C A N A D A Cour Municipale
Province de Québec M.R.C. DE MATAWINIE
District de Joliette
No. 96DO2432 RAWDON, le 19 décembre 1996
96DO2505
SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L'Honorable MICHEL LALANDE
MUNICIPALITÉ DE ST-DAMIEN
Poursuivante
-vs-
BERNARD ROBERT
Défendeur
J U G E M E N T
SUR REQUÊTE POUR
REJET DE CHEFS D'ACCUSATION
Le défendeur, Bernard Robert, est poursuivi devant le tribunal par la Municipalité de St-Damien en vertu de deux constats d'infraction lui reprochant d'avoir commis, le 12 juin et le 19 juillet 1996, l'infraction suivante:
"Le (ou vers le) 12 juin 1996 (et 19 juillet 1996) étant propriétaire de l'immeuble sis au 6995, rue Principale, vous rejetez et/ou permettez le rejet dans l'environnement des eaux provenant du cabinet d'aisance et/ou des eaux usées ou ménagères de votre résidence située au 6995, rue Principale, St-Damien, contrevenant ainsi aux dispositions de l'article 3 du règlement Q-2, r.8, sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées. Contrevenant aux dispositions de l'article 14.2 du règlement de construction numéro 385, ainsi qu'à l'article 1.7 du règlement de régie interne numéro 381 des règlements de la Municipalité de St-Damien, vous rendant passible des peines édictées à l'article 4.2. du règlement numéro 381, des règlements de la Municipalité de St-Damien et ses amendements à savoir une amende de minimum de 100 $ et maximum de 1 000 $ avec en sus, les frais."
Les deux constats d'infraction sont signé par des officiers de la poursuivante et indiquent que ces officiers sont des personnes autorisées par la poursuivante.
Lors de l'audition au mérite, le défendeur, par son procureur, Me Yves Chainé, présente au tribunal une demande verbale de rejet des deux chefs d'accusation en vertu de l'article 184 (5) du Code de procédure pénale qui prévoit qu'à la demande du défendeur, le tribunal ordonne le rejet d'un chef d'accusation s'il est convaincu que le poursuivant n'a pas autorité pour intenter la poursuite.
Dans le cadre de cette requête préliminaire, le défendeur soumet au tribunal que la poursuivante ne pouvait intenter les présentes procédures qu'après y avoir été spécialement autorisée par un juge conformément aux articles 9 et 10 du Code de procédure pénale.
L'argumentation du défendeur est à l'effet que les présentes procédures concernent une infraction alléguée à l'article 3 du Règlement sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées adopté en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement([1]). Or, la Municipalité de St-Damien ne serait pas spécifiquement autorisée ni par la Loi sur la qualité de l'environnement ni par le Règlement sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées à intenter les poursuites pénales qui en découlent ce qui signifie que si elle désire le faire, elle doit y être préalablement autorisée par un juge en vertu de l'article 9 (3) du Code de procédure pénale en suivant la procédure édictée à l'article 10 de ce code. Au surplus, cette autorisation préalable doit être inscrite au constat d'infraction ce qui n'est manifestement pas le cas en l'instance.
Pour bien comprendre le raisonnement du défendeur, il est nécessaire de s'attarder quelque peu à la notion de "poursuivant" au sens du Code de procédure pénale.
L'article 9 du Code de procédure pénale énonce, dans les termes suivants, les personnes qui peuvent agir à titre de poursuivants à l'égard d'une infraction pénale:
"Peuvent être poursuivants:
1. le Procureur général;
2. le poursuivant désigné en vertu d'une autre loi que le présent code, dans la mesure prévue par cette loi;
3. la personne qu'un juge autorise à intenter une poursuite."
Présenté maintenant de façon un peu différente, cela signifie que les poursuivants à l'égard d'une infraction pénale donnée peuvent être:
1. Le Procureur général dans tous les cas et sans nécessité d'une quelconque autorisation législative ou judiciaire, son autorité en cette matière étant inconditionnelle suivant l'article 9 (1) du Code de procédure pénale;
2. Toute personne spécifiquement autorisée pour cette fin par une disposition législative expresse, dans la mesure prévue par la loi ainsi habilitante. Il s'agit ici d'un poursuivant spécifiquement autorisé par une loi à intenter les recours de nature pénale découlant de cette loi et dans la mesure prescrite par cette loi habilitante; et
3. Toute personne qu'un juge autoriserait au préalable à intenter une poursuite pénale pour contravention à une loi quelconque. Cette disposition consacre le droit de toute personne physique ou morale qui le désire de saisir un tribunal d'une plainte pénale et de se faire autoriser par ce dernier à intenter la poursuite.
Dans l'éventualité où l'on recours au mode de poursuite prévue à l'article 9 (3) du Code de procédure pénale, une autorisation préalable du juge pour intenter la poursuite doit être obtenue et cette autorisation doit apparaître au constat d'infraction lui-même.([1])
Lorsqu'une poursuite pénale est introduite par une municipalité, son autorité à agir comme poursuivant peut lui provenir soit d'une habilitation expresse dans la loi constitutive de l'infraction, soit d'une autorisation judiciaire préalable obtenue en vertu de l'article 9 (3) du Code de procédure pénale car dans ce dernier cas, elle agit comme simple citoyen et non comme poursuivant désigné.
Dans le présent dossier, le défendeur prétend que la Municipalité qui agit comme poursuivant à l'égard d'une infraction au Règlement sur le traitement et l'évacuation des eaux usées des résidences isolées ne peut le faire que comme simple citoyen en ayant recours à l'autorisation judiciaire préalable prévue à l'article 9 (3) du Code de procédure pénale car ni le règlement en cause ni la Loi sur la qualité de l'environnement ne confèrent aux municipalités le qualificatif de poursuivant désigné au sens de l'article 9 (2) du Code de procédure pénale.
Après examen des dispositions législatives et réglementaires en cause, le tribunal est d'opinion que l'argument du défendeur est bien fondé. En effet, l'étude des dispositions de l'article 9 du Code de procédure pénale nous indique que la municipalité ne peut agir comme poursuivant que dans deux cas spécifiques: soit qu'une disposition législative expresse l'habilite à le faire (article 9 (2) Code de procédure pénale), soit qu'elle a été autorisée à le faire comme toute autre personne (article 9 (3) Code de procédure pénale).
Dans le présent dossier, force est de constater que la municipalité poursuivante n'agit pas en vertu de l'article 9 (3) du Code de procédure pénale, c'est-à-dire, après autorisation d'un juge puisque d'une part les constats d'infraction ne comportent aucune mention d'une telle autorisation et, d'autre part, que le dossier de la Cour n'indique pas qu'il y ait eu une quelconque procédure d'autorisation comme le requiert l'article 10 du Code de procédure pénale.
Reste maintenant à savoir si la poursuivante agit en vertu d'une autorisation législative expresse au sens de l'article 9 (2) du Code de procédure pénale.
L'habilitation de l'article 1108 du Code municipal ne trouve ici aucune application dans la mesure évidemment où l'on tient pour acquis que les constats visent une infraction à la Loi sur la qualité de l'environnement ou Règlement provincial sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées.
En effet, cette disposition prévoit que la municipalité peut intenter une poursuite pénale pour la sanction d'une infraction à une disposition du Code municipal ou des règlements municipaux.
Comme nous l'avons mentionné plus haut, dans la mesure où l'infraction visée par les constats émis dans le présent dossier en est une à une disposition de la Loi sur la qualité de l'environnement ou à une disposition du Règlement sur le traitement d'évacuation des eaux usées des résidences isolées, l'autorité d'agir comme poursuivant de la Municipalité de St-Damien ne saurait provenir du Code municipal car l'infraction ne concerne alors ni le Code municipal ni les règlements municipaux.
Quant à la Loi sur la qualité de l'environnement, elle ne contient aucune disposition spécifiant qu'une corporation municipale est un poursuivant autorisé à entreprendre des poursuites pénales dans le cas d'infraction à cette dite loi ou à des règlements qui en découlent.
Le Règlement sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées est lui aussi silencieux sur la question.
Certes, les articles 86 de la Loi sur la qualité de l'environnement et 88 du Règlement sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées imposent aux municipalités l'obligation de voir à l'application matérielle des règlements mais cette obligation ne comporte pas l'autorité d'agir comme poursuivant à des fins pénales. Selon le tribunal, une distinction doit être faite entre l'obligation de faire respecter un règlement, par exemple, en émettant les permis requis, et le pouvoir d'entreprendre des poursuites pénales pour obtenir la sanction appropriée à une infraction reprochée à l'égard du même règlement.
C'est donc dans cette perspective que le tribunal est d'avis que dans la mesure où l'infraction reprochée au défendeur en est une au Règlement sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées, la Municipalité de St-Damien ne pouvait agir à titre de poursuivant qu'après y avoir été autorisée par un juge conformément aux articles 9 (3) et (10) du Code de procédure pénale. Ceci nous amène donc au coeur du débat: sommes-nous en présence d'une infraction à un règlement municipal ou à un règlement provincial? De la réponse à cette question dépend le sort de la requête du défendeur.
Le tribunal doit dès le départ reconnaître que le libellé du chef d'accusation en cause prête quelque peu à confusion. En effet, il y est question de "contrevenant ainsi aux dispositions de l'article 3 du règlement Q-2, r. 8, sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées" et par la suite de "contrevenant aux dispositions de l'article 14.2 du règlement de construction numéro 385, ainsi qu'à l'article 1.7 du règlement de régie interne numéro 381 des règlements de la Municipalité de St-Damien".
Le mieux qu'on puisse dire à la lecture de ce chef d'accusation c'est qu'une infraction à l'article 3 du Règlement sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées adopté en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement semble constituer une infraction aux articles 14.2 du Règlement de construction et 1.7 du Règlement de régie interne de la Municipalité de St-Damien. C'est du moins ce que soutien le procureur de la municipalité, lorsqu'il mentionne à la page 1 de ses notes et autorités:
"La position de la poursuivante se résume de la façon suivante: elle ne poursuit pas le défendeur en vertu du règlement Q-2, r. 8, mais bien en vertu de ses propres règlements municipaux, ce qui écarte l'autorisation préalable d'un juge requise par le Code de procédure pénale.
En fait, ce que soutient la poursuivante, c'est qu'elle a en quelque sorte légiféré par référence en incorporant dans son règlement de construction l'intégralité du Règlement provincial sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées.
Cette technique de législation par référence consiste essentiellement à renvoyer le lecteur du règlement à un autre document préparé par une autre autorité soit dans le but de préciser la portée d'un règlement soit pour faire sienne une norme que l'on se dispense de répéter au long.([1])
Les auteurs([1]) et la jurisprudence([1]) s'accordent que pour reconnaître que cette technique de législation par renvoi est valide sans qu'il ne soit nécessaire qu'il y ait une disposition législative expresse qui l'autorise dans la mesure où la norme externe que le législateur entend faire sienne pourrait être validement adoptée directement par lui en vertu des pouvoirs que la loi lui confère.
Dans cette perspective, il faut donc reconnaître que la Municipalité de St-Damien pouvait incorporer dans son Règlement de construction numéro 385 l'intégralité du Règlement provincial sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées dans la mesure où la loi qui l'habilite à adopter un tel règlement de construction lui permet de légiférer sur l'ensemble des normes que l'on retrouve dans ledit règlement provincial.
En d'autres termes, dans la mesure où la loi confère à la Municipalité de St-Damien le pouvoir d'adopter elle-même chacune des dispositions du Règlement Provincial sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées, elle peut, afin d'éviter de reproduire au long dans son propre règlement chacune des ces dispositions, intégrer ledit règlement provincial dans son propre règlement par renvoi.
La disposition habilitante ici en cause est l'article 118 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme qui stipule:
"Le conseil d'une municipalité peut adopter un règlement de construction pour l'ensemble ou une partie de son territoire.
Ce règlement de construction peut contenir des dispositions sur un ou plusieurs des objets suivants:
1. réglementer les matériaux à employer dans la construction et la façon de les assembler;
2. établir des normes de résistance, de salubrité et de sécurité ou d'isolation de toute construction;
3. ordonner que la construction ou la réfection de tout bâtiment détruit et devenu dangereux ou ayant perdu au moins la moitié de sa valeur par suite d'un incendie ou de quelque autre cause soit effectuée en conformité avec les règlements en vigueur au moment de cette reconstruction ou réfection;
Le conseil peut décréter dans le règlement de construction que tout ou partie d'un recueil de normes de construction déjà existant constitue tout ou partie du règlement. Il peut prévoir que les amendements apportés à ce recueil ou à sa partie pertinente après l'entrée en vigueur du règlement font également partie de celui-ci, sans qu'il doive adopter un règlement pour décréter l'application de chaque amendement ainsi apporté. Un tel amendement entre en vigueur sur le territoire de la municipalité à la date que le conseil détermine par résolution; le secrétaire-trésorier de la municipalité donne avis public de l'adoption de cette résolution conformément à la loi qui régit la municipalité. Le recueil ou la partie de celui-ci qui est applicable est joint au règlement et en fait partie."
On constate donc que le règlement de construction de la Municipalité de St-Damien peut contenir des dispositions qui auront pour but soit de réglementer les matériaux à utiliser et la façon de les assembler, soit d'établir des normes de résistance, de salubrité et de sécurité de toute construction.
Il apparaît en conséquence au tribunal que les dispositions du Règlement provincial sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées pouvaient être incluses dans le règlement municipal puisque ces normes visent les matériaux à utiliser, la façon de les assembler ainsi que des normes de résistance et de salubrité des installations septiques.
Dans cette perspective, le tribunal estime donc être en présence d'une législation par renvoi tout à fait valide. L'infraction alléguée en est une à l'article 14.2 du Règlement de construction numéro 385 de la Municipalité de St-Damien et en conséquence, aucune autorisation judiciaire préalable au dépôt des constats n'était donc requise.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
REJETTE la demande de rejet du chef d'accusation.
Rawdon, ce 19 décembre 1996
Michel Lalande, Juge municipal
([1]) L.R.Q. c. Q-2;
([1]) Article 10, Code de procédure pénale;
([1]) Bulletin de droit municipal, 1994, volume 1, numéro 3, page 34;
([1]) Bulletin de droit municipal, opcit, page 35;
([1]) Dulmaine c. Messier, C.S. St-Hyacinthe, 750-05-000414-929, 19 mai 1994, Juge André Biron;
Municipalité régionale de comté de la Vallée du Richelieu c. Garreau, J.E. 91-1203;
Lacoste construction inc. c. Ville de Granby [1990] 50 M.P.L.R. 1993;
© SOQUIJ, ne peut être reproduit sans autorisation. |