C A N A D A

Province de Québec

Greffe de Québec

 

 

No:   200‑10‑000027‑883

 

 

     (200‑01‑001676‑877)

 

Cour d'appel

 

____________________________

 

 

Le 21 février 1990

 

 

 

CORAM :   Juges Paré, Tyndale et Proulx

 

 

____________________________

 

 

MICHEL PERRON, appelant,

 

 

c.

 

 

LA REINE, intimée

 

 

____________________________

 

 

 

   LA COUR, statuant sur le pourvoi de Michel Perron contre le verdict de culpabilité rendu par un jury le 26 novembre 1987, à Québec, à la suite d'un procès présidé par l'Honorable juge Gaston Desjardins, de la Cour supérieure, Chambre criminelle, district de Québec, sur l'accusation suivante:

 

  Le ou vers le 28 février 1987, à Sainte-Foy, district de Québec, a illégalement causé la mort de  Jennifer  Snow, commettant ainsi un meurtre au premier degré, acte criminel prévu à l'article 218(1) du Code criminel.

 

 Après audition, étude du dossier et délibéré;

 

 Pour les motifs exposés dans l'opinion écrite de Monsieur le juge Michel Proulx, déposée avec le présent arrêt, auxquels souscrivent Messieurs les juges Rodolphe Paré et William S. Tyndale;

 

 ACCEUILLE le pourvoi;

 

 CASSE le verdict;

 

 ORDONNE la tenue d'un nouveau procès. JJ.C.A.

 

 OPINION DU JUGE PROULX

 

  Michel Perron en appelle du verdict d'un jury qui, le 26 novembre 1987, le trouva coupable d'une accusation de meurtre au premier degré, qui se lit ainsi:

 

 Le ou vers le 28 février 1987, à Sainte-Foy, district de Québec,  a  illégalement causé la mort de Jennifer Snow, commettant ainsi un meurtre au premier degré, acte criminel prévu à l'article 218(1) du Code criminel.

 

 L'appel repose sur plusieurs moyens, mais comme certains de ces moyens portent sur une question fort importante pour la solution du litige, soit la confidentialité des communications entre un accusé et un psychiatre mandaté par l'avocat de l'accusé, je crois utile d'en traiter dès maintenant.

 

 Ces moyens peuvent ainsi se résumer:

 

 Le juge de première instance a erré:

 

  1.  en  autorisant  le  procureur  de  la  Couronne à contre-interroger l'accusé sur ses propos tenus au psychiatre Laplante, mandaté par l'avocat de l'accusé en vue de préparer sa défense;

 

  2. en ordonnant au psychiatre Laplante appelé par la Couronne en contre-preuve de révé1er les propos que lui a tenus l'accusé et de produire, comme pièce P-30, des écrits de l'accusé que ce dernier lui avait remis.

 

 LE CONTRE-INTERROGATOIRE DE L'APPELANT SUR SES PROPOS AVEC LE PSYCHIATRE LAPLANTE

 

 i) LE CONTEXTE

 

  Pour les fins de l'exposé qui suit, je souligne que l'enjeu véritable du procès était l'état mental de Perron au moment de la commission de l'acte qui causa la mort de Jennifer Snow. Sans aller jusqu'à une défense d'aliénation mentale, l'accusé plaidait essentiellement le "crime passionnel", niant ainsi toute intention spécifique de causer la mort de même que toute préméditation et propos délibéré: il recherchait un verdict de manslaughter ou d'homicide involontaire coupable.

 

 Perron témoigne pour sa défense mais quant aux circonstances qui ont précédé et entouré le drame ainsi qu'aux gestes qu'il a posés et qui ont causé la mort de sa victime, il déclare n'en avoir aucun souvenir.

 

 C'est à ce moment que le procureur de la Couronne entreprend de contre-interroger Perron sur certaines déclarations qu'il aurait faites au psychiatre Laplante au mois de mars 1987, après son arrestation. Manifestement, le procureur de la Couronne avait en mains des informations précises (1) sur ce qu'avait déclaré Perron au psychiatre Laplante.

 

 Dans son jugement, le juge situe comme suit la pertinence de ces questions: (2)

 

  Les faits dont on veut faire la preuve portent directement sur les circonstances du crime et l'état d'esprit qui animait l'accusé à ce moment précis. L'accusé s'apprête à faire une preuve de nature psychiatrique; cette défense a été annoncée. Elle porte sur l'intention criminelle de commettre le crime de meurtre.

 

 Il semble, selon la version donnée par l'accusé devant la Cour, qu'il ait oublié certaines des circonstances dans lesquelles le crime a été commis. Les détails fournis par l'accusé au psychiatre Laplante démontreraient qu'il s'en souvenait à ce moment-là.

 

  Ces faits portent donc sur l'un des éléments du crime, à savoir:  l'intention criminelle de commettre le crime de meurtre.

 

  (1) C'est ce qui s'infère de l'échange entre le juge et le procureur de la Couronne qui énumère les questions précises sur ce sujet qu'il entend poser à l'accusé - voir M.A., vol. VII, pp. 1370 et 1371.

 

 (2) M.A., vol. VII, p. 1421.

 

 L'avocat de la défense s'objecte à cet interrogatoire de l'accusé et suite à un long débat, (3) le juge de première instance rejette cette objection dans  un  jugement  fort élaboré (4) et autorise le Procureur de la Couronne à interroger l'accusé:

 

  ...sur les faits qu'il a rapportés au psychiatre Laplante et qui révèlent les circonstances dans lesquelles le crime a été commis et son implication dans ce crime. (5)

 

  Par la suite, le procureur de la Couronne se livre à un contre-interrogatoire très poussé sur ces communications entre l'accusé et le psychiatre. (6)

 

 (3) M.A., Vol. VII, pp. 1364 à 1417.

 

 (4) M.A., Vol. VII, pp. 1417 à 1421.

 

 (5) M.A., Vol. VII, p. 1421.

 

  (6) Voir M.A., vol. VII, pp. 1423 à 1440 et M.A., vol. VIII, pp. 1441 à 1460.

 

 Dans ce contexte, il faut donc constater que cette décision du juge d'ordonner à l'accusé de divulguer ce qu'il avait confié au psychiatre est vitale en ce qu'elle porte sur un fait essentiel en litige et, de plus, comme je le soulignerai plus loin, cette décision règle par voie de conséquence le sort de l'autre question qui se soulèvera en contre-preuve, soit l'obligation pour le psychiatre Laplante de divulguer ce que Perron lui a confié.

 

 ii) LE STATUT DU PSYCHIATRE LAPLANTE DANS LE PRESENT LITIGE

 

 Dans son jugement, le juge de première instance précise que "les services de ce psychiatre avaient été retenus par l'avocat de l'accusé et les entrevues se sont déroulées à sa demande. Ce psychiatre ne sera pas entendu en défense." (7)

 

 De fait, il est admis que dans les semaines qui ont suivi l'arrestation et l'inculpation de Perron, son avocat avait retenu les services du psychiatre de Perron au moment de la commission du délit.

 

 Laplante a subséquemment rencontré l'accusé en détention à cinq reprises entre le 5 mars et le 20 mars 1987.

 

 (7) M.A. p. 1417.

 

  Pour des motifs que la défense n'avait évidemment pas à faire valoir, elle a renoncé à faire témoigner ce psychiatre et a choisi plutôt de faire appel aux services d'un autre, soit le psychiatre Lapointe, qui fut subséquemment entendu en défense. Ce sera la Couronne qui convoquera Laplante en contre-preuve.

 

 iii) LA CONFIDENTIALITE DE LA COMMUNICATION ENTRE L'APPELANT ET LE PSYCHIATRE LAPLANTE

 

 Pour résoudre l'objection faite par la défense à la divulgation des propos tenus entre l'accusé et le psychiatre Laplante dans le contexte ci-haut décrit, il faut s'interroger sur la nature de la relation professionnelle qui s'est établie.

 

  Le juge de première instance, bien qu'invité par l'avocat de Perron à analyser la situation sous l'aspect de l'extension du mandat de l'avocat, (8) rejette l'objection en se référant à la proposition qu'"en matière crimine1le,  les  renseignements fournis à un médecin ne bénéficient pas du privilège du secret professionnel." (9)

 

 (9) M.a., vol. VII, p. 1405, lignes 2 à 17.

 

 A ce titre, il cite un arrêt de notre Cour, La Reine c. Potvin. (10) Potvin, inculpé de tentative de meurtre, plaidait aliénation mentale.

 

  Sans témoigner lui-même en défense, il fit entendre un psychiatre qui lui avait fait subir un examen en préparation du procès. Or, au cours du contre-interrogatoire, le juge de première instance avait accueilli une objection à ce que le psychiatre divulgue les renseignements obtenus de l'accusé au motif du secret professionnel.

 

  Notre Cour, sous la plume du Juge Roger Brossard, a conclu que dans les circonstances, la communication n'était pas protégée par  le secret professionnel et que le psychiatre devait divulguer les renseignements.

 

 (9) M.A., vol. VII, pp. 1417, 1418, 1419.

 

 (10) R. c. Potvin, (1971) 16 CRNS 273.

 

 Le juge de première instance s'est appuyé sur cet extrait de l'opinion du Juge Brossard:

 

  ... en matière criminelle, les renseignements fournis à un médecin ne bénéficient pas du privilège du secret professionnel dont ils bénéficient en vertu du droit civil. (11)

 

 (11) R. c. Potvin, précité, p. 238.

 

  Avec beaucoup d'égards, je crois que cet énoncé ne peut pas avoir la portée que le juge de première instance lui a donnée. Certes,  en  droit criminel, le seul secret professionnel jusqu'ici reconnu est celui qui touche les communications entre le client et son avocat et en ce sens, on ne peut pas contester que le secret professionnel entre le médecin et son patient n'est pas protégé. De là à soutenir de façon absolue que "tout renseignement fourni à un médecin en matière criminelle n'est pas  protégé",  est  ignorer  que  parfois  la  relation professionnelle avocat-client peut nécessiter une communication avec un médecin ou un autre professionnel et que cette dernière communication ne peut donc être perçue isolément de l'autre. En effet, ne doit-on pas considérer, comme dans le cas actuel, que le mandat donné au psychiatre par l'avocat aux fins de préparer la défense de l'accusé n'est qu'une extension du mandat de l'avocat et que, par conséquent, l'accusé doit pouvoir invoquer le droit à la confidentialité de ses communications avec ce psychiatre dans le cadre de la relation client-avocat ?

 

  Dans l'arrêt Descoteaux et al c. Mierzwinski, (12) M. le juge Lamer rappelait que "le droit à la confidentialité s'attache à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client-avocat" et "que tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d'obtenir un avis juridique et qui sont donnés en confidence à cette fin jouissent du privilège de confidentialité." (13)

 

  Quand un avocat requiert les services d'un expert afin de l'aider à mieux préparer sa défense, il agit dans les limites de son mandat.

 

 C'est l'intérêt du client qui commande à l'avocat de confier ainsi à un spécialiste le soin de procéder à une évaluation du cas et il va de soi que l'accusé doit pouvoir s'y soumettre dans le même climat de confiance et en toute confidentialité comme s'il communiquait avec son avocat.

 

 (12) (1982) 1 R.C.S. 860.

 

 (13) (1982) 1 R.C.S. 893.

 

  En outre, la présence de l'avocat ne saurait être exigée lorsque l'expert rencontre l'accusé: l'absence de l'avocat lui-même au moment de l'expertise n'a pas pour effet de situer la rencontre en dehors de la relation de confidence entre l'avocat et son client. D'ailleurs, ce ne serait pas pratique de poser  une  telle exigence et parfois la nature même de l'expertise ne rendrait pas souhaitable la présence de l'avocat.

 

 Dans la mesure où les entretiens entre l'accusé et l'expert se situent donc dans le cadre de la relation avocat-client, ils demeurent, à mon avis, confidentiels.

 

 Tant au Canada qu'en Angleterre, il est reconnu en premier lieu que le rapport remis par un médecin-expert à l'avocat est privilégié.

 

  Dans l'arrêt Foster c. Hoerle (14), M. le juge Zuber (alors qu'il était à la High Court), s'exprimait ainsi:

 

 The most serious argument advanced was that the medical reports were privileged documents in the hands of the registrar and could not be used by the plaintiffs. Documents which come into existence for the purpose of being communicated to a solicitor with the object of obtaining his advice or enabling him to either prosecute or defend an action are privileged documents in the hands of the registrar and could not be used by the plaintiffs. Documents which come into existence for the purpose of being communicated to a solicitor with the object of obtaining his advice or enabling him to either prosecute or defend an action are privileged (Wheeler v. Le Marchant (1881), 17 Ch. D. 675) and obviously a report by a doctor to a solicitor can come within this rule: Kelly et al v. Curphy, (1933) O.W.N. 181. I am prepared to assume that at some point the medical reports in the hands of the registrar were privileged.

 

 (14) (1973) 2 O.R. 601.

 

 Notre Cour, dans plusieurs arrêts, (15) a statué qu'un rapport préparé par un client à l'attention de son avocat ou encore, par un agent ou un employé de l'avocat ou du client et destiné à servir à la préparation de la cause, demeure privilégié ou confidentiel parce que se situant dans le cadre de la relation client-avocat. Ainsi, mon collègue le Juge Rothman énonçait-il avec clarté les paramètres de la discussion sur cette question:

 

 There is no doubt that a report prepared by a party for the use of his counsel in a lawsuit that is pending or anticipated is protected by professional privilege and its disclosure cannot be compelled. This is equally true whether the report is prepared by the party directly and remitted to his counsel or whether it is requested by an agent or employee of the party from another agent or employee of the party and later remitted to counsel. The Prévoyance case and the Feigleman case (supra) are clear authority for the proposition that it is the purpose of the report that determines its privileged character and not the identity of the person who requests it. (16)

 

  (15) La Prévoyance Cie d'Assurance c. Construction du Fleuve Ltée (1982) C.A. 532; Le Sous-ministre du Revenu c. Flava (1984) C.A. 639;

 

 Gerling Global Cie d'Assurance Générale et al c. Sanguinet Express  Inc.  et  al,  inédit,  14 février 1989, C.A.M. 500-09-001006-881.

 

 (16) Gerling Global (renvoi no 15), p. 5.

 

 La Division criminelle de la Cour d'Appel Anglaise précisait également que les communications confidentielles entre un avocat et  un expert sont protégées par le secret professionnel "avocat-client":

 

 Thn rule is that in the case of expert witnesses legal professional privilege attaches to confidential communications between the solicitor and the expert. (17)

 

 (17) R. c. King, (1983) 1 All ER 929, 931.

 

 Si les entretiens entre l'avocat et son expert et le rapport remis par ce dernier bénéficient de la confidentialité, je ne vois pas comment on ne devrait pas conclure que ce que l'accusé a confié à l'expert n'est pas également protégé.

 

  C'est la conclusion à laquelle en était d'ailleurs arrivée la Cour suprême de la Californie, siégeant in banco, sous la signature du Juge Traynor:

 

  It is no less the client's communication to the attorney when it is given by the client to an agent for transmission to the attorney, and it is immaterial whether the agent is the agent of the attorney, the client or both. (T)he client's freedom of communication requires a liberty of employing other means than his own personal action. The privilege of confidence would be a vain one unless its exercise could be thus delegated. A communication, then, by any form of agency employed or set in motion by the client is within the privilege.

 

 This of course includes communications through an interpreter, and also communications through a messenger or any other agent of transmission, as well as communications originating with the client's agent and made to the attorney. It follows, too, that the communications of the attorney's agent to the attorney are within the privilege, because the attorney's agent is also the client's sub-agent and is acting as such for the client.

 

 Thus, when communication by a client to his attorney regarding his physical or mental condition requires the assistance of a physician to interpret the client's condition to the attorney, the client may submit to an examination by the psysician without fear that the latter will be compelled to reveal the information disclosed. (18)

 

  (18) City & County of San Francisco c. Superior Cour, (1951) 231, P.2d, 26, p. 31.

 

 Quelques mois plus tard, la même Cour de la Californie était saisie d'un litige où les autorités de la prison où était détenue une accusée, refusaient à un psychiatre mandaté par ses avocats de rencontrer privément cette dernière afin de procéder à son examen.

 

 Accueillant une ordonnance enjoignant les autorités de faire droit à cette demande, la Cour énonçait les propositions suivantes:

 

 - A fundamental part of the constitutional right of an accused to be represented by counsel is that his attorney must be afforded reasonable opportunity to prepare for trial.

 

  - To make that right effective, counsel is obviously entitled to the aid of such expert assistance as he may need in determining the sanity of his client and in preparing the defense.

 

 - Adequate legal representation, of course, requires a full disclosure of the facts to counsel, and in order to assure that a client may safely reveal all the facts of his case to his attorney, the law has long recognized the need for secrecy with respect to communications between them.

 

 - The right of private consultation has been held to include interviews through an interpreter chosen by accused where the services of an interpreter are required.

 

 - This court has also held that where medical advice is reguired to interpret a client's condition to his attorney, the information discovered upon a private examination of the client by a physician employed by the attorney falls within the scope of the rule protecting communications between attorney and client.

 

  - Since the same general policy underlies both the right to consultation in private and the privilege against disclosure, it follows that where, as here, petitioner's attorney requires a psychiatrist's aid in interpreting her mental condition, she is entitled to have the psychiatrist examine her in private. (19)

 

 Plus récemment, un tribunal canadien (20) a conclu à la confidentialité, en matière criminelle, du rapport du psychiatre et des entretiens que l'accusé avait eus avec ce dernier dans le cadre de sa défense, en s'inspirant des jugements de la Californie que j'ai cités plus haut:

 

 I find the reasoning of Traynor J. in San Francisco, supra, to be logical and compelling, and I conclude that the communication between the accused and Dr. Orchard made by the accused in the course of obtaining his assessment for the assistance of defence counsel are privileged under the solicitor-client privilege available to the accused. (21)

 

 (19) Ex parte Ochse, (1951) 238 P.2d, 561.

 

  (20) R. c. C.K.L., (1987) Cour de District de l'Ontario, Juge Kerr, 62 C.R. (3d) 131.

 

 (21) Idem 17, pp. 135, 136.

 

 L'arrêt R. c. R.S. (22) que nous a cité la Couronne dans son mémoire ne vient aucunement faire obstacle aux conclusions qui précèdent. Il s'agissait, en effet, dans  cette  affaire, d'entrevues entre un accusé et un médecin qui eurent lieu avant le dépôt des plaintes criminelles et en dehors de toute relation avocat-client.

 

  En conclusion,  je  suis  d'avis  qu'en  l'espèce,  les communications entre Perron et le psychiatre Laplante demeurent tout autant confidentielles que les communications entre Perron et son avocat puisqu'elles se situent dans le cadre de la relation avocat-client.

 

  Si, dans l'arrêt Potvin de notre Cour que  j'ai  cité précédemment et sur lequel le juge de première instance s'est appuyé les communications ont dû être divulguées, ce n'est pas parce que ces communications n'étaient pas confidentielles au départ. La divulgation se justifiait en raison du principe que l'accusé, en citant comme témoin à sa défense son psychiatre dont l'opinion s'appuie du moins en partie sur ce que l'accusé lui a confié, renonce par le fait même au secret professionnel.

 

 (22) (1985) 19 CCC (3d) 115, C.A. Ont.

 

  La ratio decidendi de l'opinion du Juge Roger Brossard dans l'arrêt Potvin se retrouve plutôt dans ce passage:

 

 Le maintien de cette objection était, à mon avis, nettement erroné.

 

  L'objet de l'examen psychiatrique que faisait subir le médecin à l'accusé qui se trouvait alors sous le coup de l'accusation dont il s'agit ne pouvait être autre que celui d'établir, devant le tribunal, à la suite d'une enquête médicale, l'état psychique de son client au moment de la prétendue perpétration du crime, dans le but de justifier, dans l'intérêt du client, l'existence d'un état psychique susceptible de détruire l'existence de sa part d'un acte libre et intentionnel de sa volonté. Ayant jugé opportun d'appuyer son opinion en partie sur les renseignements à lui fournis par le client au cours de cette enquête et aux fins  susdites,  il  me paraîtrait contraire aux intérêts élémentaires de la justice que l'expert puisse à la fois appuyer son opinion sur ces renseignements pour ainsi dire clandestins et refuser de les divulguer au jury afin de permettre à celui-ci d'apprécier pleinement la valeur de l'opinion et des conclusions exprimées par l'expert. L'intimé n'ayant pas témoigné ne les a pas lui-même divulguées. (23)

 

 (23) R. c. Potvin, précité, p. 237.

 

 Dans le cas présent, quand Perron s'est fait entendre en défense, c'était à lui qu'il revenait de décider de garder ou non ses entretiens confidentiels. Il n'était pas plus tenu de divulguer ce qu'il avait déclaré au psychiatre Laplante que ce qu'il avait confié à son avocat.  Même s'il avait consulté plusieurs experts et choisi de n'en convoquer qu'un seul comme témoin, cela ne l'aurait pas obligé de dévoiler la teneur des entretiens avec les autres experts qui peuvent être tenus à un secret professionnel.

 

 Je conclus donc que le juge de première instance a erré en ordonnant à Perron de divulguer la teneur de ses entretiens avec le psychiatre Laplante.

 

 LE TEMOIGNAGE DU PSYCHIATRE LAPLANTE EN CONTRE-PREUVE

 

 i) LE CONTEXTE

 

  Suite au témoignage de Perron, la défense fait entendre le psychiatre Jean-Louis Lapointe.  La défense étant close, la Couronne  cite  comme  premier témoin en contre-preuve le psychiatre Laplante.

 

 Après avoir prêté serment, le psychiatre, visiblement gêné par la situation, s'adresse ainsi à la Cour: (24)

 

  Q. Est-ce que, avant de témoigner, docteur Laplante, vous auriez une demande à faire à la Cour ?

 

 R. Oui, s'il vous plaît.

 

 Si le tribunal pouvait me permettre une question avant de répondre aux questions du procureur...

 

 LA COUR

 

 Q. Oui.

 

  R. Etant donné que... que j'ai évalué monsieur Perron à la demande, à sa propre demande, via son procureur d'une part et que, d'autre part, cette demande d'évaluation a été faite dans le but de mieux préparer sa défense, c'est que je me sens en conséquence lié par le secret professionnel à cent pour cent (100 %) dans ce cas-là, je voudrais savoir si j'ai le droit de répondre aux questions, si monsieur Perron m'a pas...

 

  Q. Vous avez besoin d'une ordonnance de la Cour pour vous protéger.

 

 R. Est-ce que je pourrais avoir cette ordonnance ?

 

 Q. Vous l'avez.

 

 R. Je vous remercie.

 

  Q. Alors, notez au prcès-verbal que la Cour ordonne au docteur Bruno Laplante de témoigner sur ses entrevues, observations, conclusions, en rapport avec l'accusé Michel Perron.

 

 (24) M.A., vol. VIII, 18 novembre 1987, p. 11.

 

  Les parties reconnaissent que l'ordonnance du juqe était directement reliée au jugement qu'il avait antérieurement rendu lors du contre-interrogatoire de Perron quant à la question de la confidentialité et que dans les circonstances, il eut été inutile de plaider à nouveau les mêmes questions.

 

  Laplante témoigne sur ce que Perron lui a déclaré durant des entretiens qu'ils ont eus au centre de détention.  Au cours de l'interrogatoire, Laplante mentionne que Perron lui a remis des "billets sur lesquels il donnait chronologiquement ses activités dans les jours qui avaient précédé le drame". (25) Or, il semble qu'aucune des parties n'était au courant de l'existence de ces documents:

 

 Q. Est-ce que vous les avez conservés ces billets-là ?

 

 R. Oui, je les ai dans mon dossier.

 

 Q. Est-ce que vous les avez avec vous ?

 

 R. Oui.

 

 Q. Est-ce que vous pourriez les exhiber ?

 

 LA COUR

 

 Q. Montrez-les moi, s'il vous plaît ?

 

  Maître Lafleur, est-ce que vous avez une copie de ces documents ?

 

 Me DANIEL LAFLEUR, pour la défense:

 

 Non.

 

 LA COUR

 

 Alors, je vais vous les remettre au fur et à mesure que j'en aurai terminé pour vous permettre d'en prendre...

 

 Me ALAIN GAUMOND, pour la Couronne:

 

 Est-ce que je pourrai également les consulter, Votre Sei...

 

 LA COUR

 

 Pardon ?

 

 Me ALAIN GAUMOND, pour la Couronne:

 

 Est-ce que je pourrai également les consulter ?

 

 LA COUR

 

 Oui, oui.

 

 Bon, bien, alors, regardez-les ensemble.

 

 Me DANIEL LAFLEUR, pour la défense:

 

 Ah, parce que vous l'avez pas déjà fait ?

 

 Me ALAIN GAUMOND, pour la Couronne:

 

  C'est des informations confidentielles que je n'avais pas accès.

 

 Me DANIEL LAFLEUR, pour la défense:

 

 Bien sûr. (26)

 

 (25) M.A., vol. VIII, 18 novembre 1987, p. 31.

 

 (26) M.A., vol. VIII, 18 novembre 1987, pp. 32, 33.

 

 A la lecture du procès-verbal que j'ai consulté, je note que ces "notes manuscrites de l'accusé" ont été produites comme pièce P-30.

 

 Dans ses directives au jury, le juge de première instance en a fait la lecture intégrale. (27)

 

 Je ne crois pas utile d'insister pour conclure que cette preuve devenait évidemment primordiale pour la Couronne.

 

 En plus de témoigner sur ces faits, Laplante a présenté au jury les conclusions de son expertise quant à l'état mental de Perron.

 

 ii) A CONFIDENTIALITE DES COMMUNICATIONS VERBALES ET ECRITES ET DU RAPPORT

 

 Pour les motifs que j'ai exposés précédemment, j'en suis venu à la conclusion que les communications verbales et écrites entre Perron et Laplante de même que le rapport de ce dernier sont confidentiels et que le juge a erré également sur cette question

 

 (27) M.A., vol. XI, 24 novembre 1987, pp. 88 sq.

 

  iii) LA REMISE A LA COURONNE PAR L'AVOCAT DE LA DEFENSE DU RAPPORT DE LAPLANTE

 

  A l'audience, la Couronne a plaidé que  même  si  les communications et le rapport étaient confidentiels, il y a eu renonciation à la confidentialité par la remise au procureur de la Couronne du rapport du psychiatre Laplante que lui a consenti l'avocat de la défense au cours du procès, soit avant même le début de la preuve de la défense.

 

 Cet élément se complique par le fait que le dossier est tout à fait silencieux sur la remise du rapport et que ce n'est qu'à l'audience que notre Cour a obtenu certains éclaircissements à ce sujet.

 

  L'avocat de la défense nous a fait état d'un "consensus" entre les parties pour admettre que de fait, le rapport a été remis par l'avocat de la défense au procureur de la Couronne en spécifiant que "ce serait illégal de le mettre en preuve". A son tour, le procureur de la Couronne s'est empressé d'ajouter qu'il ne voyait pas en quoi cela l'empêchait de l'utiliser.

 

 Je reconnais que dans certains cas, la remise d'un rapport peut constituer une renonciation à la confidentialité non seulement du rapport mais également des communications. Il est loin d'être sûr cependant que le seul fait de la remise d'un rapport par l'avocat de la défense puisse constituer dans tous les cas une renonciation à la confidentialité. (28)

 

 A mon avis, une telle renonciation à un droit aussi fondamental doit être claire et faite en toute connaissance de cause. Il faut se rappeler que le droit au secret appartient au client et que le droit de renoncer est le sien par le fait même: (29)

 

  Since as we have seen, it is the client who is the holder of the privilege, the power to waive it is his, and he alone, or his attorney or agent acting with his authority, or his representative may exercise this power. Waiver includes, as Wigmore points out, not merely words or conduct expressing an intention to relinquish a known right, but conduct, such as a partial disclosure, which would make it unfair for the client to insist on the privilege thereafter.

 

  (28) Voir à ce sujet l'arrêt précité R. c. C.K.L., où précisément le juge a conclu que les explications données par la défense quant à la remise du rapport  par  l'avocat  le satisfaisaient qu'il n'y avait pas eu renonciation.

 

 (29) McCORMICK, On Evidence, 3e éd., p. 223.

 

 D'ailleurs, on peut se demander pourquoi l'avocat de la défense a ici remis à la Couronne un rapport aussi défavorable ? Et sans conditions ?

 

  Les seuls éléments que je possède sur les circonstances entourant la transmission du rapport, soit ceux qui nous ont été communiqués à l'audience, ne me permettent pas de conclure qu'il y a eu renonciation et par conséquent, je ne peux pas retenir cet argument de la Couronne.

 

  Cette question était véritablement du domaine du juge de première instance et, vu la conclusion à laquelle j'en arrive sur le tout, je laisse donc aux parties le soin de présenter au juge du procès toute la preuve pertinent pour décider s'il y a eu ou non renonciation.

 

 CONCLUSION

 

  Comme j'en arrive à la conclusion que le juge de première instance a erronément conclu à la divulgation d'éléments de preuve des plus préjudiciables et en violation du secret professionnel, je suis d'avis qu'un  nouveau  procès  est inévitable.   S'il y a lieu de se référer à l'article 686(1)b)iii) C.Cr., je précise que vu la nature de cette preuve, je ne peux évidemment conclure que le verdict aurait été nécessairement le même.

 

  Il ne m'apparaît donc pas nécessaire de traiter des autres moyens d'appel plaidés.

 

 Pour ces motifs, j'ordonnerais un nouveau procès. J.C.A.

 

 

INSTANCE-ANTÉRIEURE

 

 

(C.S. Québec 200-01-001676-877)