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COUR D'APPEL

PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-10-000165-956
(200-36-000026-955)
(1995 - CSR - 1174)


Le 13 janvier 1998


CORAM: LES HONORABLES DUSSAULT
PIDGEON, JJ.C.A.
LETARTE, J.C.A. (ad hoc)



MARIO JEAN,

APPELANT - (défendeur)

c.

VILLE DE CHARLESBOURG,

INTIMÉE - (poursuivante)

-et-

LA SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC,

MISE EN CAUSE



_______________
LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure, district de Québec, chambre criminelle, prononcé par l'honorable Jean Bienvenue, le 3 novembre 1995, qui rejetait une déclaration de culpabilité prononcée, le 8 février 1995, par le juge Jean-Pierre Gignac de la Cour municipale de Charlesbourg;

APRÈS étude, audition et délibéré:

POUR LES MOTIFS exprimés par monsieur le juge René Letarte dans son opinion écrite, déposée avec le présent jugement, auxquels souscrivent messieurs les juge René Dussault et Robert Pidgeon:
ACCUEILLE l'appel;
CASSE le jugement entrepris;
et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être prononcé par la Cour supérieure:
CASSE le jugement de la Cour municipale de Charlesbourg prononcé par le juge Jean-Pierre Gignac, le 8 février 1995;
ANNULE le verdict de culpabilité et
ACQUITTE l'appelant, Mario Jean, de l'accusation portée contre lui.
____________________________
RENÉ DUSSAULT, J.C.A.
____________________________
ROBERT PIDGEON, J.C.A.
__________________________
RENÉ LETARTE, J.C.A. (ad hoc)


Date d'audition: le 13 novembre 1997

Me Alain Dumas
(GAULIN, CROTEAU)
Pour l'appelant;

Me Johanne Denis
(DUSSAULT, PELLETIER)
Pour l'intimée.
COUR D'APPEL

PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-10-000165-956
(200-36-000026-955)
(1995 - CSR - 1174)


CORAM: LES HONORABLES DUSSAULT
PIDGEON, JJ.C.A.
LETARTE, J.C.A. (ad hoc)



MARIO JEAN,

APPELANT - (défendeur)

c.

VILLE DE CHARLESBOURG,

INTIMÉE - (poursuivante)

-et-

LA SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC,

MISE EN CAUSE


OPINION DU JUGE LETARTE



Cet appel doit être décidé dans le cadre restreint de l'autorisation d'appel du 1er décembre 1995: (m.a., p. 22)

Le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en

refusant de conclure que l'appelant avait payé l'amende avant l'expiration du délai et que la fermeture des bureaux de la Cour municipale équivalait à une violation de l'article 365 du Code de procédure pénale du Québec.



Deux
questions sont soumises:
- L'appelant a-t-il payé son amende à temps?

- Doit-il être pénalisé par la fermeture des bureaux de la Cour municipale?

LES FAITS

L'appelant devait, à la Cour municipale de Charlesbourg, une amende dont il a retardé le paiement. La perceptrice en a avisé la Société de l'assurance automobile du Québec(
(1)) qui, le 12 décembre 1994 (m.a., p. 54), avisait l'appelant par lettre que son permis de conduire serait suspendu à compter du 3 janvier 1995, sous la réserve suivante:

Nous me


ttrons fin aux procédures relatives à cette sanction, dès que nous recevrons du percepteur des amendes ou de son représentant un avis attestant que vous avez acquitté l'amende et les frais.
[...]

(je souligne)


L'appelant entreprit dès lors des démarches auprès de la Cour municipale puisqu'il lui était impossible d'acquitter l'amende avant la réception de son prochain chèque de Bien-être social. Il y rencontra madame Gagné, greffière à la Courmunicipale et perceptrice des amendes. Il consulta un avocat et communiqua de nouveau avec madame Gagné pour apprendre que les bureaux de la Cour seraient fermés du vendredi, 23 décembre 1994 au mercredi, 4 janvier 1995.

L'appelant a d'abord demandé à madame Gagné de reporter de 24 heures le début de la suspension, ce à quoi elle aurait répondu: (m.a., p. 40) «Bien, on ne peut pas demander au juge qui a émis la demande d'annuler ça pour la remettre au 4». Il conclut: «Bon, bien je vais faire un mandat-poste de la journée du 29, je vais mener le mandat-poste ici dans la case postale que j'ai reçue là [...]».

La perceptrice fit part à l'appelant qu'il devrait s'abstenir de conduire le 3 janvier puisqu'elle ne pourrait adresser l'avis du paiement que le 4 janvier. Elle s'engagea à le faire dès la première heure, ce qu'elle a d'ailleurs respecté. Sur réception de son chèque, le 29 décembre 1994, l'appelant a immédiatement obtenu un mandat-poste qu'il livra personnellement, non pas à la poste mais dans le casier réservé à la réception du courrier, à la Cou

r municipale de Charlesbourg.



Le 3 janvier, vers 11h00 du soir, il utilisa son véhicule pour se rendre au dépanneur: (m.a., p. 42)

Je suis ressorti, il y avait un policier dans le parking. Je ne sais pas pour quelle raison qu'il m'a arrêté, j'ai rien fait d'illégal.




Il fut intercepté un peu plus loin par des policiers de Charlesbourg à qui il a exhibé sa copie du mandat postal.
(m.a., p. 43):

[...] ils ont été bien gentils, parce qu'ils auraient pu m'enlever mon permis de conduire puis faire remorquer la voiture.




Devant le juge de la Cour municipale, la procureure de la poursuite a insisté sur le fait que l'appelant avait été avisé de ne pas conduire le 3, puisque l'avis de paiement ne serait acheminé que le lendemain. Elle a ajouté: (m.a., p. 51):

C'est malheureux les conséquences de ça, mais je veux dire, je comprends que Monsieur, d'une certaine façon, a pu, un moment donné, être un peu victime de la situation où pendant la période des Fêtes, les bureaux étaient fermés.



(je souligne)

Le juge de première instance trouve l'appelant coupable parce qu'il «savait très bien qu'il ne pouvait conduire, le 3 janvier la Cour étant incapable de traiter le dossier à cause des Fêtes» (m.a., p. 52).
(je souligne)

Le jugement de la Cour supérieure a également conclu à la culpabilité: (m.a., p. 30)

Même si l'appelant a établi sa bonne foi en démontrant qu'il a fait tout son possible pour s'informer et payer dans les délais, cela n'empêche pas que sa

croyance dans le fait inexistant (ce fait étant que son amende était payée en date du 29 décembre) n'était pas basée sur des motifs raisonnables [...]

(je souligne)

(m.a., p. 31):

[...] la négligence de l'appelant consiste à avoir conduit un véhicule alors qu'il avait été expressément prévenu de s'en abstenir.




DISCUSSION

Le noeud de la présente affaire se limite à la détermination du moment du paiement et à l'interprétation de l'article 365 du Code de procédure pénale:

365. [Avis à la Société de l'assurance automobile] Le percepteur, s'il a fait parvenir l'avis prévu à l'article 364, avise sans délai la Société de l'assurance automobile du Québec lorsque la somme due, à la suite d'un paiement ou d'une saisie, a été acquittée ou lorsque le défendeur a été libéré du paiement en vertu du deuxième alinéa de l'article 339 ou a purgé la peine d'emprisonnement imposée à défaut de paiement d'une somme due.



(je souligne)


Deux éléments sont sujets à discussion: la validité du paiement et l'effet de l'obligation du percepteur d'aviser la SAAQ sans délai, éléments sur lesquels l'accusé a aussi droit au bénéfice du doute, le cas échéant.

En effet, si l'appelant a payé et qu'il n'appartenait qu'au percepteur d'aviser sans délai la SAAQ, il faudra conclure que la suspension de son permis n'a pas pris effet, de sorte qu'ily a lieu d'acquitter, vu l'absence d'un des éléments essentiels de l'infraction opposée à l'appelant.

1) La validité du paiement

La lettre du 12 décembre 1994 est un avis adressé en vertu des articles 194 et 553 du Code de sécurité routière comportant les principaux éléments suivants:

a) le permis sera suspendu à compter du 3 janvier 1995;

b) l'amende devra être acquittée à la Cour municipale de Charlesbourg;

c) l'avis de paiement permettra la régularisation du dossier;

Cet avis confirme le droit pour l'appelant d'empêcher la suspension de son permis le 3 janvier suivant, par le paiement des amendes dues à la Cour municipale avant cette date. Par application de l'article 194 du Code de la sécurité routière, la suspension demeurera en vigueur tant que la SAAQ n'aura pas reçu l'avis de paiement prévu à l'article 365 du Code de procédure pénale qui doit être adressé «sans délai» par la perceptrice.

Le jeudi, 29 décembre 1994, cinq jours avant l'expiration du délai fixé par la SAAQ, l'appelant ne se contente pas de jeter une lettre à la poste... Il se rend aux bureaux de la Cour municipale et y dépose le mandat postal obtenu le jour même. L'article 1564 du Code civil du Québec prévoit que: «Le débiteur d'une somme d'argent est libéré par la remise au créancier de la somme nominale prévue [...] au moyen d'un mandat postal [...] fait à l'ordre du créancier [...].»D'autre part, le premier alinéa de l'article 1566 C.c.Q. précise que: «Le paiement se fait au lieu désigné expressément ou implicitement par les parties.»

Même s'il n'a pas obtenu de reçu, qu'aucun préposé n'était en devoir, l'appelant a déposé son mandat-poste le 29 décembre. Ce fait est admis. Je suis d'avis qu'à partir de ce moment, l'appelant avait rempli son obligation d'acquitter son amende.

Aux termes de l'article 18 du Code de procédure pénale les dates suivantes étaient considérées jours juridiques: 29, 30, 31 décembre et 3 janvier.

Il est vrai que l'article 194 du Code de la sécurité routière prévoit que la suspension demeure en vigueur tant que la société n'a pas reçu l'avis prévu à l'article 365 de ce Code, maisau moment du paiement, cette suspension n'avait pas débuté. J'adopte volontiers le commentaire reproduit dans le Code de la sécurité routière annoté: (
(2))

Malgré les termes d


e cet article, la suspension d'un permis pour non-paiement d'amende prend fin dès que l'accusé acquitte son amende.



Rien n'exige que le paiement soit fait en mains propres au percepteur ou reçu personnellement par ce dernier. Je reconnais qu'en agissant comme il l'a fait l'appelant risquait de voir sa démarche contestée, sauf qu'en l'espèce ce fait est admis.

2) L'obligation d'aviser la SAAQ sans délai

L'article 365 du Code de procédure pénale impose au percepteur des amendes d'aviser sans délai la SAAQ du paiement de la somme due. Le législateur est présumé ne pas avoir écrit pour rien et il n'est pas illogique de croire que, s'il a tenu à imposer au percepteur l'obligation d'aviser la SAAQ sans délai, c'est afin d'éviter qu'une personne qui a payé sa dette soit punie une seconde fois. Cette obligation imposée au percepteur veut précisément assurer la paix du citoyen qui a payé son amende. C'est donc dans cette optique que je crois devoir interpréter cette disposition de l'article 365.
La lettre du 12 décembre 1994 mentionne que la note de paiement doit provenir du percepteur des amendes ou de son représentant. Je ne puis accepter que, dans les circonstances de l'espèce, la fermeture du bureau se traduise par la perte des droits de l'appelant et la création d'une infraction de sa part par le biais d'une décision administrative, à laquelle il est étranger, l'empêchant de donner suite à la mise en demeure de la SAAQ.

L'autorité aurait pu charger un officier en devoir, à la police de Charlesbourg, de représenter le percepteur des amendes et de compléter les liaisons nécessaires avec la SAAQ, liaisons qui existaient déjà en sens inverse. On ne peut sérieusement contester le droit de l'appelant de payer son amende avant le 3 janvier, et il a fait tout ce qu'il pouvait faire. C'est à l'administration qu'il appartenait de compléter l'opération. Je suis d'avis qu'il serait souverainement injuste de faire porter à l'appelant le poids "pénal" d'une carence administrative contre laquelle il ne pouvait rien.

Monsieur le juge Pierre Pinard, dans une décision récente(
(3)), écrivait: (pp. 3 et 4)

La position de l'intimée est que le paiement de l'amende n'est pas suffisant. Il faut que la Société en soit informée et qu'elle rende une décision levant la sanction.

 

Cet argument se défend possiblement sur le plan administratif, beaucoup plus difficilement sur le plan pénal. Effectivement, si l'intimée a raison, il peut en résulter qu'une personne soit déclarée coupable sous l'article 105, alors qu'elle n'a rien à se reprocher, ayant payé son amende. Or, la jurisprudence ne se réjouit pas outre mesure d'une telle situation. Voir à ce sujet

R. c. Sault-Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 , et Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486 .

 

C'est pourquoi une défense de diligence raisonnable est permise dans le cas d'une infraction de responsabilité stricte comme la présente. La question devient donc celle de savoir si le code impose quelque autre obligation que celle de payer son amende dans le délai? Un examen minutieux de cette loi nous oblige à répondre par la négative. En fait, selon l'article 365 du Code de procédure pénale, c'est le percepteur de l'amende et non le délinquant qui a l'obligation formelle d'en aviser

sans délai la Société. Or, à l'ère de l'informatique, un citoyen ne devrait pas faire les frais d'un manquement à cette obligation qui ne lui incombe en aucune façon.

 

[...]

 

En somme, la mise en vigueur de la sanction était assujettie à la condition suspensive que l'amende ne soit pas payée dans le délai, c'est-à-dire, avant le 9 décembre 1995. Comme cette condition ne s'est jamais réalisée, je pense que l'on peut conclure à l'absence d'un élément essentiel de l'infraction. C'est là une seconde raison pour laquelle l'appelant devait être acquitté.




C'était également à la même conclusion qu'arrivait monsieur le juge Trotier((4)): (m.a., p. 68)

Les mots «sans délai» de l'article 365 n'ont pas été insérés pour rien dans le texte et ne comportent aucune ambiguïté.

 

Un automobiliste qui acquitte son amende en temps ne peut rester à la merci du pouvoir administratif et voir son permis suspendu tant et aussi longtemps que le percepteur n'a pas exécuté les obligations que la loi lui impose auprès de la S.A.A.Q.

 

Au surplus, le législateur, n'ayant pas déterminé la façon dont cette obligation de rapport à cet organisme d'État doit être exécutée par le percepteur, il nous

apparaît, qu'en nos temps modernes, d'autres moyens de communication rapide existent pour se conformer à l'article 365 et ainsi éviter de pénaliser un individu.

(souligné dans l'original)


Je partage ces opinions et les applique au
cas sous espèce. Je suis d'avis que, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'appelant ne saurait être pénalisé par la fermeture temporaire des bureaux de la Cour municipale.

Bref, je suis d'avis que l'appelant avait payé son amende dans le délai mentionné à l'avis de la SAAQ et qu'il appartenait à l'administration d'assurer le respect de l'article 365 du Code de procédure pénale.

Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi de l'appelant et de substituer au jugement déjà rendu un verdict d'acquittement.


RENÉ LETARTE, J.C.A. (ad hoc)


1. ) Article 364 , Code de procédure pénale.
2.
) Voir Ville de Saint-Hyacinthe c. Labonté, C.M. 56453 (1990)dans LOCAS, Gérald, Code de la sécurité routière annoté, 2°éd., Wilson & Lafleur, 1994.
3.
) Jean-François Robert c. Ville de Deux-Montagnes et Société del'assurance automobile du Québec, C.S. 700-36-000119-965, le11 novembre 1996.
4.
) Fernand Pépin c. Ville de Saint-Émile, C.S 200-36-000070-953,le 29 septembre 1995.