C A N A D A

Province de Québec

Greffe de Montréal

 

 

No:   500‑10‑000318‑889

 

 

     (500‑01‑001743‑851)

 

Cour d'appel

 

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Le 13 février 1989

 

 

 

CORAM :   Juges Bernier, Nichols et LeBel

 

 

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Richard

 

 

c.

 

 

R.

 

 

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   La Cour est saisie d'une requête de l'appelant Camil Richard, pour prolongation des délais d'appel, permission d'en appeler de sa condamnation et pour production d'une nouvelle preuve.

 

 Reconnu coupable le 8 novembre 1985, par un jury d'assises, présidé par l'honorable Pierre Côté de la Cour supérieure, du meurtre au second degré de son épouse Lorraine Roussy, il a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité avec une période minimum de dix années de détention.

 

 Selon sa requête, le 17 mars 1988, alors que Richard purgeait sa peine à l'Institut Archambault, à Ste-Anne des Plaines, un co-détenu, nommé Léo Sauvé, lui a fait livrer une  note manuscrite pour l'informer qu'il était le véritable auteur du meurtre. La requête relate que Sauvé a, par la suite, confirmé sa version à des avocats de l'Aide juridique à Montréal. Après plusieurs mois de démarche, son procureur actuel a consenti à s'occuper du dossier et à présenter la requête pour autorisation de pourvoi.

 

  Lors de la présentation de cette procédure, la Cour a ordonné de recueillir le témoignage de Léo Sauvé.  Le procureur de la Couronne l'a interrogé le 5 décembre 1988, devant un juge de notre Cour.   Son  avocat  a  posé  quelques  questions additionnelles.  La transcription a été déposée par la suite devant la Cour et les parties ont complété leur argumentation au sujet de la requête.

 

 La jurisprudence a défini depuis plusieurs années les règles régissant ce type de requête et l'admissibilité de la nouvelle preuve, qui  conditionne  le  sort  de  cette  procédure, particulièrement dans Palmer et Palmer c. La Reine, (1980) 1 R.C.S. 759, la Cour suprême retenait les quatre principes suivants:

 

  "1. On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles;

 

 2. La déposition doit être pertinente en ce sens qu'elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès;

 

 3. La déposition doit être plausible en ce sens qu'on puisse raisonnablement y ajouter foi;

 

  4. Elle doit être que, si on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat." (monsieur le juge McIntyre, p. 775) (voir aussi Stolar c. La Reine, (1988) 1 R.C.S. 480, p. 486, monsieur le juge McIntyre).

 

  La requête paraît rencontrer les première, deuxième et quatrième conditions d'admissibilité. La difficulté se situe au niveau de l'affaire de la troisième, c'est-à-dire de  la plausibilité de la preuve offerte.  L'on admettra volontiers, avec le procureur de l'appelant, qu'une Cour d'appel n'a pas à statuer définitivement sur la valeur de cette preuve, comme un jury d'assises ou le juge d'un procès. Il faut cependant que la Cour d'appel se penche sur le degré de plausibilité qu'elle présente et que la preuve offerte à une première analyse lui semble de nature à être crue éventuellement par un jury.

 

 Pour trancher le présent cas, le seul matériau dont disposait la Cour était la transcription elle-même, ainsi que la requête et les lettres de Sauvé. S'y sont ajoutés certains commentaires verbaux du procureur de la Couronne, que n'a pas contredits le procureur du requérant, sur les incompatibilités fondamentales entre certains éléments de l'interrogatoire de Sauvé et la longue  preuve  circonstancielle  présentée au procès. Par ailleurs, la preuve disponible ne révèle pas de collusion entre Richard et Sauvé. Celui-ci atteste qu'il a fait sa déclaration librement, sans aucune promesse et de sa propre initiative.  Il nous reste donc à évaluer la déclaration elle-même.

 

 Bien qu'une cour d'appel, à ce stade, n'ait pas à décider si la preuve est vraie ou fausse et qu'elle ne l'examine, en quelque sorte, que préliminairement, elle doit  cependant  évaluer sérieusement sa plausibilité. Dans l'intérêt même de la justice, l'on doit éviter de remettre en cause à la légère, des verdicts prononcés après débat contradictoire, présentation d'une longue preuve et délibération d'un jury. S'il importe d'éviter qu'un innocent ne soit indûment condamné, il faut aussi éviter de compromettre la stabilité et le sérieux de décisions judiciaires en rouvrant trop facilement des dossiers passés en force de chose jugée.  La Cour suprême avait signalé le danger dans l'affaire Palmer (loc.cit. p. 775) Il demeure toujours présent.

 

  Dans le présent cas, la lecture de la déclaration laisse nettement l'impression que la déclaration de Sauvé est une pure fabrication.  Le témoin Sauvé présente une description de la façon dont il a fait la connaissance de la victime, puis il a convenu de se rendre à sa nouvelle maison, l'y a tuée et comment il a, par la suite, disposé de son corps. Le trait le plus frappant de l'ensemble de son témoignage est son caractère extrêmement vague et flou, dans des éléments cruciaux. Ainsi, à partir du moment où il quitte Lachine pour se rendre à Côte Ste-Catherine, à la nouvelle maison de la victime, il est incapable de décrire son trajet. Il ne peut non plus donner une description de quelque précision de la maison où se déroule le meurtre.  La description de son trajet jusqu'au boisé de La prairie, où il aurait brûlé et enterré le corps, conserve le même caractère vague. Les réponses sont rédigées de telle façon qu'un autre témoin ne le contredirait pas puisqu'il affirme constamment son incapacité de se rappeler des détails concrets.

 

 De plus, sa version de sa prise de contact avec Lorraine Roussy, de sa visite sur les lieux, offre peu de vraisemblance. La même remarque s'impose lorsqu'il affirme avoir convenu d'exécuter des travaux dans sa nouvelle maison.  Il déclare avoir acheté un coffre à outils qui contenait seulement trois outils.  A première vue, ils ne présentaient pas d'utilité pour les travaux qu'il prétendait devoir exécuter.

 

 Ensuite, le procureur de la Couronne a souligné, à juste titre, l'incompatibilité complète de parties de l'interrogatoire de Sauvé avec des éléments de preuve présentés au procès. Sans relever ceux-ci, l'on reste frappé du fait que le requérant, lors de l'argumentation sur la requête, n'a pu, d'aucune façon, contester l'existence de  ces  contradictions  importantes. Celles-ci ne peuvent que renforcer la conviction que la preuve offerte n'est pas plausible.

 

 Dans l'ensemble, la preuve offerte n'a pas le caractère de plausibilité requis par la jurisprudence pour justifier la réception de la requête.

 

 POUR CES MOTIFS:

 

 La requête est rejetée. J.C.A.

 

 

INSTANCE-ANTÉRIEURE

 

 

(C.S. Montréal 500-01-001743-851)