C A N A D A Cour Supérieure
Province de Québec (Chambre criminelle)
District de Québec
No. 200-36-000090-951 QUÉBEC,
le 11 septembre 1995
SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L'Honorable LOUIS DE BLOIS, J.C.S.
(JD119)
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
Appelant
c.
TECHNO-JEUX INC.
Intimée
- et -
MARTIN SAILLANT
- et -
AGENT MICHEL DUCHESNEAU, # 6878
Mis en cause
J U G E M E N T
La Cour est saisie d'une requête en appel de la décision de l'honorable juge Louis Carrier, en date du 11 mai 1995, qui ordonne que les appareils saisis le 14 décembre 1994 par l'agent Michel Duchesneau de la Sûreté du Québec, avec mandat de perquisition, au 1300 Pointe-aux-Lièvres Nord à Québec (Dépanneur Martin Saillant), soient remis à l'intimée Techno-Jeux Inc. présumée propriétaire des effets saisis.
Cette ordonnance de remise des deux machines saisies est assortie de conditions à l'effet que l'intimée devra produire ces machines sur demande à la cour lors du procès ou aux fins d'expertise de la poursuite et, pendant ce temps, ces appareils ne devront pas être modifiés ou utilisés par quiconque.
Les faits relatifs à la saisie de ces deux machines de loterie vidéo ne font l'objet d'aucune contestation de la part des parties et sont chronologiquement relatés dans la requête en appel comme suit:
En date du 14 décembre 1994, l'agent Michel Duchesneau de la Sûreté du Québec a effectué une perquisition avec mandat au 1300 Pointe-aux-Lièvres Nord à Québec (Dépanneur Martin Saillant) et a saisi deux appareils de loterie vidéo décrits au procès‑verbal de saisie;
Le 26 avril 1995, le procureur de l'intimée a fait signifier un avis d'une demande de remise de la chose saisie en vertu de l'article 138 du Code de procédure pénale. Plus de trois mois se sont écoulés depuis la date de la saisie et aucune procédure n'a été intentée contre le détenteur de ces machines 3091-9260 Québec Inc., ni contre la présumée propriétaire Techno-Jeux Inc., intimée aux présentes procédures;
Le 3 mai l995, un constat d'infraction est signifié au mis en cause Martin Saillant lui reprochant d'avoir:
"Le ou vers le 14-12-94 à Québec, au 1300, Pointe-aux-Lièvres Nord (Dépanneur Martin Sailtant), a détenu des appareils de loterie vidéo sans être titulaire d'une licence délivrée à cette fin, contrairement à la Loi sur les loteries, les concours publicitaires et les appareils d'amusement (L.R.Q., c. L-6), articles 52.3 et 121 al.2."
À cette même date, un préavis d'une demande de confiscation est signifié à l'intimée et aux mis en cause. L'audition de la demande sur la remise des choses saisies a eu lieu à Québec, le 11 mai 1995, devant l'honorable juge Louis Carrier;
L'appelant désire en appeler de l'ordonnance de remise des choses saisies au motif que le juge de première instance a:
"a) erré en droit en remettant les choses saisies à l'intimée alors qu'une poursuite pénale avait été signifiée au mis en cause Martin Saillant et que l'appelant avait allégué que cette preuve serait nécessaire aux fins du procès;
b) erré en droit en constituant l'intimée gardien des biens dans l'attente du procès, et ce à l'encontre de l'article 129 du Code de procédure pénale et de l'article 75 de la Loi sur les loteries, les concours publicitaires et les appareils d'amusement;
c) erré en droit en ordonnant la remise des choses saisies alors que leur confiscation était requise en vertu de l'article 137 du Code de procédure pénale;
d) erré en droit en ne permettant pas à l'appelant de faire la preuve de l'illégalité des choses saisies avant de se prononcer sur la demande de remise."
L'appelant soutient que nous sommes en présence de droit nouveau par l'application de l'article 75 de la Loi sur les loteries, les concours publicitaires et les appareils d'amusement qui prescrit qu'un bien saisi, en vertu de la présente loi, doit être déposé au siège social de la Régie ou à un autre endroit que la Régie désigne ainsi que par l'application de l'article 129 du Code de procédure pénale qui se lit comme suit:
"Le saisissant a la garde de la chose saisie; lorsqu'elle est mise en preuve, le greffier en devient le gardien."
L'appelant soutient au surplus qu'en l'absence de jurisprudence pertinente en matière pénale, la cour doit s'inspirer des décisions en matière criminelle dans l'application et l'interprétation des articles 132 à 138 du Code de procédure pénale.
Le procureur de l'appelant fait référence à certains jugements jurisprudentiels en vertu du Code du criminel et plus particulièrement à l'article 446 du Code criminel, en vigueur à l'époque des jugements cités, tel article étant devenu l'article 490 C. cr.
Pour sa part, l'intimée soutient que les articles 132 à 138 inclusivement du Code de procédure pénale doivent se démarquer du Code criminel et constituent un système de droit pénal complet en soi pour les fins de son application.
Dans un premier temps, il y a lieu de déterminer la nature de la prohibition dont sont frappés les objets visés par les présentes procédures. La Commission de réforme du droit du Canada, dans un document de travail intitulé les procédures postérieures à la saisie, 1985, à la page 53, écrit ce qui suit:
"Les choses prohibées peuvent être définies d'une façon générale comme des "choses dont la possession, dans les circonstance de l'espèce, constitue une infraction". La prohibition dont est frappée la possession de ces choses est fondée soit sur l'existence d'un droit de propriété exclusif de l'État, comme en matière de fausse monnaie, soit sur les dangers que comporte la possession de choses telles que certaines drogues, des armes ou des outils pouvant servir à des cambriolages. Les choses prohibées peuvent être rangées en deux catégories: les choses prohibées de façon absolue et les choses prohibées de façon conditionnelle. L'expression "choses prohibées de façon absolue" s'entend des objets qui ne peuvent être légalement possédés à quelque fin que ce soit, parmi lesquels figurent notamment la fausse monnaie, certains stupéfiants et certains types d'armes. Les choses dont la possession est illégale à certaines fins seulement peuvent être qualifiées de "choses prohibées de façon conditionnelle". À titre d'exemple, la possession d'outils n'est pas illégale en soi mais constitue une infraction lorsque les outils sont de nature à servir à un cambriolage et sont possédés dans des circonstances suspectes. De même, sont prohibés de façon conditionnelle les stupéfiants ou les drogues contrôlées possédés aux fins d'en faire le trafic, ainsi que les choses obscènes possédées à des fins de publication ou de distribution. Les choses en cause ne revêtent leur caractère de choses prohibées que dans la mesure où l'intention illégale du possesseur est démontrée."
Dans les circonstances, la cour doit classer ces appareils saisis dans la catégorie des choses prohibées de façon conditionnelle puisque l'infraction reprochée à l'intimée est d'avoir détenu des appareils de loterie vidéo sans être titulaire d'une licence délivrée à cette fin.
La chose en soi n'est pas illégale mais c'est la possession sans être titulaire d'une licence délivrée à cette fin par la Régie qui en fait une possession illégale.
L'intimée Techno-Jeux Inc., qui se prétend propriétaire des appareils de loterie vidéo saisis, a demandé au juge d'ordonner de lui remettre les appareils saisis, conformément à l'article 138 C.P.P., étant donné que le droit de rétention accordé au saisissant avait cessé en vertu de l'article 132 du Code de procédure pénale qui se lit comme suit:
"Le saisissant n'a le droit de retenir la chose saisie ou le produit de sa vente que pendant 90 jours suivant la date de la saisie sauf si une poursuite a été intentée et sauf dans les cas prévus aux articles 133 à l37".
Or, l'intimée avait à l'expiration du délai de 90 jours signifié un avis et demande de remise des choses saisies étant donné que le saisissant, ayant perdu son droit de rétention, se devait en vertu de l'article 134 du Code de procédure pénale de remettre dans les plus bref délais les objets saisis, vu l'expiration du délai de 90 jours. Cette obligation découle de l'article 134 du Code de procédure pénale qui se lit comme suit:
"La chose saisie ou le produit de sa vente doit être remis le plus tôt possible:
1o soit dès que le saisissant a été avisé qu'aucune poursuite ne sera intentée en rapport avec cette chose ou ce produit ou que celle-ci ne sera pas mise en preuve;
2o soit a l'expiration du délai pendant lequel le saisissant a droit à sa rétention;
3o soit lorsqu'une ordonnance de remise est devenue exécutoire."
En vertu de ces nouvelles dispositions du Code de procédure pénale, le saisissant qui n'a pas signifié un avis d'infraction avant l'expiration du délai de 90 jours doit forcément, pour conserver ce droit de rétention, demander une prolongation de délai ou une prolongation supplémentaire en vertu de l'article 133 du Code de procédure pénale. À défaut de cette prolongation la saisie devient caduque, le droit de rétention cesse et il a l'obligation de remettre les biens saisis le plus tôt possible suivant les dispositions de l'article 134.
La signification d'un avis d'infraction après l'expiration du délai de 90 jours. en l'absence d'une prolongation en vertu de l'article 133, ne peut faire renaître à lui seul ce droit de rétention de même que la saisie. Encore moins cet avis peut-il faire naître des droits, en vertu de l'article 75 de la Loi sur les loteries, les concours publicitaires et les appareils d'amusement, puisque le bien n'est plus saisi. La caducité de la saisie qui entraîne l'expiration du droit de rétention ne peut donner aucun droit à la Régie vu la caducité.
L'article 138 du Code de procédure pénale a confié au juge de première instance une discrétion judiciaire relativement à la remise de la choie saisie. Cette discrétion doit être exercée judiciairement et, dans les circonstances, les conditions qu'a imposées le juge de première instance quant à l'utilisation des effets saisis démontrent le soin particulier qu'il a apporté à la conservation des effets saisis suite à l'expiration du droit de rétention, à la caducité de la saisie et à la signification d'un avis d'infraction à l'intimée.
Le juge a exercé judiciairement cette discrétion qui n'est pas déraisonnable dans les circonstances et ne justifie pas l'intervention de notre cour.
PAR CES MOTIFS, LA COUR:
REJETTE l'appel de l'appelant.
LOUIS DE BLOIS, J.C.S.
Me Daniel Lagueux
Proc. de l'appelant
Me Jacques Larochelle
Proc. de l'intimée
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