Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Importations Inbeat inc.

2010 QCCQ 8241

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

500-61-263930-092

 

 

 

DATE :

Le 29 septembre 2010

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

 

Johanne White

Juge de paix magistrat

 

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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivant

c.

IMPORTATIONS INBEAT INC.

Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]           Un commerce affichant le nom «INBEAT RECORD STORE» contrevient-il à la Charte de la langue française ?

LES FAITS:

[2]           Un commerce opéré par la compagnie IMPORTATIONS INBEAT INC. et situé boulevard St-Laurent à Montréal, affiche le nom d'entreprise «INBEAT RECORD STORE» dans une langue autre que le français.

[3]           Une mise en demeure est envoyée à la compagnie le 14 février 2008, demandant de corriger la situation dans un délai de trente (30) jours.

[4]           Une visite effectuée le 23 avril 2008 démontre que la situation perdure.  Un constat d'infraction est donc envoyé à la compagnie.

LA PREUVE DU POURSUIVANT:

[5]           La preuve présentée par le poursuivant est strictement documentaire, comme le permet l'article 62 du Code de procédure pénale.

[6]           Après enquête, une mise en demeure datée du 14 février 2008 et signifiée le 18 février 2008, reproche à IMPORTATIONS INBEAT INC. (ci-après «la compagnie»), d'avoir affiché un nom d'entreprise qui n'est pas français. 

[7]           On demande à la compagnie de corriger cette situation dans un délai de trente (30) jours.

[8]           En date du 23 avril 2008, soit plus de deux (2) mois après la signification de la mise en demeure, madame Lucie Couvrette, inspectrice chargée de l'application de la Charte de la langue française, se rend au commerce de la défenderesse et constate que la situation demeure inchangée. 

[9]           Un constat d'infraction est émis.  Des photos du commerce sont jointes au constat d'infraction.

 

LA PREUVE DE LA DÉFENDERESSE:

[10]        IMPORTATIONS INBEAT INC. est représentée par l'un de ses administrateurs, monsieur Christian Pronovost, lors du procès.

[11]        Il affirme que le problème relié à l'affichage du nom du commerce a été corrigé.  Il n'est pas en mesure de préciser à quel moment ce correctif a été apporté.  Il précise que son marché est anglais.  Il considère qu'il y a peut-être un peu de zèle dans toute cette histoire.  Le service aux clients s'effectue toutefois en français.

[12]        Il dit n'avoir jamais reçu la mise en demeure.

[13]        Il se souvient d'avoir parlé à une personne de l'Office de la langue française l'informant qu'il recevrait une lettre, mais n'a rien reçu en mains propres. 

[14]        La personne qui a reçu la mise en demeure est un des employés du commerce, seule personne présente au commerce lors de la visite du huissier le 18 février 2008.

[15]        M. Pronovost plaide sa bonne volonté.

QUESTIONS EN LITIGE:

[16]        1.         La signification de la mise en demeure à la compagnie a-t-elle été effectuée correctement ?

2.         La compagnie IMPORTATIONS INBEAT INC. a-t-elle fait preuve de diligence raisonnable pour ne pas commettre l'infraction qui lui est reprochée ?

 

[17]        Quant à la première question:

La législation pertinente

 

L'article 21 du Code de procédure pénale stipule:

 

La signification par agent de la paix ou huissier se fait par la remise de l'acte de procédure au destinataire. Elle peut aussi être faite à sa résidence, en remettant l'acte à une personne raisonnable qui y habite.

 

Si le destinataire est une personne morale, la signification peut être faite à son siège, à l'un de ses établissements ou à l'établissement d'un de ses agents par la remise de l'acte à un de ses dirigeants ou agents ou à une personne qui a la garde des lieux. (mes soulignés).

L'ANALYSE:

[18]        L'original de la mise en demeure qu'a fait signifier l'Office québécois de la langue française a été remis à monsieur Philippe Grandja, le 18 février 2008.

[19]        M. Philippe Grandja est un employé et a la garde du commerce appartenant à la défenderesse lors de la visite du huissier.

[20]        M. Pronovost a confirmé que monsieur Grandja est un employé et qu'il avait la charge du commerce lors du passage du huissier.

[21]        De plus, lors de son témoignage, monsieur Pronovost a mentionné avoir été informé par l'Office de la langue française qu'une lettre lui serait envoyée.  Nonobstant cette information, monsieur Pronovost ne semble pas avoir pris aucune mesure particulière concernant la gestion du courrier de la compagnie.

[22]        On ne peut que conclure que la signification de la mise en demeure a été validement effectuée et que monsieur Pronovost, en tant qu'administrateur de la compagnie, n'a pas fait preuve de diligence raisonnable quant à la gestion du courrier adressé à la défenderesse.

[23]        Quant à la deuxième question:

La législation pertinente

 

Charte de la langue française

Art. 58               L'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français.

Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.

Toutefois, le gouvernement peut déterminer, par règlement, les lieux, les cas, les conditions ou les circonstances où l'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire uniquement en français ou peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une autre langue.

Art. 63               Le nom d'une entreprise doit être en langue française.

Art. 205                   Quiconque contrevient à une disposition de la présente loi ou des règlements adoptés par le gouvernement en vertu de celle-ci commet une infraction et est passible

a) pour chaque infraction, d'une amende de 250 $ à 700 $ dans le cas d'une personne physique et de 500 $ à 1400 $ dans le cas d'une personne morale;

b) pour toute récidive d'une amende de 500 $ à 1 400 $ dans le cas d'une personne physique, et de 1 000 $ à  7 000 $ dans le cas d'une personne morale.

[24]        La Loi d'interprétation (L.R.Q. ch. 1-16) comporte certaines dispositions pouvant apporter un éclairage à la question en litige.

40. Le préambule d'une loi en fait partie et sert à en expliquer l'objet et la portée.

 

Les lois doivent s'interpréter, en cas de doute, de manière à ne pas restreindre le statut du français.

Toute disposition d'une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

 

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

[25]        Le professeur Côté, dans son ouvrage «L'interprétation des lois» [1] souligne le statut particulier de la Charte de la langue française:

«En droit québécois, on peut mentionner également, à titre de loi fondamentale, la Charte de la langue française.  Le législateur québécois, à l'article 40 de la Loi d'interprétation, a édicté que "les lois doivent s'interpréter, en cas de doute, de manière à ne pas restreindre le statut du français". [3]

L'ANALYSE:

[26]        M. Pronovost reconnaît que le commerce affichait un nom d'entreprise qui n'était pas en langue française.

[27]        Une mise en demeure de corriger cette situation à l'intérieur d'un délai de trente (30) jours a été signifiée à la défenderesse.

[28]        Plus de deux (2) mois plus tard, la situation demeurait inchangée.

[29]        M. Pronovost est incapable de préciser à quel moment le nom du commerce a été modifié.

[30]        Ce qu'on reproche à IMPORTATIONS INBEAT INC. est une infraction de responsabilité stricte.

[31]        Pour pouvoir être exonérée de sa responsabilité pénale, la compagnie devait démontrer qu'elle avait fait preuve de diligence raisonnable pour ne pas commettre l'infraction qui lui est reprochée. 

[32]        Cette démonstration n'a pas été faite à la satisfaction du Tribunal.

[33]        Invoquer sa bonne foi n'est pas suffisant.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

DÉCLARE que la compagnie est coupable de l'infraction qui lui est reprochée;

CONDAMNE la défenderesse à payer l'amende de 500 $, plus les frais;

LUI ACCORDE un délai de quatre-vingt-dix (90) jours pour payer cette amende.

 

 

 

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Johanne White, juge de paix magistrat

 

 

Me Guy Marengère

Pour le poursuivant,

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales

 

M. Christian Pronovost, administrateur

Pour IMPORTATIONS INBEAT INC.

Défenderesse

 

 

 

Date d’audience :

Le 12 mai 2010

 

 



[1] P.A. Côté, L'interprétation des lois, 3e édition, Les Éditions Thémis, 199, p. 473.