C A N A D A Cour Supérieure
Province de Québec (Chambre criminelle)
District de Montréal
No. 500-36-000367-949 Le
23 février 1995
(C.M.M. 232-200-975)
SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
et
L'Honorable CLAIRE BARRETTE-
500-36-000368-947 JONCAS
(C.M.M. 232-200-986)
LA VILLE DE MONTRÉAL
appelante
c.
NAPOLITANO, Alfredo
intimé
J U G E M E N T
Ce jugement est rédigé en français, l'une des langues employées par l'intimé lors de son témoignage et celle dans laquelle sa déclaration solennelle fut rédigée.
Il s'agit de deux appels à la suite d'une décision d'un juge de la cour municipale de Montréal qui a accueilli des requêtes en rétraction de jugement.
L'intimé avait été trouvé coupable par défaut d'avoir le 3 août 1993, alors qu' il était le conducteur d'un véhicule-automobile de marque Nissan, portant le numéro d'immatriculation F 964797 (Québec, 1993):
a) dans un premier dossier (été le) "conducteur d'un véhicule routier en mouvement ne portant pas correctement la ceinture de sécurité;" et d'avoir,
b) dans le second dossier "condui(t) un véhicule routier alors que (son) permis est révoqué".
L'intimé admet avoir reçu de main à main, en août 1993, les billets d'infraction. Ces billets contiennent, à l'endos, des instructions au défendeur. Ce dernier y apprend, entre autres, ce qui suit:
"SI VOUS PLAIDEZ NON COUPABLE" (les mots précédents sont, en plus d'être soulignés, mis en évidence par un fond rouge) "à l'infraction qui vous est reprochée, veuillez utiliser le verso de la formule de réponse jointe au présent constat.
Votre plaidoyer et, le cas échéant, vos explications doivent être envoyés à la Ville de Montréal, Traitement des contraventions, case postale 200, succursale Place d'Armes, Montréal (Québec) H2Y 3Y2, dans un délai maximum de 30 jours de la date de signification du présent constat.
Le défendeur qui ne transmet ni plaidoyer, ni la totalité du montant d'amende et de frais réclamé, est répute avoir transmis un plaidoyer de non culpabilité et la poursuite est instruite et le jugement rendu sans autre avis."
(J'ai souligné la fin du dernier paragraphe mais toutes les autres techniques pour attirer l'attention sont au texte.)
L'intimé regarde le montant de la contravention et, dit-il "I put them ... aside like I always do ..." (à la p. 9). Il admet qu'il y avait, derrière les billets (à la p. 16) "quelque chose en rouge, il y avait des écritures ..." et qu'il "n'y pas de raison spécifique pour laquelle il n'a pas lu ces écritures derrière le(s) billet(s)".
Il a présenté une requête en rétractation en alléguant simplement:
"4. Que votre requérant n'a jamais reçu l'avis de comparution et en conséquence, n'était pas au courant de la date du procès; et
8. Votre requérant a une bonne et valable défense à faire valoir à l'encontre de la dénonciation."
Le premier juge a décidé que:
"... ce que le tribunal avait à apprécier dans ces deux causes-là, comme je dois le faire aujourd'hui, c'est de savoir si le défendeur a été grossièrement négligent. C'est certain qu'il a été négligent, en ne lisant pas à l'arrière du billet, où il est clairement indiqué la procédure à suivre. Ce que le tribunal doit évaluer, s'il y a eu grossière négligence dans les circonstances discutées par le défendeur."
(J'ai souligné)
Les articles pertinents à la rétractation de jugement sont les suivants:
"250. Le défendeur qui a été déclaré coupable par défaut et qui, pour un motif sérieux, n'a pu présenter sa défense peut demander la rétractation de ce jugement au juge qui l'a rendu ou, s'il n'est pas disponible, à un juge ayant compétence pour le rendre dans le district judiciaire où le jugement a été rendu.
..........
251. La demande de rétractation se fait par écrit et indique, en outre des motifs qui la fondent, que le défendeur conteste le bien-fondé du jugement.
..........
253. Le juge accueille la demande de rétractation s'il est convaincu que les motifs de rétractation allégués sont sérieux et que le défendeur a un motif pour contester le bien-fondé du jugement.
Lorsque la demande est accueillie, les parties sont remises dans l'état où elles étaient avant l'instruction et le juge peut alors instruire la poursuite à nouveau ou ajouter la nouvelle instruction à une date ultérieure."
La Cour d'appel s'est prononcée quelques semaines avant l'audition de cet appel sur la rétractation de jugement dans un arrêt de Procureur général du Québec c. Jacques HÉBERT (jugement encore inédit du 17 octobre 1994, rendu sous la plume de l'honorable Gendreau avec l'appui des juges Baudouin et Steinberg, dans le dossier 200-10-000046-914). Il est évident que le premier juge n'avait pu bénéficier de leurs lumières.
Selon le juge d'appel Gendreau (à la p. 4):
"... il appartient au requérant de démontrer qu'il n'a pas été régulièrement assigné et, s'il l'a été, les motifs qui justifient qu'il n'y ait pas répondu en temps utile. Cette explication n'a pas, à mon avis, à établir une impossibilité physique de comparaître, mais doit néanmoins être convaincante et sérieuse. Il faut que le requérant établisse que, bien qu'il ait apporté à répondre à cette signification la diligence que la personne raisonnable met à traiter d'une affaire importante, un contretemps ou quelque autre circonstance l'ont empêché de se défendre en temps opportun."
(J'ai souligné)
Par la suite, il dira (à la p. 7):
"... le requérant en matière pénale ne doit pas être forcé à dévoiler sa preuve et peut s'en tenir à fournir la seule nature de sa contestation pourvu qu'elle soit suffisamment explicite pour que le juge puisse y voir une justification à la tenue d'un débat contradictoire sur l'accusation portée initialement."
Tout d'abord, l'ignorance de la loi n'est pas une défense reconnue sous le Code de procédure pénale ni en droit criminel (voir l'art. 60 C.p.p. et l'arrêt MacDOUGALL, [1982] 2 R.C.S. 605, à la p. 612).
Le premier juge, en examinant la preuve qui a été faite devant lui, avait conclu comme on l'a vu précédemment: "C'est certain qu'il (le défendeur-requérant) a été négligent en ne lisant pas l'arrière du billet où il est clairement indiqué la procédure à suivre."
L'intimé est donc loin d'avoir prouvé, comme l'exige la Cour d'appel qu'il a "apporté à répondre à cette signification la diligence que la personne responsable met à traiter d'une affaire importante".
Qui plus est, sa requête est très discrète sur la "bonne et valable défense qu'il voudrait faire à l'encontre de la dénonciation". Ce seul texte utilisé dans chacune des requêtes n'était certes pas "suffisamment explicite pour que le juge puisse y voir une justification à la tenue d'un débat contradictoire sur l'accusation portée initialement".
Mon collègue, l'honorable Zigman, avait appliqué l'arrêt HÉBERT qui nous lie d'ailleurs tous, à une affaire DI CESARE le 31 octobre 1994 (dossier 500-36-000336-944).
L'intimé m'avait écrit une semaine après le délai imparti pour me souligner "qu'une requête pour permission d'en appeler du jugement rendu par l'honorable juge Zigman était être (sic) présenté (sic) le 30 novembre 1994." J'ai appris, par une lettre de l'appelante du 19 janvier, que l'honorable Beauregard avait, le 9 décembre, rejeté la requête pour permission d'en appeler (dossier 500-10-000286-944).
POUR CES MOTIFS, LA COUR:
ACCUEILLE l'appel dans les deux dossiers;
CASSE la décision rendue le 9 août 1994 et qui accueillait la requête en rétractation de jugement dans les deux dossiers 232-200-975 et 232-200-986;
ANNULE la tenue d'un procès relativement aux infractions dans lesdits dossiers; et
RÉTABLIT les jugements de culpabilité par défaut qui avaient été prononcés contre l'intimé dans lesdits dossiers. Sans frais.
CLAIRE BARRETTE-JONCAS, j.c.s.
Date de l'audition: le 11 novembre 1994.
P.S.: Les lettres des avocats auxquelles réfère le jugement, ont été déposées au premier dossier (avec une photocopie dans le second) en même temps que le jugement.
c.c. Me Germain Tremblay
Me Bernard Mandeville
Avocats de l'appelante
Me Patrick Goudreau
Avocat de l'intimé
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