COUR SUPÉRIEURE

 

Canada

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE hull

(Juridiction criminelle)

 

No :

550-36-000037-000
(550-61-005154-998)
550-36-000038-008
(550-61-005155-995)
550-36-000039-006
(550-61-000283-008)
550-36-000040-004
(550-61-000284-006)
550-36-000041-002
(550-61-000286-001)
550-36-000042-000
(550-61-005159-997)
550-36-000043-008
(550-61-005157-991)
550-36-000044-006
(550-61-000282-000)
550-36-000045-003
(550-61-005158-999)
550-36-000046-001
(550-61-005156-993)

 

 

DATE :

hull, le 21 décembre 2000

 

 

 EN PRÉSENCE DE : L'HONORABLE

orville frenette, j.c.s. (OJF0143)

 

 

CORPORATION DES MAÎTRES ÉLECTRICIENS DU QUÉBEC,

Poursuivante-APPELANTE,

c.

RICHARD CLÉMENT,

Défendeur-INTIMÉ.

 

 

JUGEMENT

 

 

Ces appels ont été logés à l'encontre de décisions rendues à Hull, le 7 juin 2000, par M. Georges Benoît, J. P., condamnant l'intimé de trois infractions à l'article 21 de la Loi sur les maîtres électriciens et prononçant un arrêt, conditionnel des procédures sur dix autres dossiers connexes.

L'appelante allègue que cette décision est erronée en droit.

Résumé des faits établis

La preuve a révélé que l'intimé Richard Clément est électricien mais n'est pas membre de la Corporation des maîtres électriciens du Québec (L.Q.M.-3).

En 1998 et 1999, il était à l'emploi des Entreprises Électriques Pierre Charlebois (ci-après appelées Entreprises Charlebois), à titre de vendeur à commission. L'entrepreneur Charlebois est membre en règle de la corporation précitée. Il exécute les contrats obtenus par l'intimé.

L'intimé est travailleur autonome, négociant des contrats pour l'entreprise Charlebois, étant rémunéré à commission strictement, à raison de 10% du montant des contrats obtenus. De sa propre initiative il a fait paraître des annonces pour attirer des clients lesquels étaient référés à l'entreprise Charlebois pour l'exécution des travaux électriques.

Il a fait paraître ces annonces entre, le 11 décembre 1998 jusqu'au 18 août 1999 dans trois journaux de la région de l'Outaouais.

Le droit

L'article 21(2) de la Loi sur les maîtres électriciens énonce les différentes façons de commettre des infractions à cette loi.

La jurisprudence a bien reconnu que la pratique illégale d'un métier ou d'une profession pouvait se faire par des annonces dans des périodiques ou des journaux[1].

L'infraction est commise lorsqu'une personne s'arroge le titre de maître mécanicien ou laisse entendre au public qu'il l'est, alors qu'il n'est pas membre.

Dans les dossiers impliqués ici, la corporation appelante reprochait à l'intimé d'avoir, par les annonces qu'il a fait paraître dans trois périodiques distincts, laissé entendre qu'il était électricien membre de la corporation.

Le Juge Benoît a décidé que l'intimé avait commis ces infractions. Il a rappelé qu'il s'agissait d'infractions de responsabilité stricte et que la référence, post facto, à un maître électricien pour l'exécution des travaux, ne bénéficiait pas de la défense de diligence raisonnable[2].

Le Juge a condamné l'intimé sur trois infractions parce qu'il avait publié des annonces dans trois périodiques distincts et a imposé les amendes prévues. Il a conclu que pour les fins de l'administration de la justice, il n'y avait pas lieu de multiplier les dossiers, lesquels auraient dû être traités comme une situation d'infraction continue. Dans cette optique, il a prononcé un arrêt conditionnel des procédures dans les dix autres dossiers.

L'appelante soulève deux moyens d'appel :

Les condamnations auraient dû être prononcées dans les treize dossiers d'infractions commises à des dates distinctes

L'article 155 du Code de Procédure pénale stipule ce qui suit :

"Lorsqu'une infraction a duré plus d'un jour, on compte autant d'infractions distinctes qu'il y a de jours ou de fractions de jour qu'elle a duré et ces infractions peuvent être décrites dans un seul chef d'accusation".

Cet article de nature interprétative énonce une règle de procédure ou d'interprétation qui considère l'infraction continue comme d'autant d'infractions distinctes.

Par ailleurs, la sévérité de cette règle est atténuée par le tempérament apporté par la dernière ligne de l'article, qui permet au poursuivant de n'exercer qu'un seul recours par une seule dénonciation qui inclut l'infraction continue[3].

Les auteurs Létourneau et Robert, qualifient de dérogatoire et d'exceptionnelle l'infraction continue et opinent qu'en cas de doute, un tribunal doit en faire bénéficier le prévenu[4].

Avant l'adoption du Code de procédure pénale, la jurisprudence était divisée quant à savoir ce que constituait l'infraction continue et ses conséquences, parce que la législation de l'époque ne prévoyait pas toujours cette particularité[5]. Le Code de procédure pénale prévoit maintenant cette disposition par l'article 155.

Cet article stipule que lorsqu'une infraction a duré plus d'un jour, on peut déposer une dénonciation pour plusieurs infractions mais aussi dans un seul acte d'accusation.

Ici, il y a eu treize dénonciations soit pour les treize jours distincts. Le premier juge a trouvé ce choix inopportun et contraire aux fins de l'administration de la justice. Dans cette optique il a décidé de regrouper trois infractions pour chaque périodique où l'annonce a paru, pour ensuite effectuer un arrêt conditionnel des deux autres dossiers.

L'arrêt conditionnel

L'arrêt conditionnel est une notion émanant du droit criminel interdisant des déclarations de culpabilité multiples issues des mêmes faits, ayant des liens très étroits, développés par l'arrêt Kienapple c. La Reine[6].

La Cour suprême du Canada a reconsidéré et modifié l'application de la théorie énoncée dans l'arrêt Kienapple par les arrêts subséquents rendus dans Terlecki c. La Reine[7], Hammerling c. La Reine[8] et La Reine c. Provo[9].

Elle a établi que les tribunaux avaient compétence, après avoir trouvé l'accusé coupable de l'infraction principale pour, soit, acquitter l'accusé ou substituer un arrêt conditionnel des autres infractions reprochées émanant des mêmes circonstances. Cette approche nouvelle a été suivie par la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt Fauteux, une affaire concernant une infraction criminelle[10].

Il est fort intéressant de constater que dans l'arrêt Fauteux, la Cour d'appel, déclarant suivre les lignes directrices en la. matière formulées par la Cour suprême du Canada, a statué qu'il appartenait, selon l'arrêt Terlecki, au juge du procès et non pas au tribunal d'appel de se prononcer sur la culpabilité ou la non-culpabilité de l'accusé sur le premier chef et s'il trouvait l'accusé coupable il pouvait alors soit l'acquitter ou ordonner un arrêt conditionnel des procédures sur un arrêt chef d'accusation[11].

Le développement de cette théorie de l'arrêt des procédures se fonde sur le Code criminel et son interprétation.

Or, le présent dossier implique l'article 155 du Code de procédure pénal qui ne parle pas d'arrêt de procédures quoiqu'on réalise que l'interprétation de ce Code peut s'inspirer de celle du Code criminel.

Si on applique rigidement les enseignements de la Cour suprême sur l'interprétation contre les condamnations multiples sur les mêmes faits, on se trouve en face d'une contradiction avec l'article 155 du Code de procédure pénale.

Il demeure que le juge du procès possède la discrétion, selon l'interprétation découlant de l'arrêt Kienapple, soit d'acquitter ou d'ordonner un arrêt des procédures (stay of proceedings), sur les autres infractions incluses ou similaires.

Dans le présent dossier, il s'agit d'infractions pénales provinciales considérées bien moins graves que des infractions criminelles. Il ne faudrait donc pas être plus exigeant en droit pénal qu'en droit criminel.

Dans le présent dossier, le premier juge a exercé sa discrétion et a imposé un arrêt des procédures. Il avait le droit d'exercer cette compétence et à mon avis il l'a exercée judiciairement ; car s'il avait prononcé des condamnations multiples dans tous les cas (13), j'estime que l'administration de la justice aurait été déconsidérée. Dans les circonstances, l'appel doit être rejeté.

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

REJETTE l'appel de l'appelante dans tous les dossiers énumérés.

 

 

ORVILLE FRENETTE, J.C.S.

Me Anaïk LeGoff
Procureure de la poursuivante-Appelante
Corporation des maîtres électriciens du Québec.

M. Richard Clément,
se représentant seul.

 



[1]           Le Barreau du Québec c. Rémillard J.E. 94-1847 (C.Q.) ; La Corporation des maîtres électriciens du Québec c. St-Jacques 500-36-000126-931 (C.S) ; La Corporation des maîtres électriciens du Québec c. Bulic C.Q.M. No : 500-27-022296-927, 1er novembre 1993 ; La Corporation des maîtres électriciens du Québec c. Corriveau C.Q.M. No : 500-27-008859-938, 14 février 1994 (CQ.).

[2]           Fernand Richer c. Procureur Général du Québec, C.S.M. No : 590-36-000295-801, 14 avril 1981, Juge Jean-Guy Boilard ; Voir : La Reine c. La Corporation de la Ville de Sault Ste-Marie [1978] 2 R.C.S. 1299.

[3]           Létourneau, Gilles, Robert, Pierre, "Code de Procédure Pénale du Québec, annoté", 4e éd) 1998, Wilson & Lafleur Ltée, pp. 300 à 313.

[4]           Op. cit. note 3 - p. 312.

[5]           Le Comité Conjoint de l'industrie de la construction du Québec c. D. Larue Limitée [1970] R.L.N.S. 17 (C.P.) ; La Ville de Montréal c. Café Métropole Inc. [1972] R.L.N.S. 264 (C.M.).

[6]           [1975] 1 R.C.S. 729.

[7]           [1985] 2 R.C.S. 483.

[8]           [1982] 2 R.C.S. 905.

[9]           [1989] 2 R.C.S. 3 ; Voir aussi La Reine c. Prince [1986] R.C.S. 480.

[10]          Fauteux c. La Reine R.E.J.B. - 1997-04992.

[11]          Arrêt précité, note 10, p. 2 de 6.

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