JB-3133

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ROBERVAL

 

N° :

155-05-000082-025

 

 

 

DATE :

 25 mars 2003

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JACQUES BABIN, J.C.S.

 

 

 

 

VILLE DE NORMANDIN

1048, rue Saint-Cyrille, Normandin, G8M 4R9

Requérante

c.

MARIE-BLANCHE MAILLOUX

829, rue Saint-Cyrille, Normandin, G8M 4H7

Intimée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR CESSATION

D'USAGE DÉROGATOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]           La requérante  a  adopté  en  1993  un  règlement  de  zonage  portant  le numéro 139-93, ayant pour but, notamment, de régir les différents usages et activités sur le territoire de la municipalité.

[2]           En vertu dudit règlement de zonage, l'immeuble de l'intimée est situé en zone résidentielle.

[3]           Or, certains articles du règlement de zonage prévoient des restrictions concernant les usages domestiques dans toutes les zones résidentielles de Normandin, dont entre autres l'élevage d'animaux domestiques, qui est strictement défendu dans ces zones.

[4]           Or, il appert que l'intimée aurait un élevage de volailles sur sa propriété, de sorte que la requérante voudrait y mettre fin.

LES FAITS

[5]           Suite à des plaintes reçues de citoyens, l'inspecteur municipal de Normandin, Steve Mailloux, s'est rendu à la propriété de l'intimée, située sur la rue principale à Normandin, la rue Saint-Cyrille, en mai 2001.

[6]           Il y a constaté la présence d'une espèce de serre, contenant des volailles, plus particulièrement des oies et 20 à 25 poules.

[7]           Il a rencontré l'intimée pour lui expliquer les modalités du règlement de zonage, et le fait qu'il était interdit d'avoir de tels animaux sur sa propriété.

[8]           Il lui a adressé un avis d'infraction le 31 mai 2001, dans lequel on lui demandait d'éliminer la présence de ces animaux dans un délai de huit jours.

[9]           L'intimée n'a pas répondu à cet avis d'infraction.

[10]        Par contre Steve Mailloux est retourné vérifier à l'été 2001 ce qui en était et il a pu constater que la serre qui contenait les animaux avait disparu, et il n'a pas constaté la présence d'animaux.

[11]        Pour lui, tout était rentré dans l'ordre, de sorte que s'il a décidé de ne pas pousser plus loin l'avis d'infraction et de ne pas déposer de plainte pénale contre l'intimée.

[12]        Suite à de nouvelles plaintes reçues par des voisins de l'intimée, Mailloux y retourne le 29 avril 2002.

[13]        Il constate alors sur la propriété de l'intimée la présence de volailles dans divers bâtiments (4).

[14]        Il y avait des poules, des canards, des oies, etc.

[15]        Il adresse à nouveau à l'intimée un avis d'infraction le 30 avril 2002, dans lequel il lui demande encore une fois d'éliminer la présence des volailles, en les relocalisant dans une zone agricole, et il lui donne cinq jours pour ce faire.

[16]        Mailloux retourne sur les lieux le 26 juin 2002 et constate encore la présence de divers types de volailles.

[17]        Il prend des photos, dessine un croquis des lieux, et rencontre à nouveau l'intimée pour lui expliquer la réglementation.

[18]        Ni cette fois-là, ni d'ailleurs lors des autres visites de l'inspecteur municipal, l'intimée n'a allégué détenir un droit acquis de posséder des animaux en zone résidentielle.

[19]        Mailloux a remis le tout à ses procureurs, qui ont alors fait signifier à l'intimée la requête pour cessation d'usage dérogatoire.

[20]        Cette dernière a contesté par écrit la requête.

[21]        Tout d'abord elle nie le paragraphe 8 de la requête qui affirme qu'elle élève de nombreuses poules, oies et autres volailles sur sa propriété, admettant qu'elle possède quelques volailles, mais, dit-elle:

"pour satisfaire à sa consommation personnelle."

[22]        Et par la suite, tout au long de sa contestation, elle allègue que le règlement de zonage de la requérante est vague, imprécis, discriminatoire, déraisonnable, en ce qu'il ne définit pas le sens "d'élevage d'animaux domestiques".

[23]        De plus, l'intimée allègue que la requérante tolère dans son territoire la possession d'animaux de toutes sortes, même dans les zones résidentielles, par d'autres citoyens.

[24]        Mais elle n'allègue jamais détenir des droits acquis à l'élevage d'animaux domestiques.

DÉCISION

[25]        En ce qui concerne l'allégation à l'effet que d'autres citoyens possèderaient des animaux en zone résidentielle, sans que la municipalité n'intervienne, le procureur de la requérante a soulevé une objection que le soussigné a pris sous réserve.

[26]        Il a raison.  Ce n'est pas parce qu'un autre citoyen irait à l'encontre du règlement de zonage, en ayant un élevage de poules sur sa propriété, que cela justifierait l'intimée de transgresser le règlement de zonage, s'il est valide.

[27]        Mais de toute façon, l'inspecteur municipal a témoigné et a pleinement justifié les quelques exemples qui lui ont été cités de citoyens détenant des animaux sur leurs propriétés, même en zone résidentielle.

[28]        Pour certains, ils ont des droits acquis, et pour la majorité des autres, c'est que leur immense terrain est en partie situé dans une zone commerciale et/ou résidentielle, et en partie en zone agricole, où il est permis d'avoir des animaux, ce qui n'est pas le cas de l'intimée.

[29]        L'intimée comme deuxième moyen a soulevé devant le soussigné qu'elle détenait des droits acquis, puisque, selon elle, elle possède des animaux sur sa propriété depuis 1972.

[30]        Il est assez surprenant de venir prétendre cela aujourd'hui devant le Tribunal, alors qu'en aucune occasion elle ne l'a soulevé à l'inspecteur municipal de Normandin, et qu'elle ne l'a même pas allégué dans sa contestation écrite.

[31]        Et de toute façon, elle n'a pas prouvé qu'avant 1993, le règlement de zonage de Normandin lui permettait d'avoir des animaux sur sa propriété, ce qui est un prérequis à pouvoir invoquer la clause de droit acquis.

[32]        Et de toute façon, le soussigné est loin d'être convaincu que depuis 1972 l'intimée a effectivement toujours eu des animaux chez elle.

[33]        Tout d'abord, sa crédibilité est entachée par une contradiction flagrante entre son témoignage et sa contestation écrite.

[34]        En effet, alors qu'elle témoignait pour essayer de convaincre le soussigné qu'elle ne faisait pas d'élevage d'animaux sur sa propriété, et qu'elle ne se servait de ceux-ci que comme animaux d'accompagnement, et ne vendait ni les œufs ni la viande des volailles, ni même ne la consommait elle-même, parce qu'elle était trop dure, dit-elle, au paragraphe 3 de sa contestation écrite, comme on l'a déjà vu, elle plaide qu'elle possède quelques volailles "pour satisfaire à sa consommation personnelle".

[35]        Mais de toute façon, le soussigné est d'avis que le règlement de zonage n'est pas vague, imprécis, discriminatoire et déraisonnable au point de devoir être considéré illégal, et partant, non applicable à l'intimée.

[36]        En effet, dans les dispositions générales aux zones résidentielles, tout d'abord l'article 5.2.1 traite des usages permis dans toutes les zones résidentielles, dont les usages domestiques.

[37]        Toutefois, à 5.2.2, des restrictions sont émises concernant ceux-ci, dont:

"5.2.2.13  Tout élevage d'animaux domestiques est défendu dans ces zones."

[38]        Selon l'intimée, le terme élevage est trop vague pour qu'il puisse interdire la simple possession de volailles, et elle produit au soutien de cette affirmation un extrait du dictionnaire Nouveau Petit Robert où on définit "élevage" comme étant:

"Ensemble des techniques par lesquelles on élève (des animaux domestiques ou utiles) en les faisant naître et se développer dans de bonnes conditions, en contrôlant leur entretien et leur reproduction, de manière à obtenir un résultat économique."

[39]        Or selon l'intimée elle ne fait pas naître de poussins.

[40]        Par contre, si on jette un coup d'œil à la définition "d'élevage" contenue au dictionnaire Le Petit Larousse, on y lit ceci:

"Action d'élever et d'entretenir des animaux.  Ensemble des animaux d'une même espèce dans une exploitation agricole, piscicole, etc."

(Soulignement du tribunal)

[41]        Et si on regarde maintenant la définition du verbe "élever", toujours dans le même dictionnaire, on y lit ceci:

"3.  Nourrir, soigner, former.  Élever des animaux."

[42]        Le soussigné est d'avis que le fait d'entretenir de 20 à 30 volailles sur sa propriété, peut facilement être interprété comme un élevage selon la définition du dictionnaire, même si l'intimée ne fait pas naître de poussins, et ne commercialise pas les oeufs et la viande des volailles.

[43]        Les auteurs Jean Hétu et Yvon Duplessis[1], dans leur Traité de droit municipal, confirment ce que tout le monde sait, à savoir qu'un règlement municipal doit être précis, et qu'il est nul si ses dispositions sont imprécises ou vagues, ce qu'a confirmé la Cour d'appel du Québec en 1979[2].

[44]        Toutefois, les auteurs apportent une limite au degré de précision requis, en affirmant:

"Mais il ne faut pas confondre imprécision et difficultés d'interprétation.  Un règlement n'a pas besoin d'atteindre un degré de certitude absolue.  Le Tribunal ne doit pas annuler un règlement parce qu'il donne lieu à quelques efforts d'interprétation […]

Pour savoir si une disposition réglementaire est imprécise, il faut appliquer le test de la personne raisonnable.  Même si chaque règlement est un peu un cas d'espèce, il faut se demander si les termes employés permettent à une personne raisonnable de déterminer le sens du règlement qui la vise et d'ajuster sa conduite en conséquence.

[…]

Il faut donc se demander si une personne, à la lecture du règlement, est raisonnablement informée sur l'étendue de ses droits et de ses obligations.

[…]

C'est ainsi que les tribunaux ont jugé que la notion de «bruit excessif» était connue des justiciables et ne comportait pas de véritables difficultés d'appréciation et d'application."

(Soulignements du tribunal)

[45]        Tout cela pour conclure, selon les auteurs, que les tribunaux doivent appliquer avec beaucoup de retenue la règle de l'imprécision pour conclure à la nullité d'un règlement.

[46]        Car il ne faut pas oublier non plus la finalité d'un tel règlement de zonage, à savoir permettre aux citoyens d'avoir et de jouir d'une bonne qualité de vie dans l'environnement où ils demeurent.

[47]        Or, en plein cœur d'une municipalité et même sur la rue principale, n'est-il pas raisonnable d'interdire qu'un citoyen entretienne une basse-cour sur son terrain.

[48]        N'est-il pas raisonnable pour une municipalité d'interdire une telle activité, en pensant au bien-être commun de tous les citoyens.  Le Tribunal le croit.

[49]        La Cour d'appel a rendu une décision intéressante à ce sujet en 1998[3].

[50]        Elle y indiquait alors:

"Les tenants de l'interprétation restrictive semblent opposer le droit de propriété d'un individu à celui d'un organisme désincarné et lointain, alors que le zonage est édicté au profit de tous et chacun des divers propriétaires d'une zone et l'usage illégal par l'un s'exerce généralement au détriment du droit des autres.

À titre d'analogie, on peut souligner qu'en matière fiscale, on avait répété depuis toujours que les lois et règlements devaient être interprétés de façon restrictive.  La Cour suprême est venue mettre fin à cette prétention en statuant qu'en cette matière, comme en toutes autres, on devait rechercher l'intention du législateur.  Je ne vois vraiment pas pourquoi on ne devrait pas suivre le même cheminement en matière d'interprétation d'un règlement municipal de zonage."

(Soulignements du tribunal)

[51]        L'intimée ne peut pas non plus prétendre que l'activité qu'elle exerce est un usage accessoire ou complémentaire.

[52]        Dans un article publié aux Éditions Yvon Blais en 1996, et traitant de cette question, l'auteur Lorne Giroux indiquait[4]:

"De ce qui précède, on peut conclure que les caractéristiques essentielles du contexte dans lequel doit être évaluée la relation entre l'accessoire et le principal doivent d'abord être inférées de l'ensemble de la réglementation d'urbanisme applicable.  Elles sont également identifiées à partir du caractère dominant du secteur ou de la zone, des habitudes et des normes auxquelles se soumettent ceux qui y habitent et de leurs attentes légitimes à l'égard, notamment, de l'intensité des usages qui peuvent s'y exercer et du niveau tolérable des inconvénients qu'on doive y subir.  Ces attentes ne sont évidemment pas les mêmes selon que l'on se situe en milieu rural, en milieu résidentiel urbain comme à North York ou même à Westmout.  Un caveat s'impose cependant.  Dans la recherche de ces caractéristiques, la seule preuve de la fréquence de l'activité ou de l'usage que l'on veut faire qualifier d'accessoire n'est pas déterminante en soi.  Si l'usage se retrouve ailleurs sur le territoire de référence, on ne peut automatiquement en déduire qu'il s'agit d'un usage «habituellement» ou «normalement» connexe à l'usage principal.  Il se peut en effet qu'il soit expressément autorisé ailleurs." (p. 315)

[53]        En examinant attentivement le règlement de zonage de Normandin, on ne peut définitivement pas dire qu'une ferme, peu importe son importance, est un usage accessoire habituel à une résidence unifamiliale, surtout en plein centre-ville.

[54]        Comme l'indiquait Me Giroux:

"Les définitions réglementaires québécoises reposent au départ sur l'idée que l'usage complémentaire est «généralement relié à l'usage principal» et qu'il contribue «à améliorer l'utilité, la commodité et l'agrément» de cet usage principal.  La relation entre l'usage complémentaire et l'usage principal est exprimée de façon différente dans d'autres règlements d'urbanisme qui, en plus de retenir l'élément de l'utilité de l'usage accessoire pour l'usage principal, exigent que le premier soit «le prolongement normal et logique des fonctions» du second.

[…]

Enfin, lorsque l'usage principal est un usage de résidence ou d'habitation, le concept de l'usage accessoire fait souvent l'objet d'une application particulière et de dispositions spécifiques.  Dans ce cas, la réglementation québécoise va parfois utiliser le vocable de l'«usage domestique» alors que dans les autres provinces canadiennes on va plutôt parler de «home occupation».  Malgré l'appellation différente et les règles particulières souvent prévues au règlement de zonage, il faut garder à l'esprit que, juridiquement, il s'agit du même concept que celui de l'usage accessoire ou complémentaire."  (p. 289-290-291)

(Soulignement du tribunal)

[55]        En conclusion, les activités exercées par l'intimée ne sont pas compatibles avec le règlement de zonage de Normandin, qui n'est ni vague, ni imprécis, ni discriminatoire, et n'est pas déraisonnable.

[56]        Si l'intimée veut s'adonner à l'élevage de volailles, qu'elle le fasse sur la ferme qu'elle possède à l'extérieur des limites résidentielles de la municipalité de Normandin.

[57]        PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[58]        ACCUEILLE la requête;

[59]        ORDONNE à l'intimée de cesser immédiatement toute activité d'élevage de volailles sur son immeuble situé au 829, rue Saint-Cyrille, Normandin;

[60]        ORDONNE à l'intimée de retirer de l'immeuble situé au 829, rue Saint-Cyrille, Normandin, l'ensemble des poules, oies et autres volailles y étant présentes, le tout dans un délai de 15 jours suivant le présent jugement;;

[61]        À défaut, PERMET à la requérante, ses officiers ou toute autre personne dûment mandatée par elle de pénétrer sur ledit immeuble afin de procéder au retrait et à l'enlèvement de la totalité des poules, oies et volailles présentes sur l'immeuble du 829, rue Saint-Cyrille, Normandin;

[62]        CONDAMNE l'intimée à rembourser à la requérante la totalité des frais d'exécution ou travaux rendus nécessaire afin d'obtenir le respect de la présente ordonnance, le tout avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle à compter de la date d'exécution desdits travaux;

[63]        ASSIMILE lesdits frais d'exécution ou travaux à une créance prioritaire sur l'immeuble conformément à l'article 233 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme;

[64]        LE TOUT, avec dépens contre l'intimée;

 

 

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JACQUES BABIN, J.C.S.


 

 

MES CAIN, LAMARRE & ASS.

(Me Benoît Amyott)

Procureurs de la requérante

 

MES BOIVIN, LUSSIER & ASS.

(Me Pierre Hébert)

Procureurs de l'intimée

 

Date d’audience :

17 mars 2003

 



[1]     Hétu, Duplessis, Droit municipal, principes généraux et contentieux, Hébert Denault, Montréal, p. 672 à 675

[2]     Compagnie Miron Ltée c. R., [1979] C.A. 36, (1979) M.P.L.R. 28 (C.A.)

[3]     Distribution Percour inc. c. Ville de Montréal et Richard Houle C.A. 500-09-002253-961, 12 février 1998, les juges Joseph R. Nuss, Jacques Delisle et André Biron

[4]     Giroux Lorne, Développements récents en droit municipal (1996), Service de la formation permanente Barreau du Québec, Les Editions Yvon Blais inc.