JG3265

 

 

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LABELLE

LOCALITÉ DE

MANIWAKI

« Chambre pénale »

N° :

565-61-000718-027

 

 

 

DATE 

15 mai 2003

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

: GEORGES BENOIT

JUGE DE PAIX

______________________________________________________________________

 

PROCUREUR GENERAL DU QUEBEC

POURSUITE

c.

DUGRE CHRISTIAN

DEFENDEUR

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le défendeur doit répondre d’une accusation relative au fait d’avoir circuler en ne respectant pas une règle particulière de circulation imposée au titulaire de permis spéciale de circuler, art.621.35 du Code de la sécurité routière[1].

[2]           Le défendeur par l’intermédiaire de son procureur demande le rejet de l’accusation au motif de l’absence totale de preuve relatif à un des éléments constitutif de l’infraction. Afin de faciliter la lecture de ce jugement, il convient de citer au long l’accusation reprochée: 

A conduit un ensemble de véhicules visé par un permis spécial alors que la chaussée n’est pas dégagée de neige ou de glace. Art. 621 (35) codification 1141

[3]           Le procureur du défendeur plaide que même si l’infraction reprochée ne mentionne pas spécifiquement une référence à l’article 11(4) du Règlement sur le permis spécial de circulation le libellé de l’infraction traduit les prescriptions qui y sont contenues. Il soutient que l’interdiction de circuler sur une chaussée glacée ou enneigée ne prend effet que lorsque la route n’est pas dégagée selon les normes d’entretien en vigueur.

[4]           La preuve du poursuivant n’ayant établi d’aucune façon les normes d’entretien en vigueur sur le tronçon de la route 117 visé par l’accusation, fait essentiel de l’infraction reprochée selon les prétentions de la défense, elle en demande  le rejet en vertu de l’article 210 du Code de procédure pénale.

Contexte législatif

Code de la sécurité routière (Code)

621.  Le gouvernement peut, par règlement

35°    déterminer les dispositions d'un règlement concernant les conditions se rattachant à un permis spécial de circulation relatif à une certaine catégorie de véhicules routiers ou d'ensembles de véhicules routiers dont la violation constitue une infraction et indiquer pour chaque infraction les montants minimum et maximum dont est passible le contrevenant;

Règlement sur les permis spécial de circulation[2](Règlement)  

 

11. Le permis spécial n’autorise pas la circulation :

4°Lorsque la visibilité ne s’étend pas sur une distance sur une distance de 1 km ou que la chaussée n’est pas dégagée de neige ou de glace conformément aux conditions d’entretien applicables à ce chemin

Loi sur les règlements[3](Loi)

15. Tout règlement est publié à la Gazette officielle du Québec.

16. L’article 15 n’a pas pour effet de rendre obligatoire la publication à la Gazette officielle du Québec d’un texte auquel renvoie un règlement.

      Toutefois, une personne ne peut être condamnée pour une infraction commise à l’encontre d’un texte non publié à la Gazette officielle du Québec et auquel renvoie un règlement, à moins qu’il ne soit prouvé que ce texte a été autrement publié et que les personnes susceptibles d’être visées par celui-ci pouvaient en prendre connaissance avant la commission de l’infraction.

Code de Procédure Pénale[4]

210.  Après que le poursuivant a déclaré sa preuve close, le défendeur peut demander d'être acquitté en raison de l'absence totale de preuve quant à un élément essentiel de l'infraction. 1987, c. 96, a. 210

Demande de Non-lieu[5]

[5]           Le législateur, en édictant l'article 210 du Code de Procédure Pénal[6] (Code) a codifié la notion de verdict dirigé d'acquittement ou décision de non-lieu[7] (non-lieu) développée en droit criminel.  Une lecture des commentaires des auteurs[8] qui ont commenté le Code suffit pour convaincre que l'on peut se référer à la jurisprudence en droit criminel du non-lieu pour interpréter l'article 210 du Code.

[6]           Cette notion de non-lieu a été abondamment commentée par la doctrine.[9]  M. le juge Pierre Béliveau dans son manuel :  Principes de Preuve et de Procédures pénales, résume fort bien l'état du droit en la matière :

«1489. La poursuite doit, avant de déclarer que sa preuve est close, avoir soumis une preuve prima facie de l’infraction, c’est-à-dire qu’il doit alors y avoir au dossier une preuve admissible relative à chacun des éléments de l'infraction, preuve qui est telle qu’elle permettrait à un jury correctement instruit en droit de pouvoir raisonnablement prononcer un verdict de culpabilité.  En fait, le critère est le même que celui applicable pour justifier une citation à procès lors de l’enquête préliminaire.  Le juge n’a donc pas, à cette étape, à évaluer la force probante de la preuve ou la crédibilité des témoins.»

[7]           M. le juge Boilard dans son ouvrage: Manuel de Preuve Pénale,[10] traite du test de la suffisance de la preuve pour rendre une décision de non-lieu :

« 0.201 – Quel est le test auquel la preuve est assujettie pour éviter un verdict dirigé d’acquittement ou une décision de non-lieu, au procès, ou encore pour justifier la citation à procès à la suite d’une enquête préliminaire puisqu’il est le même : Etats-Unis d’Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067, p. 1080, (1976) 30 C.C.C. (2d) 424, p. 427, 34 C.R.n.s. 207, p. 211 ? La question s’est soulevée dans R. c. Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679, 123 C.C.C. (3d) 225, 15 C.R. (5th) 1, où le juge Bastarache, porte-parole de la majorité, écrivait :

 

« Pour qu’il y ait des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité, selon le critère de l’arrêt Shephard, le ministère public doit, pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, présenter quelque preuve de culpabilité pour chaque élément essentiel de la définition du crime reproché.  Voir l’ouvrage de Sopinka et autres, The Law of Evidence in Canada (1992), à la p. 136.  Ainsi, dans des poursuites pour meurtre, le ministère public doit présenter des éléments de preuve sur les questions de l’identité, du lieu de causalité, du décès de la victime et de l’état d’esprit requis.  Si le ministère public ne présente aucune preuve pour s’acquitter du fardeau qui lui incombe relativement à l’une ou l’autre de ces questions, le juge du procès devrait imposer un verdict d’acquittement.

 

Il a déjà régné une certaine confusion au sujet de l’applicabilité de ce critère dans les cas où le ministère public disposait uniquement d’une preuve circonstancielle relativement à l’un ou à l’ensemble des éléments du crime reproché.  Dans l’arrêt R. c. Comba, [1938] R.C.S. 396, à la p. 397, la Cour a affirmé que, lorsque le ministère public ne dispose que d’une preuve circonstancielle, le juge du procès peut lui-même appliquer la règle de l’arrêt Hodge, (1838) 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136 (c’est-à-dire que, pour fonder une déclaration de culpabilité sur une preuve circonstancielle, la preuve ne doit permettre de tirer aucune autre conclusion logique) et imposer un verdict.  Toute confusion sur ce point a été dissipée par l’arrêt unanime que notre Cour (le juge McIntyre au nom du juge en chef Dickson et des juges Estey, Lamer (maintenant Juge en chef), Wilson, Le Dain et La Forest) a rendu dans l’affaire Monteleone, précitée, à la p. 161 :

 

Lorsqu’on présente au tribunal un élément de preuve admissible, directe ou circonstancielle, qui, s’il était accepté par un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable, justifierait une déclaration de culpabilité, le juge du procès n’est pas justifié d’imposer un verdict d’acquittement.  Le juge du procès n’a pas pour fonction d’évaluer la preuve en vérifiant sa force probante ou sa fiabilité lorsqu’on a décidé qu’elle était admissible.  Il n’incombe pas au juge du procès de faire des inférences de fait d’après les éléments de preuve qui lui sont présentés.  Ces fonctions incombent au juge des faits, le juge. (Je souligne)

 

Dans les cas où la preuve est purement circonstancielle, notre Cour a dit très clairement, à la p. 161, qu’il appartient au jury et non pas au juge de décider s’il a été satisfait au critère de l’arrêt Hodge : « La question de savoir si la preuve circonstancielle satisfait à l’exigence de la règle dite de l’arrêt Hodge […] doit être tranchée par le jury.  Cette question a été réglée dans l’arrêt Mezzo [Mezzo c. La Reine [1986] 1 R.C.S. 802] … » (je souligne).  En d’autres termes, il appartient au jury de déterminer s’il existe, à l’égard de cette preuve, une autre explication logique que la culpabilité de l’accusé.  À mon avis, ce point de vue est déterminant en l’espèce et la Cour n’a qu’à s’en remettre à cet arrêt »

[8]           Quels sont les mécanismes d’application de cette demande de non-lieu?  Pour faciliter la lecture de cette décision, il paraît utile de citer les versions française et anglaise de l’article 210 du Code.

« 210. [Preuve close] Après que le poursuivant a déclaré sa preuve close, le défendeur peut demander d’être acquitté en raison de l’absence totale de preuve quant à un élément essentiel de l'infraction. »

 

« 210. [Application for acquittal] After the prosecutor has declared his proof closed, the defendant may apply for acquittal by reason of the total absence of proof of an essential element of the offence. »

[9]           Cette disposition permet à un juge de rejeter une dénonciation s’il y a absence totale de preuve quant à un élément essentiel de l’infraction.  Cette demande se présente après la preuve à charge.  Si elle n'est pas acceptée par le tribunal, la défense conserve le loisir de présenter une défense le cas échéant.

[10]        Le tribunal, saisit d'une requête en non-lieu, doit décider s’il y a absence totale quant à un élément essentiel de l’infraction.  Pour ce faire, le tribunal devra disposer dans un premier temps d’une question de droit, à savoir la détermination de l’existence d’éléments de preuve sur chacun des éléments essentiels de l’infraction.  M. le juge Gilles Létourneau et le professeur Pierre Robert[11] dans leurs commentaires sous l'article 210 du Code de procédure pénale décrivent le test de la détermination de l’existence de la preuve en se référant au concept développé dans l’arrêt de la Cour suprême : Etats-Unis d’Amérique c. Shephard.[12]

« L’objet d’une demande de non-lieu est l’absence ou l’existence d’éléments de preuve sur chacun des éléments essentiels de l’infraction.  Le critère fondamental d’appréciation à cet égard consiste en ce que « le juge du procès n’est pas justifié d’imposer un verdict d’acquittement lorsqu’il existe des éléments de preuve admissibles qui, si un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable y accorde foi, justifieraient une déclaration de culpabilité.»

[11]        Le juge, dans son attribution du juge du droit, doit procéder à l’examen de la preuve et déterminer si le poursuivant a présenté de la preuve sur chacun des éléments essentiels de l’infraction.  À cette étape, il n’a pas à évaluer la force probante de la preuve ni la fiabilité des témoins entendus[13].  Il doit uniquement décider de la question de droit : à savoir l'existence d'éléments de preuve à être soumis au juge des faits (question de fait) qui après s'être correctement dirigé en droit, procèdera à évaluer la preuve pour rendre un verdict.

Faits essentiels

[12]        Le procureur de la défense a raison d’associer le libellé de l’infraction au texte de l’article 11(4) du Règlement sur le permis spécial de circulation. La codification administrative «1141» mentionnée au constat d’infraction y réfère spécifiquement.

[13]        Les faits essentiels de l’infraction sont assez faciles à déterminer. En sus de l’identification du défendeur, la poursuite doit établir l’endroit et la date de l’événement. Elle aura aussi un fardeau de présentation de preuve relativement au fait que le défendeur est titulaire d’un permis spécial de circulation pour l’ensemble routier mentionné au constat d’infraction et que la chaussée n’était pas dégagée de glace ou de neige.

[14]        Du strict de point de vue de la détermination de la question de droit, la poursuite rencontre avec succès son fardeau de présentation et je conclue à l’existence d’une preuve suffisante pour contrer une demande de rejet quant aux éléments que j’ai déjà discutés. Il reste à examiner la question des «Conditions d’entretien applicable à ce chemin».

Conditions d’entretien[14]

[15]        Au règlement sur le permis spécial de circulation, il n’y a pas de définition des conditions d’entretien applicable à la route l17, secteur Grand Remous. Dans une décision des Grues Mobiles Régionales,  j’ai étudié la question de la technique de rédaction législative utilisée à l’article 11(4) du Règlement et écrivait que cette technique est légale mais comporte certaines particularités :

«Le législateur a choisi la technique du renvoi à une norme d'une autre autorité, soit le cahier de norme du Ministère du Transport.  Cette technique du renvoi est permise et codifiée à la Loi sur les règlements.[15]

«15. Tout règlement est publié à la Gazette officielle du Québec.

16. L'article 15 n'a pas pour effet de rendre obligatoire la publication à la Gazette officielle du Québec d'un texte auquel renvoie un règlement.

      Toutefois, une personne ne peut être condamnée pour une infraction commise à l'encontre d'un texte non publié à la Gazette officielle du Québec et auquel renvoie un règlement, à moins qu'il ne soit prouvé que ce texte a été autrement publié et que les pouvaient en prendre connaissance avant la commission de l'infraction.»

 

[16]        Ainsi, une norme peut avoir force du règlement et ne pas avoir à être plaider spécifiquement si le texte de norme préparé par un autre ministère du gouvernement ou par une autre autorité gouvernementale ou non, a été publié dans la Gazette Officielle du Québec.  Une norme non publiée dans la Gazette Officielle du Québec pourra tout de même être génératrice d'obligations et conséquemment d'infractions si le poursuivant prouve par balance des probabilités que le défendeur était en mesure de prendre connaissance de la norme.  Dans l'espèce, les conditions d'entretien applicable à la route 117 ne sont pas publiées dans la Gazette officielle du Québec et doivent être introduite en preuve.  Elles font partie du fardeau de présentation du poursuivant.

[17]        Par le jeu de l’application de l’article 16 de la Loi, la non-publication du texte des normes d’entretien force la poursuite à présenter  la preuve que les normes sont de fait publiées ailleurs que dans la Gazette officielle du Québec et que le défendeur pouvait en avoir connaissance. Dans l’espèce, ces deux derniers éléments deviennent des faits essentiels à prouver et peuvent faire l’objet d’une demande de rejet en vertu de l’article 210 du Code de procédure pénale.

[18]        La preuve de la poursuite s’est limitée au constat d’infraction et une simple lecture du document démontre clairement qu’il y a absence totale sur le fait de la publication des normes d’entretien de la route 117 donnant ouverture à la demande de rejet.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE la demande;

ORDONNE le rejet de la dénonciation;

 

 

__________________________________

GEORGES BENOIT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

Le 10 avril 2003

 



[1] Code de la sécurité routière. L.R.Q. chap. 24.1

[2] Règlement sur les permis spécial de circulation, décret 1440-90, octobre 1990

[3] Loi sur les règlements, L.R.Q. chap. R.18-1

[4] Code de Procédure Pénale. L.R.Q. chap.25.1

[5] Procureur Général du Québec c. Claude Céré. Hull. no : 550-61-003027-998  1 novembre 1999

[6] Code de Procédure Pénal, L.R.Q. chap. C-25.1

[7] Verdict d'acquittement dirigé est l'appellation réservée pour les procès par jury.  La "décision de non lieu" est utilisée pour les procès présider par un juge seul.  Pour fin de concision de cette décision, l'expression "non-lieu" sera employé pour désignée la demande d'acquittement en vertu de l'article 210 du Code.

[8] Code de Procédure Pénale du Québec annoté 1998 4e édition, Wilson et Lafleur, p. 432

  Code de Procédure Pénale annoté et Jurisprudence, Éditions Juridique F.D.

[9] Principes de Preuves et de Procédures pénales de Pierre Béliveau, Édition Thémis 1998 p. 671

[10] Manuel de Preuve Pénale, Jean Guy Boilard, Édition Yvon Blais

[11] Id. art. 210 p. 432

[12] Etats-Unis d’Amérique c. Shephard [1977] 2 R.C.S. 1067

[13] Montelione c. R, [1987] 2, R.C.S. p. 154

  Mezzo c. R., [1986] 1 R.C.S. 802

  R. c. Paul, [1977] 1 R.C.S. 181

[14] P.G.Québec. c. Grues Mobiles Régionale Ltée. Hull. 550-61-000659-009. 20 décembre 2000.

[15] Loi sur les règlements, L.R.Q. chap R 18-1

   Traité de droit administratif, René Dussault et Louis Borgeat, Presse Université Laval, Tome I p. 535-539

   Executive Legislation, John Mark Keyes, Butterworth p. 278-283

   Kruger Inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, juge Lacourcière, cour Supérieure, Trois-Rivière le 28 janvier 1982, 400-05-000389-826

   Maturin c. Les Coffrages Dominic Ltée, cour Supérieure, juge Saint-Arnaud