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COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-10-000080-932
(655-36-000029-921)
(655-01-000198-928)

Le 13 novembre 1995


CORAM: LES HONORABLES PROULX
CHAMBERLAND, JJ.C.A.
PHILIPPON, J.C.A. (ad hoc)







NORMAND TREMBLAY,

APPELANT;

c.

SA MAJESTÉ LA REINE,

INTIMÉE.







__________
LA COUR , statuant séance tenante sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure (l'honorable André Biron), district de Baie-Comeau, rendu le 26 mai 1993, rejetant l'appel d'une condamnation de la Cour du Québec pour conduite d'un véhicule à moteur (motoneige) avec un taux d'alcool de 220mg/100ml de sang.

          APRES étude du dossier et audition;

          Devant la Cour supérieure, l'appelant reprochait d'abord à la Cour du Québec d'avoir admis la preuve du résultat des tests de coordination physique prévus par l'article 636.1 du Code de sécurité routière
(1) sans qu'il ait eu droit à l'avocat au sens de l'article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il prétend que la preuve des échantillons d'haleine obtenue par la suite devait être exclue en application des articles 24.1 et 24.2 de la Charte canadienne des droits et libertés.

          Subsidiairement et après avis au Procureur général du Québec conformément à l'article 95 C.p.c., l'appelant prétendait que l'article 636.1 du Code de sécurité routière est ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec. Il s'agirait d'un domaine du ressort exclusif du Parlement du Canada qui n'a pas jugé bon, à l'article 254, alinéa 2, du Code criminel, de prescrire de tels tests.

          Le juge de la Cour supérieure traite en premier lieu, sommairement comme à son dire l'avait fait l'appelant, de la question constitutionnelle soulevée, en affirmant que l'article 636.1 du Code de sécurité routière fournit un moyen de vérifiers'il y a lieu de soumettre un conducteur de véhicule aux épreuves prévues par l'article 254 du Code criminel, s'il existe un soupçon de présence d'alcool dans le corps du conducteur. Il ajoute:

Ceci entre manifestement dans le cadre d'un Code de sécurité routière que la province a juridiction d'adopter et faire observer.




          La Cour est d'avis que cette affirmation était juste et qu'elle l'est encore après avoir analysé les arguments que l'appelant soumet.

          L'article 636.1 du Code de sécurité routière:

Un agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans le corps du conducteur qui a immobilisé son véhicule conformément à l'article 636 peut exiger que ce conducteur se soumette sans délai aux tests de coordination physique raisonnables qu'il lui indique, afin de vérifier s'il y a lieu de le soumettre aux épreuves prévues à l'article 254 du Code criminel. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.



(Soulignement ajouté)


          L'objectif véritable de l'article 636.1 du Code de sécurité routière est le dépistage des conducteurs en état d'ébriété. La sécurité sur les routes est une matière de compétence provinciale, comme l'a reconnu la Cour suprême en 1960
(2), dans une affaire où il était question de la validité d'une disposition prévoyant lasuspension d'un permis de conduire pour refus de se soumettre au prélèvement d'un échantillon d'haleine. La Cour avait alors soutenu le devoir pour une province de veiller à la sécurité des usagers de la route. La complémentarité des mesures provinciales et fédérales portant sur la sécurité routière et favorisant la prévention du crime justifie, notamment, le double aspect de certaines mesures législatives se rapportant à l'alcool au volant.

          Quant à l'effet de ces dispositions d'origine législative distincte, il est différent dans chacune des législations comparées. Le Code criminel, à l'article 254(2), traite de la prise d'un échantillon d'haleine et l'article 636.1 du Code de sécurité routière traite de la possibilité de faire passer un test de coordination physique comme mesure préalable à la prise d'un échantillon d'haleine. De plus on ne peut conclure, comme le prétend l'appelant, que l'article 636.1 du Code de sécurité routière définit, au lieu du Code criminel, les motifs raisonnables de l'agent. Dans ces deux codes, on utilise des expressions semblables qui imposent à l'agent d'avoir des motifs suffisants: «
motifs raisonnables » dans la législation fédérale, « raison de soupçonner » dans la législation provinciale. De plus, faut-il insister, l'application se fait à une étape antérieure, préliminaire, comme moyen choisi par le législateur provincial pour aider au travail du policier. Un échec au test de coordination conduit à la situation où se trouve un policier avant de fairesubir le test d'haleine ou d'évaluer la capacité de conduire du conducteur.

          Le deuxième motif d'appel est basé sur l'exclusion de la preuve obtenue lors des tests de coordination physique en contravention avec le droit à l'avocat prévu à l'article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'appelant conteste l'admissibilité sans autre preuve que la connaissance judiciaire des dangers de l'alcool au volant en matière de sécurité routière.

          Le juge de la Cour supérieure s'est référé à ce sujet à un arrêt de la Cour d'appel d'Ontario et à un autre de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Ces deux cours avaient à évaluer des tests de portée similaire à celui prévu par l'article 636.1 du Code de sécurité routière du Québec. Rappelant que la Cour d'appel d'Ontario
(3) n'avait pas reçu de preuve sur les méfaits de l'alcool au volant et que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique(4) avait accepté de recevoir une preuve à ce sujet, le juge de la Cour supérieure a été d'avis qu'en l'absence de preuve en l'espèce:

Le Tribunal considère que les méfaits de l'alcool au volant sont de connaissance judiciaire. Les journaux en informent la population de façon quasi quotidienne de sorte, que nul ne peut les ignorer.




          Cette Cour partage cet avis et même si l'appelant n'a pas soutenu ce volet de son appel, on peut affirmer que le simple écoulement du temps et la modification des mentalités ont pu rendre notoires et relativement incontestables les méfaits de l'alcool sur la conduite d'un véhicule-moteur
(5). L'expression « sans délai » utilisée deux fois à l'article 636.1, susceptible de restreindre le droit à l'avocat, est prescrite par une règle de droit qui répond à un objectif législatif important et satisfait au test de proportionnalité du moyen par rapport à l'objectif législatif recherché. Le schéma d'analyse proposé par l'arrêt Oakes(6) est donc respecté. Dans un jugement rendu quelques jours après la confection du mémoire de l'appelant, la Cour supérieure (l'honorable Pierre Viau) a rendu un jugement(7) bien motivé sur cette question de même que sur celle du champ des compétences respectives du fédéral et du provincial en rapport avec l'article 636.1.

          A l'audience, l'appelant a soumis des décisions additionnelles. En tout respect, les plus pertinentes de ces décisions ne permettent pas de conclure comme il le voudrait: tantdans l'arrêt O'Hara(8) que dans l'arrêt Starr(9), la Cour suprême n'a pas admis les moyens d'enquête utilisés parce que les dispositions législatives autorisant ces moyens d'enquête ne pouvaient être considérées comme l'accessoire d'un objectif législatif acceptable. En l'espèce la situation est à l'inverse. Quant à l'arrêt Husky Oil(10), il s'agit clairement d'un cas où la Cour suprême a considéré que la législation provinciale intervenait dans l'ordre de priorité déterminé par la Loi de faillite et qu'en conséquence il y avait incompatibilité entre les législations. Encore ici, la Cour est d'avis qu'il n'y avait pas incompatibilité et qu'il n'y a pas lieu d'intervenir dans le jugement dont appel.


          POUR CES MOTIFS:

          REJETTE
l'appel.








MICHEL PROULX, J.C.A.




JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.




JACQUES PHILIPPON, J.C.A.
(ad hoc)




Procureur de l'appelant :     Me Jean-Claude Dufour (Dufour, Martel & Associés)

Procureur de l'intimée    :   Mes Dominique Jobin et Mario Tremblay


Date d'audition :     13 novembre 1995


1.     L.Q. c-24.2
2.     
O'Grady c. Sparling, [1960] R.C.S. 804.
3.     La Reine c. Saunders, 41 C.C.C. (3rd), 532.
4.     
La Reine c. Bonin, 47 C.C.C. (3rd) 230.
5.     
Ville de Montréal c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 S.C.R. 368 , pp. 382-383 (opinion de M. le juge Beetz).
6.     
R. v. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 , pp. 138-139.
7.     
La Reine c. Pitre, [1994] R.J.Q. 2279 (C.S.).
8.     
Terrance Patrick O'Hara et autre c. La Reine et autres, [1987] 2 R.C.S. 591 .
9.     
Patricia Starr et autres c. L'hon. juge Lloyd W. Houlden, [1990] 1 S.C.R. 1366 .
10.     
Husky Oil Operations Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), C.S. Can. 23936, 1995-10-19, J.E. 95-1945 .