C A N A D A        Cour du Québec                           

Province de Québec                                                                                               (Chambre criminelle et pénale

District de Montréal                                                                                                                                                                                                                                             

 

 

MONTRÉAL, le 20 décembre 1996

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

 

L'Honorable BERNARD GRENIER, J.C.Q.

 

                                                                                                                                               

 

DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC

 

                                                                                                                                                                                                                                                                Poursuivant;

 

ALGONQUIN COLLEGE

STUDENT ASS.                                                  500-61-036568-963

 

AURÈLE GERVAIS                                            500-61-036569-961

 

AURÈLE GERVAIS                                            500-61-036570-969

 

KEN SINCLAIR                                                   500-61-036571-967

 

KEN SINCLAIR                                                   500-61-036572-965

 

KEN SINCLAIR                                                   500-61-036573-963

 

KEN SINCLAIR                                                   500-61-036573-961

 

GINSBERG GINGRAS

& ASSOCIÉS INC.                                             500-61-036575-968

 

CONQUEST TOURS                                      500-61-036576-966

 

I.E.C. HOLDEN INC.                                      500-61-036579-960

 

                                                                                                                                                                                                                       Défendeurs.Me Pierre Giroux

 

 


Me Pierre Giroux

Me Stéphane Rochette

Me Pierre Dupras

Me Jean Chartier, avocats du poursuivant

 

Me André Durocher

Me Marc-André Fabien, avocats des défendeurs

 

                                                                                                                                               

 

 

 

                                                                                                                                                                                                        

 

                                                                                       JUGEMENT RELATIF À UNE REQUÊTE

                                                                   EN REJET DE LA POURSUITE

                                                                                                                                                                                                        

 

Les défendeurs m'invitent à rejeter les poursuites intentées contre eux. Ils allèguent l'invalidité des constats d'infraction en raison du fait qu'ils n'ont pas été délivrés par le directeur général des élections lui-même, mais plutôt par Me Jean Chartier à titre de personne autorisée par le poursuivant. Selon eux, la Loi électorale n'autorise que le directeur général des élections à intenter une poursuite pénale et à signer le constat d'infraction. Il ne peut déléguer aucune facette de ce pouvoir, pas même la délivrance du constat. C'est la maxime "delegatus non potest delegare" qui s'applique en l'espèce.

 

Analyse des dispositions législatives pertinentes

 

La fonction de directeur général des élections tire son origine du chapitre 1 du titre VI de la Loi électorale (chap. E 3.3, L.R.Q.). Le directeur général des élections est nommé par l'Assemblée nationale par résolution approuvée par les deux tiers de ses membres. Sa rémunération et ses conditions de travail sont également fixées par l'Assemblée nationale (art. 478). Son mandat est de sept ans (art 479). Il ne peut être destitué que par une résolution approuvée par les deux tiers des membres de l'Assemblée nationale (art. 480).

 


Il veille à l'application de la Loi électorale, en plus d'exécuter tout mandat que lui confie l'Assemblée nationale (art. 485). Il peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un tiers, faire enquête sur l'application de la Loi électorale (art. 491). Pour ses enquêtes il est, à l'instar de toute personne qu'il désigne, investi des pouvoirs et de l'immunité d'un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chap. C-37, L.R.Q.)(art. 494). Il peut nommer deux adjoints pour l'assister dans l'exercice de ses fonctions. Il peut leur déléguer généralement ou spécialement l'exercice des pouvoirs et devoirs que lui attribue la Loi électorale, sous réserve de publication dans la Gazette officielle du Québec (art. 496). Le directeur général des élections peut intenter une poursuite pénale pour une infraction à la loi (art. 569).

 

Les défendeurs et le poursuivant s'entendent pour dire que le directeur général des élections exerce une charge qui lui est confiée directement par l'Assemblée nationale. Comme l'écrivent les procureurs du poursuivant, il n'est ni la Couronne ni son mandataire ou son représentant. Il n'est pas un fonctionnaire au sens de la Loi sur la fonction publique (chap. F-3.1.1, L.R.Q.) Il est indépendant du pouvoir exécutif et ne répond de son administration qu'à l'Assemblée nationale.

 

Deux autres personnages connus sont nommés par un vote des deux tiers de l'Assemblée nationale; il s'agit du Protecteur du citoyen (chap. P-32, L.R.Q.) et du vérificateur général (chap. V-5.01, L.R.Q.). Leur statut est semblable à celui du directeur général des élections, sauf qu'ils ne peuvent intenter de poursuite pénale.

 

Selon le poursuivant, tant le directeur général des élections que le Protecteur du citoyen et le vérificateur général sont des "personnes désignées" par l'Assemblée nationale pour accomplir une mission qu'elle lui confie. Le statut de personne désignée semble reconnu dans certains textes de loi. Ainsi la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chap. A-2.1, L.R.Q.) stipule ce qui suit à l'alinéa 3(2);

 


"Sont assimilés à des organismes publics, aux fins de la présente loi: le lieutenant-gouverneur, l'Assemblée nationale, un organisme dont celle-ci nomme les membres et une personne qu'elle désigne pour exercer une fonction en relevant avec le personnel qu'elle dirige."

 

L'intérêt d'inclure le directeur général des élections dans la notion de "personne désignée" par l'Assemblée nationale découle de la référence à cette même notion à l'article 70 du Code de procédure pénale du Québec (chap. 25.1, L.R.Q.) Cette disposition fait partie de la section IX intitulée "moyens de défense et règles générales de preuve". Avant de reproduire le texte de l'art. 70, il convient de rappeler la définition de "poursuivant" qu'on trouve à l'art. 9 du C.P.P.:

 

"Peuvent être poursuivants:

 

1.                   le Procureur général;

2.                   le poursuivant désigné en vertu d'une autre loi que le présent code, dans la mesure prévue par cette loi;

3.                   la personne qu'un juge autorise à intenter une poursuite."

 

Pour sa part, l'article 70 se lit comme suit:

 

"Le substitut du Procureur général est réputé être une personne autorisée à agir au nom de celui-ci et n'a pas à faire la preuve de cette autorisation.

 


Toute autre personne autorisée par le Procureur général à agir au nom de celui-ci ainsi que toute personne autorisée à agir au nom d'une personne désignée en vertu d'un loi par l'Assemblée nationale, d'un ministère, d'un organisme public ou d'une personne morale n'a pas à faire la preuve de cette autorisation, sauf si le défendeur la conteste et si le juge estime alors qu'il est nécessaire d'en faire la preuve."

 

Enfin l'art. 147 traite du contenu du constat d'infraction:

 

"Le constat d'infraction indique, le cas échéant, le nom et la qualité de la personne qui, avec l'autorisation du poursuivant, a délivré le constat.

 

L'autorisation de délivrer un constat que peut donner le poursuivant est faite généralement ou spécialement et par écrit. Elle indique en outre les infractions ou catégories d'infractions pour lesquelles elle est donnée."

 

L'avocat des défendeurs estime que l'alinéa 70(2) C.P.P. ne permet pas au directeur général des élections d'autoriser un avocat de son contentieux à délivrer un constat d'infraction. Le Code de procédure pénale, comme son nom l'indique, contient des dispositions de procédure, et non de fond, de sorte qu'il faut chercher dans la loi habilitante un texte autorisant une personne désignée à déléguer à un tiers le pouvoir d'agir en son nom. C'est l'application de la maxime "delegatus non potest delegare"

 

La Loi sur le ministère de la justice (chap. M-19 L.R.Q.) confère ce pouvoir au ministre qui est également procureur général. Celui-ci "peut, notamment, intenter les poursuites pénales pour la sanction des lois et règlements du Québec ou, à cette fin, autoriser toute personne, généralement ou spécialement et par écrit, à agir au nom du procureur général". (art. 4 (b.1).

 


Or, l'article 569 de la Loi électorale précise que le directeur général des élections peut intenter une poursuite pénale; il n'est pas question d'autoriser quelqu'un à agir en son nom. Les versions antérieures de l'article 569 stipulaient que:

 

"Seul le directeur général des élections ou la personne qu'il autorise généralement ou spécialement à cette fin peut intenter une poursuite pour une infraction prévue au présent titre." (Loi électorale, chap. 1, Lois du Québec de 1989)

 

C'est suite aux modifications apportées par le chapitre 61 des Lois du Québec de 1992 au Code de procédure pénale et à un grand nombre d'autres lois, dont la Loi électorale, que l'art. 569 a connu sa version actuelle.

 

L'avocat des défendeurs a raison de souligner l'élimination par le chapitre 61 des mots "ou la personne qu'il autorise généralement ou spécialement à cette fin". Il oublie toutefois de rappeler que l'art. 6 du chapitre 61 des lois du Québec de 1992 ajoute à l'art. 70 du Code de procédure pénale, après les mots "agir au nom", les mots "d'une personne désignée en vertu d'une loi par l'Assemblée nationale."

 

Je partage l'avis de l'avocat du poursuivant à l'effet que l'effet de ces deux modifications consiste à insérer à l'art. 70 du C.P.P. le pouvoir qui a été retranché de l'article 569 de la Loi électorale permettant au directeur général des élections d'autoriser un tiers à agir en son nom. Le directeur général des élections étant la seule des trois personnes désignées par l'Assemblée nationale à intenter des poursuites pénales, il est l'unique personne désignée visée par l'alinéa 70 du C.P.P. qui peut autoriser quelqu'un à agir en son nom.

 


Me Pierre F. Côté a témoigné devant moi. Il a affirmé que suite à la plainte déposée par deux conseillers juridiques du Comité du oui le 15 novembre 1995 relativement à la Marche pour l'unité du 27 octobre, il a donné un mandat verbal au chef de son contentieux de faire enquête. Il a reçu le rapport de ses services juridiques vers le mois de mai 1996. Il a analysé ce rapport et a décidé lui-même d'intenter des poursuites contre chacun des défendeurs. Cette décision prise il a, conformément à l'alinéa 147(2) du C.P.P., émis à l'intention de Me Chartier les 8 autorisations de prendre contre les accusés des poursuites relatives aux art. 413 et 564 de la Version spéciale de la Loi électorale pour la tenue d'un référendum. Ces 8 autorisations écrites sont cotées I-1

 

L'avocat des défendeurs a raison de soutenir que le pouvoir d'intenter une procédure pénale relève de la fonction judiciaire, ou possède à tout le moins un caractère quasi judiciaire. Me Côté a lui-même exercé ce pouvoir de décider de porter des plaintes pénales. Par la suite, il n'a fait qu'autoriser Me Chartier, conformément aux alinéas 70(2) et 147(2) du C.P.P., à poser le geste matériel de délivrer les constats d'infraction.

 

Chaque constat comporte la mention du Directeur général des élections du Québec à titre de poursuivant, et celle de Jean Chartier, avocat, à titre de personne autorisée par le poursuivant.

 

Le constat d'infraction a donc été délivré conformément aux exigences du Code de procédure pénale. Il n'y a pas lieu de rejeter la poursuite eu égard à cette portion de l'argumentation des requérants.

 

Montréal, le 20 décembre 1996

 

Bernard Grenier, J.C.Q.

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