COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑09‑000510‑914
(200‑05‑000698‑907)
Le 20 mai 1992
CORAM: LES HONORABLES MAILHOT
TOURIGNY
BAUDOUIN, JJ.C.A.
JACQUES DUHAMEL,
APPELANT - (Demandeur)
c.
MICHEL RIVARD,
INTIMÉ - (Défendeur)
-et-
COMMUNAUTÉ URBAINE DE QUÉBEC,
MISE EN CAUSE
LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement interlocutoire rendu par la Cour supérieure (l'honorable Jacques Philippon, district de Québec) qui a, le 28 juin 1991, accueilli la requête en cassation de subpoena.
APRÈS étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exprimés aux opinions de madame la juge Louise Mailhot et de monsieur le juge Jean-Louis Baudouin, déposées avec le présent arrêt:
REJETTE le pourvoi, sans frais.
Madame la juge Christine Tourigny, pour les motifs exprimés à son opinion, également déposée avec le présent arrêt, aurait accueilli l'appel, avec dépens, et rejeté, avec dépens, la requête en cassation de subpoena.
LOUISE MAILHOT, J.C.A.
CHRISTINE TOURIGNY, J.C.A.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.
Me Guy Bertrand (Bertrand, Larochelle), avocat de l'appelant
Me Roger Pothier (Pothier, Bégin), avocat de l'intimé
Me Clément Samson (Jolicoeur, Lacasse), avocat de la mise en cause
Audition: le 5 novembre 1991.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑09‑000510‑914
(200‑05‑000698‑907)
CORAM: LES HONORABLES MAILHOT
TOURIGNY
BAUDOUIN, JJ.C.A.
JACQUES DUHAMEL,
APPELANT - (Demandeur)
c.
MICHEL RIVARD,
INTIMÉ - (Défendeur)
-et-
COMMUNAUTÉ URBAINE DE QUÉBEC,
MISE EN CAUSE
OPINION DE LA JUGE MAILHOT
Le pourvoi soulève la question suivante: Dans le cadre d'une action en déclaration d'inhabilité prise contre une personne, celle-ci est-elle contraignable en vertu du Code de procédure civile pour être interrogée après défense (art. 398 C.p.c.)?
Les faits
Le 25 janvier 1990, l'intimé Michel Rivard, président de la Communauté urbaine de Québec (C.U.Q.), fait parvenir à messieurs André Arthur et Clément Tardif ainsi qu'à Les Entreprises de Radiodiffusion de la Capitale Inc., une mise en demeure les sommant de lui verser 200 000 $ pour atteinte à sa réputation. Il exige également que lui soient présentées des excuses publiques. Cette mise en demeure faisait suite à plusieurs commentaires désobligeants prononcés à son égard, par André Arthur et Clément Tardif, sur les ondes de la station radiophonique C.H.R.C.
Le 2 mars 1990, l'appelant Jacques Duhamel, président de C.H.R.C. et électeur dans une des municipalités de la C.U.Q., intente une action en déclaration d'inhabilité contre Michel Rivard pour avoir notamment omis de divulguer cet intérêt pécuniaire et avoir ainsi participé à un vote ou avoir tenté d'influencer le vote pris par le comité exécutif de la C.U.Q., concernant l'intervention de cet organisme devant le C.R.T.C. à l'encontre du renouvellement de la licence de C.H.R.C. Cette action repose sur les dispositions suivantes:
1. Les articles 6.3.5 et 6.3.9 de la Loi sur la Communauté urbaine de Québec (L.C.U.Q.)[1]:
6.3.5. Le président du comité exécutif qui est présent à une séance au moment où doit être prise en considération une question dans laquelle il a directement ou indirectement un intérêt pécuniaire particulier doit divulguer la nature générale de cet intérêt avant le début des délibérations sur cette question et s'abstenir de participer à celles-ci et de voter ou de tenter d'influencer le vote sur cette question.
Le premier alinéa s'applique également lors d'une séance de tout conseil, comité ou commission dont le président fait partie au sein de la Communauté ou d'un organisme municipal.
Dans le cas où la séance n'est pas publique, le président doit, outre les obligations imposées par le premier alinéa, quitter la séance après avoir divulgué la nature générale de son intérêt, pendant toute la durée des délibérations et du vote sur la question.
Lorsque la question est prise en considération lors d'une séance à laquelle le président n'est pas présent, il doit divulguer la nature générale de son intérêt dès la première séance suivante à laquelle il est présent.
6.3.9. L'inhabilité du président peut notamment être déclarée au moyen de l'action en déclaration d'inhabilité prévue par la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.R.Q. chap. E-2.2) qui s'applique alors compte tenu des adaptations nécessaires.
2. L'article 306 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.E.R.M.)[2]:
306. Est inhabile à exercer la fonction de membre du conseil de toute municipalité la personne qui sciemment, pendant la durée de son mandat de membre du conseil d'une municipalité ou de membre d'un organisme municipal, profite de son poste pour commettre une malversation, un abus de confiance ou une autre inconduite.
L'inhabilité subsiste jusqu'à l'expiration d'une période de cinq ans après le jour où le jugement qui déclare la personne inhabile est passé en force de chose jugée, à moins que le jugement ne fixe une période plus courte.
L'intimé Rivard a comparu et déposé un plaidoyer volumineux à la fin de novembre 1990. Il a inscrit ensuite la cause pour audition au mérite le 8 janvier 1991, ses avocats préparant la déclaration en vertu de l'article 15 des règles de pratique. Le 30 janvier 1991, les avocats de Rivard présentent au juge en chef associé une requête pour fixation d'une date d'audition qui est rejetée au motif que "le certificat d'état de cause n'est pas au dossier".
Le 18 février 1991, deuxième requête pour obtenir une date d'audition présentable devant le juge en chef associé le 20 février, appuyée de l'affidavit de Michel Rivard. On y allègue que la poursuite en déclaration d'inhabilité est de nature pénale, que le défendeur a droit à ce que son procès soit instruit rapidement, que l'article 310 de L.E.R.M. prévoit que l'action est instruite et jugée d'urgence, que les règles de pratique en matière civile ne s'appliquent pas et que, selon lui, le demandeur Duhamel utilise tous les moyens procéduraux pour retarder l'audition de l'action "qui présente un caractère frivole, abusif, malicieux et diffamatoire".
Le 19 février 1991, les avocats de Duhamel envoient à Rivard une assignation pour un interrogatoire selon l'article 93 C.p.c. sur son affidavit.
Le 20 février 1991, le juge en chef associé rejette la deuxième requête pour audition, déclarant que le Code de procédure civile s'applique et qu'il y a chose jugée sur la question du certificat d'état de cause, vu son jugement du 30 janvier 1991.
Le 21 février 1991, les avocats de Duhamel assignent à nouveau Rivard, cette fois pour être interrogé après défense en vertu de l'article 398 C.p.c. Rivard réplique par une requête en cassation de subpoena (art. 20 C.p.c.), alléguant qu'il ne pouvait faire l'objet d'un tel interrogatoire puisqu'il s'agit d'une action pénale, que le recours faisant de lui un accusé, il doit alors bénéficier de la protection de non-contraignabilité offerte par l'article 11 c) de la Charte canadienne des droits et libertés et par l'article 33.1 de la Charte québécoise[3].
Le 28 juin 1991, le juge Jacques Philippon accueille la requête et casse le subpoena. D'où le pourvoi.
Pour l'appelant, le recours est exercé par action devant la Cour supérieure et cette action est régie par le Code de procédure civile (art. 310 de la L.E.R.M.) et la sanction est l'inhabilité pour une période de cinq ans (art. 6.3.8. de la L.C.U.Q.). Cette action se distingue des recours pénaux clairement identifiés dans la L.C.U.Q..
L'appelant soutient qu'il faut faire la différence entre la loi actuelle sur les élections et l'ancienne loi qui régissait le recours en déclaration d'inhabilité, soit la Loi sur la fraude et la corruption dans les affaires municipales, (L.F.C.A.M.) qui fut abrogée en 1987[4] et remplacée par la L.E.R.M. L'article 25 y prévoyait:
Toute poursuite instituée en vertu des dispositions de la présente loi est exercée par action pénale intentée devant la Cour supérieure, et doit être instruite et jugée d'urgence conformément au Code de procédure civile.
Cette poursuite ne peut être intentée que par un électeur de la municipalité intéressée ou par le Procureur général.
En outre, l'ensemble de cette ancienne loi démontrait clairement le caractère pénal des recours qui en découlaient, d'abord par le titre et ensuite par le vocabulaire utilisé: "amende", "emprisonnement" (art. 2), "sciemment" (art. 4), "enquête - malversation" (art. 9), "partie incriminée" - "accusation" (art. 12), "toute personne accusée" (art. 22).
La jurisprudence d'alors qualifiait l'inhabilité de pénalité, mais serait inapplicable à l'espèce, la loi actuelle faisant la part entre l'aspect pénal dans des dispositions pénales et les motifs d'inhabilité par l'action en déclaration d'inhabilité dans les dispositions précitées.
Au surplus, l'appelant prétend que l'intimé est forclos d'invoquer le droit au silence parce qu'il a: i) déposé une comparution, ii) déposé un plaidoyer de 35 pages et iii) présenté plusieurs requêtes basées sur le Code de procédure civile.
Comme dernier argument, l'appelant soutient que Rivard recherche des conclusions constitutionnelles dans sa requête en cassation du subpoena et que le jugement ayant fait droit à cette requête, "se trouve pour ainsi dire à déclarer inopérantes, inconstitutionnelles et/ou inapplicables les dispositions du Code de procédure civile prévoyant l'interrogatoire d'un défendeur dans une action en déclaration d'inhabilité parce que contraire aux chartes". Le Procureur général du Québec n'ayant pas été mis en cause, le juge de première instance n'aurait pu se prononcer sur ces questions.
Pour sa part, l'intimé, reprenant les motifs du jugement de première instance, invoque la nature pénale de l'action, le caractère pénal d'une déclaration d'inhabilité parce, qu'entre autres, la notion d'intention coupable et le mot "sciemment" n'ont pas été retirés de la L.E.R.M. (art. 304, 306).
L'action en déclaration d'inhabilité concerne l'exercice de fonctions publiques et le fait que le Procureur général et une municipalité puissent intenter le recours, confirme son caractère public (art. 308 L.E.R.M.).
L'objet de la loi étant la sanction de certaines infractions, il s'agit de dispositions pénales puisque leur objet est d'imposer des pénalités pour la commission de telles infractions et, plaide l'intimé, l'appelant lui-même amplifie le caractère pénal de son recours lorsque dans son action, il qualifie la malversation "d'intentionnelle", l'abus de confiance "d'inacceptable", l'inconduite de "majeure" et le conflit d'intérêt de "flagrant". L'appelant veut non seulement faire imposer à l'intimé une pénalité très sévère, mais il lui reproche des actes graves portant des imputations de malhonnêteté.
Ainsi, par sa nature même, la présente affaire relèverait de l'article 11 de la Charte canadienne puisque les dispositions concernées visent à promouvoir l'ordre public en sanctionnant la malhonnêteté dans une sphère d'activité publique, à savoir le monde municipal. Le droit de garder le silence reconnu à un accusé n'entrave pas pour autant son droit à une défense pleine et entière. Et l'intimé Rivard d'ajouter qu'il peut très bien plaider par écrit, sans pour autant renoncer à son droit de ne pas témoigner contre lui-même, car un accusé devrait pouvoir conserver le droit de mener sa défense comme il l'entend.
En dernier lieu, l'intimé tente de réconcilier la procédure civile et les principes fondamentaux du droit pénal en disant que l'article 25 de la L.F.C.A.M. créait un régime hybride où le droit pénal et la procédure civile se juxtaposaient et que maintenant la L.E.R.M. a unifié le droit et intégré, en toute connaissance de cause, les divers recours pénaux en disqualification pour créer un recours à toutes fins pratiques identique à l'ancien - l'actuelle action en déclaration d'inhabilité - qui, même si régi par le Code de procédure civile, demeure par nature un recours pénal.
.-.-.-.-.-.
Le juge de première instance, en déclarant que le recours est un recours de nature pénale, s'appuie sur des arrêts de notre Cour qui ont déclaré que la Loi sur la fraude municipale est une loi pénale d'une grande rigueur: Jean Di Zazzo c. Cité de Saint-Léonard, [1976] R.J.Q. 509; Roy c. Mailloux et Corporation St-Honoré, [1966] B.R. 468, 472 et 473. Il cite aussi ce passage du juge Rivard dans l'affaire de la Corporation St-Honoré:
La loi sur la fraude municipale crée des infractions auxquelles elle attache des peines qui doivent être prononcées contre des personnes qui sous l'autorité du Code municipal pourraient avoir le droit d'occuper leurs charges.
Puis, le juge de première instance continue:
La déclaration d'inhabilité à remplir une charge municipale est une conséquence grave des actes reprochés, comme l'ont reconnu les Tribunaux, tant sous le Code municipal que sous une autre loi applicable aux élus municipaux. Citons en ce même sens l'opinion du juge Nichols dans une affaire où la Cour d'appel a cassé un jugement de la Cour supérieure qui avait accueilli une requête en quo warranto parce que l'intention coupable exigée par l'usage du mot sciemment n'avait pas été prouvée. Voici ce qu'il écrit sur le caractère de l'inhabilité dans Néron c. Bilodeau, [1988] R.J.Q. 2366, à la page 2372:
Une déclaration d'inhabilité à remplir une charge municipale pour une période de deux ans contre une personne qui remplit par ailleurs toutes les conditions d'éligibilité se traduit par la perte de droits politiques.
Lorsqu'on prive un citoyen de son droit d'être élu à une charge municipale, on le dépouille d'une faculté que la loi lui reconnaît, on le prive de l'exercice d'un droit qui est à la base même du système démocratique dans lequel nous vivons.
...
Par sa nature même, une déclaration d'inhabilité contre une personne légalement habilitée et qualifiée revêt un caractère pénal.
C'est donc à bon droit que le premier juge, selon moi, assimile pareille sanction aux sanctions que l'on impose pour infractions contre le bien-être public.
(Je souligne)
Ainsi, le juge de première instance conclut-il que Rivard "a droit aux protections offertes par les Chartes canadienne et québécoise et qu'il ne peut être tenu de témoigner considérant ce qui précède, et notamment qu'il s'agit de l'application d'une loi destinée à protéger l'intérêt public qui exige la preuve de la mens rea faite devant une Cour d'archives et que cette preuve est susceptible d'entraîner une peine qui consiste dans la privation de l'exercice pendant cinq ans de droits politiques fondamentaux."
Dans l'arrêt Labrosse c. Ville de Montréal-Est[5], notre Cour statuait que les recours prévus par la Loi sur la fraude et la corruption dans les affaires municipales avaient un caractère pénal, rappelant le même énoncé fait plus tôt par notre Cour dans Cité de Saint-Léonard c. Di Zazzo[6]. L'arrêt portait sur un appel formé en vertu de cette loi, à la suite d'une enquête tenue devant la Cour supérieure pour contravention à l'article 9 de la L.F.C.A.M. parce que le maire avait ordonné, sans résolution ni autorisation du conseil, l'exécution de certains travaux de remplissage. Toute l'analyse faite dans cet arrêt porte sur l'interprétation à donner à l'article 9 de cette loi et sur l'objet poursuivi par cette loi:
[...] De plus, bien que l'on doive utiliser avec prudence le titre même d'une loi dans son interprétation, celui-ci comprend des éléments qui témoignent en eux-mêmes de l'intention législative. Il s'agit de réprimer la corruption municipale et non pas la mauvaise administration ou l'irrégularité administrative. [...]
[...]
D'autres dispositions législatives comme celles de la Loi sur la commission municipale ou de la Loi sur les cités et villes ont pour fonction de contrôler la régularité de l'action administrative et d'en sanctionner les illégalités, s'il en est. L'objet spécifique de la Loi sur la fraude et la corruption dans les affaires municipales paraît être d'assurer l'honnêteté de la gestion plutôt que sa compétence ou sa légalité. À cet égard, on ne retrouve pas dans le comportement de l'appelant, pour irrégulières et injustifiées qu'aient été ces décisions, cet élément de malhonnêteté ou de vénalité que l'article 9 de la Loi sur la fraude et la corruption dans les affaires municipales veut prévenir ou punir le cas échéant. Dans le cadre d'un tel recours, la Cour supérieure ne pouvait faire droit à la demande de disqualification et conclure qu'il y avait eu inconduite. (P. 235)
Le recours prévu par la L.F.C.A.M. était soit une enquête sur les affaires municipales conduite devant un juge de la Cour supérieure (art. 10, 11 et 13) avec un appel possible devant la Cour d'appel (art. 14), soit une poursuite par action pénale devant la Cour supérieure (art. 25), laquelle devait être instruite et jugée d'urgence conformément au Code de procédure civile.
En 1987, suite à une refonte majeure de toutes les dispositions législatives en matière municipale, le législateur édicte la L.E.R.M.. Cette loi, son nom l'indique, vise à réglementer dans un seul texte législatif toutes les questions relatives aux élections ou référendums municipaux, incluant les questions de conflits d'intérêt, motifs d'inhabilité et les infractions. Ainsi, la L.E.R.M. distingue (1) l'action en déclaration d'inhabilité intentée devant la Cour supérieure, par action, dans un délai précis (Titre I - chap. IX) et (2) les infractions et les peines prévues aux articles 586 ss. (Titre IV - ch. I) qui sont régies par la Loi sur les poursuites sommaires (maintenant Code de procédure pénale).
Les motifs d'inhabilité ne sont pas au nombre des infractions énumérées au titre IV et les peines (amendes) prévues ne s'appliquent qu'aux articles 586 ss. Aucune autre sanction n'est prévue pour l'un des motifs d'inhabilité que l'inhabilité.
L'article 310 précise en outre que l'action en déclaration d'inhabilité est régie par le Code de procédure civile, mais instruite et jugée d'urgence.
La Cour suprême dans l'arrêt Wigglesworth[7] énonce deux critères pour que l'article 11 de la Charte trouve application soit qu'il y ait (i) infraction à caractère pénal de par sa nature même et (ii) entraînant une véritable conséquence pénale. C'est ce qui découle du passage suivant de l'opinion de la juge Wilson:
[...] J'estime, pour ce motif, qu'il est préférable de restreindre l'art. 11 aux plus graves infractions que nous connaissons dans notre droit, c.-à-d. les affaires criminelles et pénales, et de laisser les autres «infractions» relever du critère plus souple de la «justice fondamentale» énoncé à l'art. 7.
Bien qu'il soit facile de dire que ceux qui sont impliqués dans une affaire criminelle ou pénale doivent jouir des droits que garantit l'art. 11, il est difficile de formuler un critère précis qui doit être appliqué pour déterminer si des procédures précises ont trait à une affaire criminelle ou pénale de manière à relever de l'article. La note marginale «affaires criminelles et pénales» semblerait laisser entendre qu'une affaire pourrait relever de l'art. 11 soit parce que, de par sa nature même, il s'agit d'une procédure criminelle, soit parce qu'une déclaration de culpabilité relativement à l'infraction est susceptible d'entraîner une véritable conséquence pénale. Je crois qu'une affaire pourrait relever de l'art. 11 dans les deux cas. (pp. 558, 559)
(Je souligne)
Ici, même si l'on concluait que l'infraction menant à une déclaration d'inhabilité revêt un caractère pénal, le deuxième élément reste manquant. La déclaration d'inhabilité est en effet une conséquence civile, et l'action y menant est régie par les dispositions du Code de procédure civile.
La malversation, l'abus de confiance ou autre inconduite peuvent mener parallèlement à une instance criminelle et produire une véritable conséquence pénale (v. art. 122, 123 Code criminel "abus de confiance" et "acte de corruption dans les affaires municipales"). Dans l'instance civile, cependant, la conséquence est l'inhabilité, c'est-à-dire l'incapacité ou l'interdiction de remplir ou compléter un mandat.
On peut faire, selon moi, un parallèle avec les causes de nullité des contrats. Par exemple, un contrat peut être annulé pour cause de fraude ou dol (art. 993 C.c.B.C.). Il existe une action civile qui a pour objet de faire prononcer la nullité du contrat. Il peut aussi y avoir, parallèlement, une instance criminelle visant à sanctionner la fraude ou le dol et dont le résultat serait une véritable conséquence pénale. Il en est de même pour la violence (art. 994 et s. C.c.B.C.).
Une autre comparaison peut aussi être faite avec le droit disciplinaire dans les corporations professionnelles où une déclaration d'inhabilité est l'une des sanctions possibles. C'est d'ailleurs ce qui fut examiné dans l'affaire Wigglesworth.
Ce n'est donc pas parce qu'il semble y avoir des imputations de malhonnêteté que l'accusation, tout en révélant un caractère pénal, mène nécessairement pour autant à une véritable conséquence pénale.
La juge Wilson, dans l'arrêt Wigglesworth précise qu'une véritable conséquence pénale, est l'emprisonnement ou l'amende imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général.
Ici, il n'est question ni d'emprisonnement, ni d'amende. Il n'est pas non plus question de réparer un tort causé à la société en général, car l'appelant cherche à obtenir une réparation pour un "présumé tort causé à la station de radio C.H.R.C.". Il s'agit plutôt, à mon avis, d'un litige privé (la Charte ne devrait même pas s'appliquer), même s'il concerne des fonctions publiques car c'est à titre d'électeur que Duhamel intente son action.
L'article 308 de la L.E.R.M. prévoit (1) la possibilité du litige privé: tout électeur peut intenter l'action et (2) celle du litige qui peut être public: le Procureur général et la municipalité pouvant intenter l'action lorsque l'intérêt général le commande bien qu'en l'espèce, ils n'ont pas intenté de recours.
À mon avis, la véritable conséquence pénale selon le critère de Wigglesworth est absente. La conséquence du point de vue des Chartes est la perte de droits politiques et selon l'arrêt Wigglesworth, l'on doit garder l'article 11 pour les infractions les plus graves; les autres peuvent être couvertes par d'autres dispositions de justice fondamentale, par exemple l'article 7.
L'arrêt Néron
c. Bilodeau [1988] R.J.Q. 2366 (C.A.) illustre bien cette vision. Selon le
juge Nichols, une déclaration d'inhabilité prive un citoyen de "l'exercice
d'un droit", d'une "faculté que la loi lui reconnaît". Il précise
que la Charte canadienne, à son article 3, consacre le droit
démocratique d'être élu; l'article 22 reconnaît le droit politique de se porter
candidat. Les conséquences d'une déclaration d'inhabilité ne sont donc pas, à
la lecture de Néron c. Bilodeau, de véritables conséquences pénales au
sens de Wigglesworth.
L'objet de la L.F.C.A.M. visait précisément la sanction de la fraude et la corruption dans les affaires municipales (Voir Labrosse c. Montréal-Est [1986] R.J.Q. 229, 233; Charpentier c. Ville Lemoyne [1975] C.A. 871; St-Léonard c. Di Zazzo [1978] C.A. 128). La L.E.R.M., selon moi, est beaucoup plus large. Elle englobe tout le processus des élections et référendums, y compris les motifs d'inhabilité et une série d'infractions reliées au déroulement des élections, etc. (Voir Labrosse). Le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Puisqu'il a incorporé l'inhabilité dans une loi beaucoup plus générale et qu'il a précisé que dorénavant la déclaration d'inhabilité serait régie par le Code de procédure civile, j'en conclus que le législateur voulait que les dispositions du Code de procédure civile s'appliquent et que, en théorie, un interrogatoire selon l'article 398 puisse être tenu.
Je dis bien en théorie, parce que, selon moi, l'énoncé que je viens de faire ne règle pas, en l'espèce, le sort de la requête pour cassation du subpoena formulée en vertu de l'article 20 C.p.c.
En effet, l'article 2 C.p.c. précise, on le sait, les objectifs de justice qui sous-tendent le Code de procédure civile et en particulier que "ces dispositions doivent s'interpréter les unes par les autres et autant que possible de manière à faciliter la marche normale des procès plutôt qu'à la retarder ou à y mettre fin prématurément".
L'article 310 de la L.E.R.M. stipule que l'action doit être instruite et jugée d'urgence.
L'action en déclaration d'inhabilité a été intentée le 2 mars 1990. Elle fait partie, selon les allégations de la requête, d'une série de quatre procédures judiciaires identifiées comme suit au paragraphe 15:
15.- Cette procédure en déclaration d'inhabilité fait partie d'une série de quatre (4) procédures judiciaires:
. requête en injonction interlocutoire
(D-1) rejetée par le juge J. Claude Larouche, J.C.S. (D-17);
. requête en cassation contre la C.U.Q. par Jacques Duhamel et C.H.R.C. (D-2);
. action en dommages-intérêts
(5 000 000,00$) contre Robert Normand et Le Soleil par C.H.R.C. et André Arthur
(D-3);
. action en déclaration d'inhabilité par Jacques Duhamel;
Ces quatre (4) procédures forment un tout et les manoeuvres illégales et dérogatoires entourant la présentation de la requête en injonction et de la requête en cassation ont un lien direct avec la procédure en déclaration d'inhabilité;
Il appert également des paragraphes 9, 10, 10.4, 10.10, 11, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 et 25 d'une part que M. Rivard a déjà fait l'objet d'un long interrogatoire à l'égard des mêmes faits, que si l'interrogatoire suivant l'article 398 était tenu, il y aurait probablement répétition et un retard important serait susceptible de se produire avant que l'action ne puisse être portée sur un rôle d'audition et instruite et que, d'autre part, il serait dans l'intérêt de la justice que ne soit pas retardée indûment la fixation d'une date d'audition:
9.- De plus, lors de la présentation d'une première requête pour faire fixer une date, il est apparu que c'est le refus du procureur du demandeur de coopérer à l'instruction rapide de cette cause qui fait obstacle à une audition rapide;
10.- En effet, celui-ci se retranche derrière l'application des règles de pratique en matière civile et prétend qu'il n'a aucune obligation de coopérer à l'instruction de ce dossier et qu'il a droit e profiter des délais prévus par les règles de pratique en matière civile alors que:
[...]
10.4- Lors de l'audition du début de ce litige, il est apparu que le demandeur tentait d'utiliser la requête en cassation pour instruire le procès des accusations intentées dans ce dossier contre le défendeur et d'utiliser diverses tactiques qui sont de nature à préjudicier aux droits de votre défendeur;
[...]
10.10- Le demandeur n'entend nullement collaborer à l'expédition rapide de ce dossier;
11.- Le demandeur utilise les ressources des règles de pratique en matière civile pour retarder l'audition de cette cause;
[...]
17.- L'audition de la requête en cassation a été fixée au 29 avril 1991 pour une durée de deux (2) semaines, le demandeur ayant déclaré son intention d'interroger le défendeur, en cette cause, Michel Rivard durant cinq (5) jours, cet interrogatoire ayant déjà débuté;
18.- D'ailleurs, le défendeur soumet que d'une façon générale la manière dont l'enquête est menée sur la requête en cassation est de nature à préjudicier à ses droits dans ce procès de plusieurs façons et notamment par l'assignation des divers avocats qui le représentent ainsi que celui de la C.U.Q., par diverses déclarations flamboyantes etc., par l'interrogatoire du défendeur et de ses avocats, etc.
19.- L'interrogatoire annoncé du défendeur par le demandeur porte exactement sur les faits du litige en déclaration d'inhabilité, lequel est une poursuite pénale;
20.- Le défendeur a évidemment objection à ce que le demandeur instruise dans la requête en cassation son procès en déclaration d'inhabilité en l'interrogeant pendant cinq (5) jours, alors qu'il a droit dans la présente poursuite pénale de ne pas être entendu et les méthodes utilisées dans la requête en cassation tel qu'il est allégué dans le plaidoyer du défendeur sont de nature à priver celui-ci d'une défense pleine et entière et ainsi compromettre ses droits;
21.- Dans la requête en cassation, le procureur du demandeur considère le défendeur comme une partie adverse, en a fait son témoin pour faire débuter une longue preuve circonstancielle relative aux faits et aux graves imputations contenues à la déclaration d'inhabilité, a obtenu qu'il soit interdit au procureur du défendeur de formuler des objections et en profite pour faire toutes sortes de déclarations contre le défendeur;
22.- Cette situation porte préjudice aux droits du défendeur en cette cause et est de nature à soulever de nombreuses objections, procédures, interventions, requêtes, appels et incidents qui pourront être évités facilement si le procès en déclaration d'inhabilité est instruit rapidement avec la collaboration du demandeur;
23.- Le défendeur estime qu'il est dans l'intérêt de la justice que l'action en déclaration d'inhabilité soit instruite sans délai;
24.- Selon ce qui appert des notes sténographiques, le demandeur et les procureurs de C.H.R.C. utilisent cette procédure pour faire toutes sortes de déclarations contre le défendeur compromettant ainsi ses droits puisque ces déclarations sont couvertes par les divers médias dont la station C.H.R.C. qui est la propriété du demandeur;
25.- Cette requête est formulée dans l'intérêt de la justice et du déroulement harmonieux des procédures.
Après examen du plaidoyer fort détaillé du défendeur Rivard, je considère que l'assignation pour interrogatoire après défense est incompatible, en l'espèce, avec les objectifs énoncés à l'article 2 C.p.c., puisque le dossier devant nous fait voir qu'il y a déjà eu un interrogatoire de l'intimé. Je considère, en conséquence, que la requête pour déclarer nul et casser le subpoena signifié à M. Rivard devait être accueillie avec dépens.
Je propose donc, à cause des circonstances particulières de l'espèce, de confirmer le dispositif du jugement de première instance pour les motifs indiqués et de rejeter en conséquence le pourvoi, mais sans frais puisque l'appelant a gain de cause sur le point de droit soulevé.
LOUISE MAILHOT, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑09‑000510‑914
(200‑05‑000698‑907)
CORAM: LES HONORABLES MAILHOT
TOURIGNY
BAUDOUIN, JJ.C.A.
JACQUES DUHAMEL,
APPELANT - (demandeur)
c.
MICHEL RIVARD,
INTIMÉ - (défendeur)
-et-
COMMUNAUTÉ URBAINE DE QUÉBEC,
MISE EN CAUSE
OPINION DE LA JUGE TOURIGNY
J'ai eu l'avantage de prendre connaissance de l'opinion de ma collègue Mailhot.
Si je suis tout à fait d'accord avec celle-ci sur l'application du Code de procédure civile à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.R.Q. 1977 c. F-2.2) et sur sa conclusion, quant à la contraignabilité de l'intimé Rivard, assigné à un interrogatoire selon l'article 398 C.p.c., je ne puis, avec égards, partager son point de vue quant à l'application de l'article 2 C.p.c.
Le droit d'interroger la partie adverse après défense appartient aux parties qui, au moyen d'une simple assignation, peuvent soumettre à un interrogatoire les personnes mentionnées à 398 c.p.c.
L'article prévoit, à son dernier alinéa, la nécessité de l'autorisation judiciaire lorsque le défendeur veut interroger, après défense, une personne qui l'a déjà été au préalable (397 c.p.c.). On comprend facilement que le législateur ait voulu empêcher l'abus que peut constituer un deuxième interrogatoire.
Même si la loi ne le prévoit pas explicitement, puisque la requête en cassation de subpoena est une procédure qui ne trouve son fondement qu'à l'article 20 du Code, je n'ai pas d'hésitation à dire, comme ma collègue, qu'une partie abusivement assignée peut se prévaloir de ce moyen pour empêcher l'adversaire d'utiliser la procédure pour ennuyer, harceler ou retarder indûment le déroulement normal des procédures.
Je ne trouve pas au dossier les éléments qui me permettraient de dire que l'exercice par Duhamel de son droit d'interroger Rivard après défense est abusif, même si la lecture des procédures relatives à l'inhabilité de Rivard peut susciter des interrogations.
Nous ne disposons pas des documents relatifs aux autres procédures alléguées, pendantes entre les parties, non plus que du jugement rendu sur l'injonction interlocutoire. Nous n'en savons que ce que nous en dit une requête pour fixation d'une date d'audition présentée au juge en chef associé de la Cour supérieure et rejetée par ce dernier.
De plus, je ne trouve au dossier qu'une allégation d'un début d'interrogatoire de Rivard mais rien sur les matières sur lesquelles il a porté, non plus que sur sa durée.
Je suis donc d'avis qu'il n'y a pas lieu, dans l'état actuel du dossier, d'appliquer l'article 2 C.p.c. comme le propose ma collègue.
Aussi, suis-je d'opinion qu'il y a lieu d'accueillir l'appel, avec dépens, et de rejeter, avec dépens, la requête en cassation de subpoena.
CHRISTINE TOURIGNY, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑09‑000510‑914
(200‑05‑000698‑907)
CORAM: LES HONORABLES MAILHOT
TOURIGNY
BAUDOUIN, JJ.C.A.
JACQUES DUHAMEL,
APPELANT - (demandeur)
c.
MICHEL RIVARD,
INTIMÉ - (défendeur)
et
COMMUNAUTÉ URBAINE DE QUÉBEC,
MISE EN CAUSE
OPINION DU JUGE BAUDOUIN
J'ai eu le privilège de prendre connaissance de l'opinion de mes deux collègues, Mesdames les juges Mailhot et Tourigny.
Le droit reconnu par le Code de procédure civile d'interroger une partie après défense (art. 398 C.p.c.) est un droit important puisqu'il doit permettre de faire progresser le débat judiciaire et de mieux circonscrire le litige. Ce droit est toutefois sujet aux impératifs énoncés à l'article 2 C.p.c. et ne doit pas être utilisé dans le but non plus de promouvoir la solution rapide du litige, mais de le contrecarrer, de harceler la partie adverse, de retarder pour des fins purement tactiques le cours de la justice.
Tout comme Madame la juge Tourigny, je suis très conscient du danger qu'il peut y avoir à admettre trop largement des procédures en cassation de subpoena. Celles-ci doivent rester rares et exceptionnelles. Dans les cas où il y aurait abus manifeste de procédures, le recours approprié pourrait être probablement de toute façon un recours en dommages-intérêts pour abus de droit contre la partie et, pourquoi pas, contre ses procureurs personnellement si ceux-ci, qui rappelons-le de par leur profession sont avant tout des auxiliaires de la justice, se servent de la procédure comme instrument d'oppression ou de manipulation.
Après relecture du dossier et des notes de plaidoiries, je pense, comme Madame la juge Mailhot, que nous sommes ici devant un cas particulier, que les circonstances spéciales de l'espèce et la preuve qui a été faite au dossier montrent peut-être pas un abus de droit caractérisé (ce que, comme ma collègue la juge Tourigny, je ne suis pas prêt à affirmer), mais du moins une situation qui demeure incompatible avec les objectifs de l'article 2 C.p.c.
Je serai donc d'avis, avec ces quelques réserves, de disposer du pourvoi, de la façon dont le propose Madame la juge Mailhot.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.