans les
passages soulignés du dernier paragraphe de l'exposé supplémentaire:

- 13 -
Après avoir examiné tous les éléments de preuve, il se peut que
vous ayez un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé est coupable
ou non coupable. Si vous êtes unanimes relativement à ce doute, vous
devez accorder le bénéfice de ce doute à l'accusé. [Je souligne.]
14
Le juge Wood était d'avis que l'application de l'analyse du doute raisonnable à
l'innocence de l'accusé s'écartait du principe de justice fondamentale qui exigeait
la présomption d'innocence comme point de départ de toute enquête au sujet de la
culpabilité. En outre, il a déclaré que c'était au sujet du verdict, et non pas au sujet
du doute raisonnable, que le jury devait être unanime. Il a conclu que le fait
d'exiger que le jury soit unanimement d'accord sur ce qui l'amenait à conclure qu'il
existait un doute raisonnable quant à la culpabilité était non seulement erroné sur
le plan du droit mais avait également pour effet d'imposer à l'accusé une charge de
persuasion. Comme ces deux erreurs entraient dans les directives finales au jury,
elles ont entaché les verdicts.
15
Le juge Wood a également trouvé une erreur donnant lieu à révision dans la partie
suivante de l'exposé supplémentaire aux jurés: «si vous croyez que l'accusé est
probablement ou vraisemblablement coupable, mais que vous avez encore un doute
raisonnable» (je souligne). Il dit ceci à la p. 18:
[TRADUCTION] Cette directive renforce la possibilité de confusion
découlant des autres erreurs déjà mentionnées et augmente le risque
que le jury ait été amené à appliquer la mauvaise norme de preuve en
l'espèce. À cet égard, je suis d'accord avec les courts motifs manuscrits
de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Ford, critiquant une forme
semblable de directive dans les termes suivants:
. . . [cela] pourrait laisser supposer que, même s'ils ne sont pas allés
au-delà de la pensée que l'accusé était probablement coupable,
néanmoins celui-ci pourrait être déclaré coupable.

- 14 -
IV.
Analyse
(i)
L'importance des questions du jury
16
Notre Cour a souligné à plusieurs reprises qu'il était important de répondre aux
questions du jury de façon soignée, complète et correcte: voir R. c. W. (D.), [1991]
1 R.C.S. 742; R. c. Naglik, [1993] 3 R.C.S. 122; R. c. Pétel, [1994] 1 R.C.S. 3; et
R. c. S. (W.D.), [1994] 3 R.C.S. 521. Dans Naglik, j'ai déclaré, au nom de la
majorité, à la p. 139:
Les réponses aux questions du jury revêtent une importance capitale,
et leur effet dépasse de loin celui des directives principales. Si le jury
pose une question concernant un point traité dans celles-ci, il est
évident que les jurés n'ont pas compris ou qu'ils ont oublié cette partie
des directives principales. Il est évident aussi qu'ils doivent compter
exclusivement sur la réponse donnée par le juge du procès pour dissiper
toute confusion ou régler tout débat sur ce point qui ont pu survenir
jusque-là au cours de leurs délibérations.
17
En l'espèce, le jury, après avoir délibéré 11 minutes, a fait parvenir une note au
juge du procès pour lui demander de définir de nouveau les concepts du doute
raisonnable et de la certitude morale. Le jury a également demandé au juge de
répéter les directives qu'il lui avait données avant de passer en revue la preuve,
directives qui traitaient de la présomption d'innocence et du fardeau de preuve. Je
considère donc comme implicite dans la question du jury qu'il sollicitait également
des directives supplémentaires sur la façon d'appliquer le concept du doute
raisonnable à la preuve.

- 15 -
(ii)
Quand les directives du juge du procès sur le fardeau de la preuve
équivaudront-elles à une erreur donnant lieu à révision?
18
Compte tenu de l'importance du filtre du fardeau de la preuve et du doute
raisonnable pour l'intégrité et la solidité d'un verdict et pour l'équité du procès de
l'accusé, et compte tenu aussi de l'importance du fait, souligné par le juge Wood
à la p. 10, que:
[TRADUCTION] . . . l'application à la preuve du droit relatif au fardeau de
la preuve dans une affaire criminelle peut créer de grandes difficultés,
particulièrement au jury composé de profanes qui s'acquittent de cette
tâche pour la première et peut-être la seule fois de leur vie.
les directives du juge du procès doivent être soignées, lucides et scrupuleusement
exactes.
19
Pour déterminer si l'exposé supplémentaire du juge du procès (ou dans certains cas,
l'exposé principal) concernant le fardeau de la preuve comporte une erreur donnant
lieu à révision, le tribunal doit se demander:
(i) si la directive contestée n'est pas compatible avec ce qui a été dit
dans l'exposé initial ou est simplement erronée en soi; et
(ii) si, après avoir replacé l'incohérence ou l'erreur dans le contexte de
l'exposé dans son ensemble, il y a une possibilité raisonnable que
le jury ait été induit en erreur par ces directives au point d'avoir
appliqué une norme de preuve inférieure à celle de la preuve hors
de tout doute raisonnable ou d'avoir appliqué incorrectement la

- 16 -
norme du fardeau de la preuve ou du doute raisonnable pour
aboutir au verdict.
J'estime qu'il existe un risque plus grand que le jury puisse être induit en erreur
lorsque des directives erronées figurent dans un exposé supplémentaire qui faisait
suite à une question du jury concernant la charge de la preuve ou le doute
raisonnable.
(iii)
L'exposé supplémentaire en l'espèce comportait-il à une erreur donnant
lieu à révision?
20
L'appelant se plaint de trois passages de l'exposé supplémentaire du juge du procès
au jury sur le sens et l'application du doute raisonnable:
a) «si vous croyez que l'accusé est probablement ou
vraisemblablement coupable, mais que vous avez encore un doute
raisonnable, vous devez lui accorder le bénéfice de ce doute»
21
Ce passage de l'exposé supplémentaire est compatible avec l'exposé principal dans
lequel il a été dit au jury, bien que plus clairement:
Si, par exemple, vous concluez que l'accusé a probablement commis
l'infraction, sans plus, alors vous avez un doute raisonnable et vous
avez le devoir de rendre un verdict de non-culpabilité. [Je souligne.]
Bien qu'il eût été préférable que le juge du procès ait dit «même si vous croyez»
plutôt que «si vous croyez», et utilisé «donc» ou «ainsi» au lieu de «mais» dans
son exposé supplémentaire, je suis d'accord avec l'opinion majoritaire de la Cour

- 17 -
d'appel de la Colombie-Britannique pour dire que, lu dans le contexte de l'exposé
dans son ensemble, le passage n'aurait pas pu induire le jury en erreur au point de
lui faire appliquer une norme de preuve inférieure à la norme de preuve requise
hors de tout doute raisonnable.
22
Je tiens à ajouter que, à mon avis, le fait de dire à un jury que la preuve hors de
tout doute raisonnable n'est pas atteinte si les jurés peuvent seulement conclure que
l'accusé est «probablement» ou «vraisemblablement» coupable est une façon assez
efficace de communiquer le sens d'un concept aussi difficile à saisir.
b) «après avoir examiné tous les éléments de preuve, il se peut que
vous ayez un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé est
coupable ou non coupable»
23
J'estime que ce passage de l'exposé supplémentaire, bien que techniquement
correct, pouvait être déroutant pour le jury, même si on adhère à cette réflexion du
juge Cory dans W. (D.), précité, à la p. 761, selon laquelle «[d]e nos jours, les jurés
sont intelligents et consciencieux et ils veulent remplir leur devoir de jurés du
mieux qu'ils peuvent». Toutefois, cela ne suffirait pas en soi pour ordonner la
tenue d'un nouveau procès.
c) «si vous êtes unanimes relativement à ce doute, vous devez
accorder le bénéfice de ce doute à l'accusé»
24
Je considère que ce passage contesté est beaucoup plus troublant que les passages
traités précédemment. Dire à un jury qu'il doit être unanime dans son doute avant

- 18 -
de pouvoir acquitter l'accusé est manifestement une erreur. C'est incompatible
avec l'arrêt de notre Cour R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652, qui a conclu que,
bien que le verdict d'un jury doive être unanime, les jurés pourraient arriver à ce
verdict en empruntant des voies différentes. Cette directive viciait toutes les
directives données auparavant par le juge du procès sur le doute raisonnable.
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À mon avis, il existe une possibilité raisonnable que cette directive erronée du
juge du procès, jointe à la directive précédente, ait induit le jury en erreur au point
de lui faire appliquer incorrectement la norme du doute raisonnable pour aboutir
au verdict. Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un
nouveau procès relativement aux cinq chefs d'accusation.
Pourvoi accueilli, la tenue d'un nouveau procès est ordonnée.
Procureurs de l'appelant: Peck Tammen Bennett, Vancouver.
Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Vancouver.