C A N A D A Province de Québec Greffe de Montréal
No: 500‑09‑001266‑899
(450‑05‑000518‑858)
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Cour d'appel
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Le 06 février 1990
CORAM : Juges McCarthy, Brossard et Proulx
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VIDÉOTRON LTÉE et une autre, demanderesses requérantes appelantes,
c.
INDUSTRIES MICROLEC PRODUITS ÉLECTRIQUES INC. et autres, défendeurs intimés, et RENÉ GILBERT, intimé
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LA COUR:- Statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure du district de Saint-François prononcé le 31 août 1989 par l'honorable Louis-Philippe Galipeau, accueillant l'opposition des intimés à ce que l'intimé André Duplessis soit contraint à témoigner contre lui-même dans le cadre de l'audition d'une requête pour outrage au tribunal;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Par les motifs exposés dans l'opinion écrite du juge Brossard, dont un exemplaire est déposé avec le présent arrêt et à laquelle souscrivent les juges McCarthy et Proulx;
Rejette le pourvoi avec dépens. JJ.C.A.
OPINION DU JUGE BROSSARD
Le jugement entrepris accueille l'opposition de l'intimé André Duplessis à être contraint de témoigner, à la demande des appelantes, dans le cadre de procédures pour outrage au tribunal initiées contre les intimés, à la suite d'une violation alléguée d'une injonction de nature civile émise par la Cour supérieure du district de Saint-François.
Le premier juge résume comme suit les faits:
Le tribunal est saisi d'une requête pour outrage au tribunal suite à une ordonnance spéciale émise par l'honorable Georges Savoie enjoignant aux intimés de comparaitre devant la Cour supérieure pour entendre la preuve des faits que leur reprochent les demanderesses-requérantes et faire valoir les moyens de défense qu'ils peuvent avoir à présenter.
Après avoir fait entendre quelques témoins, le procureur de la requérante a cité à la barre l'intimé André Duplessis; mais avant même que cet intimé soit assermenté, son procureur s'est objecté à ce qu'il témoigne au motif qu'étant lui-même cité pour outrage au tribunal en la présente instance, il n'était pas contraignable.
Après avoir référé à un arrêt de notre cour prononcé en 1977, dans l'affaire Le syndicat des employés de l'Hôpital Saint-Augustin (CSN) & als c. Le Procureur Général du Québec & als(1), qui avait conclu en sens contraire, le premier juge a préféré suivre l'opinion du juge Denis Lévesque, dans une affaire de J. Noel Duquette c. Zellers & als(2), et conclure à la non contraignabilité de l'intimé Duplessis.
Jusqu'à cette décision non rapportée du juge Lévesque, la jurisprudence semblait pourtant bien arrêtée à l'effet que, en matière d'outrage au tribunal résultant de la violation d'une ordonnance de nature civile, comme l'infraction en demeurait une de caractère civile, l'intimé était contraignable comme témoin en vertu des articles 295, 302 et 309 C.P.
Dans l'affaire Le syndicat des employés de l'Hôpital Saint-Augustin & als c. Le Procureur Général de la Province de Québec, précitée, le juge Turgeon s'exprimait comme suit:
Avec respect pour l'opinion contraire, je ne suis pas d'accord avec le premier juge sur cette question de la non-contraignabilité. Je crois, comme il s'agit d'une procédure civile et d'une désobéissance civile, que les articles 295, 302 et 309 du Code de procédure civile doivent recevoir leur application.
(1) (1977) C.A. 539.
(2) C.S.M. 500-05-000747-863 - 6 juillet 1987.
Dans cette affaire, le juge Turgeon devait cependant ajouter que "quoi qu'il en soit, il restait au juge suffisamment de preuve au dossier pour en venir à la conclusion qu'il y avait eu outrage au tribunal".
Les juges Rinfret et Paré partageaient l'opinion du juge Turgeon.
Cette opinion est réitérée par notre cour, sans autre motif, dès l'année suivante, dans l'affaire Alliance professionnelle des paramédicaux de Québec & als. c. Procureur Général de la Province de Québec & als(3), dans laquelle le juge Owen s'exprimait comme suit:
The injunction proceedings and the contempt of court proceedings are taken in virtue of the provisions of the Code of Civil Procedure and in view of Art. 302 C.P. and Art. 309 C.P. (wich provide that any person present at the trial may be required to testify and that a witness cannot refuse to answer for the reeson that his reply might tend to incriminate him subject to his objection, in which case his reply cannot be used against him in penal proceedings under Quebec laws) I am of the opinion that the Respondents in question could be called upon to testify.
(3) 3.R.F.18 - C.P.C. - annoté - jugt inédit - jugt du 25 avril 1978.
Le juge Vincent Masson de la Cour supérieure du district de Québec devait suivre ce principe dans une affaire de Laboratoires Baxter Travenol du Canada c. Partagec Inc.(4), en s'exprimant comme suit:
Vu le dossier, vu la jurisprudence et la doctrine, nous en venons à la conclusion que le requérante est contraignable et en conséquence la présente requête doit être rejetée.
Toujours en 1977, et de façon parallèle, dans une affaire de Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal c. Syndicat du transport de Montréal (CSN) & als et Le Procureur Général de la Province de Québec(5), sans traiter directement de la question en litige en l'instance, le Juge en Chef Rinfret s'exprimait comme suit sur la nature de l'outrage au tribunal à la suite de la vioIation d'une injonction:
La situation ne se présentait cependant pas de la même façon dans la présente instance: elle était encore plus favorable puisque la C.T.C.U.M. requérante en injonction et pour outrage au tribunal était encore partie au litige et chercbait à rendre efficace l'injonction qu'elle avait obtenue.
(4) J.E. 83-151 - C.S.Q. 200-05-003399-826 - 10 janvier 1983.
(5) (1977) C.A. 476.
Il s'agissait selon l'expression de Hasbury d'un "right to exercise and a liability to submit to a form of civil execution" ...
Est-il besoin d'ajouter que à la lumière du jugement de la Cour suprême du Canada dans In re Storgoff ((1945) R.C.S. 526) et des autres qui l'ont suivi: Ministre du Revenu national pour le Canada c. Lafleur ((1964) C.S. 412), Faber c. R. ((1969) B.R. 1017) et Corp. des maîtres mécaniciens en tuyauterie de Québec c. Cuddihy ((1972) C.A. 514), la procédure subséquente participe de la nature de celle qui l'a précédée, elle devient, si l'on me permet l'expression, une procédure caméléon qui emprunte la couleur et la nature de celle qui l'a précédée et à laquelle elle est rattachée.
L'injonction obtenue par C.T.C.U.M. était de nature civile, il s'ensuit que les requêtes pour outrage au tribunal le sont également.
(p. 482)
Plus récemment, dans une affaire C.T.C.U.M. c. Le Procureur général de la province de Québec(6) le juge Gendreau s'exprimait comme suit:
A mon avis, la procédure en outrage au tribunal n'est pas une action pénale au sens de cette loi. Je précise tout de suite que, en l'instance, il s'agit d'un outrage commis ex facie curiae dont le pouvoir de punir de la commission relève de la juridiction exclusive des cours supérieures. (Radio-Canada c. Commission de Police du Québec, ((1979) 2 R.C.S. 618, 638). De plus, l'ordonnance d'injonction violée était de nature civile, il en découle donc que les procédures d'outrage le sont aussi. En effet, il est maintenant bien établi depuis l'arrêt Storgoff ... que le bref de prérogative participe de la nature de la matière à laquelle il s'attache ... Dans l'arrêt C.T.C.U.M. c. Le Syndicat du Transport de Montréal et al., ((1977) C.A. 476), notre Cour a reconnu ce principe à l'égard de l'outrage au tribunal et M. le juge Rinfret illustre bien son propos quand il écrit ...
Et le juge Gendreau d'ajouter un peu plus loin:
J'en conclus que le pouvoir d'un tribunal supérieur de faire enquête au sujet d'un outrage commis hors sa présence et de punir pour cet outrage n'est pas une action pénale, une poursuite ou une dénonciation en recouvrement d'une amende ou d'une pénalité au sens de ces termes dans la Loi sur les actions pénales. Le requérant en outrage n'est qu'un auxiliaire de la justice qui met un processus en marche. La procédure de mise en route de l'enquête sur la commission de l'outrage par la violation de l'injonction et sa punition éventuelle, n'appartient pas à celui qui l'initie; tout au plus, est-il concerné par la procédure. Le recours en outrage au tribunal, tant par son origine, sa nature, ses caractéristiques et son objet, ne peut être assimilé à tout autre recours pénal contenu en des lois particulières dont l'objet, certes important, est nécessairement limité à réglementer certaines activités.
(6) (1987) R.D.J., p. 199.
C'est donc forts de ces autorités que les appelants nous demandent de réviser le jugement entrepris.
Cependant, puisque tant le jugement entrepris que l'intimé dans son argument devant nous s'appuient sur la décision précédemment mentionné du juge Lévesque, il me paraît opportun de citer au long les motifs invoqués par celui-ci, en 1987, pour ne point suivre la jurisprudence antérieure:
L'INTIME SMITH EST-IL CONTRAIGNABLE ?
1. Sans référence aux chartes
Antérieurement à la mise en vigueur des chartes, la Cour d'appel a eu l'occasion de se prononcer sur cette question dans Syndicat des employés de l'hôpital St-Augstin (C.S.N.) c. P.G. du Québec et autre (1977 C.A. 539). Sans référer à aucune autorité, M. le juge Turgeon écrit pour l'ensemble des juges ce qui suit:
Il est vrai que le juge de la supérieure a donné raison au syndicat appelant en décidant que les autres appelants n'étaient pas contraignables comme témoins. En conséquence, il a refusé d'admettre la preuve faite par les intimés lors de l'interrogatoire de ces appelants.
Avec respect pour l'opinion contraire, je ne pas d'accord avec le premier juge sur cette question de la non-contraignabilité. Je crois, comme il s'agit d'une procédure civile et d'une désobéissance civile, que les articles 295, 302 et 309 du Code de procédure civile doivent recevoir leur application. Quoi qu'il en soit, il restait au juge suffisasment de preuve au dossier pour en venir à la conclusion qu'il y avait eu outrage au Tribunal.
Cette affirmation fait cependant ressortir qu'il s'agit d'une question d'interprétation de certaines dispositions du Code de procédure civile entre elles puisque Madame le juge Vallée en première instance écrivait dans le même dossier (P.G. du Québec c. Syndicat des employés de l'Hôpital St-Michel Archange et annexes (C.S.N.) et autres 1976 C.S. 929) à la page 933:
Cette ordonnance spéciale confère, selon nous, à l'intimé, et à chacun des intimés conjointement appelés dans une même requête une immunité que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans notre code: l'intimé est appelé devant le Tribunal "pour entendre la preuve des faits qui lui sont reprochés" - "to hear proof of the acts with which he is charged". Peut-on à la fois être auditeur et acteur, actif et passif, dans la salle et sur scène, écouter et parler en même temps. Selon nous, l'intimé dans une requête pour outrage au Tribunal ne peut être contraint à témoigner et la partie requérante ne peut l'appeler comme son témoin. Il ne peut, selon nous, être appelé à se reprocher lui-même, ni aider celui qui a le fardeau de prouver les faits et actes qu'il lui reproche ...
Grâce à l'immunité que lui confère le juge qui l'assigne spécialement et spécifiquement, l'intimé dans une requête pour outrage au Tribunal est non contraignable et ne peut être appelé comme témoin par la partie requérante. L'intimé, tel qu'assigné et à cause même de cette assignation, se voit à l'abri des articles compris dans la section III du titre V de notre Code de procédure civile et quelques articles de la section IV. Ces articles sont, quant à l'intimé, inapplicables; car, incompatibles et inconciliables avec l'immunité acquise par son assignation émise selon les dispositions spéciales de l'article 53 C.P.
A la condition que les formalités particulières aient été rigoureusement suivies, une fois que les faits qui constituent le délit civil d'outrage au Tribunal sont mis en preuve par le requérant, sans l'aide de l'aveu contraint de l'intimé, il appartient à ce dernier de soulever les moyens de défense qu'il peut avoir et de donner les raisons pour lesquelles il ne serait pas reconnu coupable d'outrage. L'intimé est réputé coupable d'outrage au Tribunal lorsque les faits à lui reprocher sont mis en preuve et il sera reconnu coupable s'il garde le silence ou si les raisons qu'il soulève comme moyens de défense ne sont acceptées pour valoir défense."
Depuis plusieurs années déjà, la distinction entre l'outrage civil et l'outrage en matière criminelle ou pénale a tendance à s'amenuiser et aujourd'hui encore plus qu'en 1976. BORRIE & LOWE - Law of Contempt, pp. 371 et ss.; ARLEDGE AND EDDY - The law of contempt 2-26 et 2-27 pp. 47 et 48; MILLER - Contempt of Court p. 8; POPOVICI - L'outrage au tribunal, pp. 110 et 111. Déjà, dans Imperial Oil Ltd. c. Tanguay (1971 C.A. 109), la Cour d'appel a exigé le standard de preuve du droit criminel même en matière d'outrage civil. Au moment où la cause de P.G. du Québec c. Syndicat des employés de l'Hôpital St-Michel Archange et annexes (C.S.N. et autres) a été entendue, la Cour d'appel d'Angleterre avait confirmé la règle de non contraignabilité des intimés en matière d'outrage civil (Comet Products c. Hawkex Plastics (1971) 2 Q.B. 67) mais il ne semble pas que l'on ait porté cette cause à l'attention de notre Cour d'appel à l'époque. Depuis, c'est la règle de droit en Angleterre et elle a été suivie au Canada (MacNeil c. MacNeil (1975) 67 D.L.R. (3d) 114 (N.S.S.C. App. Div.). Comme les principes de la loi anglaise ont beaucoup d'importance dans l'interprétation du droit à l'outrage au tribunal, il est permis de croire que si la Cour d'appel avait été mise au courant du droit commun en 1976 elle aurait jugé autrement surtout si l'on ajoute que l'art. 19.1 du Code du travail crée une véritable infraction punissable selon la procédure de l'outrage au tribunal assortie de pénalité spéciale. Cette procédure ne prévoit pas le pardon. Elle couvre aussi la situation de ceux qui n'y étant pas nommés violent sciemment une ordonnance.
Il est également à propos de souligner que la Cour d'appel comme la Cour supérieure ont étudié l'objection à la contraignabilité après que les intimés eurent témoigné et que la Cour d'appel en excluant la preuve apportée par les témoignages des intimés a quand même trouvé qu'il y avait suffisamment de preuve pour condamner. Dans le présent dossier l'intimé Smith a refusé d'être assermenté et de témoigner.
Ces raisons suffisent à dire que l'intimé n'est pas contraignable à témoigner dans sa propre cause et ce, sans qu'il soit nécessaire à recourir aux chartes. (pp. 7 à 11 incl.)
Deux éléments particulièrement intéressants découlent des extraits précités du jugement Lévesque: en premier lieu, il est évident que ce dernier s'appuie essentiellement sur la common law et il est implicite, dans son raisonnement, que ce sont les principes de la loi anglaise qui sont applicables en matière d'outrage au tribunal; en second lieu, et par référence à l'arrêt Imperial Oil Limited c. Tanguay(7), le juge Lévesgue semble conclure que même si nous sommes en matière d'outrage civil, ce sont de plus en plus les règles du droit pénal qui s'y appliquent.
Cette approche du jugement Lévesgue ne me paraît pas dépourvue d'autorité. En effet, dans cette affaire de Imperial Oil Limited c. Tanguay, le juge Rivard, s'appuyant lui-même sur le droit commun anglais, écrivait ce qui suit:
Le juge ajoute avec justesse:
La matière est strictissimi juris, on le sait, et on ne saurait condamner celui qui, par ignorance ou pour quelque raison que ce soit, n'a pas recherché l'esprit de l'ordonnance. Parce qu'il est exposé à l'amende et à l'emprisonnement, il ne peut être condamné que s'il ne s'en est pas tenu à la lettre de ses termes. Le jugement ne saurait être ici interprété par les motifs qui conduisent au dispositif.
Il a raison de citer ce qu'écrit Sir Nathaniel Lindley, M.R., in re:
Ellam v. Martyn and Co. ((1899) 68 L.J. Ch. 123, à la p. 125) qui s'exprime ainsi:
The Court will not for a moment tolerate a breach of an injunction, but will always enforce observance of its orders, and will not allow itself to be tricked or trifled with. But this very circumstance renders it incumbent on the Court not to strain the language of an injunction, even to meet a case which would have been prohibited if foreseen. To imprison a man is a very serious matter ...
Je m'accorde entièrement avec le premier juge lorsqu'il écrit:
... comme en matière criminelle, cette preuve ne devra donner ouverture à aucun doute raisonnable.
(7) (1971) C.A. 109.
Par ailleurs, la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Cotroni c. Commission de Police du Québec & al(8) , dans une instance mue en vertu des dispositions du Code de procédure civile du Québec, réitérait le principe que l'outrage au tribunal est une matière qui relève d'abord et avant tout de la common law. Le juge Pigeon s'exprime comme suit:
Il s'agit d'une matière où la common law est le droit fondamental au Québec (Langelier c. Giroux ((1931) 52 B.R. 113), Lamb c. Benoit ((1959) R.C.S. 321 à la p. 328). Un principe de common law n'est pas écarté par une loi qui n'en parle pas (Alliance des professeurs catholiques de Montréal c. Commission des relations ouvrières (1953) 2 R.C.S. 140.
(8) (1978) 1 R.C.S. 1048.
Le principe devait être réitéré par le juge Beetz, dans l'arrêt La Société Radio-Canada & al et la Commission de Police du Québec & al(9) , dans les termes suivants:
La source de ce droit est la common law dont les principes ne sont pas écartés par des lois qui n'en parlent pas: Cotroni c. La commission de police du Québec, à la p. 1057. Lorsque le législateur veut modifier la common law, il le fait par des dispositions explicites: ainsi, à l'art. 51 du Code de procédure civile, il a expressément réduit la discrétion dont jouissaient auparavant les cours de justice en ce qui concerne la sanction de l'outrage au tribunal, limitant l'amende à cinq mille dollars et l'emprisonnement à une période d'au plus un an. Le législateur n'ignorait évidemment pas la distinction entre l'outrage in facie et l'outrage ex facie, distinction qu'il fait aux art. 52 et 53. Mais il la fait seulement pour codifier la procédure. Comme il ne dit rien sur la juridiction en matière d'outrage in facie et d'outrage ex facie, on doit présumer qu'il a voulu conserver les principes de la common law en la matière, d'autant plus qu'il n'aurait pu les changer validement.
A la lumière de ce qui précède, il me paraît difficile de contester l'approche prise par le juge Lévesque dan)s l'affaire précitée à l'effet qu'il s'agissait d'un domaine d'application de la common law.
(9) (1979) 2 R.C.S. 618.
Par ailleurs, il me paraît difficile de considérer que, en soi, l'article 309 C.P. puisse être considéré comme une dérogation écartant de façon explicite l'application de la common law. Il est vrai que l'article 51 C.P. est considéré par le juge Beetz comme constituant une dérogation explicite, même s'il n'est pas rédigé en de tels termes. Cependant, cette disposition se situe dans la section du code, traitant de façon expresse du pouvoir de punir pour outrage au tribunal. L'article 309 se situe au titre V intitulé de "L'administration de la preuve et audition", à la section V elle-même intitulée de "L'audition des témoins" dans le chapitre I titré "De l'instruction devant le tribunal". Il s'agit simplement d'une règle générale applicable au témoin ordinaire dans toute instance civile.
Je ne saurais y voir une dérogation expresse à l'application de la common law en matière d'outrage au tribunal.
Ceci m'amène à considérer l'évolution de la common law, en ce domaine, depuis les arrêts de notre cour de 1977.
Cette évolution récente de la common law me paraît établir, en premier lieu, une identification entre le remède de l'outrage au tribunal commis ex facie et le domaine du droit pénal, et conclure à la non contraignabilité de l'intimé comme témoin contre lui-même.
C'est dans l'affaire Comet Products v. Hawkex Plastics que Lord Denning amorce ce changement d'orientation, dans les termes suivants:
Although this is a civil contempt, it pages of the nature of a criminal charge. The defendant is liable to be punished for it. He may be sent to prison. The rules as to criminal charges have always been applied to such a proceeding. I see that Cross J. in v. Yianni ((1966) 1 All ER 231) so decided; and furthermore we ourselves in this Court, in Re Bramblevale Ltd. ((1969) 3 All ER 1062) that it must be proved with the same degree of satisfaction as in a criminal charge.
It follows that the accused is not bound to evidence unIess he chooses to do so. (p. 1143-1144)
Puis, après avoir reconnu que tel n'était pas le cas jusqu'alors dans la common law, Lord Denning ajoute:
I am prepared to accept that such a rule did exist in the days of Sir William Blackstone. But I do not think it exists any longer today.
(10) (1971) 1 All ER 1141.
The genius of the common law has prevailed. I hold that a man who is charged with contempt of court cannot be compelled to answer interrogatories or to give evidence himself to make him provide his I reject the submission that the defendant is a compellable witness in the contempt procedings against him. (p. 1144)
Cette nouvelle orientation semble avoir depuis été suivie dans le reste du Canada. Tel fut le cas, en premier lieu, dans l'affaire MacNeil c. MacNeil(12) où le Juge en Chef de la Nouvelle-écosse MacKeigan cite les extraits qui précèdent de la décision de la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Comet Products. Plus récemment, dans une affaire de Selection Testing Consultation c. Humanex International Inc.(13), le juge Rouleau de la Cour fédérale écrivait ce qui suit:
Il ne peut être prétendu qu'une requête en outrage au tribunal est une "requête ordinaire". En effet, l'emprisonnement ou des amendes substantielles peuvent être imposés si une déclaration de culpabilité est prononcée. Conséquemment les cours ont toujours insisté pour qu'une procédure quasi criminelle soit rigoureusement suivie et que l'accusé ait droit à toutes les protections traditionnellement accordées à une personne accusée d'une infraction criminelle.
(12) (1975) 67 D.L.R. 114.
(13) (1987) 2 C.F. 405.
En fait, l'auteur présumé d'un outrage au tribunal n'est pas obligé de répondre; il peut se taire jusqu'à ce qu'une preuve hors de tout doute raisonnable ait été établie.
Que l'on qualifie de civiles ou de criminelles les procédures d'outrage au tribunal, l'accusé aura toujours le droit de se réfugier derrière le rempart inattaquable de la common law, c'est-à-dire le droit de connaître les détails de l'accusation et celui de garder le silence jusqu'à ce que l'accusateur se soit déchargé du fardeau de la preuve. (pp. 409-410)
Encore plus récemment, dans l'affaire Maisons des semi-conducteurs limités c. Apple Computer Inc. & al(14), la Cour Fédérale d'appel, sous la plume du juge Heald, à l'opinion duquel souscrivaient les juges Hugessen et Stone, citait avec approbation l'extrait qui précède de la décision du juge Rouleau dans l'affaire Selection Testing Consultation.
Enfin, la cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire Regina vs Jetco Manufacturing Ltd. and Alexander(15) réitérait le même principe dans les termes suivants:
Thus, while civil procedures are involved, because the allegation is that a public wrong was done and the liberty of the subject is at stake, the proceedings are essentially criminal in nature. The standard of proof governing the trial of criminal offences must be satisfied. The appellants are entilled to the presumption of innocence, and the onus if on the prosecution to prove their guilt beyond a reasonable doubt. (p. 780 Juge Broke)
(14) (1988) 3 C.F. p. 277.
(15) 570 O.R. (2d), 776.
Bref, la common law semble donc reconnaître aujourd'hui qu'un intimé, poursuivi pour outrage au tribunal, même dans une instance civile, mais passible d'emprisonnement, ne saurait être contraint de témoigner contre lui-même. Or, suivant les décisions précitées de la Cour suprême du Canada dans les affaires de Cotroni et de Société Radio-Canada ce sont les règles de la common law que nous devons appliquer au Québec en matière d'outrage au tribunal, même dans le cadre de procédures civiles, à moins d'exclusion explicite de la part du législateur québécois. J'ai déjà émis l'opinion que je ne croyais pas que l'article 309 puisse être considérée comme une déviation explicite de la common law.
J'irais d'ailleurs plus loin. Interpréter autrement l'article 309 du Code de procédure civile me paraîtrait lui donner un sens incompatible avec les dispositions de la Charte canadienne des droits. L'article 11.(c) stipule que "tout inculpé a le droit:
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche.
Le savant procureur des appelants nous a soumis que la Charte canadienne des droits ne saurait avoir aucune application en l'instance du fait qu'il s'agit d'un litige purement privé. Dans la mesure où nous n'aurions affaire qu'à un litige purement privé, il aurait parfaitement raison. La règle a clairement été établie par la Cour suprême du Canada, en particulier dans l'arrêt Syndicat des détaillants grossistes et magasins à rayons, section locale 580 & als c. Dolphin Delivery Ltd. & als(16) que la charte n'a pas de place dans les litiges privés.
Mais peut-on vraiment dire que la procédure pour outrage au tribunal en est une de caractère essentiellement privé ? J'en doute personnellement. S'il est vrai que la procédure est initiée par une requête émise par l'une des parties à un litige privé, en demeure-t-il de même après l'émission par le tribunal de l'ordonnance de comparaître pour répondre à cette accusation ? Je ne le crois pas.
(16) (1986) 2 R.C.S. 573.
Il me paraît de la lecture des articles 49 et ss. du Code de procédure civile, situés dans le chapitre traitant "des pouvoirs des tribunaux et des juges" que, une fois que le tribunal a statué qu'il y avait lieu d'assigner l'intimé à comparaître pour répondre à l'accusation portée contre lui, la procédure n'appartient plus à la partie qui l'a initiée, mais relève alors de l'ordre et de l'intérêt public. C'est l'intérêt public, le respect de l'ordre public, la stabilité des jugements de nos tribunaux, qui exigent l'imposition des pénalités prévues par le Code de procédure civile. Ce n'est pas la partie qui a été outragée, mais bien le tribunal. Comme le dit l'article 50, c'est la violation d'une ordonnance ou d'une injonction du tribunal, c'est le geste de nature à entraver le cours normal de l'administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal qui constitue l'outrage. De privé qu'il était, le litige, à ce moment-là, me paraît acquérir un caractère public.
Traitant de l'article 11.(c) de la Charte canadienne des droits, Madame le juge Wilson, dans l'arrêt R c. Wigglesworth(17) écrivait ce qui suit:
The Ontario Court of Appeal in Tremblay noted that the legislative history of the section indicates that it was not intended to be restricted solely to criminal law but was meant to extend to "penal proceedings" as well.
Section 2(f) differs from s. 11 of the Charter in that it refers to a "criminal offence" whereas the Charter refers only to an "offence".
(p. 555)
Et elle ajoutait:
In my view, if a particular matter is of a public nature, intended to promote public order and welfare within a public sphere of activity, then that matter is the kind of matter which falls within s. 11. It falls within the section because of the kind of matter it is. This is to be distinguished from private, domestic or disciplinary matters which are regulatory, protective or corrective and which are primarily intended to maintain discipline, professional integrity and professionai standards or to regulate conduct within a limited private sphere of activity. (p.560)
This is not to say that if a person is charged with a private, domestic or disciplinary matter which is primarily intended to maintain discipline, integrity or to regulate conduct within a limited private sphere of activity, he or she can never possess the rights guaranteed under s. 11. Some of these matters may well fall within s. 11, not because they are the classic kind of matters intended to fall within the section, but because they involve the imposition of true penal consequences. In my opinion, a true penal consequence which would attract the application fo s. 11 is imprisonment or a fine which by its magnitude would appear to be imposed for the purpose of redressing the wrong done to society at large rather than to the maintenance of internal discipline within the limited sphere of activity. (pp. 560-561)
(17) (1987) 2 R.C.S. 541.
J'ai peine à croire que l'outrage au tribunal, passable d'une année d'emprisonnement, n'entre pas dans ce cadre défini par la Cour suprême du Canada.
A l'encontre de cette décision, les appelants nous réfèrent à celle de notre cour, dans l'affaire Belhumeur c. Savard & al(18). Il est vrai que, dans cette affaire, notre cour a refusé d'appliquer les principes précités et d'appliquer l'article 11.(c) de la Charte canadienne des droits en matière disciplinaire. L'appelant, avocat, avait refusé de témoigner devant le comité de discipline, dans le cadre d'une plainte portée contre lui, en invoquant l'article 11.(c) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge Jacques, dissident, aurait effectivement appliqué les principes émis par Madame le juge Wilson dans l'arrêt Wigglesworth. La majorité, sous la plume du juge Rothman, s'y refusa. Cependant, avant de prétendre que cette décision puisse avoir application dans le présent cas, il importe de voir les distinctions que fait le juge Rothman, au nom de la majorité. De fait, il cite avec approbation les extraits précités de la décision de Madame le juge Wilson dans l'arrêt Wigglesworth (p. 1532). C'est parce qu'il en vient à la conclusion que les pénalités susceptibles d'être imposées au niveau disciplinaire ne rencontrent pas le critère de "peine" au sens défini par Madame le juge Wilson, mais qu'elles sont d'un caractère purement administratif et régulateur, nonobstant les amendes qui peuvent être imposées, qu'il refuse d'appliquer l'article 11.(c) de la Charte.
(18) (1988) R.J.Q. 1526.
En d'autres mots, non seulement cette décision ne saurait être d'aucune utilité aux appelants en l'instance mais je considère, au contraire, qu'elle appuie la conclusion à laquelle j'en viens, à savoir que l'intimé en la présente instance ne saurait être contraint de témoigner contre lui-même, dans le cadre de procédures en outrage au tribunal dirigées contre lui, et qu'interpréter autrement l'article 309 du Code de procédure civile aurait pour effet de donner à cet article un sens incompatible avec les disposition de l'article 11.(c) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Considérant l'évolution de la common law depuis nos arrêts de 1977 et 1978, les principes émis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts La Commission de Police du Québec de 1978 et 1979 et de Wigglesworth en 1987, ainsi que la mise en vigueur de l'article 11.(c) de la Charte canadienne des droits, en 1984, lequel consacrait la suprématie du principe déjà existant dans la common law, je suis d'opinion de rejeter le pourvoi avec dépens. J.C.A.
INSTANCE-ANTÉRIEURE
(C.S. Saint-François 450-05-000518-858)