DOCTRINE

 

Code de procédure pénale

 

Chapitre I
Dispositions générales
Section II

Référence : Gilles Létourneau, Juge de la Cour d'appel fédérale du Canada, Code de procédure pénale du Québec 9e édition, Textes législatif et réglementaire à jour au 1er octobre 2011, Wilson & Lafleur Ltée, 2011, p. 37-52.

ART. 9

 
« Cet article énumère les personnes habilitées à intenter des poursuites pénales provinciales ».

« En vertu de l'article 12 de la Loi sur les poursuites sommaires, toute personne pouvait porter une plainte sauf si la loi créant l'infraction exigeait une autorisation spéciale ».

 
« En pratique, la plupart des lois sectorielles désignaient le Procureur général ou un poursuivant spécifique de sorte que le citoyen ordinaire se voyait privé de son droit de poursuite. L'article 9 vient reconsacrer formellement le droit de tout citoyen qui le désire de saisir un tribunal d'une plainte et de se faire autoriser par ce dernier à poursuivre. La procédure d'autorisation préalable permet d'évaluer le sérieux des allégations et d'exercer dès ce stade un contrôle pour prévenir les poursuites abusives. Cette procédure ne s'applique pas au poursuivant désigné par le législateur dans une loi sectorielle de même qu'au poursuivant public. Ce dernier a pour mission de veiller au respect des lois et il agit généralement sous son serment d'office ».

 

« Dans un système de type britannique comme le nôtre où le Procureur général est un représentant élu du peuple et dans une société où l'État est omniprésent, souvent même comme employeur, il importe comme mesure de sécurité et pour une meilleure crédibilité du système d'administration de la justice de conserver au citoyen le droit d'initier et d'assumer des poursuites, sous réserve des prérogatives du Procureur général ».

 

« L'article 9 du Code fut modifié par la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales, L.Q. 2005, c. 34; .art. 45. La Loi institue la charge de Directeur des poursuites criminelles et pénales. Elle lui confie pour l’Etat la direction de ces poursuites au  Québec, sous l'autorité générale du ministre de la Justice et du Procureur général. Dans l'exercice de sa charge, le Directeur est d'office sous-procureur  général pour les poursuites criminelles et pénales. Il est également, ainsi que les poursuivants sous son autorité, le substitut légitime du Procureur général du  Québec au sens du Code criminel ».

« Le Procureur général peut, en première instance ou en appel, intervenir lorsqu'une poursuite soulève, à son avis, des questions d'intérêt général qui dépassent celles habituellement soulevées dans les poursuites criminelles et pénales. L'intervention se fait sans autre formalité qu'un avis au Directeur (art 24) ».

« Le Directeur est assisté dans ses fonctions par des procureurs aux poursuites criminelles et pénales qu'il nomme. Ces procureurs ont le pouvoir de le représenter dans l'exercice de ses fonctions (art. 25). Il peut aussi, au terme de l'article 28, désigner spécialement tout avocat autorisé en vertu de la loi à exercer sa profession au Québec pour le représenter devant les tribunaux en matière criminelle ou pénale.»

« Certains secteurs de l'activité sociale, professionnelle ou économique font l'objet d'une surveillance ou d'un contrôle par des organismes spécialisés ou spécialement voués à cette mission. On peut penser à l'Office de construction du Québec, l'Office de la protection du consommateur, la Commission des valeurs mobilières, etc. Il est concevable que, dans de tels secteurs et à cause de la nature des activités exercées, un droit de poursuite soit conféré par la loi sectorielle à ces organismes ».

« Toutefois, ce droit de poursuite n'est pas exclusif. Il coexiste avec celui du citoyen et il est de plus soumis aux pouvoirs et aux prérogatives du Procureur général ».

« Le fait qu'un ministre soit chargé de l'application d'une loi ne lui donne pas le pouvoir de formuler des plaintes en vertu de cette loi  [1] ».

« En d'autres termes, la loi peut désigner un ministre ou un ministère comme poursuivant mais le pouvoir d'intenter des poursuites ne saurait être inféré d'une disposition qui ne fait qu'identifier la personne responsable de l'application de la loi ».

« Le Procureur général se voit aussi conféré expressément, en tout temps, un droit de poursuite en matière pénale. Ce faisant, le Code de procédure pénale reconnaît, à juste titre, que le Procureur général est le gardien ultime de la paix publique et qu'il détient la responsabilité ultime des poursuites pour toute violation aux lois du Québec. D'ailleurs, l'article 11 du Code fait ressortir encore plus clairement le principe ».

« Dans l'exercice du droit de poursuite, le Procureur général est constitutionnellement indépendant du conseil des ministres et du pouvoir exécutif. Il exerce sa discrétion avec impartialité et il doit être à l'abri de toutes pressions politiques afin d'éviter que les droits des citoyens ne soient soumis à l'arbitrage ou compromis. Il n'est pas soumis au respect du principe de la responsabilité ministérielle dans l'exercice de ses fonctions quasi judiciaires. Il n'est pas comptable à l'égard du Cabinet, mais il l'est et le demeure à l'égard du Parlement ou de l'Assemblée nationale, selon le cas. Si l'Assemblée nationale ou le Parlement ne sont pas convaincus de la conduite indépendante et impartiale du Procureur général, ils peuvent le destituer ».

« Le Procureur général jouit donc d'un statut particulier au sein du pouvoir exécutif. Ce statut tient à la nature même des fonctions qu'il exerce et vise à protéger le citoyen de toutes ingérences politiques dans l'administration de la justice, qu'elle soit administrative, civile, pénale ou criminelle ».

« Le procureur exerce aussi une importante fonction conseil. Conseiller auprès du tribunal sur l'interprétation des lois et sur les mesures dissuasives ou correctives à prendre, il remplit également une importante fonction de ce type au niveau exécutif ou administratif. Il conseille les agents de la paix et les personnes chargées de l'application de la loi dans l'exercice de leurs fonctions. Enfin le procureur exerce également sa fonction conseil auprès du public, notamment en informant les plaignants et les victimes de leurs droits et obligations ou en renseignant certains groupes sociaux sur l'état du droit ».

« À ces deux fonctions, s'ajoute celle d'enquête et d'investigation. Ils peuvent participer aux enquêtes visant à déterminer les causes et les circonstances d'un décès ou d'un incendie. De même, sa participation aux commissions d'enquêtes publiques est autorisée par la loi qui le régit ».

« Le Procureur général, dans l'exercice de son droit de poursuite, jouit d'une immunité relative. » [2]

ART. 10

 
« Cet article détermine les conditions et la manière par laquelle un poursuivant autre que le Procureur général ou un poursuivant désigné par une loi peut intenter une poursuite ».

 
« La demande d'autorisation d'intenter une poursuite se fait oralement et sans avis de présentation (art. 30 C.P.P.). Le juge autorise la poursuite s'il a des motifs de croire qu'une infraction a été commise. Même si cela n'est pas dit explicitement, l'autorisation ne devrait être émise que si le juge a des motifs raisonnables de croire que c'est le défendeur, contre qui pèse les allégations, qui l'a commise. D'ailleurs, en vertu de l'article 147, le poursuivant et celui qui délivre le constat d'infraction ne sont pas tenus d'avoir constaté personnellement l'infraction, mais ils doivent avoir des motifs raisonnables de croire que celle-ci a été commise par le défendeur ».

 
« Pour l'exercice adéquat de son pouvoir d'autorisation, le juge entend les allégations du poursuivant et dispose du pouvoir de contraindre des témoins à se présenter et à rendre témoignage ».

 
« La préenquête de l'article 507 du Code criminel qui présente une certaine analogie avec la procédure de l'article 10 du Code de procédure pénale, se fait ex parte et est tenue in camera ».

 
« L'autorisation de poursuivre doit être inscrite au constat. Le Code prévoyait la transmission automatique au Procureur général (Directeur des poursuites criminelles et pénales) du double du constat ainsi autorisé. La Loi de modification de 1995 précise désormais que la transmission d'un double ne se fait qu'à sa demande. Du coup, on élimine ainsi la possibilité d'un contrôle d'opportunité des poursuites privées par le Procureur général (Directeur des poursuites criminelles et pénales) à l'étape préliminaire du processus. En principe, cette modification préserve le principe selon lequel le Procureur général (Directeur des poursuites criminelles et pénales) doit être informé des poursuites privées de façon à lui permettre d'intervenir dans l'intérêt de la justice. En pratique, on peut se demander comment il en sera informé afin de pouvoir demander une copie du constat ».

 
« Toutefois, la procédure d'autorisation judiciaire associée à la possibilité de condamnation du poursuivant au paiement des frais si la poursuite est abusive ou manifestement mal fondée (art. 232(2)) et au pouvoir d'intervention et d'arrêt des poursuites du Procureur général (art. 11) présentent suffisamment de garanties contre les poursuites futiles. De plus, la poursuite abusive ou malicieuse est toujours susceptible d'être arrêtée par le juge »

ART. 11

 
“Cet article confère au Procureur général ainsi qu'au Directeur des poursuites criminelles et pénales, poste créé par la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales, L.R.O., c. 0 -9. 1.1, un pouvoir d'intervention dans une poursuite, tant en première instance qu'en appel, de même qu'un pouvoir d'ordonner l'arrêt et la reprise des procédures ».


« Les pouvoirs d'intervention décrits par l'article 11 du Code tirent leur origine de la common law et existent également en matière criminelle. Historiquement, ces prérogatives découlent des responsabilités constitutionnelles du Procureur général dans le domaine de l'administration de la Justice pénale et criminelle. Ces responsabilités participent de l'essence même de la fonction de Procureur général qui ne répond en principe de leur exercice que devant le Parlement ou l'Assemblée Nationale. Elles sont maintenant aussi confiées par voie statutaire au Directeur des poursuites criminelles et pénales [3]  ».

 
« Le droit d'intervention du Procureur général ou du Directeur dans toute poursuite pénale pour exercer la conduite des procédures est l'un des aspects de son rôle de surveillance sur les poursuites de nature pénale [4]  ».

 

« Le Procureur général ou le Directeur peut ainsi se substituer à un autre poursuivant et continuer la poursuite  [5] ».

« Toutefois, en matière de poursuites pénales pour des infractions aux lois fiscales, le Procureur général ou le Directeur n'a pas, en vertu de l'article 72 de la Loi sur le ministère du Revenu, le pouvoir d'intervenir sauf pour des questions constitutionnelles ou de Charte ».

 
ART.12

 
« Cet article prévoit un droit de retrait de la poursuite et les conditions d'exercice de ce droit » .

 
« L'article 12 ne fait que codifier la règle de droit établie par la jurisprudence en matière criminelle [6]  ».

 
« Le pouvoir de retrait est essentiel à l'exercice judicieux de la discrétion de poursuivre conférée au poursuivant. Ce dernier doit tenir compte de tous les éléments antérieurs et postérieurs à la délivrance d'un constat. L'explication fournie par un défendeur (telle la nécessité, la diligence raisonnable dont il a fait preuve, la provocation policière dont il fut victime, etc.) peut convaincre le poursuivant de l'opportunité de retirer immédiatement la poursuite ».

 
« Toutefois lors de l'instruction, cette discrétion devient soumise à un contrôle judiciaire: le retrait ne peut se faire qu'avec la permission de la cour de façon ainsi à prévenir les abus auxquels pourrait donner cours un retrait suivi d'un dépôt d'une nouvelle accusation ».

 
ART. 13

 
« Cette disposition énonce les conséquences d'un arrêt de procédure ou d'un retrait de chefs d'accusation ».

« L'article pose comme principe qu'un défendeur ne peut être poursuivi une seconde fois pour r une poursuite arrêtée et non reprise dans les six mois de l'arrêt. Ce principe est conforme à celui que l'on retrouve à l'article 579(2) du Code criminel, sauf que le délai y est d'un an. Les poursuites pénales provinciales étant d'une gravité moindre, un délai de six mois apparaît raisonnable ».

 

 

 



[1] Dumont Express (1962) Ltéec. Perron, [1974] C.A. 67

[2] Proulx c. Québec (PG.), [2001]3 R.C.S. 9; Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170.

 

[3]  Edwards, J.LL.J., La responsabilité : ministérielle en matière de sécurité nationale, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1980, p. 85 à 87 et 107. Edwards, J.LL.J., The Attorney General, Politics and the Public Interest, London, Sweet and Maxwell, 1984, p. 323, 324, 336, 337, 353 et 364.

 

[4]  Commission de réforme du droit du Canada, Poursuites pénales: les pouvoirs du procureur général et des procureurs de la couronne, Document de travail 62, Ottawa, 1990,p. 18 à 30.

 

[5] Bradleyv. R. , (1975) 9 O.R. (2d) 161 (CA). Dans cette affaire, le poursuivant privé qui avait initié des poursuites criminelles à la suite d'un conflit ouvrier souhaitait retirer les 48 [Art.11J Code de procédure pénale accusations. Le Procureur général a estimé de l'intérêt public d'intervenir, afin de continuer les procédures.

 

[6] R. v. Hatherley, (1971) 4 C.C.C. (2d) 242 (C.A. Ont.), appel à la CS.C. refusé, [1971] R.C.S. IX; Re Forrester and R. , (1976) 33 C.C.C. (2d) 221 (S.C. Alta.); R. c. Karpinski, [1957] R.Cs. 343.