CANADA
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COUR MUNICIPALE DE LA VILLE DE MONTRÉAL |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE MONTRÉAL
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N°: 713 663 720
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Montréal, le 7 avril 2000 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. LE JUGE ANTONIO DISCEPOLA
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FABIO ZENOBIO,
Défendeur-requérant
c.
VILLE DE MONTRÉAL,
Poursuivante-intimée
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JUGEMENT SUR REQUÊTE
EN RÉTRACTATION
Fabio Zenobio
Défendeur-requérant
Me Benoit Dagenais
Procureur de la poursuivante-intimée
I- LES FAITS
Le 18 février 1998, le défendeur reçoit une contravention pour avoir « circuler à une vitesse supérieure à la limite de 70 km/h indiquée sur la signalisation installée ».
Il plaide non coupable et un avis d'audition pour le 5 octobre 1999 lui est alors signifiée par huissier dans la boîte aux lettres de sa résidence où il demeure avec ses parents. Le jour de l'audition, le défendeur ne se présente pas. Il témoigne sous serment ne pas avoir eu connaissance de cet avis.
Le 1er décembre 1999, il rédige une première requête en rétractation de jugement alléguant ne pas avoir eu connaissance de l'avis d'audition pour le 5 octobre 1999. Aussi, il allègue avoir eu connaissance le 20 novembre 199 du jugement par défaut.
À la demande du défendeur cette première requête est présentable le 17 janvier 2000. À cette date, le défendeur n'est pas présent et la requête est rayée du rôle. Il explique qu'il ne s'est pas présenté lors de l'audition de cette requête puisqu'il avait quitté la région de Montréal en raison de son travail. De plus, il ajoute ne pas avoir eu le temps de demander une remise.
Comme moyen de défense, il nie avoir conduit à une vitesse supérieure à la limite permise. Lorsque le requérant circule sur la rue Papineau, il voit un appareil électronique installé par l'intimé sur la voie publique qui affiche une vitesse de 75-76 km/h. Sur le constat d'infraction il est indiqué une vitesse de 99 km/h. Le requérant dit ne pas avoir regardé son odomètre et il est le seul véhicule qui circule sur la voie à ce moment-là.
Le 13 mars 2000, le défendeur se présente devant le Tribunal avec une deuxième requête en rétractation de jugement rédigée le 22 février 2000. Il déclare avoir déposé cette requête après avoir reçu un avis disant que son permis de conduire serait suspendu.
II- LES POINTS EN LITIGES
L'intimé soumet que le jugement qui a rayé la première requête du rôle a eu comme effet juridique de la rendre inexistante.
La présentation de la deuxième requête est donc tardive, soit hors du délai de 15 jours imparti par la loi.
Par contre, la poursuite admet que le défendeur a un motif sérieux pour expliquer son absence lors de son procès le 5 octobre 1999 et qu'il a soumis des éléments de défense.
III. LE DROIT
1. Principes de rétractation de jugement.
L'article 250 du Code de procédure pénale prévoit :
250. [Cas de rétractation] Le défendeur qui a été déclaré coupable par défaut et qui, pour un motif sérieux, n'a pu présenter sa défense peut demander la rétractation de ce jugement au juge qui l'a rendu ou, s'il n'est pas disponible, à un juge ayant compétence pour le rendre dans le district judiciaire où le jugement a été rendu.
Cet article introduit, dans le domaine du droit statutaire, une notion juridique inspirée du Code de procédure civile. Il permet à un défendeur, par une procédure simple et peu coûteuse, de se pourvoir contre un jugement rendu à son insu. Antérieurement, le défendeur devait procéder par voie d'appel[1].
Par contre, cette nouvelle disposition ne doit pas être utilisée comme un moyen pour se soustraire à l'exécution des jugements. Il doit servir comme moyen de se prévaloir contre un jugement qui a porté atteinte au droit à une défense pleine et entière[2].
Lors de la présentation d'un requête en rétractation de jugement, le Tribunal doit soupeser deux principes qui s'affrontent : le principe de l'irrévocabilité des jugements, principe qui est essentiel à une saine administration de la justice, et celui qui est contraire à la justice naturelle qu'une partie puisse être condamnée sans avoir eu l'occasion de se faire entendre[3].
Le principe de l'irrévocabilité des jugements est préservé en exigeant du requérant un « motif sérieux » pour la réouverture d'un litige, mais par la même occasion la procédure doit être suffisamment souple afin d'assurer la protection des droits de celui qui n'a pas eu l'occasion de se faire entendre pour une raison qui échappe à son contrôle[4].
Malgré l'instinct naturel de tout juge de vouloir sauvegarder les droits d'une personne qui n'a pas eu l'occasion de se faire entendre, la remise en question d'un jugement doit demeurer l'exception et non la règle. Étant une exception les exigences de l'article 250 du Code de procédure pénale doivent être appliquées avec rigueur.
Dans la cause du Procureur Général du Québec c. Hébert[5], la Cour d'appel du Québec résume les obligations du requérant lors de la présentation de sa requête. La première obligation est : qu'il doit démontrer qu'il n'a pas eu la possibilité de se faire entendre, soit qu'il n'a pas reçu l'avis d'audition ou l'ayant reçu il n'a pas été en mesure de se défendre.
Pour justifier son absence à l'audition[6]:
« Il faut que le requérant établisse que, bien qu'il ait apporté à répondre à cette signification la diligence que la personne raisonnable met à traiter d'une affaire importante, un contretemps ou quelque autre considération l'ont empêché de se défendre...»
Il ne s'agit pas d'une impossibilité physique de comparaître.
La deuxième obligation à respecter est : qu'il doit démontrer qu'il a un motif pour contester le jugement.
Le défendeur a une obligation d'établir, sur balance des probabilités, qu'il y a matière à débat utile lors d'un nouveau procès. Il doit dévoiler l'essence de sa contestation, mais pas sa preuve.
Le défendeur n'a donc pas à étayer sa défense dans la requête, comme il est requis par le Code de procédure civile. Même si ce recours est d'inspiration du droit civil, la Cour d'appel dans Procureur Général du Québec c. Hébert[7] est d'avis qu'il est inapproprié d'importer du droit civil des exigences qui n'ont pas leur place en matière pénale, en exigeant du défendeur d'étayer sa défense dans sa requête.
Le juge n'a pas à évaluer le poids à accorder à la version de sa défense, ni les chances de succès de celle-ci. À ce stade le juge doit se limiter à se poser la question suivante : est-ce que le défendeur soulève une question qui peut raisonnablement faire l'objet d'un débat contradictoire lors d'un nouveau procès?
Ce recours est limité dans les cas où le défendeur :
i) est déclaré coupable;
ii) par défaut;
iii) qui n'a pu, pour un motif sérieux, présenter sa défense.
Il ne peut donc être utilisé pour d'autres situations juridiques, i.e. paiement de l'amende par erreur[8]. Dans ce cas, il est nécessaire de présenter une requête pour retirer un plaidoyer de culpabilité ou un appel devant la Cour supérieure.
Afin de ne pas porter atteinte à la bonne administration de la justice le Législateur impose une limite temporelle sur ce droit :
«252. [Délai] La demande écrite doit être produite dans les 15 jours de la date à laquelle le défendeur a pris connaissance du jugement le déclarant coupable.
[Retard du défendeur] Toutefois, sur demande écrite, le juge peut relever le défendeur des conséquences de son retard lorsque celui-ci établit qu'il était dans l'impossibilité de présenter une demande de rétractation dans ce délai. »
Le défendeur doit donc produire (et non se présenter devant le Tribunal) sa requête dans les 15 jours. L'avis de présentation peut indiquer une date plus éloignée.
2. Requête rayée du rôle
La poursuite soumet la cause de F.G. Lister & Co. Ltd. c. Aliments Trois-Frères Ltée[9] pour appuyer sa prétention qu'une requête « rayée du rôle » n'existe plus. En effet dans cette cause le juge Guthrie décide, en matière civile, qu'une requête en rétractation de jugement rayée du rôle n'existe plus et qu'une nouvelle requête en rétractation doit être présentée. Une requête continuée sine die (remise sans une date précise) existe toujours et elle peut être présentée à une date ultérieure.
Le juge Guthrie arrive à cette conclusion en considérant la définition du mot rayé dans les dictionnaires et les termes utilisés dans les règles de pratiques de la Cour supérieure.
IV LE DROIT APPLIQUÉ AUX FAITS
Il n'est pas clair, ni dans les procédures, ni dans le témoignage du défendeur, s'il désire rétracter le jugement rendu par défaut le 5 octobre 1999, ou rétracter le jugement ayant rayé sa première requête en rétractation. Il est donc utile ici de traiter les deux situations :
1. Jugement par défaut
À première vue, il appert que si le défendeur avait été présent lors de la présentation de sa première requête le 17 janvier 2000, elle aurait été fondée puisqu'il établit ne pas avoir reçu l'avis d'audition. Le Tribunal n'a aucun motif de rejeter le témoignage assermenté du requérant. Il s'est donc déchargé de son fardeau, sur balance des probabilités, sur ce point. De plus, il a des éléments de défense à faire valoir, l'intimée reconnaît d'ailleurs ces faits.
Par contre, puisqu'il n'est pas présent le 17 janvier 2000, sa requête est rayée.
2. Jugement rayant la première requête du rôle
Même si la requête en rétractation de jugement du Code de procédure pénale est d'inspiration civile, elle n'est pas identique à l'article 482 du Code de procédure civile qui prévoit :
« Article 482. La partie condamnée par défaut de comparaître ou de plaider peut, si elle a été empêchée de produire sa défense, par surprise, par fraude ou par quelque autre cause jugée suffisante, demander que le jugement soit rétracté, et la poursuite rejetée.
La requête, adressée au tribunal où le jugement a été rendu, doit contenir non seulement les motifs qui justifient la rétractation, mais aussi les moyens de défense à l'action. »
De plus, il faut avoir à l'esprit que la requête en rétractation de jugement du Code de procédure pénale doit être appliquée dans un contexte pénal. L'application de certaines notions du droit civil ne sont pas toujours appropriées en droit pénal[10].
La requête du Code de procédure civile prévoit donc, deux situations où une requête est possible :
i) par défaut de comparaître; et/ou
ii) défaut de plaider.
En matière civile, il est donc possible de présenter une requête en rétractation contre un jugement rejetant une requête en rétractation[11].
Alors que la requête en rétractation du Code de procédure pénale, prévoit seulement le cas d'une personne condamnée par défaut. Il y a donc absence de la notion de défaut de comparaître ou de plaider, ou les deux.
En matière statutaire, la requête en rétractation de jugement n'est pas ouverte pour rétracter un jugement rendu sur une requête en rétractation de jugement, que ce soit un jugement rayant du rôle ou un jugement rejetant une requête, vu l'absence du défendeur lors de la présentation de la requête.
Le Tribunal est d'avis qu'il serait inapproprié d'appliquer en matière pénale la décision rendue dans F.G. Lister c. Aliments Trois-Rivières Ltée[12] au sujet de l'effet juridique d'un décision rayant une requête du rôle. Premièrement, cette décision se fonde, en partie, sur les règles de pratique de la Cour supérieure et deuxièmement le Tribunal est d'avis qu'il n'y a rien au dossier qui pourrait permettre au Tribunal de conclure qu'il était dans l'intention de la poursuite ou du juge qui a rayé la requête du rôle, que cette requête soit rendue inexistante. D'ailleurs, la poursuite n'a pas requis le rejet de cette requête le jour de sa présentation.
La deuxième requête, à laquelle le défendeur annexe un avis de présentation, serait le moyen qu'il a employé pour faire revenir le dossier devant le Tribunal, afin qu'un jugement sur le fonds soit rendu sur sa première requête.
La procédure usuelle à suivre est d'envoyer à la poursuite seulement un avis de présentation de la première requête. Même si le défendeur, non représenté, n'a pas utilisé cette procédure, le dossier est quand même soumis au Tribunal et celui-ci peut se saisir de cette première requête.
V. CONCLUSION
Le Tribunal conclut que la première requête en rétractation n'a pas été rendue inexistante par le jugement « rayée du rôle ». Cette première requête rencontre les critères du Code de procédure pénale et de la jurisprudence. Elle est donc accordée.
Quant à la deuxième requête, elle est rejetée.
ANTONIO DISCEPOLA, j.c.m.
[1] Ferland c. St-Germainn, J.E. (C.S.)
[2] J.D.S. Métal Inc. c. Comité conjoint, C.S. Montréal, no 540-36-0000088-937, 14 octobre 1993
[3] C.U.M. c. Desjardins, (1989) R.J.Q. 1914 (C.S.) et Commission des normes du travail c. Entreprises C.J.S. Inc., (1992) R.D.J. 330 (C.A.)
[4] Industrial Development Bank c. Heath (1971) R.P. 37 (C.S.)
[5] Procureur
général du Québec c. Hébert C.A. Québec no
200-10-000046-917, 17 octobre 1994
[6] Op.cit
[7] Op.cit
[8] Solma Electroplating Ltd c. C.W.M., C.S. Montréal, no 500-36-00039-919, 1 mai 1991, voir aussi P.G. Québec c. Hébert, op. cit.
[9] [1994] R.J.Q. 1020 (C.S.) 8 mars 1994.
[10] Procureur Général du Québec c. Hébert, op. cit.
[11] Girard c. Foyer Ste-Anne Marie Inc., (1989) R.J.Q. 289 (C.A.)
[12] Op. cit.