COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-10-000090-926![]()
(500-36-000305-915)
Le 1er avril 1992
L'HONORABLE ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
Siégeant comme juge unique.
MARCEL LACHAINE,
APPELANT
c.
ORDRE DES PHARMACIENS DU QUÉBEC,
INTIMÉE
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
MIS EN CAUSE
Je suis saisi comme juge unique d'une demande de permission d'en appeler, en
vertu des dispositions des articles 291 et suivants du Code de procédure
pénale, d'un jugement de la Cour supérieure du district de Montréal (chambre
pénale), prononcé le 21 février 1992, lequel annulait et cassait un jugement de
la Cour du Québec, et déclarait le requérant coupable de 99 chefs d'accusation
d'avoir été illégalement propriétaire d'une pharmaciealors qu'il n'est pas un
pharmacien, le tout en contravention de l'article 27 de la Loi sur la
pharmacie.(1)
Une telle demande de permission d'en appeler ne saurait être accordée que dans
la mesure où elle porte sur une stricte question de droit.
Dans un jugement oral, le juge des faits, après une analyse relativement
sommaire des témoignages et de la documentation produite, concluait qu'il y
avait lieu d'accorder à l'accusé le bénéfice du doute raisonnable et concluait
dans ces termes:
Alors, à mon avis, le fait que Lachaîne était propriétaire de la pharmacie n'est pas la seule déduction logique qui puisse être tirée des faits prouvés puisqu'il y a cette autre déduction que je trouve logique aussi et qui est plausible qui doit être considérée. Alors, j'entretiens donc un doute et en présence de ce doute, l'accusé est acquitté.
La Cour supérieure, par ailleurs, après une analyse détaillée et exhaustive de
27 exhibits produits, ainsi qu'une révision de tous les témoignages qui avaient
été rendus devant le juge des faits, conclut, au contraire, que l'ensemble de
la preuve circonstancielle mène inéluctablement à la seule déduction
raisonnable que l'accusé était, sinon le seul, à tout le moins,
unco-propriétaire de la pharmacie, en violation des dispositions de l'article
27 de ladite Loi sur la pharmacie.
La requête pour permission d'en appeler de ce jugement de la Cour supérieure
soulève les moyens suivants:
L'accusé demande respectueusement la permission d'appeler du jugement prononcé à Montréal le 21 février 1992 par l'honorable Jacques Ducros, juge de la Cour supérieure, en vue d'obtenir la cassation dudit jugement pour les motifs suivants:
1. Le jugement dont appel commet une erreur (p. 11, dernier paragraphe) quant il refuse le témoignage du comptable, M. René Masse, que le jugement de première instance avait retenu (p. 9, 11. 9 & 16, p. 13, 11. 14 et 20, p. 14, 11. 11, 19 et 20);
2. Le jugement dont appel commet une erreur (p. 25, 1.1) en déduisant son interprétation de la convention p-15 et d'une citation tronquée de l'article 2 de ladite convention;
3. Le jugement dont appel commet une erreur en affirmant que "seule 115988 Canada Limitée est détentrice du bail" (p. 27, avant- dernier paragraphe) et ensuite que la pharmacie "a payé à la compagnie 44,000.00$ de loyer" (p. 28 in fine), prétendant ainsi que le paiement d'un loyer n'implique pas nécessairement un bail, ou qu'un sous-bail n'a pas la valeur d'un bail;
4. Le jugement dont appel contient une erreur en affirmant que l'usus est lié au maintien du fonds de commerce dans le même local, comme si une pharmacie ne pouvait pas déménager (p. 28, 2ième paragraphe);
5. Le jugement dont appel contient une erreur en affirmant implicitement (p. 29, citation et dernier paragraphe) qu'un gérant de pharmacie qui en exécution d'un contrat de gérance s'occupe des achats ne le fait pas au nom d'un pharmacien;
6. Le jugement dont appel contient une erreur (p. 30, avant- dernier paragraphe) en refusant de tenir compte de ce que le "salaire de gérance" s'appliquait à la gérance de la pharmacie plus qu'à celle de la compagnie;
7. Le jugement dont appel commet une erreur en tirant une conclusion de culpabilité alors que d'autres conditions étaient possibles et tout autant vraisemblables que la première, de la proportion des remboursements et prélèvements destinés à l'accusé et au pharmacien respectivement (pp. 31 à 33);
8. Le jugement dont appel commet une erreur en rejetant un témoignage que n'avait pas rejeté le juge de première instance, et particulièrement une partie qui se retrouve souvent dans ce témoignage et qui constitue une explication (p. 34 in fine);
9. Le jugement dont appel commet une erreur en déduisant de l'ignorance du pharmacien sur des questions d'administration que ce dernier n'était pas le seul propriétaire de la pharmacie alors que d'autres déductions tout autant vraisemblables que celle-ci pouvaient être faites (p. 45 in fine et p. 46 en haut);
10. Le jugement dont appel commet une erreur en refusant le témoignage de M. Masse, que le juge de première instance avait accepté
À CES CAUSES, AUTORISER l'accusé à se pourvoir en appel du jugement prononcé par l'honorable Juge Ducros le 21 février 1992.
Il est clair, à première vue, que les moyens soulevés aux paragraphes 1, 5, 6,
8, 9 et 10 ne portent tout au plus que sur des questions mixtes de faits et de
droit, sinon de faits.
Cependant, je suis d'opinion que les inférences à tirer en droit de cette
preuve, quant à la qualité de propriétaire de l'accusé, et que la qualification
que le juge peut donner, par interprétation des textes, aux ententes existant
entre le présent requérant et le pharmacien qui exerçait sa profession dans les
lieux, constituent des questions de droit susceptibles d'être soumises à cette
Cour.
Je suis donc d'opinion qu'il y a lieu de faire droit à la demande de permission
d'en appeler mais de façon restreinte et bien délimitée et j'autoriserais donc
l'appel sur les seules questions de droit suivantes, à savoir:
- En tenant pour acquises et valides les conclusions de fait du jugement entrepris concernant le contenu et la portée des témoignages prononcés oralement, doit-il être nécessairement inféré en droit de cette preuve testimoniale et des documents produits, à l'exclusion de toute autre déduction ou conclusion, que le requérant était propriétaire de la pharmacie en l'instance, au sens visé par l'article 27 de la Loi sur la pharmacie?
-Ou alors, cette preuve est-elle néanmoins compatible avec la possibilité que
le requérant n'ait été qu'un simple gérant et administrateur et que le
pharmacien qui exerçait sa profession sur les lieux ait été l'unique
propriétaire de la pharmacie?
Par ailleurs, le procureur de l'Ordre des pharmaciens demande à ce que j'impose
à l'appelant, comme condition d'audition de son appel, pour garantir
l'exécution du jugement éventuel, uncautionnement au montant de 500$ pour
chacun des chefs d'accusation, plus les frais.
Cette demande, faite subséquemment à la prise en délibéré de la requête pour
permission d'appel, par simple lettre du 24 mars 1992, mentionne que l'appelant
aurait été condamné ce même jour à une telle sentence, ce qui ne ressort en
aucune façon du dossier qui m'a été soumis.
Le jugement entrepris n'imposait aucune sentence à l'appelant et ordonnait le
retour du dossier devant le juge du procès pour sentence. J'ai peine à croire
que le juge du procès aurait effectivement prononcé une telle sentence, le jour
même où j'étais saisi, comme juge de la Cour d'appel, de la demande
d'autorisation d'en appeler du jugement entrepris, et ce, alors que tant les
avocats que les parties elles-même étaient présents devant moi.
Ceci étant dit, et prenant en considération que l'article 299 du Code de
procédure pénale me confère une discrétion à ce sujet, je ne saurais
accéder à une telle demande, pour les raisons suivantes:
-rien dans le dossier soumis ne me permet de connaître le montant de l'amende
qui pourrait être imposé à l'appelant, s'il devait échouer sur son appel;
-les questions soumises à la Cour d'appel, telles que circonscrites ci-haut,
peuvent avoir un intérêt dépassant le cadre du présent litige, dans la mesure
où elles seraient susceptibles d'application dans tous les cas où un pharmacien
est partie à des contrats de gestion, d'administration, de location ou de
partage direct ou indirect de revenus avec un non-pharmacien et, dans un tel
cas, il ne me paraît pas opportun de possiblement restreindre ou limiter la
poursuite de l'appel par l'imposition d'un cautionnement tel que demandé;
-enfin, on pourrait s'interroger, ce qu'il ne m'est cependant pas nécessaire de
décider en l'espèce pour disposer de la demande, à savoir si le procureur de
l'intimé n'aurait pas dû suivre, au préalable, les exigences de l'article 278
C.p.p.
POUR TOUS CES MOTIFS:
La demande de permission d'appeler est ACCUEILLIE quant aux questions de droit
telles qu'énoncées ci-haut;
L'appelant est dispensé de fournir cautionnement.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
Me Philippe Gélinas, Procureur de l'appelant.
Me Jean Pomminville, Procureur de l'intimée.
DATE DE L'AUDITION: le 24 mars 1992.