COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000153‑929
(200‑36‑000174‑912)
(200‑27‑013940‑902)
Le 8 septembre 1994.
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
DELISLE
OTIS, JJ.C.A.
INFOTIQUE TYRA INC.,
APPELANTE - accusée,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
NO: 200-10-000154-927
(200-36-000174-912)
(200-27-013941-900)
MAURICE RACINE,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
NO: 200-10-000155-924
(200-36-000174-912)
(200-27-013939-904)
RÉAL TURGEON,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
LA COUR, statuant sur le pourvoi de chacune des parties appelantes contre un jugement rendu le 19 août 1992 par la Cour supérieure du district de Québec (l'honorable Jean Bienvenue), qui a rejeté leur appel respectif d'un jugement prononcé le 27 septembre 1991 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Québec (l'honorable Jean-François Dionne), qui avait reconnu leur culpabilité à l'égard de diverses infractions à la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q. c. V-1.1;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion ci-annexée de monsieur le juge Jacques Delisle, à laquelle souscrivent monsieur le juge Marc Beauregard et madame la juge Louise Otis:
REJETTE chacun des appels, avec frais fixés par règlement.
MARC BEAUREGARD, J.C.A.
JACQUES DELISLE, J.C.A.
LOUISE OTIS, J.C.A.
Me Alain Pard
PARD, GERVAIS
Procureur des parties appelantes
Me Jean Lorrain
PROULX, BRETON
Procureur de l'intimée
Date de l'audition: le 23 novembre 1993
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000153‑929
(200‑36‑000174‑912)
(200‑27‑013940‑902)
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
DELISLE
OTIS, JJ.C.A.
INFOTIQUE TYRA INC.,
APPELANTE - accusée,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
NO: 200-10-000154-927
(200-36-000174-912)
(200-27-013941-900)
MAURICE RACINE,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
NO: 200-10-000155-924
(200-36-000174-912)
(200-27-013939-904)
RÉAL TURGEON,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
OPINION DU JUGE DELISLE
_______________________
Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Québec, prononcé le 19 août 1992 par l'honorable Jean Bienvenue, qui a rejeté leur appel d'un jugement rendu le 27 septembre 1991 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Québec (l'honorable Jean-François Dionne), qui avait reconnu la culpabilité des appelants à l'égard de diverses infractions à la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q. c. V-1.1.
LES CHEFS D'ACCUSATION PORTÉS CONTRE LES APPELANTS
L'appelante Infotique Tyra Inc. (ci-après appelée "Tyra"), son employé, l'appelant Maurice Racine, et son président et seul actionnaire, l'appelant Réal Turgeon, ont été accusés de diverses infractions à la Loi sur les valeurs mobilières (ci-après appelée "la Loi"). Sept chefs d'accusation ont été portés contre Tyra, dix contre Maurice Racine et douze contre Réal Turgeon.
En bref, il était reproché à Tyra d'avoir procédé au placement de contrats d'investissement tombant sous l'application de la Loi, sans avoir établi un prospectus soumis au visa de la Commission des valeurs mobilières (ci-après appelée "la Commission"), contrairement à l'article 11 de la Loi, commettant ainsi l'infraction prévue à son article 202.
Maurice Racine, de son côté, était accusé, sous cinq chefs, d'avoir exercé l'activité de courtier en valeurs au sens de l'article 5 de la Loi, sans être inscrit à ce titre auprès de la Commission, en effectuant le placement de contrats d'investissement soumis à l'application de la Loi, contrevenant ainsi à son article 148 et commettant l'infraction prévue à son article 202, et, sous cinq autres chefs, d'avoir aidé Tyra, par acte ou omission, à procéder au placement de contrats d'investissements selon le sens donné à cette expression à l'article 1 de la Loi, sans avoir établi de prospectus soumis au visa de la Commission, le tout contrairement de l'article 11 de la Loi, commettant ainsi l'infraction créée à son article 202 (avec référence à l'article 208).
Quant à Réal Turgeon, il était accusé, sous sept chefs, d'avoir autorisé ou permis, à titre de dirigeant de Tyra, le placement d'une forme d'investissement soumis à la Loi, sans avoir établi un prospectus visé par la Commission, contrairement à l'article 11 de la Loi, commettant ainsi l'infraction prévue à son article 205.
Réal Turgeon était également accusé, sous cinq autres chefs, d'avoir aidé Maurice Racine, par acte ou omission, à exercer l'activité de courtier en valeurs au sens de l'article 5 de la Loi, en effectuant le placement de contrat d'investissement, sans que cette personne soit dûment inscrite à ce titre auprès de la Commission, contrairement à l'article 148 de la Loi, commettant ainsi l'infraction prévue à son article 202 (avec référence à l'article 208).
LES FAITS
Tyra, une société commerciale dont le siège social est situé à Victoriaville, Québec, oeuvrait principalement dans le domaine de l'informatique. Par l'entremise de représentants, Tyra offrait à des épargnants d'investir des sommes d'argent variant entre 5 000$ et 20 000$ dans le domaine de la recherche et du développement en informatique, à l'aide d'un contrat intitulé "soumission".
Aux termes de cette "soumission", le prix payé incluait notamment la fourniture d'un disque laser et d'un programme d'extraction de stockage de l'information sur le disque. La preuve a toutefois révélé qu'aucun des signataires n'a reçu ou demandé le disque laser (voir les extraits de témoignages: Cusson, m.i. 130; Vézina, m.i. 133; Ross, m.i. 135; Samson, m.i. 142; Garneau, m.i. 144 et l'analyse de la preuve faite par le juge Dionne, m.a. 105-110). En fait, la véritable motivation des investisseurs résidait dans les avantages fiscaux rattachés à ce type d'investissement (témoignages de Cusson, Vézina, Ross, Desrochers, Samson, Garneau, analysés par le juge Dionne, m.a. 105-110). Il a été d'ailleurs admis que les personnes qui ont investi dans le projet de recherche proposé par Tyra se sont montrées satisfaites du rendement fiscal obtenu par leur placement.
En plus de signer la "soumission", les investisseurs se portaient acquéreurs d'une part dans la Société de Recherches Expérimentales en Télématique (S.R.E.T.), une société en nom collectif, pour le prix d'un dollar.
Les investisseurs signaient, simultanément, un troisième contrat intitulé "cession" (m.a. 184), par lequel ils cédaient à Infotique Ytar Inc. leurs parts, droits et intérêts dans le prototype de disque laser pour bibliothèque personnelle, à sa juste valeur marchande, telle qu'établie au début de l'année fiscale de l'investissement.
Cette procédure en trois parties, soumise aux investisseurs, est expliquée de la façon suivante par Réal Turgeon (m.i. 147-148):
Q. Et vous, la société Infotique Ytar, est-ce que ça vous appartient, cette société-là?
R. Infotique Ytar, oui ça m'appartient.
Q. À cent pour cent (100%)?
R. À cent pour cent (100%).
Q. Comme la société Infotique Tyra?
R. C'est ça.
Q. Si je comprends bien la structure de votre projet, Infotique Tyra offre une soumission, donc à l'intérieur d'Infotique Tyra, les gens investissent une somme d'argent, c'est exact?
R. Oui.
Q. Pour avoir droit à la recherche et développement, les gens doivent appartenir à la S.R.E.T., d'où l'adhésion; c'est exact également?
R. D'où l'adhésion, c'est ça.
Q. Donc, les gens deviennent sociétaires d'une société en nom collectif, ce qui leur donne droit à la déduction fiscale?
R. C'est ça.
Q. Et vous, par la suite, c'est-à-dire au même moment, c'est-à-dire au moment même où les gens signent le contrat, signent également une formule de cession par laquelle ils vont vous céder les droits dans leur part, c'est exact?
R. C'est exact, mais pour ceux qui veulent signer, qui veulent...
Q. Donc, en fait...
R. ... qui veulent céder leur droit.
Q. Je m'excuse, allez-y?
R. Bien, pour ceux qui veulent céder les droits; s'ils veulent absolument qu'on complète leur disque laser, on va le faire.
Q. Vous m'avez dit tout à l'heure qu'il n'avait pas complété pour aucun, à date?
R. Bien, aucun a fait la demande.
Q. Donc, vous n'avez jamais complété, donc vous avez toujours racheté, si je comprends bien?
R. Oui.
Q. Mais c'est toujours un rachat à cinquante pour cent (50%) de la valeur?
R. Sensiblement, oui.
Réal Turgeon était le président et seul actionnaire de Tyra et Infotique Ytar Inc. Il contrôlait également S.R.E.T., société acquise quelques années auparavant de Normand Lassonde (m.i. 93), dirigeant de Geyser Informatics Inc.
Réal Turgeon entretenait, depuis plusieurs années, des liens étroits avec Geyser Informatics Inc. et Normand Lassonde. Il avait en outre travaillé pour S.R.E.T. et préparé avec Normand Lassonde des rapports de recherche.
De son côté, Maurice Racine, avant d'être représentant pour Tyra dans la région de Québec, travaillait pour le compte de Geyser Informatics Inc. Il faisait, comme pour Tyra, de la sollicitation auprès de personnes intéressées à investir dans des projets de recherche.
Geyser Informatics Inc., qui offrait un produit semblable à celui proposé par Tyra, a dû cesser ses opérations à la suite d'une injonction prononcée par la Cour supérieure le 25 novembre 1987, qui lui ordonnait essentiellement de cesser toute activité en vue de procurer le placement de valeurs mobilières (pour les termes exacts de l'ordonnance, voir Commission des valeurs mobilières du Québec c. Geyser Informatics Inc., [1990] R.J.Q. 190 (C.S.)). C'est à la suite de cette interdiction que Normand Lassonde a cédé S.R.E.T. à Réal Turgeon.
LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC
Dans un jugement bien structuré et motivé, le juge Jean-François Dionne de la Cour du Québec a condamné les appelants sous chacun des chefs d'accusation portés contre eux.
Le juge Dionne a analysé, dans un premier temps, si la forme d'investissement offerte par Tyra était un contrat d'investissement au sens de l'article 1 de la Loi. Après une revue minutieuse de la preuve et après avoir fait référence à plusieurs autorités, le juge a conclu que:
... ce contrat (de soumission) est en fait et en droit un contrat d'investissement, par lequel la société Infotique Tyra Inc. voulait capitaliser, amasser de l'argent afin de permettre une recherche en télématique et produire théoriquement un disque laser. Le contrat de soumission est donc une levée de fonds déguisée (m.a. 126).
Le juge Dionne a appliqué les principes d'interprétation dégagés par la Cour suprême du Canada, pour ce type de législation, dans Pacific Coast Coin Exchange c. C.V.M.O., [1978] 2 R.C.S. 112.
Après avoir déclaré Tyra coupable, le juge a examiné séparément la culpabilité des deux autres appelants, procédant, à chaque fois, à une analyse méthodique des composantes de l'infraction reprochée et des faits mis en preuve.
LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
Saisi des appels interjetés par chacun des trois appelants, le juge Bienvenue a confirmé la déclaration de culpabilité et la sentence prononcées contre chacun d'eux.
Ce jugement ne fait qu'approuver les vues exprimées par le juge Dionne (non sans avoir grandement vanté la qualité du jugement de ce dernier). C'est pourquoi, en traitant du présent appel, je me référerai aux motifs du jugement du juge Dionne.
LES MOYENS D'APPEL
Dans leur mémoire, les appelants soulèvent douze arguments à l'encontre de leurs déclarations de culpabilité (m.a. 7-8). À l'audition, ils en ont également ajouté un: la méprise quant à l'identité de l'émetteur des valeurs.
Les questions soulevées peuvent être regroupées, de façon à simplifier leur analyse.
J'examinerai successivement les moyens suivants:
I - L'assujettissement de la forme d'investissement offerte par Tyra à la Loi (questions 1, 2, 3 et 4 des appelants).
En examinant cette question, je devrai déterminer le sens et la portée de l'expression "contrat d'investissement" employée à l'article 1. de la Loi, en tenant compte des principes d'interprétation propres à ce type de législation. Je devrai également examiner la notion de "placement" pour vérifier si Tyra devait se soumettre à l'application de l'article 11 de la Loi.
II - La culpabilité de Maurice Racine sous tous les chefs d'accusation portés contre lui (questions 5 à 7 des appelants).
Cette personne a-t-elle exercé l'activité de courtier, sans être dûment inscrite auprès de la Commission? Le fait qu'un des investisseurs n'ait pas fait affaires directement avec elle empêche-t-il la condamnation de cette personne sous les chefs 2 et 7? Quelle est la conséquence de l'absence de déclaration de culpabilité dans le dispositif du jugement du juge Dionne relativement aux chefs d'accusation 6 à 10 portés contre Maurice Racine?
III - L'application du principe de la chose jugée (question 8 des appelants).
La condamnation de Maurice Racine sous les chefs 1 à 5 empêche-t-elle sa condamnation sous les chefs 6 à 10, en vertu du principe de l'interdiction de déclarations de culpabilité multiples?
IV - La culpabilité de Réal Turgeon sous les chefs d'accusation portés contre lui (questions 9 à 11 des appelants).
Réal Turgeon est-il coupable des infractions reprochées contre lui?
V - L'article 206 de la Loi (question 12 des appelants).
Les appelants peuvent-ils invoquer avec succès les moyens de défense de prudence et diligence ou d'erreur raisonnable?
VI - La nécessité d'un "avertissement raisonnable" (moyen traité aux pages 34-36 du mémoire des appelants).
L'absence d'avertissement raisonnable de ce qui est prohibé par la Loi peut-elle être invoquée en l'espèce?
VII - La méprise quant à l'identité de l'émetteur des valeurs (moyen soulevé à l'audience).
Tyra est-elle véritablement celle qui a procédé à l'émission de valeurs en contravention de la Loi?
I - L'ASSUJETTISSEMENT DU PROJET DE RECHERCHE
OFFERT PAR TYRA À LA LOI
_____________________________________________
A - La définition du contrat d'investissement
La première question à trancher est celle de la justesse de l'interprétation par le juge Dionne de l'expression "contrat d'investissement", définie à l'article 1 de la Loi.
Dans l'hypothèse où le juge aurait erronément appelé "contrats d'investissement" au sens de la Loi les contrats offerts par Tyra, les appelants devraient alors être déclarés non coupables des accusations portées contre eux; il ne serait pas alors nécessaire d'examiner les autres questions qu'ils soulèvent.
L'article 1 de la Loi, après avoir énoncé que celle-ci s'appliquait, entre autres, aux contrats d'investissement, définit cette expression comme suit:
Le contrat d'investissement est un contrat par lequel une personne s'engage, dans l'espérance du bénéfice qu'on lui a fait entrevoir, à participer aux risques d'une affaire par la voie d'un apport ou d'un prêt quelconque, sans posséder les connaissances requises pour la marche de l'affaire ou sans obtenir le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de l'affaire."
Pour bien cerner la portée des dispositions de la Loi, il convient, en premier lieu, de connaître les buts poursuivis par ce type de législation et les principes d'interprétation que les tribunaux ont utilisés à leur égard.
Dans Pacific Coast Coin Exchange c. Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, [1978] 2 R.C.S. 112, la Cour suprême devait justement décider si une convention constituait un contrat de placement au sens de la loi ontarienne Securities Act, R.S.O. 1970, c. 426. Le juge de Grandpré précise, dans un premier temps, le but poursuivi par la législation ontarienne sur les valeurs mobilières (p. 126):
... Il s'agit nettement de la protection du public...
Le juge de Grandpré poursuit en faisant référence à l'affaire Re Ontario Securities Commission and Brigadoon Scotch Distributors (Canada) Limited (1970), 3 O.R. 714, où le juge Hartt a écrit (p. 717):
... the basic aim or purpose of the Securities Act, 1966,... is the protection of the investing public through full, true and plain disclosure of all material facts relating to securities being issued.
Ce but protecteur de la Loi est mis en évidence à son article 276, qui spécifie le rôle de la Commission[1]:
276. La Commission des valeurs mobilières du Québec constituée par la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1) est continuée; elle est chargée de l'administration de la présente loi et exerce les fonctions qui y sont prévues.
Elle a pour mission:
10 de favoriser le bon fonctionnement du marché des valeurs mobilières;
20 d'assurer la protection des épargnants contre les pratiques déloyales, abusives et frauduleuses;
30 de régir l'information des porteurs de valeurs mobilières et du public sur les personnes qui font publiquement appel à l'épargne et sur les valeurs émises par celles-ci;
40 d'encadrer l'activité des professionnels du marché des valeurs mobilières, des associations qui les regroupent et des organismes chargés d'assurer le fonctionnement d'un marché de valeurs mobilières.
Après avoir précisé, dans Pacific Coast, le but de la législation sur les valeurs mobilières, le juge de Grandpré s'exprime ainsi sur l'interprétation que doit recevoir ce type de législation (p. 127 et 128):
On doit donner à ce genre de législation protectrice une interprétation large qui tienne compte des réalités économiques qu'elle vise. L'élément décisif est le fond et non la forme.
[...]
Dans la recherche du sens véritable de l'expression "contrat de placement", il faut aussi penser à un autre principe important. Comme l'a souligné la Cour suprême des États-Unis dans SEC v. W.J. Howey Co., [328 U.S. 293 (1946)], une définition doit permettre (à la page 299):
[Traduction]... à la législation d'atteindre son but, savoir rendre obligatoire la divulgation complète et juste des faits relatifs à l'émission "des divers types d'effets qui, dans le commerce, entrent ordinairement dans la notion de valeurs mobilières"... Elle contient un principe souple plutôt que statique, capable de s'adapter aux innombrables plans employés par ceux qui cherchent à utiliser l'argent des autres en leur promettant des profits.
Cela ne signifie pas que la législation vise uniquement les plans qui sont effectivement frauduleux; elle a plutôt trait aux accords qui ne permettent pas aux clients de connaître exactement la valeur de leur investissement.
Contrairement à la loi ontarienne en cause dans Pacific Coast, la loi québécoise sur les valeurs mobilières contient, depuis 1983 (L.Q. 1982, c. 48), une définition de "contrat d'investissement". Cette différence amène les appelants à limiter la portée des principes enseignés par la Cour suprême (m.a. 21):
De plus, la loi ontarienne ne contenait aucune définition de la notion de contrat d'investissement, ce qui laissait au tribunal le loisir d'examiner cette notion selon l'interprétation donnée antérieurement et ce même par les tribunaux étrangers. Ici au Québec, nous avons une définition et il faut s'en tenir à cette définition. Ce que le jugement majoritaire de la Cour suprême énonce, c'est qu'en l'absence d'une définition l'on doit avoir une interprétation large de cette notion, mais jamais ce jugement n'a mentionné qu'il devait y avoir une interprétation large d'une définition incluse dans la Loi, ce qui est précisément notre cas.
Avec égards, retenir une telle prétention équivaudrait à déformer les principes posés par la Cour suprême. Le principe d'interprétation large rattaché à une loi du type de la loi ontarienne sur les valeurs mobilières tenait compte du but visé par une telle législation, soit la protection du public investisseur. La loi ontarienne, comme la loi québécoise sur les valeurs mobilières, doivent être interprétées d'une façon libérale puisqu'elles visent à protéger le public en rendant obligatoire la divulgation complète des valeurs offertes aux investisseurs.
Naturellement, l'interprétation libérale commandée par le but de la Loi doit être filtrée en fonction des termes mêmes de celle-ci et des définitions qu'elle contient. L'absence de définition ou l'utilisation de termes généraux dans une loi pourront constituer des indices supplémentaires menant à une interprétation large. Cependant, l'existence de définitions plus précises dans la loi ne peut avoir pour effet d'en limiter indûment l'application, sans égard aux objectifs premiers recherchés par le législateur; une définition doit toujours être comprise de façon à permettre à la législation d'atteindre son but.
Même en présence de la définition de "contrat d'investissement" contenue à l'article 1 de la Loi, les tribunaux québécois ont continué d'appliquer les principes d'interprétation préconisés par la Cour suprême dans Pacific Coast:
- Commission des valeurs mobilières du Québec c. Geyser Informatics Inc., [1990] R.J.Q. 190 (C.S.), à la page 197, la juge Piché. Désistement d'appel, 11 avril 1990, C.A.M. 500-09-001627-892.
- Commission des valeurs mobilières c. Lambert, C.S. Montréal, 500-05-009209-899, 18 août 1989, à la page 3, le juge Pierre Viau.
- Corporation Première Équité A.C.P. Inc., C.V.M.Q. 8307, 29 mai 1987, à la page 15, les membres de la Commission, Côté, Cusson et Dussault.
- Commission des valeurs mobilières du Québec c. Thorne, Riddell, Poissant, Richard, c.a., C.S.P. Terrebonne, 700-27-007847-849, 17 avril 1985, aux pages 5-7, le juge Lagarde.
Pour déterminer la signification de l'expression "contrat de placement", la Cour suprême, dans Pacific Coast, s'est inspirée de la jurisprudence américaine et du test développé par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Howey, 328 U.S. 293, aux pages 298, 299 et 301:
Does the scheme involve "an investment of money in a common enterprise, with profits to come solely from the efforts of others"?
Le juge de Grandpré a précisé la portée à donner aux termes "uniquement" (solely), "entreprise commune" (common enterprise) et "fruit du labeur de tiers" (from the efforts of others) utilisés dans ce test (p. 129):
Bien des tribunaux américains ont critiqué l'emploi du mot "uniquement" dans ce critère et en ont atténué la portée. Il suffit de se reporter à SEC v. Koscot Interplanetary Inc., [497 F. 2d 473 (1974)] et à SEC v. Glen W. Turner Enterprises Inc., [474 F. 2d 476 (1973)]. Comme le mentionne l'arrêt Turner, donner une interprétation rigoureuse au mot "uniquement" (à la page 482) [TRADUCTION] "n'est pas conforme au but de la Loi. Nous préférons adopter un critère plus réaliste, savoir le labeur de personnes autres que l'investisseur est-il incontestablement déterminant, s'agit-il de cette direction effective de l'entrepise qui influe directement sur son échec ou son succès." Dans ce même arrêt, on a défini l'expression "entreprise commune" comme (à la p. 482) [TRADUCTION] "une entreprise où le sort de l'investisseur est étroitement lié et subordonné aux fruits du labeur de ceux qui l'ont incité à investir ou de tiers". J'accepte d'emblée les raffinements de cette notion.
La définition de "contrat d'investissement" retenue par le législateur québécois à l'article 1 de la Loi n'est pas en tous points semblable à celle élaborée par la Cour suprême dans Pacific Coast. Cependant, les principes posés par le plus haut tribunal du pays permettent de mieux saisir certaines de ses composantes essentielles.
Les appelants élaborent longuement sur la définition de contrat d'investissement (m.a. 9 et s.). Examinant point par point chaque composante de celle-ci, ils prétendent que les soumissions offertes par Tyra ne rencontrent pas, sous plusieurs aspects, les caractéristiques du contrat d'investissement.
Cette façon d'examiner la définition du contrat d'investissement comporte le danger imminent d'isoler les coordonnées de l'ensemble, sans effectuer les liens essentiels entre les divers éléments de la définition.
En passant, s'il fallait nécessairement analyser la définition de contrat d'investissement en la décomposant en plusieurs éléments, il y aurait avantage à retenir l'analyse faite par les membres de la Commission, Côté, Cusson et Dussault, dans Corporation Première Équité A.C.P. Inc. et autres, C.V.M.Q. 8307, 29 mai 1987, aux pages 12 à 13:
10 "Le contrat d'investissement est un contrat par lequel un investisseur s'engage":
Le client s'engage ici à souscrire dans le plan d'investissement qu'on lui propose. Même s'il ne signait aucun document, il s'engage, tout en conservant la faculté de se désister. Le mandat (pièce P-6) ne fait qu'établir les termes généraux du type de projet convenu. Le contrat notarié conclut l'opération financière et le transfert de la propriété sous-jacente.
20 "Dans l'espérance du bénéfice qu'on lui a fait entrevoir":
Il s'agit du revenu net de location, de l'économie d'impôts et d'un gain possible en capital.
30 "A participer aux risques d'une affaire par la voie d'un apport ou d'un prêt quelconque":
L'investissement, dans une part de ce genre de projet immobilier, comporte plusieurs risques non seulement quant à la rentabilité et à la plus-value de l'actif sous-jacent, mais aussi par l'effet de levier dû à l'emprunt personnel, à l'emprunt hypothécaire et à la responsabilité conjointe, dans une entreprise commune.
40 "Sans posséder les connaissances requises pour la marche de l'affaire":
Tous les témoins entendus, à l'exception de M. Carignan qui est dans une situation particulière, ont déclaré ne posséder que peu de connaissances de l'immobilier et, en particulier, se fier totalement aux connaissances et à l'expertise de la société et de ses dirigeants qui peuvent réaliser toutes les étapes nécessaires pour organiser un programme complet (en ayant aussi recours à des spécialistes) qui soit rentable et accessible pour eux. La marche de l'affaire s'entend de l'ensemble du projet, à partir du choix de l'immeuble, en passant par l'évaluation, les améliorations, la conception et l'organisation juridique et financière, le groupement de co-investisseurs et l'organisation du contrôle subséquent, et non seulement de l'administration courante de l'immeuble. Très peu d'épargnants, sauf des spécialistes, possèdent les connaissances nécessaires. Or, c'est le public en général qui est sollicité et à qui une part dans une telle affaire est proposée.
50 "Ou sans obtenir le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de l'affaire":
Le disjonctif "ou" est important: il suffit que cette condition ou la précédente s'applique pour rendre la définition opérante.
La réalité économique, c'est qu'on offre une part dans un projet d'investissement, déterminé ou à l'être; le seul choix du client est d'accepter ou de refuser. Le mandat établit qui prend toutes les décisions déterminantes. Toutes les décisions importantes pour la marche et le succès de l'affaire sont prises par le promoteur.
La décision d'assumer eux-mêmes l'administration immobilière et financière ou de la confier à des spécialistes n'est qu'accessoire et la possibilité de révoquer ces gérants a une portée marginale. Il est à noter en l'espèce que la société n'a pas laissé les conseillers, dans trois projets, jouer leur rôle.
Dans Commission des valeurs mobilières du Québec c. Geyser Informatics Inc., [1990] R.J.Q. 190 (C.S.), désistement d'appel 500-09-001627-892, 1990-04-11, la juge Ginette Piché était saisie d'une requête pour outrage au tribunal présentée par la Commission. Les intimés étaient accusés d'avoir contrevenu à une injonction leur enjoignant "[...] de cesser toute activité en vue de se procurer, directement ou indirectement, le placement d'une valeur au sens de la Loi sur les valeurs mobilières,(chapitre V-1.1), émise par eux-mêmes ou par d'autres personnes, compagnies, sociétés en commandite ou autres sociétés pour le compte des défendeurs, à moins que le tout ne soit fait en conformité stricte de la Loi sur les valeurs mobilières".
L'injonction interdisait toute autre forme d'investissement régie par la Commission.
Le projet proposé par Geyser Informatics Inc. ressemblait en tous points à celui offert par Tyra. Des représentants rencontraient d'éventuels investisseurs pour les inciter à investir dans un projet de recherche comportant pour eux des avantages fiscaux importants. Ces investisseurs signaient par la suite un contrat séparé par lequel ils adhéraient à S.R.E.T., une société en nom collectif. Lors de la signature du mandat de recherche, ils consentaient, en outre, à l'avance à vendre toutes leurs parts dans S.R.E.T. à Tecktel, moyennant un montant équivalent à la valeur commerciale anticipée du mandat, soit 50% de la mise de fonds.
La juge Piché fut d'avis qu'il y avait bel et bien, selon la preuve, un contrat d'investissement (p. 197):
La preuve, en fait, a montré clairement que ce n'était pas le "mandat de recherche", mais la déduction d'impôt qui intéressait les gens. Mais le "mandat de recherche" est-il un "contrat d'investissement" tel que défini dans la Loi sur les valeurs mobilières? Le Tribunal estime qu'on y retrouve essentiellement les éléments décrits à l'article 1 de la loi.
Après avoir souligné le principe d'interprétation large préconisé par la Cour suprême dans Pacific Coast sur ce type de législation, elle poursuit (à la même page):
L'injonction émise par M. le juge Mayrand interdisait "toute autre forme d'investissement" régie par la Commission. S'il ne s'agit pas ici d'un "investissement" dans Geyser, de quoi s'agit-il? Le Tribunal estime que la preuve démontre clairement que c'est un investissement par lequel le "client" s'engage à participer à une affaire - ici, un "mandat de recherche" - en investissant une somme d'argent pour obtenir un bénéfice fiscal et sans posséder les connaissances requises en télématique. Le but clair de l'investissement est d'obtenir une déduction fiscale. Tout le succès du mandat dépend de Geyser et non de l'investisseur. Le produit présenté est un abri fiscal sous la forme d'un mandat de recherche.
On conteste le fait qu'il n'y ait pas, dans le présent cas, "d'apport" véritable. Un "apport" n'est pas un mandat, soumet-on. Ici, l'investisseur participe aux risques par la voie d'un mandat et non d'un "apport". Le Tribunal estime qu'on joue avec les mots. Le mandat n'existe en effet que par l'apport. Sans "apport" monétaire, il n'y a pas de mandat. L'interprétation à donner à la Loi sur les valeurs mobilières doit être large, nous dit l'arrêt Pacific Coast:
[La législation][...] contient un principe souple plutôt que statique, capable de s'adapter aux innombrables plans employés par ceux qui cherchent à utiliser l'argent des autres en leur promettant des profits.
Le législateur a voulu que les contrats d'investissement permettent à ceux qui décident d'y adhérer de véritablement savoir ce dans quoi ils s'embarquent. C'est le but de la législation d'ailleurs, "protéger le monde ordinaire". Et c'est la raison d'être de l'article 11 de la loi...
Il ressort clairement de ce jugement que la juge Piché n'a pas isolé chacun des éléments de la définition du contrat d'investissement, mais les a considérés dans leur ensemble, sous l'éclairage du but poursuivi par la Loi.
Dans le présent cas, pour connaître la nature exacte du projet de recherche offert par Tyra pour le stockage de données sur disque laser, le juge Dionne a d'abord précisé le rôle joué par cette société (m.a. 120-121):
- concevoir un plan de financement;
- faire une demande pour un produit ou service;
- rechercher les personnes pouvant investir;
- évaluer leur capacité de financement;
- évaluer les économies fiscales pouvant en résulter;
- prévoir les formules de soumission, d'adhésion et de cession;
- gérer le placement d'argent et les sommes affectées à la recherche;
- gérer le projet de recherche lui-même fait par la S.R.E.T.;
- donner les documents nécessaires pour que chaque investisseur puisse recevoir les remboursements d'impôt auprès du gouvernement.
Le juge souligne ensuite la grande similitude de la structure financière du produit offert par Tyra et l'apport en capital qu'il nécessite avec la situation qui existait dans Les Rentes immobilières Michel Maheux Inc. c. Commission des valeurs immobilières de Québec, J.E. 86-969 (C.A.). Le juge conclut:
Même si dans l'ancienne loi des valeurs mobilières, le contrat d'investissement n'était pas défini comme celui que l'on retrouve maintenant à la loi de 1983, la Cour est d'avis que la personne s'engage à participer au risque d'une affaire par la voie d'un apport.
Le juge Dionne rejette la prétention de la défense qui voulait limiter l'espérance de profits à ceux découlant seulement des activités de Tyra. Il écrit:
La preuve de même qu'une connaissance même sommaire du monde des affaires nous indiquent indubitablement que les investisseurs ont signé cet engagement en raison du bénéfice escompté. La Loi ne précise pas certains moyens particuliers pour l'obtenir. On n'a jamais indiqué dans cette définition que le bénéfice escompté devait être nécessairement lié au profit de la compagnie Infotique Tyra Inc. Le bénéfice peut s'entendre aussi bien d'un manque à gagner ou, comme dans le cas qui nous occupe, d'un abaissement substantiel de l'impôt à payer.
Tyra proposait selon lui une forme d'investissement qui comportait des risques. Le juge Dionne mentionne, comme risques potentiels, l'adhésion à une société en nom collectif impliquant une responsabilité solidaire pour les associés, le refus du ministère du Revenu d'effectuer les déductions fiscales, le non-remboursement à 50% de la valeur initiale lors de la cession à Infotic Ytar Inc. et les risques encourus par les personnes qui ont dû emprunter pour pouvoir verser les sommes investies.
Il rejette aussi l'argument des défendeurs qu'il n'y avait pas eu d'apport au sens de la Loi:
La définition du contrat d'investissement stipule que pour qu'il y ait contrat d'investissement, il doit nécessairement avoir un apport ou un prêt quelconque. Parce que le mot apport n'est pas défini dans la loi et que les sociétaires font partie d'une entreprise commune, on nous invite à considérer qu'il ne s'agit pas d'un apport au sens de la loi. Nous ne pouvons souscrire à cette argumentation. Il faut donner aux mots leur sens ordinaire. L'absence d'une définition n'emporte pas de soi une déficience à moins que le vocable soit utilisé dans la Loi pour désigner deux (2) réalités distinctes. Cette déficience de légistique (sic) bénéficierait alors à l'accusé, mais ce n'est pas le cas ici.
L'investissement en argent par les personnes intéressées entre, selon nous, dans la définition "d'apport prévu par la loi". Il n'y aurait jamais eu "soumission" acceptée s'il n'y avait pas eu "apport monétaire". La soumission n'existe en effet que par l'apport monétaire".
Le juge conclut finalement que le mandat de recherche proposé par Tyra était un contrat d'investissement au sens de l'article 1 de la Loi.
Le juge Dionne a correctement interprété la définition de contrat d'investissement et aucun des reproches formulés par les appelants à l'encontre de cette interprétation ne doit être retenu. Le juge a analysé dans leur ensemble les éléments de la définition de contrat d'investissement. C'était la bonne approche. Il fallait éviter d'encapsuler chacune des composantes de cette définition.
B - L'existence d'un prospectus
Suivant l'article 11 de la Loi:
Toute personne qui entend procéder au placement d'une valeur est tenue d'établir un prospectus soumis au visa de la Commission. La demande de visa est accompagnée des documents prévus par règlement.
Les appelants soumettent qu'une des conditions essentielles à l'application de cette disposition fait ici défaut: il n'y aurait pas eu de "placement" au sens de la définition de ce terme contenue à l'article 5 de la Loi:
"placement":
1) le fait, par un émetteur, de rechercher ou de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de ses titres;
2) le fait, par le preneur ferme, de rechercher ou de trouver des acquéreurs de titres qui ont fait l'objet de la prise ferme;
3) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui a acquis ses titres sous le régime d'une dispense prévue aux articles 43 à 56, de rechercher ou de trouver des acquéreurs sans bénéficier d'une dispense définitive de prospectus;
4) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui a acquis des titres sans que fût établi le prospectus exigé par la loi et sans que l'opération fît l'objet d'une dispense, de rechercher ou de trouver des acquéreurs;
5) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui a acquis ses titres à l'extérieur du Québec, de rechercher ou de trouver des acquéreurs au Québec, sauf sur une bourse ou sur le marché hors cote;
6) le fait de rechercher ou de trouver des acquéreurs pour des titres d'une société antérieurement fermée qui n'ont pas encore fait l'objet d'un prospectus;
7) le fait, par un intermédiaire, de rechercher ou de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de titres faisant l'objet d'un placement en vertu des paragraphes 1 à 6;
8) le fait, par un émetteur, de donner en garantie des titres émis par lui à cette fin;
Reprenant tous les paragraphes de la définition, les appelants soulignent qu'il doit y avoir émission ou souscription de titres pour qu'il y ait placement en vertu de l'article 11 de la Loi. Or ici, les documents signés ne constitueraient pas, selon eux, un titre, i.e. un certificat représentatif d'une valeur mobilière.
L'article 11 de la Loi constitue l'une de ses dispositions les plus importantes. Cet article veut assurer la protection des investisseurs en rendant obligatoire la divulgation complète de tous les faits relatifs à l'émission d'une valeur.
Le cadre d'application de la Loi est d'abord et avant tout délimité par ses articles 1 et 2:
Art. 1. Application. - La présente loi s'applique aux formes d'investissement suivantes:
1) une valeur immobilière reconnue comme telle dans le commerce, notamment les actions, les obligations, les parts sociales des entités constituées en corporation ainsi que les droits et les bons de souscription;
2) un titre, autre qu'une obligation, constatant un emprunt d'argent;
3) un dépôt d'argent constaté ou non par un certificat à l'exception de ceux reçus par les gouvernements du Québec et du Canada, leurs ministères et les organismes qui en sont mandataires;
4) une option et un contrat à terme négociable sur valeurs mobilières, de même qu'un contrat à terme de bons du Trésor;
5) une option sur un contrat à terme de marchandises ou de titres financiers;
6) une part d'un club d'investissement;
7) un contrat d'investissement;
8) une option quelconque négociable sur un marché organisé;
9) toute autre forme d'investissement déterminée par règlement.
Contrat d'investissement. - Le contrat d'investissement est un contrat par lequel une personne s'engage, dans l'espérance du bénéfice qu'on lui a fait entrevoir, à participer aux risques d'une affaire par la voie d'un apport ou d'un prêt quelconque, sans posséder les connaissances requises pour la marche de l'affaire ou sans obtenir le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de l'affaire.
Art. 2. Application du régime. - Le régime établi par la présente loi et les règlements pour les valeurs mobilières s'applique aux autres formes d'investissement énumérées à l'article 1, sous réserve des dérogations expresses et compte tenu des adaptations nécessaires.
Dans la mesure où une forme d'investissement tombe sous l'application de l'article 1 de la Loi, elle est alors soumise aux exigences de celle-ci, à moins de se situer dans le cadre d'une exception (exemple: dispense de prospectus, art. 41 et s. de la Loi.
Le but de la Loi ne permet pas de limiter indûment son cadre d'application par une conception trop étroite des termes "placement" et "titre".
Dans Lassonde et Geyser Informatics Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec, J.E. 93-645 (C.S.), en appel C.A.Q. 200-10-000025-937, 200-10-000028-931, le juge Trotier de la Cour supérieure a eu l'occasion de se prononcer sur la justesse d'un argument un peu semblable à celui avancé par les appelants (aux pages 15 et 16):
En fait, les appelants plaident que le mandat de recherche aurait dû faire l'objet d'une disposition spécifique et ce, afin de bien respecter le principe du droit au doute raisonnable enchassé dans les Chartes. Ils soutiennent que l'emploi des mots "titres, valeurs et contrat d'investissement" entraînent inévitablement un doute raisonnable."
Cette prétention ne résiste pas à l'analyse. L'article 1 énumère un ensemble de produits auxquels la loi s'applique suivant l'article 2, dont le contrat d'investissement:
"Le régime établi par la présente loi et les règlements pour les valeurs mobilières s'applique aux autres formes d'investissement énumérées à l'article 1, sous réserve des dérogations expresses et compte tenu des adaptations nécessaires."
Or, le régime dont parle ce dernier article vise
clairement à renseigner les investisseurs sur les produits offerts, quelque
soit le vocable utilisé. Comme l'écrit le juge Beetz dans l'arrêt Morgentaler
[1988] 1 R.C.S. 30, à la page 107: "Souplesse n'est pas synonyme
d'imprécision."
Ce régime entraîne par voie de conséquence l'application de l'article 11 de la loi: le placement d'une valeur doit être précédé d'un prospectus visé par la Commission.
Sur le tout, nous sommes d'avis que la Loi n'offre pas d'ambiguité quant à l'intention du Législateur. Les problèmes d'interprétation qui se soulèvent en cette affaire relèvent plutôt de la relative complexité du plan développé par le promoteur.
J'ai conclu plus haut dans cette opinion que, compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur en adoptant la Loi et de l'interprétation libérale qu'elle doit recevoir, le produit offert par Tyra constituait un contrat d'investissement, au sens de l'article 1 de la Loi.
L'ingéniosité du plan proposé par les appelants ne peut avoir pour conséquence de limiter la conception des termes "placement" et "titre" et de leur faire bénéficier des ambiguïtés qu'ils pensent avoir dénoter dans l'interprétation des termes de la Loi.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, interpréter libéralement une loi[2] de façon à atteindre le but qu'elle poursuit ne va pas forcément à l'encontre du principe de l'interprétation restrictive visant à faire bénéficier une personne accusée des doutes soulevés lors de l'interprétation d'une disposition législative.
Le juge Cory, dans R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398, a eu l'occasion de concilier ces deux principes en apparence contradictoires:
La règle de l'interprétation restrictive des lois pénales semble entrer en conflit avec l'art. 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui prévoit:
Tout texte est sensé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.
C'est en accordant un rôle subsidaire à la règle de l'interprétation restrictive des lois pénales qu'on a réglé le conflit apparent qui existait entre l'interprétation restrictive d'une loi pénale et l'interprétation fondée sur l'apport d'une solution de droit qu'exige l'art. 12 de la Loi d'interprétation.
Le juge Cory fait ensuite référence aux affaires R. c. Bélanger, [1970] R.C.S. 567 et R. c. Goulis (1981), 125 D.L.R. (3d) 137 (Ont. C.A.), pour ajouter[3] (p. 413):
La règle de l'interprétation restrictive devient donc applicable seulement lorsque les tentatives d'interprétation neutre proposées à l'art. 12 de la Loi d'interprétation laissent subsister un doute raisonnable quant au sens ou à la portée du texte de la loi. Comme l'a signalé le professeur Côté, cela signifie que, même dans le cas des lois pénales, il faut rechercher la véritable intention du législateur et appliquer le sens qui correspond à ses objets...
La complexité de la forme d'investissement présentée par Tyra a rendu sa qualification en regard de la Loi plus difficile. Cette difficulté n'a cependant pas créé de réelle ambiguïté puisque le cadre d'application de la loi et le but qu'elle poursuit demeuraient bien délimités. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'appliquer la règle de l'interprétation restrictive.
II - LA CULPABILITÉ DE MAURICE RACINE
_____________________________________
Je rappelle que Maurice Racine était accusé, sous cinq chefs (1 à 5), d'avoir exercé l'activité de courtier en valeurs au sens de l'article 5 de la Loi, sans être inscrit à ce titre auprès de la Commission, en effectuant le placement de contrats d'investissement soumis à l'application de la Loi, contrevenant ainsi à son article 148 et commettant l'infraction prévue à son article 202, et, sous cinq autres chefs (6 à 10), d'avoir aidé Tyra, par acte ou omission, à procéder au placement de contrats d'investissements selon le sens donné à cette expression à l'article 1 de la Loi, sans avoir établi de prospectus soumis au visa de la Commission, le tout contrairement à l'article 11 de la Loi, commettant ainsi l'infraction créée à son article 202 (avec référence à l'article 208).
Dans un premier temps, cet appelant plaide que la preuve ne permet pas d'établir sa culpabilité sous les cinq chefs d'accusation d'avoir exercé l'activité de courtier en valeurs sans être dûment inscrit auprès de la Commission.
La définition de "courtier en valeurs" se retrouve à l'article 5 de la Loi:
"courtier en valeurs": toute personne:
10 qui exerce l'activité d'intermédiaire dans les opérations sur valeurs;
20 qui fait des opérations de contrepartie sur valeurs, à titre accessoire ou principal;
30 qui effectue le placement d'une valeur, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui;
40 qui fait du démarchage relié à une activité visée aux paragraphes 10 à 30;
"démarchage": l'activité de la personne qui se rend habituellement à la résidence de personnes, sur leurs lieux de travail ou dans les lieux publics, ou qui utilise de façon habituelle les communications téléphoniques, des lettres ou des circulaires, soit pour proposer l'acquisition ou l'aliénation de valeurs, ou une participation à des opérations sur valeurs, soit pour offrir des services ou donner des conseils en vue des mêmes fins.
L'article 148 de la Loi oblige, pour sa part, tout courtier ou conseiller en valeurs à s'inscrire à ce titre auprès de la Commission pour exercer son activité.
Selon le juge Dionne, l'ensemble de la preuve sur les activités exercées par Maurice Racine répondait aux critères de la définition de courtier en valeurs.
Il s'agit là d'une appréciation de faits. En conséquence, l'appel logé par Maurice Racine à l'encontre des chefs 1 à 5 doit être rejeté puisqu'il ne soulève pas exclusivement une question de droit.
Maurice Racine plaide, en second lieu, qu'il devrait être déclaré non coupable des chefs d'accusation 2 et 7 portés contre lui, parce qu'il n'a pas fait affaires avec la personne y mentionnée. Ces chefs se lisent respectivement comme suit:
20Le ou vers le 15 décembre 1989, a exercé l'activité de courtier en valeurs au sens de l'article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., chap. V-1.1), sans être inscrit à ce titre auprès de la Commission des valeurs mobilières du Québec, en effectuant le placement d'un contrat d'investissement, suivant la définition de l'article 1 de cette Loi, émis par Infotique Tyra Inc. auprès de Paul H. Desrochers, à savoir une soumission pour un montant de vingt mille dollars (20,000 $), le tout en contravention de l'article 148 de ladite Loi, commettant ainsi une infraction prévue à l'article 202 de la Loi sur les valeurs mobilières.
70 Le ou vers le 15 décembre 1989, aidé Infotique Tyra Inc., par acte ou omission, à procéder au placement d'un contrat d'investissement, suivant la définition de l'article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., chap. V-1.1), sans avoir eu un prospectus visé par la Commission des valeurs mobilières, auprès de Paul H. Desrochers, soit une soumission pour une considération totale de vingt mille dollars (20,000 $), le tout en contravention de l'article 11 de la Loi et commettant ainsi une infraction à l'article 202 de ladite Loi, avec référence à l'article 208 de celle-ci.
Je mets de côté, pour le moment, ce dernier chef d'accusation. J'en disposerai lorsque je traiterai globalement des chefs d'accusation 6 à 10.
Pour ce qui est de la déclaration de culpabilité de Maurice Racine sous le chef d'accusation 20, elle ne peut faire l'objet d'un appel puisqu'elle ne soulève pas uniquement une question de droit. Il s'agit, ici aussi, d'une question d'appréciation de faits.
Relativement aux chefs d'accusation 6 à 10 portés contre Maurice Racine, son avocat soulève l'absence de déclaration formelle de culpabilité dans le dispositif du jugement du juge Dionne. Les cinq chefs en question reprochent à Maurice Racine d'avoir aidé Tyra, par acte ou omission, à procéder au placement de contrats d'investissement sans qu'il y ait eu de prospectus visé par la Commission, contrevenant ainsi à l'article 11 de la Loi et commettant l'infraction prévue à son article 202 (avec référence à l'article 208).
Au tout début de son jugement (un seul jugement a été rendu, portant les numéros de chacun des trois dossiers, avec un dispositif propre à chaque cas), le juge Dionne a annoncé la méthodologie qu'il entendait suivre:
Pour rendre ces décisions, la Cour a l'intention de procéder de la façon suivante. La Cour rendra d'abord jugement dans l'affaire impliquant la société Infotique Tyra Inc. sous les sept (7) chefs d'accusation qui lui sont reprochés. Cette analyse couvrira à la fois la preuve de la poursuite et la défense.
Par la suite, la Cour entend rendre jugement dans le dossier 200-27-013941-90 sous les chefs 1 à 5, chefs impliquant monsieur Maurice Racine. L'analyse sur ces cinq (5) chefs tiendra compte à la fois de la preuve de la Couronne et de la défense.
Les décisions sur les chefs 6 à 10 dans le dossier de monsieur Maurice Racine et sur les sept (7) premiers chefs du dossier de monsieur Réal Turgeon dépendront de la décision liminaire concernant la compagnie Infotique Tyra Inc.
En somme, dans l'hypothèse où aucune responsabilité pénale ne serait retenue contre la compagnie Infotique Tyra Inc., cela rendrait caduque l'analyse des chefs d'accusation portés par le billet (sic) de l'article 205 de la Loi sur les valeurs mobilières où monsieur Réal Turgeon est accusé à titre de dirigeant de ladite compagnie.
Ce même raisonnement vaut pour les chefs d'accusation où monsieur Racine est accusé à titre de partie à l'infraction en vertu de l'article 208 de la Loi sur les valeurs mobilières.
Malgré cet énoncé et bien qu'il ait, dans un premier temps, conclu que le produit offert par Tyra était bel et bien un contrat d'investissement, le juge Dionne n'a jamais, dans le dispositif de son jugement, déclaré Maurice Racine coupable sous les chefs 6 à 10 portés contre lui.
L'intimée plaide que la culpabilité de Maurice Racine sous les chefs 6 à 10 ne faisant aucun doute "l'absence d'une déclaration expresse de culpabilité ne devrait pas mener automatiquement à un acquittement". Elle invite au surplus la Cour à s'autoriser des articles 312 et 243 du Code de procédure pénale pour remédier à cette erreur.
Ces articles se lisent respectivement comme suit:
312.[Pouvoirs du juge] La cour qui entend l'appel peut exercer tous les pouvoirs conférés par le présent code au juge dont le jugement est porté en appel.
[Preuve nouvelle] La cour peut notamment recevoir une preuve nouvelle, ordonner la production de toute chose relative à la poursuite, ordonner l'assignation d'un témoin contraignable qui peut alors être interrogé ou contre-interrogé, selon le cas, par les parties et rendre toute ordonnance que la justice exige.
243 [Cas de rectification] La rectification de toute décision ou jugement rendu en vertu du présent code peut être effectuée:
10 pour corriger une erreur d'écriture, de calcul ou de toute autre erreur matérielle;
20 pour rendre conforme à la loi la peine imposée ou le teneur d'une ordonnance;
30 pour prévoir une mesure que le juge avait le devoir de prendre, mais que par inadvertance il a omis de prendre.
Cette dernière disposition n'a pas, ici, d'application. Il ressort de l'article 244 C.P.P. que la rectification est possible, soit d'office par le juge qui a rendu jugement ou à la demande d'une partie, tant qu'il n'y a pas eu appel.
Quant à l'article 312 C.P.P. (l'équivalent de l'article 285 C.P.C. pour l'appel au niveau de la Cour supérieure), il ne peut suppléer au défaut d'un avis d'appel incident ou de toute autre procédure pertinente.
Par conséquent, comme il n'y a eu, dans le présent cas, ni demande de correction de l'inadvertance du juge Dionne, ni appel incident, sur ce point, au niveau de la Cour supérieure, je ne puis que constater le défaut de la déclaration de culpabilité de Maurice Racine sous les chefs d'accusation 6 à 10.
Étant donné cette conclusion, je n'ai pas à traiter du principe de la res judicata soulevé par cet appelant.
III - LA CULPABILITÉ DE RÉAL TURGEON
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Vu la culpabilité de Maurice Racine relativement aux chefs d'accusation lui reprochant d'avoir procédé au placement de valeurs sans être inscrit auprès de la Commission à titre de courtier, je rejette l'argument de Réal Turgeon voulant que l'innocence de Maurice Racine sous ces chefs entraîne son acquittement sous les chefs 8 à 12 (avoir aidé Maurice Racine à exercer l'activité de courtier sans être dûment inscrit).
Au surplus, la déclaration de culpabilité de Réal Turgeon sous ces chefs d'accusation ne comporte qu'une question d'analyse de faits. L'appel ne soulève pas une question de droit.
Je suis également d'opinion que le juge a correctement évalué la preuve relative aux chefs d'accusation 1 à 7, reprochant à Réal Turgeon l'infraction prévue par l'article 205 de la Loi:
- Le dirigeant ou le salarié de l'auteur principal d'une infraction, y compris celui qui est rémunéré à commission, s'il autorise ou permet une infraction prévue par la présente loi, est passible des mêmes peines que l'auteur principal.
Réal Turgeon est le président et le seul actionnaire de Tyra.
Voici, entre autres, comment s'est exprimé le juge Dionne sur ces infractions de "complicité":
La preuve circonstancielle nous amène à croire que son président savait très bien que le système proposé avait toutes les mêmes caractéristiques que celui proposé par Geyser Informatics. Ce système avait été interdit, soit par la Commission, soit par le Tribunal, notamment celui rendu par l'Honorable juge Ginette Piché au mois de novembre.
Il est curieux de constater que Réal Turgeon, président de la société Infotique Tyra Inc., avait eu des contacts réguliers et suivis depuis 1982 avec monsieur Normand Lassonde et Geyser Informatics. En novembre 1989, il y avait eu transfert de la Société de recherches expérimentales en télématique (S.R.E.T.) de Normand Lassonde au président Réal Turgeon. En 1989, il a travaillé dans cette société et a même été co-directeur de recherche. Même s'il donne des explications sur ce sujet, la Cour croit que cet individu a effectivement fait de la recherche pour Geyser Informatics, qu'il a conduit des projets de recherche. Même s'il se défend d'être co-directeur de la recherche, il admet avoir en mai et juin 1989 fait des contrats particuliers de recherche par cette compagnie. D'ailleurs, il apparaît à la page 3 de la pièce P-7 comme l'un des artisans du projet de recherche en plus d'être co-directeur de la recherche.
De même, Réal Turgeon, président de la société Infotique Tyra Inc. s'est servi pour constater l'engagement de monsieur Maurice Racine du même télécopieur de Geyser Informatics et se retrouvait dans ses bureaux.
Le président de la société Infotique Tyra Inc. a pris conseil auprès des officiers de Geyser Informatics, probablement monsieur Normand Lassonde, pour l'engagement de monsieur Maurice Racine. Cet engagement survient tout de suit après le jugement de l'Honorable Ginette Piché qui condamnait monsieur Normand Lassonde et Geyser à éviter de faire des placements de valeurs mobilières et à la dissolution de la S.R.E.T.
Toutes ces activités nous apparaissent avoir la même finalité: une entrée d'argent. La société Infotique Tyra Inc. a profité des interdictions d'opérer de Geyser Informatics pour bénéficier à son tour de la S.R.E.T. Les explications par trop nébuleuses et les distinctions byzantines qu'a voulues nous faire croire monsieur Réal Turgeon ne peuvent résister à l'analyse ni à la preuve tant testimoniale que documentaire.
Je souscris à ces motifs et conclus au rejet de l'appel logé par Réal Turgeon.
IV - L'ARTICLE 206 DE LA LOI SUR LES VALEURS MOBILIÈRES
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Les appelants tentent également de présenter à l'encontre des verdicts de culpabilité prononcés contre eux les moyens de défense prévus à l'article 206 de la Loi:
206. Sous réserve de l'article 198, la personne accusée d'une infraction prévue par la présente loi est acquittée si elle prouve qu'elle a agi avec prudence et diligence ou sur le fondement d'une erreur raisonnable.
Cet argument doit être rejeté puisque les appelants n'ont jamais présenté aucune preuve de prudence, de diligence ou d'erreur raisonnable.
V - LA NÉCESSITÉ D'UN "AVERTISSEMENT RAISONNABLE"
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Les appelants, se basant sur le jugement rendu par le juge André Forget dans Association québécoise des pharmaciens propriétaires c. Procureur général du Canada, [1991] R.J.Q. 205 (C.S.), invoquent l'absence d'"avertissement raisonnable" qui aurait dû leur être donné de ce qui était prohibé par la Loi. Dans cette affaire, le tribunal était saisi d'une requête pour jugement déclaratoire sur la validité de l'article 45 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34. En arrivant à la conclusion que cette disposition nébuleuse contrevenait aux articles 7 et 11d) de la Charte, monsieur le juge Forget écrit (p. 235):
Si l'accusé doit attendre au procès pour connaître "le degré que le Tribunal des faits trouvera indû", où retrouve-t-on le critère de l'avertissement raisonnable?
Le citoyen doit être "averti" à la lecture de la législation et de la jurisprudence, et non par le jugement qui l'acquitte ou le condamne.
Or ce jugement a été infirmé par notre Cour[4], après que la Cour suprême eut reconnu la validité de l'article 45(1) c) de la Loi sur la concurrence dans un arrêt rendu peu de temps après la décision de la Cour supérieure[5]. Le juge Gonthier écrit, en précisant le contenu de la "théorie de l'imprécision" (p. 636):
Une loi ne doit pas être dénuée de précision au point d'entraîner automatiquement la déclaration de culpabilité dès lors que la décision de poursuivre a été prise. Voilà l'élément essentiel du souci de limiter le pouvoir discrétionnaire en matière d'application de la loi. Quand le pouvoir de décider si une inculpation donnera lieu à une déclaration de culpabilité ou à un acquittement -apanage ordinaire du pouvoir judiciaire - se confond avec le pouvoir d'engager des poursuites, à cause du libellé de la loi, alors la loi est d'une imprécision inconstitutionnelle.
Sous l'éclairage de cet arrêt, je n'ai aucune hésitation à rejeter l'argument des appelants sur l'absence d'avertissement raisonnable.
VI - LA MÉPRISE QUANT À L'IDENTITÉ DE L'ÉMETTEUR DES VALEURS
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Finalement, comme argument ultime, l'avocat des appelants a insisté, lors de sa plaidoirie, sur la méprise - pour lui évidente - quant à l'identité de l'émetteur des valeurs mobilières. Aux termes des contrats de soumission, d'adhésion et de cession, le véritable émetteur des valeurs ne serait pas Tyra, mais plutôt S.R.E.T., émettrice des parts de qualification acquises par les investisseurs.
Je ne peux souscrire à un tel raisonnement.
Une analyse attentive de la preuve a permis de révéler le rôle joué par Tyra. Suivant la procédure en trois parties qu'elle avait mise sur pied, elle offrait à des investisseurs potentiels de procéder au placement, dans des mandats de recherche, de sommes d'argent investies par eux. Les étapes ultérieures d'adhésion à S.R.E.T. et de cession des droits et intérêts dans le projet à la société Infotic Ytar Inc. visaient surtout à rendre le projet profitable sur le plan fiscal. À l'origine, il existait toutefois une forme de placement offerte par Tyra et soumise aux exigences de la Loi.
Je rappelle que les soumissions offertes par Tyra étaient régies par l'application de la Loi puisqu'elles étaient des "contrats d'investissement" au sens de son article 1.
La Loi est très large quant aux formes d'investissement qu'elle vise. L'énumération contenue à son article 1 est impressionnante et rédigée dans des termes généraux:
1) le fait, par un émetteur, de rechercher ou de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de ses titres;
2) le fait, par le preneur ferme, de rechercher ou de trouver des acquéreurs de titres qui ont fait l'objet de la prise ferme;
3) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui a acquis ses titres sous le régime d'une dispense prévue aux articles 43 à 56, de rechercher ou de trouver des acquéreurs sans bénéficier d'une dispense définitive de prospectus;
4) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui a acquis des titres sans que fût établi le prospectus exigé par la loi et sans que l'opération fît l'objet d'une dispense, de rechercher ou de trouver des acquéreurs;
5) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui a acquis ses titres à l'extérieur du Québec, de rechercher ou de trouver des acquéreurs au Québec, sauf sur une bourse ou sur le marché hors cote;
6) le fait de rechercher ou de trouver des acquéreurs pour des titres d'une société antérieurement fermée qui n'ont pas encore fait l'objet d'un prospectus;
7) le fait, par un intermédiaire, de rechercher ou de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de titres faisant l'objet d'un placement en vertu des paragraphes 1 à 6;
8) le fait, par un émetteur, de donner en garantie des titres émis par lui à cette fin;
Cette énumération englobe plus qu'une simple émission d'actions ou de parts sociales.
Dans le présent cas, c'était bel et bien Tyra qui offrait le contrat d'investissement.
CONCLUSION
Dans le
dossier 200-10-000153-929, où l'appelante est Infotique Tyra Inc., l'appel doit
être rejeté, avec frais fixés par règlement.
Dans le dossier 200-10-000154-927, où l'appelant est Maurice Racine, l'appel doit également être rejeté, avec frais fixés par règlement.
Dans le dossier 200-10-000155-924, où l'appelant est Réal Turgeon, l'appel doit être rejeté, avec frais fixés par règlement.
JACQUES DELISLE, J.C.A.
[1].Sur les rôles de la Commission, voir:
- R. Crête, "L'appréciation de l'intérêt public dans le marché des valeurs mobilières" dans Développements récents en droit commercial, Cowansville, Édition Yvon Blais Inc., 1992, p. 21 à 41.
[2].Article 41 de la Loi d'interprétation, L.R.Q. c. I-16:
Toute disposition d'une loi, qu'elle soit impérative, prohibitive ou pénale, est réputée avoir pour objet de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.
Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
[3].Voir aussi: P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1990, à la page 450.
[4].C.A.M. 500-09-000013-912, 22 février 1993, les
juges Brossard, Proulx et Delisle.
[5].R. c. Nova Scotia Pharmaceutical
Society, [1992] 2 R.C.S. 606.
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