COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200‑10‑000128‑947
(655‑01‑001304‑939)
Le 20 novembre 1996
CORAM: LES HONORABLES PROULX
CHAMBERLAND, JJ.C.A.
PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
SA MAJESTÉ LA REINE,
APPELANTE - Poursuivante
c.
DANIEL DESBIENS,
INTIMÉ - Accusé
LA COUR, statuant séance tenante sur le pourvoi de l'appelante contre une décision de monsieur le juge Sarto Cloutier, Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, prononcée le 2 août 1994, à Baie-Comeau, qui, après avoir accueilli une requête en exclusion de preuve fondée sur les articles 8, 9 et 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, acquittait l'intimé de l'accusation de possession simple de stupéfiants;
APRÈS étude du dossier et audition des parties par voie de vidéo-conférence;
L'intimé est accusé de possession de stupéfiants (1,25 gramme de cocaïne) et d'entrave au travail d'un policier. Les événements sont survenus le 10 septembre 1993, à Forestville. Le juge de première instance, devant qui l'accusé a subi son procès le 21 avril 1994, résume les faits ayant mené à la découverte de cinq sachets de 0,25 gramme de cocaïne en possession de l'intimé et à son arrestation:
Le dix (10) septembre mil neuf cent quatre-vingt-treize (1993), en début de soirée, l'agent Steeve Tremblay du poste de la Sûreté de Québec à Forestville reçoit un visiteur qui, pour la troisième fois au cours des dernières semaines, lui apprend que l'accusé vend des stupéfiants au Bar Blaquière à Forestville.
L'agent Jubinville, présent au poste au même moment, a lui aussi reçu des informations semblables au cours des semaines précédentes.
L'agent Tremblay, de concert avec les agents Jubinville et Harvey, prépare un plan d'intervention et tous trois (3) se rendent au Bar Blaquière pour procéder à l'arrestation de Desbiens.
En réponse à l'invitation des agents Tremblay et Harvey de se rendre à l'extérieur, Desbiens quitte les lieux à la course, en empruntant la porte arrière.
Mal lui en prend, puisqu'il est attendu par l'agent Jubinville.
Desbiens est maîtrisé, non sans avoir donné trois (3) coups de poing à l'agent Tremblay.
Ce dernier saisit des sachets de stupéfiants dont Desbiens tente de se débarrasser. Et au poste, à la suite d'une fouille à nu, un autre sachet est saisi.
Il est admis que Desbiens était en possession de un point vingt-cinq (1.25) grammes de cocaïne.
À la suite de la preuve du ministère public et avant de déclarer sa preuve close, l'avocat de l'accusé a présenté une requête en exclusion de preuve, alléguant que ses droits garantis par les articles 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés et que l'inclusion de la preuve ainsi obtenue en violation de ses droits (les 5 sachets de cocaïne) serait de nature à déconsidérer l'administration de la justice, au sens de l'article 24(2) de la Charte.
Le jugement est rendu le 2 août 1994. Le juge de première instance pose le problème qui lui est soumis de la façon suivante:
À la suite de la preuve de la poursuite et avant de déclarer sa preuve close dans les deux (2) dossiers, maître Maltais m'a soumis une requête en exclusion de preuve, alléguant que les droits garantis à l'accusé par les articles 8 et 9 de la Charte canadienne des droits avaient été violés et que l'inclusion de la preuve obtenue à l'occasion de cette violation serait de nature à déconsidérer l'administration de la justice.
Il va de soi que dans l'éventualité où j'accueillerais la requête en acquittement devant être prononcée dans l'un et l'autre dossier -- un acquittement devrait être prononcé dans l'un et l'autre dossier.
Dans le cas contraire, un verdict de culpabilité devrait être enregistré.
Il estime que les policiers «, s'ils pouvaient entretenir des soupçons, ne possédaient pas de motifs raisonnables et probables pour procéder à l'arrestation (...) ainsi qu'à la fouille»; l'inclusion de la preuve ainsi obtenue, en violation des droits de l'accusé, serait de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Le juge de première instance acquitte l'accusé des deux accusations portées contre lui.
D'où le présent pourvoi par le ministère public demandant à cette Cour d'infirmer la décision rendue par le juge du procès quant à la requête en exclusion de preuve, d'annuler le verdict d'acquittement et d'ordonner un nouveau procès. À l'audience, le procureur de l'intimé a déclaré que, dans l'hypothèse où la Cour concluait au bien-fondé du pourvoi formé par le ministère public, il y avait lieu d'inscrire un verdict de culpabilité plutôt que d'ordonner la tenue d'un nouveau procès puisqu'il n'avait pas de défense à offrir.
Le ministère public invoque deux moyens au soutien de son pourvoi:
1-Le juge du procès a erré en statuant que les policiers ne possédaient pas de motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation et à la fouille.
2-Subsidiairement, le juge du procès a erré en décidant que l'admission de la preuve obtenue était de nature à déconsidérer l'administration de la justice.
Le premier moyen est, de l'avis de la Cour, bien fondé et suffit pour disposer, en l'accueillant, du pourvoi.
L'intimé a été arrêté sans mandat, puis fouillé, relativement à une accusation de possession de stupéfiants. La Charte protège les citoyens canadiens contre «les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives» (article 8) et contre «la détention ou l'emprisonnement arbitraires» (article 9). La justification de l'arrestation, et de la fouille, de l'intimé doit se trouver à l'article 495.1 a) du Code criminel, quant à l'arrestation, et à l'article 10 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1, quant à la fouille:
495. (1) [Arrestation sans mandat par un agent de la paix] Un agent de la paix peut arrêter sans mandat:
a) une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;
et
10. L'agent de la paix qui croit, pour des motifs raisonnables, à la présence d'un stupéfiant ayant servi ou donné lieu à la perpétration d'une infraction à la présente loi peut, à tout moment, perquisitionner sans mandat; toutefois, dans le cas d'une maison d'habitation, il lui faut un mandat de perquisition délivré à cet effet en vertu de l'article 12.
Le policier doit donc avoir des «motifs
raisonnables» pour procéder tantôt à l'arrestation sans mandat d'un individu,
tantôt à la perquisition ou à la fouille sans mandat. Cette règle a été
décrite par la Cour suprême du Canada dans les termes suivants dans R.
c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, aux pages 250 et 251 (le juge Cory):
En résumé donc, le Code criminel exige que l'agent de police qui effectue une arrestation ait subjectivement des motifs raisonnables et probables d'y procéder. Ces motifs doivent en outre être objectivement justifiables, c'est-à-dire qu'une personne raisonnable se trouvant à la place de l'agent de police doit pouvoir conclure qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation. Par ailleurs, la police n'a pas à démontrer davantage que l'existence de motifs raisonnables et probables. Plus précisément, elle n'est pas tenue, pour procéder à l'arrestation, d'établir une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité.
En l'espèce, avec égards pour l'avis du premier juge, la Cour est d'avis que les policiers avaient des motifs raisonnables et probables de croire que l'intimé avait des stupéfiants en sa possession et en conséquence, de procéder à son arrestation, puis à sa fouille (critère subjectif). La Cour est également d'avis qu'une personne raisonnable, se trouvant à la place des policiers, aurait conclu qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de croire que l'intimé avait des stupéfiants en sa possession et en conséquence, de procéder à son arrestation, puis à sa fouille (critère objectif).
Voyons la preuve.
Le 10 septembre 1993, le policier Tremblay reçoit la visite d'un informateur vers l'heure du souper. Il s'agit d'une personne qu'il connaît très bien; cette personne l'informe que l'intimé se trouve au Bar Blaquière et qu'il y vend des stupéfiants. Cette information est conforme aux informations que cette même personne avait communiquées au policier Tremblay en deux autres occasions, dans les semaines précédentes. Le policier Tremblay, en poste à Forestville depuis trois ans et demi, connaît l'intimé. Le policier Jubinville, mis au courant de la conversation entre l'informateur et son collègue Tremblay, dit avoir été informé, depuis le début de l'été 1993 par une personne de l'entourage de l'intimé que ce dernier vendait des stupéfiants au Bar Blaquière; ces personnes lui avaient même dit où il cachait les stupéfiants et de quelle façon il procédait. Le policier Jubinville a vu une corroboration, très contemporaine, entre ce qu'il avait déjà appris et ce que le policier Tremblay venait tout juste d'apprendre et ce même si l'enquête qu'il avait personnellement menée au cours de l'été n'avait pas abouti.
Les policiers connaissaient les antécédents judiciaires de l'intimé en matière de stupéfiants. Ils connaissaient également le moyen de transport qu'il utilisait (une bicyclette de montage) de même que l'endroit où il se tenait dans le bar (à une table, pas loin de la porte).
À ces faits, connus des policiers avant qu'ils ne se déplacent au Bar Blaquière, s'ajoutent les faits survenus au moment de leur intervention, avant qu'ils ne procèdent à l'arrestation, puis à la fouille, de l'intimé. Premièrement, dès que l'agent Tremblay (en uniforme) pénètre dans le bar, il voit l'intimé mettre la main dans sa poche de manteau; c'est la seule personne qu'il voit faire cette manoeuvre. Deuxièmement, quand l'agent Tremblay invite l'intimé à l'accompagner à l'extérieur, ce dernier hésite puis renverse la table et se précipite en courant vers la sortie arrière (où il sera intercepté par l'agent Jubinville). Troisièmement, quand les policiers réussissent à maîtriser l'intimé, l'agent Tremblay voit ce dernier plonger sa main gauche dans sa poche de pantalon puis la ressortir, la main fermée (la main contenait 4 sachets de 0,25 gramme de cocaïne).
L'intimé voudrait que la Cour ne puisse pas tenir compte de ces événements au motif que les policiers, au moment de quitter le poste, avaient déjà décidé de procéder à son arrestation. Il faudrait donc, selon l'intimé, examiner la nature et la valeur des renseignements que détenaient les policiers alors qu'ils sont au poste sans tenir compte des événements qui ont suivi, jusqu'à sa mise sous arrêt.
La Cour ne peut pas suivre l'intimé sur cette voie. Les policiers peuvent tenir compte des résultats de leur enquête, même sommaire, avant de procéder, ou non, à l'arrestation sans mandat et à la fouille d'un individu. En l'espèce, les informations obtenues par les policiers après leur départ du poste (présence de la bicyclette, présence de l'intimé dans l'établissement, présence de ce dernier à l'endroit décrit par l'informateur) et la réaction de l'intimé alors que le policier Tremblay pénètre dans le bar (il met la main dans la poche de son manteau) et l'invite à l'accompagner à l'extérieur (il renverse la table puis se précipite en courant vers la sortie arrière) sont pertinentes à la décision des policiers de procéder à l'arrestation de l'intimé, comme ils pensaient le faire en quittant le poste. L'inverse aurait pu se produire; les événements auraient pu amener les policiers à douter des informations qu'ils avaient obtenues et à décider, faute de motifs raisonnables, de ne pas procéder à l'arrestation. Puisque ces faits étaient pertinents à la décision prise par les policiers, ils sont pertinents à l'analyse que la requête de l'intimé invitait le juge du procès à faire.
Avec égards pour l'opinion contraire, la Cour est d'avis que tous ces éléments constituaient des motifs raisonnables et probables de croire que l'intimé avait commis, ou était sur le point de commettre, un acte criminel. Une personne raisonnable, se trouvant à la place des policiers, aurait conclu de la même façon. «L'ensemble des circonstances» ne laisse aucun doute à cet égard (R. c. Debot (1989) 2 R.C.S. 1140, à la page 1168, la juge Wilson; voir également Bennett c. R., 500‑10‑000393‑924, le 15 mars 1996, le juge Proulx). Dans les circonstances, l'arrestation et, par la suite, la fouille de l'intimé étaient justifiées.
La requête en exclusion de preuve aurait donc dû être rejetée et un verdict de culpabilité enregistré, l'accusé n'ayant pas de défense à faire valoir. Toutefois, à défaut d'une suggestion commune que la Cour aurait pu entériner, il y a lieu de retourner le dossier en première instance pour permettre au juge du procès d'imposer la sentence appropriée.
PAR CES MOTIFS:
ACCUEILLE le pourvoi;
CASSE la décision rendue le 2 août 1994 par le juge de première instance sur la requête en exclusion de preuve formée par l'accusé;
ANNULE le verdict d'acquittement et lui SUBSTITUE un verdict de culpabilité;
RETOURNE le dossier en première instance pour permettre au juge du procès d'imposer la sentence appropriée.
MICHEL PROULX, J.C.A.
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
JACQUES PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
Me Sandra Blanchard, pour l'appelante
à Rimouski
Me Christian Maltais, pour l'intimé
( MALTAIS, GAUTHIER )
à Baie-Comeau
Audition le 20 novembre 1996.