r. c. whyte, [1988] 2 R.C.S. 3
Ronald James Whyte
Appelant
c.
Sa Majesté La Reine Intimée
et
Le procureur général du Canada
Intervenant
RÉPERTORIÉ: R. c. WHYTE
No du greffe: 18530.
1987: 15 octobre; 1988: 14 juillet.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer,
La Forest et L'Heureux-Dubé.
EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Présomption d'innocence --
Garde ou contrôle d'un véhicule à moteur avec facultés affaiblies -- La présomption
de garde ou de contrôle fondée sur l'occupation de la place du conducteur prévue à
* Le juge Estey n'a pas pris part au jugement.

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l'art. 237(1)a) du Code criminel viole-t-elle l'art. 11d) de la Charte canadienne des
droits et libertés? -- Dans l'affirmative, cette violation est-elle justifiable en vertu de
l'article premier de la Charte?
Droit criminel -- Garde ou contrôle d'un véhicule à moteur avec facultés
affaiblies -- Présomption d'innocence -- L'article 237(1)a) du Code criminel porte-t-il
atteinte à la présomption d'innocence garantie par l'art. 11d) de la Charte canadienne
des droits et libertés?
L'accusé a été inculpé d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à
moteur alors que ses facultés étaient affaiblies en contravention de l'art. 234 du Code
criminel. On l'a trouvé dans sa voiture alors qu'il occupait la place du conducteur, le
corps affaissé sur le volant. La voiture était stationnée le long de la route, le voyant du
contact allumé, la clé dans le contact, mais le moteur ne tournait pas. La défense a
admis que la capacité de l'accusé de conduire le véhicule était affaiblie par l'alcool. À
son procès, l'accusé a soutenu que la présomption légale prévue à l'al. 237(1)a) du
Code est incompatible avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés qui
garantit le droit d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable. L'alinéa
237(1)a) prévoit que dans toutes procédures en vertu de l'art. 234 ou 236, "lorsqu'il est
prouvé que le prévenu occupait la place ordinairement occupée par le conducteur d'un
véhicule à moteur, il est réputé avoir eu la garde ou le contrôle du véhicule, à moins
qu'il n'établisse qu'il n'avait pas pris place dans ou sur le véhicule afin de le mettre en
marche". Le juge du procès a rejeté l'argument. Il a conclu que, puisque l'al. 11d) de
la Charte utilisait les mêmes termes que l'al. 2f) de la Déclaration canadienne des
droits, le droit d'être présumé innocent devait être interprété de la même manière.
Appliquant l'arrêt de cette Cour R. c. Appleby, [1972] R.C.S. 303, le juge du procès a

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déclaré l'accusé coupable. Dans des motifs de jugement supplémentaires prononcés
sept mois plus tard, il a ajouté que, n'eût été la présomption énoncée à l'al. 237(1)a),
il aurait acquitté l'accusé. La déclaration de culpabilité a été confirmée par la Cour de
comté et par la Cour d'appel à la majorité.
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
Malgré la conclusion de l'arrêt Appleby selon laquelle l'al. 237(1)a) du
Code ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence énoncée à l'al. 2f) de la
Déclaration canadienne des droits, la question de la validité de l'al. 237(1)a) par
rapport à l'al. 11d) de la Charte reste entière. Bien que le même principe important soit
visé, c'est la nature des deux documents qui donne à la présomption d'innocence des
effets différents aux termes de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte.
De fait, un document constitutionnel est fondamentalement différent d'une loi. La
Charte a pour but d'enchâsser certains droits et libertés fondamentaux et de les
protéger contre toute atteinte législative. Une loi ordinaire doit se conformer aux
exigences constitutionnelles. Une interprétation de l'al. 11d) qui assujettirait la
présomption d'innocence à des exceptions législatives irait directement à l'encontre du
but général d'un document constitutionnel enchâssé.
La façon dont la Cour a qualifié l'effet juridique de la présomption prévue
à l'al. 237(1)a) dans l'arrêt Appleby continue d'être pertinente aux fins de la Charte. La
présomption impose à l'accusé le fardeau de démontrer selon la prépondérance des
probabilités qu'il n'est pas monté dans le véhicule avec l'intention de le mettre en
marche. Le verbe "établir" exige que l'accusé démontre le fait nécessaire selon la

- 4 -
prépondérance des probabilités et il ne peut être interprété comme équivalant à
l'expression "soulève un doute raisonnable".
La qualification exacte d'un facteur comme élément essentiel, facteur
accessoire, excuse ou moyen de défense ne devrait pas avoir d'effet sur l'analyse de la
présomption d'innocence. C'est l'effet final d'une disposition sur le verdict qui est
décisif. Si une disposition oblige un accusé à démontrer certains faits suivant la
prépondérance des probabilités pour éviter d'être déclaré coupable, elle viole la
présomption d'innocence parce qu'elle permet une déclaration de culpabilité malgré
l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la culpabilité
de l'accusé.
Une présomption légale porte atteinte à la présomption d'innocence si elle
oblige le juge des faits à prononcer une déclaration de culpabilité malgré l'existence
d'un doute raisonnable. La présomption légale ne sera constitutionnelle que si
l'existence du fait substitué entraîne inexorablement la conclusion que l'élément
essentiel existe sans aucune autre possibilité raisonnable. En l'espèce, l'al. 237(1)a)
crée une présomption qu'une personne qui occupe la place du conducteur dans un
véhicule en a la garde ou le contrôle, un des éléments de l'infraction prévue à l'art. 234.
Il est facile d'imaginer d'autres explications raisonnables au fait d'occuper la place du
conducteur. Étant donné que l'al. 237(1)a) exige que le juge des faits admette comme
fait établi que l'accusé avait la garde ou le contrôle d'un véhicule, malgré un doute
raisonnable au sujet de l'existence de cet élément, l'article porte atteinte à la
présomption d'innocence garantie par l'al. 11d) de la Charte.

- 5 -
La justification de l'al. 237(1)a) du Code peut être démontrée aux termes
de l'article premier de la Charte. L'objectif que vise à servir l'al. 237(1)a)--la
protection du public contre les conducteurs en état d'ébriété--est suffisamment
important pour justifier la suppression d'un droit garanti constitutionnellement.
Considérée dans son contexte législatif global, la disposition a un lien rationnel avec
l'objectif et constitue une réponse parlementaire mesurée à un problème social
pressant. En adoptant l'al. 237(1)a), le Parlement a fait un compromis: d'une part, il
suffit que le ministère public prouve un niveau minimal d'intention en raison du fait
que la consommation d'alcool constitue en elle-même un élément de l'infraction de
"garde ou contrôle"; d'autre part, lorsqu'un accusé peut démontrer qu'il avait un motif
pour monter dans le véhicule et pour occuper la place du conducteur autre que celui
de le conduire, il ne sera pas déclaré coupable. Il s'agit d'une tentative pour arriver à
équilibrer les dangers posés par une personne dont la capacité de raisonner est affaiblie
par l'alcool et le désir d'éviter les infractions de responsabilité absolue. Enfin, il y a
proportionnalité entre les effets de la mesure contestée sur le droit garanti et la
réalisation de l'objectif. La preuve en l'espèce a démontré la menace à la sécurité
publique que constitue l'alcool au volant, situation que cette Cour a reconnue dans
d'autres arrêts. Bien que l'al. 237(1)a) porte atteinte au droit que garantit l'al. 11d) de
la Charte, il le fait dans un contexte législatif où il est irréaliste d'exiger que le
ministère public démontre une intention de conduire.
Jurisprudence
Distinction d'avec l'arrêt: R. c. Appleby, [1972] R.C.S. 303; arrêts
appliqués: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, conf. (1983), 145 D.L.R. (3d) 123; R. c.
Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636; arrêts examinés: Dubois c. La Reine, [1985] 2

- 6 -
R.C.S. 350; R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914; arrêts mentionnés: R. c. Shelley,
[1981] 2 R.C.S. 196; Re Boyle and The Queen (1983), 5 C.C.C. (3d) 193; Latour v.
The King, [1951] R.C.S. 19; Tupper v. The Queen, [1967] R.C.S. 589; R. c. Proudlock,
[1979] 1 R.C.S. 525; Woolmington v. Director of Public Prosecutions, [1935] A.C.
462; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; Robertson and Rosetanni v. The
Queen, [1963] R.C.S. 651; R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613; Chromiak c. La Reine,
[1980] 1 R.C.S. 471; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486;
Duke c. La Reine, [1972] 2 R.C.S. 917; R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S.
1045; Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; Ford c. La Reine, [1982]
1 R.C.S. 231; R. c. Toews, [1985] 2 R.C.S. 119; Saunders v. The Queen, [1967] R.C.S.
284; Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621; R. c.
Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640; R. v. Higgins, [1929] 1 D.L.R. 269; R. v. Butler, [1939]
4 D.L.R. 592; R. v. Crowe (1941), 16 M.P.R. 101; R. v. Thomson, [1941] 1 D.L.R. 516;
R. v. Forbes, [1943] O.W.N. 96; R. v. Armstrong, [1944] 1 D.L.R. 233; R. v. Hyatt,
[1945] O.R. 629.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11c), d).
Code criminel, S.R.C. 1906, chap. 146, art. 285C [aj. 1921, chap. 25, art. 3; abr. &
rempl. 1925, chap. 38, art. 5].
Code criminel, S.R.C. 1927, chap. 36, art. 285(4) [abr. & rempl. 1930, chap. 11, art.
6].
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 234(1) [mod. 1974-75-76, chap. 93, art.
14], 236(1) [abr. & rempl. 1974-75-76, chap. 93, art. 17], 237(1)a) [abr. &
rempl. 1972, chap. 13, art. 17].
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [reproduite dans S.R.C. 1970,
app. III], art. 2f).
Loi de 1985 modifiant le droit pénal, S.C. 1985, chap. 19, art. 36.

- 7 -
Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1921, chap. 25, art. 3.
Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1925, chap. 38, art. 5.
Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1930, chap. 11, art. 6.
Doctrine citée
Débats de la Chambre des communes, 3e Sess., 20e Parl., 11 Geo. VI, 1947, vol. VI,
p. 5048.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique
(1983), 6 D.L.R. (4th) 263, 10 C.C.C. (3d) 277, 10 C.R.R. 344, 38 C.R. (3d) 24, 25
M.V.R. 22, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre le jugement du juge Cowan de la
Cour de comté (1983), 21 M.V.R. 69, qui a confirmé la déclaration de culpabilité de
l'accusé d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur alors que ses facultés
étaient affaiblies. Pourvoi rejeté.
1.
T. L. Robertson, c.r., et Brian Shaw, pour l'appelant.
2.
Dennis Murray, c.r., et Richard Isaac, pour l'intimée.
3.
Julius A. Isaac, c.r., et D. J. Avison, pour l'intervenant.
Version française du jugement de la Cour rendu par
4.
LE JUGE EN CHEF--Le paragraphe 234(1) du Code criminel, S.R.C.
1970, chap. C-34, prévoit qu'est coupable d'un acte criminel ou d'une infraction

- 8 -
punissable sur déclaration sommaire de culpabilité quiconque, à un moment où sa
capacité de conduire un véhicule à moteur est affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une
drogue, conduit un véhicule à moteur, en a la garde ou le contrôle, que ce véhicule soit
en mouvement ou non. L'alinéa 237(1)a) énonce ensuite la présomption suivante
contre l'accusé:
237. (1) Dans toutes procédures en vertu de
l'article 234 ou 236,
a) lorsqu'il est prouvé que le prévenu occupait la
place ordinairement occupée par le conducteur
d'un véhicule à moteur, il est réputé avoir eu la
garde ou le contrôle du véhicule, à moins qu'il
n'établisse qu'il n'avait pas pris place dans ou sur
le véhicule afin de le mettre en marche;
5.
La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si cette
disposition porte atteinte aux droits de l'accusé garanti par la Charte canadienne des
droits et libertés.
6.
Voici le texte de l'al. 11d) de la Charte:
11. Tout inculpé a le droit:
...
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas
déclaré coupable, conformément à la loi, par un
tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un
procès public et équitable;
7.
Voici le texte de l'art. 2 de la Déclaration canadienne des droits, S.C.
1960, chap. 44:

- 9 -
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du
Parlement du Canada ne déclare expressément
qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne
des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière
à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un
quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la
suppression, la diminution ou la transgression, et
en particulier, nulle loi du Canada ne doit
s'interpréter ni s'appliquer comme
...
f) privant une personne accusée d'un acte criminel
du droit à la présomption d'innocence jusqu'à ce
que la preuve de sa culpabilité ait été établie en
conformité de la loi, après une audition impartiale
et publique de sa cause par un tribunal
indépendant et non préjugé, ou la privant sans
juste cause du droit à un cautionnement
raisonnable;
L'autorisation de pourvoi demandée à cette Cour a été
refusée sur un certain nombre de points sauf en ce qui a
trait au moyen suivant sur lequel est fondée la dissidence
du juge Hutcheon de la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique:
[TRADUCTION] La Cour d'appel de la
Colombie-Britannique a-t-elle commis une erreur
de droit en concluant que la disposition contenue
dans l'al. 237(1)a) du Code criminel du Canada
portant inversion du fardeau de la preuve n'est pas
incompatible avec l'al. 11d) de la Charte des
droits et libertés est inopérante?

- 10 -
Par la suite, aux termes de l'art. 32 des Règles de la Cour suprême
du Canada, les questions constitutionnelles suivantes ont été
posées à cette Cour:
1. L'alinéa
237(1)a) du Code criminel du Canada,
S.R.C. 1970, chap. C-34, viole-t-il ou nie-t-il les
droits et libertés garantis par l'al. 11d) de la Charte
canadienne des droits et libertés?
2.
Si l'alinéa 237(1)a) du Code criminel viole ou nie
les droits et libertés garantis par l'al. 11d) de la
Charte, cet alinéa est-il justifié par l'article premier
de la Charte et n'est-il donc pas incompatible avec
la Loi constitutionnelle de 1982?
8.
Le procureur général du Canada est intervenu pour appuyer la
constitutionnalité de la disposition législative.
9.
Il convient de souligner que l'espèce a été débattue dans toutes les
cours en fonction du droit en vigueur avant les modifications apportées par la Loi de
1985 modifiant le droit pénal, S.C. 1985, chap. 19, art. 36.
I
Les faits
10.
Selon la preuve, les agents enquêteurs ont trouvé le véhicule de
l'appelant stationné au bord de la route, le capot encore chaud, le voyant du contact
allumé, les clés dans le contact, mais le moteur ne tournait pas. L'appelant occupait la
place du conducteur et son corps était affaissé sur le volant. L'avocat de la défense

- 11 -
admet que la capacité de l'appelant de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par
l'alcool lorsque la police l'a trouvé.
II
Décisions des tribunaux de la Colombie-Britannique
1. Cour provinciale
11.
L'accusé a subi son procès devant le juge Coultas de la Cour
provinciale le 10 septembre 1982: [1983] B.C.D. Crim. Conv. 5600-01. Il a soutenu
que la présomption énoncée à l'al. 237(1)a) violait les al. 11c) et d) de la Charte qui
garantissent le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même et le droit
d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable.
12.
Le juge Coultas a rejeté ces arguments. Il a conclu que, puisque l'al.
11d) de la Charte utilisait les mêmes termes que l'al. 2f) de la Déclaration canadienne
des droits, le droit d'être présumé innocent garanti par les deux textes devait être
interprété de la même manière. Le juge du procès a considéré qu'il était lié par l'arrêt
de cette Cour R. c. Appleby, [1972] R.C.S. 303. Le juge Ritchie y conclut au nom de
la majorité que le droit d'être présumé innocent est assujetti à des exceptions légales
et que la présomption de garde ou de contrôle fondée sur l'occupation de la place du
conducteur ne viole pas l'al. 2f) de la Déclaration canadienne des droits. Le juge du
procès s'est également fondé sur les motifs concordants du juge Laskin qui conclut
qu'un accusé peut perdre l'avantage initial du droit au silence après que le ministère
public a présenté des éléments de preuve relativement à certains faits. Il conclut que

- 12 -
l'al. 237(1)a) ne viole pas la présomption d'innocence. Le juge du procès a également
rejeté l'argument que l'article viole le droit de l'accusé de ne pas témoigner. Il a ensuite
déclaré l'accusé coupable. Dans des motifs de jugement supplémentaires prononcés
sept mois après la déclaration de culpabilité et peu avant l'audition de la Cour de
comté, le juge Coultas a déclaré que, n'eût été la présomption énoncée à l'al. 237(1)a),
qui n'a pas été réfutée, il aurait acquitté l'accusé.
2. Cour de comté
13.
L'accusé a interjeté appel contre sa déclaration de culpabilité: (1983),
21 M.V.R. 69. L'unique question examinée par le juge Cowan de la Cour de comté
était de savoir si l'al. 237(1)a) porte atteinte à la présomption d'innocence. Le juge
Cowan a dit en rejetant l'appel (à la p. 73):
[TRADUCTION] Le texte de l'al. 2f) de la
Déclaration canadienne des droits est
essentiellement identique à celui de l'al. 11d) de
la Charte à l'exception du remplacement des
termes "un acte criminel" à l'al. 2f) par le terme
"inculpé" à l'al. 11d) de la Charte.
Ainsi, je suis d'avis que l'arrêt de la Cour
suprême du Canada R. c. Appleby s'applique de
la même manière à la Charte et règle la question
qui m'a été posée.
3. Cour d'appel de la Colombie-Britannique
14.
L'accusé a interjeté appel de la décision de la Cour de comté à la Cour
d'appel: (1983), 6 D.L.R. (4th) 263, 10 C.C.C. (3d) 277, 10 C.R.R. 344, 38 C.R. (3d)
24, 25 M.V.R. 22. Dans des motifs distincts, les juges Taggart et Esson ont conclu qu'il

- 13 -
n'y avait aucune violation de l'al. 11d) et ont rejeté l'appel, tandis que le juge Hutcheon
est arrivé à la conclusion opposée. Il convient de souligner que l'arrêt de cette Cour R.
c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, n'avait pas été rendu quand la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique a statué en l'espèce.
15.
Le juge Taggart a examiné les deux arrêts de principe portant sur l'al.
2f) de la Déclaration canadienne des droits, Appleby, précité, et R. c. Shelley, [1981]
2 R.C.S. 196, ainsi que Re Boyle and The Queen (1983), 5 C.C.C. (3d) 193 (C.A.
Ont.), qui portait sur l'al. 11d). Il a conclu que le but de l'al. 2f) et de l'al. 11d) est de
protéger un accusé contre les dispositions législatives qui lui imposent de façon
arbitraire le fardeau ultime d'établir son innocence. Les facteurs qui doivent être
examinés pour décider si le fardeau ultime incombe à l'accusé comprennent le critère
du "lien rationnel", le critère de l'"impossibilité de faire la preuve", la nature du
fardeau qui incombe à l'accusé et le degré de preuve nécessaire pour s'en acquitter. En
examinant l'al. 237(1)a), le juge Taggart a souligné que, pour bénéficier de la
présomption que crée cet alinéa, le ministère public doit d'abord démontrer que
l'accusé occupait la place du conducteur et que ses facultés étaient affaiblies. De l'avis
du juge Taggart, la présomption de garde ou de contrôle découle d'une manière
rationnelle du fait présumé, l'occupation de la place du conducteur par l'accusé. Il a
conclu que l'exigence que l'accusé réfute le fait présumé selon la prépondérance des
probabilités n'impose pas la charge ultime de la preuve à l'accusé.
16.
Le juge Esson dans un court jugement concordant a souligné que les
textes de l'al. 11d) de la Charte et de l'al. 2f) de la Déclaration canadienne des droits
sont essentiellement les mêmes. Il a conclu que les tribunaux d'instance inférieure
doivent donner à la disposition de la Charte le sens qui avait été établi pour sa

- 14 -
contrepartie dans la Déclaration canadienne des droits, à moins que la nature
législative de cette dernière n'ait un effet sur la décision antérieure. À son avis, ce
n'était pas le cas dans l'arrêt Appleby, car cette Cour a statué que l'expression "en
conformité de la loi" à l'al. 2f) permet des exceptions légales.
17.
Dans ses motifs dissidents, le juge Hutcheon a soutenu que la
présomption d'innocence que prévoit la Charte est différente de celle de la Déclaration
canadienne des droits. Il a conclu que l'expression "conformément à la loi" à l'al. 11d)
de la Charte ne devrait pas être interprétée de manière à permettre des exceptions
légales, mais que ces exceptions devraient être justifiées aux termes de l'article premier
de la Charte. Le juge Hutcheon a adopté l'opinion exprimée par le juge Martin dans
l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. v. Oakes (1983), 145 D.L.R. (3d) 123, selon
lequel la présomption d'innocence exige que le ministère public démontre la culpabilité
de l'accusé et le fasse hors de tout doute raisonnable. S'il y a un doute raisonnable et
que le juge du procès soit tenu de prononcer une déclaration de culpabilité, il y a
violation de la présomption d'innocence. Le juge Hutcheon a conclu que l'al. 237(1)a)
porte atteinte à la présomption d'innocence mais, comme l'application de l'article
premier n'a pas été plaidée, il aurait demandé qu'on présente des arguments sur ce
point.
III
Présomption d'innocence
A. Déclaration canadienne des droits

- 15 -
18.
Comme je l'ai indiqué, les tribunaux de la Colombie-Britannique se
sont essentiellement fondés sur l'arrêt Appleby, précité, selon lequel l'al. 237(1)a)
(alors l'al. 224A(1)a)) n'était pas incompatible avec l'al. 2f) de la Déclaration
canadienne des droits.
19.
Le premier aspect de l'arrêt Appleby continue d'être pertinent en vertu
de la Charte, savoir, la qualification de l'effet juridique de la présomption énoncée à
l'al. 224A(1)a), maintenant l'al. 237(1)a). Le juge Ritchie a conclu que la présomption
impose à l'accusé le fardeau de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu'il
n'est pas monté dans le véhicule avec l'intention de le mettre en marche. Étant donné
que le juge Laskin a souscrit aux motifs du juge Ritchie sur ce point, cette Cour a
adopté à l'unanimité cette interprétation de la disposition.
20.
Le juge Ritchie est arrivé à cette conclusion pour deux motifs. D'abord,
il s'est fondé sur le verbe "établir" employé dans l'article. Il a conclu que, en matière
d'interprétation législative, le verbe "établir" exige que l'accusé démontre le fait
nécessaire selon la prépondérance des probabilités et qu'il ne peut être interprété
comme équivalant à l'expression "soulève un doute raisonnable". La signification des
verbes "établir" et "prouver" est bien définie en droit pénal. Ils exigent une preuve
convaincante, du moins selon la prépondérance des probabilités. Cette définition des
verbes "établir" et "prouver" avait été énoncée précédemment dans les arrêts Latour
v. The King, [1951] R.C.S. 19, et Tupper v. The Queen, [1967] R.C.S. 589. Le juge
Pigeon a confirmé cette définition dans l'arrêt majoritaire R. c. Proudlock, [1979] 1
R.C.S. 525.

- 16 -
21.
Le second motif donné par le juge Ritchie pour conclure que les
dispositions imposent un fardeau de la preuve à l'accusé est que, s'il n'en était pas
ainsi, l'article serait dénué de sens. La présomption a été ajoutée pour permettre au
ministère public de prouver la garde ou le contrôle en démontrant hors de tout doute
raisonnable que l'accusé occupait la place du conducteur. Si l'accusé peut réfuter la
présomption en soulevant simplement un doute raisonnable, alors le ministère public
est tenu de démontrer le fait de la garde ou du contrôle hors de tout doute raisonnable,
même si la loi présume que la garde ou le contrôle est démontré par la preuve hors de
tout doute raisonnable que l'accusé occupait la place du conducteur. C'est exactement
le même fardeau qui incomberait au ministère public si la présomption n'était pas
inscrite dans l'article. Une telle interprétation de l'article rendrait la présomption
inefficace et l'article dénué de sens.
22.
Le second aspect de l'arrêt Appleby porte que, même si l'al. 237(1)a)
inverse le fardeau de la preuve, il n'est pas incompatible avec l'al. 2f) de la Déclaration
canadienne des droits. Le juge Ritchie a fait remarquer, au nom de la majorité sur ce
point, que l'al. 2f) constitue une approbation législative du principe énoncé par le
vicomte Sankey, lord chancelier, dans l'arrêt Woolmington v. Director of Public
Prosecutions, [1935] A.C. 462, à la p. 481:
[TRADUCTION] Dans toute la toile du droit
criminel anglais se retrouve toujours un certain fil
d'or, soit le devoir de la poursuite de prouver la
culpabilité du prévenu, sous réserve de ce que j'ai
déjà dit à propos de la défense excipant de
l'aliénation mentale et sous réserve, également, de toute
exception créée par la loi. [Mis en italique par le juge
Ritchie.]
23.
Le juge Ritchie conclut ensuite de la manière suivante (à la p. 316):

- 17 -
...les termes «du droit à la présomption
d'innocence jusqu'à ce que la preuve de sa
culpabilité ait été établie en conformité de la
loi . . .» à l'art. 2f) de la Déclaration des droits, doivent
être interprétés comme envisageant une loi qui
reconnaît l'existence d'exceptions légales
déplaçant le fardeau de la preuve en ce qui
concerne un élément ou plus d'une infraction,
lorsque certains faits précis ont été prouvés par la
Couronne relativement à ces éléments.
24.
À mon avis, le raisonnement de la Cour dans l'arrêt Appleby a été
manifestement influencé par la mesure limitée dans laquelle, la Cour a estimé que la
Déclaration canadienne des droits pouvait prévaloir sur des mesures législatives par
ailleurs valides qui entraient en conflit avec ses termes. L'interprétation accordée à l'al.
2f) élimine effectivement l'obligation d'évaluer la validité de la dérogation législative
à la garantie de la présomption d'innocence. Il ressort clairement de la jurisprudence
que cette Cour peut réévaluer la signification des termes que la Charte a empruntés à
la Déclaration canadienne des droits: voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1
R.C.S. 295, aux pp. 333 et 334, renversant Robertson and Rosetanni v. The Queen,
[1963] R.C.S. 651, quant au sens de "liberté de religion"; R. c. Therens, [1985] 1
R.C.S. 613, aux pp. 639 et 640, renversant Chromiak c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 471,
quant au sens de "détention"; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S.
486, s'écartant de Duke c. La Reine, [1972] 2 R.C.S. 917, quant au sens de "justice
fondamentale"; R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045, adoptant l'opinion
de la minorité dans Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, plutôt que
celle de la majorité.
25.
Bien que les principes énoncés dans la Déclaration canadienne des
droits soient très importants (un grand nombre d'entre eux sont repris dans la Charte),

- 18 -
un document constitutionnel est fondamentalement différent d'une loi. La Charte a
pour but d'enchâsser certains droits et libertés fondamentaux et de les protéger contre
toute atteinte législative. Une loi ordinaire doit se conformer aux exigences
constitutionnelles. Une interprétation de l'al. 11d) qui assujettirait la présomption
d'innocence à des exceptions législatives irait directement à l'encontre du but général
d'un document constitutionnel enchâssé. Bien que le même principe important soit
visé, c'est la nature des deux documents qui donne à la présomption d'innocence des
effets différents aux termes de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte.
26.
Par conséquent, je conclus que, bien que l'arrêt Appleby ait conclu que
l'al. 237(1)a) ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence, la question de la
validité de l'al. 237(1)a) par rapport à l'al. 11d) de la Charte reste entière.
B. Principes généraux de la Charte
27.
La Cour suprême a examiné la présomption d'innocence que garantit
la Charte dans plusieurs arrêts récents: Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350; R.
c. Oakes, précité; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, et R. c. Holmes, [1988] 1
R.C.S. 914. Ces arrêts énoncent les principes fondamentaux de la présomption
d'innocence et ont commencé à étudier son application à des dispositions législatives
particulières. Il n'est pas nécessaire d'examiner ces arrêts d'une manière approfondie;
il suffira de les résumer.
28.
Dans l'arrêt Oakes, les juges de la majorité se sont fondés sur l'arrêt
antérieur dans l'affaire Dubois pour conclure que la présomption d'innocence comporte
au moins trois éléments. Premièrement, la culpabilité d'une personne doit être établie

- 19 -
hors de tout doute raisonnable. Deuxièmement, le fardeau de la preuve incombe au
ministère public. Troisièmement, les poursuites criminelles doivent se dérouler d'une
manière conforme aux procédures légales et à l'équité. (Oakes, précité, à la p. 121).
Comme le juge Lamer l'a dit au nom de la majorité dans l'arrêt Dubois, le ministère
public doit présenter sa preuve contre l'accusé avant que celui-ci n'ait besoin de
répondre (Dubois, à la p. 357). Appliquant ces principes à une disposition législative
qui exigeait que l'accusé réfute un élément essentiel de l'infraction, les juges de la
majorité ont conclu dans l'arrêt Oakes (aux pp. 132 et 133):
Je crois que, d'une manière générale, on doit
conclure qu'une disposition qui oblige un accusé
à démontrer selon la prépondérance des
probabilités l'inexistence d'un fait présumé qui
constitue un élément important de l'infraction en
question, porte atteinte à la présomption
d'innocence de l'al. 11d). S'il incombe à l'accusé
de réfuter selon la prépondérance des probabilités
un élément essentiel d'une infraction, une
déclaration de culpabilité pourrait être prononcée
en dépit de l'existence d'un doute raisonnable.
Cela se présenterait si l'accusé produisait une
preuve suffisante pour soulever un doute
raisonnable quant à sa culpabilité, mais ne
parvenait pas à convaincre le jury selon la
prépondérance des probabilités que le fait
présumé est inexact. [Je souligne.]
29.
Dans l'arrêt Vaillancourt, le juge Lamer, au nom de la majorité sur ce
point, a à nouveau examiné l'al. 11d). Il a confirmé que la présomption d'innocence
exige que le juge des faits soit convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence
de tous les éléments essentiels de l'infraction. Une disposition qui permet ou qui exige
une déclaration de culpabilité malgré un doute raisonnable quant à l'existence d'au
moins un des éléments de l'infraction porte atteinte à la présomption d'innocence. Le
juge Lamer reconnaît que le législateur peut dans certains cas permettre que la preuve

- 20 -
d'un fait substitué puisse servir de preuve d'un élément essentiel de l'infraction, mais
il y a des restrictions à la portée de telles substitutions (à la p. 656):
Enfin, au lieu d'éliminer simplement la
nécessité de faire la preuve d'un élément
essentiel, le législateur peut remplacer cela par la
preuve d'un élément différent. À mon sens, cela
ne sera constitutionnel que si après que l'on a
prouvé hors de tout doute raisonnable l'existence
de l'élément ainsi substitué, il serait déraisonnable
que le juge des faits ne soit pas convaincu hors de
tout doute raisonnable de l'existence de l'élément
essentiel. Si le juge des faits peut avoir un doute
raisonnable quant à l'élément essentiel malgré la
preuve hors de tout doute raisonnable qui a été
faite de l'existence de l'élément substitué, alors la
substitution contrevient à l'art. 7 et à l'al. 11d).
30.
L'étape suivante de l'élaboration de ces principes se trouve dans l'arrêt
Holmes où l'on cherchait à déterminer si imposer à l'accusé de démontrer l'existence
d'une excuse légitime, plutôt que de réfuter un élément essentiel de l'infraction, viole
la présomption d'innocence. Deux membres de la Cour ont conclu qu'une telle
exigence serait contraire à l'al. 11d) (à la p. 934):
Tout fardeau incombant à un accusé dont l'effet
est d'imposer une déclaration de culpabilité
malgré la présence d'un doute raisonnable, que ce
fardeau se rapporte à la preuve d'un élément
essentiel de l'infraction ou à un élément
extrinsèque à l'infraction mais néanmoins
essentiel au verdict, enfreint l'al. 11d) de la Charte.
L'accusé ne doit pas être placé dans une position
où il est tenu de faire plus que soulever un doute
raisonnable quant à sa culpabilité, peu importe
que ce doute découle d'une incertitude relative à
la suffisance de la preuve à charge à l'appui des
éléments constitutifs de l'infraction ou d'une
incertitude quant à la culpabilité criminelle en
général.
C. L'alinéa 237(1)a) et la Charte

- 21 -
31.
L'alinéa 237(1)a) est-il conforme à ces principes? Fondamentalement,
pour invoquer l'article, le ministère public doit démontrer que l'accusé occupait la
place normalement occupée par le conducteur du véhicule à moteur. Le fait présumé
est que l'accusé avait la garde ou le contrôle du véhicule. Pour réfuter cette
présomption, l'accusé doit "établir" qu'il n'avait pas l'intention de mettre le véhicule
en marche. Comme je l'ai déjà indiqué, il ressort clairement de l'arrêt Appleby, précité,
et d'autres arrêts de cette Cour que le verbe "établir" exige que l'accusé démontre une
absence d'intention suivant la prépondérance des probabilités.
32.
Le rapport exact qui existe entre l'al. 237(1)a) et l'exigence de l'art.
234 quant à la mens rea suscite des incertitudes depuis longtemps. L'intention de
mettre en marche le véhicule à moteur est-elle un élément de l'infraction de garde ou
de contrôle avec facultés affaiblies ou l'absence d'une telle intention permet-elle
simplement à l'accusé de réfuter la présomption de garde ou de contrôle? Cette Cour
a réglé la question dans l'arrêt Ford c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 231, lorsque le juge
Ritchie a conclu au nom de la majorité que l'intention de mettre un véhicule en marche
ne constitue pas un élément de l'infraction. La preuve de l'absence d'intention est
simplement une question de présentation de preuve qui réfute la présomption de garde
ou de contrôle du véhicule établie à l'al. 237(1)a). La Cour a récemment confirmé
l'arrêt Ford dans l'arrêt R. c. Toews, [1985] 2 R.C.S. 119.
33.
En l'espèce, le procureur général du Canada a soutenu que, comme
l'intention de mettre le véhicule en marche ne constitue pas un élément de l'infraction,
l'al. 237(1)a) ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence. À l'appui de cet
argument, l'avocat invoque le passage de l'arrêt Oakes déjà cité qui fait mention d'un
"élément essentiel". L'accusé en l'espèce est tenu de réfuter un fait accessoire à

- 22 -
l'infraction principale, contrairement à l'affaire Oakes dans laquelle l'accusé était tenu
de réfuter un élément de l'infraction.
34.
La réponse simple à cet argument est que la distinction entre les
éléments de l'infraction et d'autres aspects de l'accusation n'est pas pertinente quand
l'examen se fonde sur l'al. 11d). La préoccupation véritable n'est pas de savoir si
l'accusé doit réfuter un élément ou démontrer une excuse, mais qu'un accusé peut être
déclaré coupable alors que subsiste un doute raisonnable. Lorsque cette possibilité
existe, il y a violation de la présomption d'innocence.
35.
La qualification exacte d'un facteur comme élément essentiel, facteur
accessoire, excuse ou moyen de défense ne devrait pas avoir d'effet sur l'analyse de la
présomption d'innocence. C'est l'effet final d'une disposition sur le verdict qui est
décisif. Si une disposition oblige un accusé à démontrer certains faits suivant la
prépondérance des probabilités pour éviter d'être déclaré coupable, elle viole la
présomption d'innocence parce qu'elle permet une déclaration de culpabilité malgré
l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la culpabilité
de l'accusé. Un procès en matière criminelle ne peut être divisé en étapes bien définies
de sorte que le fardeau de la preuve incombe à l'accusé à une étape intermédiaire et le
fardeau ultime au ministère public. L'alinéa 237(1)a) exige que l'accusé démontre une
absence d'intention suivant la prépondérance des probabilités. Si un accusé ne le fait
pas, la loi oblige le juge des faits à reconnaître que l'accusé avait la garde ou le
contrôle et à le déclarer coupable. Mais évidemment, il n'en découle pas que le juge
des faits est convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait la garde ou le
contrôle du véhicule. En fait, en l'espèce, comme dans l'arrêt Appleby, le juge des faits

- 23 -
a dit qu'il avait déclaré l'accusé coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable
quant à la garde ou au contrôle, un élément de l'infraction.
36.
Dans le passage de l'arrêt Vaillancourt cité précédemment, le juge
Lamer reconnaît que, dans certains cas, substituer la preuve d'un élément à la preuve
d'un élément essentiel ne portera pas atteinte à la présomption d'innocence si, après
qu'on a prouvé l'existence de l'élément substitué, il était déraisonnable que le juge des
faits ne soit pas convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence de l'élément
essentiel. Il s'agit d'une autre façon de dire que la présomption légale porte atteinte à
la présomption d'innocence si elle oblige le juge des faits à prononcer une déclaration
de culpabilité malgré l'existence d'un doute raisonnable. La présomption légale ne sera
constitutionnelle que si l'existence du fait substitué entraîne inexorablement la
conclusion que l'élément essentiel existe, sans aucune autre possibilité raisonnable.
37.
La présomption énoncée à l'al. 237(1)a) ne possède pas ce caractère
inexorable comme le reconnaît l'article lui-même. Une personne peut occuper la place
du conducteur sans avoir l'intention d'assumer la garde ou le contrôle du véhicule au
sens de l'art. 234. L'arrêt Appleby fournit un exemple: l'accusé dans cette affaire a
expliqué qu'il s'était assis à la place du conducteur d'un taxi dans le seul but d'utiliser
la radio afin de signaler un accident. L'accusé n'a pas réussi à convaincre le juge du
procès suivant la prépondérance des probabilités, mais le juge a admis que
l'explication suscitait chez lui un doute raisonnable. Il est facile d'imaginer d'autres
explications raisonnables au fait d'occuper la place du conducteur. On ne peut dire que
la preuve de l'occupation de la place du conducteur entraîne inexorablement la
conclusion que l'élément essentiel de la garde ou du contrôle existe et, par conséquent,

- 24 -
l'al. 237(1)a) ne satisfait pas aux critères énoncés par le juge Lamer dans l'arrêt
Vaillancourt.
38.
L'alinéa 237(1)a) exige que le juge des faits admette comme fait établi
que l'accusé avait la garde ou le contrôle d'un véhicule, un élément essentiel de
l'infraction, malgré un doute raisonnable au sujet de l'existence de cet élément. Par
conséquent, l'article porte atteinte à la présomption d'innocence garantie par l'al. 11d)
de la Charte.
IV
L'article premier de la Charte
39.
L'intimée et le procureur général du Canada soutiennent que, même
si l'al. 237(1)a) porte atteinte à la présomption d'innocence, la violation est
sauvegardée par l'article premier de la Charte:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne
peuvent être restreints que par une règle de droit,
dans des limites qui soient raisonnables et dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique.
Pour trancher ce point, il est nécessaire de recourir à
l'analyse de l'article premier énoncée par la Cour à la
majorité dans l'arrêt Oakes. Il y a deux critères importants.
En premier lieu, l'objectif que vise à servir la mesure qui
apporte une restriction à un droit ou à une liberté doit être

- 25 -
suffisamment important pour justifier la suppression d'un
droit ou d'une liberté garantis par la Constitution (Oakes,
précité, à la p. 138). En deuxième lieu, pour démontrer
que les mesures sont raisonnables et que leur justification
peut se démontrer, il faut une analyse de la
proportionnalité des mesures (Oakes, précité, à la p. 139).
Le critère de proportionnalité comporte trois éléments: les
mesures doivent être soigneusement conçues pour
atteindre l'objectif du texte législatif et avoir un lien
rationnel avec l'objectif. Deuxièmement, la mesure doit
porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté.
Enfin, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des
mesures contestées sur le droit garanti et la réalisation de
l'objectif.
40.
Le ministère public intimé et le procureur général du Canada ont
soutenu avec vigueur que l'objectif de l'al. 237(1)a) est suffisamment important pour
justifier la suppression d'un droit garanti par la Charte. Cet article, de même que les
articles connexes concernant l'utilisation ou le contrôle d'un véhicule à moteur à un
moment où la capacité de conduire est affaiblie par l'effet de l'alcool ou lorsque le taux
d'alcoolémie excède certaines limites, constitue une réponse à un problème social
important. L'avocat de l'intimée a présenté une preuve par affidavit soulignant le
nombre de personnes accusées chaque année de ces infractions, le nombre d'accidents
mortels et de blessures causés par des conducteurs dont les facultés sont affaiblies, le
nombre d'accidents dans lesquels l'alcool est un facteur et ce qu'il en coûte au public
du fait des assurances, des soins hospitaliers et du système judiciaire. Le substitut du

- 26 -
procureur général a référé à la Cour aux débats de la Chambre des communes de 1947
lors du dépôt de l'article qui est à l'origine de l'al. 237(1)a) et également aux débats sur
les modifications de 1985. On a également mentionné à la Cour ses propres arrêts
Saunders v. The Queen, [1967] R.C.S. 284, et Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889,
dans lesquels elle a reconnu la gravité des problèmes causés par les conducteurs avec
facultés affaiblies. Il convient également de mentionner les arrêts récents de cette Cour
R. v. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, et R. v. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640.
41.
Il n'est pas nécessaire d'examiner ces arguments en détail étant donné
que l'appelant admet que l'objectif de l'al. 237(1)a) est suffisamment important pour
justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution. Toutefois, il a souligné
que l'al. 237(1)a) est destiné à aider le ministère public à prouver l'infraction de garde
ou de contrôle d'un véhicule à moteur avec facultés affaiblies, lorsqu'il y a un risque
que l'occupant mette le véhicule en marche. La présomption ne s'attaque pas au
problème plus répandu de ceux qui, en fait, conduisent le véhicule alors que leur
capacité de le faire est affaiblie.
42.
Compte tenu des arguments présentés par l'intimée et par le procureur
général et de l'admission de l'appelant, je conviens que l'al. 237(1)a) vise un objectif
valide et qu'il satisfait au premier critère établi dans l'arrêt Oakes.
43.
Le premier élément de l'examen de la proportionnalité est que la
disposition doit être rédigée soigneusement et avoir un lien rationnel avec l'objectif.
L'alinéa 237(1)a) crée une présomption selon laquelle la personne qui occupe la place
du conducteur d'un véhicule en a la garde ou le contrôle, un des éléments des
infractions créées par les art. 234 et 236. À mon avis, il y a manifestement un lien

- 27 -
rationnel entre le fait démontré et le fait présumé. Il y a toutes les raisons de croire que
la personne qui occupe la place du conducteur a la garde ou le contrôle du véhicule.
La place du conducteur est conçue pour permettre à son occupant d'avoir accès à tous
les contrôles de l'automobile pour être en mesure de la faire fonctionner. Il est vrai
qu'une personne peut prendre place à bord d'un véhicule sans en avoir la garde ou le
contrôle, mais une personne dans cet état d'esprit occupera vraisemblablement la place
du passager plutôt que celle du conducteur. À mon avis, le rapport qui existe entre le
fait démontré et le fait présumé aux termes de l'al. 237(1)a) est direct et évident en soi,
contrairement à celui qu'examinait la Cour dans l'arrêt Oakes. Étant donné que l'al.
237(1)a) est conçu pour atteindre l'objectif identifié et n'est ni arbitraire, ni
inéquitable, ni fondé sur des considérations irrationnelles, il satisfait cette étape du
critère de proportionnalité.
44.
À l'étape suivante de l'examen de la proportionnalité, il faut se
demander si la mesure contestée est de nature à porter le moins possible atteinte au
droit ou à la liberté. En ce qui a trait à l'al. 237(1)a), il s'agit de l'aspect le plus
important et le plus utile de l'analyse aux fins de l'article premier. À mon avis, nous
devons reconnaître que la définition des infractions en matière d'alcool au volant
constitue une tâche difficile pour le législateur. Le fait même que la consommation
d'alcool constitue un élément de ces infractions soulève un problème en ce qui a trait
à l'élément de l'intention. La justice empêche qu'on se fie indûment à la responsabilité
stricte ou absolue. La protection de la société empêche qu'on mette indûment l'accent
sur l'élément moral de ces infractions. Le législateur a décidé de définir l'infraction en
fonction de "la garde ou du contrôle". Comme je l'ai déjà mentionné, cette Cour a
conclu que le ministère public n'a pas besoin de démontrer que l'accusé avait
l'intention de conduire ni de mettre le véhicule en marche pour entraîner une

- 28 -
déclaration de culpabilité en matière de "garde ou contrôle". L'exigence de la mens rea
pour l'infraction de garde ou de contrôle est minimale et on n'a pas soutenu en l'espèce
que cela constitue une dérogation aux exigences de l'art. 7 ou de l'al. 11d) de la Charte.
45.
La législation criminelle relative à l'utilisation d'un véhicule à moteur
avec facultés affaiblies remonte à environ soixante-sept ans avec la Loi modifiant le
Code criminel, S.C. 1921, chap. 25, art. 3, qui ajoutait l'art. 285C au Code criminel,
S.R.C. 1906, chap. 146. En vertu de la nouvelle disposition, conduire en état d'ébriété
un véhicule à moteur devenait une infraction. Quatre ans plus tard, le législateur
modifie l'art. 285C pour faire une infraction de la garde ou du contrôle d'un véhicule
à moteur avec facultés affaiblies, que celui-ci ait ou non été mis en marche (Loi
modifiant le Code criminel, S.C. 1925, chap. 38, art. 5). Cette disposition a été reprise
dans le par. 285(4) du Code criminel, S.R.C. 1927, chap. 36. Elle a été abrogée et
édictée de nouveau substantiellement sous la même forme par la Loi modifiant le Code
criminel, S.C. 1930, chap. 11, art. 6.
46.
L'adjonction au Code en 1925 de l'infraction de garde ou de contrôle
a causé une certaine incertitude. Certains juges ont dit que l'expression avait une
portée inhabituellement large et que son interprétation littérale pouvait entraîner la
responsabilité criminelle du propriétaire d'un véhicule en état d'ébriété dans sa maison
avec les clés de contact dans sa poche. Finalement, les tribunaux ont conclu que
l'expression devait être interprétée de façon plus restrictive de manière à viser une
personne qui était susceptible de mettre le véhicule en marche sur-le-champ. Voir les
affaires R. v. Higgins, [1929] 1 D.L.R. 269 (C.S. Ont.), R. v. Butler, [1939] 4 D.L.R.
592 (C.S. Alb. Div. app.), R. v. Crowe (1941), 16 M.P.R. 101 (C.S.N.-É. in banco), R.
v. Thomson, [1941] 1 D.L.R. 516 (C.S.N.-B. Div. app.), R. v. Forbes, [1943] O.W.N.

- 29 -
96 (C. cté Ont.), R. v. Armstrong, [1944] 1 D.L.R. 233 (C. cté Ont.), et R. v. Hyatt,
[1945] O.R. 629 (H.C. Ont.)
47.
Le fait que l'accusé était souvent en état d'ébriété avancé causait des
problèmes. Dans l'affaire Butler, précitée, l'accusé a été trouvé endormi et en état
d'ébriété au volant d'une automobile. Le juge en chef Harvey au nom de la Division
d'appel de l'Alberta a conclu que l'ivresse a un effet sur la capacité d'une personne
d'avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule. Étant donné que l'accusé n'était pas
conscient lorsqu'on l'a trouvé, il était incapable d'exercer la garde ou le contrôle et a
été acquitté. Le juge Ford a souscrit quant au résultat, mais a soutenu que dans certains
cas une personne pourrait avoir la garde ou le contrôle malgré son état d'impuissance.
Dans l'affaire Forbes, précitée, l'accusé a été trouvé affaissé sur le volant, alors que les
clés étaient dans le contact. Il a déposé qu'il n'avait pas eu l'intention de faire démarrer
la voiture. La Cour de comté de l'Ontario a accueilli son appel pour le motif que,
puisque l'accusé n'avait pas la capacité physique ou mentale de mettre la voiture en
marche, il n'en avait pas la garde ou le contrôle. Le juge a reconnu que le résultat
donnait une prime à l'état d'ébriété, mais il s'est senti obligé de rendre un verdict
d'acquittement étant donné que la preuve démontrait que l'accusé était incapable de
mettre l'automobile en marche. De même, dans l'affaire Armstrong, précitée, la Cour
de comté de l'Ontario a conclu que l'accusé devait savoir qu'il avait la garde ou le
contrôle du véhicule. Étant donné qu'il se trouvait dans un état d'hébétude due à
l'ivresse et occupait la place du conducteur, le juge a conclu qu'il y avait un doute
raisonnable quant à savoir si l'accusé savait qu'il avait la garde ou le contrôle du
véhicule. L'accusé a été acquitté.

- 30 -
48.
Les affaires Crowe et Hyatt, précitées, vont complètement dans le sens
contraire. Dans les deux cas, l'accusé a été trouvé affaissé sur le volant, en état
d'ébriété, avec les clés dans le contact. La Haute Cour de l'Ontario et la Cour suprême
de la Nouvelle-Écosse in banco ont conclu que l'infraction de garde ou de contrôle
avec facultés affaiblies d'un véhicule à moteur était une infraction de responsabilité
absolue, destinée à protéger le public contre une conduite qui comportait des risques
graves. Les deux tribunaux se sont fondés sur l'absence des termes "volontairement"
ou "avec l'intention" dans le texte du par. 285(4) pour conclure qu'il n'y avait
absolument aucun élément moral. La culpabilité découle de la preuve que la personne
était en état d'ébriété et était dans une position qui lui permettait de mettre le véhicule
en marche.
49.
En 1947, le Parlement a adopté la présomption qui se trouve
maintenant dans l'al. 237(1)a), à titre de réserve au par. 285(4). Au moment de son
dépôt, on a dit qu'elle avait pour but de clarifier le contenu de l'infraction et de faire
en sorte qu'il soit difficile pour un accusé d'éviter d'être déclaré coupable de
l'infraction de garde ou de contrôle en plaidant que ses facultés étaient trop affaiblies
pour avoir le contrôle du véhicule. On a attiré notre attention sur l'échange qui a eu
lieu entre le ministre de la Justice et deux députés de la Chambre des communes au
cours du débat en deuxième lecture (Débats de la Chambre des communes, 3e Sess.,
20e Parl., 1947, vol. VI, à la p. 5048):
M. McMaster: Ces mots ne figuraient pas dans
l'ancienne loi ou, s'ils s'y trouvaient la personne
était coupable d'un délit, que la voiture fût en
mouvement ou non.
Le très hon. M. Ilsley: En toute déférence, je
dois dire qu'à mon avis l'honorable député fait

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erreur. Avant le présent amendement, si
l'intéressé était dans un état d'ébriété assez
avancé, les tribunaux de la plupart des provinces
prenaient pour acquis qu'il ne conduisait pas le
véhicule à moteur. Un accusé ne peut plus
invoquer ces motifs pour se disculper. Les
premiers mots de cette clause conditionnelle l'en
empêchent mais celle-ci laisse un moyen de
défense à quelqu'un qui, ayant pénétré dans une
automobile afin de la mettre en marche, s'y
endort.
...
M. Miller: Je reviens à ce que j'ai tenté de
démontrer tout à l'heure. Il me semble que le
conducteur ivre qui stationne sa voiture contre un
fossé dans le même but, c'est-à-dire pour cuver
son vin, mérite tout autant de considération que
celui qui monte dans sa voiture sans intention de
la mettre en marche. Le premier avait bien
l'intention de conduire sa voiture, ce qu'il a fait
effectivement sur une courte distance, mais se
jugeant incapable d'aller plus loin, il est quand
même assez intelligent pour stationner en lieu sûr.
J'estime qu'il a droit à la même considération que
l'autre.
Le très hon. M. Ilsley: En somme, l'honorable
député voudrait que nous laissions l'article tel
quel. Peut-être a-t-il raison, mais les tribunaux ne
sont sûrement pas de cet avis. Dans un jugement
de date récente, un juge de la Cour suprême du
Nouveau-Brunswick tance vertement les
législateurs. La raison est évidente.
La population,--et c'est aussi le cas de chacun
d'entre nous,--trouve révoltant que nous
permettions au chauffeur ivre de se présenter
devant un tribunal et de donner comme excuse
qu'il avait trop bu pour être responsable de ses
actes.
50.
Ce rappel historique indique que l'élément moral de cette infraction
pose un problème grave parce que l'ivresse elle-même cause des doutes en ce qui a

- 32 -
trait à l'état mental de l'accusé et à sa capacité de former une intention. La présomption
a été créée par le législateur en réponse à cet historique. D'une part, il était contraire
aux théories de responsabilité pénale qu'une personne puisse être déclarée coupable
d'un acte criminel de responsabilité absolue sans pouvoir invoquer un moyen de
défense fondé sur son état mental. D'autre part, comme l'a fait remarquer le ministre
de la Justice, il est révoltant de constater qu'un accusé pourrait être acquitté d'une
infraction dont un élément requis est la consommation d'alcool, parce qu'il était trop
ivre pour être coupable. La présomption a été ajoutée pour régler les problèmes que
soulèvent ces deux situations. Le législateur voulait décourager les gens en état
d'ébriété de risquer de se placer dans une situation où ils pourraient mettre un véhicule
en marche et en même temps leur fournir un moyen d'échapper à la responsabilité
lorsqu'ils avaient un motif pour monter dans le véhicule autre que celui de le mettre
en marche. Il va sans dire que la position adoptée constitue un compromis. Il s'agit
d'une tentative pour équilibrer les dangers posés par une personne dont la capacité de
raisonner est affaiblie par l'alcool et le désir d'éviter les infractions de responsabilité
absolue. Le législateur a tenté de reconnaître que l'alcool, en raison de ses effets sur
les facultés de raisonnement, peut dans certains cas exiger un traitement spécial tout
en évitant de recourir aux infractions de responsabilité absolue.
51.
Les faits de l'espèce indiquent que le problème identifié par le ministre
de la Justice en 1947 pourrait très bien se reproduire aujourd'hui, s'il n'y avait pas l'al.
237(1)a). Bien que l'accusé ait été trouvé affaissé sur le volant d'un véhicule dont les
phares étaient allumés, les clés dans le contact et le moteur chaud, le juge du procès
a conclu que, n'eût été la présomption, il aurait eu un doute raisonnable quant à la
culpabilité.

- 33 -
52.
À mon avis, si on l'examine dans ce contexte, l'al. 237(1)a) constitue
une réponse parlementaire mesurée à un problème social pressant. Aux fins de
l'analyse de l'article premier, il est important d'examiner l'al. 237(1)a) dans son
contexte législatif global. Le législateur a tenté d'arriver à un équilibre. D'une part, il
suffit que le ministère public prouve un niveau minimal d'intention en raison du fait
que la consommation d'alcool constitue en elle-même un élément de l'infraction.
D'autre part, lorsqu'un accusé peut démontrer que son motif pour monter dans le
véhicule et occuper la place du conducteur était autre que celui de le conduire, il ne
sera pas déclaré coupable. Vu sous cet angle, l'al. 237(1)a) constitue une atteinte
minimale à la présomption d'innocence que garantit l'al. 11d) de la Charte.
53.
Dans l'étape finale de l'application du critère de l'arrêt Oakes, il faut
se demander s'il y a proportionnalité entre les effets de la mesure contestée et l'objectif
visé. À mon avis, l'al. 237(1)a) satisfait à cet élément final de l'analyse aux termes de
l'article premier. La preuve en l'espèce démontre que la sécurité publique est menacée
par l'alcool au volant, situation que cette Cour a reconnue dans d'autres arrêts. Bien
que l'al. 237(1)a) porte effectivement atteinte au droit que garantit l'al. 11d) de la
Charte, il le fait dans un contexte législatif où il est irréaliste d'exiger que le ministère
public démontre une intention de conduire. En fait, la disposition portant inversion de
la charge de la preuve accorde à l'accusé un moyen de défense qu'autrement il ne
pourrait invoquer.
V
Conclusion

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54.
À mon avis, il convient donc de rejeter le pourvoi et de répondre aux
questions constitutionnelles de la manière suivante:
Question 1:
1. L'alinéa
237(1)a) du Code criminel du Canada,
S.R.C. 1970, chap. C-34, viole-t-il ou nie-t-il les
droits et libertés garantis par l'al. 11d) de la Charte
canadienne des droits et libertés?
Réponse: Oui.
Question 2:
2.
Si l'alinéa 237(1)a) du Code criminel viole ou nie
les droits et libertés garantis par l'al. 11d) de la
Charte, cet alinéa est-il justifié par l'article premier
de la Charte et n'est-il donc pas incompatible avec
la Loi constitutionnelle de 1982?
Réponse: Oui.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant: Robertson, Peck, Thompson, Casilio, Vancouver.
Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Victoria.
Procureur de l'intervenant: Frank Iacobucci, Ottawa.