R. c. Saunders, [1990] 1 R.C.S. 1020
Sa Majesté la Reine
Appelante
c.
Norman Herbert Rooke et Roy Clive De Vries
Intimés
répertorié: r. c. saunders
No du greffe: 20480.
1990: 21 mars*.
Présents: Les juges Lamer, Wilson, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.
en appel de la cour d'appel de la colombie-britannique
Droit criminel -- Complot -- Exposé au jury -- Acte d'accusation reprochant d'avoir comploté pour
importer de l'héroïne -- Présentation d'une preuve d'importation de cocaïne au procès -- Le juge du
procès a-t-il commis une erreur, dans ses directives au jury, en lui disant qu'il pourrait déclarer les
accusés coupables s'il était convaincu hors de tout doute raisonnable qu'ils avaient comploté pour
importer un stupéfiant quelconque?
Droit criminel -- Acte d'accusation -- Modification -- Acte d'accusation reprochant d'avoir
comploté pour importer de l'héroïne -- Présentation d'une preuve d'importation de cocaïne au procès
* Motifs déposés le 17 mai 1990.
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-- La Cour devrait-elle permettre au ministère public de modifier l'accusation de manière à supprimer
la mention du stupéfiant visé comme étant de l'héroïne?
Les intimés ont été accusés de complot pour importer de l'héroïne au Canada. Au cours du
procès, on a permis au ministère public de présenter la preuve de l'importation de cocaïne, mais
le juge du procès ne s'est pas écarté de l'opinion que le ministère public serait obligé d'établir
l'existence d'un complot pour importer de l'héroïne. Sur la foi de cette affirmation, R est venu
témoigner à la barre que, bien qu'il ait fait partie de complots pour importer d'autres drogues, il
n'avait pas été partie à un complot pour importer de l'héroïne. Dans ses directives, le juge du
procès a dit au jury qu'il pourrait déclarer les intimés coupables en l'absence de preuve qu'ils ont
comploté pour importer de l'héroïne, dans la mesure où il serait convaincu qu'ils avaient
comploté pour importer un stupéfiant quelconque. Le jury a déclaré les intimés coupables. La
Cour d'appel a infirmé les déclarations de culpabilité et ordonné la tenue d'un nouveau procès
pour le motif que le ministère public, ayant inculpé les intimés de complot pour importer de
l'héroïne, doit prouver que le complot se rapportait en fait à l'héroïne et non à une autre drogue.
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
Il existe un principe fondamental en droit criminel que l'infraction, précisée dans l'acte
d'accusation, doit être prouvée. Le ministère public a choisi de particulariser l'infraction en
l'espèce en précisant qu'il s'agissait d'un complot pour importer de l'héroïne; ayant fait cela, il
était obligé de faire la preuve de l'infraction ainsi précisée. Permettre au ministère public de faire
la preuve d'une autre infraction reviendrait à miner la raison pour laquelle des détails sont
apportés.
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Il ne conviendrait pas que la Cour permette au ministère public de modifier l'accusation pour
supprimer la mention du stupéfiant visé comme étant de l'héroïne. Une telle modification, qui
modifierait fondamentalement et rétroactivement la nature de ce que le ministère public doit
prouver, serait injuste et préjudiciable envers les intimés.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Morozuk c. La Reine, [1986] l R.C.S. 31; R. c. Côté, [1978] 1 R.C.S. 8.
Lois et règlements cités
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N-1, art. 5.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (1987), 14 B.C.L.R.
(2d) 313, 58 C.R. (3d) 83, 35 C.C.C. (3d) 385, qui a infirmé les déclarations de culpabilité des
intimés relativement à des accusations de complot pour importer de l'héroïne. Pourvoi rejeté.
S. David Frankel, c.r., pour l'appelante.
P. Michael Bolton, c.r., et Chris Tollefson, pour l'intimé Rooke.
Edward L. Greenspan, c.r., pour l'intimé De Vries.
//Le juge McLachlin//
Version française du jugement de la Cour rendu par
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Le juge McLachlin -- La question que soulève ce pourvoi est de savoir si le juge du procès a
commis une erreur dans ses directives au jury relativement à une accusation de complot pour
importer de l'héroïne en lui disant qu'il pourrait déclarer les accusés coupables s'il était convaincu
hors de tout doute raisonnable qu'ils avaient comploté pour importer un stupéfiant quelconque
interdit en vertu de la Loi sur les stupéfiants.
L'acte d'accusation porté contre les accusés se lisait ainsi:
[TRADUCTION] Stephen Albert Rooke, Norman Herbert Rooke, Andrew Stephen Gray,
Narinder Paul Rai, Tracy Ellen Saunders et Roy Clive De Vries sont accusés d'avoir, entre le
1er juin 1982 et le 25 mai 1983, en divers endroits dans le comté de Victoria, le comté de
Nanaimo et ailleurs dans la province de la Colombie-Britannique, illégalement comploté
ensemble et avec Douglas White, Narinder Kumar Saini et Peter Jacob Derksen, l'un avec
l'autre ou les autres et avec des personnes inconnues, pour commettre l'acte criminel
d'importation d'un stupéfiant, à savoir du diacétylmorphine (héroïne), au CANADA,
contrairement à l'article 5 de la LOI SUR LES STUPÉFIANTS, S.R.C. 1970, ch. N-1, et
d'avoir ainsi commis une infraction à l'alinéa 423(1)d) du CODE CRIMINEL, S.R.C. 1970,
ch. C-34.
Au début de l'audience, le ministère public a dit qu'il avait l'intention de prouver que les accusés
avaient comploté pour importer de l'héroïne. Au cours du procès, il est devenu clair que le
stupéfiant importé qui devait permettre au ministère public de faire la preuve d'un élément
essentiel du complot reproché n'était pas de l'héroïne mais de la cocaïne. On a permis au
ministère public de présenter la preuve de l'importation de cocaïne. Le juge du procès ne s'est
cependant pas écarté de l'opinion qu'il avait exprimée plus tôt en l'espèce que le ministère public
serait obligé d'établir l'existence d'un complot pour importer de l'héroïne. Sur la foi de cette
affirmation, Rooke, l'un des accusés, est venu témoigner à la barre que, bien qu'il ait fait partie
de complots pour importer d'autres drogues, il n'avait pas été partie à un complot pour importer
de l'héroïne de la manière reprochée.
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Après l'exposé des avocats au jury, on a soulevé la question de savoir si le juge devrait dire
au jury dans ses directives qu'il pourrait déclarer les accusés coupables en l'absence de preuve
qu'ils ont comploté pour importer de l'héroïne, et qu'il était suffisant pour justifier une déclaration
de culpabilité que le jury soit convaincu que les accusés avaient comploté pour importer un
stupéfiant quelconque. Le juge du procès a donné des directives en ce sens et le jury a déclaré
les accusés coupables.
La Cour d'appel a infirmé les déclarations de culpabilité et ordonné la tenue d'un nouveau
procès pour le motif que le ministère public, ayant inculpé les accusés de complot pour importer
de l'héroïne, doit prouver que le complot se rapportait en fait à l'héroïne et non à une autre
drogue: (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 313, 58 C.R. (3d) 83, 35 C.C.C. (3d) 385. Le ministère public
se pourvoit contre cet arrêt.
Je suis d'avis que le pourvoi doit être rejeté. Il existe un principe fondamental en droit criminel
que l'infraction, précisée dans l'acte d'accusation, doit être prouvée. Dans l'arrêt Morozuk c. La
Reine, [1986] 1 R.C.S. 31, à la p. 37, notre Cour a décidé que lorsque le ministère public a précisé
le stupéfiant dans un chef d'accusation, l'accusé ne peut être déclaré coupable si on fait la preuve
d'un autre stupéfiant que celui qui est précisé. Le ministère public a choisi de particulariser
l'infraction en l'espèce en précisant qu'il s'agissait d'un complot pour importer de l'héroïne. Ayant
fait cela, il était obligé de faire la preuve de l'infraction ainsi précisée. Permettre au ministère
public de faire la preuve d'une autre infraction ayant des caractéristiques différentes reviendrait
à miner la raison pour laquelle des détails sont apportés, c'est-à-dire permettre à "l'accusé [. . .]
[d']être raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, pour lui donner ainsi la
possibilité d'une défense complète et d'un procès équitable": R. c. Côté, [1978] R.C.S. 8, à la
p. 13.
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Le substitut du procureur général prétend que l'arrêt de la Cour d'appel signifie que le
ministère public échouera nécessairement dans chaque cas s'il ne peut prouver que le complot
se rapportait à un stupéfiant particulier par opposition à un stupéfiant quelconque interdit. Je ne
puis retenir cette prétention. Je partage l'avis du substitut du procureur général que l'essence de
l'infraction est le complot pour importer un stupéfiant plutôt qu'un genre particulier de stupéfiant.
La raison pour laquelle il faut préciser le stupéfiant dans un cas comme celui-ci est d'identifier
l'opération à l'origine du complot reproché. Il existe diverses façons de respecter la condition
fondamentale que l'accusation fournisse suffisamment de détails pour que l'accusé puisse
raisonnablement identifier l'opération précise. Lorsque le ministère public a la preuve du
stupéfiant particulier qui est visé, il peut à juste titre être obligé de la présenter comme détail
permettant d'identifier l'opération. Mais lorsque le ministère public ne connaît pas avec certitude
le stupéfiant particulier qui faisait l'objet du complot, il peut à juste titre refuser de préciser le
stupéfiant. L'acte d'accusation peut néanmoins être maintenu pourvu qu'il identifie suffisamment
clairement le complot reproché d'une autre façon. En l'espèce, il doit y avoir un nouveau procès
non pas parce qu'une déclaration de culpabilité relativement à un complot pour importer un
stupéfiant ne peut être justifiée sans la preuve du type de stupéfiant visé, mais plutôt parce que
le ministère public a choisi en l'espèce de préciser le stupéfiant visé et n'a pas fait la preuve du
complot ainsi particularisé.
Le ministère public a demandé que notre Cour modifie l'accusation pour supprimer la mention
du stupéfiant visé comme étant de l'héroïne pour se conformer aux directives du juge du procès
et à la déclaration de culpabilité prononcée par le jury. Cette modification n'a pas été demandée
au procès ni en Cour d'appel. Le procès s'est déroulé selon le principe que, pour avoir gain de
cause, le ministère public devait prouver l'existence d'un complot se rapportant à l'héroïne. L'un
des accusés est venu témoigner à la barre pour cette raison. Compte tenu du déroulement des
événements, ce serait agir d'une façon injuste et préjudiciable envers les accusés que de permettre
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de modifier fondamentalement et rétroactivement la nature de ce que le ministère public doit
prouver. Pour ces motifs, il ne conviendrait d'accorder la modification demandée.
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l'appelante: John C. Tait, Ottawa.
Procureurs de l'intimé Rooke: Bolton & Muldoon, Vancouver.
Procureurs de l'intimé De Vries: Greenspan, Rosenberg, Toronto.