Sherbrooke Grossiste autos inc. c. Cour supérieure

2010 QCCS 3628

JB 2697

 
 COUR SUPÉRIEURE

(chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

 

N° :

450-17-003614-105

 

DATE :

10 juin 2010

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PAUL-MARCEL BELLAVANCE, JCS

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SHERBROOKE GROSSISTE AUTOS INC.

Demanderesse

c.

COUR SUPÉRIEURE[1]

Défenderesse

Et

PERCEPTEUR DES AMENDES

Et

MARTIAL PRUNEAU

Mis en cause

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JUGEMENT

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[1]           La demanderesse, Sherbrooke Grossiste Autos inc., a été condamnée, à titre de tierce-saisie défaillante, à payer la somme de 154 605,81 $ que son employé, le mis en cause Martial Pruneau, devait au Percepteur des amendes, à la suite de poursuites pénales intentées sous l'empire de la Loi sur le ministère du Revenu, poursuites entendues sous le régime du Code de procédure pénale.

[2]           La demanderesse attaque par révision judiciaire, sous l'article 846 C.p.c., une décision rendue le 5 septembre 2008 par une greffière spéciale de la Cour supérieure, Me Ghislaine Champoux, décision par laquelle celle-ci déclare bonne et valable une saisie-arrêt, et vu le défaut de la tierce-saisie (demanderesse) de déposer malgré une déclaration positive, la condamne à payer la somme due par le débiteur (mis en cause Pruneau).  La décision porte toutefois un numéro de dossier de la Cour du Québec, en fait le même numéro de dossier que celui de la condamnation pénale en Cour du Québec.

[3]           L'article 112 C.p.c. prévoit qu'un dossier en matière civile commence par une requête et que le greffier en numérote l'original.  La demanderesse soutient que c'est à ce moment que la Cour supérieure est saisie d'un litige.  Elle qualifie le jugement rendu de non existant, donc sans effet, car aucun dossier n'a été ouvert.

[4]           Est-ce un vice de fond fatal ou une erreur procédurale corrigible?

[5]           On soutiendra aussi que la Cour du Québec, ayant rendu le jugement principal, est la seule Cour compétente pour assurer l'exécution forcée du jugement, que la Cour supérieure ne pouvait émettre un bref de saisie, et que de toute façon, les matières fiscales ne relèvent que de la Cour du Québec.

[6]           Le Percepteur des amendes présente à l'encontre de la demande de révision judiciaire, une requête en irrecevabilité.

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[7]           Avant de discuter du mérite du véhicule procédural choisi, il est préférable d'élaborer sur les faits.

[8]           À la demande du Tribunal, l'officier du service de perception des amendes, M. Francis Marcoux, un technicien en droit, responsable du présent dossier, est venu expliquer le cheminement de ce qui est à l'origine de la présente procédure.

[9]           Comme il s'agit d'amendes, le Code de procédure pénale, à son art. 322, prévoit que c'est le percepteur des amendes, ici le bureau régional de Sherbrooke, qui a la charge de collecter les fonds.  Les détails des constats d'infraction n'ont pas été dévoilés devant le soussigné.  Seuls les procès-verbaux du dossier de la Cour du Québec, lesquels font foi du jugement, ont été déposés.

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[10]        Le point de départ est évidemment le jugement de la Cour du Québec rendu par le juge Gabriel Lassonde, le 14 avril 2003 et qui fait suite, selon une pièce produite, à un plaidoyer de culpabilité sur 11 des 17 chefs d'accusation.

[11]        Comme les amendes et les frais résultant du jugement de la Cour du Québec totalisent 154 605,81 $, M. Marcoux conclut qu'il doit se présenter devant la Cour supérieure à cause de la formulation de l'article 331.  L'article 330 édicte la façon de procéder :

« 331.  [Cour compétence] Les brefs de saisie émanent de la Cour supérieure ou de la Cour du Québec, selon le montant en cause, et chacune d'elles a compétence pour décider de toute manière relative à la saisie.

[Cour compétence] Toutefois, dans le cas d'un ordre de payer rendu par une cour municipale, le bref de saisie émane de cette cour et celle-ci a compétence pour décider de toute matière relative à la saisie.

330. [Règles applicables]  La saisie est pratiquée suivant les règles relatives à l'exécution civile des jugements, sauf celles prévues au livre VIII du Code de procédure civile, et à l'exception des règles suivantes :

1-    le percepteur du lieu où l'ordre de payer a été donné est chargé du recouvrement des sommes dues et il agit en qualité de saisissant;

2-    malgré le premier alinéa de l'article 589 et le premier alinéa de l'article 662 du Code de procédure civile, la personne chargée du bref ne peut exiger aucune avance pour couvrir les frais de garde ou les déboursés occasionnés par l'exécution de ce bref;

3-    la signification d'un bref de saisie-arrêt peut être faite par courrier recommandé, certifié ou prioritaire. »

[12]        Compte tenu du fait que le défendeur, qui avait déjà obtenu des délais pour payer ne payait pas, M. Marcoux prépare, le 13 juillet 2006, un bref de saisie en mentionnant l'article 641 C.p.c. et en inscrivant l'en-tête usuel d'une procédure de la Cour supérieure, mais il utilise le numéro de dossier de la Cour du Québec: 450-61-024032-020-001.

[13]        Il fait signer le percepteur des amendes Réal Baillargeon, et il se présente au greffe de la Cour supérieure de Saint-François (Sherbrooke) et demande à un greffier adjoint, Mme Caroline Simard, de contresigner, après s'être assuré qu'elle avait le pouvoir de ce faire, certains greffiers n'ayant, de par leur acte de nomination, le pouvoir de signer que pour la Cour du Québec.

[14]        Le bref est signifié à la tierce-saisie qui fera une déclaration positive.  Le mis en cause Pruneau est bel et bien son employé et il gagne 400 $ en salaire.  Voilà qu'un jour, la demanderesse cesse de faire des remises sans fournir d'explications au percepteur.  Le percepteur décide d'obtenir un jugement par défaut contre la demanderesse qui a fait défaut de déposer, au sens de l'art. 634.  Cet article n'oblige pas le saisissant d'aviser à nouveau le tiers saisi.

[15]        Le percepteur Francis Marcoux se présente donc, le 5 septembre 2008, en salle d'audience, une journée de cour de pratique de la Cour supérieure, dans la section dirigée par le greffier spécial.  Un ajout manuscrit a été fait sur le rôle de la Cour supérieure avec le nom des parties et le numéro de dossier de la Cour du Québec.  Il y avait eu production d'une inscription pour jugement.

[16]        Toujours est-il qu'un jugement écrit de deux pages, portant l'en-tête de la Cour supérieure mais avec un numéro de la Cour du Québec sera rédigé puis signé par la greffière spéciale, Me Ghislaine Champoux.  Il faut croire que le jugement a été déposé dans le dossier de la Cour du Québec.

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[17]        Dès que la demanderesse est informée du jugement rendu, son procureur prépare une requête pour être relevé du défaut.  Il la signifie.  Elle a été portée sur le rôle de la Cour supérieure, avec des demandes de remise par la demanderesse, pour finalement être rayée aux fins de permettre aux parties de discuter.

[18]        Réalisant que les discussions ne menaient à rien, le procureur de la demanderesse voulut réinscrire sur le rôle de la Cour supérieure sa requête pour être relevé du défaut, en choisissant la date du 12 avril 2010.  Cette fois-ci, le dossier n'apparaîtra pas sur le rôle.  Après vérification auprès des autorités du greffe, le procureur de la demanderesse se fait dire ceci, selon les allégations de sa requête:

«i) que ce dossier n'en était pas un de la Cour supérieure, le numéro qui lui avait été attribué le démontrait;

ii) que, par conséquent, le nouvel avis de présentation ne pouvait être reçu ni déposé;

iii) que ledit dossier ne pouvait donc être mis au rôle de la Cour supérieure;

[19]        Il faut admettre que la demanderesse, condamnée à payer une somme de 154 605,81 $ et désireuse d'être relevée du défaut, faisait face à une difficulté réelle pour sa procédure qui avait déjà été sur nos rôles et ne pouvait plus l'être.  Ceci explique certainement pourquoi la Cour supérieure a été désignée comme défenderesse dans l'intitulé de la procédure introductive.

[20]        C'est à ce moment, le 12 avril 2010, que le procureur de la demanderesse dit avoir réalisé soit le fait qu'il y avait un numéro de la Cour du Québec ou du moins, l'impact de ce fait.

[21]        Il effectuera alors une recherche plus poussée en droit pour conclure qu'il pouvait, au nom de sa cliente, attaquer le jugement du 5 septembre 2008 par voie de révision judiciaire sous l'art. 846, et en demander plus précisément les conclusions suivantes :

«CASSER ET ANNULER le jugement de la Cour supérieure prononcé le 5 septembre 2008, produit au soutien des présentes sous la cote P-9;

DÉCLARER nul (sic) et de nul effet toutes les procédures à l'encontre de la tierce-saisie exécutées en Cour Supérieure;

ORDONNER à la partie mise en cause, Le percepteur des Amendes, le remboursement à la partie demanderesse de toutes les sommes reçues, avec intérêts aux (sic) taux légal;»

[22]        Cette requête porte cette fois-ci un numéro de dossier de la Cour supérieure.

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[23]        D'entrée de jeu, le Tribunal est d'avis qu'on ne peut demander à la Cour supérieure de réviser, par l'art. 846, un jugement de la Cour supérieure, fut-il rendu par un greffier spécial.  La rédaction de l'art. 33 ne le prévoit pas et il pourra y avoir révision que dans des cas précis, par exemple en matière alimentaire, un jugement provisoire ou intérimaire peut être rétroactivement révisé par le juge du fond qui bénéficie d'une preuve plus complète.

[24]        Toutefois, les articles 42 et 44.1 in fine C.p.c. prévoient des cas où la décision d'un greffier peut être révisée par le juge ou le Tribunal.

[25]        Nous sommes probablement ici dans le cadre d'une procédure incidente non contestée, parce que pouvant être présentée par défaut.  Le jugement constituait une étape importante dans l'exécution du jugement condamnant à des amendes, mais la clause de rédemption contenue à la fin de l'article 634 peut lui enlever son effet, généralement sans trop de difficultés.  Il s'agit alors fort probablement d'un cas prévu à l'article 44.1, page 2, et une telle décision pouvait donc être attaquée et révisée dans les 10 jours de sa date par un juge de la Cour supérieure.

[26]        Cette décision n'est pas du tout du niveau des jugements au fond que les greffiers spéciaux peuvent rendre sous l'art. 195 C.p.c. qui sont sujets à appel sur permission ou non.  Par contre, comme il s'agit d'un jugement rendu en matière d'exécution, il pouvait aussi faire l'objet d'un appel, sur permission d'un juge de la Cour d'appel[2].

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[27]        Quels pouvaient être à l'époque les motifs de contestation pour une révision ou un appel:

27.1.     Que le jugement est nul parce que c'est un jugement de la Cour supérieure qui porte un numéro de dossier de la Cour du Québec et qu'aucun dossier n'a été ouvert en Cour supérieure.

27.2.     Qu'il s'agit d'un problème de compétence rationae materiae à cause de la compétence exclusive de la cour du Québec en matière fiscale provinciale et en matière pénale, et qu'un problème de compétence rationae materiae peut être soulevé en tout temps.

[28]        Pour alimenter le débat, le Tribunal rappellera que les articles 163 et 164 C.p.c. prévoient :

“SECTION II

MOYENS DÉCLINATOIRES

163.    Le défendeur assigné devant un tribunal autre que celui où la demande eût dû être portée, peut demander le renvoi devant le tribunal compétent relevant de l'autorité législative du Québec, ou, à défaut, le rejet de la demande.

164.    L'absence de compétence d'attribution peut être soulevée en tout état de cause et peut même être déclarée d'office par le tribunal, qui adjuge les dépens selon les circonstances.”

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[29]        Quoique le Tribunal soit d'avis que l'on ne peut, à proprement parler, utiliser la révision judiciaire de l'article 846 C.p.c., que nous sommes hors délai pour l'art. 42, qu'il est possible que le délai d'appel soit expiré, il faut accepter le fait que la demanderesse a fait face récemment, en avril 2010, à un refus de la Cour supérieure de placer sur son rôle sa requête pour être relevée du défaut et que si elle se présente à la Cour du Québec, il y a un risque qu'elle se fasse opposer par le greffe de cette Cour les arguments inversés quoique similaires.

[30]        Même si un jugement d'un greffier spécial n'est pas un écrit instrumentaire au sens de l'art. 453 C.p.c., nous avons ici quelqu'un qui fait face à une difficulté réelle.

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[31]        Le point crucial n'est pas vraiment ici la question du numéro de dossier, mais celui de la compétence de la Cour supérieure à participer à l'exécution d'un jugement rendu en matière pénale par la Cour du Québec qui a valablement imposé une amende qui excède 70 000 $.  C'est la décision du percepteur Francis Marcoux d'aller devant la Cour supérieure qui est en cause.

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[32]        La demanderesse soutient que nous sommes ici en matière fiscale où la Cour du Québec a une juridiction exclusive.

[33]        Toutefois, c'est la Cour du Québec, division de la chambre criminelle et pénale, qui a été saisie d'un litige institué sous la gouverne du Code de procédure pénale[3] avec pour résultat recherché, non pas une cotisation fiscale modifiée, mais des amendes.

 

[34]        Le chapitre XIII du Code[4] prévoit en détail l'exécution des jugements :

«L'article 315 prévoit que « les sommes dues par une partie à une instance … sont recouvertes conformément aux dispositions du présent chapitre;

«322.  Le ministre de la Justice désigne des personnes qui agissent à titre de percepteur.  Ils transmettent au débiteur une demande de payer la somme due.

322.1     Le percepteur peut assigner un défendeur à comparaître … pour y être interrogé sur ses biens et sur ses sources de revenu.

330.  La saisie est pratiquée suivant les règles relatives à l'exécution civile des jugements, …

[35]        Et, finalement, un article que le Tribunal a cité auparavant:

«331.  Les brefs de saisie émanent de la Cour supérieure ou de la Cour du Québec, selon le montant en cause, …»

[36]        Cet article est précis.  Aussi, le percepteur Francis Marcoux avait raison de s'adresser à la Cour supérieure.  Il a trouvé un greffier habilité à signer le bref de saisie et un greffier spécial habilité à rendre jugement.  Sa seule erreur fut en réalité d'utiliser le numéro de dossier de la Cour du Québec et de ne pas ouvrir un dossier en Cour supérieure en faisant numéroter la procédure comme l'exigent les articles 110 et 112 C.p.c.

[37]        Cette erreur est-elle fatale? Non.  Elle aurait pu l'être il y a 20-25 ans comme le démontre la jurisprudence citée par la demanderesse.  Elle ne l'est plus depuis la réforme du Code civil en 1994 et du Code de procédure civile de 2003.  Il suffisait de s'adresser à cette Cour pour demander la permission d'ouvrir un dossier en Cour supérieure par une requête introductive à cet effet et qui aurait été numérotée.  Une correction du numéro du jugement aurait pu être ordonnée.  À la limite, on pouvait s'adresser à la Cour du Québec pour demander, par l'art. 163 C.p.c., le renvoi devant la Cour supérieure.

[38]        Le mis en cause et la demanderesse (tierce-saisie) n'ont pas été induits en erreur.  Ils ont par contre été empêchés, par le greffe de la Cour supérieure, de présenter le 12 avril 2010 une requête pour être relevé du défaut.

[39]        La requête en révision judiciaire sera rejetée, mais avec dépens en faveur de la demanderesse, car l'erreur qui a obligé celle-ci à prendre une procédure ne peut lui être imputée.

[40]        Comme il peut être difficile d'établir les dépens, ceux-ci sont déterminés à l'avance par le présent jugement à la somme de 500 $, débours inclus.

[41]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[42]        REJETTE la requête en révision judiciaire amendée de la demanderesse, mais avec dépens contre le mis en cause, le Percepteur des amendes.  Ces dépens seront, débours inclus, de 500 $.

[43]        REJETTE la requête en irrecevabilité du Percepteur des amendes, sans frais.

[44]        ORDONNE et PERMET aux autorités du greffe de la Cour supérieure du district de Saint-François que soit placée sur un rôle de la cour de pratique, pour qu'une date d'audience soit fixée, la requête de la demanderesse pour être relevé du défaut, requête qui pourra porter le numéro du présent dossier (450-17-003614-105), et faire partie du présent dossier.

[45]        Cette ordonnance vaut pour toute procédure subséquente se rapportant de quelque façon que ce soit au litige entre les parties.

 

 

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PAUL-MARCEL BELLAVANCE, JCS

 

Me Ghislain Richer

(Richer & Associés)

Procureur de la demanderesse

 

Me Francine Moyen

Direction régionale – bureau des infractions et amendes

Procureure du mis en cause (Percepteur des amendes)

 

Date d’audience :

31 mai 2010

 



[1]     La procédure désigne nommément la Cour supérieure comme défenderesse.

[2]     Article 26, 2e section, paragr. 2.

[3]     L.R.Q. c. C-25.1.

 

[4]     idem.