Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
Philippe Adrien, Emilia Berardi, Paul Creador,
Lorenzo Abel Vasquez et Lindy Wagner
en leur propre nom et en celui des autres
anciens employés de Rizzo & Rizzo Shoes Limited
Appelants
c.
Zittrer, Siblin & Associates, Inc., syndic de faillite
de Rizzo & Rizzo Shoes Limited
Intimée
et
Le ministère du Travail de la province d'Ontario,
Direction des normes d'emploi
Partie
Répertorié: Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re)
No du greffe: 24711.
1997: 16 octobre; 1998: 22 janvier.
Présents: Les juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Employeur et employé -- Faillite -- Indemnités de licenciement et de
cessation d'emploi payables en cas de licenciement par l'employeur -- Faillite peut-elle
être assimilée au licenciement par l'employeur? -- Loi sur les normes d'emploi, L.R.O.
1980, ch. 137, art. 7(5), 40(1), (7), 40a -- Employment Standards Amendment Act, 1981,
2
L.O. 1981, ch. 22, art. 2(3) -- Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 121(1) -- Loi
d'interprétation, L.R.O. 1990, ch. I.11, art. 10, 17.
Les employés d'une entreprise en faillite ont perdu leur emploi lorsqu'une
ordonnance de séquestre a été rendue à l'égard des biens de l'entreprise. Tous les
salaires, les traitements, toutes les commissions et les paies de vacances ont été versés
jusqu'à la date de l'ordonnance de séquestre. Le ministère du Travail de la province a
vérifié les dossiers de l'entreprise pour déterminer si des indemnités de licenciement ou
de cessation d'emploi devaient encore être versées aux anciens employés en application
de la Loi sur les normes d'emploi (la «LNE») et il a remis une preuve de réclamation au
syndic. Ce dernier a rejeté les réclamations pour le motif que la faillite d'un employeur
ne constituant pas un congédiement, aucun droit à une indemnité de cessation d'emploi,
à une indemnité de licenciement ni à une paie de vacances ne prenait naissance sous le
régime de la LNE. En appel, le ministère a eu gain de cause devant la Cour de l'Ontario
(Division générale) mais la Cour d'appel de l'Ontario a infirmé ce jugement et a rétabli
la décision du syndic. Le ministère a demandé l'autorisation d'interjeter appel de l'arrêt
de la Cour d'appel mais il s'est désisté. Après l'abandon de l'appel, le syndic a versé un
dividende aux créanciers de Rizzo, réduisant de façon considérable l'actif. Par la suite,
les appelants, cinq anciens employés de Rizzo, ont demandé et obtenu l'annulation du
désistement, l'obtention de la qualité de parties à l'instance et une ordonnance leur
accordant l'autorisation d'interjeter appel. En l'espèce, il s'agit de savoir si la cessation
d'emploi résultant de la faillite de l'employeur donne naissance à une réclamation
prouvable en matière de faillite en vue d'obtenir une indemnité de licenciement et une
indemnité de cessation d'emploi conformément aux dispositions de la LNE.
3
Arrêt: Le pourvoi est accueilli.
Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Bien
que le libellé clair des art. 40 et 40a de la LNE donne à penser que les indemnités de
licenciement et de cessation d'emploi doivent être versées seulement lorsque
l'employeur licencie l'employé, l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur
le seul libellé du texte de loi. Il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global
en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet
de la loi et l'intention du législateur. Au surplus, l'art. 10 de la Loi d'interprétation
ontarienne dispose que les lois «sont réputées apporter une solution de droit» et qu'elles
doivent «s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour
garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables».
L'objet de la LNE et des dispositions relatives à l'indemnité de licenciement
et à l'indemnité de cessation d'emploi elles-mêmes repose de manière générale sur la
nécessité de protéger les employés. Conclure que les art. 40 et 40a sont inapplicables
en cas de faillite est incompatible tant avec l'objet de la LNE qu'avec les dispositions
relatives aux indemnités de licenciement et de cessation d'emploi. Le législateur ne peut
avoir voulu des conséquences absurdes mais c'est le résultat auquel on arriverait si les
employés congédiés avant la faillite avaient droit à ces avantages mais pas les employés
congédiés après la faillite. Une distinction serait établie entre les employés sur la seule
base de la date de leur congédiement et un tel résultat les priverait arbitrairement de
certains des moyens dont ils disposent pour faire face à un bouleversement économique.
Le recours à l'historique législatif pour déterminer l'intention du législateur
est tout à fait approprié. En vertu du par. 2(3) de l'Employment Standards Amendment
Act, 1981, étaient exemptés de l'obligation de verser des indemnités de cessation
4
d'emploi, les employeurs qui avaient fait faillite et avaient perdu la maîtrise de leurs
biens entre le moment où les modifications sont entrées en vigueur et celui où elles ont
reçu la sanction royale. Le paragraphe 2(3) implique nécessairement que les employeurs
en faillite sont assujettis à l'obligation de verser une indemnité de cessation d'emploi.
Si tel n'était pas le cas, cette disposition transitoire semblerait ne poursuivre aucune fin.
En outre, comme la LNE est une loi conférant des avantages, elle doit être interprétée de
façon libérale et généreuse. Tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se
résoudre en faveur du demandeur.
Lorsque les mots exprès employés aux art. 40 et 40a sont examinés dans leur
contexte global, les termes «l'employeur licencie» doivent être interprétés de manière
à inclure la cessation d'emploi résultant de la faillite de l'employeur. Les raisons qui
motivent la cessation d'emploi n'ont aucun rapport avec la capacité de l'employé
congédié de faire face au bouleversement économique soudain causé par le chômage.
Comme tous les employés congédiés ont également besoin des protections prévues par
la LNE, toute distinction établie entre les employés qui perdent leur emploi en raison de
la faillite de leur employeur et ceux qui sont licenciés pour quelque autre raison serait
arbitraire et inéquitable. Une telle interprétation irait à l'encontre des sens, intention et
esprit véritables de la LNE. La cessation d'emploi résultant de la faillite de l'employeur
donne effectivement naissance à une réclamation non garantie prouvable en matière de
faillite au sens de l'art. 121 de la LF en vue d'obtenir une indemnité de licenciement et
une indemnité de cessation d'emploi en conformité avec les art. 40 et 40a de la LNE. Il
était inutile d'examiner la question de l'applicabilité du par. 7(5) de la LNE.
5
Jurisprudence
Distinction d'avec les arrêts: Re Malone Lynch Securities Ltd., [1972] 3
O.R. 725; Re Kemp Products Ltd. (1978), 27 C.B.R. (N.S.) 1; Mills-Hughes c. Raynor
(1988), 63 O.R. (2d) 343; arrêts mentionnés: U.F.C.W., Loc. 617P c. Royal Dressed
Meats Inc. (Trustee of) (1989), 76 C.B.R. (N.S.) 86; R. c. Hydro-Québec, [1997] 3
R.C.S. 213*; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411;
Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995]
3 R.C.S. 103; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986; Wallace c. United
Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701; R. c. TNT Canada Inc. (1996), 27 O.R. (3d)
546; Re Telegram Publishing Co. c. Zwelling (1972), 1 L.A.C. (2d) 1; R. c. Vasil, [1981]
1 R.C.S. 469; Paul c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 621; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S.
463; Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; Hills c. Canada
(Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; British Columbia (Director of Employment
Standards) c. Eland Distributors Ltd. (Trustee of) (1996), 40 C.B.R. (3d) 25; R. c. Z.
(D.A.), [1992] 2 R.C.S. 1025.
Lois et règlements cités
Employment Standards Act, R.S.O. 1970, ch. 147, art. 13(2).
Employment Standards Act, 1974, S.O. 1974, ch. 112, art. 40(7).
Employment Standards Amendment Act, 1981, L.O. 1981, ch. 22, art. 2.
Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219 [maintenant L.R.O. 1990, ch. I-11], art. 10,
17.
Loi de 1995 modifiant des lois en ce qui concerne les relations de travail et l'emploi,
L.O. 1995, ch. 1, art. 74(1), 75(1).
* Voir Erratum [1999] 2 R.C.S. iv
6
Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3 [maintenant la Loi sur la faillite et
l'insolvabilité], art. 121(1).
Loi sur les normes d'emploi, L.R.O. 1980, ch. 137, art. 7(5) [abr. & rempl. 1986, ch. 51,
art. 2], 40(1) [abr. & rempl. 1987, ch. 30, art. 4(1)], (7), 40a(1) [abr. & rempl. ibid.,
art. 5(1)].
Doctrine citée
Christie, Innis, Geoffrey England and Brent Cotter. Employment Law in Canada, 2nd
ed. Toronto: Butterworths, 1993.
Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué.: Yvon Blais,
1990.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
Ontario. Legislature of Ontario Debates, 1st sess., 32nd Parl., June 4, 1981,
pp. 1236-37.
Ontario. Legislature of Ontario Debates, 1st sess., 32nd Parl., June 16, 1981, p. 1699.
Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto:
Butterworths, 1994.
Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation. Concord, Ont.: Irwin Law, 1997.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1995), 22 O.R.
(3d) 385, 80 O.A.C. 201, 30 C.B.R. (3d) 1, 9 C.C.E.L. (2d) 264, 95 C.L.L.C. ¶210-020,
[1995] O.J. no 586 (QL), qui a infirmé un jugement de la Cour de l'Ontario (Division
générale) (1991), 6 O.R. (3d) 441, 11 C.B.R. (3d) 246, 92 C.L.L.C. ¶14,013, statuant que
le ministère du Travail pouvait prouver des réclamations au nom des employés de
l'entreprise en faillite. Pourvoi accueilli.
Steven M. Barrett et Kathleen Martin, pour les appelants.
Raymond M. Slattery, pour l'intimée.
7
David Vickers, pour le ministère du Travail de la province d'Ontario,
Direction des normes d'emploi.
//Le juge Iacobucci//
Version française du jugement de la Cour rendu par
1.
LE JUGE IACOBUCCI -- Il s'agit d'un pourvoi interjeté par les anciens
employés d'un employeur maintenant en faillite contre une ordonnance qui a rejeté les
réclamations qu'ils ont présentées en vue d'obtenir une indemnité de licenciement (y
compris la paie de vacances) et une indemnité de cessation d'emploi. Le litige porte sur
une question d'interprétation législative. Tout particulièrement, le pourvoi tranche la
question de savoir si, en vertu des dispositions législatives pertinentes en vigueur à
l'époque de la faillite, les employés ont le droit de réclamer une indemnité de
licenciement et une indemnité de cessation d'emploi lorsque la cessation d'emploi
résulte de la faillite de leur employeur.
1. Les faits
2.
Avant sa faillite, la société Rizzo & Rizzo Shoes Limited («Rizzo»)
possédait et exploitait au Canada une chaîne de magasins de vente au détail de
chaussures. Environ 65 pour 100 de ces magasins étaient situés en Ontario. Le
13 avril 1989, une pétition en faillite a été présentée contre la chaîne de magasins. Le
lendemain, une ordonnance de séquestre a été rendue sur consentement à l'égard des
biens de Rizzo. Au prononcé de l'ordonnance, les employés de Rizzo ont perdu leur
emploi.
8
3.
Conformément à l'ordonnance de séquestre, l'intimée, Zittrer, Siblin &
Associates, Inc. (le «syndic») a été nommée syndic de faillite de l'actif de Rizzo. La
Banque de Nouvelle-Écosse a nommé Peat Marwick Limitée («PML») comme
administrateur séquestre. Dès la fin de juillet 1989, PML avait liquidé les biens de Rizzo
et fermé les magasins. PML a versé tous les salaires, les traitements, toutes les
commissions et les paies de vacances qui avaient été gagnés par les employés de Rizzo
jusqu'à la date à laquelle l'ordonnance de séquestre a été rendue.
4.
En novembre 1989, le ministère du Travail de la province d'Ontario,
Direction des normes d'emploi (le «ministère») a vérifié les dossiers de Rizzo afin de
déterminer si des indemnités de licenciement ou de cessation d'emploi devaient encore
être versées aux anciens employés en application de la Loi sur les normes d'emploi,
L.R.O. 1980, ch. 137 et ses modifications (la «LNE»). Le 23 août 1990, au nom des
anciens employés de Rizzo, le ministère a remis au syndic intimé une preuve de
réclamation pour des indemnités de licenciement et des paies de vacances (environ 2,6
millions de dollars) et pour des indemnités de cessation d'emploi (14 215 $). Le syndic
a rejeté les réclamations et a donné avis du rejet le 28 janvier 1991. Aux fins du présent
pourvoi, les réclamations ont été rejetées parce que le syndic était d'avis que la faillite
d'un employeur ne constituant pas un congédiement, aucun droit à une indemnité de
cessation d'emploi, à une indemnité de licenciement ni à une paie de vacances ne prenait
naissance sous le régime de la LNE.
5.
Le ministère a interjeté appel de la décision du syndic devant la Cour de
l'Ontario (Division générale) laquelle a infirmé la décision du syndic et a admis les
réclamations en tant que réclamations non garanties prouvables en matière de faillite.
En appel, la Cour d'appel de l'Ontario a cassé le jugement de la cour de première
instance et rétabli la décision du syndic. Le ministère a demandé l'autorisation d'en
9
appeler de l'arrêt de la Cour d'appel, mais il s'est désisté le 30 août 1993. Après
l'abandon de l'appel, le syndic a versé un dividende aux créanciers de Rizzo, réduisant
de façon considérable l'actif. Par la suite, les appelants, cinq anciens employés de Rizzo,
ont demandé l'annulation du désistement, l'obtention de la qualité de parties à l'instance
et une ordonnance leur accordant l'autorisation d'interjeter appel. L'ordonnance de
notre Cour faisant droit à ces demandes a été rendue le 5 décembre 1996.
2. Les dispositions législatives pertinentes
6.
Aux fins du présent pourvoi, les versions pertinentes de la Loi sur la faillite
(maintenant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité) et de la Loi sur les normes d'emploi
sont respectivement les suivantes: L.R.C. (1985), ch. B-3 (la «LF») et L.R.O. 1980,
ch. 137 et ses modifications au 14 avril 1989 (la «LNE»).
Loi sur les normes d'emploi, L.R.O. 1980, ch. 137 et ses modifications:
7 . . .
(5) Tout contrat de travail est réputé comprendre la disposition suivante:
L'indemnité de cessation d'emploi et l'indemnité de licenciement
deviennent exigibles et sont payées par l'employeur à l'employé en
deux versements hebdomadaires à compter de la première semaine
complète suivant la cessation d'emploi, et sont réparties sur ces
semaines en conséquence. La présente disposition ne s'applique pas à
l'indemnité de cessation d'emploi si l'employé a choisi de maintenir
son droit d'être rappelé, comme le prévoit le paragraphe 40a (7) de la
Loi sur les normes d'emploi.
40 (1) Aucun employeur ne doit licencier un employé qui travaille pour
lui depuis trois mois ou plus à moins de lui donner:
a)
un préavis écrit d'une semaine si sa période d'emploi est
inférieure à un an;
b)
un préavis écrit de deux semaines si sa période d'emploi est d'un
an ou plus mais de moins de trois ans;
10
c)
un préavis écrit de trois semaines si sa période d'emploi est de
trois ans ou plus mais de moins de quatre ans;
d)
un préavis écrit de quatre semaines si sa période d'emploi est de
quatre ans ou plus mais de moins de cinq ans;
e)
un préavis écrit de cinq semaines si sa période d'emploi est de
cinq ans ou plus mais de moins de six ans;
f)
un préavis écrit de six semaines si sa période d'emploi est de six
ans ou plus mais de moins de sept ans;
g)
un préavis écrit de sept semaines si sa période d'emploi est de
sept ans ou plus mais de moins de huit ans;
h)
un préavis écrit de huit semaines si sa période d'emploi est de
huit ans ou plus,
et avant le terme de la période de ce préavis.
. . .
(7) Si un employé est licencié contrairement au présent article:
a)
l'employeur lui verse une indemnité de licenciement égale au
salaire que l'employé aurait eu le droit de recevoir à son taux
normal pour une semaine normale de travail sans heures
supplémentaires pendant la période de préavis fixée par le
paragraphe (1) ou (2), de même que tout salaire auquel il a droit;
. . .
40a . . .
[TRADUCTION] (1a) L'employeur verse une indemnité de cessation
d'emploi à chaque employé licencié qui a travaillé pour lui pendant cinq ans
ou plus si, selon le cas:
a)
l'employeur licencie cinquante employés ou plus au cours d'une
période de six mois ou moins et que les licenciements résultent
de l'interruption permanente de l'ensemble ou d'une partie des
activités de l'employeur à un établissement;
b)
l'employeur dont la masse salariale est de 2,5 millions de dollars
ou plus licencie un ou plusieurs employés.
Employment Standards Amendment Act, 1981, L.O. 1981, ch. 22
11
[TRADUCTION]
2. (1) La partie XII de la loi est modifiée par adjonction de l'article
suivant:
. . .
(3)
L'article 40a de la loi ne s'applique pas à l'employeur qui a fait
faillite ou est devenu insolvable au sens de la Loi sur la faillite
(Canada) et dont les biens ont été distribués à ses créanciers ou
à l'employeur dont la proposition au sens de la Loi sur la faillite
(Canada) a été acceptée par ses créanciers pendant la période qui
commence le 1er janvier 1981 et se termine le jour précédant
immédiatement celui où la présente loi a reçu la sanction royale
inclusivement.
Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3
121. (1) Toutes créances et tous engagements, présents ou futurs,
auxquels le failli est assujetti à la date de la faillite, ou auxquels il peut
devenir assujetti avant sa libération, en raison d'une obligation contractée
antérieurement à la date de la faillite, sont réputés des réclamations
prouvables dans des procédures entamées en vertu de la présente loi.
Loi d'interprétation, L.R.O. 1990, ch. I.11
10 Les lois sont réputées apporter une solution de droit, qu'elles aient
pour objet immédiat d'ordonner l'accomplissement d'un acte que la
Législature estime être dans l'intérêt public ou d'empêcher ou de punir
l'accomplissement d'un acte qui lui paraît contraire à l'intérêt public. Elles
doivent par conséquent s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus
large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens,
intention et esprit véritables.
. . .
17 L'abrogation ou la modification d'une loi n'est pas réputée
constituer ou impliquer une déclaration portant sur l'état antérieur du droit.
3. L'historique judiciaire
A. La Cour de l'Ontario (Division générale) (1991), 6 O.R. (3d) 441
12
7.
Après avoir tranché plusieurs points non soulevés dans le présent pourvoi,
le juge Farley est passé à la question de savoir si l'indemnité de licenciement et
l'indemnité de cessation d'emploi sont des réclamations prouvables en application de la
LF. S'appuyant sur la décision U.F.C.W., Loc. 617P c. Royal Dressed Meats Inc.
(Trustee of) (1989), 76 C.B.R. (N.S.) 86 (C.S. Ont. en matière de faillite), il a conclu que
manifestement, l'indemnité de licenciement et l'indemnité de cessation d'emploi sont
prouvables en matière de faillite lorsque l'obligation légale d'effectuer ces versements
a pris naissance avant la faillite. Par conséquent, il a estimé que le point essentiel à
résoudre en l'espèce était de savoir si la faillite était assimilable au licenciement et
entraînait l'application des dispositions relatives à l'indemnité de licenciement et à
l'indemnité de cessation d'emploi de la LNE de manière que l'obligation de verser ces
indemnités prenne naissance également au moment de la faillite.
8.
Le juge Farley a abordé cette question en faisant remarquer que l'objet et
l'intention de la LNE étaient d'établir des normes minimales d'emploi et de favoriser
et protéger les intérêts des employés. Il a donc conclu que la LNE visait à apporter une
solution de droit et devait dès lors être interprétée de manière équitable et large afin de
garantir la réalisation de son objet selon ses sens, intention et esprit véritables.
9.
Le juge Farley a ensuite décidé que priver les employés en l'espèce du droit
de réclamer une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aurait
pour conséquence injuste et arbitraire que l'employé licencié juste avant la faillite aurait
droit à une indemnité de licenciement et à une indemnité de cessation d'emploi, alors que
celui qui a perdu son emploi en raison de la faillite elle-même n'y aurait pas droit. Ce
résultat, a-t-il dit, irait à l'encontre du but visé par la loi.
13
10.
Le juge Farley ne voyait pas pourquoi les réclamations des employés en
l'espèce ne seraient pas généralement considérées comme des réclamations concernant
les salaires ou comme d'autres réclamations présentées en application de la LF. Il a
souligné que les anciens employés en l'espèce n'avaient pas soutenu que les indemnités
de licenciement et de cessation d'emploi devaient être prioritaires dans la distribution
de l'actif, mais tout simplement qu'elles étaient des réclamations prouvables en matière
de faillite (non garanties et non privilégiées). Pour ce motif, il a conclu qu'il ne
convenait pas d'invoquer la jurisprudence et la doctrine portant sur l'interprétation des
dispositions relatives à la priorité de la LF.
11.
Même si la faillite ne met pas fin à la relation entre l'employeur et l'employé
de façon à faire jouer les dispositions relatives aux indemnités de licenciement et de
cessation d'emploi de la LNF, le juge Farley était d'avis que les employés en l'espèce
avaient néanmoins droit à ces indemnités, car il s'agissait d'engagements contractés
avant la date de la faillite conformément au par. 7(5) de la LNE. Il a conclu d'une part
qu'aux termes du par. 7(5), tout contrat de travail est réputé comprendre une disposition
prévoyant le versement d'une indemnité de licenciement et d'une indemnité de cessation
d'emploi au moment de la cessation d'emploi et d'autre part que l'employeur en faillite
est assujetti à l'obligation conditionnelle de verser ces indemnités depuis le début de la
relation entre l'employeur et l'employé, soit bien avant la faillite.
12.
Le juge Farley a également examiné le par. 2(3) de l'Employment Standards
Amendment Act, 1981, L.O. 1981, ch. 22 («l'ESAA»), qui est une disposition transitoire
exemptant certains employeurs en faillite des nouvelles obligations relatives au paiement
de l'indemnité de cessation d'emploi jusqu'à ce que les modifications aient reçu la
sanction royale. Il était d'avis que cette disposition n'aurait pas été nécessaire si le
législateur n'avait pas voulu que les obligations auxquelles sont tenus les employeurs au
14
moment d'un licenciement s'appliquent aux employeurs en faillite en vertu de la LNE.
Le juge Farley a conclu que la réclamation présentée par les anciens employés de Rizzo
en vue d'obtenir des indemnités de licenciement et de cessation d'emploi pouvait être
traitée comme une créance non garantie et non privilégiée dans une faillite. Par
conséquent, il a accueilli l'appel formé contre la décision du syndic.
B. La Cour d'appel de l'Ontario (1995), 22 O.R. (3d) 385
13.
Au nom d'une cour unanime, le juge Austin a commencé son analyse de la
question principale du présent pourvoi en s'arrêtant sur le libellé des dispositions
relatives à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité de cessation d'emploi de la LNE.
Il a noté, à la p. 390, que les dispositions relatives à l'indemnité de licenciement utilisent
des expressions comme «[a]ucun employeur ne doit licencier un employé» (par. 40(1)),
«le préavis qu'un employeur donne pour licencier» (par. 40(2)) et les «employés qu'un
employeur a licenciés ou se propose de licencier» (par. 40(5)). Passant à l'indemnité de
cessation d'emploi, il a cité l'al. 40a(1)a), à la p. 391, lequel contient l'expression
«l'employeur licencie cinquante employés». Le juge Austin a conclu que ce libellé
limite l'obligation d'accorder une indemnité de licenciement et une indemnité de
cessation d'emploi aux cas où l'employeur licencie des employés. Selon lui, la cessation
d'emploi résultant de l'effet de la loi, notamment de la faillite, n'entraîne pas
l'application de la LNE.
14.
À l'appui de sa conclusion, le juge Austin a examiné les arrêts de principe
dans ce domaine du droit. Il a cité Re Malone Lynch Securities Ltd., [1972] 3 O.R. 725
(C.S. en matière de faillite), dans lequel le juge Houlden (maintenant juge de la Cour
d'appel) a statué que les dispositions relatives à l'indemnité de licenciement de la LNE
n'étaient pas conçues pour s'appliquer à l'employeur en faillite. Il a également invoqué
15
Re Kemp Products Ltd. (1978), 27 C.B.R. (N.S.) 1 (C.S. Ont. en matière de faillite), à
l'appui de la proposition selon laquelle la faillite d'une compagnie à la demande d'un
créancier ne constitue pas un congédiement. Il a conclu ainsi, à la p. 395:
[TRADUCTION] Le libellé clair des art. 40 et 40a ne crée une obligation de
verser une indemnité de licenciement ou une indemnité de cessation
d'emploi que si l'employeur licencie l'employé. En l'espèce, la cessation
d'emploi n'est pas le fait de l'employeur, elle résulte d'une ordonnance de
séquestre rendue à l'encontre de Rizzo le 14 avril 1989, à la suite d'une
pétition présentée par l'un de ses créanciers. Le droit à une indemnité de
licenciement ou à une indemnité de cessation d'emploi n'a jamais pris
naissance.
15.
En ce qui concerne le par. 7(5) de la LNE, le juge Austin a rejeté
l'interprétation du juge de première instance et a estimé que cette disposition ne créait
pas d'engagement. Selon lui, elle ne faisait que préciser quand l'engagement contracté
par ailleurs devait être acquitté et ne se rapportait donc pas à la question dont la cour
était saisie. Le juge Austin n'a pas accepté non plus l'opinion exprimée par le tribunal
inférieur au sujet du par. 2(3), la disposition transitoire de l'ESAA. Il a jugé que cette
disposition n'avait aucun effet quant à l'intention du législateur, comme l'attestait la
terminologie employée aux art. 40 et 40a.
16.
Le juge Austin a conclu que, comme la cessation d'emploi subie par les
anciens employés de Rizzo résultait d'une ordonnance de faillite et n'était pas le fait de
l'employeur, il n'existait aucun engagement en ce qui concerne l'indemnité de
licenciement, l'indemnité de cessation d'emploi ni la paie de vacances. L'ordonnance
du juge de première instance a été annulée et la décision du syndic de rejeter les
réclamations a été rétablie.
16
4. Les questions en litige
17.
Le présent pourvoi soulève une question: la cessation d'emploi résultant de
la faillite de l'employeur donne-t-elle naissance à une réclamation prouvable en matière
de faillite en vue d'obtenir une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation
d'emploi conformément aux dispositions de la LNE?
5. Analyse
18.
L'obligation légale faite aux employeurs de verser une indemnité de
licenciement ainsi qu'une indemnité de cessation d'emploi est régie respectivement par
les art. 40 et 40a de la LNE. La Cour d'appel a fait observer que le libellé clair de ces
dispositions donne à penser que les indemnités de licenciement et de cessation d'emploi
doivent être versées seulement lorsque l'employeur licencie l'employé. Par exemple, le
par. 40(1) commence par les mots suivants: «Aucun employeur ne doit licencier un
employé . . .» Le paragraphe 40a(1a) contient également les mots: «si [. . .] l'employeur
licencie cinquante employés ou plus . . .» Par conséquent, la question dans le présent
pourvoi est de savoir si l'on peut dire que l'employeur qui fait faillite a licencié ses
employés.
19.
La Cour d'appel a répondu à cette question par la négative, statuant que,
lorsqu'un créancier présente une pétition en faillite contre un employeur, les employés
ne sont pas licenciés par l'employeur mais par l'effet de la loi. La Cour d'appel a donc
estimé que, dans les circonstances de l'espèce, les dispositions relatives aux indemnités
de licenciement et de cessation d'emploi de la LNE n'étaient pas applicables et
qu'aucune obligation n'avait pris naissance. Les appelants répliquent que les mots
«l'employeur licencie» doivent être interprétés comme établissant une distinction entre
17
la cessation d'emploi volontaire et la cessation d'emploi forcée. Ils soutiennent que ce
libellé visait à dégager l'employeur de son obligation de verser des indemnités de
licenciement et de cessation d'emploi lorsque l'employé quittait son emploi
volontairement. Cependant, les appelants prétendent que la cessation d'emploi forcée
résultant de la faillite de l'employeur est assimilable au licenciement effectué par
l'employeur pour l'exercice du droit à une indemnité de licenciement et à une indemnité
de cessation d'emploi prévu par la LNE.
20.
Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige.
Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les
dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement
et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié
leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette
interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.
21.
Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir
par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the
Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après «Construction of Statutes»);
Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son
ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que
je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le
seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:
[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il
faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens
ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de
la loi et l'intention du législateur.
18
Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons:
R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213**; Banque Royale du Canada c. Sparrow
Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3
R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.
22.
Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980,
ch. 219, qui prévoit que les lois «sont réputées apporter une solution de droit» et doivent
«s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la
réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables».
23.
Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en
question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé
suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du
législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte
adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions.
24.
Dans l'arrêt Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, à la
p. 1002, notre Cour, à la majorité, a reconnu l'importance que notre société accorde à
l'emploi et le rôle fondamental qu'il joue dans la vie de chaque individu. La manière de
mettre fin à un emploi a été considérée comme étant tout aussi importante (voir
également Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701). C'est dans ce
contexte que les juges majoritaires dans l'arrêt Machtinger ont défini, à la p. 1003,
l'objet de la LNE comme étant la protection «. . . [d]es intérêts des employés en exigeant
que les employeurs respectent certaines normes minimales, notamment en ce qui
concerne les périodes minimales de préavis de licenciement». Par conséquent, les juges
** Voir Erratum [1999] 2 R.C.S. iv
19
majoritaires ont conclu, à la p. 1003, qu'«. . . une interprétation de la Loi qui
encouragerait les employeurs à se conformer aux exigences minimales de celle-ci et qui
ferait ainsi bénéficier de sa protection le plus grand nombre d'employés possible est à
préférer à une interprétation qui n'a pas un tel effet».
25.
L'objet des dispositions relatives à l'indemnité de licenciement et à
l'indemnité de cessation d'emploi elles-mêmes repose de manière générale sur la
nécessité de protéger les employés. L'article 40 de la LNE oblige les employeurs à
donner à leurs employés un préavis de licenciement raisonnable en fonction des années
de service. L'une des fins principales de ce préavis est de donner aux employés la
possibilité de se préparer en cherchant un autre emploi. Il s'ensuit que l'al. 40(7)a), qui
prévoit une indemnité de licenciement tenant lieu de préavis lorsqu'un employeur n'a
pas donné le préavis requis par la loi, vise à protéger les employés des effets néfastes du
bouleversement économique que l'absence d'une possibilité de chercher un autre emploi
peut entraîner. (Innis Christie, Geoffrey England et Brent Cotter, Employment Law in
Canada (2e éd. 1993), aux pp. 572 à 581.)
26.
De même, l'art. 40a, qui prévoit l'indemnité de cessation d'emploi, vient
indemniser les employés ayant beaucoup d'années de service pour ces années investies
dans l'entreprise de l'employeur et pour les pertes spéciales qu'ils subissent lorsqu'ils
sont licenciés. Dans l'arrêt R. c. TNT Canada Inc. (1996), 27 O.R. (3d) 546, le juge
Robins a cité en les approuvant, aux pp. 556 et 557, les propos tenus par D. D. Carter
dans le cadre d'une décision rendue en matière de normes d'emploi dans Re Telegram
Publishing Co. c. Zwelling (1972), 1 L.A.C. (2d) 1 (Ont.), à la p. 19, où il a décrit ainsi
le rôle de l'indemnité de cessation d'emploi:
20
[TRADUCTION] L'indemnité de cessation d'emploi reconnaît qu'un employé
fait un investissement dans l'entreprise de son employeur -- l'importance de
cet investissement étant liée directement à la durée du service de l'employé.
Cet investissement est l'ancienneté que l'employé acquiert durant ses années
de service [. . .] À la fin de la relation entre l'employeur et l'employé, cet
investissement est perdu et l'employé doit recommencer à acquérir de
l'ancienneté dans un autre lieu de travail. L'indemnité de cessation
d'emploi, fondée sur les années de service, compense en quelque sorte cet
investissement perdu.
27.
À mon avis, les conséquences ou effets qui résultent de l'interprétation que
la Cour d'appel a donnée des art. 40 et 40a de la LNE ne sont compatibles ni avec l'objet
de la Loi ni avec l'objet des dispositions relatives à l'indemnité de licenciement et à
l'indemnité de cessation d'emploi elles-mêmes. Selon un principe bien établi en matière
d'interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes.
D'après Côté, op. cit., on qualifiera d'absurde une interprétation qui mène à des
conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable,
si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d'autres dispositions
ou avec l'objet du texte législatif (aux pp. 430 à 432). Sullivan partage cet avis en
faisant remarquer qu'on peut qualifier d'absurdes les interprétations qui vont à l'encontre
de la fin d'une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile (Sullivan, Construction of
Statutes, op. cit., à la p. 88).
28.
Le juge de première instance a noté à juste titre que, si les dispositions
relatives à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité de cessation d'emploi de la LNE
ne s'appliquent pas en cas de faillite, les employés qui auraient eu la «chance» d'être
congédiés la veille de la faillite auraient droit à ces indemnités, alors que ceux qui
perdraient leur emploi le jour où la faillite devient définitive n'y auraient pas droit.
À mon avis, l'absurdité de cette conséquence est particulièrement évidente dans les
milieux syndiqués où les mises à pied se font selon l'ancienneté. Plus un employé a de
l'ancienneté, plus il a investi dans l'entreprise de l'employeur et plus son droit à une
21
indemnité de licenciement et à une indemnité de cessation d'emploi est fondé. Pourtant,
c'est le personnel ayant le plus d'ancienneté qui risque de travailler jusqu'au moment de
la faillite et de perdre ainsi le droit d'obtenir ces indemnités.
29.
Si l'interprétation que la Cour d'appel a donnée des dispositions relatives à
l'indemnité de licenciement et de l'indemnité de cessation d'emploi est correcte, il serait
acceptable d'établir une distinction entre les employés en se fondant simplement sur la
date de leur congédiement. Il me semble qu'un tel résultat priverait arbitrairement
certains employés d'un moyen de faire face au bouleversement économique causé par
le chômage. De cette façon, les protections de la LNE seraient limitées plutôt que d'être
étendues, ce qui irait à l'encontre de l'objectif que voulait atteindre le législateur. À mon
avis, c'est un résultat déraisonnable.
30.
En plus des dispositions relatives à l'indemnité de licenciement et de
l'indemnité de cessation d'emploi, tant les appelants que l'intimée ont invoqué divers
autres articles de la LNE pour appuyer les arguments avancés au sujet de l'intention du
législateur. Selon moi, bien que la plupart de ces dispositions ne soient d'aucune utilité
en ce qui concerne l'interprétation, il est une disposition transitoire particulièrement
révélatrice. En 1981, le par. 2(1) de l'ESAA a introduit l'art. 40a, la disposition relative
à l'indemnité de cessation d'emploi. En application du par. 2(2), cette disposition entrait
en vigueur le 1er janvier 1981. Le paragraphe 2(3), la disposition transitoire en question,
était ainsi conçue:
[TRADUCTION]
2. . . .
(3)
L'article 40a de la loi ne s'applique pas à l'employeur qui a fait
faillite ou est devenu insolvable au sens de la Loi sur la faillite
(Canada) et dont les biens ont été distribués à ses créanciers ou
22
à l'employeur dont la proposition au sens de la Loi sur la faillite
(Canada) a été acceptée par ses créanciers pendant la période qui
commence le 1er janvier 1981 et se termine le jour précédant
immédiatement celui où la présente loi a reçu la sanction royale
inclusivement.
31.
La Cour d'appel a conclu qu'il n'était ni nécessaire ni approprié de
déterminer l'intention qu'avait le législateur en adoptant ce paragraphe provisoire.
Néanmoins, la cour a estimé que l'intention du législateur, telle qu'elle ressort des
premiers mots des art. 40 et 40a, était claire, à savoir que la cessation d'emploi résultant
de la faillite ne fera pas naître l'obligation de verser l'indemnité de cessation d'emploi
et l'indemnité de licenciement qui est prévue par la LNE. La cour a jugé que cette
intention restait inchangée à la suite de l'adoption de la disposition transitoire. Je ne
puis souscrire ni à l'une ni à l'autre de ces conclusions. En premier lieu, à mon avis,
l'examen de l'historique législatif pour déterminer l'intention du législateur est tout à fait
approprié et notre Cour y a eu souvent recours (voir, par ex., R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S.
469, à la p. 487; Paul c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 621, aux pp. 635, 653 et 660). En
second lieu, je crois que la disposition transitoire indique que le législateur voulait que
l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation
d'emploi prenne naissance lorsque l'employeur fait faillite.
32.
À mon avis, en raison de l'exemption accordée au par. 2(3) aux employeurs
qui ont fait faillite et ont perdu la maîtrise de leurs biens entre le moment où les
modifications sont entrées en vigueur et celui où elles ont reçu la sanction royale, il faut
nécessairement que les employeurs faisant faillite soient de fait assujettis à l'obligation
de verser une indemnité de cessation d'emploi. Selon moi, si tel n'était pas le cas, cette
disposition transitoire semblerait ne poursuivre aucune fin.
23
33.
Je m'appuie sur la décision rendue par le juge Saunders dans l'affaire Royal
Dressed Meats Inc., précitée. Après avoir examiné le par. 2(3) de l'ESAA, il fait
l'observation suivante (à la p. 89):
[TRADUCTION] . . . tout doute au sujet de l'intention du législateur ontarien
est dissipé, à mon avis, par la disposition transitoire qui introduit les
indemnités de cessation d'emploi dans la L.N.E. [. . .] Il me semble qu'il
faut conclure que le législateur voulait que l'obligation de verser des
indemnités de cessation d'emploi prenne naissance au moment de la faillite.
Selon moi, cette intention s'étend aux indemnités de licenciement qui sont
de nature analogue.
34.
Cette interprétation est également compatible avec les déclarations faites par
le ministre du Travail au moment de l'introduction des modifications apportées à la LNE
en 1981. Au sujet de la nouvelle disposition relative à l'indemnité de cessation
d'emploi, il a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Les circonstances entourant une fermeture régissent
l'applicabilité de la législation en matière d'indemnité de cessation d'emploi
dans certains cas précis. Par exemple, une société insolvable ou en faillite
sera encore tenue de verser l'indemnité de cessation d'emploi aux employés
dans la mesure où il y a des biens pour acquitter leurs réclamations.
. . .
. . . les mesures proposées en matière d'indemnité de cessation d'emploi
seront, comme je l'ai mentionné précédemment, rétroactives au 1er janvier
de cette année. Cette disposition rétroactive, toutefois, ne s'appliquera pas
en matière de faillite et d'insolvabilité dans les cas où les biens ont déjà été
distribués ou lorsqu'une entente est déjà intervenue au sujet de la
proposition des créanciers.
(Legislature of Ontario Debates, 1re sess., 32e Lég., 4 juin 1981, aux
pp. 1236 et 1237.)
De plus, au cours des débats parlementaires sur les modifications proposées, le ministre
a déclaré:
24
[TRADUCTION] En ce qui a trait à la rétroactivité, l'indemnité de
cessation d'emploi ne s'appliquera pas aux faillites régies par la Loi sur la
faillite lorsque les biens ont été distribués. Cependant, lorsque la présente
loi aura reçu la sanction royale, les employés visés par des fermetures
entraînées par des faillites seront visés par les dispositions relatives à
l'indemnité de cessation d'emploi.
(Legislature of Ontario Debates, 1re sess., 32e Lég., 16 juin 1981, à la
p. 1699.)
35.
Malgré les nombreuses lacunes de la preuve des débats parlementaires,
notre Cour a reconnu qu'elle peut jouer un rôle limité en matière d'interprétation
législative. S'exprimant au nom de la Cour dans l'arrêt R. c. Morgentaler, [1993] 3
R.C.S. 463, à la p. 484, le juge Sopinka a dit:
. . . jusqu'à récemment, les tribunaux ont hésité à admettre la preuve des
débats et des discours devant le corps législatif. [. . .] La principale critique
dont a été l'objet ce type de preuve a été qu'elle ne saurait représenter
«l'intention» de la législature, personne morale, mais c'est aussi vrai pour
d'autres formes de contexte d'adoption d'une loi. À la condition que le
tribunal n'oublie pas que la fiabilité et le poids des débats parlementaires
sont limités, il devrait les admettre comme étant pertinents quant au contexte
et quant à l'objet du texte législatif.
36.
Enfin, en ce qui concerne l'économie de la loi, puisque la LNE constitue un
mécanisme prévoyant des normes et des avantages minimaux pour protéger les intérêts
des employés, on peut la qualifier de loi conférant des avantages. À ce titre,
conformément à plusieurs arrêts de notre Cour, elle doit être interprétée de façon libérale
et généreuse. Tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur
du demandeur (voir, par ex., Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1
R.C.S. 2, à la p. 10; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, à la
p. 537). Il me semble que, en limitant cette analyse au sens ordinaire des art. 40 et 40a
de la LNE, la Cour d'appel a adopté une méthode trop restrictive qui n'est pas
compatible avec l'économie de la Loi.
25
37.
La Cour d'appel s'est fortement appuyée sur la décision rendue dans Malone
Lynch, précité. Dans cette affaire, le juge Houlden a conclu que l'art. 13, la disposition
relative aux mesures de licenciement collectif de l'ancienne ESA, R.S.O. 1970, ch. 147,
qui a été remplacée par l'art. 40 en cause dans le présent pourvoi, n'était pas applicable
lorsque la cessation d'emploi résultait de la faillite de l'employeur. Le paragraphe 13(2)
de l'ESA alors en vigueur prévoyait que, si un employeur voulait licencier 50 employés
ou plus, il devait donner un préavis de licenciement dont la durée était prévue par
règlement [TRADUCTION] «et les licenciements ne prenaient effet qu'à l'expiration de ce
délai». Le juge Houlden a conclu que la cessation d'emploi résultant de la faillite ne
pouvait entraîner l'application de la disposition relative à l'indemnité de licenciement
car les employés placés dans cette situation n'avaient pas reçu le préavis écrit requis par
la loi et ne pouvaient donc pas être considérés comme ayant été licenciés conformément
à la Loi.
38.
Deux ans après que la décision Malone Lynch eut été prononcée, les
dispositions relatives à l'indemnité de licenciement de l'ESA de 1970 ont été modifiées
par The Employment Standards Act, 1974, S.O. 1974, ch. 112. Dans la version modifiée
du par. 40(7) de l'ESA de 1974, il n'était plus nécessaire qu'un préavis soit donné avant
que le licenciement puisse produire ses effets. Cette disposition vient préciser que
l'indemnité de licenciement doit être versée lorsqu'un employeur omet de donner un
préavis de licenciement et qu'il y a cessation d'emploi, indépendamment du fait qu'un
préavis régulier ait été donné ou non. Il ne fait aucun doute selon moi que la décision
Malone Lynch portait sur des dispositions législatives très différentes de celles qui sont
applicables en l'espèce. Il me semble que la décision du juge Houlden a une portée
limitée, soit que les dispositions de l'ESA de 1970 ne s'appliquent pas à un employeur
en faillite. Pour cette raison, je ne reconnais à la décision Malone Lynch aucune valeur
26
persuasive qui puisse étayer les conclusions de la Cour d'appel. Je souligne que les
tribunaux dans Royal Dressed Meats, précité, et British Columbia (Director of
Employment Standards) c. Eland Distributors Ltd. (Trustee of) (1996), 40 C.B.R. (3d)
25 (C.S.C.-B.), ont refusé de se fonder sur Malone Lynch en invoquant des raisons
similaires.
39.
La Cour d'appel a également invoqué Re Kemp Products Ltd., précité, à
l'appui de la proposition selon laquelle, bien que la relation entre l'employeur et
l'employé se termine à la faillite de l'employeur, cela ne constitue pas un
«congédiement». Je note que ce litige n'est pas fondé sur les dispositions de la LNE.
Il portait plutôt sur l'interprétation du terme «congédiement» dans le cadre de ce que le
plaignant alléguait être un contrat de travail. J'estime donc que cette décision ne fait pas
autorité dans les circonstances de l'espèce. Pour les raisons exposées ci-dessus, je ne
puis accepter non plus que la Cour d'appel se fonde sur l'arrêt Mills-Hughes c. Raynor
(1988), 63 O.R. (2d) 343 (C.A.), qui citait la décision Malone Lynch, précitée, et
l'approuvait.
40.
Selon moi, l'examen des termes exprès des art. 40 et 40a de la LNE, replacés
dans leur contexte global, permet largement de conclure que les mots «l'employeur
licencie» doivent être interprétés de manière à inclure la cessation d'emploi résultant de
la faillite de l'employeur. Adoptant l'interprétation libérale et généreuse qui convient
aux lois conférant des avantages, j'estime que ces mots peuvent raisonnablement
recevoir cette interprétation (voir R. c. Z. (D.A.), [1992] 2 R.C.S. 1025). Je note
également que l'intention du législateur, qui ressort du par. 2(3) de l'ESAA, favorise
clairement cette interprétation. Au surplus, à mon avis, priver des employés du droit de
réclamer une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi en
application de la LNE lorsque la cessation d'emploi résulte de la faillite de leur
27
employeur serait aller à l'encontre des fins visées par les dispositions relatives à
l'indemnité de licenciement et à l'indemnité de cessation d'emploi et minerait l'objet de
la LNE, à savoir protéger les intérêts du plus grand nombre d'employés possible.
41.
À mon avis, les raisons qui motivent la cessation d'emploi n'ont aucun
rapport avec la capacité de l'employé congédié de faire face au bouleversement
économique soudain causé par le chômage. Comme tous les employés congédiés ont
également besoin des protections prévues par la LNE, toute distinction établie entre les
employés qui perdent leur emploi en raison de la faillite de leur employeur et ceux qui
ont été licenciés pour quelque autre raison serait arbitraire et inéquitable. De plus, je
pense qu'une telle interprétation irait à l'encontre des sens, intention et esprit véritables
de la LNE. Je conclus donc que la cessation d'emploi résultant de la faillite de
l'employeur donne effectivement naissance à une réclamation non garantie prouvable
en matière de faillite au sens de l'art. 121 de la LF en vue d'obtenir une indemnité de
licenciement et une indemnité de cessation d'emploi en conformité avec les art. 40 et 40a
de la LNE. En raison de cette conclusion, j'estime inutile d'examiner l'autre conclusion
tirée par le juge de première instance quant à l'applicabilité du par. 7(5) de la LNE.
42.
Je fais remarquer qu'après la faillite de Rizzo, les dispositions relatives à
l'indemnité de licenciement et à l'indemnité de cessation d'emploi de la LNE ont été
modifiées à nouveau. Les paragraphes 74(1) et 75(1) de la Loi de 1995 modifiant des
lois en ce qui concerne les relations de travail et l'emploi, L.O. 1995, ch. 1, ont apporté
des modifications à ces dispositions qui prévoient maintenant expressément que, lorsque
la cessation d'emploi résulte de l'effet de la loi à la suite de la faillite de l'employeur, ce
dernier est réputé avoir licencié ses employés. Cependant, comme l'art. 17 de la Loi
d'interprétation dispose que «[l]'abrogation ou la modification d'une loi n'est pas
réputée constituer ou impliquer une déclaration portant sur l'état antérieur du droit», je
28
précise que la modification apportée subséquemment à la loi n'a eu aucune incidence sur
la solution apportée au présent pourvoi.
6. Dispositif et dépens
43.
Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler le premier paragraphe de
l'ordonnance de la Cour d'appel. Je suis d'avis d'y substituer une ordonnance déclarant
que les anciens employés de Rizzo ont le droit de présenter des demandes d'indemnité
de licenciement (y compris la paie de vacances due) et d'indemnité de cessation
d'emploi en tant que créanciers ordinaires. Quant aux dépens, le ministère du Travail
n'ayant produit aucun élément de preuve concernant les efforts qu'il a faits pour
informer les employés de Rizzo ou obtenir leur consentement avant de se désister de sa
demande d'autorisation de pourvoi auprès de notre Cour en leur nom, je suis d'avis
d'ordonner que les dépens devant notre Cour soient payés aux appelants par le ministère
sur la base des frais entre parties. Je suis d'avis de ne pas modifier les ordonnances des
juridictions inférieures à l'égard des dépens.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs des appelants: Sack, Goldblatt, Mitchell, Toronto.
Procureurs de l'intimée: Minden, Gross, Grafstein & Greenstein, Toronto.
Procureur du ministère du Travail de la province d'Ontario, Direction des
normes d'emploi: Le procureur général de l'Ontario , Toronto.