R. c. Gallagher, [1993] 2 R.C.S. 861
Robert Gallagher
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
Répertorié: R. c. Gallagher
No du greffe: 22966.
1993: 1 er mars; 1993: 12 août.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest,
Sopinka, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit constitutionnel -- Droit d'être jugé dans un
délai raisonnable -- Arrêt des procédures accordé, puis
annulé en appel -- Le délai antérieur au procès était-il
déraisonnable? -- Le délai antérieur, conjugué au délai
d'appel, viole-t-il le droit garanti par la Charte d'être
jugé dans un délai raisonnable? -- Charte canadienne des
droits et libertés, art. 7, 11b).
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L'appelant a été accusé d'avoir agressé
sexuellement une enfant et, quelque 21 mois plus tard, à
la suite de différentes requêtes et d'une enquête
préliminaire, il a été renvoyé à son procès. Il a demandé
avec succès l'arrêt des procédures engagées contre lui,
en faisant valoir qu'il y avait eu violation du droit
d'être jugé dans un délai raisonnable, que lui
garantissait l'al. 11 b) de la Charte . Presque 14 mois
plus tard, la Cour d'appel a annulé l'arrêt des procédures
et ordonné que l'appelant subisse son procès. En
l'espèce, il s'agit de savoir si le délai antérieur au
procès était déraisonnable et, même s'il ne l'était pas,
si le délai d'appel, pris conjointement avec le délai
antérieur au procès, contrevenait à la Charte .
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
Les juges Sopinka, Cory et Iacobucci: Le délai
écoulé entre le dépôt de l'accusation et l'arrêt des
procédures n'était pas déraisonnable. Quant au délai
d'appel, l'al. 11 b) de la Charte ne s'applique pas pour
les motifs exposés dans l'arrêt
R. c. Potvin , mais une
réparation peut être demandée en vertu de l'art. 7. Le
délai n'était pas déraisonnable et n'a causé aucun
préjudice réel. On n'a établi l'existence d'aucune
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injustice susceptible de déclencher l'application de
l'art. 7.
Le juge en chef Lamer et les juges McLachlin et
Major: Même si, pour les motifs exposés dans l'arrêt
R.
c. Potvin, le délai écoulé en l'espèce doit faire l'objet
d'un examen fondé sur l'al. 11 b) de la Charte , ce délai
n'était pas déraisonnable et n'a causé aucun préjudice
réel. Le délai institutionnel engendré par le grand
nombre d'appels interjetés à la suite de l'arrêt
R. c.
Askov était anormal et inévitable. L'appelant n'a
démontré l'existence d'aucun préjudice et il est demeuré
libre tout au long des procédures.
Le juge La Forest: Le délai écoulé en l'espèce
n'était pas déraisonnable. Une analyse de l'interaction
de l'art. 7 et de l'al. 11 b) de la Charte est faite dans
l'arrêt R. c. Potvin .
Jurisprudence
Citée par le juge Sopinka
Arrêt appliqué: R. c. Potvin , [1993] 2 R.C.S.
000; arrêts mentionnés : R. c. Askov , [1990] 2 R.C.S.
1199; R. c. Morin , [1992] 1 R.C.S. 771.
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Citée par le juge McLachlin
Arrêt appliqué: R. c. Potvin , [1993] 2 R.C.S.
000; arrêt mentionné: R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199.
Citée par le juge La Forest
Arrêt mentionné: R. c. Potvin , [1993] 2 R.C.S.
000.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 7, 11 b).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de
l'Ontario qui a accueilli l'appel interjeté contre un
jugement du juge Taliano, et annulé un arrêt des
procédures. Pourvoi rejeté.
James C. Fleming , pour l'appelant.
David Butt et Eric Siebenmorgen , pour l'intimée.
//Le juge McLachlin //
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Version française des motifs du juge en chef Lamer
et des juges McLachlin et Major rendus par
LE JUGE MCLACHLIN -- Pour les motifs exposés dans
l'arrêt R. c. Potvin
, [1993] 2 R.C.S. 000, rendu
simultanément, je suis d'avis que tout le délai écoulé en
l'espèce doit faire l'objet d'un examen fondé sur
l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Recourant aux principes applicables en vertu de l'al.
11b), j'estime que le délai n'était pas déraisonnable et
n'a causé aucun préjudice réel.
Le 25 avril 1989, l'appelant a été accusé d'avoir
agressé sexuellement une enfant. À la suite de
différentes requêtes et d'une enquête préliminaire, il a
été renvoyé à son procès dont la date a été fixée au
28 janvier 1991. L'appelant a estimé qu'il y avait eu
violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable,
que lui garantit la Charte , et il a demandé l'arrêt des
procédures engagées contre lui. Il a eu gain de cause en
première instance. Le ministère public a interjeté appel
et, le 25 mars 1992, la Cour d'appel a annulé l'arrêt des
procédures et ordonné que l'appelant subisse son procès.
L'appelant se pourvoit maintenant devant notre Cour. Il
soutient que la Cour d'appel a commis une erreur en
annulant l'arrêt des procédures en raison du délai
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antérieur au procès. En outre, il invoque un nouveau
moyen. Il affirme que même si la Cour d'appel avait
raison sur la question du délai antérieur au procès, le
délai imputable à l'appel, pris conjointement avec le
délai antérieur, a de toute évidence violé les droits que
lui garantit la Charte .
En l'espèce, il s'est écoulé 21 mois entre le
dépôt de l'accusation et l'arrêt des procédures. Cet
intervalle est suffisant pour justifier un examen du
délai. Le délai ne peut être imputé au ministère public.
Il a été causé en partie par les exigences inhérentes de
l'affaire et, dans une large mesure, par les requêtes de
l'appelant visant à contre-interroger la plaignante sur
d'autres incidents et à transformer le procès en une
enquête préliminaire. L'appelant n'a présenté aucune
preuve que le délai lui a causé un préjudice. On peut
présumer qu'un certain préjudice a résulté du fait qu'il
a subi l'opprobre lié aux poursuites dont il faisait
l'objet au cours de cette période. Par ailleurs, le jour
où il a été accusé, l'appelant a été libéré en échange
d'une promesse de comparaître. Bref, le délai n'était pas
déraisonnable étant donné qu'il n'était pas démesuré et
que le préjudice subi n'était pas grave.
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Reste le délai postérieur à l'arrêt des
procédures. Il s'est écoulé 16 mois entre l'arrêt des
procédures et la décision de la Cour d'appel. Il n'y a
aucune preuve que tout délai écoulé ait été déraisonnable.
L'avis d'appel a été déposé dans le délai prescrit. Le
ministère public a alors examiné l'affaire afin de
déterminer s'il fallait poursuivre l'appel. Le grand
nombre d'appels interjetés à la suite de l'arrêt
R. c.
Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199
, a engendré un délai
institutionnel anormal. Cela était regrettable mais, dans
une large mesure, inévitable. Il a fallu plusieurs mois
pour compiler les transcriptions nécessaires, un laps de
temps qui ne peut, compte tenu de toutes les
circonstances, être jugé beaucoup trop long. Par
ailleurs, l'appelant n'a subi aucun autre préjudice que
celui qui, doit-on présumer, découle du stress lié aux
procédures en cours et à la possibilité qu'elles soient
annulées. L'appelant est demeuré libre tout au long des
procédures et il n'a subi aucune atteinte à sa liberté.
L'ensemble de ces facteurs ne permet pas d'établir que le
délai était déraisonnable.
Compte tenu des raisons du délai antérieur et
postérieur à l'arrêt des procédures et de l'importance du
préjudice subi, on ne peut affirmer que le délai écoulé
en l'espèce était déraisonnable.
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Dispositif
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de
confirmer l'ordonnance enjoignant de poursuivre le procès.
//Le juge La Forest //
Version française des motifs rendus par
LE JUGE LA FOREST -- À l'instar de mes collègues, je
ne crois pas que le délai écoulé en l'espèce était
déraisonnable et je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi
et de confirmer l'ordonnance enjoignant de poursuivre le
procès. Dans les motifs que j'ai rédigés dans l'arrêt R.
c. Potvin , [1993] 2 R.C.S. 000, j'ai exposé mon point de
vue sur l'interaction de l'art. 7 et de l'al. 11 b) de la
Charte canadienne des droits et libertés .
//Le juge Sopinka //
Version française du jugement des juges Sopinka,
Cory et Iacobucci rendu par
LE JUGE SOPINKA -- J'ai lu les motifs de jugement
que ma collègue le juge McLachlin a rédigés en l'espèce.
Je suis d'accord avec le juge McLachlin pour dire que,
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compte tenu des facteurs pertinents qui doivent être
considérés d'après les arrêts R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S.
1199, et R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771
, le délai écoulé
entre le dépôt de l'accusation et l'arrêt des procédures
n'était pas déraisonnable.
Quant au délai d'appel, l'al. 11
b) de la Charte
canadienne des droits et libertés ne s'applique pas pour
les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt
R. c. Potvin ,
[1993] 2 R.C.S. 000. Une réparation peut cependant être
demandée en vertu de l'art. 7 de la Charte . À cet égard,
je suis d'accord avec la conclusion du juge McLachlin que
le délai n'était pas déraisonnable et n'a causé aucun
préjudice réel. Dans les circonstances, on n'a établi
l'existence d'aucune injustice susceptible de déclencher
l'application de l'art. 7.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant: Rosen, Fleming,
Toronto.
Procureur de l'intimée: Le procureur général de
l'Ontario, Toronto.
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