COUR MUNICIPALE DE LA VILLE DE MONTRÉAL

 

 

C A N A D A

 

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

 

CAUSE NO : 762-561-332

 

 

DATE :           Le 16 octobre 2008

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GILLES R. PELLETIER, J.C.M.

 

 

 

VILLE DE MONTRÉAL

 

Poursuivante

c.

 

ALAIN AYMONT

 

            Défendeur-requérant

 

________________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

(sur demande de sursis)

 

 

 

1.         LA REQUÊTE

[1]           Le Tribunal est saisi d’une demande de sursis présentée selon les dispositions de l’article 255 du Code de procédure pénale. Cette demande est accessoire à une requête en rétractation de jugement qui sera elle-même présentée au mérite au début de l’année prochaine. Les rôles ne permettent pas qu’elle soit entendue plus tôt.

[2]           La requête du défendeur est rejetée à l’audience, séance tenante, le 16 octobre dernier, pour les motifs sommaires alors fournis. Le Tribunal informe alors les parties que des motifs écrits seront déposés au dossier.

2.         LES FAITS

[3]           Le 1er octobre 2008, jugement est rendu contre le défendeur. Ce jugement le déclare coupable d’une infraction de vitesse. La condamnation génère l’inscription de deux points d’inaptitude à son dossier de conducteur auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (la SAAQ).

[4]           Ces deux points additionnels, selon lui, lui font perdre son permis alors qu’un emploi de chauffeur de camion se dessine pour lui dans un proche horizon. Cet emploi lui permettrait de débarquer de l’assistance sociale selon ce qu’il écrit lui-même au paragraphe 5 de sa requête en date du 16 octobre 2008.

[5]           Lors de son témoignage devant le Tribunal, le défendeur ajoute avoir également besoin de son permis de conduire pour lui permettre de véhiculer sa mère. Celle-ci ayant bénéficié d’une greffe, son état nécessite un suivi médical régulier.

[6]           C’est en ouvrant son courrier le 14 octobre 2008 qu’il prend connaissance du jugement rendu. Entre la date de réception du constat d’infraction que lui remet le policier et le 14 octobre 2008, il n’a rien reçu d’autre.

[7]           La requête en rétractation n’expose aucun des motifs pour lesquels le défendeur conteste le bien-fondé du jugement, pas même de façon sommaire. Pour le diriger dans sa demande, le greffe de la Cour municipale met à la disposition des justiciables des formulaires préimprimés. Celui relatif à sa demande de rétractation énonce au paragraphe 5, en caractères imprimés, ce qui suit :

« Je conteste le bien-fondé du jugement pour les motifs suivants (expliquez sommairement de quelle nature est votre défense, sans entrer dans les détails) : »

[8]           Quatre lignes suivent où le justiciable peut écrire. Le défendeur laisse ces lignes vierges.

[9]           Invité par le Tribunal à préciser les motifs pour lesquels il conteste le jugement rendu, le défendeur réitère que c’est parce qu’il a besoin de son permis. Appelé plus précisément à énoncer en quoi le jugement rendu contre lui serait mal fondé et comment il explique ne pas avoir reçu d’avis d’instruction, le défendeur s’explique. L’infraction dont il est reconnu coupable survient alors qu’il est au volant d’un camion qu’un ami lui prête momentanément. À la remise du véhicule, il oublie malencontreusement le constat d’infraction à l’intérieur de l’habitacle. Par la suite, l’ami détruit le constat et lui, il oublie l’affaire. Il n’entreprend aucune autre démarche.

3.         LE DROIT

[10]        Le premier paragraphe de l’article 255 du Code de procédure pénale (L.R.Q. c.    C-25.1) énonce :

« 255. [Exécution] La demande de rétractation n’opère pas sursis de l’exécution à moins que le juge ne l’ordonne sur demande du défendeur. »

[11]        La même loi prévoit à l’article suivant que la personne chargée de l’exécution du jugement est tenue d’y surseoir dès qu’elle reçoit copie du jugement accueillant, soit la demande de rétractation, soit la demande de sursis.

4.         LA POSITION DES PARTIES

[12]        La position du défendeur est simple, sa requête est transparente.

[13]       La poursuivante conteste le bien-fondé de la demande du défendeur, vu l’invraisemblance de sa demande de rétractation.

5.         ANALYSE ET DISCUSSION

[14]       Le Code de procédure pénale ne précise pas les critères sur lesquels le Tribunal doit se baser pour l’exercice judicieux de sa discrétion.

5.1       Généralités

[15]       En matières civiles, est-il utile de se le rappeler, la requête en rétractation opère sursis de l’exécution dès le moment où elle est reçue, c’est-à-dire déposée au greffe (Code de procédure civile (L.R.Q., c. C-25), art. 485). Le législateur n’a pas voulu qu’il en soit de même en matières pénales. Pourquoi?

[16]       Il convient tout d’abord de se rappeler la finalité des jugements. Ceux-ci visent à mettre un terme à un litige. Le jugement, une fois rendu, invite les personnes qu’il vise à passer à autre chose. La stabilité, la permanence, le respect et l’exécution des décisions des tribunaux sont autant de pierres d’assise de l’ordre social. Sans ces caractéristiques essentielles, le litige auquel il met fin demeurerait permanent, sans solution. Alors que nous vivons dans un pays régi par la règle de droit, celle-ci serait rapidement remplacée par l’anarchie ou par la loi de la jungle.

[17]       Le citoyen d’abord respectueux de la loi en viendrait rapidement à se demander pourquoi respecter cette loi si aucun mécanisme contraignant ne le force à le faire. À quoi bon respecter les prescriptions du Code de la sécurité routière pour ne nommer que celles-là. L’anarchie prévaudrait, compromettant du coup la sécurité sur les routes.

5.2       Les critères à considérer

[18]       Au cours de l’année 1990, la Cour d’appel est saisie d’une demande de sursis, dans une affaire d’un tout autre domaine. Cités à procès dans une affaire de meurtre à l’issue de leur enquête préliminaire, les appelants demandent l’émission d’un bref de certiorari. La Cour supérieure rejette leur demande; ils en appellent tous deux à la Cour d’appel et cherchent, pendant que leur appel est pendant devant la Cour, à faire suspendre la tenue de leur procès jusqu’à la décision de leur appel (Boutin c. Mayrand, [1990] R.J.Q. 1841, décision du 1er juin 1990).

[19]       Rejetant unanimement leur demande de sursis, les juges de la Cour d’appel déterminent que les critères à considérer sont assimilables à ceux applicables à une demande d’injonction, tels que formulés par M. le juge Beetz dans l’arrêt Metropolitan Stores (Procureur général du Manitoba c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110). Ces critères sont :

·         l’apparence de droit suffisant,

·         le caractère irréparable du préjudice subi en absence de sursis,

·         la prépondérance des inconvénients.

[20]       Le Tribunal partage du reste l’avis des auteurs Létourneau et Robert, tel qu’exprimé dans la 7e édition de leur Code de procédure pénale annoté. Dans leurs commentaires sous l’article 255, ils y expriment l’opinion que ces mêmes critères sont aussi valables dans l’exercice de la discrétion judiciaire du tribunal appelé à statuer sur la demande de sursis.

5.3       Application à l’espèce

[21]       Bien qu’il doit se garder de décider du mérite de la requête en rétractation, le Tribunal doit tout de même en soupeser la vraisemblance pour être à même d’évaluer, à première vue, l’apparence de droit suffisant, premier des 3 critères mentionnés plus haut. Or, le défendeur n’ayant pas produit de plaidoyer, il ne pouvait s’attendre à recevoir un avis d’instruction. De plus, le défendeur ne conteste pas le bien-fondé du jugement dont il demande la rétractation.

[22]       Dans les circonstances, la requête du défendeur n’a aucune apparence de droit. Sans plaidoyer, il ne pouvait s’attendre à recevoir un avis d’instruction. En outre, la demande de rétractation n’indique pas en quoi le jugement rendu serait mal fondé.

[23]       Bien que le droit pénal, à l’instar du droit criminel, ne soit pas formaliste, il y a des exceptions. La demande de rétractation est une importante exception à ce non-formalisme. En effet, les articles 251, 252 et 253 du Code de procédure pénale prévoient la nécessité d’une demande écrite dans laquelle le défendeur énonce non seulement les motifs qui fondent sa demande de rétractation, mais aussi que le défendeur conteste le bien-fondé du jugement. Le silence du défendeur à ce sujet en dit long, surtout lorsqu’on considère qu’aucun plaidoyer de non-culpabilité n’est produit.

[24]       Cela suffirait à disposer de sa demande de sursis, mais il y a plus. Le défendeur ne travaille pas présentement. Il attend une éventuelle offre d’emploi. À cet égard, le besoin de son permis n’est donc qu’éventuel, hypothétique. Quant aux services qu’il rend à sa mère pour ses visites médicales, certainement moins fréquentes que le défendeur veut le laisser entendre, il ressort de son témoignage qu’il y a d’autres possibilités d’accommodement. D’autres ressources existent aussi dans la communauté, certaines de celles-ci étant vouées au transport des personnes dans le besoin à leurs rendez-vous médicaux.

[25]       Le préjudice qu’il subit ne favorise pas non plus le défendeur, dans l’état actuel de cette affaire. Le préjudice favorise plutôt la poursuivante, et, au-delà de celle-ci, la société qu’elle représente. Celle-ci a en effet intérêt à ne pas voir battre en brèche la volonté législative clairement exprimée. Il en est de même de la prépondérance des inconvénients.

[26]       En effet, non seulement le défendeur, mais la société tout entière a intérêt à savoir que le système de points d’inaptitude mis en place par le législateur est efficace, contribuant de la sorte à accroître la sécurité sur les routes.

[27]       Si le défendeur a accumulé depuis 2 ans un nombre de points d’inaptitude tel que son permis doit maintenant être révoqué par une sanction administrative (art. 185 C.s.r.), période de temps pendant laquelle le défendeur pourra réfléchir et réévaluer sa façon de conduire – peut-être même la SAAQ lui imposera-t-elle de suivre des cours de conduite – pour quels motifs le Tribunal empêcherait-il la loi de s’appliquer?

[28]       Accessoirement, le défendeur n’est pas sans droit ni recours. Les articles 118 et suivants du Code de la sécurité routière lui permettent, à certaines conditions, de demander à un juge en chambre de la Cour du Québec un permis restreint qui lui permettrait de travailler pendant la période de révocation administrative de son privilège de conduire.

[29]       Quant à surseoir complètement à l’effet de la loi, comme le demande le défendeur, le Tribunal ne voit aucune raison valable de le faire. La loi est dure, mais c’est la loi.

6.         DISPOSITIF

[30]       Pour ces motifs, le Tribunal rejette la demande de sursis, le tout sans frais.

 

 

 

 

 

                                                        Gilles R. Pelletier, j.c.m.

 

Me Danielle Boudreau

Procureure de la poursuivante

 

 

Le défendeur se représente seul

 

 

Date d’audition : Le 16 octobre 2008

 

 

 

 

AUTORITÉS CITÉES

 

Boutin c. Mayrand, [1990] R.J.Q. 1841

Procureur général du Manitoba c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110

 
 
LÉGISLATION CITÉE

 

Code de la sécurité routière (L.R.Q. c. C-24.2), art. 118 et suiv., et 185

Code de procédure civile (L.R.Q., c. C-25), art. 485

Code de procédure pénale (L.R.Q. c. C-25.1), art. 251, 252, 253 et 255

 

 

DOCTRINE CITÉE

 

Gilles LÉTOURNEAU et Pierre ROBERT, Code de procédure pénale du Québec annoté, 7e édition, Wilson & Lafleur (2007) 985 p.