C A N A D A

 

Province de Québec

District de Montmagny

 

 

No. 300-27-000146-891

 

Cour du Québec

(Chambre criminelle et pénale)

 

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Québec, ce vingt-septième jour du mois de juin de l’an mil neuf cent quatre-vingt-quatorze

 

PRÉSENT: L’HONORABLE JUGE LOUIS CARRIER, J.C.Q.

 

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CORPORATION PROFESSIONNELLE DES MÉDECINS DU QUÉBEC,

 

Plaignante

 

c.

 

ANTOINE THIBAULT,

 

Intimé

- et -

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,

 

Mis-en-cause

 

 

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JUGEMENT SUR REQUÊTE

 

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La Cour est saisie d’une requête en irrecevabilité invoquée par le mis-en-cause, le procureur général du Québec, suite à la signification par le procureur de l’intimé, en date du 16 décembre 1993, d’un avis basé sur les articles 95 du Code de procédure civile et 34 du Code de procédure pénale alléguant l’inconstitutionnalité des articles 31, 43, 45 de la Loi médicale et 188 du Code des professions.

 


LES FAITS

 

L’intimé, Antoine Thibault, a été accusé devant moi suite au dépôt d’une sommation pour des accusations se lisant comme suit:

 

“À St-Damase:

 

1.  A le ou vers le 1er septembre 1988, alors qu’il n’était pas médecin, illégalement exercé la médecine sur une personne s’étant présentée sous le nom de Gisèle Ouellet, le tout contrairement aux articles (L.R.Q. c. M-9, telle que modifiée), commentant ainsi une infraction à l’article 188 du Code des professions (L.R.Q. c. C-26, tel que modifié);

 

2.  A le ou vers le 6 septembre 1988, alors qu’il n’était pas médecin, illégalement exercé la médecine sur une personne s’étant présentée sous le nom de Gisèle Ouellet, le tout contrairement aux articles 43, 31 et 45 de la Loi médicale (L.R.Q. c. M-9, telle que modifiée), commettant ainsi une infraction à l’article 188 du Code des professions (L.R.Q. c. C-26, tel que modifié);

 

3.  A le ou vers le 6 septembre 1988, alors qu’il n’était pas médecin, illégalement exercé la médecine sur une personne s’étant présentée sous le nom de Lucille Girard, le tout contrairement aux articles 43, 31 et 45 de la Loi médicale (L.R.Q. c. M-9, telle que modifiée), commettant ainsi une infraction à l’article 188 du Code des professions (L.R.Q. c. C-26, tel que modifié);

 


4.  A, le ou vers le 15 septembre 1988, alors qu’il n’était pas médecin, illégalement exercé la médecine sur une personne s’étant présentée sous le nom de Gisèle Ouellet, le tout contrairement aux articles 43, 31 et 45 de la Loi médicale (L.R.Q. c. M-9, telle que modifiée), commettant ainsi une infraction à l’article 188 du Code des professions (L.R.Q. c. C-26, tel que modifié);

 

5.  A, le ou vers le 15 septembre 1988, alors qu’il n’était pas médecin, illégalement exercé la médecine sur une personne s’étant présentée sous le nom de Lucille Girard, le tout contrairement aux articles 43, 31 et 45 de la Loi médicale (L.R.Q. c. M-9, telle que modifiée), commettant ainsi une infraction à l’article 188 du Code des professions (L.R.Q. c. C-26, tel que modifié);

 

L’autorisation de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et annexée aux présentes.

 

La Corporation susdite réclame en son nom les pénalités imposées selon la loi”.

 

Le 14 mai 1990, le procès de l’intimé a débuté avec la preuve de la plaignante, la Corporation professionnelle des médecins du Québec, par l’audition de deux témoins soit mesdames Gisèle Frédéric et Lucille Girard.

 

Le 22 octobre 1990, l’intimé débuta l’audition de sa preuve en faisant entendre madame Germaine Pellerin.

 

PREMIER AVIS:

 


Dans le présent dossier, un premier avis selon l’article 95 C.P.C. et conforme à l’article 34 C.P.P., daté du 20 juin 1989 et signifié au procureur général le 14 juillet 1989, a été déposé.

 

Dans cet avis du 20 juin 1989, la question constitutionnelle soulevée portait sur l’imprécision des infractions reprochées contrairement aux dispositions des Chartes.

 

Or, comme la question constitutionnelle soulevée dans l’avis du 20 juin 1989 était la même que celle traitée dans un dossier similaire impliquant l’accusé Thibault, les procureurs de la plaignante et de l’accusé ont convenu de suspendre le débat constitutionnel et d’attendre la décision de la Cour d’appel, rendue le 22 juillet 1992 qui a statué que les allégations de la dénonciation étaient suffisantes.  Par la suite, la demande d’autorisation d’appel à la Cour Suprême a été rejetée le 29 avril 1993.

 

DEUXIÈME AVIS:

 

Dans l’avis du 16 décembre 1993, on y invoque l’inconstitutionnalité des articles 31, 43, 45 de la Loi médicale et 188 du Code des professions, parce qu’ils contreviendraient aux libertés de religion, de conscience et d’expression garanties par les Chartes.

 

Le Second avis a été déposé le 16 décembre 1993, plus de trois ans après l’audition sur la preuve factuelle.

 

L’ARGUMENTATION

 

Le représentant du procureur général s’oppose à la recevabilité de ce nouvel avis alléguant que sa présentation est tardive du fait qu’il n’a pas été signifié dans un délai de trente (30) jours précédant l’audition.

 

Il soutient de plus que l’introduction de nouveaux moyens constitutionnels après l’audition sur la preuve lui cause préjudice en l’obligeant à toutes fins pratiques à refaire le procès.

 


Quant au procureur de l’accusé, il prétend pouvoir introduire de nouveaux arguments constitutionnels car il avait manifesté cette intention à la fin de l’enquête et comme le Procureur général était déjà avisé, par le biais du premier avis, il ne s’agirait simplement que d’un amendement au premier avis.

 

Il prétend de plus que le délai de trente jours de l’article 95 se comput à partir de l’envoi de l’avis lui-même et que de plus, qu’il s’agit d’un délai avant le début de l’audition concernant la preuve constitutionnelle et que de ce fait, le Procureur général du Québec aura le loisir d’assister à toute cette preuve et d’y faire toutes les représentations voulues.

 

DÉCISION

 

L’article 95 C.P.C. se lit comme suit:

 

“Sauf si le Procureur général a reçu préalablement un avis conformément au présent article, une disposition d’une loi du Québec ou du Canada, d’un règlement adopté en vertu d’une telle loi, d’un décret, arrêté en conseil ou d’une proclamation du lieutenant-gouverneur, du gouverneur général en conseil, ne peut être déclarée inapplicable constitutionnellement, invalide ou inopérante, y compris en regard de la Charte canadienne des droits et libertés (Partie I de l’annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre II) du recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982) ou de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q. chapitre C-12), par un tribunal du Québec.

 


L’avis doit, de façon précise, énoncer la prétention et exposer les moyens sur lesquels elle est basée.  Il doit être accompagné d’une copie des actes de procédures et être signifié par celui qui entend soulever la question au moins trente (30) jours avant la date de l’audition.

 

Le tribunal ne peut se prononcer que sur les moyens exposés dans l’avis”.

 

Dans un article intitulé “L’exigence d’avis préalable au Procureur général prévue à l’article 95 du Code de procédure civile (1990) 50R. du B. 629, Me Danielle Pinard explique la raison d’être de cet avis:

 

“La présomption de constitutionnalité et l’équité procédurale constituent en fait les justifications théoriques de l’exigence imposée par le Code de procédure civile d’informer le procureur général de toute contestation de la constitutionnalité d’une loi.  C’est en effet une forme de reconnaissance du nécessaire respect, par les juges comme par l’ensemble de la population, des choix législatifs élaborés dans un contexte démocratique.  Le jugement d’inconstitutionnalité est une conclusion grave à laquelle on ne peut arriver que si l’autorité publique a eu la possibilité de venir justifier devant le tribunal le bien-fondé de la loi contestée.  On reconnaît ici le principe d’équité procédurale qui veut essentiellement qu’ait le droit d’être entendue la partie dont les droits ou intérêts sont en cause, principe qu’exprime la maxime audi alteram partem”. (p. 634)

(Les soulignés sont de nous)

 

Expliquant la portée d’un débat constitutionnel dans le contexte d’une accusation pénale, le juge Lavergne, dans la cause Procureur général du Québec c. Larouche[1], écrit:


“Les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité ou d’inopérabilité d’une mesure législative débordent largement, dans l’opinion de la Cour, l’acquittement ou le rejet d’une plainte portée contre un individu qui en aurait attaqué la validité.  En effet, une telle déclaration, en stérilisant la mesure législative attaquée, paralyse l’activité et l’intervention étatique souhaitées et jugées opportunes par l’Assemblées nationale lorsqu’elle a adopté ladite mesure.  Dans cette perspective, il paraît tout-à-fait naturel que l’Exécutif, en tant qu’institution chargée d’appliquer les lois votées par l’assemblée souveraine, soit informée lorsque l’on en soulève la validité constitutionnelle.  En fait, le Procureur général, représentant de l’Exécutif et désigné à l’article 95, constitue probablement le seul interlocuteur valable pour soutenir, le cas échéant, la constitutionnalité d’une loi”. (p.8)

 

On comprend que l’interpellation du procureur général dans un conflit constitutionnel ne doit pas s’improviser.  Elle doit s’effectuer à l’intérieur d’un cadre procédural précis et somme toute fort simple que le législateur a défini aux articles 95 C.P.C. et 34 C.P.P.  Ces dispositions sont qualifiées d’impératives par les auteurs Létourneau et Robert dans le Code du procédure pénale annoté[2].  C’est également l’avis du tribunal, à moins de circonstances spéciales, la procédure doit être respectée.

 

Dans le présent dossier, un premier avis conforme à la loi a été déposé et signifié au Procureur général dans les délais.  Le second avis, qui contient des arguments constitutionnels complètement nouveaux ne saurait constituer un simple amendement au premier avis.  Il a été déposé le 16 décembre 1993, plus de trois ans après l’audition sur la preuve factuelle.  Cet avis est manifestement hors délai.


D’une part, le délai de 30 jours prévu à l’article 95 C.P.C. doit être préalable à l’audition sur le litige originaire.  Il s’agirait d’un délai de rigueur dans le cas sous étude, puisque le second alinéa de l’article 34 C.P.P. stipule:

 

“Toutefois le délai prévu à l’article 95 du Code de procédure civile n’est pas de rigueur lorsqu’il pourrait avoir pour effet de retarder la mise en liberté du défendeur ou d’un témoin”.

 

D’autre part, lorsque le procureur général choisit d’intervenir, il a certainement le droit de participer à l’enquête.  Dans Gagné c. Bouliane[3], le Juge Tannenbaum de la Cour supérieure écrit:

 

“Il va s’en dire que l’article 95 C.P.C. est à mon avis un article d’ordre public, et il faut que ça soit suivi strictement.  Le Procureur général a certainement le droit, lorsque la constitutionnalité ou l’illégalité d’une des lois de la province ou un règlement est soulevé, et comme Me Bernard l’a plaidé, de participer au stade des témoignages des témoins.

 

Ici, l’avis a été donné, nous pouvons dire, après l’enquête des témoins, et si j’interprète le mot “audition” à l’article 95 C.P.C. comme étant l’enquête, l’avis est évidemment tardif.

 


Si nous regardons le chapitre 1 du titre V du Code de procédure, nous voyons que le code à la section V de ce chapitre parle de “l’audition des témoins” qui sont interrogés à l’audience.  Donc, ça veut dire quoi, l’audition?  À mon avis, les mots “audition et enquête” ont le même sens, et lorsque l’article 95 C.P.C. stipule que “c’est trente (30) jours avant l’audition”, ici c’était trente (30) jours avant le 7 mars 1988". (p.2)

 

Même si ce jugement a été rendu en matière civile, la règle est la même en matière pénale.  Il est essentiel pour le procureur général, qui veut défendre la constitutionnalité de la loi qui est contestée, qu’il puisse participer à l’enquête; ce sont dans les faits que le litige prend naissance et qu’origine l’atteinte ou la non-atteinte aux droits fondamentaux soulevés par le prévenu.  Accueillir ce nouvel avis équivaudrait à refaire le procès, ce qui n’est évidemment pas approprié dans le cadre d’une saine administration de la justice.

 

De plus, la non-recevabilité de l’avis ne brime pas le droit de l’accusé à une défense pleine et entière.

 

Dans des cas où les juges ont refusé d’entendre les arguments constitutionnels vu l’absence d’avis de l’article 95 C.P.C., ils ont précisé que l’accusé n’était pas brimé dans sa défense.  Ce dernier avait eu l’opportunité de soulever les arguments constitutionnels avant le procès.  Dans Bose Canada Inc. c. Comité paritaire de l’industrie du meuble, R.J.P.Q. 86-187, le juge Martin de la Cour Supérieure écrit:

 

“Furthermore, I am not prepared to accede to the appellant’s request that an adjournment be granted in order to permit the impleading of the Attorney General.

 

The appellant had ample opportunity to consider the question prior to trial and inasmuch as the validity of the decree was not raised prior to September 1st 1985, I do not think that there is any basis for acceding to appellant’s request”. (p. 4 et 5)


Dans P.G.Q. c. Larouce , C.P. 615-27-000208-874, 7 décembre 1987, le juge Lavergne énonce:

 

“La cour ne voit pas non plus en quoi, dans les circonstances de l’espèce, les droits de l’accusé seraient brimés si on lui refuse d’invoquer la Charte canadienne parce qu’il n’a pas fait parvenir l’avis prévu à l’article 95.  La question constitutionnelle a en effet été soulevée par l’accusé dans sa plaidoirie.  Il s’agit donc d’une question soulevée sur le fond de l’affaire, après procès, et par conséquent, d’un argument que l’accusé entendait certainement invoquer depuis un bon moment.  De fait, il a comparu et plaidé non coupable le 10 juin 1987; le procès a eu lieu le 29 septembre suivant.  L’obligation par l’accusé de donner l’avis, dans les circonstances, ne le limitait nullement dans l’élaboration d’un défense pleine et entière”. (p. 10 et 11)

 

Les mêmes arguments peuvent être repris.  L’accusé a non seulement eu l’opportunité de soulever des arguments constitutionnels, il a exercé cette opportunité dans son avis du 20 juin 1989.  Il n’avait qu’à formuler de façon complète ses arguments dans cette procédure.

 

D’ailleurs, la Cour d’appel est d’avis que les parties doivent exposer de façon diligente les moyens de droit fondés sur les Chartes.  Dans l’arrêt R. c. A.C. (1992) 45 Q.A.C. 204,[4] un appel du verdict de culpabilité sur une accusation d’agression sexuelle, la Juge Tourigny écrit:

 


“Notre cour, dans une affaire civile il est vrai, rappelait, sur des moyens de droit nouveaux fondés sur les Chartes, qu’une cour d’appel ne doit pas, du seul fait qu’on allègue une violation de droits fondamentaux, donner ouverture à la présentation tardive de moyens connus depuis déjà longtemps.  (Voir Tordion c. Compagnie d’assurance du home Canadien (1988), 21 Q.A.C. 200).

 

Je suis d’avis que le même principe s’applique ici....” (P. 215)

 

EN CONSÉQUENCE, la Cour accueille la requête du Procureur général et déclare irrecevable l’avis selon l’article 95 du C.P.C. déposé par le procureur de l’intimé le 10 décembre 1993 demandant que soient déclarés inconstitutionnels les articles 31, 43, 45 de la Loi médicale et 188 du Code des professions.

 

 

LOUIS CARRIER, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]           Cour provinciale, 615-27-000208-874, 7 décembre 1987

[2]           Wilson et Lafleur Ltée, 1992, p. 47.

[3]           J.E. 88-1032

[4]           Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour Suprême rejetée le 1er octobre 1992.

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