Carrefour 78 Bromont inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales |
2008 QCCS 4150 |
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JT1409 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEDFORD |
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N° : |
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DATE : |
16 septembre 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
FRANÇOIS TÔTH, J.C.S. |
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CARREFOUR 78 BROMONT INC., |
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ACCUSÉE - REQUÉRANTE, |
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c. |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES, |
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POURSUIVANTE – INTIMÉE. |
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JUGEMENT |
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[1] La requérante présente une requête en retrait de plaidoyer de culpabilité.
Les faits
[2] La requérante exploite un restaurant avec permis d'alcool. À la suite d'une visite des policiers le 23 février 2006, elle reçoit deux constats d'infraction.
[3] Le premier constat (ci-après le constat #1) est daté du 10 janvier 2007 et se lit comme suit :
Le ou vers le 23 février 2006 à Bromont, au 8, boul. de Bromont (Rôtisserie St-Hubert) étant titulaire d'un permis de bar et de restaurant pour vendre, a mis une autre substance dans des contenants qui portaient la marque ou l'étiquette qu'ils portaient lors de leur livraison.
Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques (L.R.Q., c. I-8.1), article (s) 84.1 et 110.
[4] Le directeur général de la requérante, Monsieur Camirand, donne le constat au contrôleur de l'entreprise, Monsieur Fortin, avec instructions d'enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité. Cela est fait (pièce R-1).
[5] Un deuxième constat d'infraction (ci-après le constat #2) est émis à la même date pour les constatations faites le même jour :
Le ou vers le 23 février 2006 à Bromont, au 8, boul. de Bromont (Rôtisserie St-Hubert) étant muni d'un permis de bar et de restaurant pour vendre, a gardé ou toléré qu'il soit gardé dans son établissement des boissons alcooliques contenant un insecte.
Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques (L.R.Q., c. I-8.1), article(s) 108.
[6] Monsieur Camirand, donne le constat au commis-comptable de l'entreprise, Monsieur Fortin, avec les mêmes instructions d'enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité. Ce n'est pas fait, semble-t-il.
[7] Début 2008, la requérante reçoit un avis d'audition pour le constat #1. La comparution est prévue pour le 7 février 2008. Le procès est remis pro forma au 8 mai 2008 (dossier 455-61-007896-077).
[8] À la veille du procès, Monsieur Camirand rencontre son procureur pour préparer le dossier. Il est surpris de ne pas avoir reçu d'avis d'audition pour le constat #2. Il croyait que tout serait entendu à la même date.
[9] En examinant le dossier du client, le procureur de la requérante découvre une mention manuscrite «payer carte crédit le 30-01-07 (sic)» sur le bordereau de paiement du constat #2. Pas étonnant qu'aucun avis d'audition n'ait été reçu! La requérante est réputée avoir été déclarée coupable de l'infraction[1].
Positions des parties
[10] La preuve est prépondérante que la requérante voulait enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité relativement au constat #2 mais que l'employé s'est trompé et a payé l'amende réclamée.
[11] L'intimée s'oppose à la requête pour une question de procédure. Pour elle, la requête en retrait de plaidoyer de culpabilité n'existe pas en droit pénal québécois et la requérante aurait dû former un appel puisqu'il y a jugement. Comme elle ne l'a pas fait, elle est forclose.
Analyse et décision
[12] Les moyens de défense à l'infraction ne sont pas mis en cause et le Tribunal tient pour acquis que ces moyens sont sérieux.
[13] La preuve est prépondérante que c'est par erreur que l'employé de la requérante a payé l'amende du constat #2, contrairement aux instructions reçues. Le plaidoyer de culpabilité est vicié.
[14] Il semble que la requête en retrait de plaidoyer de culpabilité et l'appel soient indifféremment utilisés en droit pénal québécois pour les mêmes fins :
· Létourneau c. Québec (Procureur général), [2005] J.Q. 1869 (C.S.)
· Turpin c. Québec (Procureur général), 2007 QCCS 5715 (C.S.)
[15] Dans Turpin c. Québec (Procureur général), le juge Pierre Isabelle de la Cour supérieure se fonde sur les principes du retrait de culpabilité en matière criminelle pour accueillir un appel en matière pénale et permettre le retrait d'un plaidoyer de culpabilité. Dans Létourneau c. Québec (Procureur général), le juge Claude-C. Gagnon de la Cour supérieure s'appuie sur les mêmes principes pour accueillir cette fois une requête en retrait de plaidoyer de culpabilité.
[16] Dans l'arrêt R. c Girouard[2], Madame la juge Lise Côté, maintenant à la Cour d'appel, dit :
"Généralement, les tribunaux permettent l'annulation d'un plaidoyer au même titre que l'annulation d'une condamnation. Cependant, l'octroi d'un retrait de plaidoyer est soumis à des conditions rigoureuses et ne doit être accordé que lorsqu'un accusé ne comprenait pas la nature de l'accusation ou les conséquences possibles du plaidoyer ou s'il n'a pas véritablement consenti au plaidoyer.
[17] Plus loin,
"Le facteur primordial est le déni de justice. Si l'appelant établit qu'il n'a pas apprécié la nature de l'accusation ou qu'il n'a jamais eu l'intention de reconnaître sa culpabilité on devrait lui permettre de retirer son plaidoyer et de présenter une défense.
Aussi, l'appelant doit établir qu'il avait des moyens de défense valables et non futiles à présenter. Il ne s'agit pas pour la Cour de déterminer la culpabilité ou l'innocence à ce stade ou de spéculer sur l'issue d'un éventuel procès mais plutôt de s'assurer de l'existence de moyens sérieux de défense.
De plus, il doit exister au dossier des circonstances particulières ou exceptionnelles démontrant qu'il n'a pas véritablement consenti au plaidoyer comme lorsqu'un accusé est induit en erreur ou indûment incité à enregistrer le plaidoyer. Comme en matière d'ajournement, il ne doit pas s'agir d'une manœuvre délibérée pour retarder les conséquences du plaidoyer. De la même façon, la validité d'un plaidoyer de culpabilité ne sera pas remise en cause suite à une évaluation subséquente des inconvénients originant du plaidoyer ou parce que l'accusé a simplement changé d'idée. [notes omises, soulignés du Tribunal]
[18] Le procureur de la requérante n'a pas tort quand il dit que la requête, présentée à la première occasion, contient tous les éléments d'un avis d'appel et que dans les circonstances, il y aurait eu lieu à prolongation du délai d'appel (art. 271, Code de procédure pénale).
[19] Le facteur déterminant est le déni de justice. En l'espèce, ne pas faire droit à la requête de la requérante entraînerait un déni de justice. Le moyen utilisé devient secondaire.
Par ces motifs, le Tribunal :
[20] ACCUEILLE la requête;
[21] ANNULE le plaidoyer de culpabilité et la déclaration de culpabilité;
[22] ORDONNE la tenue d'un procès devant la Cour du Québec relativement au constat d'infraction numéro 100400-1110126994 émis par l'intimée.
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__________________________________ François Tôth, J.C.S. |
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Me Robert Jodoin JODOIN HUPPÉ |
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Procureur de l'accusée – requérante |
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Me Caroline Fontaine |
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Procureure de la poursuivante – intimée. |
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Date d’audience : |
10 septembre 2008 |
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