C A N A D A C O U R S U P E R I E U R E
PROVINCE DE QUEBEC (Chambre criminelle)
_________________________________
DISTRICT DE LONGUEUIL
Le 14 septembre 2001
_________________________________
PRESENTE: L'HONORABLE MADAME LE JUGE CLAIRE BARRETTE-JONCAS
_________________________________
VILLE DE LONGUEUIL
appelante
c.
PAIVA, Ida
intimée
_________________________________
J U G E M E N T
La Ville de Longueuil en appelle du jugement qui acquittait le 16 février 2000 Madame Ida Paiva d'une accusation lui reprochant, alors que:
"conducteur d'un véhicule face à un feu rouge, (de) ne pas (l'avoir) immobilisé avant la ligne d'arrêt, le 1er septembre 1999 à l'intersection Chambly et Curé Poirier."
en contravention avec l'article 359 du Code de la sécurité routière qui se lit comme suit:
"À moins d'une signalisation contraire, face à un feu rouge, le conducteur d'un véhicule routier ou d'une bicyclette doit immobiliser son véhicule avant le passage pour piétons ou la ligne d'arrêt ou, s'il n'y en a pas, avant la ligne latérale de la chaussée qu'il s'apprête à croiser."
Le constat qu'elle avait reçu indiquait que cette infraction l'aurait rendue possible d'une peine minimale de 100$ avec 36$ de frais et de trois points d'inaptitude.
L'appelante reproche au juge de première instance d'avoir erré en droit:
"
a) En refusant de suivre la règle du Stare Decisis sous prétexte que la Cour supérieure n'avait pas statué spécifiquement sur l'approche préconisée par le juge de première instance;
b) En omettant, négligeant ou refusant d'examiner au mérite la question d'infraction moindre et incluse à la lumière de l'arrêt Municipalité du Canton de Granby c. Alain Couture (460-36-000009-936), préférant être lié par la décision qu'il avait lui-même rendue dans Ville de Longueuil c. Morin (98-14161), une décision qui avec respect, était per incuriam;
c) En prétendant que l'expression:
" … ou en soit si près (ligne latérale de la chaussée) qu'il lui serait impossible d'immobiliser son véhicule sans danger."
prévue à l'article 361 du Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2 permettait une défense de diligence raisonnable;
d) En qualifiant de responsabilité stricte l'infraction prévue à l'article 361 du Code de la sécurité routière L.R.Q., c. C-24.2;
e) En prétendant qu'un infraction de responsabilité stricte ne pouvait être moindre et incluse à une infraction de responsabilité absolue."
Le juge de première instance résume correctement la preuve comme suit:
"Selon la preuve écrite déposée par la poursuite, le policier, et le Tribunal cite: «aurait vu la défenderesse, face à un feu jaune, qui aurait traversé l'intersection alors que le feu était rouge.»
En défense, la défenderesse déclare avoir traversé sur un feu jaune à une vitesse d'environ 40Km à l'heure au point où, lorsqu'elle est arrivée vers l'autre côté de l'intersection, le feu était encore de couleur jaune."
Et il conclut, à bon droit:
"De l'ensemble de la preuve, le Tribunal retient que la défenderesse a définitivement passé sur un feu jaune, sans pour autant justifier son geste."
(j'ai souligné)
Comme
le dit l'honorable Gonthier dans HOWARD, [1994] 2 R.C.S. 299, à la p. 307:
"si le juge de première instance n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante dans son appréciation des faits, une cour d'appel ne devrait pas en infirmer les conclusions."
Voyons cependant si l'article 221 C.p.p. ne devrait pas s'appliquer comme le prétend l'appelante à son second motif d'appel. Cet article se lit comme suit:
"Le juge qui acquitte le défendeur d'une infraction peut cependant le déclarer coupable d'une infraction de moindre gravité établie par la preuve qui est incluse dans l'infraction pour laquelle le défendeur a été acquitté."
Mon collègue l'honorable Bellavance s'est prononcé sur cette question dans Municipalité du Canton de Granby c. COUTURE (jugement inédit rendu le 9 février 1994, dans le dossier 460-36-000009-936). Il s'exprime ainsi (à la p. 2):
"À mon avis, il peut y avoir une infraction moindre et incluse au sens de l'article 221 du Code de procédure pénale (soit celle de ne pas s'être immobilisé face à un feu jaune quand on est accusé de ne pas s'être immobilisé à un feu rouge).
…
Il y a lieu de retenir les éléments suivants:
- sur le plan objectif, brûler un feu jaune se fait alors que la circulation transversale fait face à un feu rouge, ce qui n'est pas le cas lorsqu'on s'immobilise à un feu rouge. Il y a ainsi, au sens de l'article 221 C.p.p., moindre gravité de ne pas s'immobiliser à un feu jaune;
- dans un cas, l'amende est de 100$ et entraîne l'imposition de trois points d'inaptitude. Dans l'autre, l'amende est de 60$ et n'entraîne pas l'inscription de point d'inaptitude;
- celui qui passe sur un feu rouge a vu ou pouvait voir avant, de près ou de loin, un feu jaune qu'il a ignoré. Aussi, l'infraction alléguée (feu rouge) ne pouvait se commettre sans que l'automobiliste n'ait aussi raté l'obligation de s'immobiliser au feu jaune (sur le sujet, voir: R. c. Colburne [1991] R.J.Q., C.A. 1199 à 1214.)
-
aussi, comme l'acte d'accusation, d'avoir raté un feu rouge,
comprend implicitement celui d'avoir raté un feu jaune (sur le sujet: St-Hyacinthe
(Ville de) c. Paul, C.M. Saint-Hyacinthe 64700, j. Locas,
1992-12-15, J.E. 93-351), il n'y a pas d'accusé au principe de l'enquête
procédurale (R. c. Colburne, cité plus haut), puisque l'accusé est informé par
la teneur de l'acte d'accusation de la possibilité d'une telle infraction
incluse."
Le très honorable Lamer (alors qu'il n'était pas encore juge en chef du Canada), a préparé en 1980 un texte sur le stare decisis à l'intention des juges de nomination provinciale nouvellement entrés en fonction. Il y émettait les propositions suivantes relativement à l'application de cette théorie en droit criminel:
"1. Les tribunaux canadiens ne sont pas liés par les décisions anglaises, sauf par les décisions qui ont été rendues par le Conseil privé et la Chambre des lords avant l'abolition des appels au Conseil privé, dans la mesure où la Cour suprême du Canada ne s'en est pas écartée.
2. Les décisions de la Cour suprême du Canada lient toutes les cours, quel que soit leur niveau.
3. Un juge d'une cour provinciale doit suivre une décision émanant de la Cour d'appel de sa province, même s'il est en désaccord avec cette décision et même s'il est convaincu que la Cour suprême la modifierait: R. c. Mankow (1959), 124 C.C.C. 337 (C.A. Alta); R. c. Derriksan, 20 C.C.C. (2d) 157, 52 D.L.R. (3d) 744 (C.S.C.-B.); R. c. Betesh (1975), 30 C.C.C. (2d) 233.
4. Lorsque la Cour d'appel d'une province a tranché une question dans un sens, que d'autres Cours d'appel ont rendu des décisions à l'effet contraire et que la Cour suprême ne s'est pas prononcée sur cette question, un juge devrait adopter l'orientation de sa propre Cour d'appel.
5. Une Cour d'appel n'est pas tenue de suivre un arrêt d'une Cour d'appel d'une autre province, sauf si elle estime qu'elle devrait le faire pour des raisons qui tiennent au fond de l'affaire ou pour tout autre motif valable. Un tribunal de première instance n'est pas tenu de se conformer à la décision d'une Cour d'appel d'une autre province sur une question que n'a pas tranchée sa propre Cour d'appel. L'arrêt de cette autre Cour d'appel n'en conserve pas moins une autorité morale considérable.
6. Les propositions 3, 4 et 5 s'appliquent aux décisions émanant de la Cour supérieure lorsqu'elle exerce ses pouvoirs d'appel ou de surveillance. Un juge d'une cour provinciale doit s'y conformer, à moins que la Cour d'appel les ait cassées ou modifiées.
Toutefois, si deux juges de la Cour supérieure ont rendu des jugements contradictoires, le juge d'une cour provinciale peut choisir celui avec lequel il est d'accord. En revanche, si c'est la Cour d'appel qui a rendu deux décisions contradictoires, il convient de suivre la plus récente des deux.
7. Un juge de première instance n'est pas lié par la décision d'un autre juge siégeant en première instance dans une province différente ni par celle d'un juge œuvrant au sein d'une cour de même niveau dans sa propre province.
8. Lorsqu'un tribunal doit suivre une décision, il n'est lié que par la partie essentielle de cette décision, i.e., par le principe juridique qu'elle énonce."
(j'ai souligné)
C'est d'ailleurs cette attitude qu'avait prise le juge de première instance dans une décision (rendue le 2 mars 2000 dans la cause de La Ville de Longueuil c. LEDUC, C.M. Long. 99-05778, à la p. 3), subséquente à celle-ci et postérieure aussi à sa décision dans l'affaire MORIN, C. M. Long. 98-14161, rendue le 4 mai 1999 dont je reparlerai plus tard. Je le cite donc dans LEDUC:
" … dans l'arrêt R. c. Wilson [1983] 2 R.C.S. 594, la Cour suprême du Canada, reprenant les propos du juge Monnin de la Cour d'appel du Manitoba par la voix de l'honorable juge McIntyre, déclarait:
«The record of a superior court is to be treated as absolute verity so long as it stands unreversed. I agree with that statement.»
L'explication de cette règle se retrouve dans l'arrêt R. c. Hummel 60 O.R. (2d) 545 où l'honorable juge Ewaschuk décrit:
«It is the glue that holds together the various levels of Canadian courts and it is the principle that elevates the rule of law above the rule of individual judges. The rule of law reflects the principle that law enunciated by higher levels of court binds lower levels of courts.» "
Le juge de première instance suit son propre jugement dans MORIN (cité antérieurement) et refuse de suivre la décision de l'honorable Bellavance en pareille matière au motif que cette décision qui déclare que le défaut de s'immobiliser à un feu jaune est une infraction incluse au défaut de s'immobiliser à un feu rouge parce que mon collègue, n'aurait pas considéré le fait qu'une infraction de responsabilité stricte ne pourrait être incluse à une infraction de responsabilité absolue. Il ne cite aucune autorité qui aurait déjà soutenu ce principe.
Je n'en connais pas non plus et de toute façon on doit considérer la rédaction identique des articles 359 et 361 sauf quant aux termes, à l'article 361: "à moins qu'il n'y soit engagé ou en soit si près qu'il lui serait impossible d'immobiliser son véhicule sans danger" qui codifient la défense d'impossibilité absolue "qui vaut, (selon le Traité de droit pénal canadien, 4e édition de Côté-Harper et al, à la p.1293), pour l'ensemble des infractions réglementaires" mais qui, en l'espèce, ne peut s'appliquer telle quelle à l'infraction prévue à l'article 359, puisqu'antérieurement l'automobiliste sera tenu d'arrêter sur le feu jaune.
Le juge de première instance était tenu par le stare decisis de suivre la décision rendue par mon collègue dans l'affaire COUTURE et même en acceptant, ce que je suis loin d'être prête à décider, que l'article 361 créé une infraction de responsabilité stricte, ce ne serait pas un motif pour conclure qu'une infraction de responsabilité stricte ne peut être incluse à une infraction de responsabilité absolue.
À l'audience, l'avocat représentant la poursuite m'a demandé, si j'en venais à maintenir l'appel, de ne pas ordonner un nouveau procès mais plutôt de décréter un arrêt de procédures car il ne recherchait qu'une décision de principe sans vouloir causer d'ennuis supplémentaires à Mme Paiva.
POUR CES MOTIFS:
L'appel est maintenu.
Le verdict d'acquittement est annulé.
À la demande de la poursuite, la Cour prononce un arrêt de procédures.
Le tout sans frais.
CLAIRE BARRETTE-JONCAS
Me Daniel Gauthier
Avocat de l'appelante
Madame Ida Paiva
3672, Loiselle
St-Hubert J3Y 7T4