COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-10-000112-941![]()
(415-36-000010-938)
(415-27-001828-931
)
Le 8 janvier 1997
CORAM: LES HONORABLES CHOUINARD
BROSSARD, JJ.C.A
PHILIPPON, J.C.A. (ad hoc)
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
APPELANT - (Poursuivant)
c.
ISOLATION ET VENTILATION LEMIEUX INC.,
INTIMÉE - (Défenderesse)
LA COUR, statuant
sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure du district
d'Arthabaska, chambre criminelle, prononcé le 4 juillet 1994 par l'honorable
Jean Richard, qui rejetait la requête en révision judiciaire présentée par
l'appelant à l'encontre d'un jugement du 26 novembre 1993, prononcé par
l'honorable Raymond W. Pronovost, Cour du Québec, chambre criminelle et pénale,
district d'Arthabaska, lequel avait rejeté la requête en irrecevabilité de
l'appelant présentée contre une demande de l'intimée pour changement de
district sous l'autorité de l'article 177 du Code de procédure pénale du
Québec;
Après étude du
dossier, audition, et délibéré;
Poursuivie dans le
district judiciaire de Longueuil pour infraction aux articles 46 et 177 de la Loi
sur le bâtiment(1), pour avoir exercé sans licence en qualité d'entrepreneur de
construction pour autrui, à Saint-Bruno de Montarville, district de Longueuil,
l'intimée, corporation légalement constituée dont le siège social est dans le
district d'Arthabaska, présente devant la Cour du Québec, dans ce dernier
district, une demande en changement de district fondé sur l'article 177 du Code
de procédure pénale du Québec(2).
L'article 177
énonce:
177. [Ordonnance de transfert] Lorsque la demande de transfert est faite par le défendeur et vise à ce que la poursuite soit instruite dans le district de sa résidence, un juge ayant compétence pour instruite la poursuite dans ce district rend l'ordonnance de transfert s'il est convaincu que le changement demandé est dans l'intérêt de la justice, compte tenu des déplacements que ce changement peut occasionner aux témoins devant être assignés tant par le poursuivant que part le défendeur.
[Signification d'un préavis] Un préavis de cette demande doit en outre être signifié au greffier du tribunal dans le district judiciaire où la poursuite a été intentée. Le cas échéant, l'ordonnance est signifiée à ce greffier qui doit alors transmettre le dossier au greffe du tribunal désigné dans l'ordonnance.
L'appelant demande
le rejet in limine litis de cette requête par exception préliminaire
plaidant l'absence de compétence du juge de la Cour du district d'Arthabaska
d'entendre une telle requête.
Toute
l'argumentation de l'appelant se résume dans une proposition lapidaire:
l'utilisation des mots «de sa résidence» exclut formellement toute personne
morale de l'application de cet article du Code. Une personne morale a un siège
social, une ou des places d'affaires, un ou des agents d'affaires, mais n'a pas
de résidence, expression réservée aux personnes physiques.
Le juge de la Cour
du Québec, soutenant qu'il faut donner à l'article 177 C.p.p. une
interprétation large et libérale, en vertu de l'article 41 de la Loi
d'interprétation(3), conclut qu'il y a lieu d'assimiler le mot «résidence» à celui
de domicile et de permettre à une corporation, comme à toute personne physique,
de l'invoquer pour demander un changement ou transfert de district. Il conclut
qu'il a donc compétence pour entendre la demande et rejette l'irrecevabilité
soulevée par l'appelant.
Le jugement
entrepris ne se prononce pas formellement sur le fond du litige. Le juge de la
Cour supérieure mentionnesimplement que le juge de la Cour du Québec pouvait
fonder sa décision sur une interprétation libérale des textes de loi. Il
rappelle ensuite son devoir de réserve comme juge saisi d'une demande de
révision judiciaire pour conclure qu'il n'y a pas lieu d'intervenir, sauf
erreur manifestement déraisonnable, qu'il ne retrouve pas en l'instance.
Avec égards, nous
sommes d'avis qu'il a eu tort.
L'article 177
C.p.p. est attributif de compétence. L'erreur simple par laquelle le tribunal
inférieur s'arroge une compétence que le législateur ne lui a pas conférée est
sujette à la révision judiciaire. L'intimée, devant nous, ne conteste
d'ailleurs pas cette proposition.
Quant au fond, les
autres dispositions pertinentes du Code de procédure pénale sont les suivantes:
20. [Poste] La signification au moyen de la poste se fait par l'envoi de l'acte de procédure par courrier recommandé, certifié ou prioritaire à la résidence ou à l'établissement du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, à son siège social, à l'un de ses établissements ou à l'établissement d'un de ses agents.
[...]
21. [Agent de la paix ou huissier] La signification par agent de la paix ou huissier se fait par la remise de l'acte de procédure au destinataire. Elle peut aussi être faite à sa résidence, en remettant l'acte à une personne raisonnable qui y habite.
[Lieu] Si le destinataire est une personne morale, la signification peut être faite à son siège social, à l'un de ses établissements ou à l'établissement d'un de ses agents par la remise de l'acte à un des officiers ou agents ou à une personne qui a la garde des lieux.
142. [District judiciaire] Une poursuite pénale est intentée, au choix du poursuivant, dans le district judiciaire où le défendeur:
1° a commis l'infraction d'après le constat d'infraction;
2° a sa résidence ou son siège social ou l'un de ses établissements;
3° est en détention, le cas échéant.
[District judiciaire] Elle peut aussi être intentée, avec le consentement du défendeur, dans un autre district judiciaire.
[...]
176. [Changement de district] Sur demande d'une partie, un juge peut, dans l'intérêt de la justice, ordonner que l'instruction ait lieu dans un autre district. Le greffier transmet alors le dossier au greffe du tribunal compétent dans le district désigné dans l'ordonnance.
187. [Lieu de la poursuite] Lorsque le défendeur a transmis un plaidoyer de non-culpabilité, la poursuite est instruite, sous réserve des articles 175, 176 ou 177, par un juge du district judiciaire où elle a été intentée.
Avec égards pour
l'opinion contraire, nous sommes d'avis, en accord avec l'argumentation de
l'appelant sur ce point, que l'intention du législateur est claire, que les
termes utilisés à l'article 177 le sont également, et que cette disposition, lue
dans le contexte des articles précités, ne prête à aucune confusion ni
ambiguïté.
Chaque fois que le
législateur a voulu référer aux personnes morales, il l'a fait en termes de
«siège social», «place d'affaires», «établissements», «agents d'affaires» et
toujours en opposition au mot «résidence». Ce dernier mot, par ailleurs,
comporte sa propre définition qui est également claire et non- ambigue: le
terme réfère aux lieux où une personne habite, ce qui réfère
nécessairement à la personne physique.
Enfin, même si on
pouvait prétendre à quelque ambiguïté, les règles normales d'interprétation
nous mèneraient à la même conclusion. En effet, l'article 142 énonce que c'est
le poursuivant qui choisit le district judiciaire qui peut être soit celui où
l'infraction a été commise, comme en l'espèce, soit celui de la résidence ou du
siège social ou de l'un des établissements. C'est la règle, qui est elle-même
complétée par l'article 187. Les articles 176 et 177 constituent des exceptions
à la règle qui, par voie de conséquence, doivent donc être interprétés de façon
limitative. D'autant plus quant à l'article 177 qui constitue lui- même une
exception à l'article 176.
Bref, nous sommes
d'avis que le juge de la Cour du Québec a erré, qu'il n'avait pas compétence en
vertu de l'article 177 pour entendre la demande de changement de district et
que c'est donc à tort qu'il s'en est saisi.
Finalement, et pour
enlever tout doute quant au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour
supérieure, en l'espèce, si cela était encore nécessaire, soulignons que
l'erreur commise par le juge de la Cour du Québec est non seulement
juridictionnelle mais que, de plus, elle émane: 1) d'un tribunal non
spécialisé; 2) dont les décisions au fond sont toutes susceptibles d'appel de
plein droit, (ce qui n'est pas le cas des décisions interlocutoires comme en
l'espèce); 3) qui n'est par protégé par une clause privative; 4) mais qui est
au contraire expressément assujetti aux articles 834 à 858 et 861 du Code de
procédure civile, en vertu de l'article 265 du Code de procédure pénale;
5) et enfin que nous sommes en matière pénale et donc sujette aux règles
relatives au certiorari (DAGENAIS c. S.R.C.(4)).
Ajoutons, en
terminant, que, vu la nature du litige, nous sommes particulièrement sensibles
aux représentations de l'intimée concernant les frais de l'instance. Vu le
pouvoir qui nous est conféré à ce sujet par l'article 265 C.p.p., alinéa 3,
nous sommes d'avis qu'elle n'a pas à faire les frais de la cause-type élaborée
par l'appelant en l'espèce.
POUR CES MOTIFS:
ACCUEILLE
l'appel sans frais;
CASSE
et INFIRME le jugement entrepris;
et procédant à
rendre le jugement qui aurait dû être prononcé par la Cour supérieure;
ACCUEILLE
la requête en révision judiciaire de l'appelant, sans frais;
CASSE
le jugement du juge de la Cour du Québec, siègeant dans et pour le district
d'Arthabaska, et déclare ce dernier sans compétence à ce titre en vertu de
l'article 177 du Code de procédure pénale, pour entendre la demande de
changement de district présentée par l'intimée.
ROGER CHOUINARD, J.C.A.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
JACQUES PHILIPPON, J.C.A. (ad hoc)
Me Pierre L. Bienvenue
Substitut du Procureur général
Procureur de l'appelant.
Me Ronald Robichaud
(ROBICHAUD ET BRULOTTE, ASSOCIÉS)
Procureur de l'intimée.
DATE DE L'AUDITION: le 11 décembre 1996.
1. L.R.Q. ch. B-1.1.
2. L.R.Q. ch. C-25.1.
3. L.R.Q. ch. I-16.
4. [1994] 3 R.C.S. 835 .